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  • Ven 17 Fév - 11:45
    Sous la nouvelle lune, les tréfonds de la forêt s'apparentent à ceux de la mer. Capella sourit aux ombres qu'elle s'apprête à honorer. Son sourire ému est englouti par sa capuche, comme sa silhouette est dévorée par sa cape. Dans sa main gantée, une perdrix s'affole. Seuls ses gloussements et ses battements d'aile frénétiques brisent le silence au pied des arbres millénaires.

    C'est la nuit parfaite pour prier.

    Ce n'est pas la solitude qui l'arrêtera, ni le manque de matériel - elle aurait dû acheter des bougies avant de s'éloigner autant de la civilisation. Mais elle n'en avait pas pris le temps, car elle avait promis à son employeur d'exécuter sa mission en un temps record. Se forger une réputation solide était important, si elle voulait qu'on lui confie des tâches plus délicates (et donc mieux payées). Pour autant, elle tenait à bien faire les choses pour bénir cette nouvelle aventure, autant pour elle que pour son frère, dont elle était déjà séparée.

    Capella s'agenouille, et place délicatement l'oiseau sur le dos en lui tenant les ailes.

    - Royaume des ombres, c'est en ton nom que j'offre le repos éternel à cette créature. Accepte mon humble offrande. Que les ténèbres protègent le chemin de mon frère ainsi que le mien, et guident nos rêves.

    Elle déclame son oraison une première fois dans la langue commune, puis elle sort lentement son épée de son fourreau avec sa main libre, laissant le son de l'acier résonner jusqu'au ciel. Chacun des gestes qu'elle exécute sont précis, maîtrisés… et pourtant, tout jusqu'au moindre détail relève de la nouveauté. Ses prières sous-marines et les cultistes de son île semblent si loin, sans l'être vraiment.

    Elle tient maintenant son épée de la même façon qu'elle tiendrait une dague rituelle. C'est un peu lourd, mais il faut faire avec ce qu'on a. Elle l'abaisse et la plante dans le poitrail de l'oiseau, et dans la terre sous son petit corps. Maintenant, elle répète sa prière : cette fois en bas-parlé, mais aussi en la chantant. Elle insuffle un tout petit peu de magie dans sa voix, non pas pour séduire les Ombres avec son chant de sirène mais plutôt pour s'identifier à elles en tant que leur dévouée servante.

    Reste la dernière partie, avant de pouvoir nettoyer sa lame et sa cape : enterrer la dépouille, et offrir sa mort aux vies qui l'entourent. Il faut compléter le cycle. N'ayant pas d'outil désigné pour creuser le sol, elle plante ses ongles dans la terre molle et se met à la tâche. C'est fastidieux, mais la sensation et l'odeur de la terre et du humus qui imbibent ses doigts n'est pas complètement désagréable.

    - T'en fais pas, petite bête. Ton corps rejoindra bientôt ton âme dans les ombres.

    Se pensant évidemment seule, elle se permet de s'adresser à la perdrix transpercée comme pour la rassurer. Ce n'est pas trop son genre d'habitude, mais la solitude lui permet parfois de prendre ses aises en compagnie des morts.

    Cette solitude s'apprêtait pourtant à être rompue.

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  • Dim 19 Fév - 3:11


    Dans la noirceur étouffante de cette nuit féérique, une mortelle aventureuse s'était risquée à braver ses instincts les plus élémentaires, s'enfonçant dans les ténèbres pour réaliser une mission que son seul spectateur peinait à comprendre. A la cime d'un arbre centenaire, une bête immense se maintenant en hauteur grâce à ses griffes acérées, solidement ancrées dans un bois plein de vie. Son corps fin et élégant, rendu invisible par un feuillage si épais qu'il en engloutissait les rayons lunaires, se mouvait doucement en serpentant avec allégresse autour du tronc contre lequel elle avait choisi de se percher, scrutant de ses yeux la belle effrontée qui bravait tous les dangers pour effectuer son curieux sacrifice.

    Elle murmurait, parfois dans la langue des ombres et d'autres, dans celle des Hommes. L'oreille tendue, la créature née de l'imaginaire se reconnut dans cet étrange discours et ce fut donc pour satisfaire son éternelle curiosité qu'elle décida d'établir le contact, se laissant glisser depuis sa cachette pour enfin se révéler à celle qui faisait l'objet de ses questions. Tel une chimère féline, il dévala l'arbre à quatre pattes, produisant sur son passage de légers cliquetis provoqués par les lames terrifiantes qu'il portait au bout de ses pattes. Une fois qu'il fut assez bas, il s'écarta d'un bond furtif, déployant ses ailes étincelantes et baignant ainsi l'inconnue dans un véritable océan de lueurs cosmiques.

    Lentement, il plana jusqu'à elle, s'offrant en spectacle tel un ange obscur et formidable. Ses yeux constellés d'éclats multicolores étaient rivés sur l'inconnue, l'observant avidement et cherchant à percer d'un simple regard ses intentions. Après cette interminable chute, il atterrit sans un bruit malgré sa taille pourtant colossal. Était-il un simple mirage, une créature éthérée venue offrir une quelconque prophétie suite à la prière morbide de cette jeune cultiste ? Alors que son bec s'entrouvrait, les plumes de son cou terriblement long semblèrent se dresser à la racine, exposant ainsi des reflets certes somptueux mais toutefois relativement inquiétants car la faible lueur de l'astre nocturne ne semblait pas épouser convenablement cette silhouette surréaliste.

    "Quelle merveilleuse trouvaille. Il est si rare de croiser un mortel ayant une telle conscience du pouvoir de ses propres rêves. Ton appel a été entendu par le gardien des songes, jeune rêveuse."

    Les ailes se replièrent, formant autour de la silhouette inhumaine une cape épaisse de plumes étincelantes. Ainsi voilée par ce rideau d'ombre, la bête mythique au faciès immaculé de volatile gratifia son interlocutrice d'un affable roucoulement, son corps étant pris d'un soudain frisson de joie. A la fois confiante et profondément curieuse, l'animal gigantesque extirpa de ses propres plumes sa main, qu'elle vint tendre vers l'inconnue, paume orientée vers le ciel. De ce contact courtoisement proposé, elle pourrait tant apprendre.

    "Mais suis-je seulement celui que tu cherchais ?"
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  • Lun 20 Fév - 0:54
    Alors qu'elle dépose le corps de l'oiseau sans vie dans le trou qu'elle vient de creuser, l'attention de Capella est détournée par un spectacle aussi étrange que captivant. Elle interrompt ses mouvements et lève les yeux vers la créature qui plane vers elle, et un frisson remonte sa colonne vertébrale alors que celle-ci se présente. Un gardien ? C'est impossible. Mais que pourrait-il être d'autre, pour répondre ainsi à sa prière ? Cette apparition va à l'encontre de tout ce qu'elle a appris, et pourtant : elle est là, devant elle, et lui tend la main.

