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Invité
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Rêve et réalité entrelacés [FT Rêve]
Avec Rêve
- Père, mère...
Les autres mots restaient coincés dans sa gorge, elle avait parcouru tant de chemin en l'espace de quelques jours mais maintenant qu'elle se tenait face au paysage qui avait un jour été le porche de sa maison, elle ne parvenait plus à articuler ses pensées. Tout se bousculait dans sa tête sans jamais se préciser, il y avait tant de choses qu'elle voulait dire, tant de pensées qu'elle souhaitait extérioriser, tant d'émotions qu'elle avait besoin de partager, mais avant tout, elle avait besoin de cette étreinte maternelle. Un demi-millénaire s'était écoulé depuis qu'elle avait laissé cet endroit derrière elle, seule, mais c'était tout ce qui lui restait aujourd'hui, son seul souvenir d'antan à avoir traversé les âges sans subir la souillure implacable du temps. Après un temps interminable, péniblement, les lèvres sèches commencèrent enfin à articuler.
- Je... J'ai échoué. Je sais que vous croyiez bien faire mais je ne peux pas suivre votre voie. Tout ce que j'ai pu entreprendre a fini balayé par la colère du monde. A quoi bon aider les mortels si le cycle perpétuel de la violence fait son œuvre et que je dois tout recommencer ?
Les mortels ne pouvaient pas savoir, leur existence simple leur permettait de vivre dans l'ignorance de cette futilité. Même les races plus longévives préféraient se murer dans le déni pour se consacrer à des activités égoïstes, un peu comme elle finalement. Peut-être était-ce là la solution qu'ils finissaient tous par trouver, une obsession pour se divertir jusqu'à ce que le sablier du temps finisse enfin par les emporter. Mais si tel était le cas, à quoi bon multiplier les étés et les hivers si la finalité était la même ? N'y avait-il réellement aucune réponse à cette absurdité qu'était le fardeau de longue vie ?
- Ils ne savent pas, mère. Même les grands de ce monde ne voient guère plus loin que le bout de leur nation. Ils se battent pour un mirage d'idéal que les autres n'admettront jamais, incapables de voir le néant qui cherche à tous les happer.
Elle avait beau avoir cherché, il n'y avait rien en République qui puisse guider ses pas. Les érudits étaient trop préoccupés à élucider des mystères ésotériques, les politiques à bafouer leurs soi-disant principes ou à se faire écraser par un concurrent moins scrupuleux, et les hommes du peuple à essayer de vivre. Quant aux reikois... Il n'y avait là que des brutes belliqueuses qui se croyaient invincibles parce qu'elles avaient repoussé des êtres surnaturels alors qu'elles valaient à peine mieux, une illusion de méritocratie construite sur les conquêtes sanglantes d'un peuple barbare. Et Shoumeï qui n'était plus qu'un tas de ruines.
- Père, je ne sais pas quoi faire. Je... Je ne peux pas mener ces gens sur une voie meilleure et... et quand bien même je le pourrais, ça ne sert à rien, je ne peux changer l'ordre des choses seule.
C'était parfaitement futile, elle en était consciente. Même si ses parents avaient été là ils n'auraient su donner de réponse claire à leur fille adoptive, or ils n'étaient pas là, même leurs tombes avaient depuis longtemps été érodées par le sel et le vent avant d'être emportées par les ramifications du cataclysme. C'était tout le paysage qui avait changé, les plages avaient viré au gris sale, les falaises avaient été écorchées, fracturées, et ce qui restait de la luxuriante végétation de naguère était devenu rampant et rabougri. Même le firmament semblait fuir ce rivage, la chaleur d'antan n'était plus qu'un lointain mirage, supplantée par la monotonie d'un ciel terne et sans promesses.
Ce n'est qu'après énoncé faiblement sa dernière plainte que la voyageuse solitaire reprit conscience de l'immense fatigue qui l'accablait. Shoumeï était devenue un territoire désolé où chaque recoin dissimulait aberrations et magie occulte. S'y aventurer était une entreprise diablement dangereuse, le faire seul confinait à la témérité aveugle. Iris n'avait pratiquement pas fermé l’œil depuis qu'elle avait posé le pied dans le Doreï, le repos était un luxe qu'elle ne pouvait se payer dans cette contrée désormais hostile. Chaque pas était un saut dans l'inconnu, chaque zéphyr déchirait un voile pesant qui cherchait à étouffer les passants, chaque bruit était une menace répercutée sur les sols souillés.
Les Rocheuses ne s'étaient guère montrées plus accueillantes, les vallées autrefois célèbres pour leurs refuges de civilisation n'étaient plus que des reliquats éthérés, abandonnés aux éléments, les cimes autrefois immaculées avaient viré au cendré et la faune s'était enfuie, ne laissant qu'un fourré truffé de monstres derrière elle.
La brillante silhouette qui avait passé la frontière reikoise avait fait place à une créature désarticulée, emmitouflée dans une cape de voyage qui avait vu des jours meilleurs. L'aura initialement radieuse avait été réduite à une fine pellicule, les pas légers à une démarche approximative et saccadée. Et pour peu que l'on relève la capuche, on ferait face à un visage dont les traits avaient été assaillis par les cernes et l'agression des éléments. Non, il n'y avait plus grand chose d'idyllique dans la silhouette d'Iris, elle avait été grignotée inlassablement lors de ce périple, la dégradation de son corps faisant écho à la fragilité grandissante de son âme.
Une part d'elle se sentait sotte, que pouvait-elle espérer accomplir dans le tombeau de son passé ? Trouver son salut dans les gravats de son ancienne patrie ? Les rares shoumeïens qui n'avaient pas été absorbés dans les nations encore debout s'étaient réfugiés à Maël, et quelques grands malades subsistaient peut-être dans la nature mais... étaient-ils réellement meilleurs ? Et même si elle parvenait à retrouver la trace d'un autre de ces anges immortels, ultimement ils n'étaient que des outils qui avaient été forgés pour la destruction puis abandonnés. Que recherchait-elle réellement ?
- C'était une erreur de venir ici... Père, mère... Reposez en paix.
Il n'y avait plus rien pour elle ici, et à dire vrai, elle doutait qu'il y ait quoi que ce soit dans ce qui restait de Shoumeï mais c'étaient là des préoccupations pour plus tard, d'abord elle devait trouver un endroit sûr pour se reposer et les ruines des Rocheuses ne l'étaient certainement pas. Ramassant les quelques effets qu'elle emportait toujours avec elle, Iris conjura une nouvelle bourrasque pour s'élever dans les airs, elle devait au moins atteindre Kazan si elle espérait avoir une chance de trouver à nouveau le sommeil. Alors que le sol se faisait plus petit sous ses pieds, la lumina se surprit à espérer de rêver une fois qu'elle aurait trouvé un semblant de sécurité, la toile du possible était bien plus agréable que la morne réalité qui l'enveloppait depuis bientôt trois jours.
Mais elle n'était pas en état de faire un tel trajet d'une seule traite, plus maintenant en tout cas. Quelque part au-dessus des forêts troublées du Doreï, sa magie se brisa sous son poids et son corps exténué se rua vers les terres telle une comète mourante. Ce n'est que par un effort miraculeux qu'elle put adoucir sa chute avec une ultime brise, un coussin pour la protéger de la roche en contrebas. Elle s'écorcha tout de même un coude ainsi qu'un pan de cape, mais au moins elle était toujours en un seul morceau. Elle resta affalée là quelques minutes, luttant contre la perte de conscience qui s'insinuait avec de plus en plus d'insistance dans ses tempes. Enfin, elle se força à se redresser. Curieusement, rien n'était venu la déranger alors qu'elle était à la merci du premier monstre venu.
Toutefois, la nature n'était pas silencieuse, un bruit de fond étrange trahissait sa présence à l'est, un bruit qui n'était pas sans rappeler les clameurs de la civilisation. Mais cela ne pouvait être, personne n'aurait osé s'établir ici.
- Qu'est-ce que... Mon esprit me joue t-il des tours ? C'est pourtant impossible.
Elle ne pouvait que suivre cette invitation improbable de réconfort, trop fatiguée pour se soucier de la menace mortelle qu'elle était peut-être en train d'approcher.
CENDRES
Les autres mots restaient coincés dans sa gorge, elle avait parcouru tant de chemin en l'espace de quelques jours mais maintenant qu'elle se tenait face au paysage qui avait un jour été le porche de sa maison, elle ne parvenait plus à articuler ses pensées. Tout se bousculait dans sa tête sans jamais se préciser, il y avait tant de choses qu'elle voulait dire, tant de pensées qu'elle souhaitait extérioriser, tant d'émotions qu'elle avait besoin de partager, mais avant tout, elle avait besoin de cette étreinte maternelle. Un demi-millénaire s'était écoulé depuis qu'elle avait laissé cet endroit derrière elle, seule, mais c'était tout ce qui lui restait aujourd'hui, son seul souvenir d'antan à avoir traversé les âges sans subir la souillure implacable du temps. Après un temps interminable, péniblement, les lèvres sèches commencèrent enfin à articuler.
- Je... J'ai échoué. Je sais que vous croyiez bien faire mais je ne peux pas suivre votre voie. Tout ce que j'ai pu entreprendre a fini balayé par la colère du monde. A quoi bon aider les mortels si le cycle perpétuel de la violence fait son œuvre et que je dois tout recommencer ?
Les mortels ne pouvaient pas savoir, leur existence simple leur permettait de vivre dans l'ignorance de cette futilité. Même les races plus longévives préféraient se murer dans le déni pour se consacrer à des activités égoïstes, un peu comme elle finalement. Peut-être était-ce là la solution qu'ils finissaient tous par trouver, une obsession pour se divertir jusqu'à ce que le sablier du temps finisse enfin par les emporter. Mais si tel était le cas, à quoi bon multiplier les étés et les hivers si la finalité était la même ? N'y avait-il réellement aucune réponse à cette absurdité qu'était le fardeau de longue vie ?
- Ils ne savent pas, mère. Même les grands de ce monde ne voient guère plus loin que le bout de leur nation. Ils se battent pour un mirage d'idéal que les autres n'admettront jamais, incapables de voir le néant qui cherche à tous les happer.
Elle avait beau avoir cherché, il n'y avait rien en République qui puisse guider ses pas. Les érudits étaient trop préoccupés à élucider des mystères ésotériques, les politiques à bafouer leurs soi-disant principes ou à se faire écraser par un concurrent moins scrupuleux, et les hommes du peuple à essayer de vivre. Quant aux reikois... Il n'y avait là que des brutes belliqueuses qui se croyaient invincibles parce qu'elles avaient repoussé des êtres surnaturels alors qu'elles valaient à peine mieux, une illusion de méritocratie construite sur les conquêtes sanglantes d'un peuple barbare. Et Shoumeï qui n'était plus qu'un tas de ruines.
- Père, je ne sais pas quoi faire. Je... Je ne peux pas mener ces gens sur une voie meilleure et... et quand bien même je le pourrais, ça ne sert à rien, je ne peux changer l'ordre des choses seule.
C'était parfaitement futile, elle en était consciente. Même si ses parents avaient été là ils n'auraient su donner de réponse claire à leur fille adoptive, or ils n'étaient pas là, même leurs tombes avaient depuis longtemps été érodées par le sel et le vent avant d'être emportées par les ramifications du cataclysme. C'était tout le paysage qui avait changé, les plages avaient viré au gris sale, les falaises avaient été écorchées, fracturées, et ce qui restait de la luxuriante végétation de naguère était devenu rampant et rabougri. Même le firmament semblait fuir ce rivage, la chaleur d'antan n'était plus qu'un lointain mirage, supplantée par la monotonie d'un ciel terne et sans promesses.
Ce n'est qu'après énoncé faiblement sa dernière plainte que la voyageuse solitaire reprit conscience de l'immense fatigue qui l'accablait. Shoumeï était devenue un territoire désolé où chaque recoin dissimulait aberrations et magie occulte. S'y aventurer était une entreprise diablement dangereuse, le faire seul confinait à la témérité aveugle. Iris n'avait pratiquement pas fermé l’œil depuis qu'elle avait posé le pied dans le Doreï, le repos était un luxe qu'elle ne pouvait se payer dans cette contrée désormais hostile. Chaque pas était un saut dans l'inconnu, chaque zéphyr déchirait un voile pesant qui cherchait à étouffer les passants, chaque bruit était une menace répercutée sur les sols souillés.
Les Rocheuses ne s'étaient guère montrées plus accueillantes, les vallées autrefois célèbres pour leurs refuges de civilisation n'étaient plus que des reliquats éthérés, abandonnés aux éléments, les cimes autrefois immaculées avaient viré au cendré et la faune s'était enfuie, ne laissant qu'un fourré truffé de monstres derrière elle.
La brillante silhouette qui avait passé la frontière reikoise avait fait place à une créature désarticulée, emmitouflée dans une cape de voyage qui avait vu des jours meilleurs. L'aura initialement radieuse avait été réduite à une fine pellicule, les pas légers à une démarche approximative et saccadée. Et pour peu que l'on relève la capuche, on ferait face à un visage dont les traits avaient été assaillis par les cernes et l'agression des éléments. Non, il n'y avait plus grand chose d'idyllique dans la silhouette d'Iris, elle avait été grignotée inlassablement lors de ce périple, la dégradation de son corps faisant écho à la fragilité grandissante de son âme.
Une part d'elle se sentait sotte, que pouvait-elle espérer accomplir dans le tombeau de son passé ? Trouver son salut dans les gravats de son ancienne patrie ? Les rares shoumeïens qui n'avaient pas été absorbés dans les nations encore debout s'étaient réfugiés à Maël, et quelques grands malades subsistaient peut-être dans la nature mais... étaient-ils réellement meilleurs ? Et même si elle parvenait à retrouver la trace d'un autre de ces anges immortels, ultimement ils n'étaient que des outils qui avaient été forgés pour la destruction puis abandonnés. Que recherchait-elle réellement ?
- C'était une erreur de venir ici... Père, mère... Reposez en paix.
Il n'y avait plus rien pour elle ici, et à dire vrai, elle doutait qu'il y ait quoi que ce soit dans ce qui restait de Shoumeï mais c'étaient là des préoccupations pour plus tard, d'abord elle devait trouver un endroit sûr pour se reposer et les ruines des Rocheuses ne l'étaient certainement pas. Ramassant les quelques effets qu'elle emportait toujours avec elle, Iris conjura une nouvelle bourrasque pour s'élever dans les airs, elle devait au moins atteindre Kazan si elle espérait avoir une chance de trouver à nouveau le sommeil. Alors que le sol se faisait plus petit sous ses pieds, la lumina se surprit à espérer de rêver une fois qu'elle aurait trouvé un semblant de sécurité, la toile du possible était bien plus agréable que la morne réalité qui l'enveloppait depuis bientôt trois jours.
Mais elle n'était pas en état de faire un tel trajet d'une seule traite, plus maintenant en tout cas. Quelque part au-dessus des forêts troublées du Doreï, sa magie se brisa sous son poids et son corps exténué se rua vers les terres telle une comète mourante. Ce n'est que par un effort miraculeux qu'elle put adoucir sa chute avec une ultime brise, un coussin pour la protéger de la roche en contrebas. Elle s'écorcha tout de même un coude ainsi qu'un pan de cape, mais au moins elle était toujours en un seul morceau. Elle resta affalée là quelques minutes, luttant contre la perte de conscience qui s'insinuait avec de plus en plus d'insistance dans ses tempes. Enfin, elle se força à se redresser. Curieusement, rien n'était venu la déranger alors qu'elle était à la merci du premier monstre venu.
Toutefois, la nature n'était pas silencieuse, un bruit de fond étrange trahissait sa présence à l'est, un bruit qui n'était pas sans rappeler les clameurs de la civilisation. Mais cela ne pouvait être, personne n'aurait osé s'établir ici.
- Qu'est-ce que... Mon esprit me joue t-il des tours ? C'est pourtant impossible.
Elle ne pouvait que suivre cette invitation improbable de réconfort, trop fatiguée pour se soucier de la menace mortelle qu'elle était peut-être en train d'approcher.
CENDRES
Citoyen du monde
Rêve
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crédits : 406
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La belle était sage de se montrer incrédule face à l'étrangeté de ces bruits qui n'avaient pas leur place en ces terres désolées. Qui, en effet, aurait jugé bon de s'installer sur un sol ne regorgeant de rien, si ce n'était bien sûr de sang shoumeïen ? Il n'y avait que justesse dans les soupçons de la demoiselle et pourtant sa curiosité la poussa à s'approcher plutôt que de fuir cette bizarrerie digne d'un conte dénué de bonne morale. Noyée dans l'obscurité, l'étrangère se fia à son ouïe pour se rapprocher pas à pas de ces bruissements étranges qu'elle avait associé à une activité humaine pour découvrir bien vite qu'il ne s'agissait nullement du brouhaha désorganisé d'un village en proie à l'effervescence d'une quelconque fête.
Les voix qu'elle n'avait que perçu au loin se précisaient à mesure de son approche, à tel point qu'il était désormais possible pour la belle de deviner qu'ils scandaient des mots avec rythme et précision, même si la nature exacte de leur propos lui échappait encore du fait de la traitrise d'un vent qui semblait vouloir la repousser.
Bientôt ses yeux voilés par la noirceur purent se joindre aux recherches, car la lueur chaude de torches agitées avec frénésie vint percer les ténèbres et ce fut au détour d'une colline qu'elle put distinguer enfin le spectacle surréaliste qui se jouait au beau milieu de ce désert que l'on avait cru sans âme. Psalmodiant un chant prononcé dans une langue imaginaire, hommes et femmes dénudés dansaient une gigue effrénée en décrivant un cercle. Affublés de masques faits de bois et de paille, les danseurs semblaient s'être faits les représentants de diverses bêtes, certains arborant des visages de loups, d'autres de cervidés et les suivants d'oiseaux.
L'inconnue fut surprise de constater que la plus grande étrangeté de cette manifestation mystérieuse avait été la dernière chose à attirer son regard, comme si son esprit avait chassé cette dernière le plus longtemps possible pour s'en préserver. Au centre de la ronde formée par cette cinquantaine de corps se trouvait un objet, ou peut être s'agissait-il d'un être vivant. La curieuse entité, noire comme les abysses marins, était une sphère imparfaite flottant à quelques mètres du sol et ne reflétant presque aucunement la lueur des flammes pourtant rivées sur elle. On distinguait pourtant sur sa surface un mouvement à peine perceptible.
En y portant son entière attention, l'œil parvenait à discerner non sans mal les silhouettes organiques qui glissaient le long de cette surface que l'on devinait désormais étrangement liquide. Cela ressemblait à bien y songer à une orbe d'encre, maintenue en apesanteur par une magie profane et animée parfois de soubresauts trahissant la vie qu'elle abritait. Malgré la ferveur et la joie de ceux qui semblaient en chanter les louanges dans leur folle danse, l'implacable noirceur de l'immobile monolithe trahissait pourtant sa démoniaque provenance et conférait à cette assemblée bien plus qu'un simple aspect de fête religieuse. Tout dans cette installation évoquait curieusement la célébration du renouveau de quelque chose, ou de quelqu'un.
Était-ce à la conception ou à la renaissance d'un être qu'ils assistaient ?
Une femme située en marge de la ronde s'écarta du troupeau. Nue et boueuse, comme tous ses confrères, elle ne portait sur elle qu'une ceinture faite de cordage et d'ossements ainsi qu'un masque évocateur du faciès d'un héron. Ayant repéré avec une surprenante vigilance l'intruse qui s'était approchée d'eux non sans prudence, elle s'était rapprochée de cette dernière sans faire preuve d'une quelconque hostilité et lui avait même tendu la main en guise d'invitation. D'une voix qu'on devinait douce, bien qu'elle fut étouffée par son masque tribal, la cultiste glissa à l'étrangère :
"Bienvenue, ma sœur. Joins-toi à nous, il approche."
Les voix qu'elle n'avait que perçu au loin se précisaient à mesure de son approche, à tel point qu'il était désormais possible pour la belle de deviner qu'ils scandaient des mots avec rythme et précision, même si la nature exacte de leur propos lui échappait encore du fait de la traitrise d'un vent qui semblait vouloir la repousser.
Bientôt ses yeux voilés par la noirceur purent se joindre aux recherches, car la lueur chaude de torches agitées avec frénésie vint percer les ténèbres et ce fut au détour d'une colline qu'elle put distinguer enfin le spectacle surréaliste qui se jouait au beau milieu de ce désert que l'on avait cru sans âme. Psalmodiant un chant prononcé dans une langue imaginaire, hommes et femmes dénudés dansaient une gigue effrénée en décrivant un cercle. Affublés de masques faits de bois et de paille, les danseurs semblaient s'être faits les représentants de diverses bêtes, certains arborant des visages de loups, d'autres de cervidés et les suivants d'oiseaux.
L'inconnue fut surprise de constater que la plus grande étrangeté de cette manifestation mystérieuse avait été la dernière chose à attirer son regard, comme si son esprit avait chassé cette dernière le plus longtemps possible pour s'en préserver. Au centre de la ronde formée par cette cinquantaine de corps se trouvait un objet, ou peut être s'agissait-il d'un être vivant. La curieuse entité, noire comme les abysses marins, était une sphère imparfaite flottant à quelques mètres du sol et ne reflétant presque aucunement la lueur des flammes pourtant rivées sur elle. On distinguait pourtant sur sa surface un mouvement à peine perceptible.
En y portant son entière attention, l'œil parvenait à discerner non sans mal les silhouettes organiques qui glissaient le long de cette surface que l'on devinait désormais étrangement liquide. Cela ressemblait à bien y songer à une orbe d'encre, maintenue en apesanteur par une magie profane et animée parfois de soubresauts trahissant la vie qu'elle abritait. Malgré la ferveur et la joie de ceux qui semblaient en chanter les louanges dans leur folle danse, l'implacable noirceur de l'immobile monolithe trahissait pourtant sa démoniaque provenance et conférait à cette assemblée bien plus qu'un simple aspect de fête religieuse. Tout dans cette installation évoquait curieusement la célébration du renouveau de quelque chose, ou de quelqu'un.
Était-ce à la conception ou à la renaissance d'un être qu'ils assistaient ?
Une femme située en marge de la ronde s'écarta du troupeau. Nue et boueuse, comme tous ses confrères, elle ne portait sur elle qu'une ceinture faite de cordage et d'ossements ainsi qu'un masque évocateur du faciès d'un héron. Ayant repéré avec une surprenante vigilance l'intruse qui s'était approchée d'eux non sans prudence, elle s'était rapprochée de cette dernière sans faire preuve d'une quelconque hostilité et lui avait même tendu la main en guise d'invitation. D'une voix qu'on devinait douce, bien qu'elle fut étouffée par son masque tribal, la cultiste glissa à l'étrangère :
"Bienvenue, ma sœur. Joins-toi à nous, il approche."
