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Citoyen de La République
Pancrace Dosian
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Parfois, je me demande pourquoi rien n’est jamais simple.
Tout doit toujours faire l’affaire de rebondissements dans tous les sens, là où il serait pourtant si plaisant d’entrer dans une pièce, de passer les menottes au coupable, qui avouerait tout gentiment, puis nous suivrait au poste et irait tout droit au Razkaal ou n’importe quelle autre prison adaptée à son cas. Mais non, on retrouve des criminels de la pègre, et il faut les convaincre d’aller en taule. On tombe sur des voleurs en flagrant délit, et il faut les persuader de finir en cellule. On trouve une charrette mal garée, et il faut amener le contrevenant à se rendre au commissariat. On dégote un clochard sans papiers, et il faut prêcher jusqu’à ce qu’on soit dans une salle d’interrogatoire glauque.
On se fait de ses tendinites, un truc de fou. Si le code pénal était moins lourd, aussi...
« Ouais, j’y vois, t’inquiète pas pour moi. Putain, y’a des moments, j’me dis que j’aurais mieux fait de rester chez moi. Au moins, le marché est clair. Faut juste s’assurer que l’autre survive. »
La nyctalopie prend le relai des bougies souffreteuses, éteintes l’une après l’autre pour laisser que deux maigres lueurs à côté du Saint, qui est pris d’une quinte de toux grasse qui se transforme en rire à mesure que les Siffleurs entrent dans la cave au bout du dédale qu’ils connaissent probablement mieux que le dos de leur main. Là où ils avaient initialement la banane et la certitude du surnombre, le fait de voir toute notre joyeuse bande de mercenaires qui les attend les arrête bien vite, et y’a un bruissement de murmures jusqu’à ce qu’un homme force son chemin à travers la foule.
Il prend la mesure des personnes en présence, et à voir nos mines sombres et les armes qu’on a en main, il comprend que, pour lui non plus, rien n’est aussi simple qu’il voudrait. Son regard fiévreux et son bras en bandoulière avec un tas de bandages au niveau du poignet devraient pourtant constituer un bon indice de tout ça. Et toujours le Saint qui rigole derrière, comme s’il venait d’entendre la meilleure blague de sa vie.
« Qui êtes-vous et que faites-vous là ? Demande le bras droit sans main droite.
- Juste des gens qui passaient par là. »
Il nous observe salement.
« Du coup, vous pouvez me laisser le vieux et son garde ?
- Il nous a justement proposé un échange de bons procédés...
- Je peux doubler la mise. »
J’avoue que y’a une part de tentation à accepter l’offre pour s’épargner un affrontement qui sera forcément brouillon et douloureux dans l’obscurité relative des souterrains. D’un autre côté, est-ce que le repreneur du gang aurait intérêt à tout cracher sur ses collègues à des inconnus qui ont manifestement la mine patibulaire et l’envie d’en découdre ? Vraiment pas sûr. On échange un regard avec Juste, et on est arrivé à la même conclusion : le Saint, abandonné et esseulé, sans plus de sbires ni d’autre perspective que celle de quitter la ville au plus vite, l’envie de vengeance au coeur, aussi, devrait être bien plus à même de nous donner les informations dont on a besoin pour retrouver, enfin et peut-être, le stock de contrebande de Juste.
« Nan, désolé, on va tenter notre chance ici. »
Il sert les dents, le bras droit, et fait signe de charger.
Je dirais bien que l’empoigne est élégante, structurée. C’est pas le cas. On se retrouve rapidement avec une mêlée embrouillée où je peine à distinguer mes amis de mes ennemis, même si j’y vois presque comme en plein jour. Le souci, c’est qu’à part Juste, je remets à peine les gueules des autres, à part les plus moches du lot. Alors, la gueule couverte de sang à rouler par terre, autant dire que j’préfère ne pas m’aventurer à dégommer quelqu’un qui pourrait être mon allié.
Les gourdins sonnent avec des coups sourds, les lames des couteaux brillent d’un éclat métallique, et une volée de carreaux d’arbalète sort de la monstruosité de Juste. J’la fais suivre de quelques projectiles magiques qui envoient au tapis, les épaules ou les genoux réduits en charpie, les criminels qui rôdaient au fond ou qui cherchaient à nous décocher des flèches ou des coups de fronde dessus. Le senseur s’affole avec toutes les magies mineures qui se déchaînent, mais j’reste prudemment derrière.