    La jeune sirène se redresse brusquement, et décide de ne pas laisser sa surprise prendre le dessus sur sa réaction. Trop de questions se bousculent dans sa tête pour qu'elle ne saisisse pas cette opportunité. Ses mains sales s'approchent de celles de l'obscure silhouette, pour la saisir et la retourner avec délicatesse. Capella abaisse ses lèvres et frôle ses phalanges d'un baise-main timide. Elle n'a pas l'habitude de vouloir témoigner son respect à quelqu'un (quelque chose ?) dès la première rencontre, alors elle suit son instinct quant au comportement à adopter.

    - Tu n'es pas quelqu'un que je dois chercher. Je prie car l'étreinte des Ombres m'a toujours protégée, et j'ai foi qu'elle me protègera toujours. Alors le simple fait de te voir de mes propres yeux est un honneur.

    Elle s'accroupit et referme la tombe de son sacrifice en poussant la terre, qu'elle tasse ensuite du plat de sa main. Son regard revient à la créature, et alors qu'elle a proprement complété son rituel, elle ressemble à une enfant fière d'avoir impressionné un adulte. La semblance n'est que circonstancielle : Capella ne ressent pas ce genre de choses. Du moins, pas en temps normal… Et ce n'est pas une soirée "normale". Elle doit lui poser la question, maintenant, même si elle paraîtra insolente.

    - Un honneur, mais es-tu vraiment ce que tu prétends ? Tu devrais apparaître dans mes rêves, et je ne dors pas. Et bien que je connaisse ma valeur… pourquoi une entité aussi importante apparaîtrait devant quelqu'un comme moi ?

    Elle baisse sa capuche, et son regard vient chercher celui du présumé gardien. Même face à l'immensité de la bête, et malgré le fait qu'elle ne puisse cacher la fascination qui fait scintiller son regard, elle prononce chacun de ses mots avec sérieux, d'un ton décisif.

    - Gardien ou créature, tu as répondu à ma prière, et c'est un signe en soi. C'est pourquoi ta présence m'honore. Je tiens à te le redire, parce que je ne pose pas ces questions pour t'offenser. Je pense juste que tout présage doit être interrogé.

    Avide de réponses, elle a à peine fini sa phrase qu'elle attend avec impatience la réponse de son interlocuteur.

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  • Mer 22 Fév - 4:38
    Surprise par le baise-main qui fut pour la bête légendaire une expérience tout à fait nouvelle, Rêve répondit par une simple rotation de la tête, attestant silencieusement de son incompréhension sans pour autant s'en formaliser. De ce contact trop bref, il ne tira que de maigres bribes de souvenirs ainsi qu'un vague ressenti quant aux aspirations de celle qui lui faisait face. Mystérieusement, Rêve ne souhaita pas immédiatement saisir la main qui s'éloignait de lui afin d'en obtenir davantage, étant exceptionnellement satisfait davantage par les mots que par l'utilisation de ses talents extraordinaires.

    "L'Avatar des Ombres..."

    Les mots résonnèrent en lui, de vagues souvenirs semblèrent lui revenir mais il ne parvint pas à mettre le doigt sur l'un d'entre eux afin de l'explorer. Si ces termes avaient pour lui une certaine signification, il n'avait à l'heure actuelle aucun moyen d'établir les connexions requises afin d'assister cette rêveuse dans la compréhension de sa propre foi. Vaguement frustrée, la bête mythique tâcha néanmoins de ne pas révéler les troubles qu'avaient fait naître en elle les propos de son vis-à-vis. Sans restriction, l'intéressée reprit son discours d'un air interrogateur et la créature, affable et douce, lui répondit sans hésitation :

    "Dans le Songe, rien n'est constant. Je ne fais pas exception à cette règle. J'ai subi des milliers de transformations jusqu'à finalement m'extraire des rêves, obtenant lors de mon ascension cette enveloppe que tu observes. J'ai..."

    Son regard d'encre se perdit un instant dans l'immensité de la nature silencieuse. Sa silhouette éthérée et mystérieuse, portée par des courants invisibles, se remit à flotter doucement dans les airs. Ses ailes ne se mouvaient pas, en revanche, il donnait d'ailleurs l'impression de nager dans le vide et sa longue queue terminée en éventail voletait doucement derrière lui, décrivant lentement de grandes spirales semblables à celles d'une algue agitée par des tourbillons abyssaux. Hésitant, il fut pris subitement d'une profonde tristesse qu'il tâcha de maquiller malgré son émoi évident :

    "... J'ai malheureusement perdu cette faculté innée qui me permettait d'explorer les songes des rêveurs tels que toi. Sache simplement que mon amour pour vous ne s'est pas effacé malgré la perte de mes aptitudes. J'ai été conçu pour modeler les rêves, ma chère et tendre... et puisque mon destin m'a mené à ton monde, j'ai choisi de participer à les exaucer."

    Dans un élan vif et élégant, il retourna à terre et lorsqu'il foula le sol, les serres affutées de ses pattes immenses s'étaient métamorphosées en chausses. Dans un crépitement magique, la créature née de l'imaginaire jongla quelques instants entre deux formes abstraites, alternant sans le savoir entre la silhouette de la jeune cultiste et celle de son frère. Après une poignée de secondes, le Voyageur stabilisa sa forme, créant par son esprit un reflet convaincant mais imparfait de celle qui lui faisait face. Si les traits avaient été reproduits à la perfection, les yeux du Prince étaient restés noirs comme la nuit.

    Un sourire aux lèvres; l'étrange entité conclut :

    "Continue de questionner la véracité de ce qui t'entoure, rêveuse. Cela démontre ta sagesse. Dis-moi, n'attends-tu des Ombres que leur protection ?"
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  • Jeu 23 Fév - 15:21
    Les paroles et les émotions du Rêve incarné l'alarment. Médusée par ce nouveau point de vue sur les dogmes qui ont toujours tracé sa route, elle ne sait quoi en penser. Capella ne sait pas si elle est actuellement en train de ressentir de la peine pour un autre être, ce n'est pas quelque chose qu'elle ressent d'habitude et encore moins un sentiment qu'elle serait capable d'identifier. Pour elle, ce n'est pas de la tristesse qu'elle éprouve envers la déchéance d'un parangon des Ombres, non… C'est de la colère ! Qui, ou quoi, aurait pu oser s'en prendre à un tel être sacré ? Cette profanation aura des conséquences sur l'équilibre du royaume des Ombres…

    Son visage froncé par la fureur se détend d'un coup alors que le Rêve change de forme. Très exactement, c'est le fait d'apercevoir Pyxis en lui, un bref instant, qui la sort de ses pensées. La voilà maintenant face à une copie d'elle-même qui sourit. La sirène tend la main vers ce visage à la fois sien et étranger, puis la baisse à nouveau, n'osant pas poser à nouveau ses mains sales sur son interlocuteur.

