Eleanor et moi étions des jumelles identiques. Nous avions la même taille, sensiblement le même poids -elle était moins sportive, moins musclée, donc plus légère de quelques kilogrammes-. Nous avions la même peau mate, les mêmes cheveux bruns ondulés, aux reflets chocolat. Nous avions les mêmes yeux du plus profond des bleus, mais pas le même regard : le sien a toujours été plus pure que le mien, moins rempli de malice. Depuis la mort de nos parents, son regard avait été torturé, tandis que le mien cachait mes mensonges. Nous avions le même nez…, les mêmes lèvres roses et pleines, avec cet arc de cupidon prononcé. Sa bouche restait souvent muette, tandis que de la mienne sortaient des méchancetés. Lorsque nous étions encore proches et que je la faisais rire aux éclats, nos sourires affichaient les mêmes fossettes, héritées de notre père.


Nos parents nous avaient rendues semblables, mais nos personnalités n’auraient pas pu être plus opposées. Ma sœur était l’enfant sage de la famille, la fille idéale… Elle écoutait tout ce que nos parents nous disaient et prenait tout à la lettre. Sans moi, on ne l’aurait sans doute jamais prise à faire des bêtises. Je l’embarquais dans mes aventures, puisque la plupart du temps je la trouvais ennuyeuse à mourir… Je me rends à présent compte qu’ennui était synonyme de sûreté. Pour ma part, j’ai toujours été l’enfant rebelle, la baroudeuse, bagarreuse… et peste. Il fallait bien que ce soit l’une de nous deux. La vérité étant que j’étais si complice avec ma petite sœur, que ça ne me dérangeait pas de prendre pour deux. Elle m’accompagnait, toujours réticente, alors je la couvrais en échange à chaque fois qu’on se faisait prendre. Avant l’histoire du guet-apens, nous étions inséparables. Depuis ce jour, j’ai vu des choses que je ne pourrai jamais oublier et fait des choses dont je ne suis pas fière… J’ai plongé, je suis devenue une voleuse et une criminelle. Je ne vaux pas mieux que n’importe quel coupe-jarret. Si j’ai été égoïste envers ma sœur, ce n’est rien à côté de l’égoïsme dont je fais à présent preuve ; car après tout, mieux vaut que ce soient les autres, plutôt que moi.

Elle a été battue jusqu’à sombrer dans le coma. Je suis arrivée à son chevet le jour de sa mort, comme si elle avait attendu de me revoir une dernière fois avant de mourir. Ma jumelle, Eleanor, ne méritait pas ce qu’il lui est arrivé. De nous deux, j’aurais dû cent fois être à sa place…

On ne s’était pas revues depuis plus de quatre ans. On avait chacune pris des routes différentes. Eleanor avait toujours été la plus sage de nous deux. Après la mort de nos parents, nous nous étions disputées comme jamais auparavant. Quelque chose s’était brisé entre nous... Depuis, elle n’avait plus jamais voulu me revoir. J’étais partie avec notre oncle, me faisant passer pour morte, pour vivre une vie de criminelle. Alors comment lui en vouloir ? Elle, elle avait respecté la volonté de notre père et était entrée à l’université. Si jamais il ne lui était pas arrivé-… Je ne pense pas que j’aurais essayé à nouveau de la contacter, pas après qu'elle m’ait rejetée pour celle que je suis devenue.

Je n’ai jamais réussi à tourner la page et avec sa mort sur la conscience- J'aurais dû être là pour elle. Je n’aurais jamais laissé personne lui faire du mal. Je croyais qu’en me tenant éloignée d’elle, je ne la ferais pas souffrir. Qu’elle aurait moins mal en ne revoyant plus le visage de celle qui avait conduit nos parents tout droit dans ce guet-apens. Je savais que son propre reflet dans le miroir la faisait penser à moi et que depuis, elle n’arrivait plus à soutenir son propre regard. Elle avait besoin d’un responsable, d’une personne à haïr et j’avais endossé ce rôle…

Il m’était impossible de faire mon deuil, alors j’ai fait la chose la plus "stupide" -comme s’est prononcé notre oncle- imaginable. J’ai donné une lune à son meurtrier, à se demander si ma sœur était véritablement morte, puis je me suis faite passer pour elle et ai pris sa place à Drakstrang. Personne n’avait jamais entendu parler de moi, puisque j’étais censée être morte avec nos parents quatre ans plus tôt, et avec notre ressemblance, il n’y avait aucune raison pour qu’on soupçonne quoi que ce soit. J’ai réussi à me faire gagner du temps, grâce à une fausse amnésie. Si Eleanor avait vu son agresseur ou si elle avait soupçonné qui il était, alors il s’assurerait de la faire taire avant qu’elle ne recouvre la mémoire.

Seulement, ma sœur était une élève brillante, tandis que je n’ai jamais étudié... Elle avait des habitudes, auxquelles je dois m’habituer à mon tour, des amis et des relations que je dois apprendre à connaître, pour qu’aucun d’entre eux ne parvienne à me démasquer. Plus le temps passe et plus je me rends compte que je n’étais pas la seule à avoir des secrets pour ma sœur et que je ne savais rien d’Eleanor avant d’avoir commencé à vivre sa vie. Tandis que je me rapproche de la vérité, de plus en plus d’ombres et de dangers planent au-dessus de moi. Je ne traque plus "son" assassin, ce sont à présent eux qui me traquent.

La Pègre, Université de Drakstrang