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    Hélénaïs de Casteille
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  • Ven 16 Aoû - 12:57
    La jeune De Casteille aurait pu s’effondrer de soulagement. Il l’avait vu. Il l’a voyait. Pour ce qu’elle était, pas pour ce qu’on voulait qu’elle soit, ni pour le rôle qu’elle avait accepté d’endosser. Depuis toujours, Hélénaïs était vanté par ses proches pour sa force de caractère, pour l’abnégation dont elle avait fait preuve lorsque sa cécité avait étendu ses racines mais aussi pour sa carrière de politicienne. Depuis toujours son existence s’était résumé au prisme étroit de sa maladie et du siège sénatorial de son père dont elle avait hérité. Personne ne s’était demandé quels étaient ses rêves ou ses envies, ni ce qu’elle était prête à sacrifier pour les réaliser si un jour l’opportunité se présentait. Peut-être qu’elle-même l’avait ignoré jusqu’à ce qu’elle ne se retrouve face à l’évidence de son inutilité. La politique avait longtemps été un exutoire pour elle, un moyen de protéger ce qui lui était cher et les innocents, grâce aux armes qu’elle avait à disposition. Mais face à ce qui les menaçait, face aux Titans. La politique n’était rien de plus qu’un regroupement d’homme et de femme parfaitement dérisoire. Pourtant, parmi eux se trouvaient des guerriers qui avaient combattu pour protéger Liberty, lorsqu’elle avait dû se terrer aussi loin que possible de la ville. Ce jour-là, le marbre du simulacre de sa vie avait commencé à se fendre. Depuis, la crevasse n’avait cessé de s’agrandir encore et encore jusqu’à devenir un plaie suintante qui la gangrénait de l’intérieur.

    Un léger sursaut agita les épaules de la jeune femme lorsqu’elle sentit la froideur des lames sur sa joue. Elle aurait dû avoir peur et l’empêcher de caresser sa peau au risque de l’entailler. C’était ce que la raison aurait dû lui souffler mais elle aussi était aussi silencieuse qu’une forêt lorsqu’un prédateur s’y trouve. Hélénaïs n’avait que trop bien conscience de la facilité qu’il aurait à dessiner un sourire rougeâtre, juste sous le menton, pour qu’elle se taise à jamais. Comme s’il pouvait suivre le cours de ses pensées, ses doigts poursuivirent leur chemin le long de sa mâchoire, jusqu’à son menton et un frisson glacé parcourut son échine lorsqu’il lui demanda de l’excuser une fois de plus. “Pourquoi ?” voulut-elle demander. L’avait-elle finalement mal jaugé ? A moins que ce ne soit lui qui ait changé d’avis. Après tout, ils ne se connaissaient pas, peut-être que ses mots lui avaient déplu et que ses plans avaient changés. Docile, elle se laissa guider lorsqu’elle sentit la pression du métal contre la pointe de son visage, prête à subir ce qui devait être fait. Mais rien de ce qu’elle attendait ne se produisit.

    Sa bouche était bien plus délicate qu’elle n’aurait pu l'imaginer, striée des mêmes cicatrices qu’elle avait senti sous ses doigts lors de leur première rencontre. Elle était chaude également, et timidement chaleureuse. A mille lieues de ce qu’on aurait pu attendre de leur propriétaire. Hélénaïs ne le repoussa pas, pas plus qu’elle ne lui rendit son baiser. Son visage pâle semblait sur le point de devenir transparent et lorsqu’il se recula, elle se rendit compte qu’elle avait cessé de respirer.

    - Un choix que vous ne regretterez pas ? Répéta-t-elle bêtement. Était-ce elle, ce choix ? Sa voix lui semblait lointaine, presque méconnaissable, tout juste un souffle contre son visage avant qu’il ne l’embrasse à nouveau. Son cœur loupa un battement mais ses lèvres accueillirent les siennes avec un plaisir qu’elle s’étonna de ressentir. Cette fois l'hébétude laissa place à un feu qu’elle ne connaissait que trop bien, de celui qui fait perdre toute logique et envoie se faire foutre la raison. Alors Hélénaïs congédia cette voix qui n’avait de cesse de lui hurler de le rejeter, elle musela sa conscience et arrêta de penser à ce qu’elle était en train de faire. Elle cella ses lèvres des siennes, en savoura la chaleur et prit plaisir à en découvrir la saveur. Sa main libre se fraya un chemin le long de sa joue dont elle commençait à connaître les contours mais plutôt que de s’y attarder poursuivit sa route pour venir se perdre dans la masse de ses cheveux bruns tandis que l’autre se libérait de sa prison de griffe pour venir agripper l’épaule d’Abraham. A nouveau, elle l’embrassa avec toute l’étendue du désespoir qui était le sien ce soir.  Ses dents vinrent frôler doucement sa lèvre inférieure avant qu’elle ne recule, suffisamment pour se séparer de lui.

    Une chaleur délicieuse s’était emparée de son ventre et avait fait rougir ses joues.

    - Je vous envie, Abraham. Avoua-t-elle enfin. Evidemment, elle ne lui enviait pas sa situation actuelle mais elle jalousait ce qu’il avait eu le courage de devenir. - Je me suis cantonné au chemin que l’on avait tracé pour moi, alors que vous… Un rire léger mais amer lui échappa. - Vous êtes tellement plus que ça. Son front vint se poser contre celui du jeune homme et elle ferma brièvement les yeux, s’enivrant de l’odeur caractéristique qu’elle lui connaissait et qui embaumait désormais tout l’espace autour d’elle. - Ne croyez vous pas que si nos routes s’étaient croisées avant, tout serait différent ? Peut-être Abraham ne serait-il jamais devenu Mortifère, peut-être qu’Hélénaïs ne serait plus celle qu’il connaissait aujourd’hui. Il était impossible de le savoir. Ce qu’elle savait en revanche, c’était que désolation et chagrin hantaient chacune de ses pensées et qu'elle ne rêvait que d’une chose ; les oublier. Au moins un instant.

    Se levant de sa chaise, elle laissa ses mains redécouvrir son visage de la seule façon dont elle savait voir. Elle frôla son front couvert de métal pour y retrouver les coutures, autrefois boursouflées, qui avaient cicatrisées. Sa course poursuivit le long de ses sourcils, sur ses tempes et ses joues jusqu’à son cou, chaque caresse constituait une image mentale qu’elle ajoutait au puzzle brumeux qu’était son visage. Un étrange visage qu’elle peinait à imaginer mais dont elle se fichait bien de la véritable apparence. Lentement, elle se pencha vers lui.

    - Je vous en conjure, ne vous excusez pas cette fois. Sans plus de cérémonie, elle attira son visage vers le sien. Leurs souffles se mêlèrent dans l’espace qui les séparaient et elle écrasa ses lèvres contre les siennes.
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    Abraham de Sforza
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  • Ven 16 Aoû - 23:55


    Il y a, dans l'ironie cruelle d'une telle situation, une noire poésie. Une demoiselle plus vaillante que nulle autre, désireuse d'aller à l'encontre des vents et marées pour s'assurer de faire non pas ce que l'on attend d'elle, mais ce qui est juste. Pourvue d'une infinité bonté, fière d'une gentillesse dont peu d'âmes disposent en des temps si troublés; elle commet en ce jour l'atroce erreur de se livrer aux griffes d'un être prouvant au Monde que parfois, le contenu du livre ne vaut pas bien mieux que ce que laisse présager sa grossière couverture.

    Abraham s'abandonne tout entier à ce baiser qu'il ne mérite guère, il a l'ignoble audace de guider son immaculée dulcinée tout en profitant éhontément de ces lèvres qui lui sont offertes. Les doigts métalliques, si curieusement semblables aux pattes d'une araignée, se glissent puis se referment avec douceur contre le dos d'Hélénaïs, l'enfermant dans un cocon dont les premiers fils imperceptibles se dessinent tout juste. Suivant les gestes que lui intiment son sinistre partenaire nocturne, elle vient s'installer sur les genoux de ce dernier sans quitter plus d'un instant ses lèvres.

    La dualité de l'homme aimant et de l'odieuse bête de métal s'immisce à nouveau dans la beauté du moment. Trop observateur pour ne pas se montrer méthodique, Abraham joue de ses innombrables aptitudes pour percevoir via le langage des corps ce que les mots n'ont pas eu l'occasion d'exprimer. Il rompt brièvement le baiser et si la chaleur s'empare de son bas-ventre, il parvient une fois encore à faire la surnaturelle prouesse de compartimenter ses émotions, ses ressentis, tout ce qui fait supposément de lui un humain. Il donne l'illusion de se livrer, de faire un don de soi équivalent à celui d'une femme si formidable qu'elle parvient à outrepasser le drame de ses crimes.

    En dépit de toute vraisemblance ainsi que des circonstances, les yeux du Cerbère sont grand ouverts et c'est avec une angoissante attention qu'il inspecte chaque parcelle visible du corps de sa belle. Il raffermit sa prise, serrant la demoiselle contre lui tout en nichant son visage contre le cou de cette dernière. Déposant sur la peau d'Hélénaïs une foule de bécots, il passe son autre main dans ses cheveux et offre à sa nuque d'impudiques caresses. S'il a tout d'un digne amant malgré son intégrale absence d'expérience, ce n'est pas du fait d'une empathie naturelle ou d'un talent certain.