D’un regard, J’fais apparaître un mur d’ombre devant le Saint, juste avant que trois pierres ne s’écrasent sur son crâne et ne réduisent ce qu’il contient à l’état de bouillie grise et sanguinolente. Puis une autre vague de ténébres roule le long du sol, empêche tout le monde de voir ses pieds, se solidifie doucement autour des belligérants, jusqu’à ce que toute la situation se fige, et que j’libère petit à petit ceux qui sont de mon côté.
Juste réapparaît à l’autre bout, derrière les lignes ennemies, et disparaît brièvement de ma vision avant de se manifester un peu plus loin, alors que trois cultistes supplémentaires tombent au sol, un couteau chacun planté entre les omoplates. Les deux derniers lèvent les mains en l’air en signe de reddition, et le bras droit tente de reprendre l’escalier en sens inverse, mais une balayette de mon chef de contrebande à moi l’envoie au sol. Le surin posé sur sa carotide l’aide à se figer avec une jambe levée de façon ridicule, qu’il repose doucement.
Le chevalier shoumeïen reprend son souffle, son épée rougie par le sang des impies ou quelque chose comme ça, et on en profite pour faire l’inventaire des blessures de notre côté. J’passe un regard rapide, mais j’me sens pas plus concerné que ça. Y’en a deux ou trois qui sont restés sur le carreau, je crois bien, et un qui a l’air franchement pas en forme, avec les cheveux nattés de sang, le nez cassé, et les deux mains qui pressent fortement sur l’intérieur de sa cuisse. Si c’est la fémorale, on va pas le revoir de sitôt. Un gros barraqué l’aide vers la sortie sur un signe de Juste.
Bon, vont sûrement lui trouver un toubib.
Le voile d’ombre qui protégeait le Saint retombe, et lui qui était si hilare auparavant nous jauge avec une méfiance bien naturelle : s’il voulait affaiblir les deux partis et tirer son épingle du jeu, c’est râpé. Juste vient de poser négligemment son arbalète sur son épaule, et j’étouffe un bâillement. Puis ses yeux se posent sur ses traîtres, et il fait un signe de la main. Le premier tombe, la gorge transpercée par une aiguille d’eau, tandis que le second se fait décapiter par le croisé shoumeïen. Le dernier se jette au sol, à genoux, en signe de supplication.
La goutte d’eau qui tombe bloque ses voies respiratoires, et il a beau griffer, son nez et sa bouche restent couverts sous nos regards d’abord désintéressés, ensuite distants. A la fin, j’attends en carrant les épaules, puis il arrête enfin de remuer. C’est toujours horriblement long, les asphyxies et les noyades. J’soupire. Bon, c’est des criminels qui se tuent entre eux. Pas mon problème. Enfin, va être temps que le gus tienne ses promesses.
« Je vois que vous avez su...
- Ouais, ouais. Alors, les Siffleurs et la Congrégation ? Et le stock de contrebande. »
Il prend une respiration sifflante.
« Pour la marchandise, on a d’autres locaux sous une brasserie désaffectée à l’angle de la rue de la Butte aux Choucas et de l’avenue du Quinze. Elle s’appelle la Butte Perdue. »
Je crois bien qu’on a l’essentiel. Mais, quand même, par instinct professionnel, j’me dis que ça serait pas mal de chopper quelques informations supplémentaires si les gangs de tarés divinistes se mettent à sacrifier des bouts de barbaque. C’est que ça commence avec des morceaux de cadavre, et que ça finit avec des enfants qu’on attrape à la sortie de l’école ou des putes qui tapinent. Autant dire que c’est toujours bien, de prendre un coup d’avance.
« Et le reste ? »
Nouvelle quinte de toux. Nouvelle inspiration sifflante.
Il est foutu de nous clamser entre les pattes, ce con.
Citoyen de La République
Carl Sorince
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Info personnage
Race: Humain
Vocation: Guerrier assassin
Alignement: Neutre Mauvais
Rang: C
“Je suis maudit, vois-tu. Marqué du sceau de l'apostasie par une centaine de frères et de sœurs qui préfèrent emprunter la voie de la guerre directe plutôt que par celle de la victoire par la conversion.