Invité
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Si en dehors de ces bruits étranges le monde semblait étouffé et silencieux, il n'était pas figé pour autant. Au-delà de la fatigue, chaque pas vers la source surnaturelle était une lutte invisible contre une barrière éthérée, un mur qui protégeait les sombres secrets de cette clameur impossible. Les branches basses étaient immobiles et l'herbe muette, la poussière restait étalée sur le sol et les plis déchirés de la cape sinistrée n'étaient remués que par les mouvements hagards de la silhouette aux lueurs d'or pâle, et pourtant elle pouvait le sentir, quelque chose essayait de la repousser, l'air s'était fait gel gluant et la terre était devenue boue, à moins que ce ne soit l'imagination délirante d'un esprit élimé par le manque de repos. Sa concentration lui revint peu à peu, ravivée par l'espoir fou de ce qui semblait être une fête à la lueur du ciel nocturne. Mais en même temps que ses capacités se faisaient plus claires, le doute et l'angoisse vinrent s'ajouter au sentiment réconfortant qui l'avait remise sur pied. Elle aurait aimé pouvoir faire preuve de naïveté mais c'était un luxe qui précipitait le malheur dans cette contrée maudite, ce qui se trouvait là-bas au loin ne pouvait être réjouissant et la lourdeur de l'air n'était rien de plus qu'une manifestation inconsciente de son instinct face à cette promesse factice.
Mais quel choix avait-elle ? Sa chute avait prouvé qu'elle n'irait pas plus loin cette nuit et elle ne pouvait pas juste s'abandonner au bon vouloir d'une contrée meurtrie et hostile, sa seule option était de suivre l'appel de cet inconnu et prier qu'il ne lui porte pas préjudice. Si ce qui se cache là-bas me voulait du mal, je ne serais déjà plus de ce monde. Entre deux battements de paupières qui menaçaient toujours un peu plus de refuser de se rouvrir ou de faire place à une image nette de ses alentours, elle essayait de se rassurer de la sorte.
Peu à peu, la lumière orangée du feu humain se rajouta aux clameurs désormais clairement audibles, mais ce que le vent apportait n'était pas rassurant. Ce genre de rythme, ces chants gutturaux, cette présentation... Nombre d'hommes et de femmes pieux s'étaient adonnés à ces pratiques sous les yeux perplexes de la vagabonde, Shoumeï avait toujours regorgé de monde dont la dévotion n'avait d'égale que la fermeté de ses croyances. Ses yeux cendrés, aussi incertains soient-ils, ne pouvaient pas la tromper, comme ne le pouvaient pas non plus ses délicates oreilles auréolées d'argent. Elle était tombée sur un groupe de cultistes en plein rituel.
En d'autres temps, elle les aurait laissés à leurs macabres occupations, les croyances d'autrui ne la concernaient pas et les fanatiques n'étaient rien d'autre que des individus ordinaires en dehors de leur pratiques spirituelles, mais elle n'avait pas les moyens de quitter les lieux et un culte établi dans les ruines du Doreï ne pouvait être porteur de bonnes nouvelles. Elle devait se confronter à ces religieux, se confronter à eux et plaider pour leur compréhension.
Et puis elle découvrit la scène, une scène bien plus glauque que ce que son esprit avait de prime abord supposé. Ces hommes et femmes n'avaient plus aucune forme d'humanité, ils étaient des fanaux fous œuvrant pour l'accomplissement de quelque chose au-delà de sa compréhension. Oh, elle aurait aimé pouvoir s'éclipser mais il était trop tard, ses prunelles avaient rencontré l'orbe et elle sentait que ce dernier avait aussi conscience de sa présence. La vue de cette chose lui glaça le sang, ces pauvres gens n'étaient pas de simples fanatiques, leur rituel frénétique avait un but qui concernait cette sphère et ils allaient tous être aux première loges.
Toutefois, il y avait quelque chose de profondément troublant à propos de cette sombre sphère. Les années avaient éprouvé les sens de la lumina, elle avait vu nombre de formes de magie autant mortelles que divines, ancrées dans la terre et issues de la toile céleste, mais jamais quelque chose de cette nature. Sa peau tressaillait bel et bien face à la noirceur de la forme, sa gorge se nouait à chaque remous sur la surface, et malgré tout elle savait que ce n'étaient pas de simples ténèbres. L'ombre véritable était traître et tortueuse mais sa pureté était indiscutable, aussi indéniable que la lumière qui lui était opposée et qui avait enfanté l'être faisant face à l'orbe. Cette manifestation qui était au centre de l'attention de tous était différent, sa noirceur dérobée, comme si elle n'était pas issue de l'ordre naturel des choses, ce qui devait signifier... Les souvenirs de littérature se bousculèrent à toute vitesse dans la tête de la lumina.
(...) desseins propres. Ils n'ont cure des préoccupations des hommes(...) énigmatiques de tous les êtres vivants, s'ils le sont vraiment. Leur nature n'a jamais pu être confirmée par(...) malice innée à leur condition ? C'est ce qu'ils voudraient vous faire croire, la stricte vérité est que nous ne savons pas pourquoi ils(...) occulte et éthérée, elle se repait silencieusement de ces émotions qu'elle a arrachées(...) Nous avons été dupés, il arrive pour nous(...)
Démon.
Tout ce qu'Iris savait de Sekaï pointait vers cette vérité inéluctable, ce qui trônait au-dessus de sa tête n'était nul autre que le fruit d'une création qui avait forcé sa place dans le monde des vivants dans un but qu'elle était la seule à comprendre dans son entièreté. Tout espoir avait quitté la dame de lumière, il n'y avait plus que la peur, la peur d'être à la merci de cette créature aux ambitions insondables. Elle resta tétanisée face à cette vision jusqu'à ce que l'un des membres ne décide de s'approcher d'elle, l'enjouant à les rejoindre dans ce qu'elle devinait être une sorte d'appel ou d'invocation. Tirée de sa torpeur, elle recula d'un pas tremblant tandis que l'air se faisait plus animé, presque sifflant, ébouriffant la chevelure endiablée des flammèches agitées par les cultistes à bout de bras.
- Qui est-il ?
Une question qu'elle avait tant de fois entendue à son égard. La curiosité et l'incompréhension reliait souvent les esprits les plus improbables, et celle qui avait longtemps été l'objet de fascination pour les peuples aujourd'hui disparus de ces terres était désormais celle qui s'enquérait de l'identité de celui qu'elle n'avait jamais vu. A la différence qu'on refusait de lui répondre clairement et que l'orbe n'éveillait pas en elle une bénigne avidité de connaissance. La pétarade élémentaire s'intensifia encore d'un cran et la torche la plus proche fut étouffée une bourrasque virevoltante.
- Qui est-il ?
La panique avait succédé à la peur et les vents s'étaient levés en conséquence pour la protéger, attirant l'attention de nombre des danseurs encore dans le cercle. Les feuilles se mirent à grincer sous l'assaut de la brise tandis que les branches les plus basses s'entrechoquaient et craquaient. Mais l'orbe était impassible face à la provocation, comme s'il était insensible aux langues de vent qui claquaient autour de lui. Iris était trop faible pour espérer sortir victorieuse d'une quelconque altercation, mais elle était terrifiée par cette sphère qui les toisait tous, suffisamment terrifiée pour lever la magie qui l'avait toujours accompagnée. Et en même temps, une pointe de rage se mêlait au sentiment d'impuissance. Qui était-il pour s'accaparer ainsi les vestiges de ce qui avait été une aussi belle contrée ? Qui était-il pour mener par le bout du nez des hommes et des femmes qu'elle devinait provenir des déserts teintés de rouge du Reike ?
- QUI EST-IL ?
L'ultime répétition ne s'adressait plus tellement à la femme dévêtue et crasseuse qui l'avait abordée, mais plutôt à l'orbe lui-même qui continuait à vibrer de cette énergie sombre indéfinissable.
CENDRESMais quel choix avait-elle ? Sa chute avait prouvé qu'elle n'irait pas plus loin cette nuit et elle ne pouvait pas juste s'abandonner au bon vouloir d'une contrée meurtrie et hostile, sa seule option était de suivre l'appel de cet inconnu et prier qu'il ne lui porte pas préjudice. Si ce qui se cache là-bas me voulait du mal, je ne serais déjà plus de ce monde. Entre deux battements de paupières qui menaçaient toujours un peu plus de refuser de se rouvrir ou de faire place à une image nette de ses alentours, elle essayait de se rassurer de la sorte.
Peu à peu, la lumière orangée du feu humain se rajouta aux clameurs désormais clairement audibles, mais ce que le vent apportait n'était pas rassurant. Ce genre de rythme, ces chants gutturaux, cette présentation... Nombre d'hommes et de femmes pieux s'étaient adonnés à ces pratiques sous les yeux perplexes de la vagabonde, Shoumeï avait toujours regorgé de monde dont la dévotion n'avait d'égale que la fermeté de ses croyances. Ses yeux cendrés, aussi incertains soient-ils, ne pouvaient pas la tromper, comme ne le pouvaient pas non plus ses délicates oreilles auréolées d'argent. Elle était tombée sur un groupe de cultistes en plein rituel.
En d'autres temps, elle les aurait laissés à leurs macabres occupations, les croyances d'autrui ne la concernaient pas et les fanatiques n'étaient rien d'autre que des individus ordinaires en dehors de leur pratiques spirituelles, mais elle n'avait pas les moyens de quitter les lieux et un culte établi dans les ruines du Doreï ne pouvait être porteur de bonnes nouvelles. Elle devait se confronter à ces religieux, se confronter à eux et plaider pour leur compréhension.
Et puis elle découvrit la scène, une scène bien plus glauque que ce que son esprit avait de prime abord supposé. Ces hommes et femmes n'avaient plus aucune forme d'humanité, ils étaient des fanaux fous œuvrant pour l'accomplissement de quelque chose au-delà de sa compréhension. Oh, elle aurait aimé pouvoir s'éclipser mais il était trop tard, ses prunelles avaient rencontré l'orbe et elle sentait que ce dernier avait aussi conscience de sa présence. La vue de cette chose lui glaça le sang, ces pauvres gens n'étaient pas de simples fanatiques, leur rituel frénétique avait un but qui concernait cette sphère et ils allaient tous être aux première loges.
Toutefois, il y avait quelque chose de profondément troublant à propos de cette sombre sphère. Les années avaient éprouvé les sens de la lumina, elle avait vu nombre de formes de magie autant mortelles que divines, ancrées dans la terre et issues de la toile céleste, mais jamais quelque chose de cette nature. Sa peau tressaillait bel et bien face à la noirceur de la forme, sa gorge se nouait à chaque remous sur la surface, et malgré tout elle savait que ce n'étaient pas de simples ténèbres. L'ombre véritable était traître et tortueuse mais sa pureté était indiscutable, aussi indéniable que la lumière qui lui était opposée et qui avait enfanté l'être faisant face à l'orbe. Cette manifestation qui était au centre de l'attention de tous était différent, sa noirceur dérobée, comme si elle n'était pas issue de l'ordre naturel des choses, ce qui devait signifier... Les souvenirs de littérature se bousculèrent à toute vitesse dans la tête de la lumina.
(...) desseins propres. Ils n'ont cure des préoccupations des hommes(...) énigmatiques de tous les êtres vivants, s'ils le sont vraiment. Leur nature n'a jamais pu être confirmée par(...) malice innée à leur condition ? C'est ce qu'ils voudraient vous faire croire, la stricte vérité est que nous ne savons pas pourquoi ils(...) occulte et éthérée, elle se repait silencieusement de ces émotions qu'elle a arrachées(...) Nous avons été dupés, il arrive pour nous(...)
Démon.
Tout ce qu'Iris savait de Sekaï pointait vers cette vérité inéluctable, ce qui trônait au-dessus de sa tête n'était nul autre que le fruit d'une création qui avait forcé sa place dans le monde des vivants dans un but qu'elle était la seule à comprendre dans son entièreté. Tout espoir avait quitté la dame de lumière, il n'y avait plus que la peur, la peur d'être à la merci de cette créature aux ambitions insondables. Elle resta tétanisée face à cette vision jusqu'à ce que l'un des membres ne décide de s'approcher d'elle, l'enjouant à les rejoindre dans ce qu'elle devinait être une sorte d'appel ou d'invocation. Tirée de sa torpeur, elle recula d'un pas tremblant tandis que l'air se faisait plus animé, presque sifflant, ébouriffant la chevelure endiablée des flammèches agitées par les cultistes à bout de bras.
- Qui est-il ?
Une question qu'elle avait tant de fois entendue à son égard. La curiosité et l'incompréhension reliait souvent les esprits les plus improbables, et celle qui avait longtemps été l'objet de fascination pour les peuples aujourd'hui disparus de ces terres était désormais celle qui s'enquérait de l'identité de celui qu'elle n'avait jamais vu. A la différence qu'on refusait de lui répondre clairement et que l'orbe n'éveillait pas en elle une bénigne avidité de connaissance. La pétarade élémentaire s'intensifia encore d'un cran et la torche la plus proche fut étouffée une bourrasque virevoltante.
- Qui est-il ?
La panique avait succédé à la peur et les vents s'étaient levés en conséquence pour la protéger, attirant l'attention de nombre des danseurs encore dans le cercle. Les feuilles se mirent à grincer sous l'assaut de la brise tandis que les branches les plus basses s'entrechoquaient et craquaient. Mais l'orbe était impassible face à la provocation, comme s'il était insensible aux langues de vent qui claquaient autour de lui. Iris était trop faible pour espérer sortir victorieuse d'une quelconque altercation, mais elle était terrifiée par cette sphère qui les toisait tous, suffisamment terrifiée pour lever la magie qui l'avait toujours accompagnée. Et en même temps, une pointe de rage se mêlait au sentiment d'impuissance. Qui était-il pour s'accaparer ainsi les vestiges de ce qui avait été une aussi belle contrée ? Qui était-il pour mener par le bout du nez des hommes et des femmes qu'elle devinait provenir des déserts teintés de rouge du Reike ?
- QUI EST-IL ?
L'ultime répétition ne s'adressait plus tellement à la femme dévêtue et crasseuse qui l'avait abordée, mais plutôt à l'orbe lui-même qui continuait à vibrer de cette énergie sombre indéfinissable.
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La voix de la jeune femme vint se joindre à la clameur de la bourrasque que déclencha sa magie. Soufflés par l'impulsion magique, les danseurs jusque là indifférents aux cris du cœur de cette dernière ne purent l'ignorer davantage. Ils auraient pu s'insurger, protester, se montrer injurieux voir même hostiles à son égard, en vue de cet affront qu'elle venait de commettre lors d'un rite que l'on devinait sans mal adressé à cette orbe annonciatrice d'un mal insidieux et pourtant, rien de tout cela ne suivit sa violente provocation.
Dans le tumulte, des masques peu solidement harnachés à des visages meurtris et flétris tombèrent. Les silhouettes frêles des fidèles s'agglutinèrent les unes contre les autres et dans les yeux des quelques hommes et femmes dont elle croisa le regard, elle ne vit ni haine ni colère, mais bel et bien une peur étouffante couplée à une maigre flammèche d'espoir. Fuyant la Lumina aux redoutables pouvoirs, certains s'agenouillèrent pour implorer l'apaisement de son courroux en marmonnant d'incompréhensibles excuses. D'autres pointaient la sphère en sifflant quelques prières, espérant ainsi trouver le salut avant d'être frappé par la rage de l'être de lumière.
L'évidence s'imposa d'elle-même. Ces pauvres gens n'étaient que des affamés, esseulés et perdus, que seul un désir de retrouver leur dignité perdue animait encore. Il n'y avait dans leur quête plus aucune place pour l'égo ni même le goût de la guerre et, comme le représentaient si bien les ornements rituels qu'il portaient, ils ne vivaient plus que dans le but de survivre face à l'adversité comme les misérables bêtes qu'ils incarnaient si maladroitement. Ce ne fut pas un fidèle qui répondit à la question hurlée par l'intruse, mais bel et bien la sphère elle-même.
Il y eut un craquement, sourd et puissant, qui fut suivi d'une impulsion sonore fantomatique. Un murmure, un chant, une mélodie trop abstraite et complexe pour être du fait de l'Homme. Ce son traversa chaque esprit et attira implacablement l'attention des mortels encerclant sa source. L'orbe s'était percée, dévoilant au creux de l'énorme fissure qui la parcourait une lueur aveuglante contrastant brutalement avec la noirceur de la coquille qui constituait sa prison. Dans un second craquement, la fêlure s'agrandit et se zébra d'autres sillons évoquant la forme des branches d'un arbre.
Enfin, l'oeuf se scinda en deux et dévoila alors son exacte nature. Il ne s'agissait nullement d'une coque protectrice, mais en réalité d'une paire d'ailes déformées ayant conféré plutôt au monolithe cette apparence ovoïdale. Ces ailes se déployèrent dans un lent battement et le corps de la bête ancienne qui s'était camouflée apparut sous les regards ébahis des cultistes terrifiés par la faiseuse de vents. La lumière écrasante s'affaissa pour céder place à des lueurs de multiples couleurs.
Erigé en divine figure par ces âmes abandonnées, le Prince apparut alors sous une forme toute nouvelle, inspirée des attentes et des rêves de ceux qui s'étaient rassemblés en ce jour pour assister à une nouvelle preuve de son avènement. Son corps recouvert de plumes s'était fait aussi lisse qu'un tissu et une multitude d'étoiles parsemaient son être, faisant de lui une toile stellaire dans laquelle l'œil pouvait se perdre des heures durant. Fier et gigantesque, le monstre chimérique se dressa dans les airs et s'approcha doucement du sol tout en étirant ses bras trop longs afin de procurer à certains visages une caresse légère.
Les cris et les murmures inquiets se changèrent en pleurs de joie et en prières prononcées en foule de balbutiements. Tous, à l'exception de la voyageuse, s'attroupèrent alors autour de ce corps si parfait qu'il en devenait atroce. La tête sans visage de la créature, pourtant, semblait river son regard imperceptible sur la demoiselle ignorant tout de ce rituel. Ce fut à cet instant que deux voix qu'on eut dite sans provenance se firent entendre :
"Il est celui auquel ton cœur a donné naissance. Il est l'incarnation de tes aspirations et de tes désirs. Il est le Prince des rêves."
L'une des mains démesurées de l'entité fantasmagorique s'écarta doucement de celles des fidèles rassemblés en une meute craintive pour s'orienter en direction de la dame de lumière. Elle fut alors frappée par une illusion, non pas faite d'images cauchemardesques et de vices, mais de douces sensations. Elle put sentir des parfums lointains de chaleur, d'épice et de fleurs. Elle vit le ciel nocturne s'éclaircir et les nuages s'écarter pour inviter les étoiles à baigner le lieu de culte d'une douce lueur. La main tendue pivota pour orienter sa paume vers les cieux, incitant l'étrangère à la saisir.
Des mots, enfin, parvinrent jusqu'à son esprit :
"Tu es aimée. Approche, mon enfant."
Dans le tumulte, des masques peu solidement harnachés à des visages meurtris et flétris tombèrent. Les silhouettes frêles des fidèles s'agglutinèrent les unes contre les autres et dans les yeux des quelques hommes et femmes dont elle croisa le regard, elle ne vit ni haine ni colère, mais bel et bien une peur étouffante couplée à une maigre flammèche d'espoir. Fuyant la Lumina aux redoutables pouvoirs, certains s'agenouillèrent pour implorer l'apaisement de son courroux en marmonnant d'incompréhensibles excuses. D'autres pointaient la sphère en sifflant quelques prières, espérant ainsi trouver le salut avant d'être frappé par la rage de l'être de lumière.
L'évidence s'imposa d'elle-même. Ces pauvres gens n'étaient que des affamés, esseulés et perdus, que seul un désir de retrouver leur dignité perdue animait encore. Il n'y avait dans leur quête plus aucune place pour l'égo ni même le goût de la guerre et, comme le représentaient si bien les ornements rituels qu'il portaient, ils ne vivaient plus que dans le but de survivre face à l'adversité comme les misérables bêtes qu'ils incarnaient si maladroitement. Ce ne fut pas un fidèle qui répondit à la question hurlée par l'intruse, mais bel et bien la sphère elle-même.
Il y eut un craquement, sourd et puissant, qui fut suivi d'une impulsion sonore fantomatique. Un murmure, un chant, une mélodie trop abstraite et complexe pour être du fait de l'Homme. Ce son traversa chaque esprit et attira implacablement l'attention des mortels encerclant sa source. L'orbe s'était percée, dévoilant au creux de l'énorme fissure qui la parcourait une lueur aveuglante contrastant brutalement avec la noirceur de la coquille qui constituait sa prison. Dans un second craquement, la fêlure s'agrandit et se zébra d'autres sillons évoquant la forme des branches d'un arbre.
Enfin, l'oeuf se scinda en deux et dévoila alors son exacte nature. Il ne s'agissait nullement d'une coque protectrice, mais en réalité d'une paire d'ailes déformées ayant conféré plutôt au monolithe cette apparence ovoïdale. Ces ailes se déployèrent dans un lent battement et le corps de la bête ancienne qui s'était camouflée apparut sous les regards ébahis des cultistes terrifiés par la faiseuse de vents. La lumière écrasante s'affaissa pour céder place à des lueurs de multiples couleurs.
Erigé en divine figure par ces âmes abandonnées, le Prince apparut alors sous une forme toute nouvelle, inspirée des attentes et des rêves de ceux qui s'étaient rassemblés en ce jour pour assister à une nouvelle preuve de son avènement. Son corps recouvert de plumes s'était fait aussi lisse qu'un tissu et une multitude d'étoiles parsemaient son être, faisant de lui une toile stellaire dans laquelle l'œil pouvait se perdre des heures durant. Fier et gigantesque, le monstre chimérique se dressa dans les airs et s'approcha doucement du sol tout en étirant ses bras trop longs afin de procurer à certains visages une caresse légère.
Les cris et les murmures inquiets se changèrent en pleurs de joie et en prières prononcées en foule de balbutiements. Tous, à l'exception de la voyageuse, s'attroupèrent alors autour de ce corps si parfait qu'il en devenait atroce. La tête sans visage de la créature, pourtant, semblait river son regard imperceptible sur la demoiselle ignorant tout de ce rituel. Ce fut à cet instant que deux voix qu'on eut dite sans provenance se firent entendre :
"Il est celui auquel ton cœur a donné naissance. Il est l'incarnation de tes aspirations et de tes désirs. Il est le Prince des rêves."