    - Non : les Ombres guident aussi mon chemin. A travers mes rêves, qui me permettent de mieux comprendre d'où je viens, où je suis, et où je vais. Mais aussi à travers la mort, qu'il faut savoir côtoyer pour mieux naviguer dans ce monde. C'est grâce au culte que j'ai compris que donner la mort à un être demande autant d'application que protéger sa propre vie.

    Elle ne peut s'empêcher de tourner autour de "l'autre Capella", de la contempler sous tous les angles. C'est aussi étrange que satisfaisant. Personne n'avait jamais pris sa propre apparence devant elle, avant. Est-ce que c'est un signe de reconnaissance ? Un bon présage ? Une façon de la mettre à l'aise ? Elle se place à nouveau face à cette autre elle.

    - Pourquoi tu prends ma forme ? Celle que tu as dans notre monde est déjà magnifique.

    Son agacement précédent quant à la situation de cette entité enchanteresse lui revient. Pourquoi semble-t-elle si paisible alors que son existence même a été dérangée ? Puisqu'elle a le droit de poser des questions, elle ne compte pas se priver de donner son avis non plus.

    - Est-ce que tu regrettes d'être ici ? Tu n'as pas l'air de vouloir te venger, mais je comprends pas pourquoi. Je sais que tu nous aimes, mais tu n'es pas en colère d'avoir perdu qui tu étais ? Moi, je le serais. Et je ferais tout pour reprendre ce qui me revient de droit.

    Un peu comme elle fait tout pour retrouver la richesse de sa première vie, peut-être ? Capella ne le sait pas, mais ce qu'elle ressent l'atteint beaucoup plus profondément qu'il n'y paraît. Même sans les souvenirs de sa première incarnation, son âme reste marquée par le sentiment d'avoir été, elle-même, privée de l'existence qu'elle aurait dû continuer de mener.


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  • Dim 26 Fév - 5:02
    Si l'attention du prince exilé avait déjà été solidement captée par son interlocutrice, l'intérêt pour cette rêveuse était sans cesse renouvelé car, à chacune de ses prises de parole, elle révélait à la bête mythiques des secrets qu'il avait la ferme impression d'avoir déjà connus. Regrettant encore davantage d'avoir perdu tant de savoir lors de son changement de plan existentiel, Rêve demeurait muet et tâchait de ne rien laisser transparaître de ses états d'âme ainsi que de cette vilaine frustration qui pointait en lui le bout de son effroyable museau. La rêveuse tournait tout autour de lui, détaillant avec intérêt cet hommage curieux que constituait l'imitation de son enveloppe. Loin de se formaliser, le Voyageur éprouvait une certain amusement à la voir se détailler ainsi et lui répondait par d'aimables sourires. Lorsqu'elle lui demanda courtoisement pourquoi il avait choisi d'emprunter un déguisement si atypique, il répondit sans hésitation :

    "Vois cela comme une marque d'affection. Il est aussi plus aisé pour moi de comprendre ce que je peux reproduire."

    Les mortels se découvraient autrement mais dans le monde des Songes, c'était ainsi que Rêve avait appris à découvrir autrui. Inlassablement, il avait copié et recopié les créatures qu'il rencontrait, s'imprégnant d'eux au fil des âges en reproduisant avec fidélité leurs traits, leurs attitudes ainsi que leurs dogmes. S'il était difficile pour lui de lire le cœur des êtres depuis son ascension, il redécouvrait au fil du temps sa maîtrise des arcanes et parvenait, non sans difficulté toutefois, à retrouver lentement ses capacités d'antan. Loin de désespérer, Rêve caressait l'espoir de pouvoir un jour être à même de restaurer à la fois sa puissance mais aussi sa mémoire perdue. Le tirant à ses songes, sa jeune amie vint justement évoquer le sujet. Le sourire jovial s'affaissa, se faisant légèrement plus sombre et la bête légendaire répondit avec une pointe de mélancolie.

    "Du regret, tu dis... Non, ce n'est pas tout à fait ce mot que j'aurais employé."

    Il marqua une pause en observant pensivement les environs et leva les yeux au ciel, discernant par delà les arbres les étoiles scintillantes qui semblaient l'observer dans l'absolue noirceur. Etrangement, le fait d'apercevoir les astres sembla l'emplir d'un nouvel élan de joie et ce fut donc avec un entrain retrouvé qu'il compléta :

    "Je ne regrette pas d'avoir quitté mon royaume. Ton monde est vaste, il regorge de trésors et de mystères qu'il me tarde de découvrir. Explorer ainsi la réalité est si... vivifiant. Tu dis vrai, néanmoins : j'éprouve une certaine tristesse à avoir perdu mes facultés et, plus important encore, les précieux souvenirs que j'avais de ces innombrables songes vécus en votre compagnie. Sache cependant, jeune rêveuse, que rien ne se perd dans le Songe."

    La créature née de l'imaginaire lança à son vis-à-vis un regard insistant puis, sans se faire prier, elle vint saisir l'une des mains de cette dernière. Posant sa propre dextre sous celle de la mortelle, Rêve posa ses iris étincelants sur la paume ouverte de la cultiste et, par sa magie plus ancienne encore que le monde, il manifesta du néant ce qui semblait être une lune miniature. L'astre immaculé, pris dans une lente rotation, émettait une faible lueur et tout autour de lui, de minuscules créatures composées de pure lumière voltigeaient, valsant et tournoyant sans bruit dans un minuscule bal d'or et d'argent, à la fois grandiose et surréaliste. Rêve passa le doigt à l'intérieur de cet étrange création, trahissant ainsi sa nature illusoire. Les yeux d'encre se fixèrent à nouveau sur le visage de la mortelle, lui offrant cette fois-ci une expression de profonde fascination :

    "Mes pouvoirs me reviennent, rêveuse, ils s'étendent désormais au delà de ce monde que j'ai quitté. J'ai tant de projets, tellement de rêves qu'il me tarde d'exaucer."