Il y a une…mésentente entre nous. Je veux dire, entre les membres de la Congrégation. Beaucoup, comme cet imbécile qui gît à nos pieds, ont vu dans l'attaque de l'assemblée un signal, quelque chose qui nécessitait un changement de stratégie parmi nos rangs. Nous, qui souhaitions tous, avant, partager nos croyances, nous voici rongés par des guerres intestines. Des escarmouches incessantes, ressemblant à n'importe quel règlement de compte entre gangs athées. L'élégance nous est interdite, de même que la réflexion. Mes camarades préfèrent maintenant les murmures enjôleurs de l'obscurantisme inepte, tout simplement parce que l'assemblée a emporté avec elle - dans sa défaite - nos anciens dirigeants. Je ne sais qui sortira victorieux de ce nouveau schisme mais ce qui est certain, c'est que les miens ne sont plus. Ceux qui ne sont pas tombés iront garnir les rangs des autres sectes de la Congrégation. Et puis lesdites sectes continueront de s’entre-déchirer. Frère contre frère. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
Maudit sois-je, oui…pour avoir permis ce nouveau blasphème.”
Les paroles du sinistre illuminé résonnaient dans le crâne de Carl. Cette voix enrouée par les glaires remontant à chacun de ses quintes de toux avait été accompagnée d’un tremblement si familier, d’un accent si doux à ses oreilles pour un exilé comme lui. Et pourtant Carl avait détesté chaque partie de son insupportable logorrhée. Les vieilles croyances avaient-elles tant la vie dure pour que même après l’assassinat de leur propre pays par les dieux eux-mêmes, ses anciens voisins persistent à croire en de tels mensonges ? L'Assemblée et ses sbires s'étaient arrogées les services des plus influentes sectes Shoumeïennes implantées en ville, et tout ça au nom de quoi? Loin d'être concerné par cette farce, Carl n'avait suivi que de très loin le drame de l'inondation et de tout ce qui s'en était suivi, mais la défaite évidente des croyants ne faisait aucun doute.
Ils étaient tombés. Encore. Pour rien. Pour provoquer encore plus de chaos parmi les survivants de la folie des dieux, qui s'écharpaient maintenant dans l’ombre, comme tous les autres malfrats, dans l’indifférence général de républicains n’ayant jamais rien compris aux idéaux du défunt pays.
Pourtant, tandis qu’ils traversaient les faubourgs terreux des quartiers shoumeiens sous le regard des traînes savates et des crèves-la-faim, Carl ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il devait bien y avoir quelque chose à tirer de tout ça. Tant de couteaux tirés, tant de tueurs à la foi vacillante, de prêcheurs assez désespérés pour prendre les armes…ça pouvait faire de bonnes recrues, une fois canalisées.
Restait à trouver comment. Puisque ceux-là ne vénéraient ni l’or, ni la violence, il suffisait de leur trouver une déité à prier.
L’idée valait foutrement le coup d’être creusée, en tout cas.
Slick jurait derrière-lui, sa gueule à-demi couverte de cicatrice se tordant à chaque pas qu’il faisait. Un vilain coup de gourdin dans la jambière lui avait fait tourner la rotule dans le mauvais sens. Pour protester face à ce mauvais traitement, ses lames s’étaient empressées de s’enfouir dans les orbites de son agresseur, qui était mort sans trop protester, une fois les deux pointes des dagues bien plantées dans son cerveau trop petit. L’échauffourée ne leur avait pas coûté grand chose, même si Darius allait devoir congédier quelques-uns de leurs coupe-jarrets survivants, trop amochés pour être encore efficaces. Alexey était resté sur place, avec le vieux-pas-si-vieux qui leur servait d’informateur, son garde silencieux et Joshua. A eux deux, Spectre et brute épaisse étaient bien suffisants pour rappeler à leurs vis-a-vis que la mortalité concernait même les Dévots, si jamais ces derniers décidaient de leur faire faux bond ou, plus simplement, si leurs informations ne s’avéraient pas bonnes.
“-J'ai jamais été très nationaliste, tu sais.” Cracha-t-il à l'intention de Pancrace, tandis qu'ils dépassaient une charrue tirée par un bœuf efflanqué. “Mais j'avoue que ça fait mal de les voir se débattre comme ça au nom des vieilles croyances. Apparemment, l'anéantissement de notre pays n'a pas suffit à leur faire comprendre que les dieux étaient surtout de toutes puissantes têtes de cons.”
Slick laissa un soufflement de nez amusé témoigner de ce qu'il pensait de cette histoire et Darius renifla bruyamment en essuyant d'un revers de poignet le sang qui séchait en-dessous de son nez.
“-Les sectes, c'était déjà un problème à la grande époque.”Ajouta le vétéran après avoir craché un glaviot rouge.
“-Mais elles étaient pas dirigées par des vioques cintrés ou des sorcières.” Les yeux verts se plissèrent le temps d'une réflexion et il pencha la tête sur le côté. “Ou alors ils le cachaient mieux. Là on fait vraiment les fonds de tiroir.”
Quelques rires amusés fusèrent. Le serpent toussa.