    Ses iris mécanisés lui permettent de capter, malgré la pénombre, le plus infime frémissement, le moindre frisson. A l'image des diaboliques tortionnaires dont il hérite du savoir comme des torts, il voit sans le vouloir un exercice derrière ce qui n'en est pas. Il est incapable, même en de plus lubriques occasions, de s'adonner purement et simplement à d'instinctifs plaisirs. Chaque baiser est ponctué d'une vive œillade, chaque léger passage d'une serre d'acier s'accompagne d'un regard appuyé. Traitant le splendide et le voluptueux comme une formule que l'on déchiffre, il agit avec la technicité d'un chirurgien et non pas avec la fougue du jeune homme aventureux.

    L'horreur ne se situe pas dans ses méthodes, mais dans l'implacable réussite de ces dernières. Hélénaïs pousse un délicat soupir lorsque les lèvres d'Abraham se posent à la jointure de son cou, juste sous l'oreille. Il réalise subitement qu'il abuse de cette invisibilité dont il n'est pas supposé jouir, qu'il profite à l'excès de cette domination qu'il exerce en usant d'yeux qu'elle n'a pas afin de la scruter impunément, ce avec une vile lubricité. La respiration de son amante se fait plus profonde et bruyante, alors il l'imite. Elle oscille entre de courtoises cajoleries et des sauvages embrassades, alors lui aussi emprunte cette imprévisible gestuelle pour signifier son implication dans le moment. Quand elle touche son visage pour mieux en déceler les contours, il en adoucit les traits pour les rendre plus souriants qu'ils ne le sont réellement. Là où ses actes paraissent impulsifs, ils n'ont toujours pas la sincérité dont le renégat aurait voulu pouvoir se targuer. Il n'a plus peur, mais cette accalmie intérieure est d'une si absolue fadeur.

    Son plaisir, Abraham ne le tire pas tout à fait de ce qu'il vit; mais plutôt dans le fait de savoir. Il sait désormais qu'il peut la posséder, simuler d'être ce qu'il ne sera plus jamais, lui offrir un amour plus vrai que nature afin de l'encager. Sa part monstrueuse lui dicte de continuer, de s'adonner pleinement à des plaisirs charnels qui n'ont en définitive qu'une portée stratégique. Il ne devrait penser qu'à elle, qu'à son parfum délicieux et à la naissance de cet impensable attachement. L'assassin sait pourtant que cette convoitise trouve une ample part dans les atouts d'Hélénaïs, de son poste aux informations dont elle disposera en passant par la sécurité qu'elle peut lui offrir. C'est en prévision des moments de faiblesse dont s'accompagneront inévitablement sa tumultueuse existence qu'il érige ces murailles.

    L'homme en lui jette un œil à une fenêtre adjacente dans un bref éclair de lucidité. Le Cerbère ne voit, au travers de l'interstice scindant la paire de rideaux, ni Limiers ni Officiers l'observant depuis la cour. Il devrait quitter les lieux immédiatement, maudire sa propre indélicatesse et révéler la vérité à Hélénaïs. Abraham éloigne abruptement son visage de celui de la jeune femme, convaincu désormais qu'il est impensable de donner suite à cette abjecte mascarade. Ce qu'il fait est intéressé, nul ne peut le nier. Elle, si douce et honnête, ne méritera jamais l'affront d'être ainsi salie par le venin d'une vipère telle que lui. Haletant, il l'observe. A l'issue de ce long regard qui ne peut lui être rendu, le Premier-Né prend la parole pour murmurer :

    "Vous êtes... merveilleuse, Hélénaïs."

    Ses mains passent sous les cuisses de cette dernière, puis il se redresse pour la porter et l'amener presque férocement sur son propre bureau. Emportées par le tissu de sa chemise de nuit ou balayées par le mouvement, de nombreuses feuilles entreposées sur le meuble s'envolent dans un bref tourbillon alors que les folles étreintes reprennent de plus belle et que l'ancien soldat, avec une entreprise qu'il se découvre à peine, décide d'amener ses doigts sous les emmanchures du linge porté à même la peau de son amante. Il la regarde, s'accordant quelques instants supplémentaires avant d'aller plus loin, puis susurre finalement :

    "Si nos routes s'étaient croisées par le passé, tout aurait été différent. J'aime à croire justement que votre venue dans ma vie n'a rien d'un hasard car c'est de vous, et de vous seule; dont j'avais tant besoin. Maintenant que c'est chose faite, ne faisons plus l'erreur de nous cantonner aux sentiers que d'autres nous ont dessinés. Nous avons une histoire à écrire, très chère... et c'est main dans la main que nous le ferons."

    Le prédateur fait lentement redescendre les pans de vêtement qu'il a saisi et dévoile avec un plaisir diablement coupable une première part de ce qu'elle a d'intime. Cette érotique mise à nue symbolise si parfaitement sa victoire sur les défenses qu'il cherche à abattre. Ils s'enfermeront l'un l'autre, ils formeront un espace à l'écart du reste du monde. Elle sera à lui et, tristement, il n'aura que lui-même à lui offrir en retour. Il sourit tandis que ses doigts pensés pour tuer caressent allègrement les contours de la poitrine d'Hélénaïs et que leurs lèvres reviennent se rencontrer. Il découvre son ventre, la douceur de formes qui devraient lui être interdites. Leurs cœurs s'affolent, ils sont tous deux pris de légers tremblements d'excitation. La perfection de cette enveloppe contraste si terriblement avec l'aberration qu'est la sienne et de cette idée, il tire une inexplicable satisfaction.
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  • Sam 17 Aoû - 20:20
    Hélénaïs se sentait comme une flamme que l’on aurait contenue depuis trop longtemps et qu’on aurait brusquement autorisée à se consummer, elle était pareille à des braises que l’on ravive avec un tisonnier, pareille aux grands lacs qui se déchaînent une fois les digues rompues.

    Des aventures, elle en avait déjà eu, qu’elle avait choisie et dont elle avait apprécié l’existence. Certains étaient devenus des fréquentations récurrentes, d’autres des amis et encore d’autres ne l'avaient jamais revu. Ils venaient d’horizon et d’univers différents ; parfois il s’était agi d’un noble dont l’esprit n’était pas aussi étriqué que ses pairs et qui la faisait rire. Puis à d’autres c’était un homme du peuple avec qui elle avait passé des heures à refaire le monde à défaut de faire son travail. D’aucun aurait pu lui attribuer l’étiquette d’une femme facile mais la vérité était tout autre ; plus qu’une femme facile, elle était libre : d’aimer ou de ne pas le faire, de prendre amant ou de repousser des avances. Elle avait le droit de rire à gorge déployée sans s’en cacher tout comme de refuser de suivre les règles du jeu, elle avait le droit de pleurer l’humiliation d’un mariage rejeté pour plus tard se réjouir que, finalement, il n'ait jamais eu lieu. C’était en cela qu’Hélénaïs était chanceuse ; parce qu’elle avait le choix. Ce soir, c’était lui qui était le sien. Égoïstement et malgré le malheur qui s’abattait sur lui, elle le voulait. Parce qu’il était différent, au-delà de son étrange apparence. Les mots qu’il avait prononcés ce soir et plusieurs jours auparavant continuaient de flotter dans son esprit, ils avaient hantés presque toutes ses nuits depuis leurs dernières rencontres.

    Hélénaïs était obéissante et elle avait bien essayé de se plier aux exigences de Zelevas. Elle avait perçu la colère dans sa voix et se l’était fait confirmer par les hurlements qu’elle avait entendu par delà la porte une fois qu’il lui eut claqué au nez. Mais ça lui était impossible, la voix mécanique n’avait eu de cesse de venir susurrer à son oreille de jour comme de nuit, faisant remonter le même frisson le long de son échine que ce jour-là. Elle avait essayé de comprendre les raisons d’une telle haine alors même qu’il était le mentor d’Abraham, qu’ils travaillaient ensemble et elle n’avait jamais compris. Plus que jamais, elle ne le concevait pas car si Zelevas semblait craindre les liens qui pourraient l’unir à son homme de main, sa vérité à elle était toute autre. Le soldat éveillait chez elle des espoirs pour qui elle pensait avoir depuis bien longtemps creusé une tombe, il était porteur des désirs qu’elle n’avait jamais osé évoquer. A ses yeux, elle n’était pas qu’une politicienne douée de ses mots mais inapte du reste, aveugle et fragile, il l’a voyait telle qu’elle avait toujours voulu être vue et entendue et plus que tout, il croyait en elle.

    Les feuilles sur le bureau s’envolèrent et se froissèrent avant de retomber en silence quand il l'y installa, certaines de ses plumes se brisèrent sous son poids tandis que d’autres allèrent rejoindre les papiers déjà à terre. Il lui sembla entendre un encrier chuter et exploser sur le sol aussi, mais elle s’en fichait complètement. Sa conscience se résumait uniquement aux griffes qui tenaient encore fermement ses cuisses, à leur fraîcheur et aux lèvres qui venaient heurter les siennes avec tant de vivacité que parfois, ce furent leurs dents qui s’entrechoquèrent dans la précipitation. Un rire chargé de l’envie qui faisait vibrer toute sa personne, Hélénaïs daigna libérer la bouche de son amant suffisamment longtemps pour qu’il puisse parler. Le souffle court, la poitrine se soulevant au même rythme et les yeux mi-clos, elle laissa un sourire presque timide illuminer son visage.