L'une des mains démesurées de l'entité fantasmagorique s'écarta doucement de celles des fidèles rassemblés en une meute craintive pour s'orienter en direction de la dame de lumière. Elle fut alors frappée par une illusion, non pas faite d'images cauchemardesques et de vices, mais de douces sensations. Elle put sentir des parfums lointains de chaleur, d'épice et de fleurs. Elle vit le ciel nocturne s'éclaircir et les nuages s'écarter pour inviter les étoiles à baigner le lieu de culte d'une douce lueur. La main tendue pivota pour orienter sa paume vers les cieux, incitant l'étrangère à la saisir.
Des mots, enfin, parvinrent jusqu'à son esprit :
"Tu es aimée. Approche, mon enfant."
Invité
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Il fallait être un monstre pour attirer à soi des âmes en peine qui n'avaient plus que la peau sur les os, les démunis qui par un concours de circonstances malheureuses s'étaient retrouvés sans rien, perdus au milieu de nulle part et forcés d'échanger leur humanité contre le plus imperceptible soupçon d'espoir, les enfants d'un monde cruel qui n'avait cure de leur bien être et qui leur avait tourné le dos. Seul un être monstrueux pouvait tirer parti de cette faiblesse et forcer ces pauvres gens à implorer les faveurs de l'occulte et l'insondable. Mais il fallait être bien plus monstrueux encore pour balayer des efforts mus par le désespoir et la volonté de retrouver ce qu'ils n'avaient plus.
En proie à sa propre détresse, l'être de lumière avait perdu son sang froid et porté atteinte à ce qui étaient en ce moment des innocents. Elle qui s'était si longtemps démenée pour apporter un peu de sérénité à ceux dans le besoin, l'espace d'un instant, même si ses motifs n'étaient pas de nature malfaisante, elle était devenue l'incarnation de l'ange bourreau abattant sa cinglante sentence. La furie causée par sa propre peur avait provoqué la terreur des hommes et des femmes face à elle, qu'elle le veuille ou non elle venait de commettre un acte irréparable. Elle ne pouvait encore pleinement apprécier la pleine gravité de ses actions mais la vue de la frayeur, des supplications et du recul précipité des cultistes... cette vue et la honte associée resteraient gravées dans sa mémoire.
Et quoi de plus naturel que d'être justement châtiée après un tel affront ? La sphère, comme pour répondre à l'horreur de la situation, choisit ce moment pour révéler sa véritable forme. La prison insondable se fractura pour laisser place à un éclat, qui s'il était tout aussi impur et teinté de cette magie indescriptible que l'obscurité lui précédant, n'en était pas moins incroyablement aveuglant, allant jusqu'à éclipser jusqu'à l'aura dorée de la lumina avant de révéler ce qui se cachait en son sein. La créature nouvellement formée était aussi magnifique qu'elle était épouvantable, sa présence était infiniment pesante et en même temps elle conviait à être admirée.
La peur de la voyageuse se vit mêlée à un autre sentiment irrésistible, celui de se perdre dans les constellations dévoilées par les immenses ailes de la créature chimérique. La toile céleste qui avait toujours parue si éloignée était désormais à quelques pas de ses doigts effilés, il lui suffirait d'une poignée d'enjambées pour se perdre à jamais dans l'horizon sans fin de ce firmament reconstitué. Mais il n'était rien de plus que ça, un firmament reconstitué, et ce qui se tenait face à la lumina n'était pas aussi divin qu'il le laissait paraitre. Et malgré tout... Était-il réellement un mal, un loup déguisé en mouton pour s'immiscer dans le troupeau ? Ou est-ce que son apparence reflétait véritablement ses intentions ? Quelles étaient ses intentions ?
Les vents se turent, emportant avec eux la tempête sifflante qui avait secoué les arbres et les cœurs. La poussière retomba au sol et les torches encore vivaces retrouvèrent leur contenance, arrachant au passage un soupir de soulagement aux rares visages qui ne s'étaient pas entièrement détournés d'Iris pour aduler la créature aux milles facettes célestes. La peur nouait toujours la gorge de la dame aux cheveux d'argent et ses traits étaient toujours aussi tendus qu'une corde pincée, mais la fascination et la réalisation de son comportement supplantaient progressivement l'effroi. Et puis la créature parla.
Un écho répété bourdonnant autour de la silhouette dorée, portant en lui le message de l'être gigantesque. Un message apportant la réponse attendue avec tant d'anxiété, et suivi par une démonstration de véracité des propos éthérés. Une vision s'offrit à elle, rappelant des choses profondément enfouies. Une douce fragrance emplit l'air, évoquant les vins épicés que l'on pouvait trouver aux docks des rives bordant le Doreï. S'y mêlaient les foyers crépitants allumés au soir pour illuminer la soirée, les fleurs suspendues aux charpentes des vérandas exotiques, la caresse d'une brise portant en son sein les bienfaits de la mer. Iris pouvait même presque sentir l'odeur du poisson grillé sur de grandes dalles en pierre, dont le fumet délicat émanait de petits fourneaux sculptés.
Une fresque d'antan, peinte depuis la multitude de souvenirs brumeux de l'être séculaire. C'était un gouffre sans fin de nostalgie, un rappel vivifiant de ce qui avait un jour existé sur ces terres, de ce qu'elle avait aidé à édifier et faire perdurer. Ses yeux se noyèrent dans l'illusion, s'abreuvant de la gloire du Doreï réinstauré, reconstituant chaque petit détail du plus menu jardin à la plus grande bâtisse construite sous le couvert forestier. La vision était si parfaite que pour peu, elle se serait mise à fredonner les airs chantonnés par les marins faisant escale aux ports entre deux voyages. Une larme s'échappa du coin de l’œil droit de la lumina, entreprenant une course irisée de rayons dorés sur la joue tirée par les émotions.
Ce prétendu "Prince des rêves" était peut-être un démon, mais Iris comprenait mieux comment il avait pu constituer un culte aussi dévoué. Il était indéniablement doué pour jouer sur les esprits de ses cibles et elles le lui rendaient bien, les âmes en peine amassées à ses pieds le louaient sans retenue, sous son aile elles se sentaient manifestement en sécurité. Mais ce n'étaient pas elles qui intéressaient l'être au corps irréel, ce qui aurait dû être son visage n'avaient pas quitté la lumina des yeux et le corps immense commençait lui aussi à s'avancer vers elle, allant jusqu'à tendre une main et à la conforter.
C'était trop beau pour être vrai, il avait suffi d'une minute ou deux au démon pour s'immiscer dans sa tête et jeter bas les réserves qu'elle pouvait avoir à son égard. Même s'il était sincère dans ses propos, son côté profondément manipulateur n'était pas exactement subtil. Et pourtant, la tentation était grandissante, elle pouvait sentir la bonté émaner de cette main tendue. Mais elle ne devait pas la saisir, il n'était pas encore parvenu à s'emparer de sa raison.
- Je... Je ne peux pas faire ça. Toutes les visions du monde ne sauraient effacer ce que j'ai pu voir. Quel prince force son peuple à abandonner toute forme de décence pour avoir sa bénédiction ? Vos pouvoirs sont grands, démon, mais je me dois de douter de vos intentions.
Son regard se reporta brièvement sur l'attroupement dévoué à l'immense créature, désormais caché dans son dos et alternant regards craintifs à son égard et espoir en leur gardien. Elle réalisa enfin pourquoi les visages l'épiaient avec autant de peur. A leurs yeux, elle était le seul démon présent dans le cercle improvisé. Sa voix trembla quand elle s'adressa à eux, consciente qu'elle était perçue comme un danger effroyable.
- Je n'aurais jamais dû faire ça, à cause de ma propre peur je vous accablés d'un maux encore plus lourd que ce que vous subissiez déjà. Je ne pourrai jamais me pardonner pour un tel péché mais je vous conjure de me croire, je ne vous veux aucun mal. En réalité je suis même tout aussi perdue que vous, je ne reconnais même plus ces terres que j'ai pu arpenter naguère. Tout ce que je sais, c'est qu'elles ne sont pas sûres et qu'aucun de nous ne devrait rester ici.
Elle reporta ensuite son attention au démon sans visage qui tendait toujours cette main immense. Quel dessein pouvait bien l'animer ? Plus elle y réfléchissait et moins ça avait de sens. Si le "Prince des rêves" avait eu des intentions néfastes, il n'aurait pas eu besoin d'attirer ses fidèles aussi loin, surtout dans une région où la nature même pouvait rapidement précipiter leur trépas. Mais le problème était le même si ses intentions étaient bien fondées, dans les deux cas la question subsistait. Pourquoi ici plutôt qu'ailleurs ? Elle resta plantée sur place, perplexe.
- Démon, pourquoi ici ? Je suis convaincue d'être la seule ici présente à pouvoir me remémorer la beauté passée du Doreï. Et s'il est vrai que je rêve de la revoir un jour, ça ne peut pas être le cas de ces pauvres gens. Ce que vous m'avez montrée n'est qu'une chimère, un écho lointain perdu à jamais. Ils méritent mieux que ça.
Il ne pouvait quand même pas les avoir attirés en ce lieu lugubre avec une promesse aussi absurde, avec un rêve construit sur des propos dénués de sens. A moins que les rêves ne soient la seule façon pour eux de rattacher un semblant de sens à ce monde qui les avait rejetés, aussi absurdes soient-ils. Et si cette promesse était ce qu'elle recherchait elle aussi ? Cette main tendue pouvait-elle devenir le guide dont elle avait besoin ? Elle finit par faire un unique pas en avant.
- Les rêves sont-ils vraiment une réponse appropriée ? Est-ce vraiment en votre pouvoir de donner vie à ces visions, Prince des rêves ?
CENDRES
En proie à sa propre détresse, l'être de lumière avait perdu son sang froid et porté atteinte à ce qui étaient en ce moment des innocents. Elle qui s'était si longtemps démenée pour apporter un peu de sérénité à ceux dans le besoin, l'espace d'un instant, même si ses motifs n'étaient pas de nature malfaisante, elle était devenue l'incarnation de l'ange bourreau abattant sa cinglante sentence. La furie causée par sa propre peur avait provoqué la terreur des hommes et des femmes face à elle, qu'elle le veuille ou non elle venait de commettre un acte irréparable. Elle ne pouvait encore pleinement apprécier la pleine gravité de ses actions mais la vue de la frayeur, des supplications et du recul précipité des cultistes... cette vue et la honte associée resteraient gravées dans sa mémoire.
Et quoi de plus naturel que d'être justement châtiée après un tel affront ? La sphère, comme pour répondre à l'horreur de la situation, choisit ce moment pour révéler sa véritable forme. La prison insondable se fractura pour laisser place à un éclat, qui s'il était tout aussi impur et teinté de cette magie indescriptible que l'obscurité lui précédant, n'en était pas moins incroyablement aveuglant, allant jusqu'à éclipser jusqu'à l'aura dorée de la lumina avant de révéler ce qui se cachait en son sein. La créature nouvellement formée était aussi magnifique qu'elle était épouvantable, sa présence était infiniment pesante et en même temps elle conviait à être admirée.
La peur de la voyageuse se vit mêlée à un autre sentiment irrésistible, celui de se perdre dans les constellations dévoilées par les immenses ailes de la créature chimérique. La toile céleste qui avait toujours parue si éloignée était désormais à quelques pas de ses doigts effilés, il lui suffirait d'une poignée d'enjambées pour se perdre à jamais dans l'horizon sans fin de ce firmament reconstitué. Mais il n'était rien de plus que ça, un firmament reconstitué, et ce qui se tenait face à la lumina n'était pas aussi divin qu'il le laissait paraitre. Et malgré tout... Était-il réellement un mal, un loup déguisé en mouton pour s'immiscer dans le troupeau ? Ou est-ce que son apparence reflétait véritablement ses intentions ? Quelles étaient ses intentions ?
Les vents se turent, emportant avec eux la tempête sifflante qui avait secoué les arbres et les cœurs. La poussière retomba au sol et les torches encore vivaces retrouvèrent leur contenance, arrachant au passage un soupir de soulagement aux rares visages qui ne s'étaient pas entièrement détournés d'Iris pour aduler la créature aux milles facettes célestes. La peur nouait toujours la gorge de la dame aux cheveux d'argent et ses traits étaient toujours aussi tendus qu'une corde pincée, mais la fascination et la réalisation de son comportement supplantaient progressivement l'effroi. Et puis la créature parla.
Un écho répété bourdonnant autour de la silhouette dorée, portant en lui le message de l'être gigantesque. Un message apportant la réponse attendue avec tant d'anxiété, et suivi par une démonstration de véracité des propos éthérés. Une vision s'offrit à elle, rappelant des choses profondément enfouies. Une douce fragrance emplit l'air, évoquant les vins épicés que l'on pouvait trouver aux docks des rives bordant le Doreï. S'y mêlaient les foyers crépitants allumés au soir pour illuminer la soirée, les fleurs suspendues aux charpentes des vérandas exotiques, la caresse d'une brise portant en son sein les bienfaits de la mer. Iris pouvait même presque sentir l'odeur du poisson grillé sur de grandes dalles en pierre, dont le fumet délicat émanait de petits fourneaux sculptés.
Une fresque d'antan, peinte depuis la multitude de souvenirs brumeux de l'être séculaire. C'était un gouffre sans fin de nostalgie, un rappel vivifiant de ce qui avait un jour existé sur ces terres, de ce qu'elle avait aidé à édifier et faire perdurer. Ses yeux se noyèrent dans l'illusion, s'abreuvant de la gloire du Doreï réinstauré, reconstituant chaque petit détail du plus menu jardin à la plus grande bâtisse construite sous le couvert forestier. La vision était si parfaite que pour peu, elle se serait mise à fredonner les airs chantonnés par les marins faisant escale aux ports entre deux voyages. Une larme s'échappa du coin de l’œil droit de la lumina, entreprenant une course irisée de rayons dorés sur la joue tirée par les émotions.
Ce prétendu "Prince des rêves" était peut-être un démon, mais Iris comprenait mieux comment il avait pu constituer un culte aussi dévoué. Il était indéniablement doué pour jouer sur les esprits de ses cibles et elles le lui rendaient bien, les âmes en peine amassées à ses pieds le louaient sans retenue, sous son aile elles se sentaient manifestement en sécurité. Mais ce n'étaient pas elles qui intéressaient l'être au corps irréel, ce qui aurait dû être son visage n'avaient pas quitté la lumina des yeux et le corps immense commençait lui aussi à s'avancer vers elle, allant jusqu'à tendre une main et à la conforter.
C'était trop beau pour être vrai, il avait suffi d'une minute ou deux au démon pour s'immiscer dans sa tête et jeter bas les réserves qu'elle pouvait avoir à son égard. Même s'il était sincère dans ses propos, son côté profondément manipulateur n'était pas exactement subtil. Et pourtant, la tentation était grandissante, elle pouvait sentir la bonté émaner de cette main tendue. Mais elle ne devait pas la saisir, il n'était pas encore parvenu à s'emparer de sa raison.
- Je... Je ne peux pas faire ça. Toutes les visions du monde ne sauraient effacer ce que j'ai pu voir. Quel prince force son peuple à abandonner toute forme de décence pour avoir sa bénédiction ? Vos pouvoirs sont grands, démon, mais je me dois de douter de vos intentions.
Son regard se reporta brièvement sur l'attroupement dévoué à l'immense créature, désormais caché dans son dos et alternant regards craintifs à son égard et espoir en leur gardien. Elle réalisa enfin pourquoi les visages l'épiaient avec autant de peur. A leurs yeux, elle était le seul démon présent dans le cercle improvisé. Sa voix trembla quand elle s'adressa à eux, consciente qu'elle était perçue comme un danger effroyable.
- Je n'aurais jamais dû faire ça, à cause de ma propre peur je vous accablés d'un maux encore plus lourd que ce que vous subissiez déjà. Je ne pourrai jamais me pardonner pour un tel péché mais je vous conjure de me croire, je ne vous veux aucun mal. En réalité je suis même tout aussi perdue que vous, je ne reconnais même plus ces terres que j'ai pu arpenter naguère. Tout ce que je sais, c'est qu'elles ne sont pas sûres et qu'aucun de nous ne devrait rester ici.
Elle reporta ensuite son attention au démon sans visage qui tendait toujours cette main immense. Quel dessein pouvait bien l'animer ? Plus elle y réfléchissait et moins ça avait de sens. Si le "Prince des rêves" avait eu des intentions néfastes, il n'aurait pas eu besoin d'attirer ses fidèles aussi loin, surtout dans une région où la nature même pouvait rapidement précipiter leur trépas. Mais le problème était le même si ses intentions étaient bien fondées, dans les deux cas la question subsistait. Pourquoi ici plutôt qu'ailleurs ? Elle resta plantée sur place, perplexe.
- Démon, pourquoi ici ? Je suis convaincue d'être la seule ici présente à pouvoir me remémorer la beauté passée du Doreï. Et s'il est vrai que je rêve de la revoir un jour, ça ne peut pas être le cas de ces pauvres gens. Ce que vous m'avez montrée n'est qu'une chimère, un écho lointain perdu à jamais. Ils méritent mieux que ça.
Il ne pouvait quand même pas les avoir attirés en ce lieu lugubre avec une promesse aussi absurde, avec un rêve construit sur des propos dénués de sens. A moins que les rêves ne soient la seule façon pour eux de rattacher un semblant de sens à ce monde qui les avait rejetés, aussi absurdes soient-ils. Et si cette promesse était ce qu'elle recherchait elle aussi ? Cette main tendue pouvait-elle devenir le guide dont elle avait besoin ? Elle finit par faire un unique pas en avant.
- Les rêves sont-ils vraiment une réponse appropriée ? Est-ce vraiment en votre pouvoir de donner vie à ces visions, Prince des rêves ?
CENDRES
Citoyen du monde
Rêve
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Les postures nerveuses des silhouettes effilées se firent plus douces à mesure que l'ange perturbateur s'apaisait. Le succès de cette tentative d'obtenir l'accalmie fut inévitablement incombé aux pouvoirs de l'entité chimérique et cela n'eut bien évidemment pour effet que de renforcer leur foi en la bête onirique. Indéchiffrable dans ses intentions, la créature au masque stellaire se contentait d'offrir mollement de chaudes embrassades à ceux qui, tels des bambins apeurés, se réunissaient autour d'elle en quête d'un amour trop longtemps oublié pour être pleinement restitué et compris. La lumina, méfiante, se refusait pour l'heure à approcher le Prince mais celui-ci ne sembla pas prendre offense d'un tel refus.
Son premier enseignement avait toujours été le culte du doute. Les questions sans cesse renouvelées constituaient pour l'esprit un pain nourricier et bien qu'il fut aisé de se perdre dans le labyrinthe de ses propres interrogations, l'Homme qui cessait de réfléchir ne devenait rien de plus qu'un sauvage. Ses fidèles, malgré leurs désastreuses apparences, étaient en ce sens plus humains que de nombreuses âmes arpentant ces terres désolées. L'attention de la belle se tourna sur les croyants eux-mêmes et lorsqu'elle offrit ses excuses pour son tumultueux élan d'émotion, l'une des femmes se risqua à lui répondre :
"Nos terres ne seront plus jamais ce qu'elles ont été autrefois. Le Prophète ne leur rendra pas leur gloire d'antan."
Prononcés timidement, ces mots furent les seuls qu'elle parvint à prononcer. Affaiblie par l'excès d'émotion qu'avait suivi le rituel ainsi que l'intervention de la perturbatrice, la jeune impudente se replongea dans un profond mutisme et retourna trouver la chaleur du corps étincelant contre lequel elle avait choisi de se blottir. L'une des ailes de la chimère, tel un rideau cosmique, se referma sur elle pour l'envelopper toute entière. Il y eut un silence marqué, puis d'autres interrogations. Pourquoi ici, disait-elle. Le faciès du Voyageur pivota et sans un mot, il étendit ses bras gigantesques comme pour inviter chacun à se faire témoin de la beauté de ce qui les entourait. Il y eut un pas en avant, une opportunité.
Beaucoup suivirent cette directive, mais seule la mort et la damnation semblaient habiter ces lieux. Vint alors à ceux et celles qui se faisaient attentifs une toute nouvelle vision. Sous leurs yeux avides de découverte, l'environnement si morbide se fit plus attrayant. Depuis les branchages tortueux des arbres morts naquirent des feuillages épais. Du sol boueux, de l'herbe fit son apparition dans un frémissement tranquille. La lune pale et glacée se fit plus chaude et accueillante et au loin, le bruissement d'une rivière et les clapotis de poissons se fit entendre. Ce fut à cet instant qu'un homme arborant un masque de loup prit la parole à son tour :
"Passé et présent sont conclus. C'est vers le futur que le Prophète se tourne. Il explore l'histoire, les souvenirs et les rêves pour guider ceux qui désirent avancer. Reculer n'est pas permis, la stagnation est interdite. Les Hommes marchent, les dirigeants courent. Nous ne sommes pas de ceux qui s'assoient au bord du sentier et regardent en arrière."
Comme pour encenser silencieusement le discours du cultiste, la créature si justement nommée Démon par l'intruse posa sur l'épaule du loup personnifié une main aimante. De son autre dextre, qui semblait se faire catalyseur de sa magie obscure, il traça dans le vide un cercle de lumière. Cette manifestation illusoire s'ouvrit, formant une fenêtre vers le passé. Là, ils aperçurent tous les souvenirs de l'entité. D'abord, la déchéance. Ils virent un village triste et désolé au sein duquel quelques hommes malades peinaient à entretenir des champs congelés. Transis par le froid, certains tombaient à la renverse en pleine besogne.
Le renouveau, ensuite. Le village changea lorsque l'immense silhouette d'un phénix d'ébène vint étendre son ombre sur ce petit hameau. Les faibles se redressèrent, des fleurs apparurent. La végétation reprit ses droits et les rires d'enfants se firent audibles. Rapidement, le sordide village devint de plus en plus beau tandis que divers animaux s'y rassemblaient, travaillant de concert avec les vivants pour faire de ce lieu un havre de paix et de bonheur. Certains croyants, témoins du spectacle conçu par l'illusionniste, se mirent alors à pleurer de joie.
L'horreur, enfin. La Griffe et ses troupes, la Main de l'Empire. Le phénix échangea avec un loup noir portant les bannières impériales et soudainement, le hameau somptueux fut noyé dans les flammes de la désolation. Il y eut des cris, des larmes, des prières et abruptement, le vide absolu. La fenêtre ouverte sur l'histoire se referma et cette fois-ci, ce fut au tour du Voyageur lui-même de prendre la parole de ses deux voix mystiques :
"Tes mots sont juste. Ils méritent le bonheur. L'Empire belliqueux n'en a pas voulu, les hommes libres du défunt Doreï l'obtiendront. Le rêve n'est pas une fin en soi, mais c'est à travers son fil que se tisse l'avenir."