L'air dans les quartiers Shoumeiens empestait comme dans n'importe quel repaire de crève la faim. Les inondations n'avaient rien arrangé. Il accrocha du regard un trio de gosse accroupis devant une flaque d'eau. Le visage et les mains couverts de saleté, la silhouette malingre mais un sourire imbécile toujours présent sur les lèvres, ils faisaient peine à voir.
Carl avait tué pour la première fois à 15 ans, par orgueil. Mais il estimait qu'à leur place, dans un tel trou à rat, la folie de la nécessité l'aurait transformé en meurtrier avant sa première dizaine. Supporter de telles constantes humiliations : La famine. La saleté. La stagnation.
Ceux qui se contentaient de ça méritaient ce qui leur arrivait.
“-Au fait, tu voudras coffrer le vieux, après ?”
Les yeux des Sanglots présents brillèrent d'une bien étrange lueur, à l'entente de cette suggestion. Carl s'en accommoda sans grand mal.
“-’Faudra pas qu'on puisse faire le rapprochement entre toi et moi, donc éventuellement confectionner une petite scène mais on peut s'arranger, quoi.
-On arrive.” Gronda Darius, mal à l'aise, en le dépassant pour s'engouffrer dans la rue de la butte.
Pour une brasserie désaffectée, on ne pouvait pas dire exactement qu'elle était abandonnée. C'était à se demander comment personne n'avait pu remarquer qu'une dizaine de types patibulaires occupant un bâtiment supposément vide pouvaient être passés inaperçu assez longtemps pour qu'ils puissent établir quoique ce soit de conséquent dans les sous-sol. Peut-être n'était-ce franchement pas le cas. Peut-être que des pattes avaient été graissées. Que des yeux s'étaient clos définitivement, pour avoir commis le péché de la curiosité.
Ou peut-être que les républicains se foutaient royalement des Shoumeiens, tant qu'ils ne sortaient pas de leurs taudis.
Ils dépassèrent le bâtiment, l’air désintéressé, pour s’arrêter à l’ombre de baraques jumelles collées l’une à l’autre et servant manifestement de refuge à toute une colonie de chat si l’on se fiait à l’odeur régnant sur place.
“-Bon. Il est temps de passer aux choses sérieuses.” Commença Carl en claquant ses mains gantées l’une contre l’autre. Les yeux verts jaugèrent ses accompagnateurs pour s’assurer de l’attention de chacun d’eux. D’abord Slick. Puis Darius. Et enfin Pancrace. “Je doute qu’on retrouve l’entièreté de mon stock là-dedans.” Un coup d'œil par-dessus l’épaule de l’officier grimé en voyou lui permit de s’assurer que personne ne leur accordait plus d’attention que nécessaire dans les environs. “J’me suis fait une raison, mes associés sont prévenus, ils auront une compensation. Ce qui compte maintenant c’est de redresser les torts, disons.” Un ricanement ponctua cette dernière déclaration. Le défiguré au genoux désaxé laissa un sourire mauvais éclaircir son visage ravagé. “Idéalement, je veux pas de massacre mais y’aura p’t’être besoin de faire un exemple.
-Y’a moyen qu’ils le prennent mal si on refroidit un de leur copain.” Observa Slick en grattant sa cicatrice.
Son patron opina du chef.
“-Selon toute vraisemblance, ouai. C’est pour ça que je pensais plus à un tour de passe-passe de la part de notre ami.”
C’était un coup à jouer. Pendant l’échauffourée du côté du vieux et du chevalier, Pancrace s’était montré diablement détaché face à la mort et aux excès de violence inhérents au quotidien des malfrats, mais Carl n’était pas assez stupide pour le croire acquis à sa cause sans conditions. Plus tôt, ils avaient frappé et fait couler le sang pour se défendre. Ici, ils seraient les agresseurs.
Mieux valait donc réduire un maximum les chances de boucherie.
“-Rien de très violent. Juste, si un abruti commence à se montrer un peu trop véhément quand on approche, fais le rendre son dîner devant ses copains, un peu comme à la taverne. A moins que t’aies en stock quelque chose de plus tape à l'œil. En général, à l’instant où y’a un mage dans l’histoire, les gens ont tendance à être attentifs et sociables. Faudra pas hésiter à faire dans le spectaculaire, du coup.” Après avoir marqué une pause pour jauger la réaction de son interlocuteur, Carl poursuivit. “Si jamais l'intimidation ne marche pas, y’a moyen pour qu’on doive jouer des coudes, une fois à l’intérieur. Je vais pas te mentir : J’ai vraiment pas envie de prendre de risques pour une bande de cinglés de sectes, alors y’a moyen pour qu’on en laisse quelques-uns sur le carreau. J’ai conscience que ça peut te causer un heu…Dilemme moral. Puisque nous sommes associés, je suis ouvert à toute suggestion.” Une flammèche affamée sembla s’animer tout au fond des bassins empoisonnés qu’étaient ses yeux. “Dans tous les cas, ça m’a l’air d’être un foutu nid de vipères ‘faudra faire gaffe, là-dedans.”