    - Alors ne la lâchez pas. Murmura-t-elle tandis qu’elle sentait le tissu de sa robe de nuit glisser le long de son épaule sans chercher à le rattraper. Ainsi, elle se laissa découvrir comme lui l’avait laissé faire, ses griffes venant redessiner les formes vallonnées de sa poitrine et de son ventre, créant un frémissement qui se mit à courir sur chaque parcelle de sa peau alors qu’elle se sentait fondre de l’intérieur. Oh oui, Hélénaïs avait eu des amants mais celui-ci était loin, si loin de ce qu’avaient été les autres. Aussi bien par son apparence que par ce qu’il représenterait jamais. C’était un instinct indéchiffrable qui lui intimait que les choses étaient sur le point de changer, et plus que d’en être effrayé, elle songea que c’était exactement ce qu’elle voulait. Elle voulait que son chagrin disparaisse, elle ne voulait plus être impuissante, elle ne voulait plus que ceux qu’elle aime meurt. Jamais plus.

    Sans cesser d’embrasser Abraham, les doigts de la jeune De Casteille montèrent jusqu’à la broche qui retenait la cape passée sur ses épaules prisonnière, d’un geste habile elle l’a retira. Le morceau de métal tomba dans un bruit sourd suivit du frottement presque inaudible de tissu. Ses baisers dérivèrent le long de son menton, passant sur un morceau de métal qu’elle n’épargna pas, pour venir se lover contre son cou où elle déposa ses lèvres malgré les cicatrices dont il était orné puis lentement, elle s’arracha à son odeur et se redressa.

    Ses mains prirent alors le relais de sa bouche ; elle caressa ses épaules dont les clavicules en métal la surprirent et se pencha pour les embrasser l’une après l’autre. Puis sa dextre prit le chemin de son ventre alors que l’autre découvrait son torse et sur lui, chacune des coutures qui le constituait. Elle sentait sa respiration et ses muscles à travers sa peau lésée, elle sentait les battements de son cœur à travers ses côtés. Il battait aussi furieusement que le sien. A cet instant, Hélénaïs aurait payé cher pour voir son visage, pour savoir s’il éprouvait le même désir que le sien, si lui aussi peinait à garder de la cohérence dans ses pensées où si, au contraire, il était de ceux que l’on ne peut griser. Pourtant, elle n’en dit rien et se contenta de revenir chercher ses lèvres alors que ses mains continuaient leur exploration curieuse, rencontrant les renforts de ses prothèses sur ses hanches jusqu'à se trouver à la lisière du pantalon qu’il portait.

    -  Aussi périlleux soit le chemin à emprunter… murmura Hélénaïs tout en se laissant glisser de son bureau. Sa chemise de nuit dont les manches avaient déjà été retirées, glissa le long de ses hanches pour rejoindre la cape d’Abraham. Maintenant complètement nue, elle lui faisait face sans chercher à se cacher et vint lover son corps contre le sien, laissant ses paumes cajoler son ventre puis son torse meurtri avant de redescendre en longeant le métal de ses bras, suffisamment doucement pour ne presque pas s’écorcher le long des épines qui les recouvraient et jusqu’au pantalon qu’elle avait laissé intact jusqu’ici. - Vous êtes le risque que j’ai envie de prendre.

    D’un mouvement agile, elle défit le premier bouton puis le lacet qui permettait au vêtement de tenir à la taille du jeune homme et il ne tarda pas à rejoindre le reste de leurs vêtements. Toutefois, son geste s’arrêta là. Hélénaïs n’avait pas oublié ce qu’il lui avait confié lors de leur première rencontre, sa peur des femmes, l’une des faiblesses qu’il avait tant exécré. S’il voulait reculer, elle lui en laissait l’opportunité. Du reste, sa respiration saccadée, ses gestes tremblants et l’envie presque irrépressible qu’elle avait de le toucher était une réponse qu’elle n’avait pas besoin de formuler ; elle le voulait lui dans l'entièreté de ce qu'il était.  
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  • Lun 19 Aoû - 8:37
    Silencieusement, le soldat détaille encore un peu la poitrine dénudée de celle qu'il bafoue par sa simple présence. Elle est splendide, bien plus encore qu'il ne l'a envisagé en lorgnant passagèrement les formes de cette dernière au travers de ses habits. Cela lui arrache un demi-sourire, un grain de joie dans un océan chaotique. Son corps ne ment pas lui; mais c'est presque uniquement grâce à réactions physiologiques qu'il prend conscience de la véracité du fragment de bonheur qu'il suppose ressentir.

    Un an déjà qu'aucune lubie n'a été assouvie et qu'aucun penchant ne s'est affirmé. Le seul plaisir qu'Abraham le paria a réellement tiré de sa transformation provient de la puissance, en définitive. Son pouvoir immense, la sensation de constituer une terrifiante menace pour ses opposants, voilà ce qui l'a mené à pousser le vice jusqu'aux pires extrémités. Aujourd'hui, il n'est encore que dualité et questionnements. Son corps lui révèle l'étendue de ses envies, ses souvenirs lui disent qu'il a enfin trouvé ce qu'il cherchait avec ardeur mais son esprit brisé et corrompu lui dicte tout le contraire. Est-ce qu'il se ment à lui-même ? Qu'éprouve t-il, en fin de compte ? A t-il encore la capacité d'aimer sans détour ?

    Le contact chaleureux des doigts d'Hélénaïs posés contre son torse écorché le ramène à la réalité, loin de ces prises de conscience qui se font aujourd'hui bien nombreuses. Sa cape, jadis un symbole glorifié, finit au plancher dans un froissement tandis que sa risette s'élargit lorsqu'il répond furtivement :

    "Je chérirai chaque instant passé à vos côtés, soyez en sûre."

    Et ça, est-ce une énième tromperie ? Qu'il est difficile de ne pas même pas savoir si on ment. Hélénaïs descend lentement du bureau sur lequel l'a hissée son compagnon et laisse choir sans pudeur son vêtement désormais dénué d'accroches. Abraham l'observe, la découvre dans toute sa féminité et ressent une inexplicable montée de chaleur qui vient le prendre à la poitrine lorsqu'il comprend enfin ce qu'implique réellement ce choix fait à deux. C'est à mille lieux de ce qu'il a fantasmé et la symbolique, plus que la plastique et les divins parfums, font jaillir en lui des sensations perdues. Les mots que prononce la demoiselle d'une voix suave ont cette fois pour effet de faire grimper le long de son échine un frisson extatique. Elle est prête à prendre le risque d'être détruite pour l'avoir, lui et personne d'autre.

    Le monstre de métal, indigne du seul devoir auquel il a jamais prétendu; peut se targuer de s'être accordé l'affection de la plus noble femme qu'il ait jamais connu. On l'a renié, on l'a maudit, on l'a craint et pourchassé comme un chien enragé. En quête d'amour depuis toujours, drogué à cet idéal de reconnaissance duquel on l'affame; il laisse cette fois la psyché de l'homme primer sur celle de l'acier cruel et fait ouvertement une déclaration aussi claire qu'étrangement véridique :

    "Je... mourais d'envie de vous l'entendre dire."

    Que vient il de révéler ? Il se surprend lui-même.

    Une pointe d'émoi lui enserre la gorge, une fantomatique impression de sentir un afflux de larmes au coin de ses yeux apparaît. Cela n'a pas de sens et lui déplait, car il ne conçoit plus qu'une mortelle soit capable de générer en lui de si contradictoires sentiments. Il se joue d'elle, la manipule; mais la respecte et l'adule. Trop de questions l'assaillent, au point peut être d'en perdre momentanément le fil de ses pensées. Exerce t-il sur elle un pouvoir aussi unilatéral qu'il l'a cru de prime abord ? Est-ce donc le prix de son ultime métamorphose ? Doit-il vivre pleinement l'instant magique ou fuir celle qui lui rappelle qu'il est encore incapable de se défaire entièrement des faiblesses de son âme ?

    Abraham voit son seul habit le quitter et constate avec une once de curiosité à quel point se retrouver ainsi mis à nu face à une femme ne l'angoisse plus. En dévorant de ses yeux la silhouette formidable de sa partenaire, le jeune homme constate qu'un détail lui a échappé et décide de brièvement s'y attarder. Les mains de la jeune femme sont parcourues d'infimes coupures, de petites striures rosées trop légères pour permettre la coulée de la moindre goutte de sang mais assez marquées néanmoins pour être remarquées par des yeux de faucon.

    La conclusion lui vient naturellement : Hélénaïs est prête, dans son fougueux empressement, à se blesser contre sa monstrueuse cuirasse. Il n'en tire qu'une formidable euphorie, une impression de devenir plus grand que le monde lui-même. Elle est à moi. lui glisse une voix intérieure par un chuchotement perfide. Je la blesse, mais elle me désire. en rajoute une autre.

    Son souffle s'est naturellement verrouillé et lorsqu'il expire brusquement, l'exaltation devient extraordinaire. Les bras sertis de meurtrières épines viennent amoureusement épouser la courbure des hanches d'Hélénaïs tandis que les griffes se referment sur ses fesses. Pour la toute première fois de sa sordide existence, Abraham s'adonne aux plaisirs de la chair, ceux-là même qu'il dit tant redouter. L'un contre l'autre, les héros de ce conte noir s'éloignent avec maladresse de leurs vêtements entassés, piétinant tissus et documents jusqu'à ce que le dos du renégat vienne hasardeusement rencontrer une porte dans un léger fracas. A tâtons, Hélénaïs se saisit après quelques infructueuses tentatives de la poignée, qu'elle fait tourner pour leur permettre de s'aventurer jusque dans sa chambre.