    Il repensa à l'une de ses toutes premières rencontres : cette jeune hybride, à mi-chemin entre la femme et le serpent, à laquelle il avait promis d'apprendre à lire et à écrire. Qu'elle serait heureuse de savoir qu'il ne revenait qu'avec des bonnes nouvelles. En cette magnifique soirée, cependant, le prince exilé avait d'autres sujets qui accaparaient son entière attention et ce fut donc avec cet éternel enjouement qu'il reprit, intrigué :

    "Parle-moi de tes rêves, ma chère. Les plus grands et les plus fous d'entre eux, bien entendu !"
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  • Mer 1 Mar - 13:20
    Le rose lui monte aux joues et lui chauffe les oreilles alors qu'elle entend les mots "marque d'affection". Le fait de comprendre sa métamorphose la faisait se sentir exposée, presque mise à nu, en se voyant ainsi représentée. Le sentiment pur de se sentir ainsi approuvée par une entité qui l'impressionnait tant était aussi nouveau que chaleureux, mais également perturbant. Sans le savoir, Capella est en train de découvrir ce que ça fait d'être intimidée. Elle écoute son point de vue avec émotion. Rien ne se perd…

    Lorsque son double lui prend la main, elle suit docilement son geste, alors qu'il dépose la lune au creux de sa paume. L'illusion est magnifique, et elle la contemple sans bouger, au cas où le moindre mouvement gâcherait cet instant. Dans la tristesse de son départ, il avait trouvé l'espoir d'une nouvelle voie. Rien ne se perd et tout se transforme. C'est la beauté d'une mort même symbolique : elle entraîne toujours le renouveau. Et puis, si les Ombres n'avaient pas guidé ce rêve incarné jusqu'ici, si elle-même n'avait pas décidé de s'arrêter dans cette forêt pour prier, elle n'aurait jamais eu la chance d'échanger de cette façon avec une figure si importante à ses yeux.

    Elle ne peut cependant pas retenir une expression perturbée alors qu'il lui demande de parler de ses rêves. De quoi rêve Capella ? Elle n'a jamais pris le temps d'y réfléchir plus que ça. Habituée à agir ou réagir sur le tas, courant de paie en paie, elle ne mène pas vraiment une vie animée par une aspiration particulière. Et si n'importe qui d'autre lui avait posé la question, elle n'aurait pas réfléchi avant de répondre :

    - Je veux être riche.

    Mais la créature qui portait son visage, et le lui montrait si ravi, était bien assez spéciale pour mériter la version détaillée.

    - Je rêve d'être assez riche pour ne plus seulement survivre, mais vivre. Ne pas seulement vivre, mais profiter de tout ce que l'argent peut payer. Le confort, le luxe, le pouvoir. Que mon nom devienne synonyme d'abondance et de puissance, qu'il suffise à faire trembler ceux qui me feront obstacle, ceux qui s'en prendront à mes proches, et ceux qui blasphèmeront les Ombres. Que l'argent m'ouvre toutes les portes, et me donne le pouvoir de fermer toutes celles que je choisirai. C'est mon rêve le plus grand.

    Pensive, elle décide de continuer après une courte pause. Il y a bien autre chose qui l'anime que l'argent…

    - Il n'y a pas que ça, mais j'ai du mal à trouver les mots pour le reste. Je veux… Je ne veux pas… Je rêve d'être assez forte pour imposer la crainte, et comme tout ce qui m'anime, je ferai tout pour le réaliser. Être puissante, pas qu'avec l'argent ! Et pas seule. Je me rêve… entourée ? Je rêve de rencontrer des personnes à qui je saurai faire confiance, et qu'elles restent à mes côtés.

    Maladroite, Capella fait quand même de son mieux pour exprimer ses rêves égoïstes de jeune adulte à l'être sacré. Et puisqu'elle dévoile autant ses convictions à voix haute que ses faiblesses en sous-texte, elle décide de montrer la dernière partie de son âme qu'elle n'a pas encore dévoilé. Les Ombres veillent sur elle, elle n'a pas à avoir peur de montrer sa lumière maudite. Elle fait glisser le gant qui couvre son bras gauche vers le bas, et dévoile son membre vicié, dont la lueur faible et verdâtre teinte les environs.

    - Mon bras… est devenu comme ça par ma faute. Je ne le regrette pas, parce que c'est ce qui m'a rapprochée des Ombres. J'ai appris la langue des ténèbres. J'ai découvert l'importance de donner la mort. Et j'ai aussi découvert l'importance du rêve. Je voulais te le montrer, parce que c'est sûrement aussi grâce à lui qu'aujourd'hui, je parle avec toi, Gardien.


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  • Dim 12 Mar - 7:38
    Le poing de la bête des songes se referma lentement sur sa création et la lune, ainsi que les danseurs miniatures qui en exploraient les contours, vinrent s'éteindre dans un ultime scintillement. Intrigué par les révélations de la rêveuse qui lui faisait face, le Voyageur s'empressa de porter sa main à celle que venait de lui dévoiler la cultiste et, dans ce même mouvement, il fit taire ses capacités pour briser l'illusion de sa métamorphose. S'approchant avec vivacité, il vint river ses prunelles étincelantes sur les curieuses aspérités du membre affecté par cette curieuse manifestation et passa sans retenue ses doigts griffus sur la surface luisante. Par ce contact, il vint prélever quelques images, des bribes incompréhensibles d'un passé confus que Rêve peinait étrangement à saisir. Plutôt que sur cette indiscrète lecture, il tâcha de se concentrer sur le discours de cette mystérieuse rencontre :

    "La richesse, dis-tu ? Je ne peux que le comprendre. Comment résister à l'envie de s'emparer de ces somptueux trésors qu'abritent les méandres de ton monde ?"

    Ses griffes quittèrent le bras de sa jeune amie et il glissa sur le sol avec une agilité serpentine afin de passer dans le dos de la cultiste. Usant de ses talents d'illusionniste, il laissa apparaître dans son sillage une pluie de diamants flottants et son interlocutrice put découvrir, non sans surprise, que son cou était orné désormais d'une parure immatérielle, un collier d'or et de rubis qu'il lui était impossible de se saisir. En frôlant la jeune femme dans ce même élan qui l'avait propulsé hors de son champ de vision, il réapparut à ses côtés quelques instants plus tard mais une fois encore, il avait choisi de revêtir une silhouette nouvelle, reflet des envies de celle qui lui avait révélé ses rêves.

    Le plumage aussi noir que la nuit était désormais pâle comme la lune et les plumes duveteuses arboraient d'impossibles couleurs qui, tels des mirages, apparaissaient et disparaissaient lorsque la faible lueur nocturne frappait son corps irréel. Parfois nappé d'or ou d'émeraudes, la bête immaculée plongea son regard dans celui de sa jeune amie. Ses yeux énormes étaient désormais semblables à de magnifiques billes dorées et son enveloppe toute entière paraissait recouverte de pierres précieuses flottant curieusement au gré des vents. Ces serres s'approchèrent du visage et l'adoratrice des ombres put discerner dans l'obscurité que ces dernières avaient également une nouvelle teinte choisie avec soin : celle du bras vicié de son vis-à-vis. Dans un murmure, les voix s'élevèrent encore :

    "Dominer l'adversité, façonner le monde à son image. Ton rêve est celui d'une conquérante, ma jeune amie."