Il y a une…mésentente entre nous. Je veux dire, entre les membres de la Congrégation. Beaucoup, comme cet imbécile qui gît à nos pieds, ont vu dans l'attaque de l'assemblée un signal, quelque chose qui nécessitait un changement de stratégie parmi nos rangs. Nous, qui souhaitions tous, avant, partager nos croyances, nous voici rongés par des guerres intestines. Des escarmouches incessantes, ressemblant à n'importe quel règlement de compte entre gangs athées. L'élégance nous est interdite, de même que la réflexion. Mes camarades préfèrent maintenant les murmures enjôleurs de l'obscurantisme inepte, tout simplement parce que l'assemblée a emporté avec elle - dans sa défaite - nos anciens dirigeants. Je ne sais qui sortira victorieux de ce nouveau schisme mais ce qui est certain, c'est que les miens ne sont plus. Ceux qui ne sont pas tombés iront garnir les rangs des autres sectes de la Congrégation. Et puis lesdites sectes continueront de s’entre-déchirer. Frère contre frère. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
Maudit sois-je, oui…pour avoir permis ce nouveau blasphème.”
Les paroles du sinistre illuminé résonnaient dans le crâne de Carl. Cette voix enrouée par les glaires remontant à chacun de ses quintes de toux avait été accompagnée d’un tremblement si familier, d’un accent si doux à ses oreilles pour un exilé comme lui. Et pourtant Carl avait détesté chaque partie de son insupportable logorrhée. Les vieilles croyances avaient-elles tant la vie dure pour que même après l’assassinat de leur propre pays par les dieux eux-mêmes, ses anciens voisins persistent à croire en de tels mensonges ? L'Assemblée et ses sbires s'étaient arrogées les services des plus influentes sectes Shoumeïennes implantées en ville, et tout ça au nom de quoi? Loin d'être concerné par cette farce, Carl n'avait suivi que de très loin le drame de l'inondation et de tout ce qui s'en était suivi, mais la défaite évidente des croyants ne faisait aucun doute.
Ils étaient tombés. Encore. Pour rien. Pour provoquer encore plus de chaos parmi les survivants de la folie des dieux, qui s'écharpaient maintenant dans l’ombre, comme tous les autres malfrats, dans l’indifférence général de républicains n’ayant jamais rien compris aux idéaux du défunt pays.
Pourtant, tandis qu’ils traversaient les faubourgs terreux des quartiers shoumeiens sous le regard des traînes savates et des crèves-la-faim, Carl ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il devait bien y avoir quelque chose à tirer de tout ça. Tant de couteaux tirés, tant de tueurs à la foi vacillante, de prêcheurs assez désespérés pour prendre les armes…ça pouvait faire de bonnes recrues, une fois canalisées.
Restait à trouver comment. Puisque ceux-là ne vénéraient ni l’or, ni la violence, il suffisait de leur trouver une déité à prier.
L’idée valait foutrement le coup d’être creusée, en tout cas.
Slick jurait derrière-lui, sa gueule à-demi couverte de cicatrice se tordant à chaque pas qu’il faisait. Un vilain coup de gourdin dans la jambière lui avait fait tourner la rotule dans le mauvais sens. Pour protester face à ce mauvais traitement, ses lames s’étaient empressées de s’enfouir dans les orbites de son agresseur, qui était mort sans trop protester, une fois les deux pointes des dagues bien plantées dans son cerveau trop petit. L’échauffourée ne leur avait pas coûté grand chose, même si Darius allait devoir congédier quelques-uns de leurs coupe-jarrets survivants, trop amochés pour être encore efficaces. Alexey était resté sur place, avec le vieux-pas-si-vieux qui leur servait d’informateur, son garde silencieux et Joshua. A eux deux, Spectre et brute épaisse étaient bien suffisants pour rappeler à leurs vis-a-vis que la mortalité concernait même les Dévots, si jamais ces derniers décidaient de leur faire faux bond ou, plus simplement, si leurs informations ne s’avéraient pas bonnes.