    D'une impulsion télékinétique, Abraham verrouille la pièce derrière eux sans quitter des lèvres sa belle âme. Se heurtant finalement aux bordures d'un lit défait, le paria se laisse tomber en arrière et vient accueillir contre lui celle qui donne source à toutes ses confusions. C'est enfin dans un élan sauvage qu'il se redresse et plaque son torse contre la poitrine de la demoiselle qui le chevauche, ce avant de nicher son visage dans son cou et de susurrer avec passion :

    "Vous êtes la première."

    Et à jamais la seule, sans aucun doute. Une telle existence ne peut être qu'éphémère.
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  • Mar 20 Aoû - 21:52

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  • Mer 21 Aoû - 20:19


    Ah ? La frontière du tutoiement est dépassée. C'est un détail, tout juste une note de familiarité dans ce qui a de toute évidence déjà lourdement dépassé le cadre de la bienséance. Abraham n'a plus l'esprit assez clair pour s'y attarder, trop obsédé qu'il est par les hypnotiques mouvements de celle qui l'embrasse avec une fougue frisant la sauvagerie. Il y a néanmoins en lui quelqu'un d'autre, cette part d'âme infiniment plus calculatrice et lucidement mécanique qui lui dicte toujours de sauvegarder chaque aspect de cette délicieuse rencontre afin de pouvoir s'en servir au besoin.

    La sensation est curieuse, inexplicable pour le commun des mortels mais à la fois si nette pour celui qui est seul à pouvoir la décrire. Il est impensable de s'abandonner entièrement tout en conservant simultanément la pleine conscience de la situation et pourtant, c'est précisément ce que vit Abraham. Ses paupières métalliques s'entrouvrent lorsqu'une main vient effleurer son cou et que des lèvres s'attardent avec gourmandise sur ses pectoraux. Décoiffée, phénoménalement sensuelle et en proie à ses instincts; elle lui paraît d'une infinie beauté mais aussi atrocement humaine; à mille lieux de lui et de ce qu'il incarne.

    La division entre les deux entités qui composent l'homme de fer s'affirme encore plus à mesure que les cajoleries s'intensifient et que les souffles des deux prétendants s'accélèrent. Cette chose en lui, plus glaciale encore que les décharnés du Grand Nord, voit Hélénaïs pour ce qu'elle est, à savoir une demoiselle grisée par l'idée d'une affection juste et d'un désir entier. Elle vit une poétique idylle, l'histoire merveilleuse et tragique de deux esseulés faisant face au monde main dans la main. Sa passion, elle la tire sans doute de la folie de sa décision et de cette sourde colère qui fait le fardeau de ceux auxquels on impose tout, de la naissance à la déchéance. Il y a tant de noblesse dans cette si franche fascination.

    Les prothèses du renégat, gorgées de magie et conçue avec génie, ne peuvent faire souffrir leur hôte ni lui procurer une quelconque jouissance. Elles sont toutefois sophistiquées au point qu'il puisse recevoir, par éclat de sensations fantômes, les chatouilles de ces quelques baisers que la belle demoiselle pose sur les dagues effilées faisant office de doigts. Loin de remettre en cause le sens de cette idée, Abraham se questionne intérieurement sur ses racines et n'obtient qu'une adorable conclusion en guise de réponse : elle veut lui démontrer que même ses plus monstrueux atouts ne l'effraient guère et mieux encore, qu'elle les chérit. Une erreur sans doute; une délicate attention au demeurant. Sait elle seulement combien de rivières de sang ont fait couler ces armes ?

    Incapable d'occulter pleinement cette pensée malsaine, Abraham laisse un rire discret mais mutin lui échapper et lorsque Hélénaïs daigne libérer sa dextre métallisée, il en profite pour apposer celle-ci contre les hanches de sa compagne, longeant les bordures de ses cuisses sans oser cependant s'aventurer plus bas. C'est par jeu et non par timidité qu'il ne cède pas à la tentation, sans compter qu'il voit bien le malin plaisir que ressent la jeune femme en prenant l'ascendant sur leur danse nocturne.

    L'instinct dévore la maigre morale qui habite encore l'homme en lui. Les caresses se font trop enchanteresses, les attentions trop savoureuses. Les muscles bien humains se tendent d'extase et même les membres métalliques viennent à révéler la folle salacité qui embrase l'esprit d'Abraham. Sans qu'il ne s'en rende entièrement compte, il referme ses serres sur les draps et les empoigne avec une telle force qu'il en vient à perforer leur surface. Sa tête s'enfonce en arrière dans l'oreiller contre lequel elle est installée et les soupirs manquent de peu de se faire vocaux. Le long de ses bras et jambes artificiels, des câbles se déroulent et des mécanismes s'agitent, générant ça et là de subtils cliquetis révélateurs de son léthal armement.

    Il y a des sensations que même lui ne peut taire même s'il maintient au mieux le contrôle de ses effroyables appendices. C'est une autre nouveauté, un aspect de sa propre personne qu'il découvre et qui le rassure. De cette charnelle union résulte une réalisation grandement symbolique selon laquelle l'acier fait aujourd'hui partie intégrante de lui. Il n'est plus le porteur des merveilles de Palladium; il est Palladium. Il trouve formidable d'en prendre conscience au travers des plaisirs et non de la souffrance. C'est donc un sourire aux lèvres qu'il murmure :

    "Je ne t'aurais pas supposé adepte de tels supplices."

    Abraham ricane, mais les dissonances de sa voix laissent aisément entrevoir qu'il se laisse aller à ces saveurs neuves et que c'est au prix d'un effort certain qu'il se contient encore plutôt que de se montrer bestial. La cascade de cheveux immaculés d'Hélénaïs tombe sur le bas-ventre du soldat en une caresse qui le fait frémir, celui-ci rive ses yeux en avant pour réaliser d'un regard qu'elle s'est finalement penchée sur son entrejambe. Il ne peut que ciller au contact de la langue de sa compagne contre son sexe et n'a cette fois pas la force de réprimer son souffle.

    Il en a rêvé, de ce moment. Ses fantasmes, loin d'être dotés d'une portée si immense, n'avaient pas le sens profond ni la beauté de cette improbable soirée. L'épouvantable arachnide qu'est devenu Mortifère croit tisser une toile faite d'amour mimé mais constate à son grand désarroi qu'il s'emprisonne dans ses propres fils et qu'il est loin, très loin, de se montrer aussi inflexible qu'il voudrait l'être face aux effleurements et étreintes. Un pic de sensation le tire à cette introspection puis par excès de fougue, il se fait victime d'un spasme qui va parcourir son échine et descendre jusqu'à ses fessiers. Les cisailles démentes qui ornent ses talons s'actionnent dans un abrupt claquement et Abraham se redresse légèrement dans cette même impulsion.

    "Et je..."

    Hésitation simulée, il sait parfaitement ce qu'il souhaite lui dire. Hélénaïs s'interrompt puis progresse à tâtons tout en se relevant. A sa mine licencieuse, il entrevoit sa joie de pouvoir partager et cela ne la rend que plus désirable. Abraham prend doucement l'une des mains de la belle, la fait glisser contre lui et c'est presque à bout de souffle qu'il lui parle, ce avec un entrain qu'elle ne lui connaît même pas :

    "...Je te veux, plus que je n'ai jamais souhaité quoi que ce soit en ce bas monde. Je veux que ce soit toi et personne d'autre qui me retienne sur cette Terre. Je veux pouvoir revoir la lumière, un jour, à tes côtés."

    Elle se réhausse tout naturellement, l'invitation étant plus que limpide. Le surréalisme devient si intégral qu'il doute lui-même de la véracité de ce qui l'entoure. Il est en elle, il épouse sa chaleur tandis qu'elle se délecte de la sienne. Leurs gestes ne sont ni voluptueux ni mesurés, ils sont nourris par l'appétit vorace qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Abraham la plaque plus fort contre lui, appliquant son menton contre l'épaule de sa compagne et puisque les convenances ont toutes été jetées au feu, il s'autorise même à se faire bruyant en dépit des mœurs.

    L'engouement y est, mais pas la maladresse. Loin de se moquer de ce que peuvent penser les éventuels domestiques de passage, il prend un plaisir sadique à se faire entendre. Il sait pertinemment que les servants de l'Ambassadrice ne prennent pas à cœur ce choix dangereux d'accorder l'asile à l'ennemi public et leur faire savoir sa nouvelle position est un moyen pour le Cerbère d'assoir sa domination sur le domaine. Elle est à lui, elle l'aimera; aucune forme de contestation ne sera admise. Il s'en assurera...

    Hélénaïs, hypnotisée par les instincts et encouragée par les gémissements de son amant; fait de même sans être toutefois munie de si sombres intentions. Le visage dissimulé dans la chevelure splendide de sa moitié, Abraham accorde un furtif regard ainsi qu'un sordide rictus à une fenêtre adjacente. Ses iris flamboyants s'attardent sur le verre et les formes obscurcies qui s'y trouve; et il le voit.