    Subitement, une main gantée d'acier pénétra le champ de vision de la cultiste. Dans un silence de mort, l'assaillant sorti des ténèbres lança un assaut qui se voulait léthal, frappant latéralement en visant la gorge de sa cible. Mais quelques centimètres avant de rencontrer le cou nu de sa victime, le bras armé se volatilisa silencieusement dans un épais nuage de sable, tout aussi illusoire que l'agresseur lui-même. L'émanation magique vint s'éteindre prestement, en même temps que la parure fantasmée et derrière ce voile levé se trouvait désormais le visage de Rêve, prunelles rivées vers celles de son interlocutrice. D'un air terriblement grave, contrastant grandement avec la douceur de ce moment qu'ils passaient ensemble, le prince onirique reprit la parole :

    "J'ai vogué en songe aux côtés d'innombrables guerriers, fiers et emplis d'un courage aveugle. J'ai incarné leurs frères d'armes, leurs adversaires et parfois les champs de bataille tout entiers. Il y a en toi une soif que je désire te voir étancher et je t'y aiderai, car telle est ma fonction. Prend garde néanmoins, car le conquérant prend bien plus qu'il ne donne. Il est l'ennemi naturel du complaisant et du paresseux. La route que tu empruntes est jonchée de cadavres."

    La bête bondit, flottant avec allégresse tout en disparaissant dans l'obscurité. Invisible, elle vogua silencieusement dans les airs avant de se rematérialiser aux côtés de l'étrangère puis elle posa délicatement ses mains sur les épaules de cette dernière. Un curieux sifflement s'échappa de sa gorge et de ses deux voix, il conclut :

    "Tes convictions seront néanmoins récompensées. Tu désires être entourée d'alliés fidèles à ta cause ? Sache que tu peux désormais compter sur celui qui se nichait jusqu'à présent dans les affres de ton esprit. Je t'apporterai mon soutien dans ta quête, car celle-ci est grandiose. Tu as su fermer les yeux pour voir. Je suis infiniment fier de toi."

    Les bras glissèrent et il lui offrit alors une véritable embrassade, refermant sur elle un rideau de plumes de marbre et d'émeraude.
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  • Ven 17 Mar - 21:49
    Elle frémit lorsque sa nouvelle idole saisit son bras, mais se laisse faire. Au fond d'elle, Capella sent qu'elle ne sera pas jugée, ou en tout cas, pas jugée de la même façon que les hérétiques l'observent. Son bras a été maudit, oui : mais sa malédiction est devenue bénédiction. Seuls ceux qui voient les ténèbres pour ce qu'elles sont réellement peuvent comprendre, alors le Gardien sera lucide. Il comprendra sa vraie nature.

    Le spectacle enchanteur qui s'ensuit confirme sa pensée. Des joyaux à l'éclat sublime qu'elle n'aurait pu qu'imaginer et qu'elle a pourtant la certitude de reconnaître, un bijou qui était fait pour lui aller - et le Songe incarné qui revêt une forme digne d'elle, digne de lui, digne de la précieuse nuit qu'elle était venue honorer. C'est une vision magistrale, et la jeune sirène se sent émue de voir une si belle chose.

    Vulnérable.

    Une main surgit et elle écarquille les yeux. Une attaque ! Un intrus oserait interrompre la beauté de cet instant pieux ?! Elle n'a pas le temps d'esquiver, elle doit encaisser le coup et riposter ! Mais le coup ne la touchera jamais, la main disparaîtra, et seulement le Rêve demeurera. Capella est maintenant bien loin de son petit nuage, et malgré l'adrénaline qui parcourt ses veines, elle demeure immobile. Si c'est un test, elle veut le réussir. Elle soutient son regard et l'écoute avec déférence. Bien sûr, elle ne perçoit dans son avertissement qu'un encouragement, validé par les compliments qui suivent.

    Elle grimpera sur les corps des faibles pour mieux atteindre le sommet du monde. Elle arrachera de leurs mains froides et putréfiées l'or qu'elle désire. La couleur du sang versé ne sera qu'une pâle étape vers celle des grenats et des rubis qui décoreront ses parures. Et sur son chemin macabre, elle gardera toujours en elle les mots et le regard que lui portent Rêve ; et le sourire qu'elle lui imagine.

    Ses bras glissent le long de la silhouette sophistiquée, et elle se blottit tendrement contre le marbre froid.

    - Tu me comprends.

    Les yeux fermés, sa voix se fait plus douce. Une douceur que seule sa famille aurait pu reconnaître - morbide et naïve - qu'elle retrouve dans les rares moments où elle se sent pleinement en confiance. Ses muscles se détendent, mais elle continue de serrer le rêve qui a pris corps contre elle.

    - Je serai digne de ta compagnie et de ta fierté. Aussi longtemps que je vivrai, tu pourras compter sur ma foi en toi. Mon rêve deviendra réalité, dans ce même monde où j'ai eu le privilège de te rencontrer.

    Capella met fin à l'embrassade, et place un genou à terre. La main sur le cœur, elle relève la tête vers le démon et fixe ses yeux d'or avec toute la dévotion dont elle est capable.

    - Je veux t'aider aussi. Donne-moi ton premier ordre, Gardien. J'honorerai toutes tes volontés.

    Une promesse dangereuse faite en connaissance de cause. Mais dangereuse pour qui ? Pour la sirène immature, ou pour le monde qu'elle est prête à réduire en poussière à la seule commande de Rêve ?


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  • Sam 18 Mar - 12:29
    Le songe matérialisé observa sa jeune amie qui portait un genou à terre et, lorsqu'elle lui offrit son allégeance, il demeura impassible, détaillant son expression de plénitude avec une délectation secrète. Ce n'était pas la première fois qu'un être conscient le gratifiait d'une telle marque de respect et de foi mais il y avait cependant, chez cette jeune cultiste, une inébranlable conviction et une passion si brûlante que la bête mythique se retrouvait purement hypnotisée. Rêve frémit furtivement et les plumes de son col se dressèrent tandis qu'une vague d'énergie parcourait son être, lui arrachant un roucoulement murmuré si faiblement qu'il fut à peine audible.