“-J'ai jamais été très nationaliste, tu sais.” Cracha-t-il à l'intention de Pancrace, tandis qu'ils dépassaient une charrue tirée par un bœuf efflanqué. “Mais j'avoue que ça fait mal de les voir se débattre comme ça au nom des vieilles croyances. Apparemment, l'anéantissement de notre pays n'a pas suffit à leur faire comprendre que les dieux étaient surtout de toutes puissantes têtes de cons.”
Slick laissa un soufflement de nez amusé témoigner de ce qu'il pensait de cette histoire et Darius renifla bruyamment en essuyant d'un revers de poignet le sang qui séchait en-dessous de son nez.
“-Les sectes, c'était déjà un problème à la grande époque.”Ajouta le vétéran après avoir craché un glaviot rouge.
“-Mais elles étaient pas dirigées par des vioques cintrés ou des sorcières.” Les yeux verts se plissèrent le temps d'une réflexion et il pencha la tête sur le côté. “Ou alors ils le cachaient mieux. Là on fait vraiment les fonds de tiroir.”
Quelques rires amusés fusèrent. Le serpent toussa.
L'air dans les quartiers Shoumeiens empestait comme dans n'importe quel repaire de crève la faim. Les inondations n'avaient rien arrangé. Il accrocha du regard un trio de gosse accroupis devant une flaque d'eau. Le visage et les mains couverts de saleté, la silhouette malingre mais un sourire imbécile toujours présent sur les lèvres, ils faisaient peine à voir.
Carl avait tué pour la première fois à 15 ans, par orgueil. Mais il estimait qu'à leur place, dans un tel trou à rat, la folie de la nécessité l'aurait transformé en meurtrier avant sa première dizaine. Supporter de telles constantes humiliations : La famine. La saleté. La stagnation.
Ceux qui se contentaient de ça méritaient ce qui leur arrivait.
“-Au fait, tu voudras coffrer le vieux, après ?”
Les yeux des Sanglots présents brillèrent d'une bien étrange lueur, à l'entente de cette suggestion. Carl s'en accommoda sans grand mal.
“-’Faudra pas qu'on puisse faire le rapprochement entre toi et moi, donc éventuellement confectionner une petite scène mais on peut s'arranger, quoi.
-On arrive.” Gronda Darius, mal à l'aise, en le dépassant pour s'engouffrer dans la rue de la butte.
Pour une brasserie désaffectée, on ne pouvait pas dire exactement qu'elle était abandonnée. C'était à se demander comment personne n'avait pu remarquer qu'une dizaine de types patibulaires occupant un bâtiment supposément vide pouvaient être passés inaperçu assez longtemps pour qu'ils puissent établir quoique ce soit de conséquent dans les sous-sol. Peut-être n'était-ce franchement pas le cas. Peut-être que des pattes avaient été graissées. Que des yeux s'étaient clos définitivement, pour avoir commis le péché de la curiosité.
Ou peut-être que les républicains se foutaient royalement des Shoumeiens, tant qu'ils ne sortaient pas de leurs taudis.
Ils dépassèrent le bâtiment, l’air désintéressé, pour s’arrêter à l’ombre de baraques jumelles collées l’une à l’autre et servant manifestement de refuge à toute une colonie de chat si l’on se fiait à l’odeur régnant sur place.
“-Bon. Il est temps de passer aux choses sérieuses.” Commença Carl en claquant ses mains gantées l’une contre l’autre. Les yeux verts jaugèrent ses accompagnateurs pour s’assurer de l’attention de chacun d’eux. D’abord Slick. Puis Darius. Et enfin Pancrace. “Je doute qu’on retrouve l’entièreté de mon stock là-dedans.” Un coup d'œil par-dessus l’épaule de l’officier grimé en voyou lui permit de s’assurer que personne ne leur accordait plus d’attention que nécessaire dans les environs. “J’me suis fait une raison, mes associés sont prévenus, ils auront une compensation. Ce qui compte maintenant c’est de redresser les torts, disons.” Un ricanement ponctua cette dernière déclaration. Le défiguré au genoux désaxé laissa un sourire mauvais éclaircir son visage ravagé. “Idéalement, je veux pas de massacre mais y’aura p’t’être besoin de faire un exemple.
-Y’a moyen qu’ils le prennent mal si on refroidit un de leur copain.” Observa Slick en grattant sa cicatrice.
Son patron opina du chef.
“-Selon toute vraisemblance, ouai. C’est pour ça que je pensais plus à un tour de passe-passe de la part de notre ami.”
