Elle a toujours été… Tête en l’air, un peu ailleurs. Ce n’est pas qu’elle est lente, même d’un point de vue intelligence elle reste supérieure à la moyenne, ses résultats à l’université le montre bien, pas dans les meilleurs mais pas non plus un simple nom au milieu des autres. Évidemment, si vous la comparez à sa sœur la différence est flagrante mais, déjà ce n’est pas la question, et ensuite beaucoup de gens semblent avoir un niveau… Au mieux, une fois comparé à sa sœur. Mais reconcentrons nous, c’est Shaïna qui va intéresse n’est-ce pas ?

Donc oui, elle était dans son monde. Toujours un léger retard dans ses réponses, le regard dans le vide. Ça c’est ce vont vous dire ceux qui ne l’ont jamais regardé dans les yeux. Ces maudits yeux gris… On a l’impression qu’elle nous voit sans nous voir, comme si on ne l’intéresse pas, comme si ce n’est pas nous qu’elle regarde mais en nous. Un jour je lui ai demandé, je suis allé la voir pour savoir ce qu’elle regarde chez les gens. Elle m'a fixé dans les yeux pour la première fois avant de me répondre. “C’est votre flamme que je regarde…” Avec sa petite voix fluette, un peu chaude. On aurait dit un souffle de vent dans le désert. Je n’ai jamais compris ce qu’elle voulait dire mais je n’ai plus jamais voulu lui poser la question. Ou même demander à sa sœur. Je crois que j’avais peur de la réponse. Et je crois que j’ai toujours peur aujourd’hui… Si ça ne vous dérange pas, j'aimerais arrêter d’en parler… Oui, merci… Bonne journée…


Shaïna ? Ouais j’ai passé quelque temps avec elle. Elle m’a fait quelques belles cicatrices pendant nos études d’ailleurs. J’ai jamais pu me séparer de la première impression que j’ai eu en les voyant. Elles étaient là, deux copies conformes. Un élémentaire de lave déjà c’est rare mais deux ? Ça n’arrive jamais. Et quand ça arrive c’est pour une bonne raison. Pas forcément bonne d’ailleurs. Mais ouais, elles étaient là, bien droites, avec leurs long cheveux d’un rouge éclatant, chacune une belle de jour accroché d’un côté différent… Assez grandes, très fines… Taillées pour le combat. C’est ce que leurs corps criaient. On pouvait l’entendre. ‘ne vous approchez pas vous allez vous brûler.’ En réalité quand j’ai vu qu’elle n’était pas la meilleure j’ai été surprise. Mais même comme ça j’ai jamais pu gagner un combat contre elle.

On vous a dit qu’elle était dans son monde ? C’est vrai. Mais celui qui vous a dit ça n’a jamais dû la voir en pleine bataille. À ce moment-là, elle n’a plus ce petit air absent, cette petite seconde de décalage qui fait son charme. Elle n’est plus que précision, exactitude. Elle agit toujours quand il faut. Ni trop tôt, ni trop tard. Et elle frappe pour gagner. J’ai bien dit gagner hein. Peut-être qu’avec la guerre ça a changé mais à l’époque elle ne frappait pas pour tuer ou blesser. Juste le minimum syndical pour une victoire sans appel. Comme si elle voyait exactement où frapper…

De quoi ? Un dernier détail, quelque chose que j’aurais oublié ? C’est déjà pas mal non ? Laissez-moi un instant… Ah si. Elles ont un petit rituel avec sa sœur. Elles sont les seules à pouvoir faire quelque chose d’aussi ridicule sans passer pour des folles. Elles ont toutes les deux le tatouage Reikois dans la paume d’une main… Droite pour Shaïna et gauche pour Miya il me semble. Quand l’une avait besoin du soutien de l’autre elle tendait sa main tatoué et la seconde répondait en appuyant la sienne dedans. Comme si les deux dragons se retrouvaient soudainement et leur donnaient la force d’avancer. Et honnêtement ? Je crois bien que c’est ce qui arrivait. Rien de choquant d’imaginer un élémentaire de lave se nourrir du souffle d’un dragon non ?

“Qu’est–ce qu’on fait ?
-Qu’est-ce que tu veux faire ?
-Y aller ?
-Alors on y va ?
-On y va"

Les deux rouquines se regardent en souriant, perchées sur un muret de pierre. Devant elles le désert s’étend à perte de vue, sa monotonie seulement perturbée par quelques plantes survivantes ou volutes de poussières. Derrière elles, une maison au toit de paille et aux murs en terre sèche. L’une après l’autre elles se relèvent contemplant l’étendu désertique.