Un oiseau de proie, voletant depuis quelques instants au dessus de l'assemblé, vint effectuer une dernière pirouette aérienne avant de fondre en direction du Démon. Dans un puissant claquement d'ailes, il se posa alors avec délicatesse sur l'épaule du fameux Prophète, qui l'accueillit en imitant le cri de ce dernier, avant de reprendre dans la langue des Hommes :
"J'ai été faible, autrefois. J'avais appris à des Hommes à revivre, mais ce ne fut pas suffisant. Mon amour était grand, mais fut balayé néanmoins par la haine aveugle du Reike. Nous ne ressentons à leur égard aucune rancœur. Comme tu l'as si bien dit, les mortels sont égarés. Et comme tu l'as si bien dit, le passé est révolu. La noirceur de ton monde est si intense que les êtres en viennent à oublier ce que fut le bien. Les ténèbres, toutefois, n'existent que parce qu'ils sont projetés par la lumière."
Il tendit un doigt terminé en dague vers la demoiselle et se fit cette fois-ci presque accusateur :
"Chaque chose saine et vivante vogue sur le courant du temps dans un seul et unique sens. Ton corps et ton esprit, pourtant, se désagrègent à l'envers. Le passé t'empoisonne, tes souvenirs te tuent. Ton héritage, plutôt que de te guider, t'immobilise."
Après une brève pause, il enchaîna :
"L'avant d'un être se doit de nourrir son après. Le tien te corrompt. Fais de ton histoire une arme et non une ennemie."
Et tout en jetant à ses fidèles un regard plein d'amour, il conclut :
"D'ici quelques lunes, ceux-là se tiendront droits et fiers. Seras-tu des leurs ?"
Son premier enseignement avait toujours été le culte du doute. Les questions sans cesse renouvelées constituaient pour l'esprit un pain nourricier et bien qu'il fut aisé de se perdre dans le labyrinthe de ses propres interrogations, l'Homme qui cessait de réfléchir ne devenait rien de plus qu'un sauvage. Ses fidèles, malgré leurs désastreuses apparences, étaient en ce sens plus humains que de nombreuses âmes arpentant ces terres désolées. L'attention de la belle se tourna sur les croyants eux-mêmes et lorsqu'elle offrit ses excuses pour son tumultueux élan d'émotion, l'une des femmes se risqua à lui répondre :
"Nos terres ne seront plus jamais ce qu'elles ont été autrefois. Le Prophète ne leur rendra pas leur gloire d'antan."
Prononcés timidement, ces mots furent les seuls qu'elle parvint à prononcer. Affaiblie par l'excès d'émotion qu'avait suivi le rituel ainsi que l'intervention de la perturbatrice, la jeune impudente se replongea dans un profond mutisme et retourna trouver la chaleur du corps étincelant contre lequel elle avait choisi de se blottir. L'une des ailes de la chimère, tel un rideau cosmique, se referma sur elle pour l'envelopper toute entière. Il y eut un silence marqué, puis d'autres interrogations. Pourquoi ici, disait-elle. Le faciès du Voyageur pivota et sans un mot, il étendit ses bras gigantesques comme pour inviter chacun à se faire témoin de la beauté de ce qui les entourait. Il y eut un pas en avant, une opportunité.
Beaucoup suivirent cette directive, mais seule la mort et la damnation semblaient habiter ces lieux. Vint alors à ceux et celles qui se faisaient attentifs une toute nouvelle vision. Sous leurs yeux avides de découverte, l'environnement si morbide se fit plus attrayant. Depuis les branchages tortueux des arbres morts naquirent des feuillages épais. Du sol boueux, de l'herbe fit son apparition dans un frémissement tranquille. La lune pale et glacée se fit plus chaude et accueillante et au loin, le bruissement d'une rivière et les clapotis de poissons se fit entendre. Ce fut à cet instant qu'un homme arborant un masque de loup prit la parole à son tour :
"Passé et présent sont conclus. C'est vers le futur que le Prophète se tourne. Il explore l'histoire, les souvenirs et les rêves pour guider ceux qui désirent avancer. Reculer n'est pas permis, la stagnation est interdite. Les Hommes marchent, les dirigeants courent. Nous ne sommes pas de ceux qui s'assoient au bord du sentier et regardent en arrière."
Comme pour encenser silencieusement le discours du cultiste, la créature si justement nommée Démon par l'intruse posa sur l'épaule du loup personnifié une main aimante. De son autre dextre, qui semblait se faire catalyseur de sa magie obscure, il traça dans le vide un cercle de lumière. Cette manifestation illusoire s'ouvrit, formant une fenêtre vers le passé. Là, ils aperçurent tous les souvenirs de l'entité. D'abord, la déchéance. Ils virent un village triste et désolé au sein duquel quelques hommes malades peinaient à entretenir des champs congelés. Transis par le froid, certains tombaient à la renverse en pleine besogne.
Le renouveau, ensuite. Le village changea lorsque l'immense silhouette d'un phénix d'ébène vint étendre son ombre sur ce petit hameau. Les faibles se redressèrent, des fleurs apparurent. La végétation reprit ses droits et les rires d'enfants se firent audibles. Rapidement, le sordide village devint de plus en plus beau tandis que divers animaux s'y rassemblaient, travaillant de concert avec les vivants pour faire de ce lieu un havre de paix et de bonheur. Certains croyants, témoins du spectacle conçu par l'illusionniste, se mirent alors à pleurer de joie.
L'horreur, enfin. La Griffe et ses troupes, la Main de l'Empire. Le phénix échangea avec un loup noir portant les bannières impériales et soudainement, le hameau somptueux fut noyé dans les flammes de la désolation. Il y eut des cris, des larmes, des prières et abruptement, le vide absolu. La fenêtre ouverte sur l'histoire se referma et cette fois-ci, ce fut au tour du Voyageur lui-même de prendre la parole de ses deux voix mystiques :
"Tes mots sont juste. Ils méritent le bonheur. L'Empire belliqueux n'en a pas voulu, les hommes libres du défunt Doreï l'obtiendront. Le rêve n'est pas une fin en soi, mais c'est à travers son fil que se tisse l'avenir."
Un oiseau de proie, voletant depuis quelques instants au dessus de l'assemblé, vint effectuer une dernière pirouette aérienne avant de fondre en direction du Démon. Dans un puissant claquement d'ailes, il se posa alors avec délicatesse sur l'épaule du fameux Prophète, qui l'accueillit en imitant le cri de ce dernier, avant de reprendre dans la langue des Hommes :
"J'ai été faible, autrefois. J'avais appris à des Hommes à revivre, mais ce ne fut pas suffisant. Mon amour était grand, mais fut balayé néanmoins par la haine aveugle du Reike. Nous ne ressentons à leur égard aucune rancœur. Comme tu l'as si bien dit, les mortels sont égarés. Et comme tu l'as si bien dit, le passé est révolu. La noirceur de ton monde est si intense que les êtres en viennent à oublier ce que fut le bien. Les ténèbres, toutefois, n'existent que parce qu'ils sont projetés par la lumière."
Il tendit un doigt terminé en dague vers la demoiselle et se fit cette fois-ci presque accusateur :
"Chaque chose saine et vivante vogue sur le courant du temps dans un seul et unique sens. Ton corps et ton esprit, pourtant, se désagrègent à l'envers. Le passé t'empoisonne, tes souvenirs te tuent. Ton héritage, plutôt que de te guider, t'immobilise."
Après une brève pause, il enchaîna :
"L'avant d'un être se doit de nourrir son après. Le tien te corrompt. Fais de ton histoire une arme et non une ennemie."
Et tout en jetant à ses fidèles un regard plein d'amour, il conclut :
"D'ici quelques lunes, ceux-là se tiendront droits et fiers. Seras-tu des leurs ?"
Invité
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Les paroles de l'homme au masque canin étaient pleines de conviction pour quelqu'un qu'on pouvait à peine qualifier d'humain. Ne se rendait-il pas compte de l'absurdité de ses propres propos alors qu'il était au plus bas ? Il prétendait vouloir avancer mais la route qu'il avait imaginée n'était pas tournée vers l'avenir, les circonstances l'avaient tellement trainé en arrière que ce qu'il pourchassait était sans nul doute une voie déjà foulée par d'autres. Ses propres croyances étaient le fruit de son ignorance, ce qu'il voyait du bord du sentier qu'il avait délaissé n'était qu'un fragment de ce qui avait déjà été pavé. Un Prophète lui avait vendu un rêve et ce pauvre diable s'en était contenté. La lumina se devait de questionner le bien fondé de ces paroles pleines d'espoir.
- Savez-vous seulement où vous courez ? Vous parlez de chemin à suivre mais pouvez-vous en percevoir la direction ? Ce que je croyais suivre a rencontré l'abysse, un gouffre qui s'étend de par et d'autre, et toute la volonté du monde ne me permettra pas de le franchir si je ne peux bâtir une passerelle ou survoler le vide.
Elle aurait voulu continuer à exprimer ses doutes mais elle fut interrompue par l'entité qui, levant sa main, conjura une nouvelle illusion. Une histoire au tintement familier s'en dégagea. Naturellement, Iris n'avait jamais rencontré ce village ou ses habitants, mais il n'était pas sans évoquer les hameaux dissimulés sous les Pins Argentés ou des malheureux qui avaient essuyé une tempête d'été. Elle pouvait déjà anticiper le déroulement du conte avant même qu'il n'ait atteint son mi-parcours, que de légendes entouraient les sauveurs prophétiques descendus du ciel pour aider les mortels à surmonter les difficultés. Elle n'avait aucun mal à reconnaitre dans les actes du sombre phénix l'écho de sa propre lumière. Mais contrairement aux fidèles ébahis par ce spectacle presque vivant, elle ne pouvait que se douter de la chute si le Démon était aujourd'hui ici. Et sans surprise, le malheur viendrait s'abattre sur ce paradis naissant. Tout ce qui avait pu être accompli, balayé par le désaccord violent d'un autre. La lumina ne se joindrait pas aux cris des fidèles apeurés, tout ce que cette illusion avait raconté, elle l'avait déjà vécu.
Une ombre assaillit la mine dorée, la tête se pencha et une mèche vint occlure ses yeux de la désolation éthérée qui disparaissait dans le noir de la nuit. Pourquoi lui avoir montré ça, pour la tourmenter ? Aucun vent ne pouvait l'atteindre sans son consentement et pourtant elle se mit à frissonner face au portail désagrégé, comme si en quittant la toile de la réalité il avait laissé derrière lui un souffle glacé. Et le Démon, impassible, reprit son discours. Il relata son échec et son aspiration renouvelée. Il y avait quelque chose de froid dans ces mots. Aucune émotion concernant les malheureux qu'il avait abandonnés, pas de ressentiment envers le bourreau qui avait tué ses protégés, rien d'autre qu'un constat méthodique. En ce sens il suivait bien ce qu'on attendait de l'un des siens, entièrement consacré à ses desseins. N'avait-il aucune once de remord pour ses fidèles passés, aucune anxiété à l'idée de perdre ses rangs nouvellement amoncelés ? Sur un point toutefois, la lumina se devait d'objecter.
- Celui qui a reçu l'étreinte du bien ne l'oubliera jamais. Nous le perdons de vue, nous lamentons son départ, mais nous aspirons tous à le retrouver. Vos fidèles vous suivent parce qu'ils voient en vous son retour, s'ils l'avaient oublié ils auraient ignoré votre appel.
La lumina ne pouvait accepter cette idée. Les mortels avaient tous un but commun, vivre, et le bien était une notion vitale pour qu'ils puissent accomplir ce but à la signification si vague. Et si dans une certaine mesure il avait raison que le bien engendrait le mal, même la plus noire des âmes mortelles n'agissait pas par pure malice, il y avait toujours au fond cette idée fondamentale. Non, le seul ennemi des mortels était le monde et les vices qu'il pouvait instiller de par sa cruauté dénuée de volonté, peu importe le temps qui passait, peu importe la force de l'édifice qu'ils pouvaient créer, il suffisait que le destin s'en mêle pour que les fondations croulent et que les tours s'effondrent.
L'accusation du Prophète fut une flèche qui transperça de part en part la silhouette dorée, il osait la mettre face à son passé. Les mots étaient implacables mais vrais. Et comment aurait-il pu en être autrement ? Tandis qu'il faisait sa proposition, elle se mit à trembler, respirant de plus en plus fort jusqu'à tomber à genoux. Elle se recroquevilla sur elle-même, essayant tant bien que mal de se retenir. Peine perdue.
- LE PASSE EST TOUT CE QU'IL ME RESTE !
Une mine complètement ravagée par les larmes et la sueur se releva de la boule de la lumière, défiant l'être fantasmagorique.
- J'ai passé ma vie... une dizaine de vies mortelles tournée vers l'avenir, faisant tout ce qui était en mon pouvoir pour rendre ce monde plus chaleureux, pour aider les âmes dans le besoin comme celles qui vous suivent.
Elle arracha une touffe de l'herbe qui avait poussé des fins fonds du songe, qu'elle brûla entre ses doigts d'un éclair luminescent.
- Voilà ce qu'il en advenu. Ma seule récompense pour avoir lutté est d'avoir vu l’œuvre de mon existence balayée par une colère défiant toute logique, et je dois vivre avec l'idée que si je venais à recommencer, ma longévité pourrait me conduire à éprouver également le prochain cataclysme. Je vois encore leurs visages noircir sous les flammes, Prince, et qui me dit que vos fidèles d'aujourd'hui ne subiront pas le même sort ? Ceux d'hier ont déjà rejoint les cendres. Vous osez me reprocher d'être rongée par mon passé, mais l'avenir, le rêve que j'avais entretenu s'est dérobé sous mes pieds et rien ne me dit qu'il ne le fera pas à nouveau. Aucun d'entre eux n'aura jamais à subir pareille horreur, eux seuls jouissent de l'ignorance du fardeau qu'est le temps !
Les sanglots étranglèrent la suite de la plainte, entrecoupant le souffle de la damnée d'une série de hoquets incontrôlés. Sa main crispée sur les restes incinérés retomba au sol dans un mouvement étouffé par les brins vigoureux. Finalement, ce fut au tour de ses cheveux et de sa tête de rejoindre la terre. La virulence de sa détresse avait eu raison de ses forces et sa conscience était en train de s'abandonner d'elle-même au royaume gouverné par le Démon. Dans un murmure glissant entre les brins dépenaillés de sa coiffe d'argent, elle termina.
- Je ne demande... qu'à pouvoir le faire... mais je n'y arriverai pas... s... seule...
La vision de sa main étalée devant elle face aux cultistes décontenancés fut la dernière chose dont elle se souvint avant de sombrer dans le sommeil.
CENDRES
- Savez-vous seulement où vous courez ? Vous parlez de chemin à suivre mais pouvez-vous en percevoir la direction ? Ce que je croyais suivre a rencontré l'abysse, un gouffre qui s'étend de par et d'autre, et toute la volonté du monde ne me permettra pas de le franchir si je ne peux bâtir une passerelle ou survoler le vide.
Elle aurait voulu continuer à exprimer ses doutes mais elle fut interrompue par l'entité qui, levant sa main, conjura une nouvelle illusion. Une histoire au tintement familier s'en dégagea. Naturellement, Iris n'avait jamais rencontré ce village ou ses habitants, mais il n'était pas sans évoquer les hameaux dissimulés sous les Pins Argentés ou des malheureux qui avaient essuyé une tempête d'été. Elle pouvait déjà anticiper le déroulement du conte avant même qu'il n'ait atteint son mi-parcours, que de légendes entouraient les sauveurs prophétiques descendus du ciel pour aider les mortels à surmonter les difficultés. Elle n'avait aucun mal à reconnaitre dans les actes du sombre phénix l'écho de sa propre lumière. Mais contrairement aux fidèles ébahis par ce spectacle presque vivant, elle ne pouvait que se douter de la chute si le Démon était aujourd'hui ici. Et sans surprise, le malheur viendrait s'abattre sur ce paradis naissant. Tout ce qui avait pu être accompli, balayé par le désaccord violent d'un autre. La lumina ne se joindrait pas aux cris des fidèles apeurés, tout ce que cette illusion avait raconté, elle l'avait déjà vécu.
Une ombre assaillit la mine dorée, la tête se pencha et une mèche vint occlure ses yeux de la désolation éthérée qui disparaissait dans le noir de la nuit. Pourquoi lui avoir montré ça, pour la tourmenter ? Aucun vent ne pouvait l'atteindre sans son consentement et pourtant elle se mit à frissonner face au portail désagrégé, comme si en quittant la toile de la réalité il avait laissé derrière lui un souffle glacé. Et le Démon, impassible, reprit son discours. Il relata son échec et son aspiration renouvelée. Il y avait quelque chose de froid dans ces mots. Aucune émotion concernant les malheureux qu'il avait abandonnés, pas de ressentiment envers le bourreau qui avait tué ses protégés, rien d'autre qu'un constat méthodique. En ce sens il suivait bien ce qu'on attendait de l'un des siens, entièrement consacré à ses desseins. N'avait-il aucune once de remord pour ses fidèles passés, aucune anxiété à l'idée de perdre ses rangs nouvellement amoncelés ? Sur un point toutefois, la lumina se devait d'objecter.
- Celui qui a reçu l'étreinte du bien ne l'oubliera jamais. Nous le perdons de vue, nous lamentons son départ, mais nous aspirons tous à le retrouver. Vos fidèles vous suivent parce qu'ils voient en vous son retour, s'ils l'avaient oublié ils auraient ignoré votre appel.
La lumina ne pouvait accepter cette idée. Les mortels avaient tous un but commun, vivre, et le bien était une notion vitale pour qu'ils puissent accomplir ce but à la signification si vague. Et si dans une certaine mesure il avait raison que le bien engendrait le mal, même la plus noire des âmes mortelles n'agissait pas par pure malice, il y avait toujours au fond cette idée fondamentale. Non, le seul ennemi des mortels était le monde et les vices qu'il pouvait instiller de par sa cruauté dénuée de volonté, peu importe le temps qui passait, peu importe la force de l'édifice qu'ils pouvaient créer, il suffisait que le destin s'en mêle pour que les fondations croulent et que les tours s'effondrent.
L'accusation du Prophète fut une flèche qui transperça de part en part la silhouette dorée, il osait la mettre face à son passé. Les mots étaient implacables mais vrais. Et comment aurait-il pu en être autrement ? Tandis qu'il faisait sa proposition, elle se mit à trembler, respirant de plus en plus fort jusqu'à tomber à genoux. Elle se recroquevilla sur elle-même, essayant tant bien que mal de se retenir. Peine perdue.
- LE PASSE EST TOUT CE QU'IL ME RESTE !
Une mine complètement ravagée par les larmes et la sueur se releva de la boule de la lumière, défiant l'être fantasmagorique.
- J'ai passé ma vie... une dizaine de vies mortelles tournée vers l'avenir, faisant tout ce qui était en mon pouvoir pour rendre ce monde plus chaleureux, pour aider les âmes dans le besoin comme celles qui vous suivent.
Elle arracha une touffe de l'herbe qui avait poussé des fins fonds du songe, qu'elle brûla entre ses doigts d'un éclair luminescent.
- Voilà ce qu'il en advenu. Ma seule récompense pour avoir lutté est d'avoir vu l’œuvre de mon existence balayée par une colère défiant toute logique, et je dois vivre avec l'idée que si je venais à recommencer, ma longévité pourrait me conduire à éprouver également le prochain cataclysme. Je vois encore leurs visages noircir sous les flammes, Prince, et qui me dit que vos fidèles d'aujourd'hui ne subiront pas le même sort ? Ceux d'hier ont déjà rejoint les cendres. Vous osez me reprocher d'être rongée par mon passé, mais l'avenir, le rêve que j'avais entretenu s'est dérobé sous mes pieds et rien ne me dit qu'il ne le fera pas à nouveau. Aucun d'entre eux n'aura jamais à subir pareille horreur, eux seuls jouissent de l'ignorance du fardeau qu'est le temps !
Les sanglots étranglèrent la suite de la plainte, entrecoupant le souffle de la damnée d'une série de hoquets incontrôlés. Sa main crispée sur les restes incinérés retomba au sol dans un mouvement étouffé par les brins vigoureux. Finalement, ce fut au tour de ses cheveux et de sa tête de rejoindre la terre. La virulence de sa détresse avait eu raison de ses forces et sa conscience était en train de s'abandonner d'elle-même au royaume gouverné par le Démon. Dans un murmure glissant entre les brins dépenaillés de sa coiffe d'argent, elle termina.
- Je ne demande... qu'à pouvoir le faire... mais je n'y arriverai pas... s... seule...
La vision de sa main étalée devant elle face aux cultistes décontenancés fut la dernière chose dont elle se souvint avant de sombrer dans le sommeil.
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Rêve
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La silhouette immense se propulsa en avant avec une vitesse et une légèreté surprenante en vue de sa taille. Bondissant au secours de la lumina éprouvée par un poids trop dur à porter pour même le plus valeureux des êtres, le Voyageur vint saisir le corps, freinant ainsi sa chute et lui évitant le moindre mal. Les griffes chassèrent de son faciès maculé de poussière quelques mèches tâchées et la bête observa longuement le visage de la demoiselle assoupie tout en s'assurant que son enveloppe ne fut pas victime d'un mal trop sévère. Le corps survivait mais l'esprit, en revanche, était gangréné par d'insidieuses ronces qui s'étaient malheureusement faufilées jusqu'à son âme.
De ce visage illisible qu'avait emprunté le Prince, une larme étincelante s'écoula pour venir perler sur la joue d'Iris. Par ce simple contact, il avait perçu en elle l'étendue de sa douleur et la gravité de ses tourments et n'avait pu retenir son élan de peine. L'étreinte du géant issu d'un autre monde se resserra et, sous les yeux inquiets des cultistes, les ailes du Prophète se refermèrent doucement pour offrir à la pauvrette transie un peu de chaleur réconfortante. Après un tel cauchemar, elle avait bien mérité le luxe d'un rêve somptueux.
"Nous tâcherons de te défaire de cette solitude assassine qui t'empoisonne. Je t'en fais le serment, aventurière."
La chimère ajusta ses mains et se redressa enfin, portant sa nouvelle protégée comme une enfant pour enfin faire volte-face. Les fidèles, qui ne s'étaient pas encore risqué à s'approcher d'eux, vinrent enfin s'enquérir de l'état de l'étrangère. Aucun d'entre eux ne s'autorisait à toucher l'être de lumière qu'elle était mais beaucoup peinaient à réfréner leur curiosité face à ce tableau prophétique qui se dressait devant eux. Leur Prince les observa un moment, puis s'adressa à eux avec passion :
"Avez-vous bâti, mes enfants ?"