C’était un coup à jouer. Pendant l’échauffourée du côté du vieux et du chevalier, Pancrace s’était montré diablement détaché face à la mort et aux excès de violence inhérents au quotidien des malfrats, mais Carl n’était pas assez stupide pour le croire acquis à sa cause sans conditions. Plus tôt, ils avaient frappé et fait couler le sang pour se défendre. Ici, ils seraient les agresseurs.
Mieux valait donc réduire un maximum les chances de boucherie.
“-Rien de très violent. Juste, si un abruti commence à se montrer un peu trop véhément quand on approche, fais le rendre son dîner devant ses copains, un peu comme à la taverne. A moins que t’aies en stock quelque chose de plus tape à l'œil. En général, à l’instant où y’a un mage dans l’histoire, les gens ont tendance à être attentifs et sociables. Faudra pas hésiter à faire dans le spectaculaire, du coup.” Après avoir marqué une pause pour jauger la réaction de son interlocuteur, Carl poursuivit. “Si jamais l'intimidation ne marche pas, y’a moyen pour qu’on doive jouer des coudes, une fois à l’intérieur. Je vais pas te mentir : J’ai vraiment pas envie de prendre de risques pour une bande de cinglés de sectes, alors y’a moyen pour qu’on en laisse quelques-uns sur le carreau. J’ai conscience que ça peut te causer un heu…Dilemme moral. Puisque nous sommes associés, je suis ouvert à toute suggestion.” Une flammèche affamée sembla s’animer tout au fond des bassins empoisonnés qu’étaient ses yeux. “Dans tous les cas, ça m’a l’air d’être un foutu nid de vipères ‘faudra faire gaffe, là-dedans.”
Citoyen de La République
Pancrace Dosian
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Evidemment que je saute pas de joie sur place après qu’on ait dézingué des malgrats, aussi fanatiques et dangereux soient-ils. D’un autre côté, moi, j’ai tué personne ou alors qu’en légitime défense, et j’suis sûr que je regardais dans la mauvaise direction quand eux l’ont fait. Donc la perspective d’aller faire la même à quelques rues d’ici, pour que Juste puisse récupérer une infime partie de ses affaires et disparaître dans la nature avec des bouts d’organe a rien de particulièrement affriolant.
Quelque part, ça me ferait salement marrer qu’il retrouve rien, et qu’on ait fait tout ça en vain. Après, tant que j’suis payé, j’suis pas bien difficile, et la fatigue des dernières semaines fait que j’ai plus vraiment d’avis. Si les criminels veulent se buter entre eux, grand bien leur fasse : ça nous en fera moins à gérer. Le souci, c’est que quand tous ceux qu’on connaît passent l’arme à gauche, y’en a d’autres, des nouveaux, qui prennent leur place.
C’pasque la nature a horreur du vide, dit toujours le commissaire.
Pourtant, quand on regarde dans le crâne d’un Effraie, on se rend bien compte que c’est pas vrai.
« Je vois le genre. Marquer les esprits un bon coup pour que ça se passe sans anicroche. Mais si le but, c’est juste de récupérer ce qu’il reste du stock, ça serait mieux d’éviter un massacre. Après, faudrait que j’revienne demain pour patauger dans la boue et le sang. Et j’en ai marre, de patauger, tu vois ? On commence à peine à finir de virer la flotte crasseuse des grands boulevards, donc t’imagines même pas l’état des ruelles des quartiers défavorisés. »
J’m’arrête une fraction de seconde et j’me racle la gorge.
« Bon, si, t’imagines très bien, j’suppose. Bref, quand il s’agissait de retaper la Maison-Bleue, ça a pris deux heures avec tous les mages du pays convoqués pour bosser. Mais virer la flotte et la merde ailleurs, ça, il va falloir des semaines, pas vrai ? Je dis pas qu’on va pas se déplacer dans tous les coins pouilleux de Liberty pour investiguer les crimes, mais si on pouvait éviter, ça arrangerait tout le monde. Moi le premier. »
Puis les rivières de sang, ça a tendance à agiter les chefs, surtout dans le contexte actuel. Déjà que ça s’agite dans la pègre, et que certains essaient d’en profiter pour améliorer leur territoire en bouffant celui des voisins, potentiellement disparus dans les affrontements, ça nous occupe pas mal. C’est impossible d’empêcher totalement l’essor de la mafia, donc notre boulot, c’est plutôt de le juguler et d’empêcher que ça déborde n’importe où. On n’a pas les moyens de faire mieux, puis ça donne de quoi faire à tous les traîne-savates qui serviraient à rien autrement. Tant que ça déborde pas sur les honnêtes citoyens, on considère que ça va.