    Dans son propre reflet, il n'y a que l'impérieuse silhouette du Docteur.
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  • Jeu 22 Aoû - 17:39



    Autrefois, on avait raconté à Hélénaïs l’histoire d’un prince charmant cousu de fil blanc qui aurait préféré affronter toutes les peines du monde et le voir réduit en poussière plutôt que de voir sa bien-aimée lui être arrachée. Alors enfant, elle avait décrété que c’était ainsi qu’elle voulait être aimée ; envers et contre-tout. Elle avait également décidé qu’elle aimerait ainsi ; férocement et loyalement. Entêtée, la décrivait sa mère. Rêveuse, disait son père. Deux traits qui s’associaient magnifiquement bien pour donner naissance à la désillusion : une réalité qui l’avait rattrapé et heurté de plein fouet. Préservée dans son cocon de soie des vérités qui, un jour, lui couperaient les jambes, le cœur et peut-être la tête, choyée par les siens sans s’imaginer qu’ils ne font que resserrer la corde autour de son cou gracile pour plus tard ; dans un futur dont aucun d’eux ne ferait partie, où personne ne serait là pour la mettre en garde. Si Hélénaïs avait moins eu la tête dans les nuages et plus sur terre, si elle avait été moins ignorante de la perfidie des autres, plus consciente de ses désirs et des abominations qui couraient ce monde autour d’elle alors aurait-elle pu s’épargner. Mais ce n’était pas le cas, c’était même tout le contraire.

    La jeune De Casteille aurait dû savoir qu’au jeu de l’amour, elle était toujours perdante. C’était un jeu dangereux auquel elle avait cessé de prendre part presque une décennie auparavant lorsqu’elle avait comprit que les fables de son enfance ne lui étaient pas adressées, lorsqu’on l’avait rejetée avec une telle véhémence qu’elle en éprouvait encore de la honte tant d’années plus tard, puis que dans un dernier galop d’essaie elle avait offert cette chose précieuse, que toutes femmes possède, à la mauvaise personne. Droguée à l’illusion, amoureuse de l’idée d’aimer et de l’être en retour, elle avait eu toutes les peines du monde à s’en défaire. A s’arracher à ce monde doucereux où elle avait évolué toute sa vie. Durant les années qui avait suivit ce sevrage, elle s’était tenue seule face au troublant monde qui s’ouvrait sous ses pieds, elle était passée dans la vie des gens sans s’y attarder, prenant ce qu’on voulait bien lui donner sans jamais réclamer. Personne n’avait jamais voulu creuser alors Hélénaïs s’était convaincue qu’elle était heureuse ainsi et d’une certaine façon c’eut été le cas. Se sentir aimer l’espace d’une nuit était suffisant. Pour survivre. Pas pour s’épanouir. Mais ça, elle ne le réalisa que lorsque la voix rauque d’Abraham roula jusqu’à son oreille, se déversa dans sa tête pour dégringoler jusque dans sa poitrine, là elle comprit. Elle comprit que durant tout ce temps elle n’avait fait que subsister comme un humain qui ne se nourrirait que de tofu.

    De prime abord Hélénaïs avait pris la défense d’Abraham parce qu’ils se comprenaient. L’échange qu’ils avaient eut au manoir d’Elusie était précieux et rare dans la vie de la sénatrice, si bien qu’il s’était incrusté dans sa tête sans qu’elle ne puisse s’en débarrasser. De plus, elle l’avait jugé digne de son aide et cette fois ce n’était pas parce qu’ils avaient eu quelconque échange courtois mais parce qu’il avait, à son sens agit pour le bien. Pas de la manière qu’elle aurait espérée, encore moins celle qu’elle aurait employé mais il avait épargné à la République de biens sombres heures. Toutefois c’était sa souffrance qui avait achevé de la décider, celle qu’il avait consenti à subir pour faire de lui la créature qu’il était devenue. Elle était sensible aux épreuves qu’il avait enduré pour en arriver là où il en était. Des tourments qu’elle même redoutait de pouvoir un jour franchir pour d'évidentes raisons. Lui l’avait fait, il avait souffert le martyrs, sacrifiés tant pour être chassé comme un chien. Pourtant ce ne furent ni les souvenirs, ni ses actions passés qui lui attachèrent sa loyauté et son affection indéfectible ; ce furent ses paroles. Alors, sans le lui dire, parce qu’aucun mot n'aurait jamais la valeur de la promesse qu’elle se fit ; elle se jura de lui faire revoir la lumière un jour, sans promettre qu’elle serait à ses côtés.

    Hélénaïs ne s’embarrassait plus de gêne, ses gémissements franchissaient la barrière de ses lèvres au rythme des mouvements de bassin d’Abraham qui les avaient fait basculer sur le dos. Son poids pesait agréablement sur elle, en elle et une de ses mains agrippait avec force l’une de ses cuisses pendant que l’autre se perdait dans ses cheveux. Les siennes venaient découvrir ce qu’elle ne connaissait pas encore : les lignes de son dos, de ses omoplates, de ses fesses. Elle s’émerveilla de sentir ses muscles rouler sous sa peau et de la manière dont ses lèvres épousaient la forme de ses clavicules avant qu’elles ne reviennent étouffer leurs gémissements sur les siennes. Le corps d’Hélénaïs était parcourus d’une myriade de bouffée de chaleur et de désir, qui la faisait s’arque-bouter contre le torse d’Abraham et qui arrachait à sa bouche son prénom comme s’il était brusquement devenu la seule mélodie qu’elle soit en mesure de chanter ; pour la première fois de sa vie elle avait envie d’appartenir à quelqu’un, sans savoir si c’était cela qu’ils appelaient amour.

    Cette nuit-là, Hélénaïs s’abreuva de lui plus qu’elle ne l’avait jamais fait avec n’importe qui auparavant. Enivrée par la perspective de toucher du doigt la seule chose qu’elle n’avait jamais possédé mais aussi d’enfin trouver sa place, son combat, son utilité. Il avait besoin d'elle. Elle s’abandonna tout entière à ses mains, à ses baisers, à ses griffes, à sa vue et tout ce qu’il voulait bien lui dérober. Rapidement, il ne resta d’eux qu’un intense sentiment d’avidité, de nécessité impérieuses, des draps déchirés, des membres entremêlés et des chaises renversées. Elle lui fit confiance dans toute l’étendue de son honnêteté, ignorant autant ses manigances que les marques rougeâtres que les épines laissaient en sillon le long de son dos. Heureuse, au moins pour un temps.

    Son plaisir n’avait de cesse d’enfler, encore et encore, au point de manquer de déborder. Le souffle d’Hélénaïs se faisait de plus en plus court, chacune des caresses sur sa peau était comme une traînée brûlante qui courait partout sur elle, même à des endroits qu’il ne touchait pas. Ses sens décuplés étaient grisés, rendus fous par les émotions violentes qui avaient agitées sa soirée mais aussi parce qu’elle le voulait. Être hors de son corps, ne plus être Hélénaïs De Casteille, n’être qu’une femme dans les bras d’un homme sans endosser sa tenue de sénatrice, ni celle d’ambassadrice. Ici, il n’y avait qu’elle et lui et l’attirance qui les avaient tous deux prit en otage. La petite mort qui vint la faucher était puissante et ses mains le pressèrent contre elle tandis que son corps tout entier se raidissait, que ses ongles s’enfonçaient dans son dos. Elle peina à taire son nom contre la peau de son épaule. Il ne servait plus à rien qu’elle l’en préserve, il avait vu et entendu bien plus qu’il ne l’aurait dû ce soir.  

    Et de toute façon, il n'y a pas de drogue plus dure que celle dont on se s'est jamais sevré.
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  • Jeu 22 Aoû - 21:14
    Abraham ne conçoit plus le ressentiment et les remords comme y sont contraints la plupart des mortels. Son esprit vogue, s'éloignant de sa puissante culpabilité pour se fondre avec allégresse dans le spectacle que lui offrent ses yeux embrasés. Eloignant sa nuque des lèvres et crocs d'Hélénaïs, il vient la surplomber pour se faire témoin une fois encore de sa splendeur. Sous son regard anormalement soutenu, elle se cambre et se tord de plaisir tout en enfonçant le dos de sa tête dans le matelas. Son menton se réhausse, exposant les lignes d'un cou tendu qu'Abraham pourrait si aisément trancher. Il lui semble surréaliste de pouvoir partager tant de tendresse avec une telle muse et de bénéficier d'une si invariable confiance alors qu'il a consenti, quelques heures plus tôt, à révéler le meurtre dont il s'est rendu responsable. Par ses actions, il a endeuillé la Nation toute entière. Il se sent pourtant plus récompensé aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été, ni durant sa courte carrière ni pendant ses jeunes années.

    Les iris mécaniques captent un mouvement. Les mains baladeuses d'Hélénaïs glissent le long de son corps pour se rassembler au niveau de ses joue. Il sourit par réflexe lorsqu'elle redresse brusquement son visage et qu'il se retrouve face à elle puis consent à se laisser descendre jusqu'à son niveau pour l'embrasser de plus belle, atténuant ainsi des gémissements devenus cris au fil de leurs folâtres ébats. Maître de son propre corps, Abraham perçoit à l'œil ainsi qu'au toucher les frémissements de son amie et c'est par ces bien maigres indices qu'il explore, comprend puis assimile ce qui est attendu de lui lors de l'acte charnel.