“C’est comment la-bas ?
-Moins beau.
-C’est normal ça…
-Moins chaud aussi.
-C’est dommage ça…"

Avec une petite moue de déception, elle descend de son perchoir rapidement accompagnée de sa sœur. Dans leur dos, à la fenêtre de la maison un homme et une femme ne les quitte pas du regard, serré l’un contre l’autre.


“Elles vont s’en aller. C’est le grand jour. Ça va nous faire bizarre.
-Mais ça va nous faire du bien. Et ce n’est pas la première fois. Tu étais déjà dans cet état quand elles sont parties pour Drakstrang.
-Aucun père n’aime voir ses enfants partir.
-Est-ce que je ne devrais pas être celle qui dit ça ?”

Un rire cristallin raisonne dans la maison alors qu’elle dépose un baiser sur les lèvres de son époux, se lovant un peu plus dans ses bras.

“Honnêtement, encore aujourd’hui j’ai du mal à comprendre comment Shaina a été acceptée… Je l’aime, c’est ma fille après tout, mais il faut quand même avouer que… Elle n’est pas socialement la plus adaptée.
-Ils ont dû se dire que ses capacités physiques compenseraient. Ou alors sa sœur à fait pression. Quand elles sont ensemble, elles arrivent toujours à se débrouiller.
-C’est le moins qu’on puisse dire. Je crois que je suis triste de les voir partir mais je ne suis pas inquiet. Elles ont réussis Drakstrang haut la main, eh, on peut être fière d’elles, le cursus combat en plus, ce n’est pas le plus simple.
-Oui… Tu en sais quelque chose.”

Cette fois c’est un rire tonitruant qui fait trembler les murs de l’habitation. Dehors les deux jumelles commencent à rassembler leurs affaires dans deux grands sacs en jute.

“Oui, je l’ai assez échoué pour en savoir quelque chose. Tes mots sont durs ma chérie. Mais elles, elles l’ont réussi. C’est ce qui compte non ?
-Elles réussissent beaucoup de choses qu’on a échoué… On peut être fiers d’elles non ?”

Un lourd silence suit cette question. Pendant plusieurs secondes aucun des deux ne prend la parole, se contentant de regarder leurs filles se préparer pour un grand voyage.

“Tu penses encore à elle ?
-Presque tous les jours… Est-ce qu’on a fait ce qu’il fallait ? Quand tu les vois, quand tu les regarde être aussi épanouies, aussi complémentaires, tu ne te dis pas qu’elle aurait eu sa place aussi ?
-Peut-être. Mais peut-être qu’elle aurait aussi détruit tout ce qu’on a, tout ce qu’on a pu construire. Nous avons déjà failli tout perdre avec la guerre contre les titans, tu aurais voulu prendre des risques supplémentaires ?
-... Non. Et je les aime assez pour ne pas vouloir qu’elles prennent de risques en partant à sa suite… Mais c’est ce qu’elles veulent et nous ne pouvons pas les retenir. Elles sont adultes maintenant. Elles ont travaillé pour l’armée, elles ont combattu auprès des plus grands…
-Et elles s’en sont toujours tirées. Presque indemnes même. Elles s’en tireront encore. Et quand elles reviendront, elles auront des histoires à raconter. Alors nous nous mettrons dehors Shaina assise contre sa Miya, toi contre moi et nous les écouterons.
-Comme quand elles sont revenues de Drakstrang.
-Et de leur service militaire.
-Ou de la guerre.
-Elles en ont vécu des aventures.
-Mais pas d’aussi grandes que celle qui les attend.”

À l’extérieur les jeunes femmes terminent de se répartir les différents paquetages, s’assurant ne rien oubliant, vérifiant dans les sacs de l’autre que tout est bien en ordre

“C’est l’heure… Tu veux y aller ?
-Non… Nous nous sommes dit au revoir ce matin déjà.
-Oui… Un grand sourire et dis leur au revoir. Laissons leur une bonne image.”

L’homme serre sa femme contre lui, souriant derrière la fenêtre. Les yeux humides, elle fait de même. Dehors Shaina et Miya se tournent une dernière fois vers leur maison, faisant toute deux un dernier salut avant de se retourner vers le désert.

“Ils vont me manquer.
-Ils me manquent déjà.
-Mais on va retrouver grand sœur.
-Oui, on va retrouver grande sœur.
-Et on va lui dire qu’elle les rend malheureux.
-Oui, c’est ce qu’on va lui dire.
-Et on va s’assurer qu’elle ne les rende plus malheureux.
-Oui. Ils ne seront plus jamais triste à cause d’elle.”