    Une lueur verdâtre, fébrile tout d'abord puis croissante en taille et en puissance, se manifesta d'elle-même au creux de son torse. Ne jugeant pas utile de faire usage de mots pour définir la nature de cette étrangeté, Rêve porta son index à la nouvelle étoile qui décorait son corps, puis il désigna ensuite son interlocutrice en pointant son front, lui intimant silencieusement qu'elle était à l'origine de cette apparition mystique. Plus bas, une autre constellation rougeoyante se trouvait, elle-même témoignant de son pacte avec Halewyn. L'étoile correspondant au démon pourpre s'illumina à son tour, puis vint s'ajouter à cette constellation une étoile rose, symbolisant son lien éternel avec sa consœur, le démon privé de nom. Partout sous le plumage immaculé, des lumières scintillantes se mirent à briller à l'unisson. Rêve, d'une certaine manière, semblait être la somme de toutes ces étoiles mystérieuses.

    "Tu me comprends, toi aussi. Nous faisons partie l'un de l'autre."

    Il quitta le sol, flottant dans les airs pour se rapprocher de cette fidèle qui s'offrait si valeureusement et aveuglément à lui. Rêve n'était pas un Dieu mais se nourrissait tant des attentes que des craintes que l'on entretenait à son égard. Ceux qui croyaient en lui alimentaient son évolution et lui donnaient, bien plus que quiconque, une force au delà du réel. De bien des façons, les convictions de cette douce rêveuse lui conféraient un pouvoir nouveau. Ses espoirs, puissants et savoureux, faisaient pour la bête vorace office d'une pitance encore rarement égalée dans sa qualité. Des vagues de magie pure traversaient le corps immense de la créature ailée et, à chaque onde invisible, ses plumes étaient prises de vibrations rythmées. Toujours en flottement, il posa une griffe sous le menton de la rêveuse et de son autre main, il vint lui caresser la joue délicatement pour ensuite lui chuchoter :

    "Je ne te donnerai pas d'ordre. Je suis pour toi un guide, un ami ou même un conseiller. J'exauce les rêves mais je suis paradoxalement  incapable d'en concevoir pour moi-même. En revanche, je ne refuserai pas ton aide dans l'accomplissement de la volonté de mon créateur. Ce choix te revient."

    Une griffe quitta le visage de la cultiste et vint effectuer non loin de ses yeux d'étranges rotations qui semblèrent déchirer la réalité, transformant le vide en couleurs mêlées dans une masse informe. Les doigts fins de la créature passèrent et repassèrent dans ce nuage informe, lui conférant peu à peu l'aspect d'un visage dur et anguleux aux yeux luminescents, qui n'était autre que celui de Seagan, Haut-Prêtre du Nouvel Ordre. Après avoir laissé flotter un instant l'image illusoire de ce souvenir qui n'était pas vraiment le sien, Rêve frappa d'un coup de griffe élégant sa création et le mirage s'effondra, disparaissant dans la nuit en une fumée orangée. Cela fait, Rêve pivota à nouveau vers son vis-à-vis et lui glissa en laissant transparaître bien malgré lui un soupçon de colère :

    "Les fidèles de ce rêveur désirent anéantir mes confrères ainsi que moi-même. Si d'aventure tu viens à croiser l'un d'eux, alors..."

    Un hurlement de souffrance retentit alors dans l'esprit de la cultiste. Un infime instant, le plumage immaculé de la créature onirique parut recouvert d'un sang épais, dégoulinant sur l'herbe fraîche dans un amas ignoble de chair morcelée et de liquide pourpre, ce dans un suintement immonde. Lorsqu'elle cligna des yeux, Rêve était redevenu lui-même et la forêt avait retrouvé son apaisant silence. Cette illusion haineuse, pleine de passion et d'effroi, traduisait ses émotions les plus obscures. Rêve ne parla pas, les images suffisaient, il se contenta donc de venir affectueusement caresser la chevelure dorée de sa noble rencontre.
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  • Mar 21 Mar - 15:32
    Capella arrive à l'apogée de son épiphanie. Les mots de Rêve frappaient chaque fois un peu plus juste, et ce qui avait commencé comme le battement de cœur d'un oiseau résonnait maintenant dans son esprit comme des tambours de guerre.

    Il fait partie d'elle. Il ne conçoit pas, il réalise. Il a été… créé ? Sûrement un choix de mot particulier à sa situation - mais ça la perturbe. Le rêve n'est pas artificiel, il n'est pas créé : il est organique, il fait partie de toute chose, il est omniprésent, qu'il soit conscient ou inconscient. Ce créateur… ne pouvait pas être les Ombres qui lui ont donné naissance. Quelqu'un dans ce monde serait donc assez puissant (fou ?) pour voler un Gardien à son Royaume ?

    Ses pensées agitées se mêlent aux images qui se matérialisent sous ses yeux. Ce visage… Elle l'avait déjà vu. Plus jeune, elle en avait trouvé un portrait usé dans une épave, qui lui avait rappelé les souvenirs d'une vie qu'elle n'avait jamais vécu. Comment pouvait-elle être sûre qu'il avait régné sur Shoumei, quand elle ne savait même pas qui il était aujourd'hui ? Et pourtant, elle était bien plus proche de la vérité qu'elle ne le pensait. Captivée par les illusions, elle laisse échapper un nom alors qu'il se grave en elle.

    - Le Nouvel Ordre…

    Le Songe avait, dans tous les cas, transmis ce qu'il souhaitait voir arriver à ces âmes damnées. Elle contemple la chair boursouflée et ensanglantée sans broncher, et quand son guide, ami, conseiller, lui caresse la tête, elle ferme les yeux.

    - Une secte de Shoumei, non ? Bien. Leurs âmes rejoindront les Ombres.

    Capella n'a pas besoin de plus pour accepter sa nouvelle mission. Elle a fait une promesse, après tout, non ? Ou plutôt, elle a fait un serment. Elle glisse ses mains autour de celles de la créature et la baisse doucement, pour poser sa joue dessus. Des gestes doux partagés par deux créatures qui ne conçoivent même pas la cruauté qu'ils abordent.

    - Qui appelles-tu ton créateur ? Pour moi, tu as toujours existé. Cette personne t'a aidé à nous rejoindre ?

    Elle n'est pas jalouse, elle n'a pas peur. Leur lien est scellé, et elle sait qu'elle peut accorder toute sa confiance au Rêve. Mais comment empêcher l'enfant admiratif de questionner le sujet de son admiration, alors qu'il est si proche, si bienveillant, si compréhensif ?

    Si parfait ?

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  • Mer 22 Mar - 2:50
    "Suis-je réellement ton guide ? Tu es si sage, enfant des abysses. Tu sais déjà tant de choses..."