Une réponse ne tarda pas à venir depuis la foule :
"Elle aura de quoi s'abriter."
Soutenant le corps d'Iris sur un seul de ses bras, Rêve positionna l'autre pour caresser son front brûlant et altéra par illusion ses rêves fiévreux afin de les rendre plus tolérables. Se mettant en marche à la suite des pèlerins qui le guidaient dans les ténèbres, le Prophète murmura calmement, mais avec autorité :
"Vous soignerez son corps. Je porterai remède à son âme."
Il lui accorda un nouveau regard aimant. Il attendait d'elle autant qu'elle espérait de lui.
Le voyage fut court et lorsque les Hommes atteignirent leur village de fortune, ils trouvèrent pour la plupart refuge dans leurs demeures bancales composées grâce aux ruines de demeures détruites par des guerres oubliées. La lueur d'espoir qui faisait vivre ce lieu n'avait rien aujourd'hui d'aussi éclatant que celle qui avait animé autrefois le hameau construit sur les terres impériales mais les fidèles, pour l'heure, s'en contentaient. Les Hommes abandonnèrent leurs masques et leurs atours de rituel pour se vêtir enfin de peaux de bêtes taillées à la hâte et chacun retourna sous les yeux attentifs du Prophète vaquer aux tâches que leurs rêves leur avaient dicté.
L'endroit était triste, sinistre de bien des manières et évoquait davantage la mort que la vie mais pourtant ça et là, les silhouettes silencieuses des survivants s'activaient pour faire de ce sanctuaire un lieu mû par le désir de s'extirper de la noirceur. On fit venir le Voyageur et sa douce protégée jusqu'à une structure pyramidale faite de voilure et de bois. Les connaissances des guérisseurs locaux étaient bien plus maigres qu'ailleurs mais leur bonne volonté n'était plus à prouver et il suffit d'à peine une heure pour que la lumina assoupie ne passe des bras tièdes de l'être démoniaque à la chaleur salvatrice d'un bain préparé à la flamme. Ses vêtements ne seraient pas lavés, mais de si triviales considérations constituaient sans doute à cette heure le cadet de ses soucis.
Le Voyageur devint en un battement de cils une chouette noire puis se percha sur une table basse faite d'une souche coupée en deux, à la structure supportée par quelques branches reliées. Observant la demoiselle que les fidèles s'évertuaient à coiffer, notamment afin des'assurer qu'elle conserve la tête hors de l'eau, la bête onirique se mit alors à chanter de ses voix éthérées une berceuse dans cette même langue imaginaire dans laquelle se jouaient ses messes.
De ce visage illisible qu'avait emprunté le Prince, une larme étincelante s'écoula pour venir perler sur la joue d'Iris. Par ce simple contact, il avait perçu en elle l'étendue de sa douleur et la gravité de ses tourments et n'avait pu retenir son élan de peine. L'étreinte du géant issu d'un autre monde se resserra et, sous les yeux inquiets des cultistes, les ailes du Prophète se refermèrent doucement pour offrir à la pauvrette transie un peu de chaleur réconfortante. Après un tel cauchemar, elle avait bien mérité le luxe d'un rêve somptueux.
"Nous tâcherons de te défaire de cette solitude assassine qui t'empoisonne. Je t'en fais le serment, aventurière."
La chimère ajusta ses mains et se redressa enfin, portant sa nouvelle protégée comme une enfant pour enfin faire volte-face. Les fidèles, qui ne s'étaient pas encore risqué à s'approcher d'eux, vinrent enfin s'enquérir de l'état de l'étrangère. Aucun d'entre eux ne s'autorisait à toucher l'être de lumière qu'elle était mais beaucoup peinaient à réfréner leur curiosité face à ce tableau prophétique qui se dressait devant eux. Leur Prince les observa un moment, puis s'adressa à eux avec passion :
"Avez-vous bâti, mes enfants ?"
Une réponse ne tarda pas à venir depuis la foule :
"Elle aura de quoi s'abriter."
Soutenant le corps d'Iris sur un seul de ses bras, Rêve positionna l'autre pour caresser son front brûlant et altéra par illusion ses rêves fiévreux afin de les rendre plus tolérables. Se mettant en marche à la suite des pèlerins qui le guidaient dans les ténèbres, le Prophète murmura calmement, mais avec autorité :
"Vous soignerez son corps. Je porterai remède à son âme."
Il lui accorda un nouveau regard aimant. Il attendait d'elle autant qu'elle espérait de lui.
_
Le voyage fut court et lorsque les Hommes atteignirent leur village de fortune, ils trouvèrent pour la plupart refuge dans leurs demeures bancales composées grâce aux ruines de demeures détruites par des guerres oubliées. La lueur d'espoir qui faisait vivre ce lieu n'avait rien aujourd'hui d'aussi éclatant que celle qui avait animé autrefois le hameau construit sur les terres impériales mais les fidèles, pour l'heure, s'en contentaient. Les Hommes abandonnèrent leurs masques et leurs atours de rituel pour se vêtir enfin de peaux de bêtes taillées à la hâte et chacun retourna sous les yeux attentifs du Prophète vaquer aux tâches que leurs rêves leur avaient dicté.
L'endroit était triste, sinistre de bien des manières et évoquait davantage la mort que la vie mais pourtant ça et là, les silhouettes silencieuses des survivants s'activaient pour faire de ce sanctuaire un lieu mû par le désir de s'extirper de la noirceur. On fit venir le Voyageur et sa douce protégée jusqu'à une structure pyramidale faite de voilure et de bois. Les connaissances des guérisseurs locaux étaient bien plus maigres qu'ailleurs mais leur bonne volonté n'était plus à prouver et il suffit d'à peine une heure pour que la lumina assoupie ne passe des bras tièdes de l'être démoniaque à la chaleur salvatrice d'un bain préparé à la flamme. Ses vêtements ne seraient pas lavés, mais de si triviales considérations constituaient sans doute à cette heure le cadet de ses soucis.
Le Voyageur devint en un battement de cils une chouette noire puis se percha sur une table basse faite d'une souche coupée en deux, à la structure supportée par quelques branches reliées. Observant la demoiselle que les fidèles s'évertuaient à coiffer, notamment afin des'assurer qu'elle conserve la tête hors de l'eau, la bête onirique se mit alors à chanter de ses voix éthérées une berceuse dans cette même langue imaginaire dans laquelle se jouaient ses messes.
Invité
Invité
- Non, NON ! ARRÊTEZ !
Une scène ô combien familière se dressait devant moi. Le ciel fendu en deux, lézardé de poussière incandescente aux motifs furibonds, nous tombait dessus avec ses météores ardents. A quelques pas, un groupe de réfugiés fuyait désespérément la mort céleste et je courais, je courais à leur secours mais le sol ne bougeait pas et une mère serrant son enfant finissait défigurée, d'un battement d'ouragan je me propulsais en avant mais ils s'éloignaient toujours plus, puis le sol s'ouvrait sous leurs pieds et ils disparaissaient dans les tréfonds de la terre. J'étais comme figée dans les airs alors j'agitais mes bras et la magie s'écoulait de mes doigts en piques sifflantes pour s'opposer à la pluie de feu, mais ils avaient déjà tous péri et mes efforts étaient vains. Et ce rire réapparaissait ensuite, un ricanement distordu et écorché sans aucune provenance.
Le monde se mettait à tourner autour de moi et je revoyais les simulacres des défunts, en place d'yeux ils n'avaient plus que des orbites blafardes et de leur mains translucides ils me pointaient du doigt avant de se désagréger un à un. Chaque visage se liquéfiait, les pommettes se creusaient, les arcades tombaient et les mâchoires devenaient pendantes jusqu'à n'être plus que des gouttes salissant le sol brûlé. J'étais de nouveau seule.
Et puis soudainement, l'ocre faisait place à un bleu pâle, les nuages noirs étaient balayés et l'odeur du souffre et de la suie étaient emmenés au loin. La terre cicatrisait et bientôt il ne restait plus du désastre qu'un lointain souvenir. J'étais dans un champ au milieu de l'été, accompagnée par une brise caressant les brins de blé dorés. Ma mémoire me faisait défaut, je ne pouvais me rappeler de comment j'étais arrivée là ni de ce vers quoi je me dirigeais. Il n'y avait que de l'or à perte de vue, rejoignant l'horizon éclatant au bout du monde. Je jetais un regard par-dessus mon épaule et le paysage était le même, la seule différence était la touffe qui essayait de me voiler la vue à cause du vent.
...Je croyais pourtant que tu avais compris après tant d'années...
Une voix indescriptible résonnait dans l'air, virevoltant entre les tiges et mes jambes avant de s'élever jusqu'à mes oreilles. Et en même temps je me faisais plus légère, mes talons quittaient le sol et bientôt je flottais au-dessus du champ de blé. Je me laissai porter, profitant de cette sensation de confort même si je ne comprenais pas le sens des paroles éthérées.
...Regarde...
Alors que les lettres se gravaient dans mon esprit, les terres se mettaient à défiler. Les champs devenaient des forêts, des collines et des vallées, des montagnes nacrées et des déserts dépenaillés. Et sporadiquement de petits points apparaissaient brièvement. Des hommes, des femmes et des enfants divers vaquaient à leurs occupations. Ils chassaient, cultivaient, filaient du tissu, riaient au bord d'une terrasse, ils pleuraient leurs membres disparus et célébraient l'avènement de vies nouvelles.
...Crois-tu qu'ils sachent pourquoi ils vivent ?...
Je ne savais pas quoi répondre, la question était en apparence claire mais elle sous-entendait quelque chose que je ne parvenais pas à saisir.
...Et moi, sais-tu pourquoi j'existe ?...
Moi ? Mais alors, cette voix.
...Oui, tu n'as jamais été seule... Moi comme tant d'autres, nous étions là avant ta naissance et nous demeurerons après ton départ...
La terre laissa place à la toile céleste. Au milieu du vide cosmique, des filaments s'étiraient à l'infini, parfois seuls, parfois entremêlés. Je suivais du regard cette fresque changeante aux lueurs multicolores. Intriguée, j'essayais de toucher l'un de ces fils avant de me rendre compte que j'étais assise sur l'un d'entre eux et que je glissais au milieu du ciel. Un peu plus loin, j'aperçus une pelote et instinctivement, je tirai sur le filament pour dévier ma trajectoire et je bifurquai vers un coin plus calme du tableau.
...Comprends-tu maintenant ?...
- Oui, je pense que je vois.
Je n'étais pas encore sûre mais je ne perdais rien à essayer. Je me laissai tomber du filament ondulant avant de l'attraper d'une main. Je reconnus directement cette sensation familière de matière qui s'écoulait subrepticement entre mes doigts. Devant moi, la mosaïque de fils continuait à s'étirer à perte de vue tel un canevas, et j'en étais le pinceau. De mes mains, je commençai à donner forme à la peinture, démêlant les amas et ordonnant les traits. Je continuai à m'évertuer jusqu'à obtenir ce que je pensais vouloir, quand je clignai des yeux, j'étais de retour dans le champ de blé, mais cette fois je vis des gens autour de moi et à travers leur esprit je perçus qu'ils faisaient la même chose. Tous n'avaient pas le même pinceau et ils n'arrivaient pas forcément à créer ce qu'ils voulaient, mais ils continuaient tout de même. Et c'est alors que je la vis, perchée sur une branche, une chouette noire qui me fixait du regard.
La lumina rouvrit lentement les yeux, découvrant ce qui ressemblait à un mélange de poutres piètrement agencées au-dessus de sa tête. Une étrange sensation persistait, agréable au toucher mais différente de la couverture qui recouvrait d'ordinaire ses épaules quand elle avait la chance de dormir dans un lit. Ce n'est qu'en ressentant le léger clapotis provoqué par sa nuque qu'elle comprit qu'elle se trouvait en fait dans une sorte de bain. Elle tourna légèrement la tête et ses pupilles tombèrent sur une moitié de souche de bois d'où semblait émaner une douce mélodie. Suivant le fil ligneux elles remontèrent jusqu'à une créature au visage rond et aux yeux perçants, une chouette noire.
- Il suffit... J'ai assez dormi comme ça.
Iris se redressa jusqu'à avoir une position assise dans la baignoire improvisée avant de porter une main à son front. Lentement mais sûrement, des bribes de la veille lui remontaient et avec ça le souvenir de sa quête à Shoumeï. Et elle se rappela qu'elle avait terriblement faim, cela devait faire bientôt deux jours qu'elle n'avait rien avalé avec cette escapade effrénée jusqu'au rivage occidental des Rocheuses. C'était sans doute pour cela que la tête lui tournait maintenant qu'elle s'était relevée, son ventre criait famine. Décontenancée, elle se laissa lamentablement retomber au fond de la petite cuve, découvrant au passage que ses cheveux avaient été démêlés et brossés. D'une voix faible, elle lança à l'attention du sombre volatil.
- Ironique, je suis venue chercher conseil au sein de ces terres et quand je l'ai enfin trouvé, j'ai essayé de me détourner. Je ne peux encore affirmer que je vous confiance, Prince, mais je suis disposée à vous laisser une chance, si pas pour vous, au moins pour eux. finit-elle en montrant le masque accroché au mur du menton.
Elle essaya de se remémorer les détails de son rêve mais rien de concret ne parvenait à se dessiner, il s'était déjà dissipé dans les méandres du songe... à l'exception d'un détail, le seul qui importait vraiment peut-être. Maintenant qu'elle y réfléchissait, c'était sans doute l’œuvre du démon, mais pour rien au monde elle n'aurait désiré oublier cette imitation. Machinalement, elle sortit une main de l'eau et se mit à faire tournoyer un anneau de vent autour de son index avant d'ajouter.
- Je ne l'avais encore jamais entendu parler. Même si ce n'était qu'un rêve, c'est une expérience inoubliable. Je suis la preuve vivante qu'un élément peut manifester une âme mais ressentir l'élément lui-même... il ne m'en reste qu'une lointaine impression, et uniquement celle de ma génitrice. Est-ce là quelque chose qui vous parle, Prince ?
Iris rumina ses pensées quelques instants avant de reporter son attention vers des choses plus pressantes. Elle se leva tant bien que mal et posa un pied puis l'autre sur le sol en terre séchée. Une brusque bourrasque à la chaleur empruntée au bain vint l'essorer sommairement et elle se mit en quête de ses vêtement disposés dans un coin de la pièce. Elle se rhabilla péniblement sous les yeux de son hôte avant de se retourner vers ce dernier.
- Je vais devoir abuser encore un peu de votre hospitalité, si je n'avale pas vite quelque chose, il n'est pas dit que je vous serai d'une grande utilité dans les jours à venir, si tant est qu'il y ait un but pour moi ici.
CENDRES
Une scène ô combien familière se dressait devant moi. Le ciel fendu en deux, lézardé de poussière incandescente aux motifs furibonds, nous tombait dessus avec ses météores ardents. A quelques pas, un groupe de réfugiés fuyait désespérément la mort céleste et je courais, je courais à leur secours mais le sol ne bougeait pas et une mère serrant son enfant finissait défigurée, d'un battement d'ouragan je me propulsais en avant mais ils s'éloignaient toujours plus, puis le sol s'ouvrait sous leurs pieds et ils disparaissaient dans les tréfonds de la terre. J'étais comme figée dans les airs alors j'agitais mes bras et la magie s'écoulait de mes doigts en piques sifflantes pour s'opposer à la pluie de feu, mais ils avaient déjà tous péri et mes efforts étaient vains. Et ce rire réapparaissait ensuite, un ricanement distordu et écorché sans aucune provenance.
Le monde se mettait à tourner autour de moi et je revoyais les simulacres des défunts, en place d'yeux ils n'avaient plus que des orbites blafardes et de leur mains translucides ils me pointaient du doigt avant de se désagréger un à un. Chaque visage se liquéfiait, les pommettes se creusaient, les arcades tombaient et les mâchoires devenaient pendantes jusqu'à n'être plus que des gouttes salissant le sol brûlé. J'étais de nouveau seule.
Et puis soudainement, l'ocre faisait place à un bleu pâle, les nuages noirs étaient balayés et l'odeur du souffre et de la suie étaient emmenés au loin. La terre cicatrisait et bientôt il ne restait plus du désastre qu'un lointain souvenir. J'étais dans un champ au milieu de l'été, accompagnée par une brise caressant les brins de blé dorés. Ma mémoire me faisait défaut, je ne pouvais me rappeler de comment j'étais arrivée là ni de ce vers quoi je me dirigeais. Il n'y avait que de l'or à perte de vue, rejoignant l'horizon éclatant au bout du monde. Je jetais un regard par-dessus mon épaule et le paysage était le même, la seule différence était la touffe qui essayait de me voiler la vue à cause du vent.
...Je croyais pourtant que tu avais compris après tant d'années...
Une voix indescriptible résonnait dans l'air, virevoltant entre les tiges et mes jambes avant de s'élever jusqu'à mes oreilles. Et en même temps je me faisais plus légère, mes talons quittaient le sol et bientôt je flottais au-dessus du champ de blé. Je me laissai porter, profitant de cette sensation de confort même si je ne comprenais pas le sens des paroles éthérées.
...Regarde...
Alors que les lettres se gravaient dans mon esprit, les terres se mettaient à défiler. Les champs devenaient des forêts, des collines et des vallées, des montagnes nacrées et des déserts dépenaillés. Et sporadiquement de petits points apparaissaient brièvement. Des hommes, des femmes et des enfants divers vaquaient à leurs occupations. Ils chassaient, cultivaient, filaient du tissu, riaient au bord d'une terrasse, ils pleuraient leurs membres disparus et célébraient l'avènement de vies nouvelles.
...Crois-tu qu'ils sachent pourquoi ils vivent ?...
Je ne savais pas quoi répondre, la question était en apparence claire mais elle sous-entendait quelque chose que je ne parvenais pas à saisir.
...Et moi, sais-tu pourquoi j'existe ?...
Moi ? Mais alors, cette voix.
...Oui, tu n'as jamais été seule... Moi comme tant d'autres, nous étions là avant ta naissance et nous demeurerons après ton départ...
La terre laissa place à la toile céleste. Au milieu du vide cosmique, des filaments s'étiraient à l'infini, parfois seuls, parfois entremêlés. Je suivais du regard cette fresque changeante aux lueurs multicolores. Intriguée, j'essayais de toucher l'un de ces fils avant de me rendre compte que j'étais assise sur l'un d'entre eux et que je glissais au milieu du ciel. Un peu plus loin, j'aperçus une pelote et instinctivement, je tirai sur le filament pour dévier ma trajectoire et je bifurquai vers un coin plus calme du tableau.
...Comprends-tu maintenant ?...
- Oui, je pense que je vois.
Je n'étais pas encore sûre mais je ne perdais rien à essayer. Je me laissai tomber du filament ondulant avant de l'attraper d'une main. Je reconnus directement cette sensation familière de matière qui s'écoulait subrepticement entre mes doigts. Devant moi, la mosaïque de fils continuait à s'étirer à perte de vue tel un canevas, et j'en étais le pinceau. De mes mains, je commençai à donner forme à la peinture, démêlant les amas et ordonnant les traits. Je continuai à m'évertuer jusqu'à obtenir ce que je pensais vouloir, quand je clignai des yeux, j'étais de retour dans le champ de blé, mais cette fois je vis des gens autour de moi et à travers leur esprit je perçus qu'ils faisaient la même chose. Tous n'avaient pas le même pinceau et ils n'arrivaient pas forcément à créer ce qu'ils voulaient, mais ils continuaient tout de même. Et c'est alors que je la vis, perchée sur une branche, une chouette noire qui me fixait du regard.
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La lumina rouvrit lentement les yeux, découvrant ce qui ressemblait à un mélange de poutres piètrement agencées au-dessus de sa tête. Une étrange sensation persistait, agréable au toucher mais différente de la couverture qui recouvrait d'ordinaire ses épaules quand elle avait la chance de dormir dans un lit. Ce n'est qu'en ressentant le léger clapotis provoqué par sa nuque qu'elle comprit qu'elle se trouvait en fait dans une sorte de bain. Elle tourna légèrement la tête et ses pupilles tombèrent sur une moitié de souche de bois d'où semblait émaner une douce mélodie. Suivant le fil ligneux elles remontèrent jusqu'à une créature au visage rond et aux yeux perçants, une chouette noire.
- Il suffit... J'ai assez dormi comme ça.
Iris se redressa jusqu'à avoir une position assise dans la baignoire improvisée avant de porter une main à son front. Lentement mais sûrement, des bribes de la veille lui remontaient et avec ça le souvenir de sa quête à Shoumeï. Et elle se rappela qu'elle avait terriblement faim, cela devait faire bientôt deux jours qu'elle n'avait rien avalé avec cette escapade effrénée jusqu'au rivage occidental des Rocheuses. C'était sans doute pour cela que la tête lui tournait maintenant qu'elle s'était relevée, son ventre criait famine. Décontenancée, elle se laissa lamentablement retomber au fond de la petite cuve, découvrant au passage que ses cheveux avaient été démêlés et brossés. D'une voix faible, elle lança à l'attention du sombre volatil.
- Ironique, je suis venue chercher conseil au sein de ces terres et quand je l'ai enfin trouvé, j'ai essayé de me détourner. Je ne peux encore affirmer que je vous confiance, Prince, mais je suis disposée à vous laisser une chance, si pas pour vous, au moins pour eux. finit-elle en montrant le masque accroché au mur du menton.
Elle essaya de se remémorer les détails de son rêve mais rien de concret ne parvenait à se dessiner, il s'était déjà dissipé dans les méandres du songe... à l'exception d'un détail, le seul qui importait vraiment peut-être. Maintenant qu'elle y réfléchissait, c'était sans doute l’œuvre du démon, mais pour rien au monde elle n'aurait désiré oublier cette imitation. Machinalement, elle sortit une main de l'eau et se mit à faire tournoyer un anneau de vent autour de son index avant d'ajouter.
- Je ne l'avais encore jamais entendu parler. Même si ce n'était qu'un rêve, c'est une expérience inoubliable. Je suis la preuve vivante qu'un élément peut manifester une âme mais ressentir l'élément lui-même... il ne m'en reste qu'une lointaine impression, et uniquement celle de ma génitrice. Est-ce là quelque chose qui vous parle, Prince ?