    L'acte semble si naturel, si plein de vie et de fougue passionnée; il est toutefois infiniment plus millimétré qu'il n'y paraît. Dans les gestes du cerbère, tout n'est que certitude et outrancière confiance, ce malgré une inexpérience qu'il n'a pourtant jamais cherché à dissimuler. Le métal le rend aussi commode que sagace, lui intimant des directives qu'un jeune tourtereau malhabile rêverait de pouvoir suivre. Cette intelligence hors du commun ne s'accompagne néanmoins d'aucune véritable sagesse et c'est donc avec une indéniable bêtise qu'Abraham se méprend sur la source du bonheur de sa douce. Les offrandes aux sens font certes partie du tableau, mais les érotiques exclamations trouvent leurs racines dans l'amour naissant.

    Le renégat sent alors quelque chose, en son for intérieur. Ses pupilles arcaniques, formidablement adaptées à l'obscurité fuyante de l'aube, perçoivent dans les yeux nimbés par les ténèbres une ouverture spirituelle. Lui qui pensait pouvoir admirer cette tendre demoiselle sans s'y brûler se retrouve piégé, au détour d'une maladroite œillade; dans ce jeu dont il croit être l'arbitre. L'acier s'adapte, se pliant à une volonté d'affection qui jamais n'a été convenablement assouvie. Les glaciales manipulations n'ont qu'un auteur mais les victimes du manège romantique sont tout de même au nombre de deux.

    Trop chimérique pour aimer comme un homme, il voit un sentiment teinté d'immondice s'imposer à la place. Ses pensées et calculs sombrent dans un marécage brumeux lorsqu'il passe tendrement ses griffes félines contre les côtes, puis les flancs et encore ce bas-ventre qu'il commence à connaître ainsi qu'à adorer. C'est quand elle souffle son propre nom au creux de son oreille que le flamboiement devient un brasier cristallisé non pas en amour, mais en noire obsession. L'âme d'Hélénaïs ne sera pas qu'une triviale possession; elle deviendra au final son plus glorieux trésor. Elle accaparera ses nuits; ses songes et idéaux. Elle sera ce qui le relie par un fil d'or à ses convictions mourantes. Répondant à cet appel à la jouissance qu'elle ne cesse de lui faire par de suaves murmures, il souffle lui-même :

    "Hélénaïs..."

    Le faciès de son mentor s'éclipse dans les ténèbres de sa psyché, le masque corbin de son père véritable s'éteint alors que la lueur du soleil levant commence à percer au travers de la grande fenêtre. Dans son monde de démence, régi par la violence et la droiture fracturée de la bête sans maître qu'il est devenu, sa compagne sera sa seule et unique goutte de vie. Quiconque osera l'approcher souffrira mille tourments, nul ne lui fera l'affront du mal.

    Personne à part lui. Personne, car il chassera tous les autres.
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  • Ven 23 Aoû - 15:20
    Deux femmes de chambre, un cuisinier et son commis ainsi que les quatre garçons d’écuries fraîchement débarqués des faubourgs de Courage. Emérée, le nez plongé dans une liste griffonnée à la va-vite, était en train de passer en revue le reste du personnel. Si ça n’avait tenu qu’à elle, elle se serait contenté de tous les renvoyer, c’eut été plus sûr mais elle savait qu’Hélénaïs n’aurait su le tolérer. La grande majorité des domestiques qu’elle employait ici était les enfants de ceux qui l’avait vu grandir et elle savait que la jeune sénatrice les aimait comme les membres de sa propre famille, bien qu’elle n'eut jamais entretenu ouvertement ce genre de liens. En retour, ils lui avaient toujours été loyaux et ils l’étaient encore. Plusieurs d’entre eux, qu’elle avait mit dans la confidence, avaient même refusés la somme rondelette qu’elle leur avait proposé pour acheter leur silence. Et Emérée ne pouvait que les comprendre ; elle-même était victime du caractère généreux de sa jeune maîtresse et comme les autres, elle l’aimait profondément. C’est pourquoi elle n’avait pas déjà fait savoir à la garde républicaine qui se trouvait à l’étage de leur maison, ni posé sa démission. Elle avait eut l’occasion de le faire à plusieurs reprises ce soir-là et elle avait faillit le faire lorsque le dernier garçon d’écurie avait quitté le domaine en catimini, une bourse conséquente à la ceinture. Elle était retourné au petit salon, s’était saisi d’une plume, d’un encrier et d’une feuille de papier puis elle avait commencé à écrire.

    “Encore une qui veut se donner bonne conscience” avait pensé Emérée la première fois qu’elle avait vu Hélénaïs. Vêtue d’une robe de coton gris, un torchon jeté en travers de l’épaule et ses cheveux relevés en un chignon négligé qui n’avait rien de noble, elle aurait pu passer inaperçue si seulement le port de sa tête avait été moins altier et la tenancière du dispensaire moins subjuguée par sa présence. Emérée venait à peine de gagner la République à cette époque, elle avait laissé derrière elle sa ville réduite en poussière ainsi que ses espoirs d’une vie tranquille pour emporter le deuil de sa famille qui n’avait pas eu autant de chance qu’elle comme seul bagage. Déjà à cette époque, elle n’était guère chanceuse : cinquième fille d’un éleveur de bétail dans une région reculée de Bénédictus, sa vie se résumait aux bêtes de son père et aux tâches ménagères. Durant toute son enfance, elle n’avait espéré qu’une chose ; quitter cette vie morne. Cependant, elle ne s’attendait pas à la quitter sous les attaques de ceux qu’elle avait prié durant toute sa vie, les mêmes devant lesquels on l’avait forcé à s’agenouiller dans les temples où ses parents l'emmenaient une fois par semaine. Les siens avaient été décimés comme un champ d’herbe sèche par une allumette et il n’était plus resté qu’elle, sept cadavres et une maison en cendres. C’était ainsi qu’elle était arrivée au refuge où Hélénaïs se rendait de temps à autre puisqu’elle en était la mécène. Elle l'ignorait à l'époque et de toute façon, elle n’en aurait eu cure. Elle était en colère, jeune et la petite De Casteille était exactement tout ce qu’elle avait toujours rêvé d’être.

    - Je ne savais pas que les nobles servaient la soupe aux réfugiés. C’est une habitude Républicaine ou vous n’avez pas trouvé mieux à faire ?  Furent les premiers mots qu’Emérée lui adressa, du ton cassant qu’elle utilisait presque tout le temps.

    Hélénaïs avait cillé avant de se reprendre et de se fendre d’un sourire.

    - Je fais difficilement mieux, lui avait-elle avoué en riant. - Mais j’ai au moins le plaisir de converser avec chacun d’entre-vous.

    Emérée n’avait rien rétorqué, elle avait pris son assiette et était allé s’asseoir à sa place.

    Le lendemain, Hélénaïs n’était pas venue. Le surlendemain non plus. Le troisième jour cependant, elle était là. Vêtue de la même robe grise que précédemment, les cheveux relevés pour dégager sa nuque gracile et un éternel torchon posé sur l’épaule. Comme la première fois, elle se tenait devant l’une des grosses marmites et servait des assiettes avec autant d'habileté que possible. Et quand ce fut le tour d’Emérée, alors qu’elle n’avait pas prononcé le moindre mot, la jeune femme lui avait sourit.

    - Je ne vous ai pas demandé votre nom la dernière fois.

    Emérée l’avait dévisagée jusqu'à ce que le vieux bonhomme derrière lui assène un “On a pas tous ton temps m’p’tite !” et qu’elle marmonne un vague : - Emérée, avant de s’enfuir aussi loin que possible de cette sorcière aux cheveux blancs.

    Les semaines s’étaient ensuite écoulées avec une monotonie évidente, seulement troublée par ses quelques rencontres avec Hélénaïs. Presque toujours aux heures des repas et jamais très longtemps. Parfois la De Casteille lui posait des questions sans intérêt : d’où venait-elle ? Vivait-elle seule ? Avait-elle besoin de vêtements ? et puis avant même qu’elle ne se rende compte qu’elle attendait avec une certaine impatience leurs différentes rencontres, leurs sujets étaient devenus moins artificiels. Hélénaïs lui faisait parfois passer des livres de sa propre bibliothèque. Que la pauvre Emérée ne savait pas lire puisqu’elle n’avait jamais appris. Elle avait plusieurs fois réussi à brouiller les pistes en le faisant lire à l’un de ses camarades de chambre qui le lui avait résumé. Mais un matin, alors qu’elle s’armait d’une vieille besace en tissu pour aller courir les rues de la ville à la recherche d’un travail, c’était nez à nez avec la jeune noble qu’elle s’était retrouvée. Contrairement à d’habitude, Hélénaïs était vêtue d’une  robe de brocarts d’or, de cuir et d’un tissu d’un bleu si clair que le ciel lui-même aurait pu pâlir de jalousie. Son habituelle canne noire roulait entre ses doigts et elle arborait un maquillage léger mais qu’elle ne lui avait jamais vu.

    - Tu ne sais pas lire. Avait-elle affirmé d’une voix calme, fixant le vide comme elle le faisait toujours. - Et tu es dépourvu de magie, n’est-ce pas ? Emérée s’était immédiatement empourprée et n’avait pas répondu ; elle n’avait aucune défense, aucun argument, ce qu’elle disait était la pure vérité. Alors elle s’était pliée vers l’avant, aussi bassement qu’elle croyait cela nécessaire.