    Il y avait dans les mots du prince autant d'affection que de respect. Il n'avait pas soupçonné, lors de son apparition, avoir découvert à l'abri des regards un joyau si habilement sculpté. Par leur contact, il explora brièvement les pensées de son amie et ne décela en elle ni crainte, ni hésitation. Elle lui semblait déjà dévouée, corps et âme. Leur relation pouvait sembler jeune, de prime abord, mais Rêve savait sans pouvoir s'en souvenir qu'ils avaient déjà vogués ensemble sur des océans dénués de nom. Il avait toujours été à ses côtés, par le biais de songes partagés avec joie. Il fit jouer ses serres sous le menton de la cultiste, relevant son visage et lui offrant désormais la vue de celui d'une femme qui lui était sans doute inconnue.

    Un Ange, à la chevelure immaculée et dont l'armure légère et sophistiquée n'était pas sans rappeler les ornements portés par les adorateurs du fameux Seagan. Rêve ne désirait nullement blesser cette entité en assassinant froidement ses camarades mais, pour le bien d'un songe plus grand, il était parfois nécessaire d'effectuer des sacrifices à la hauteur de leurs plus formidables espoirs. Les deux voix s'élevèrent à nouveau mais semblaient cette fois-ci plus féminines qu'à l'accoutumée.

    "Prend garde cependant à ne pas anéantir celle-ci. Il y a en elle un potentiel que l'on ne saurait faire taire. Elle te haïra sans doute car tu l'auras blessée, toutefois je te prie de ne pas céder. Pour moi et pour tant d'autres, son rêve le plus cher devra être exaucé un jour. La mort viendra aussi pour elle, en temps voulu, mais ce ne sera pas à nous de lui montrer ce chemin."

    Nos mains, car déjà; Rêve ne parvenait plus à dissocier les siennes de celles de sa première fidèle rencontrée par delà le voile du Songe. L'Ange dénommée Luvïel faisait quant à elle l'objet d'une prophétie que Rêve avait vécue dans un élan mystérieux qu'il ne s'expliquait pas lui-même. Sa plus fervente rencontre comprenait sans doute l'importance de cette directive car il apparaissait sans mal qu'elle buvait les paroles de son gardien. Après cette parenthèse vint le tour des explications car son vis-à-vis, de toute évidence, mourait d'envie de découvrir d'autres vérités dont elle pouvait s'imprégner. Le Voyageur, tout en passant sa main libre dans la chevelure claire de la cultiste aux sombres desseins, vint élucider par bienveillance les questions posées respectueusement par celle qu'il chérissait tant.

    Tel une fleur, le masque de chouette vint se replier sur le visage angélique, se refermant sans un bruit comme d'étranges pétales et recomposant ainsi les plumes, le bec, et finalement les yeux immenses et pénétrants que lui connaissaient désormais son interlocutrice. Le collier duveteux vint s'épaissir et la bête, toujours sur ce ton qui se voulait apaisant, reprit de plus belle son discours enchanteur :

    "Tu as vu juste, une fois encore. Je le nomme créateur, mais il est en réalité sculpteur. Ce sont des êtres tels que toi qui ont tissé mon essence, ce de la plus belle des façons. Depuis des temps immémoriaux, tes ancêtres et ceux qui les ont précédés ont erré avec moi le long des fils éternels du Songe. Vint alors mon ultime voyage immatériel et avec lui, la promesse d'une ascension sur un nouveau plan de l'existence : le tien. J'ai été détruit, fragmenté et enfin reconstruit à l'image de celui qui m'a invoqué. Je ne suis désormais que l'ombre de l'être que j'étais mais pourtant..."

    Les caresses de la bête parurent subitement plus douce tandis qu'apparaissait, partout autour d'eux, le parfum rassurant d'une eau salée porté par les vents impétueux d'une mer agitée. La sirène envoutée pouvait sentir des gouttelettes glacées qui chatouillaient ses joues à chaque mouvement qu'effectuait la créature légendaire. S'amusant de cette illusion qui avait tout d'une offrande pour celle à laquelle il tenait tant, Rêve conclut finalement :

    "...il est né de ton inébranlable foi une force dont je suis certain de ne jamais avoir été pourvu."
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  • Jeu 23 Mar - 14:15
    Son regard bicolore analyse le nouveau visage que prend le Rêve : une femme à la beauté immaculée. Elle le mémorise, car chaque chose qu'il lui montre est inestimable. Elle le retient, car il lui demande de l'épargner. Capella incline la tête, intriguée. Pourquoi elle ? A-t-elle tant de potentiel que ça ? Elle incline légèrement la tête sur la gauche, sans quitter les griffes de son Gardien. Elle ne posera pas ces questions là, car elle en trouvera les réponses naturellement. Et même si le regard dénué de vie de l'illusion qui lui est montré, devient sur le vrai visage de cette ange un regard assoiffé de sang, la cultiste ne se mêlera pas de son destin.

    - Oui, Gardien. Que les Ombres guident sa voie.

    La figure de l'Ange laisse place au Rêve qu'elle connaît, marmoréen et resplendissant. Capella s'abandonne aux caresses dans ses cheveux, et écoute attentivement son récit, qui contente sa curiosité sans la rassasier. Qui est ce "créateur", de quels pouvoirs est-il doté pour accomplir quelque chose d'aussi exceptionnel que d'offrir le passage à l'être devant elle ?

    Le souvenir d'être sur la mer la tire de ses pensées. Sur ? Pas sous ? Elle lève les mains pour se tâter le visage, bien que ce ne soit qu'une illusion. Pourquoi arpenter la mer lui semble si familier, non pas en tant que sirène, mais en tant que… autre chose ? Est-ce la magie du rêve, ou la vérité est-elle encore cachée par les ombres ? Il n'y a qu'une seule chose dont elle est sûre.

    - Cette force est celle qui te revient de droit. J'existe pour croire en Toi, comme tous les autres. Même si certains ne le savent pas encore.

    Mais les doutes demeurent. La mémoire floue de l'écume des vagues qui s'engloutissent les unes les autres la ramène à la réalité, et elle recule de quelques pas en baissant les yeux. La réalité, oui, mais pas celle qu'elle connaît. Une autre, lointaine, qui lui donne l'impression d'avoir connu autrement l'amie qu'elle vient de quitter - l'eau dans laquelle elle est née. Et la certitude effrayante que ce n'est pas une invention de son Gardien, mais bien quelque chose qu'il a lu en elle. Instinctivement, Capella replie ses bras autour d'elle et se blottit dans sa cape, cherchant le réconfort de l'ombre (ou de l'eau ?) qui l'a toujours entourée. Les mots sortent tout seuls, chuchotés sans direction.

    - Pourquoi… Comment as-tu…?

    Son regard perdu revient vers celui d'or qui veille sur elle. La sirène fait de son mieux pour se ressaisir, bien que sa posture et son expression trahissent sa confusion. Elle ne doit pas se montrer ingrate envers le Songe incarné, qui a la générosité de se tenir près d'elle et de lui parler. Elle déglutit, et essaie de formuler ce qu'elle ressent.