Iris rumina ses pensées quelques instants avant de reporter son attention vers des choses plus pressantes. Elle se leva tant bien que mal et posa un pied puis l'autre sur le sol en terre séchée. Une brusque bourrasque à la chaleur empruntée au bain vint l'essorer sommairement et elle se mit en quête de ses vêtement disposés dans un coin de la pièce. Elle se rhabilla péniblement sous les yeux de son hôte avant de se retourner vers ce dernier.
- Je vais devoir abuser encore un peu de votre hospitalité, si je n'avale pas vite quelque chose, il n'est pas dit que je vous serai d'une grande utilité dans les jours à venir, si tant est qu'il y ait un but pour moi ici.
CENDRES
Citoyen du monde
Rêve
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Lorsqu'Iris ouvrit les yeux et somma le Prince d'interrompre son chant, ce dernier obtempéra humblement pour poser ensuite sur elle ses yeux luminescents. Scrutant ses expressions avec une grande attention, il ne put s'empêcher de relever qu'il y avait dans les traits tirés de la lumina un soupçon d'apaisement, ce qui lui réchauffa inévitablement le cœur. Ses mots s'étaient également faits plus doux, moins tranchants, loin de cet esprit farouche avec lequel elle avait plus tôt laisser éclater une tempête d'émotions. Le rêve qu'il avait déformé par sa simple magie avait porté ses fruits, mais il ne faisait nullement office de véritable remède, au grand regret du Voyageur qui savait la tâche dantesque.
C'était pourtant un défi qu'il relevait, car telle était sa fonction.
Vinrent alors des questions concernant cette expérience mystique qu'elle avait vécu du fait de l'action de la bête onirique. Le prince bondit alors de son support, fit battre ses ailes prestement et lorsqu'il toucha le sol froid, il fut déjà métamorphosé. Arborant avec fierté l'un de ses déguisements les plus communs, il se présenta cette fois-ci sous la silhouette impressionnante que beaucoup lui connaissaient. Couvert d'un épais manteau de plumes constitué de ses immenses ailes rabattues, il avait la stature d'un homme fier et droit, dont le corps puissant était surmonté par la tête d'un mystérieux volatile au bec recourbé. Sa couleur, pourtant, n'était plus celle de ce voile stellaire qu'il avait arboré lors du précédent rituel. Son plumage sombre, dénué exceptionnellement de toute lueur cosmique, était tacheté par endroits de fines striures brunes, le faisant ainsi un peu plus à l'image de la pauvreté de ses suivants. Ses voix se firent entendre :
"Je n'ai pas eu l'occasion de te sculpter le rêve que tu méritais. Je t'ai simplement guidée vers ta lumière intérieure et j'ai fait taire le cauchemar qui semblait vouloir t'envahir. L'expérience que tu as vécu au sein du domaine onirique m'a échappée, j'en ai peur. J'ose espérer cependant qu'elle t'a réconforté."
Deux de ses fidèles vinrent aimablement porter à la jeune femme ses vêtements usés, qu'ils déposèrent dans un coin avant de s'éclipser. Le Voyageur leur offrit une humble révérence en guise de remerciements puis accorda à la lumina sa pleine attention, avant de reprendre :
"Ton peuple a été floué, trahi et meurtri tant de fois que je ne saurais t'en vouloir de te montrer méfiante. Les divinités ayant foulé vos terres n'ont qu'anéanti; elles ont pris encore et toujours sans jamais rendre en retour. Si je ne porte aucun jugement face à cet esprit revanchard qui semble les animer; il est temps désormais d'apaiser les flots de l'horreur et d'offrir aux éprouvés un peu de bonheur."
Ses yeux plongés dans ceux de son vis-à-vis, il conclut alors :
"Je ne te demande pas de prêter à mes mots une quelconque valeur. Vois plutôt par toi-même ce dont les tiens sont capables lorsque l'espoir vacillant renaît de ses cendres."
A l'image de ces âmes ayant choisi de faire face plutôt que de s'éteindre, l'être de lumière s'extirpa de la chaleur des eaux pour embrasser à nouveau la froideur du monde réel. Satisfait de la voir aussi diligente et heureux de la trouver en de meilleures dispositions qu'auparavant, le Prince vint glisser jusqu'à elle lorsqu'elle fut vêtue et consentit sans hésitation à lui offrir ce qu'elle réclamait.
"Je les considère tous comme mes enfants, mais aucun cœur ici ne m'appartient. Ils te nourriront non pas par égard pour moi, mais parce que tu es déjà des leurs."
Lorsqu'il poussa la voilure faisant office de porte, il l'invita à le suivre. Elle put constater, quelques instants plus tard, que son bien étrange guide avait joué encore une fois de ses nombreux talents en prenant cette fois l'apparence d'un cerf noir. Au centre du village que seule la lune éclairait lors de leur arrivée se tenait désormais un énorme feu servant à la cuisson du repas, qui se faisait traditionnellement en la présence de la communauté toute entière. Trop faibles et perdus pour chasser efficacement, ils avaient joui des enseignements d'autres amis du Prophète : des loups, des renards et de oiseaux de proie avec lesquels le Démon s'était lié au fil du temps. Une femme semblant présider la prière précédant le festin venait tout juste de prendre la parole :
"Ne pleurons pas ceux que nous avons arraché au monde d'aujourd'hui car dans celui qui suivra, ils festoieront tous à nos côtés."
Elle trancha alors la tête d'un lapin dont le corps était maculé de marques de crocs. La porte-parole du Prophète retourna s'installer auprès de sa famille sous le regard bienveillant de l'être chimérique, qui vint quant à lui glisser à sa nouvelle protégée :
"Ils sont forcés de tuer pour survivre. Nous rendons hommage aux sacrifiés en sachant que nous les retrouverons un jour."
Le cerf métamorphosé poussa une sorte de grognement qui ne manqua pas d'attirer l'attention des cuisiniers. Les concernés, non sans un certain empressement de circonstance, portèrent alors à Iris un plat de terre cuite contenant un peu de potage. Les ressources étaient minces, mais suffisantes pour voir un nouveau jour se lever.
C'était pourtant un défi qu'il relevait, car telle était sa fonction.
Vinrent alors des questions concernant cette expérience mystique qu'elle avait vécu du fait de l'action de la bête onirique. Le prince bondit alors de son support, fit battre ses ailes prestement et lorsqu'il toucha le sol froid, il fut déjà métamorphosé. Arborant avec fierté l'un de ses déguisements les plus communs, il se présenta cette fois-ci sous la silhouette impressionnante que beaucoup lui connaissaient. Couvert d'un épais manteau de plumes constitué de ses immenses ailes rabattues, il avait la stature d'un homme fier et droit, dont le corps puissant était surmonté par la tête d'un mystérieux volatile au bec recourbé. Sa couleur, pourtant, n'était plus celle de ce voile stellaire qu'il avait arboré lors du précédent rituel. Son plumage sombre, dénué exceptionnellement de toute lueur cosmique, était tacheté par endroits de fines striures brunes, le faisant ainsi un peu plus à l'image de la pauvreté de ses suivants. Ses voix se firent entendre :
"Je n'ai pas eu l'occasion de te sculpter le rêve que tu méritais. Je t'ai simplement guidée vers ta lumière intérieure et j'ai fait taire le cauchemar qui semblait vouloir t'envahir. L'expérience que tu as vécu au sein du domaine onirique m'a échappée, j'en ai peur. J'ose espérer cependant qu'elle t'a réconforté."
Deux de ses fidèles vinrent aimablement porter à la jeune femme ses vêtements usés, qu'ils déposèrent dans un coin avant de s'éclipser. Le Voyageur leur offrit une humble révérence en guise de remerciements puis accorda à la lumina sa pleine attention, avant de reprendre :
"Ton peuple a été floué, trahi et meurtri tant de fois que je ne saurais t'en vouloir de te montrer méfiante. Les divinités ayant foulé vos terres n'ont qu'anéanti; elles ont pris encore et toujours sans jamais rendre en retour. Si je ne porte aucun jugement face à cet esprit revanchard qui semble les animer; il est temps désormais d'apaiser les flots de l'horreur et d'offrir aux éprouvés un peu de bonheur."
Ses yeux plongés dans ceux de son vis-à-vis, il conclut alors :
"Je ne te demande pas de prêter à mes mots une quelconque valeur. Vois plutôt par toi-même ce dont les tiens sont capables lorsque l'espoir vacillant renaît de ses cendres."
A l'image de ces âmes ayant choisi de faire face plutôt que de s'éteindre, l'être de lumière s'extirpa de la chaleur des eaux pour embrasser à nouveau la froideur du monde réel. Satisfait de la voir aussi diligente et heureux de la trouver en de meilleures dispositions qu'auparavant, le Prince vint glisser jusqu'à elle lorsqu'elle fut vêtue et consentit sans hésitation à lui offrir ce qu'elle réclamait.
"Je les considère tous comme mes enfants, mais aucun cœur ici ne m'appartient. Ils te nourriront non pas par égard pour moi, mais parce que tu es déjà des leurs."
Lorsqu'il poussa la voilure faisant office de porte, il l'invita à le suivre. Elle put constater, quelques instants plus tard, que son bien étrange guide avait joué encore une fois de ses nombreux talents en prenant cette fois l'apparence d'un cerf noir. Au centre du village que seule la lune éclairait lors de leur arrivée se tenait désormais un énorme feu servant à la cuisson du repas, qui se faisait traditionnellement en la présence de la communauté toute entière. Trop faibles et perdus pour chasser efficacement, ils avaient joui des enseignements d'autres amis du Prophète : des loups, des renards et de oiseaux de proie avec lesquels le Démon s'était lié au fil du temps. Une femme semblant présider la prière précédant le festin venait tout juste de prendre la parole :
"Ne pleurons pas ceux que nous avons arraché au monde d'aujourd'hui car dans celui qui suivra, ils festoieront tous à nos côtés."
Elle trancha alors la tête d'un lapin dont le corps était maculé de marques de crocs. La porte-parole du Prophète retourna s'installer auprès de sa famille sous le regard bienveillant de l'être chimérique, qui vint quant à lui glisser à sa nouvelle protégée :
"Ils sont forcés de tuer pour survivre. Nous rendons hommage aux sacrifiés en sachant que nous les retrouverons un jour."
Le cerf métamorphosé poussa une sorte de grognement qui ne manqua pas d'attirer l'attention des cuisiniers. Les concernés, non sans un certain empressement de circonstance, portèrent alors à Iris un plat de terre cuite contenant un peu de potage. Les ressources étaient minces, mais suffisantes pour voir un nouveau jour se lever.
Invité
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L'espoir vacillant renaissant de ses cendres... Un sentiment louable certes, mais qui n'était que le prélude d'une bien plus longue symphonie dont on oubliait trop souvent le ton. Raviver la braise était une chose, maintenir le feu nouveau était un périple ardu dont il avaient à peine effleuré les premiers pavés, et la route s'étirant au loin était au mieux traitre et tortueuse, au pire un piège dissimulé qui ne demandait qu'à se refermer sur les courageux pèlerins. La lumina n'espérait pas trouver une réponse à cette question dans les profondes prunelles de l'être onirique, il ne se souciait sans doute pas du chemin, lui dont la foi était absolue en ses ambitions, qui avait toutes les réponses dont il avait besoin.
L'encadrement sommaire de ce qui était l'entrée de la hutte révéla un semblant de village, ou un début de chantier bâti sur des ruines dépendant de l'interprétation qu'on en faisait. C'était déroutant de voir la terre cuite modeler les restes de ce qui avaient été des maisons faites intégralement de bois, affligeant peut-être de constater de simples voilures remplacer les tuiles et la savante charpente de ces demeures. Mais en quelque sorte, de cette manière, les fidèles du Démon s'étaient appropriés ce lieu étranger, ils avaient fait leur ce qu'Iris avait connu sous une autre apparence. L'accepteraient-ils vraiment d'eux-mêmes ? La lumina se doutait qu'ils n'oseraient pas la rejeter tant que l'être changeant à ses côtés la protègerait, mais elle n'était pas l'une des leurs. Contrairement à eux, elle n'accordait aucune valeur à ces rites primitifs, elle ne voilait pas son visage derrière un masque de bois pour prier une créature au-delà de sa compréhension. Contrairement à eux, elle avait une expérience séculaire, une pléthore de connaissances, un pouvoir incommensurable que peu de mortels pouvaient revendiquer. Il lui suffirait de se propulser et elle laisserait la désolation derrière elle, libre de voguer vers l'inconnu, libre de retourner aux ténèbres.
- Je pourrais vous prendre au mot, Prince. Je ne crois pas qu'un seul cœur ici présent soit libre, même si vous êtes sincèrement convaincu du contraire. dit-elle sèchement avant de radoucir son ton. - Non, pas un seul... Mais si nous l'étions, aucun d'entre nous ne serait ici. Je suppose que c'est un prix à payer, et qu'on le fasse consciemment ou non importe peu.
D'un pas hésitant, la lumina suivit l'être onirique aux traits de cerf à l'extérieur. Elle s'était certes remise de son périple éveillé, mais son corps était toujours faible et fébrile. Il criait famine et chaque foulée menaçait de le disloquer, renvoyant son propriétaire au sol. Heureusement, le trajet était court et elle avait à faire à un hôte particulièrement charitable. ils arrivèrent sans encombre sur la place centrale ou trônait un grand brasier et une série de victuailles en train de bouillir et de grésiller.
Une nouvelle prière allait être livrée avant le repas et Iris n'avait guère d'autre choix que d'y assister. Tandis que celle qui faisait office de prêtresse récitait ses paroles, elle mutila le corps sans vie d'un petit animal. Bien qu'elle soit nouvelle venue, Iris ne put s'empêcher de questionner intérieurement le spectacle sordide auquel elle était en train d'assister. Cette démonstration était-elle vraiment nécessaire ? Sûrement, un autre fidèle aurait pu s'atteler aux corvées culinaires plutôt que de laisser cette femme œuvrer en plein public ? Instinctivement, elle détourna légèrement la tête quand la lame trancha le cou de la pauvre bête, peinant à retenir une expression de dégoût, le travail était bien trop crû et brutal. Elle se promit d'en toucher un mot aux concernés plus tard, leur cuisine méritait plus de finesse que ça.
Et le démon qui continuait à lui expliquer la signification du rite. C'était un sentiment bien sinistre à partager pour des hommes qui avaient apparemment choisi d'aller de l'avant. Cela-dit, honorer les défunts était la chose la moins étrange qu'ils aient pu faire jusque là même si la situation ne s'y prêtait guère, surtout pour des bêtes sauvages dont ils ignoraient tout. Elle se contenta d'hocher de la tête, elle ne se sentait de remettre en cause un enseignement de plus de son hôte, pas immédiatement en tout cas.
On s'empressa de lui apporter un plat de terre cuite avec du potage. Le récipient était de facture maladroite mais en l'état, elle ne pouvait pas se plaindre. Après un remerciement discret, elle porta le liquide à ses lèvres et en avala une première gorgée. C'était loin d'être le plus mauvais potage qu'elle ait eu la malchance de goûter en pleine nature, certes ses papilles l'avaient habituée à mieux depuis le retour de la paix, mais ce n'était pas désagréable et ce n'était certainement pas son ventre creux qui ferait la fine bouche. Elle eut la sensation de retrouver peu à peu des couleurs au fur et à mesure qu'elle vidait son bol, sa bouche se fit moins sèche, ses yeux moins lourds et la radiance qui émanait perpétuellement de sa peau reprit de l'éclat.
Autour d'elle, les autres fidèles savouraient également leur maigre repas. La scène était assez austère, même si leur dévotion était forte, leurs mines restaient ternes. Il était évident qu'ils avaient beaucoup souffert pour atteindre cet endroit et leur propre santé ne tenait qu'à un fil. Elle attendit que la dernière marmite ait quitté le brasier pour lever sa main libre. De ses doigts s'écoula alors un bruissement qui glissa sur le sol en terre battue avant de se faufiler entre les braises, ravivant les lueurs orangées du bois charbonné. Le feu ronfla de plaisir et les flammes s'élevèrent à nouveau.
- De quoi me faire pardonner, il fait encore froid ici. dit-elle en posant son plat à terre et en portant sa deuxième main devant elle alors qu'elle se relevait pour porter toute son attention sur l'insaisissable corps ardent.
Son esprit commanda et ses doigts exécutèrent, le feu informe qui batifolait gaiement vit ses extrémités guidées par les courants d'air, ce qui était une masse exubérante devint une colonne chatoyante qui concentrait la chaleur à son sommet, qu'une multitude de brises dispersa alors en dôme autour des fidèles, apportant un peu plus de chaleur à la communauté avant les premiers rayons de l'aurore. L'exercice était compliqué mais elle s'efforça de le maintenir aussi longtemps qu'elle le pouvait avec un sourire crispé, c'était le moins qu'elle puisse faire pour ces malheureux.
Au final, le combustible lâcha prise avant elle. Il fallait dire qu'elle avait exhorté les ultimes braises à se consumer pour effectuer ce tour d'adresse. Voyant les flammes mourir, elle relâcha enfin sa concentration et se rassit à même le sol. Ce n'était pas l'idée la plus brillante qu'elle ait eue de se démener de la sorte. Il allait falloir remédier à la pauvreté des ressources et vite. Heureusement, ils étaient échoués dans le Doreï, la mer n'était jamais loin et avec elle ses ressources inépuisables.
- Prince, je ne sais pas quels projets vous avez pour cet endroit mais si je ne m'abuse, le rivage ne devrait pas être à plus d'un jour de marche. Si vous voulez que cet endroit prospère, vous aurez besoin de tout ce que vous pouvez trouver. J'ai acquis un certain talent pour la mer, quand j'aurai repris des forces, il serait peut-être judicieux de songer à cette possibilité.
CENDRES
L'encadrement sommaire de ce qui était l'entrée de la hutte révéla un semblant de village, ou un début de chantier bâti sur des ruines dépendant de l'interprétation qu'on en faisait. C'était déroutant de voir la terre cuite modeler les restes de ce qui avaient été des maisons faites intégralement de bois, affligeant peut-être de constater de simples voilures remplacer les tuiles et la savante charpente de ces demeures. Mais en quelque sorte, de cette manière, les fidèles du Démon s'étaient appropriés ce lieu étranger, ils avaient fait leur ce qu'Iris avait connu sous une autre apparence. L'accepteraient-ils vraiment d'eux-mêmes ? La lumina se doutait qu'ils n'oseraient pas la rejeter tant que l'être changeant à ses côtés la protègerait, mais elle n'était pas l'une des leurs. Contrairement à eux, elle n'accordait aucune valeur à ces rites primitifs, elle ne voilait pas son visage derrière un masque de bois pour prier une créature au-delà de sa compréhension. Contrairement à eux, elle avait une expérience séculaire, une pléthore de connaissances, un pouvoir incommensurable que peu de mortels pouvaient revendiquer. Il lui suffirait de se propulser et elle laisserait la désolation derrière elle, libre de voguer vers l'inconnu, libre de retourner aux ténèbres.
- Je pourrais vous prendre au mot, Prince. Je ne crois pas qu'un seul cœur ici présent soit libre, même si vous êtes sincèrement convaincu du contraire. dit-elle sèchement avant de radoucir son ton. - Non, pas un seul... Mais si nous l'étions, aucun d'entre nous ne serait ici. Je suppose que c'est un prix à payer, et qu'on le fasse consciemment ou non importe peu.
D'un pas hésitant, la lumina suivit l'être onirique aux traits de cerf à l'extérieur. Elle s'était certes remise de son périple éveillé, mais son corps était toujours faible et fébrile. Il criait famine et chaque foulée menaçait de le disloquer, renvoyant son propriétaire au sol. Heureusement, le trajet était court et elle avait à faire à un hôte particulièrement charitable. ils arrivèrent sans encombre sur la place centrale ou trônait un grand brasier et une série de victuailles en train de bouillir et de grésiller.
Une nouvelle prière allait être livrée avant le repas et Iris n'avait guère d'autre choix que d'y assister. Tandis que celle qui faisait office de prêtresse récitait ses paroles, elle mutila le corps sans vie d'un petit animal. Bien qu'elle soit nouvelle venue, Iris ne put s'empêcher de questionner intérieurement le spectacle sordide auquel elle était en train d'assister. Cette démonstration était-elle vraiment nécessaire ? Sûrement, un autre fidèle aurait pu s'atteler aux corvées culinaires plutôt que de laisser cette femme œuvrer en plein public ? Instinctivement, elle détourna légèrement la tête quand la lame trancha le cou de la pauvre bête, peinant à retenir une expression de dégoût, le travail était bien trop crû et brutal. Elle se promit d'en toucher un mot aux concernés plus tard, leur cuisine méritait plus de finesse que ça.
Et le démon qui continuait à lui expliquer la signification du rite. C'était un sentiment bien sinistre à partager pour des hommes qui avaient apparemment choisi d'aller de l'avant. Cela-dit, honorer les défunts était la chose la moins étrange qu'ils aient pu faire jusque là même si la situation ne s'y prêtait guère, surtout pour des bêtes sauvages dont ils ignoraient tout. Elle se contenta d'hocher de la tête, elle ne se sentait de remettre en cause un enseignement de plus de son hôte, pas immédiatement en tout cas.
On s'empressa de lui apporter un plat de terre cuite avec du potage. Le récipient était de facture maladroite mais en l'état, elle ne pouvait pas se plaindre. Après un remerciement discret, elle porta le liquide à ses lèvres et en avala une première gorgée. C'était loin d'être le plus mauvais potage qu'elle ait eu la malchance de goûter en pleine nature, certes ses papilles l'avaient habituée à mieux depuis le retour de la paix, mais ce n'était pas désagréable et ce n'était certainement pas son ventre creux qui ferait la fine bouche. Elle eut la sensation de retrouver peu à peu des couleurs au fur et à mesure qu'elle vidait son bol, sa bouche se fit moins sèche, ses yeux moins lourds et la radiance qui émanait perpétuellement de sa peau reprit de l'éclat.
Autour d'elle, les autres fidèles savouraient également leur maigre repas. La scène était assez austère, même si leur dévotion était forte, leurs mines restaient ternes. Il était évident qu'ils avaient beaucoup souffert pour atteindre cet endroit et leur propre santé ne tenait qu'à un fil. Elle attendit que la dernière marmite ait quitté le brasier pour lever sa main libre. De ses doigts s'écoula alors un bruissement qui glissa sur le sol en terre battue avant de se faufiler entre les braises, ravivant les lueurs orangées du bois charbonné. Le feu ronfla de plaisir et les flammes s'élevèrent à nouveau.
- De quoi me faire pardonner, il fait encore froid ici. dit-elle en posant son plat à terre et en portant sa deuxième main devant elle alors qu'elle se relevait pour porter toute son attention sur l'insaisissable corps ardent.