« Allez, on va bien voir. »
L’ancien café devait pas attirer les foules : avant même que les ouvertures des fenêtre soient bouchées par des planches en bois clouées sommairement, la peinture devait s’écailler pour laisser apparaître des tags vulgaires, les revendications débiles, et les dessins hideux digne d’un gamin de quatre ans et demi. A l’intérieur, on distingue juste la lueur de quelques loupiottes ou bougies, mais de toute façon, faut d’abord passer la garde qui nous regarde d’un air mauvais à mesure qu’on sort des ombres. Ça dégaine direct des couteaux, et les prises se raffermissent sur des gourdins et autres objets à l’utilité indiscutablement violente.
Faut bien admettre qu’on n’inspire pas la confiance : on est un peu trop nombreux pour venir juste discuter, et j’suppose que les sales gueules de la bande à Juste montrent bien qu’on vient pas s’assurer qu’ils se sont brossés les dents avant de se coucher.
« Holà. On voudrait rentrer, que j’entame.
- Pas possible. Barrez-vous.
- C’est que... on a vraiment besoin de rentrer, que j’dis avec l’air désolé. Mes petits camarades, ils veulent récupérer deux ou trois bricoles avant de repartir, c’est pour ça.
- Vous savez à qui vous avez affaire ? »
J’le regarde avec les yeux écarquillés de surprise.
« Oui, sinon on serait pas là. »
J’repense à ce que Juste a dit pour l’intimidation, et la nécessité de s’en servir pour minimiser au maximum les effusions de sang. Hé, j’suis bien là pour mouiller la chemise et mériter mon salaire, j’imagine. On pourra pas me reprocher de pas avoir mis du coeur à l’ouvrage.
« Je tiens à dire que c’est juste pour parler, d’accord ? »
C’est important de le préciser, pasque les ombres s’allongent brusquement, noircissent à vue d’oeil et commencent à prendre des formes de tentacules qui rappellent celles de l’Avatar de Kaiyo, sans le petit poney au bout. Comme quoi être un Titan n’empêche pas d’avoir mauvais goût, hein ? Des sourires et des yeux se dessinent dessus alors que j’laisse libre-court à mon imagination, des doigts poussent sur des doigts pour se tendre vers les hommes de main qui jaugent la situation avant de lever les mains en signe d’apaisement.
« Bon, bon, c’est vrai que c’est mieux de juste discuter, finalement. Duduc, va prévenir le chef et Mirtale qu’on a des invités. Spéciaux. »
J’note le nom en supposant qu’il sera important, alors que les ombres se délitent comme brume au soleil, et qu’on se retrouve à nouveau les semelles dans la flotte devant une brasserie minable avec beaucoup trop d’hommes de main autour de nous. J’ai activé mon senseur magique juste à temps pour sentir celui d’un inconnu qui traverse notre groupe, et j’peux pas empêcher un petit sourire en coin. Z’ont un mage aussi, donc faudra être attentif. J’fais un signe de la main à Juste, mais pas dit qu’il le capte : on les utilise plutôt entre soldats républicains et au sein de l’Office. Bah, s’il sait pas faire attention, il serait plus là depuis longtemps avec son petit chapeau et ses bourses remplies d’or.
La plupart des tables et des chaises sont plus là. Elles sont dû servir de bois de chauffage à un moment ou à un autre, et le parquet mal dégrossi gondole salement à cause de l’humidité. Quelques affiches lacérées parlent d’une époque meilleure que personne a souvenir avoir connu, et les gueules patibulaires nous fixent avec les mains apposées de façon menaçante sur les ceinturons. Y’a une coursive haute qui nous surplombe, et quelques types y sont déjà postés, l’air de rien. Mais l’obscurité m’empêche pas de noter les arbalètes posées à côté d’eux. Y’a pas à dire, on est arrivé dans un vrai petit fortin. Et ils ont pas franchement d’humeur à se rendre. J’sens que Juste va être déçu, mais faudra juste faire preuve de créativité dans les négociations.
Le chef entre avec une nana à ses côtés, un genre de quarantaine un peu usée pour les deux, les avant-bras musculeux pour l’un et un oeil qui dit merde à l’autre pour la seconde. Moi, j’suis juste le muscle magique pour cette fois-là, donc j’vais laisser Juste gérer la négociation : après tout, on veut juste un stock bien mal acquis, puis on tire notre révérence, pas vrai ? J’croise les bras pendant que nos senseurs s’affrontent et se jaugent, et que nos magies se préparent à partir tout azimut si nécessaire.
Allez, l’homme au chapeau.
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