    - Ce que je viens de voir, de sentir… C'est comme si je l'avais toujours vécu, mais… non ! Non, non, moi j'ai habité sous la mer, j'ai habité au bord de la mer, je n'ai pas… si ? Est-ce normal ? Pourquoi ai-je reconnu cette mer ? Ce n'est pas la mienne !

    Sa voix plaintive sonne comme la plus désespérée des prières. Pour Capella, il n'y a que les Ombres, et leur enfant qui se tient devant elle, qui peuvent répondre à une telle question.

    Il n'y a que les ombres qui ont le droit de la voir si fragile derrière sa carapace.

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  • Ven 24 Mar - 13:21

    Fasciné par la réaction pour le moins surprenante de l'adoratrice des ombres, la bête onirique l'observa sans mot dire lorsqu'elle vint s'éloigner de lui et comprit alors qu'il avait mis le doigt sans le vouloir sur un élément qui avait toute son importance. Si la cultiste semblait le vénérer, il l'aimait tout autant et sa fonction primordiale ne faisait finalement de lui qu'un serviteur des envies et besoin de ces rêveurs qu'il chérissait à en mourir. Il sembla immobile, un instant seulement, car l'image qu'elle avait de lui vint lentement s'éteindre comme un croquis gommé à la hâte. La silhouette enchanteresse du prince onirique se tut dans la nuit et, quelques secondes plus tard, ce fut un autre Rêve qui se manifesta derrière Capella.

    Désormais bleuté, le plumage de la créature voletait avec une lenteur surnaturelle et certaines extrémités paraissaient désormais décorées de filaments verdâtres et luisants qui ressemblaient à s'y méprendre à des algues portées par les courants. Rêve avait perçu en elle les reflets d'un trésor niché dans les tréfonds d'un océan inexploré et comptait bien s'y engouffrer, car telle était sa mission. L'odeur de sel marin était désormais partout et la forêt obscurcie prenait la teinte enchanteresse des fonds marins azur que connaissaient si bien la cultiste angoissée. Au loin vint retentir dans un grondement puissant le chant d'un cétacé colossal et tranquille. Avant de s'enfoncer pleinement dans un songe trop violent, le prince onirique voyait d'abord un intérêt à rassurer sa tendre amie.

    "Tu n'es ici entourée que des ombres que tu adules. Aie foi en toi, en moi et en ce que nous représentons. Pourquoi craindre ce qui appartient déjà au passé ?"

    Car il était convaincu, fier de cette empathie surnaturelle dont il était doté, que cet évènement n'avait strictement rien d'anodin. Les apaisantes illusions drainaient la puissance de la créature mythique mais elles étaient pour elle, comme pour sa protégée, d'une importance capitale dans l'accomplissement de leur rêve désormais commun. Au son du géant sous-marin vint s'ajouter ensuite des images impossibles de poissons exotiques et de méduses flottant dans les airs. Tout autour d'eux, les mémoires de cette Capella neuve revenait pour assurer ses appuis lors du plongeon en sens inverse qui s'annonçait déjà.

    "Ce n'est pas un rêve que tu as vu. C'est un souvenir."

    Subitement, Rêve empoigna la cultiste et tous les mirages autour d'eux s'écroulèrent verticalement tandis que son corps était pris de tremblements,  lui conférant l'illusion d'une ascension brutale qui, ultimement, les mena à la surface. Le froid imaginaire de la mer symbolique céda place aux bruits violents d'un cyclone et le sol couvert d'herbe fut changé par magie en un océan tumultueux. Sous les pieds de Capella, une véritable tempête faisait rage mais les vagues implacables ne semblaient pas capables de la déplacer. Elle était là, immuable, à observer un ciel déchiré par des éclairs hurlants et à sentir sur elle s'écouler une pluie battante.

    Son Gardien, quant à lui, avait disparu. Face à l'ouragan, elle était seule.
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  • Dim 26 Mar - 15:49
    Le rêve se transforme. Capella, qui cherchait le confort de la familiarité dans le regard de son gardien, voit ce dernier s'éteindre, redevenir ténèbres, puis reprendre forme. Elle contemple sa forme abyssale sans la comprendre, et se laisse emporter par le spectacle. C'est ce que Rêve veut. Qu'elle se sente en sécurité, et qu'elle se laisse aller aux visions mystiques que son prophète lui offre. C'est aussi ce qu'elle veut. Car elle croit en lui, suffisamment pour non seulement ouvrir sa carapace - mais aussi pour en sortir. Seulement cette nuit, seulement pour lui.

    Elle se laisse bercer par les sons marins qui l'ont toujours entourée, et si elle n'était pas dans cette forme bipède inconfortable, elle se serait amusée à tournoyer dans le nouveau rêve qui s'offre à elle. Mais celui-ci est de courte durée : très vite, son adoré Gardien l'attrape, et tout ce qu'elle a toujours connu est précipité dans les profondeurs. Un souvenir ? Les derniers mots qu'il a prononcé lui restent en tête, alors qu'elle est figée face à une tempête sensorielle.

    Aux sons de l'ouragan se mélangent des illusions qui viennent de ses propres souvenirs, ces fameux souvenirs qui ne sont pas à elle. Des éclats de voix qu'elle reconnaît, le son du bois qui grince, des corps qu'elle voudrait désespérément ramener à leurs familles… Capella se tourne désespérément dans tous les sens. Impossible de vraiment savoir ce qu'elle cherche quand tout se mélange dans sa tête. Une voix tonitruante hurle qu'il faut retrouver la fae, en même temps que sa voix à elle cherche le Songe qui l'a guidée jusqu'ici.

    - CAPITAINE !

    Un cri désespéré résonne dans son crâne et fait vibrer ses tempes. La stupeur et l'angoisse s'effacent lentement du visage de la sirène, qui comprend petit à petit ce qu'elle voit. C'est elle, le Capitaine. Ce souvenir n'est pas à elle, mais il l'a été. Cette mer n'est pas la sienne, mais elle l'a été. Dans une ultime épiphanie, le Rêve lui a rendu ce qui lui appartenait.

    Trop émue pour pouvoir se contenir, Capella cache ses larmes de bonheur en couvrant son visage de ses mains, et se laisse tomber à genoux au milieu des vagues. Bien sûr : ce serait à elle de faire le reste du voyage dans le passé, pour mieux retrouver qui elle était avant. Elle n'oserait jamais en demander plus à son Gardien, si bon et si grand. Dans un murmure faible, elle s'adresse encore à lui, espérant qu'il entendra sa gratitude.

    - Je comprends, maintenant. Merci, merci pour tout…

    CENDRES
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