Son esprit commanda et ses doigts exécutèrent, le feu informe qui batifolait gaiement vit ses extrémités guidées par les courants d'air, ce qui était une masse exubérante devint une colonne chatoyante qui concentrait la chaleur à son sommet, qu'une multitude de brises dispersa alors en dôme autour des fidèles, apportant un peu plus de chaleur à la communauté avant les premiers rayons de l'aurore. L'exercice était compliqué mais elle s'efforça de le maintenir aussi longtemps qu'elle le pouvait avec un sourire crispé, c'était le moins qu'elle puisse faire pour ces malheureux.
Au final, le combustible lâcha prise avant elle. Il fallait dire qu'elle avait exhorté les ultimes braises à se consumer pour effectuer ce tour d'adresse. Voyant les flammes mourir, elle relâcha enfin sa concentration et se rassit à même le sol. Ce n'était pas l'idée la plus brillante qu'elle ait eue de se démener de la sorte. Il allait falloir remédier à la pauvreté des ressources et vite. Heureusement, ils étaient échoués dans le Doreï, la mer n'était jamais loin et avec elle ses ressources inépuisables.
- Prince, je ne sais pas quels projets vous avez pour cet endroit mais si je ne m'abuse, le rivage ne devrait pas être à plus d'un jour de marche. Si vous voulez que cet endroit prospère, vous aurez besoin de tout ce que vous pouvez trouver. J'ai acquis un certain talent pour la mer, quand j'aurai repris des forces, il serait peut-être judicieux de songer à cette possibilité.
CENDRES
Citoyen du monde
Rêve
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Les yeux du cervidé s'illuminaient à chaque regain d'éclat du feu de bois que faisait croître et danser la Lumina. La voir ainsi reprendre des forces et des couleurs emplissait de joie le cœur noir de la bête chimérique et cette dernière observait avec un apaisement à toute épreuve le spectacle resplendissant que lui offrait son invitée. Les braises maniées par le flux magique n'attirèrent pas l'attention que du Voyageur et, bien vite, les visages éteints des survivants se tournèrent tous avec une honnête curiosité pour s'orienter vers le feu qu'on eut dit animé d'une volonté propre. Les conversations marmonnées s'étaient tues et c'était dans un silence respectueux que chacun profitait de ce moment de félicité que leur avait amené leur guide.
La Lumina ne s'en doutait peut être pas, mais elle renforçait par cette simple prestation la foi aveugle des fidèles du Prince. Il leur avait promis de les ouvrir à la beauté du Monde, il leur avait assuré que demain serait plus beau qu'hier et jusqu'à présent, le volatile aux mille visages avait tenu parole. Une cultiste s'approcha de Rêve et agrippa doucement le pelage illusoire de sa nuque, ce qui ne manqua pas d'attirer l'attention du Démon déguisé. Tournant légèrement la tête vers la nouvelle-venue, il lui dit :
"Qu'y a-t-il, mon enfant ?"
Un timide sourire aux lèvres, la demoiselle qui sollicitait son mentor s'approcha un peu de lui et vint se blottir contre son cou immense, lui offrant ainsi une embrassade qu'il lui rendit fébrilement d'un léger mouvement de tête. Alors qu'elle noyait son visage dans ses poils, elle lui fit enfin part de ses états d'âme en tâchant de se montrer discrète.
"A-t-elle foi en vous ou en elle, Prince ?"
Le cerf demeura muet quelques instants et ses yeux indéchiffrables se portèrent à nouveau sur la magicienne qui s'évertuait à faire survivre le feu mourant. Il y eut un flottement durant lequel rien d'autre que le brasier ne parut se mouvoir puis, après avoir rassemblé ses pensées, Rêve répondit avec assurance :
"Quelle différence, chère amie ? Croire en moi, c'est croire en votre propre potentiel. Vous m'avez ainsi fait."
La réponse sembla satisfaire la rescapée dont la dévotion était absolue. Son sourire s'élargit puis, après avoir posé un baiser furtif sur le front de la bête obscure, la jeune femme s'éloigna en direction de l'une des tentes bâties à la hâte et disparut dans les ombres. Rêve réalisa alors qu'il la suivait des yeux que les flammes avaient perdu de leur superbe mais que les rayons du soleil se frayaient déjà un chemin par delà l'horizon. Un frisson parcourt alors l'échine du Démon. Diantre, combien de temps cette petite était-elle parvenu à maintenir ce tour de magie ? C'était tout bonnement exceptionnel.
Iris baissa enfin les bras et retourna tranquillement s'installer aux côtés de l'animal mythique, puis elle vint lui faire une nouvelle proposition qui ne manqua pas de le ravir. A l'aube de ce nouveau jour, il était empli d'un espoir pleinement renouvelé. Le cerf s'affaissa doucement sur lui-même et sa forme changea, se déformant sans un bruit pour décroître en dimensions. Les bois immenses s'enfoncèrent dans son crâne et en une poignée de secondes, l'énorme mammifère devint un chat noir au poil épais et aux yeux violacés. La petite gueule du félin s'entrouvrit et les deux voix de Rêve se firent à nouveau entendre :
"Ta bienveillance n'est plus à démontrer, voyageuse. Nous te suivrons et tâcherons de nous imprégner au mieux de ta sagesse et de tes enseignements."
Iris sentit alors un poids bien réel s'abattre sur ses épaules. Une peau de mouton taillée et cousue, particulièrement chaude et confortable, avait été déposée sur elle. La responsable de ce cadeau, qui n'était autre que la jeune cultiste qui avait disparu plus tôt, repassa devant la lumina en lui offrant un chaleureux sourire puis s'éclipsa pour aller rassembler les assiettes creuses laissées ça et là autour du feu de camp. Rêve accorda à sa fidèle attentionnée un hochement de tête en guise de remerciement, puis il s'approcha lentement d'Iris et déposa sur sa main tiède une patte velue, avant d'ajouter :
"Tu ne leur dois rien, mais tu leur donnes tout..."
Elle comprenait sans mal "qu'ils" n'étaient pas seulement les membres de cette petite troupe et que Rêve faisait allusion à son passé. Les yeux d'améthyste de la créature se rivèrent vers les prunelles de la lumina puis, avec cette éternelle douceur, il conclut par une question :
"Quelles sont mes réelles intentions, selon toi ?"
La Lumina ne s'en doutait peut être pas, mais elle renforçait par cette simple prestation la foi aveugle des fidèles du Prince. Il leur avait promis de les ouvrir à la beauté du Monde, il leur avait assuré que demain serait plus beau qu'hier et jusqu'à présent, le volatile aux mille visages avait tenu parole. Une cultiste s'approcha de Rêve et agrippa doucement le pelage illusoire de sa nuque, ce qui ne manqua pas d'attirer l'attention du Démon déguisé. Tournant légèrement la tête vers la nouvelle-venue, il lui dit :
"Qu'y a-t-il, mon enfant ?"
Un timide sourire aux lèvres, la demoiselle qui sollicitait son mentor s'approcha un peu de lui et vint se blottir contre son cou immense, lui offrant ainsi une embrassade qu'il lui rendit fébrilement d'un léger mouvement de tête. Alors qu'elle noyait son visage dans ses poils, elle lui fit enfin part de ses états d'âme en tâchant de se montrer discrète.
"A-t-elle foi en vous ou en elle, Prince ?"
Le cerf demeura muet quelques instants et ses yeux indéchiffrables se portèrent à nouveau sur la magicienne qui s'évertuait à faire survivre le feu mourant. Il y eut un flottement durant lequel rien d'autre que le brasier ne parut se mouvoir puis, après avoir rassemblé ses pensées, Rêve répondit avec assurance :
"Quelle différence, chère amie ? Croire en moi, c'est croire en votre propre potentiel. Vous m'avez ainsi fait."
La réponse sembla satisfaire la rescapée dont la dévotion était absolue. Son sourire s'élargit puis, après avoir posé un baiser furtif sur le front de la bête obscure, la jeune femme s'éloigna en direction de l'une des tentes bâties à la hâte et disparut dans les ombres. Rêve réalisa alors qu'il la suivait des yeux que les flammes avaient perdu de leur superbe mais que les rayons du soleil se frayaient déjà un chemin par delà l'horizon. Un frisson parcourt alors l'échine du Démon. Diantre, combien de temps cette petite était-elle parvenu à maintenir ce tour de magie ? C'était tout bonnement exceptionnel.
Iris baissa enfin les bras et retourna tranquillement s'installer aux côtés de l'animal mythique, puis elle vint lui faire une nouvelle proposition qui ne manqua pas de le ravir. A l'aube de ce nouveau jour, il était empli d'un espoir pleinement renouvelé. Le cerf s'affaissa doucement sur lui-même et sa forme changea, se déformant sans un bruit pour décroître en dimensions. Les bois immenses s'enfoncèrent dans son crâne et en une poignée de secondes, l'énorme mammifère devint un chat noir au poil épais et aux yeux violacés. La petite gueule du félin s'entrouvrit et les deux voix de Rêve se firent à nouveau entendre :
"Ta bienveillance n'est plus à démontrer, voyageuse. Nous te suivrons et tâcherons de nous imprégner au mieux de ta sagesse et de tes enseignements."
Iris sentit alors un poids bien réel s'abattre sur ses épaules. Une peau de mouton taillée et cousue, particulièrement chaude et confortable, avait été déposée sur elle. La responsable de ce cadeau, qui n'était autre que la jeune cultiste qui avait disparu plus tôt, repassa devant la lumina en lui offrant un chaleureux sourire puis s'éclipsa pour aller rassembler les assiettes creuses laissées ça et là autour du feu de camp. Rêve accorda à sa fidèle attentionnée un hochement de tête en guise de remerciement, puis il s'approcha lentement d'Iris et déposa sur sa main tiède une patte velue, avant d'ajouter :
"Tu ne leur dois rien, mais tu leur donnes tout..."
Elle comprenait sans mal "qu'ils" n'étaient pas seulement les membres de cette petite troupe et que Rêve faisait allusion à son passé. Les yeux d'améthyste de la créature se rivèrent vers les prunelles de la lumina puis, avec cette éternelle douceur, il conclut par une question :
"Quelles sont mes réelles intentions, selon toi ?"
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Iris ne répondit pas immédiatement. Les paroles du Prince se voulaient sans doute encourageantes mais elle n'était pas encore sûre de la bonne façon de procéder même si c'était elle qui avait proposé l'idée, sans compter que la foi qu'elle avait en sa propre sagesse était au plus bas. En vérité, elle n'était même pas certaine que ce soit réalisable. En admettant que le rivage soit à un jour de marche au pire, ça représenterait deux jours pour acheminer les produits de la mer jusqu'au camp des fidèles en plus du temps passé à travailler sur la berge. Tant de temps pendant lequel les courageux seraient vulnérables faces aux dangers anciens et nouveaux d'un Doreï plus sauvage que jamais. Et même en admettant qu'il existe, ou qu'ils puissent se frayer un passage sûr, il resterait encore à leur apprendre comment dompter la mer. Installer un filet, manier une canne à pêche, planter des poteaux, préparer des appâts... Tout un art qui prenait du temps à se transmettre et qu'elle était loin de parfaitement maitriser, quand elle ne trichait pas purement et simplement avec ses compétences élémentaires pour se procurer une prise.
Inconsciemment, le regard de la lumina se perdit dans les braises tandis que son esprit essayait de démêler un problème qui s'avérait de plus en plus épineux. Elle ramena ses genoux devant elle et y déposa ses bras croisés ainsi que son menton, perdue dans sa réflexion. Combien de temps s'était-il écoulé depuis la dernière fois qu'elle avait consacré autant d'efforts à une énigme autre que musicale ou magique ? Et le démon qui avait loué sa sagesse, ô ce qu'il pouvait se méprendre s'il croyait véritablement à une telle louange. Dans une autre vie, elle aurait joué une telle histoire à un public avide de rimes et de rythme, à présent elle était l'héroïne de ce même récit.
Ce n'est que lorsque ses épaules furent assaillies par un poids soudain que son attention émergea à nouveau de son propre subconscient. Quelqu'un venait de la couvrir. Surprise, elle releva la tête pour découvrir le visage radieux d'une jeune dame qui s'en alla ensuite s'affairer autour des restes du feu de camp. Elle aurait pu lui dire qu'une telle délicatesse n'était pas nécessaire, que sa nature élémentaire et sa longue vie passée au gré des éléments l'avaient rendue imperméable aux lubies du climat. Elle aurait pu également s'excuser d'avoir précipité l'étouffement des braises qui tenaient le froid à l'écart. Mais le simple fait de voir qu'elle avait redonné le sourire à une âme en peine suffit à réveiller quelque chose depuis longtemps enfoui. Elle se contenta de lui rendre silencieusement le sourire et d'accepter la peau qui lui avait été offerte. Puis le démon aux milles visages qui avait de nouveau changé de stature reprit la parole et finit par lui poser une question, bien plus terrible que son problème de poissons.
- Vos réelles intentions ?
Les mots se réverbéraient désormais dans sa tête. Il y avait tant de réponses possibles, elle ne pouvait même pas affirmer la véracité de ses propos alors ce qu'il pensait véritablement... Était-ce un test pour jauger sa crédulité, une requête sincère, ou autre chose encore ? Elle fit machinalement jouer la peau entre ses doigts pendant qu'elle réfléchissait, rassemblant le peu de connaissances qu'elle avait sur les machinations démoniaques.
- En supposant que vous soyez effectivement le Démon, ou le Prince des rêves si on suit la coutume de vos fidèles, prémisse que je suis prête à accepter... je vois deux possibilités. Soit vous cherchez à fonder un culte en amassant des âmes qui ont besoin de s'évader de la réalité de notre monde, soit vous essayez de mener ces mêmes âmes à reconstituer le tissu de leurs rêves dans le monde tangible. Quoi qu'il en soit, vos intérêts se cachent dans nos esprits endormis mais je ne saurais rien affirmer de plus.
Iris essaya de scruter le violet infini des orbites du chat qui lui faisait office d'interlocuteur, sans succès. Les vérités étaient dissimulées sous un voile sombre et épais, et nul doute qu'à chaque instant passé à se perdre dans cet horizon, le gris de cendre bordant ses propres prunelles dévoilait un peu plus ses secrets à elle. Elle finit par détourner le regard pour le reporter sur les cendres du feu de camp. Au final, la réponse importait peu dans l'immédiat, si ce démon avait pour but de tous les perdre, ils étaient pour l'heure à sa merci.
Elle se releva, toujours avec la peau jetée par-dessus les épaules. Les rayons du matin pointaient entre les branches à l'est du village et cette nouvelle journée s'annonçait fort différente de ce que la lumina aurait pu imaginer. Elle avait un but concret et beaucoup de questions en suspens, de quoi repousser pour un temps la misère qui l'accablait. La première chose à faire, c'était de comprendre où ils se trouvaient. Elle était encore faible, mais un simple bond était encore dans ses capacités. L'or enveloppa sa cape improvisée avant de se déployer en excroissances éthérées, deux ailes luminescentes qui accompagnèrent sa brève ascension au-dessus des cimes. Et son intuition allait être récompensée, à l'horizon, couronnés par l'astre montant, les pics annonçant la frontière orientale montaient vers le ciel, ce qui signifiait qu'en prenant la route avec ces montagnes à leur gauche, ils finiraient par trouver la mer, et elle était certainement plus proche que ce qu'elle avait anticipé.
- Si ma mémoire du Doreï est bonne, et j'ose espérer qu'elle l'est, la mer se trouve dans cette direction. dit-elle en pointant l'une des extrémités du village au chat tandis qu'elle redescendait.
- J'ai parlé avec trop d'empressement, c'est une entreprise dangereuse pour les gens présents ici, mais avec suffisamment de préparatifs, on devrait pouvoir en tirer quelque chose.
Et après une pause, elle ajouta. - Détrompez-vous, je leur devais des excuses pour mon arrivée inopinée et je ne supporterais pas de les voir mourir de faim après m'avoir recueillie, tout comme je vous dois d'avoir pu assister à un nouveau lever de soleil.
Iris rabaissa sa main pour rattraper la peau qui avait subrepticement commencé à glisser de ses épaules. Encore un peu et elle finirait pas s'y attacher, dommage que ce soit peu commode à transporter surtout quand son seul bagage était une val...
Elle tressaillit violemment malgré la chaleur de sa couverture. Sa valise lui était complètement sortie de la tête et la dernière chose dont elle se souvenait, c'était sa chute vertigineuse dont elle avait miraculeusement réchappé. La valise lui avait sans-doute glissé des mains quand sa magie l'a lâchée, et si cette supposition était véridique, son bien reposait sans doute quelque part dans les environs du village. L'horreur s'empara de la lumina à tel point qu'elle en eut le souffle coupé. Son violon séculaire reposait là-dedans, et à l'heure qu'il est il n'était probablement plus qu'un tas de copeaux misérablement rattachés par une série de cordes métalliques. Iris serra la peau aussi fort qu'elle le pouvait avant de tomber à genoux.
- Oh non... Tout mais pas ça. J'imagine que personne n'a aperçu ma valise quand je suis tombée ? Elle... elle doit être quelque part dans les environs. Les vents me gardent... dit-elle enfin d'une voix tremblante.
CENDRES
Inconsciemment, le regard de la lumina se perdit dans les braises tandis que son esprit essayait de démêler un problème qui s'avérait de plus en plus épineux. Elle ramena ses genoux devant elle et y déposa ses bras croisés ainsi que son menton, perdue dans sa réflexion. Combien de temps s'était-il écoulé depuis la dernière fois qu'elle avait consacré autant d'efforts à une énigme autre que musicale ou magique ? Et le démon qui avait loué sa sagesse, ô ce qu'il pouvait se méprendre s'il croyait véritablement à une telle louange. Dans une autre vie, elle aurait joué une telle histoire à un public avide de rimes et de rythme, à présent elle était l'héroïne de ce même récit.
Ce n'est que lorsque ses épaules furent assaillies par un poids soudain que son attention émergea à nouveau de son propre subconscient. Quelqu'un venait de la couvrir. Surprise, elle releva la tête pour découvrir le visage radieux d'une jeune dame qui s'en alla ensuite s'affairer autour des restes du feu de camp. Elle aurait pu lui dire qu'une telle délicatesse n'était pas nécessaire, que sa nature élémentaire et sa longue vie passée au gré des éléments l'avaient rendue imperméable aux lubies du climat. Elle aurait pu également s'excuser d'avoir précipité l'étouffement des braises qui tenaient le froid à l'écart. Mais le simple fait de voir qu'elle avait redonné le sourire à une âme en peine suffit à réveiller quelque chose depuis longtemps enfoui. Elle se contenta de lui rendre silencieusement le sourire et d'accepter la peau qui lui avait été offerte. Puis le démon aux milles visages qui avait de nouveau changé de stature reprit la parole et finit par lui poser une question, bien plus terrible que son problème de poissons.
- Vos réelles intentions ?
Les mots se réverbéraient désormais dans sa tête. Il y avait tant de réponses possibles, elle ne pouvait même pas affirmer la véracité de ses propos alors ce qu'il pensait véritablement... Était-ce un test pour jauger sa crédulité, une requête sincère, ou autre chose encore ? Elle fit machinalement jouer la peau entre ses doigts pendant qu'elle réfléchissait, rassemblant le peu de connaissances qu'elle avait sur les machinations démoniaques.
- En supposant que vous soyez effectivement le Démon, ou le Prince des rêves si on suit la coutume de vos fidèles, prémisse que je suis prête à accepter... je vois deux possibilités. Soit vous cherchez à fonder un culte en amassant des âmes qui ont besoin de s'évader de la réalité de notre monde, soit vous essayez de mener ces mêmes âmes à reconstituer le tissu de leurs rêves dans le monde tangible. Quoi qu'il en soit, vos intérêts se cachent dans nos esprits endormis mais je ne saurais rien affirmer de plus.
Iris essaya de scruter le violet infini des orbites du chat qui lui faisait office d'interlocuteur, sans succès. Les vérités étaient dissimulées sous un voile sombre et épais, et nul doute qu'à chaque instant passé à se perdre dans cet horizon, le gris de cendre bordant ses propres prunelles dévoilait un peu plus ses secrets à elle. Elle finit par détourner le regard pour le reporter sur les cendres du feu de camp. Au final, la réponse importait peu dans l'immédiat, si ce démon avait pour but de tous les perdre, ils étaient pour l'heure à sa merci.
Elle se releva, toujours avec la peau jetée par-dessus les épaules. Les rayons du matin pointaient entre les branches à l'est du village et cette nouvelle journée s'annonçait fort différente de ce que la lumina aurait pu imaginer. Elle avait un but concret et beaucoup de questions en suspens, de quoi repousser pour un temps la misère qui l'accablait. La première chose à faire, c'était de comprendre où ils se trouvaient. Elle était encore faible, mais un simple bond était encore dans ses capacités. L'or enveloppa sa cape improvisée avant de se déployer en excroissances éthérées, deux ailes luminescentes qui accompagnèrent sa brève ascension au-dessus des cimes. Et son intuition allait être récompensée, à l'horizon, couronnés par l'astre montant, les pics annonçant la frontière orientale montaient vers le ciel, ce qui signifiait qu'en prenant la route avec ces montagnes à leur gauche, ils finiraient par trouver la mer, et elle était certainement plus proche que ce qu'elle avait anticipé.
- Si ma mémoire du Doreï est bonne, et j'ose espérer qu'elle l'est, la mer se trouve dans cette direction. dit-elle en pointant l'une des extrémités du village au chat tandis qu'elle redescendait.
- J'ai parlé avec trop d'empressement, c'est une entreprise dangereuse pour les gens présents ici, mais avec suffisamment de préparatifs, on devrait pouvoir en tirer quelque chose.
Et après une pause, elle ajouta. - Détrompez-vous, je leur devais des excuses pour mon arrivée inopinée et je ne supporterais pas de les voir mourir de faim après m'avoir recueillie, tout comme je vous dois d'avoir pu assister à un nouveau lever de soleil.
Iris rabaissa sa main pour rattraper la peau qui avait subrepticement commencé à glisser de ses épaules. Encore un peu et elle finirait pas s'y attacher, dommage que ce soit peu commode à transporter surtout quand son seul bagage était une val...
Elle tressaillit violemment malgré la chaleur de sa couverture. Sa valise lui était complètement sortie de la tête et la dernière chose dont elle se souvenait, c'était sa chute vertigineuse dont elle avait miraculeusement réchappé. La valise lui avait sans-doute glissé des mains quand sa magie l'a lâchée, et si cette supposition était véridique, son bien reposait sans doute quelque part dans les environs du village. L'horreur s'empara de la lumina à tel point qu'elle en eut le souffle coupé. Son violon séculaire reposait là-dedans, et à l'heure qu'il est il n'était probablement plus qu'un tas de copeaux misérablement rattachés par une série de cordes métalliques. Iris serra la peau aussi fort qu'elle le pouvait avant de tomber à genoux.