    - C-c’est vrai. Je suis désolée de vous l’avoir cachée. Articuler des excuses était pénible, plus encore lorsqu’on savait que tout ceux autour d’eux pouvaient les entendre. Rouge jusqu’aux oreilles, Emérée avait fermé les yeux dans l’attente de sa sentence.

    - Alors nous allons t’apprendre. Viens. C’était ce qu’avait simplement répondu Hélénaïs. Et c’était la dernière fois qu’Emérée avait jamais remit les pieds au refuge. Elle s’était ensuite établie au domaine De Casteille et avait, comme promis, appris à lire. Mais également à écrire et à compter. On lui avait même dispensé des cours de bienséance, de courtoisie et de géographie. D’elle-même, Emérée s’était ensuite formée dans différents domaines tels que la négociation, l'économie et la magie même si, à son grand désarroi, elle en restait encore et toujours dépourvue mais pour cela, Hélénaïs ne pouvait rien. Toutefois, c'était elle qui avait proposé à cette dernière de se servir d’elle pour voir. Contrairement à elle, sa maîtresse était douée dans son art et elle entrait dans son esprit avec une facilité qui avait toujours eu le don de la déconcerter.

    Le temps avait fini par passer, Emérée par endosser son rôle de manière exemplaire et leur relation de passer de celui d’employée à amies. Depuis ce jour, elle s’était jurée d’être loyale à la maison De Casteille et plus encore, à Hélénaïs. Pourtant, lorsqu’elle atteignit l’étage et gagna le bureau, ce serment vacilla. L’espace d’un instant, d’un souffle à peine mais il chancela néanmoins à la vue de la cape et du négligé abandonnés sur le sol parmi les encriers brisés et les feuilles volantes.  Les lèvres d’Emérée se pincèrent alors qu’elle entrait dans la pièce pour les ramasser, les replier et les ranger soigneusement à contre cœur. Ses doigts se serrèrent autour de la robe de nuit et elle songea à ce qu’elle avait vu tout à l’heure, à la créature immonde et dangereuse qui s’était tenue aux côtés d’Hélénaïs et qu’elle n’avait pas craint. Pourtant, tout en Emérée lui avait hurlé de fuir. De son regard rougeoyant à ses mains munies de griffes. Ironiquement, elle l’avait reconnu sur l’instant. Elle savait que sa maîtresse aussi, mais la sympathie qu’elle lui témoignait… Déglutissant péniblement, elle reposa la chemise sur le bureau à côté de la cape.

    Hélénaïs avait toujours eu un faible pour les choses abîmées. Plus elles étaient fracassées et plus elle semblait vouloir les réparer. Mais en combien de milliers de morceaux une créature comme Mortifère avait-il été brisé ? Et à quoi serait prête sa maitresse dans l’espoir entêté et idiot de le réparer ? Cette réponse terrifia Emérée mais ce ne fut rien à côté du poids qui lui tomba sur l’estomac lorsqu’elle les entendit, par delà la porte.

    “Non ! Non ! Non !” Figée comme une statue de sel, elle luttait contre l’envie qu’elle avait de faire voler en éclat la mince paroi qui les séparaient. Si seulement la nature avait été plus encline à lui faire présent de magie, elle l’aurait tué. Elle serait entrée et aurait arraché ce parasite à la jeune femme. Mais Emérée n’était qu’une femme, sans magie et sans rien d’autre qu’une profonde dévotion envers Hélénaïs. Alors, elle tourna les talons précipitamment, les morceaux de verre crissant sous ses bottines avant qu’elle ne claque la porte sans aucune retenue.

    Hélénaïs ne l’entendit pas. Son corps était contracté, ses sens entièrement tournés vers son amant qui ne cessait d’aller et venir en elle tandis qu’elle continuait de le serrer contre elle de toutes ses forces, comme si elle pouvait se fondre en lui. Tremblante, sa présence entre ses cuisses était désormais douloureusement agréable et elle n’aurait pas voulu qu’il s’arrête, pas tant que cette chaleur qu’il avait fait exploser dans son corps et sur sa peau continuait de se répandre jusque dans la pointe de ses orteils recroquevillés. Pas tant qu’il continuerait de l’embrasser avec autant d’envie, pas tant qu’elle ne l’aurait pas fait succomber. Elle lui avait promis qu’il ne l’oublierait pas et elle était une femme de parole, elle voulait qu’il repense à ce soir dès que son esprit s’égarerait et que, s’il se trouvait avec une autre femme, se soit son visage à elle qui lui revienne, ses gémissements à elle et son nom à lui sur sa bouche. C’était égoïste, trop honteux pour qu’elle ne le lui révèle, mais à cet instant alors que son propre orgasme n’avait pas encore libéré son étreinte sur son corps et sur son entre-jambe, c’était sa seule vérité.

    - ... A toi, et juste à toi, Abraham. Articula-t-elle laborieusement.   

    Il y a certains mots que l’on prononce durant l’amour et que l’on croit penser, d'autres que l’on pense. Et il y’en a que l’on devrait taire. Ceux-là faisaient assurément partie d'au moins deux de ces catégories.
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  • Ven 23 Aoû - 19:49


    Assouvissant les pulsions qui le mènent à sa propre damnation, Abraham ne quitte plus du regard ce doux visage que l'extase rend si merveilleux. Son cœur, dont le rythme est usuellement lent et formidablement contrôlé, s'emballe au point de faire mine de bondir de sa poitrine. Il n'y a rien plus rien d'autre qu'elle, les tourments perdent toute substance à mesure que les rayons du petit matin viennent lécher la divine silhouette de celle dont il vient tout juste de s'éprendre. Déjà conquis, il entrevoit un idyllique bonheur bâti à deux, un monde fantaisiste où les destructeurs cosmiques n'ont aucune place véritable; illuminé seulement par cet enjôleur sourire qu'il escompte fermement faire sien.

    La voix sensuelle d'Hélénaïs l'électrise. Le flux ininterrompu de ses pensées mêlant réflexions bien humaines et ajustements mécaniques perd de sa rigueur ainsi que de sa logique. Ses iris luminescents s'égarent dans le divin tableau, voguant des lèvres de la belle à sa blanche chevelure alors qu'il s'enlise toujours plus profondément dans le cotonneux mirage d'un avenir trop radieux pour lui. Elle dépose amoureusement sa main contre sa nuque, forçant sur sa prise avec une telle férocité qu'il consent à se lover intégralement contre elle. Il perçoit les tremblements, les contractions musculaires qui se font plus intenses et nombreuses ainsi que l'arythmie de ces soupirs qui hanteront ses songes futurs.

    Abraham est indifférent à l'histoire si riche du domaine, à mille lieux désormais de s'interroger sur les considérations des suivantes de sa moitié. Défait des liens qui l'unissaient jadis au Lion Républicain, il réalise à peine que ses fins artifices n'étaient pas tout à fait mensongers. Il lui a glissé avec une serpentine langueur qu'il avait besoin d'elle plus que de quiconque et maintenant qu'il la dévore si avidement, le renégat commence à y croire avec une vive ardeur. Sa tornade d'émotions, pourtant si solidement encagée derrière de puissantes barrières d'acier, redouble d'intensité au point d'emporter la plus ample part de sa raison.

    "Je..."

    Leurs ébats se font plus brûlants encore. Les serres de la chimère quittent la joue d'Hélénaïs et viennent crisser contre les draps; comme douées d'une volonté propre. S'éloignant instinctivement de ce piège embrasé, elles paraissent traduire l'inconsciente angoisse de se livrer à cœur ouvert. L'araignée réalise tout juste que sa toile n'est pas assez étendue pour retenir une proie si vivace et alors que la main d'Abraham tente vainement de finir sa course sur le matelas, Hélénaïs agrippe cette dextre qui s'échappe pour venir la ramener, presque violemment, contre son corps lascif. L'arachnide voit ses fils s'illuminer alors que l'ardent brasier s'en empare. Ce feu hypnotique engloutit les ramifications du plan machiavélique, puis gomme la frontière peu savamment crayonnée entre profit et désir.

    "Moi aussi, je..."

    De sa toile calcinée, l'arachnide s'échappe par une chute incontrôlée. Abraham pivote, amorçant par intuition un mouvement épousé avec une fusionnelle compréhension par sa partenaire. Bien incapables désormais de s'éloigner l'un de l'autre, ils trouvent de nouveaux appuis sans maladresse, comme s'ils étaient parvenus au fil de ces langoureuses minutes à ne devenir qu'un. Comprimant les renforts métalliques de ses hanches, le cerbère guide sa muse, l'asseyant sans ménagement sur lui. Le métal murmurant, habituellement si prompt à décrypter froidement ce qui relève pourtant des jeux d'amour, n'est cette fois pas capable de décrire cette volonté si simplement masculine qu'est celle de son hôte.

    Le soleil, finalement extirpé de sa matinale torpeur, enveloppe Hélénaïs de ses rayons dorés tandis qu'Abraham, lui, reste niché dans l'ombre que projettent les rideaux. C'est là qu'il lâche prise, abandonné à l'osmose ainsi qu'au plaisir lubrique de se faire témoin des souples déhanchés précédant le final de leur danse nuptiale. Sa résilience, déjà perdue depuis de trop longues minutes de luxurieux chaos, se brise entièrement lorsqu'Abraham ressent subitement par vagues de formidables contractions contre son sexe et qu'il comprend, par pur instinct bestial; ce qu'elles impliquent.

    A cet instant, le temps s'accélère et les soupirs des égarés transis redeviennent des cris aux origines aussi sentimentales que charnelles.