- Oh non... Tout mais pas ça. J'imagine que personne n'a aperçu ma valise quand je suis tombée ? Elle... elle doit être quelque part dans les environs. Les vents me gardent... dit-elle enfin d'une voix tremblante.
CENDRES
Citoyen du monde
Rêve
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Pour la toute première fois depuis terriblement longtemps, un frisson mêlant stupeur et inquiétude vint parcourir l'échine de la bête légendaire. C'était une peur nouvelle, bien au delà de ce qu'il ressentait de façon superficielle lors de ses habituelles pérégrinations. Il se sentait percé à jour, et cela ne lui convenait guère. Si elle n'était pas la première à déceler la nature de ses machinations, qu'elle le fasse avec une telle désinvolture éveillait chez l'entité surnaturelle un effroi certain. Était il si transparent ? Était ce sa nature de Démon qui le condamnait à de tels soupçons ou avait-il véritablement commis une erreur dans son approche de l'étrangère ?
Allait elle pervertir ce troupeau qu'il s'était évertué à former avec tant de précautions ?
Inadmissible.
Les poils du chat dont la bête avait volé l'enveloppe se dressèrent doucement le long de sa colonne vertébrale et, par endroits, ils se scindèrent doucement pour redevenir de minuscules plumes noires. L'impassible masque félin qu'il arborait ne se déformait pas le moins du monde malgré la surprise et les grands yeux d'améthyste se contentaient d'explorer l'océan niché dans les pupilles d'Iris. "reconstituer le tissu de leurs rêves dans le monde tangible" avait elle dit. Qu'impliquaient ces mots ? Était ce une façon alambiquée d'exprimer les désirs profonds qu'avaient les rescapés de voir renaître les souvenirs précieux qu'ils gardaient à l'abri aux confins de leur psyché, ou était ce autre chose ?
Venait elle de mettre le doigt sur l'exacte nature des projets de la chimère ?
Son plan, trop parfait selon lui pour être un jour endigué par les impériaux enragés, n'en était pour l'heure qu'à ses premiers balbutiements. S'il était identifié prestement par l'un des agents du dragon du fait d'un abandon de ses premiers croyants, il était voué à s'éteindre aussi brusquement qu'avait été anéantie sa précédente conquête. Rendu plus hostile à l'opposition par cet échec qu'avait subi sa première élaboration, il en devenait naturellement moins tolérant avec les potentiels perturbateurs.
Un espion impérial n'aurait pourtant pas pris le risque d'informer sa cible de ses propres soupçons, ou peut-être que si, justement pour brouiller les pistes en prononçant sciemment des mots qu'il n'aurait jamais dû dire ? Les êtres conscients avaient conçu le mensonge et Rêve était lui-même devenu un si habile manipulateur, c'était justement parce qu'il les avaient instinctivement imités après sa conception. En l'absence d'éléments concernant l'allégeance de l'être de lumière, il était difficile pour le Démon de statuer afin d'établir une opinion éclairée sur le sujet. Ses doutes, néanmoins, se faisaient chaque instant plus persistants et tenaces.
Silencieux malgré la tempête de questions qui tentaient de se frayer un chemin dans ses pensées, le Démon onirique sondait la demoiselle, cherchant à décrypter par delà le voile d'insouciance qu'elle arborait un soupçon d'une éventuelle malice parfaitement dissimulée. Il explora un peu plus le palais intérieur de la demoiselle, s'imprégnant d'une part superficielle de ses expériences récentes, cherchant à s'accaparer des mémoires offrant un quelconque indice quant à sa compréhension ou à sa connaissance des événements qu'avait planifié l'engeance démoniaque. Il ne vit rien de probant lors de cette furtive étude mais cela ne leva en rien ses soupçons et n'apaisa pas une goutte de son anxiété grimpante.
Le Prince était pour beaucoup de ses fidèles une créature assimilable au divin, un être merveilleux de sa silhouette jusqu'à ses plus profondes aspirations et mû par une volonté de faire progresser l'Homme en dépit des ouragans qu'ils rencontraient sur leurs parcours. Il était certes fait d'une incommensurable quantité de rêves éblouissants mais certains tendaient à oublier qu'il était autant né des plus belles fantaisies que des plus atroces cauchemars. Rêve était une anomalie, un être parfaitement équilibré et pourtant plus extrême que les mortels ne pouvaient le concevoir. En tant que faiseur de miracles et semeur d'horreur, il était animé parfois par de bien sombres pulsions. Paranoïa, arrogance, fierté déplacée, tant de sentiments obscurs de par leur essence qu'il découvrait à peine; cette fois-ci loin des balcons dorés depuis lesquels il observait les rêveurs. C'était la seconde fois depuis le commencement de son entreprise qu'on venait à remettre en cause les fondements de sa quête. Deux fois de trop.
Ils cessèrent de se dévisager après un long moment passé à s'inspecter l'un et l'autre et si Iris donnait déjà l'impression d'avoir écarté ce premier sujet pour se centrer sur le suivant, le Voyageur quant à lui peinait à se dissocier de ses sordides impressions. La lumina s'éloigna de son bienfaiteur aux traits d'animal et bondit dans les airs en matérialisant une paire d'ailes splendides sur son corps si fragile et pourtant, encore empli de vie. L'observant alors qu'elle s'envolait, il laissa échapper entre ses crocs un murmure que bien peu eurent l'opportunité d'entendre :
"Extraordinaire..."
Elle l'était. Au delà des craintes sans doute infondées qui effritaient le calme intérieur de la créature, Rêve admettait sans mal que cette sorcière enfantée par une lumière ancienne était aussi talentueuse que formidablement intelligente. C'était pour cette raison qu'il ne pouvait se résoudre à s'en remettre au destin. Quoi qu'il puisse en coûter, il en aurait le cœur net. La Lumina redescendit des cieux pour se poser tout près de la chimère qui l'accueillit malgré ses obscures pensées avec ces voix fantastiques qu'étaient les siennes :
"Ton audace est louable, au demeurant. Un travail de longue haleine nous attend mais, fort heureusement, les cœurs vaillants qui peuplent ce lieu ont l'habitude de relever des défis."
Quelques instants plus tard, l'opportunité qu'attendait la bête se présenta. Les iris du félin devinrent des fentes au premier éclat de voix paniqué de la Lumina. Cherchant à comprendre ce qui avait éveillé en elle une telle montée d'angoisse, le chat se dressa sur ses quatre pattes et se rapprocha d'Iris, puis s'immobilisant un moment comme s'il cherchait à se remémorer le potentiel emplacement dudit violon. Après cet instant de silence pesant, il releva la tête et posa sa patte contre le genou de son interlocutrice puis, sans le moindre changement dans son ton enjôleur, Rêve répondit :
"Nous avons bel et bien survolé ton paquetage lors de notre voyage. Ton état était inquiétant, nous t'avons donc escortée au plus vite et nous n'avons malencontreusement pas pris le temps de ramener tes possessions avec nous. Je doute que le vent l'ait emporté."
Le Démon s'éloigna de quelques pas puis sa silhouette velue se fit légèrement confuse, se déformant peu à peu tout en perdant en volume. Une paire d'ailes apparut et vint battre dans le vide à deux reprises puis, dans un froissement de poils devenus plumes, l'être revêtant désormais l'apparence d'un corbeau reprit son discours :
"Trouvons le au plus vite. Quoi qu'il contienne, je ne désire pas te savoir alarmée par sa perte."
Invité
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Sa vision se faisait trouble, le sol pourtant si proche basculait de gauche à droite et l'oxygène se refusait à sa poitrine. Inconsciemment, elle avait tellement resserré sa poigne que ses ongles menaçaient de lui percer les paumes. La peau se tordait de plus en plus entre ses doigts, cherchant désespérément à échapper à la pression qui essayait de la contraindre. D'une voix muette, elle hurlait son mécontentement en se tortillant sur le dos de la lumina, véritable animal enragé se débattant pour survivre. Mais rien n'y faisait, les mains viraient au rouge, la respiration de plus en plus saccadée tournait au hoquet fracturé et la silhouette se faisait de plus en plus recroquevillée sur le sol.
Quelque chose s'était brisé en elle en même temps que son imagination avait reconstruit l'image de la valise fracassée. Pour peu, elle aurait pu sentir les échardes sifflantes lui cribler la peau tant les spasmes s'étaient emparés de son corps gracile. Mais la douleur n'était pas le plus terrible des fléaux qui s'était abattu sur elle, l'horreur qui prenait possession de son cœur était une sensation bien pire encore. Le violon en éclats, c'était la dernière attache de sa jeunesse qui se dissolvait dans le brouillard épais de sa mémoire, l'ultime lanterne qui venait de s'éteindre dans l'horizon incertain. En d'autres circonstances, elle aurait été surprise d'accorder autant d'importance à un tel vestige du passé, le long fleuve de son existence ne pouvait possiblement se soucier de la berge qu'il avait longée au commencement de son lit. N'était ce pas cette capacité à avancer qui lui avait permis d'endurer l'éternel courant ? Et pourtant, en cet instant, plus rien n'avait d'importance sinon ce bout de bois gravé et ce qu'il représentait.
Et une fois de plus, le démon aux innombrables apparences allait s'efforcer de la réconforter. Il avait pris la forme d'un corbeau, probablement pour pouvoir se rendre utile, mais ce plumage d'un noir de jais ne siérait guère au ton qu'il utilisait, son sein se voulait bien plus doux que le revêtement lugubre de cet animal annonciateur de malheur. Cela-dit, Il aurait tout de même l'effet escompté, la simple possibilité de sauver ce qui ne pouvait l'être était une raison suffisante pour que la lumina se calme et se relève. Et quand bien même ce serait en vain, le simple fait de se savoir accompagnée, la sensation de ne pas être seule dans cette épreuve, le sentiment que quelqu'un capable de la comprendre serait à ses côtés, ça lui suffisait.
- Dans ce cas... il vaut sans doute mieux que nous nous hâtions, vos fidèles n'ont pas à subir ce spectacle.
En effet, ils ne méritaient pas de gaspiller leur précieux temps d'éveil pour la folle lubie d'une inconnue qui les avait maltraités autant qu'elle ne les avait aidés, d'autant plus qu'ils n'étaient pas à même de cerner la nature de sa détresse. Le Prince des rêves l'eut-il voulu qu'ils se seraient lancés corps et âme à la recherche du site sinistré, peut-être même qu'ils seraient heureux de porter assistance à cette nouvelle bienfaitrice qu'ils avaient acceptée parmi eux, mais ils ne seraient pas capable de voir au-delà de la surface, leur aide aussi bien fondée soit-elle serait creuse.
Une adrénaline bouillante avait remplacé le froid et l'engourdissement, et sa vision demeurait encore floue, la fatigue avait été chassée par la sueur et l'émotion. Une dizaine de minutes plus tôt elle se sentait à peine capable d'un bond, à présent une puissance aveugle coulait dans ses veines, des langues de feu pulsaient sous sa peau tandis que des perles de glace s'évaporaient de son front trempé de sueur. La poussière, le gravier, la terre et la roche, tout se mit à grincer sous sa semelle alors que des vagues élémentaires se rassemblaient. Nul besoin de ces parures dorées qu'étaient ses ailes de lumière, toute sa peau irradiait d'or pur entrecoupé de stries et dans un flash aveuglant, cette silhouette désormais surréelle disparut du sol, emportée par un tourbillon de vent tonnant.
Pour ceux qui réussirent à reprendre leurs esprits et à lever leurs yeux au ciel, la vue fut à couper le souffle. Ce n'était pas Iris qu'ils voyaient là-haut, c'était un déchainement de puissance tel que Sekaï n'en avait plus vu depuis que la terre s'était ouverte en deux et que le ciel s'était fendu sous le poids de l'apocalypse. Ce qu'ils voyaient, c'était la forme la plus pure de cet être nimbé de lumière, une forme brillante et clignotante, stridente et cinglante, et effroyablement calme. Chaque mouvement était un ordre parfaitement exécuté, l'air se pliait et se retournait pour accomplir sa volonté et nulle ténèbres ne viendraient obstruer son illustre présence.
Le monde resta ainsi figé devant elle, retenant son souffle jusqu'à ce que finalement le corbeau vienne la rejoindre, permettant au temps de reprendre son cours. Iris aurait été incapable de reconnaitre l'emplacement de sa chute, tout s'était déroulé dans un trou noir de fatigue extrême, seuls subsistaient les souvenirs de sa chute et du monde qui tournoyait autour d'elle. La prévoyance du prince était décidément sans limites s'il avait réussi à retrouver la trace de cette valise dans le noir de la nuit. Dès que la route à suivre lui fut indiquée, elle rétorqua.
- Avec un tel couvert forestier, même en connaissant l'emplacement exact de ma chute, la recherche risque de prendre du temps, mes affaires gisent sans doute à plusieurs foulées de mon point d'impact. Elle s'arrêta pour jauger le corbeau chimérique avant de reprendre. - Puissent ces ailes chimériques vous porter aussi bien que ma propre magie. En avant !
D'un geste de menton, Iris s'élança vers la canopée, laissant une traînée de poussière étincelante derrière elle. Les arbres se mirent à défiler à toute vitesse tandis que les cimes ployaient sous l'assaut de la bourrasque. C'était à se demander comment elle avait réussi à éviter les branches lors de sa course vers le sol, les vertes couronnes étaient denses et nombreuses, c'était proprement miraculeux qu'elle ait réchappé de cet épisode pratiquement sans éraflure.
Elle ne s'était pas échouée bien loin mais il aurait été plus simple de retrouver une aiguille dans une botte de foin sans les indications du corbeau qui la suivait, des indications qu'il...
Une graine de doute germa dans l'esprit de la lumina. Comment ce démon pouvait-il savoir ? Les mots ressurgirent dans sa tête. Survoler ? Escorter ? Le premier était hautement improbable, mais le second n'était rien d'autre qu'une exagération destinée à la manipuler. Elle avait atteint seule le site du rituel, portée par la clameur des fidèles, elle avait pratiquement perdu connaissance sur le palier de leurs maisons. La seule explication plausible aurait été qu'il ait fouillé sa mémoire par le biais de ses rêves mais c'était lui accorder trop de confiance, confiance qu'elle peinait à lui accorder et qui venait de s'envoler.
Mais s'il était effectivement en train de lui mentir, où la menait-il ? Et pourquoi choisir une voie aussi pernicieuse quand son éloquence avait été aussi efficace ?
Un tressaillement lui parcourut l'échine alors que les questions spiralaient et se succédaient dans sa tête. Elle se figea dans les airs et se retourna vers la créature aux milles visages, fixant son faux bec luisant d'un regard dur, mais aussi désemparé.
- Menteur... Quel est cet arôme de malice qui enrobe vos paroles de miel ? Vos fidèles n'ont jamais posé les yeux sur mes possessions et je ne puis affirmer que vous même l'ayez fait. Pourquoi m'avoir fait venir ici dans ce cas ? Sa voix monta d'un cran. - Qu'attendez-vous de moi, prince, que je réalise que mon héritage est perdu ? Qu'il ne reste de moi qu'une coquille vide à remodeler selon vos désirs ?
La dernière phrase siffla dans la colère et le désarroi. - Qu'est ce qui se cache derrière cette toile onirique, qu'attendez-vous de moi, de nous tous ? Répondez !
CENDRES
Quelque chose s'était brisé en elle en même temps que son imagination avait reconstruit l'image de la valise fracassée. Pour peu, elle aurait pu sentir les échardes sifflantes lui cribler la peau tant les spasmes s'étaient emparés de son corps gracile. Mais la douleur n'était pas le plus terrible des fléaux qui s'était abattu sur elle, l'horreur qui prenait possession de son cœur était une sensation bien pire encore. Le violon en éclats, c'était la dernière attache de sa jeunesse qui se dissolvait dans le brouillard épais de sa mémoire, l'ultime lanterne qui venait de s'éteindre dans l'horizon incertain. En d'autres circonstances, elle aurait été surprise d'accorder autant d'importance à un tel vestige du passé, le long fleuve de son existence ne pouvait possiblement se soucier de la berge qu'il avait longée au commencement de son lit. N'était ce pas cette capacité à avancer qui lui avait permis d'endurer l'éternel courant ? Et pourtant, en cet instant, plus rien n'avait d'importance sinon ce bout de bois gravé et ce qu'il représentait.
Et une fois de plus, le démon aux innombrables apparences allait s'efforcer de la réconforter. Il avait pris la forme d'un corbeau, probablement pour pouvoir se rendre utile, mais ce plumage d'un noir de jais ne siérait guère au ton qu'il utilisait, son sein se voulait bien plus doux que le revêtement lugubre de cet animal annonciateur de malheur. Cela-dit, Il aurait tout de même l'effet escompté, la simple possibilité de sauver ce qui ne pouvait l'être était une raison suffisante pour que la lumina se calme et se relève. Et quand bien même ce serait en vain, le simple fait de se savoir accompagnée, la sensation de ne pas être seule dans cette épreuve, le sentiment que quelqu'un capable de la comprendre serait à ses côtés, ça lui suffisait.
- Dans ce cas... il vaut sans doute mieux que nous nous hâtions, vos fidèles n'ont pas à subir ce spectacle.
En effet, ils ne méritaient pas de gaspiller leur précieux temps d'éveil pour la folle lubie d'une inconnue qui les avait maltraités autant qu'elle ne les avait aidés, d'autant plus qu'ils n'étaient pas à même de cerner la nature de sa détresse. Le Prince des rêves l'eut-il voulu qu'ils se seraient lancés corps et âme à la recherche du site sinistré, peut-être même qu'ils seraient heureux de porter assistance à cette nouvelle bienfaitrice qu'ils avaient acceptée parmi eux, mais ils ne seraient pas capable de voir au-delà de la surface, leur aide aussi bien fondée soit-elle serait creuse.
Une adrénaline bouillante avait remplacé le froid et l'engourdissement, et sa vision demeurait encore floue, la fatigue avait été chassée par la sueur et l'émotion. Une dizaine de minutes plus tôt elle se sentait à peine capable d'un bond, à présent une puissance aveugle coulait dans ses veines, des langues de feu pulsaient sous sa peau tandis que des perles de glace s'évaporaient de son front trempé de sueur. La poussière, le gravier, la terre et la roche, tout se mit à grincer sous sa semelle alors que des vagues élémentaires se rassemblaient. Nul besoin de ces parures dorées qu'étaient ses ailes de lumière, toute sa peau irradiait d'or pur entrecoupé de stries et dans un flash aveuglant, cette silhouette désormais surréelle disparut du sol, emportée par un tourbillon de vent tonnant.
Pour ceux qui réussirent à reprendre leurs esprits et à lever leurs yeux au ciel, la vue fut à couper le souffle. Ce n'était pas Iris qu'ils voyaient là-haut, c'était un déchainement de puissance tel que Sekaï n'en avait plus vu depuis que la terre s'était ouverte en deux et que le ciel s'était fendu sous le poids de l'apocalypse. Ce qu'ils voyaient, c'était la forme la plus pure de cet être nimbé de lumière, une forme brillante et clignotante, stridente et cinglante, et effroyablement calme. Chaque mouvement était un ordre parfaitement exécuté, l'air se pliait et se retournait pour accomplir sa volonté et nulle ténèbres ne viendraient obstruer son illustre présence.
Le monde resta ainsi figé devant elle, retenant son souffle jusqu'à ce que finalement le corbeau vienne la rejoindre, permettant au temps de reprendre son cours. Iris aurait été incapable de reconnaitre l'emplacement de sa chute, tout s'était déroulé dans un trou noir de fatigue extrême, seuls subsistaient les souvenirs de sa chute et du monde qui tournoyait autour d'elle. La prévoyance du prince était décidément sans limites s'il avait réussi à retrouver la trace de cette valise dans le noir de la nuit. Dès que la route à suivre lui fut indiquée, elle rétorqua.
- Avec un tel couvert forestier, même en connaissant l'emplacement exact de ma chute, la recherche risque de prendre du temps, mes affaires gisent sans doute à plusieurs foulées de mon point d'impact. Elle s'arrêta pour jauger le corbeau chimérique avant de reprendre. - Puissent ces ailes chimériques vous porter aussi bien que ma propre magie. En avant !
D'un geste de menton, Iris s'élança vers la canopée, laissant une traînée de poussière étincelante derrière elle. Les arbres se mirent à défiler à toute vitesse tandis que les cimes ployaient sous l'assaut de la bourrasque. C'était à se demander comment elle avait réussi à éviter les branches lors de sa course vers le sol, les vertes couronnes étaient denses et nombreuses, c'était proprement miraculeux qu'elle ait réchappé de cet épisode pratiquement sans éraflure.
Elle ne s'était pas échouée bien loin mais il aurait été plus simple de retrouver une aiguille dans une botte de foin sans les indications du corbeau qui la suivait, des indications qu'il...
Une graine de doute germa dans l'esprit de la lumina. Comment ce démon pouvait-il savoir ? Les mots ressurgirent dans sa tête. Survoler ? Escorter ? Le premier était hautement improbable, mais le second n'était rien d'autre qu'une exagération destinée à la manipuler. Elle avait atteint seule le site du rituel, portée par la clameur des fidèles, elle avait pratiquement perdu connaissance sur le palier de leurs maisons. La seule explication plausible aurait été qu'il ait fouillé sa mémoire par le biais de ses rêves mais c'était lui accorder trop de confiance, confiance qu'elle peinait à lui accorder et qui venait de s'envoler.
Mais s'il était effectivement en train de lui mentir, où la menait-il ? Et pourquoi choisir une voie aussi pernicieuse quand son éloquence avait été aussi efficace ?
Un tressaillement lui parcourut l'échine alors que les questions spiralaient et se succédaient dans sa tête. Elle se figea dans les airs et se retourna vers la créature aux milles visages, fixant son faux bec luisant d'un regard dur, mais aussi désemparé.
- Menteur... Quel est cet arôme de malice qui enrobe vos paroles de miel ? Vos fidèles n'ont jamais posé les yeux sur mes possessions et je ne puis affirmer que vous même l'ayez fait. Pourquoi m'avoir fait venir ici dans ce cas ? Sa voix monta d'un cran. - Qu'attendez-vous de moi, prince, que je réalise que mon héritage est perdu ? Qu'il ne reste de moi qu'une coquille vide à remodeler selon vos désirs ?
La dernière phrase siffla dans la colère et le désarroi. - Qu'est ce qui se cache derrière cette toile onirique, qu'attendez-vous de moi, de nous tous ? Répondez !
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