    "...Je serai à toi, Hélénaïs."

    A deux doigts d'atteindre la grâce, Abraham est pris dans l'ouragan. C'est là qu'en dépit de toute vraisemblance, il laisse la main plaquée contre le dos de son amante glisser verticalement, remontant le long de son échine pour enfin quitter sa peau à la jonction des plus hautes vertèbres et du crâne. Il ne se rend même pas compte de la torsion des silencieux mécanismes qui déforme sa paume et ses doigts, ni même de la rotation qui s'imprime sur son poignet. A un fil de distance du cou de celle qu'il tient tant à préserver, il voit alors ses griffes s'étendre comme des dagues tirées à leurs fourreaux et ne s'interrompre abruptement dans leur meurtrière progression qu'à la fraction de seconde où les gémissements d'Hélénaïs se coupent en même temps que son souffle.

    Abraham atteint lui aussi l'extase, un battement de cils après sa compagne. Ils demeurent figés l'un contre l'autre alors que leurs épaules s'affaissent tout doucement et que le renégat médusé accorde son attention non pas à sa charmante amante mais bel et bien à ces armes aussi sordides que menaçantes qui planent toujours derrière celle qu'il croit pouvoir aimer. Il observe, sans tout à fait saisir ses pulsions sauvages, cette queue de scorpion braquée impérieusement au dessus d'eux.

    Incapable de se comprendre lui-même, il demeure muet. Ce n'est que lorsque sa douce enroule un bras autour de ses épaules pour l'embrasser chaudement qu'il vient replier avec toute la discrétion du monde ses monstrueux appendices et qu'au lieu de la meurtrir, il la serre contre lui. Comme si elle pouvait sonder son âme, il fuit ses yeux et vient clore les siens tandis qu'il enfouit son visage empourpré au creux de son cou.
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    Hélénaïs de Casteille
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  • Sam 24 Aoû - 14:50
    Hélénaïs se sentait à la fois légère et très lourde. Encore grisée de plaisir, elle avait l’impression que des fourmis couraient partout sur sa peau. Elle avait une conscience aiguë de la présence d’Abraham à ses côtés et percevait les premiers rayons du soleil à travers la vitre, qui venaient la réchauffer. Le matin pointait déjà le bout de son nez. C’était comme être arraché à un rêve par la force. Si on lui en avait laissé le choix, elle aurait préféré arrêter le temps. Elle l’aurait figé aux limites de l’aube, avant qu’un soleil qu’elle ne pouvait plus voir ne crève l’horizon pour la forcer à s’extirper de ce moment de paix qui ne serait que trop rare à l’avenir, elle le savait.  Hélas, aussi douée de magie soit-elle, elle n’était pas aussi puissante. Condamnée à subir les affres de la vie qu’elle avait choisie. Elle sourit mollement, encore enroulée autour du corps d’Abraham qu’elle sentait respirer dans son cou et réfréna son envie de lui demander ce qu’il pensait de tout ça, d’eux. Est-ce qu’ils auraient un lendemain ? Hélénaïs n’était pas sans savoir que les mots dépassent parfois la pensée, surtout durant ces moments. Mais elle garda le silence en se contenta d’embrasser affectueusement chacune de ses joues avant de le libérer de son étreinte pour se laisser tomber dans les draps. Ses doigts coururent sur le tissu avant qu’elle ne hausse les sourcils.

    - Il me semblait bien… Dit-elle avant de rire sous cape, sans imaginer un seul instant qu’il aurait pu lui faire subir le même sort. Tout comme elle ne le soupçonnait pas d’avoir failli la tuer. Ironiquement, elle ne doutait pas de sa capacité à se contrôler, hormis des griffures semblables à celles d’un chat, son corps était intact. Mais elle ne se savait pas que sous les traits de son amant se cachait un être infiniment plus abject et que c’était avec lui qu’elle devait partager Abraham. Tendant la main, elle l’effleura ; une invitation silencieuse à la rejoindre. Après un silence, quelques secondes de battements où il sembla réfléchir, elle le sentit se glisser à ses côtés. En cet instant, tout semblait si normal. Si atrocement normal. C’était comme si tous les limiers de la République n’étaient pas à ses trousses, comme si la garde Républicaine n’avait que faire de son existence, comme si Zelevas était encore là, prêt à la rudoyer pour avoir fait exactement tout ce qu’il lui avait dit de ne pas faire. Néanmoins, une fois de plus, elle ne comprenait pas sa mise en garde, ni la raison pour laquelle il s’était tant mis en colère. Cela aussi, elle le demanderait au jeune homme un jour, peut-être pourrait-il l’éclairer. Mais pour l’heure, il y avait plus urgent : trouver une manière de le cacher de tous les regards braqués sur lui et empêcher sa propre douleur de venir annihiler toute motivation. Parfois, elle songeait qu’il aurait été amplement plus simple de baisser les bras.

    - Dors ici pour le temps qu’il nous reste. Murmura-t-elle contre sa peau tout en venant passer une main tendre dans ses cheveux noirs. - Demain apportera son lot de problèmes bien assez vite. Et elle savait de quoi elle parlait ; dès qu’elle quitterait la chambre elle devrait faire face aux conséquences de ses choix et à Emérée. Elle ne savait pas lequel des deux l'effrayait le plus. La seule chose qui avait le mérite de l’apaiser un tant soit peu, c’était que personne n’était encore venu frapper à sa porte pour déposer la lettre de démission de la jeune femme.

    Le silence qui régnait dans la chambre était confortable, seulement troublé par les bruits à l’extérieur qui indiquait que le domaine comme ses terres et ses jardins étaient en train de s’éveiller. Pourtant Hélénaïs était incapable de s’endormir, sa tête reposait négligemment contre le torse d’Abraham dont la respiration était redevenue normale mais son esprit était, malgré elle, revenue à ses problèmes. Du plus idiot et insignifiant au plus complexe ; elle songea à nouveau à la lettre de Zelevas qu’elle avait reçu la veille au soir et la douleur sourde dans sa poitrine se raviva, toujours aussi féroce.  Elle ferma les yeux et inspira une grande goulée d’air avant de se redresser légèrement :- J’imagine que ce qui vient de se passer ne t’as pas fait changer d’avis concernant le Reike. Et elle pouvait le comprendre, elle non plus n’était pas certaine d’être enchantée par cette perspective, quoiqu’elle y voyait certains avantages. Déposant un ultime baiser sur ses lèvres, elle se détacha de lui pour s’asseoir au bord du lit. A tâton, elle chercha sa robe de chambre qu’elle avait la mauvaise manie de laisser traîner sur le sol la plupart du temps.

    - Repose toi. Si tu as faim, je peux te faire monter quelque chose. Elle aurait aimé encore un peu dans ce cocon qu’ils avaient créés, mais ça n’aurait pas été raisonnable. - Je vais tâcher de te trouver des vêtements aussi, qui feraient l'affaire le temps de lui trouver quelque chose de plus approprié. Passant une main sur son visage pâle, elle soupira pour elle-même : - Bien, allons découvrir ce que cette nuit m’a réservé.
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  • Sam 24 Aoû - 17:07
    "Désolé pour tes draps. C'est la première fois que ça m'arrive..."

    Il sourit et pouffe avec une allégresse inhabituelle, loin de l'image monstrueuse que le monde veut lui prêter. Abraham envisage d'ajouter qu'il les ferait remplacer puis réalise que son solde usuel risque de ne pas lui être envoyé en temps et en heure. Les contraintes financières sont devenues un problème neuf, une source de troubles qu'Abraham a occulté durant ces derniers jours faits de panique et de miraculeuses échappées mais qui se fraye désormais un chemin jusqu'à ses pensées. Il a revendu une part de son matériel de pointe aux plus offrants, dans la basse ville; mais ce pactole n'est pas fait pour durer et il le sait.

    S'allongeant aux côtés d'Hélénaïs lorsqu'il y est invité, le renégat pousse un long soupir de contentement tout en se plaquant contre elle et malgré l'apaisement, il garde les yeux intégralement ouverts. Lui expliquera t-il un jour que ses gains futurs seront subtilisés à ses prochaines victimes ? C'est la conclusion à laquelle il est parvenu, se sustenter étant évidemment une préoccupation première dans ses actuels projets. Le vol est contraire à ses valeurs, mais sa manichéenne notion du bien et du mal s'effrite un peu plus de jour en jour. L'or sera bien mieux dans sa poche que dans celle des malfrats qu'il s'apprête à occire par dizaines, se dit-il sobrement pour s'épargner un énième débat interne.

    Lorsqu'elle lui propose d'achever sa nuit ici, il ne répond que par une longue caresse; passant et repassant ses serres contre le dos de la demoiselle sans parvenir, tout comme elle, à véritablement sombrer dans les méandres d'un juste sommeil. Se repenchant sans mot dire sur le meurtre qu'il a bien failli commettre, il se questionne sur les intentions de la bête en lui mais ne trouve pour l'heure aucune forme de réponse. L'acier ne grogne plus et les interrogations restent donc entières. S'il ne voit aucun inconvénient à demeurer là, lové contre cette partenaire qu'il adule en secret et qu'il envisage de chérir à jamais; c'est quand il la sent s'éloigner de lui qu'il décide également que l'heure n'est plus à la torpeur. Elle plaisante au sujet de l'Empire du Dragon, ce à quoi il rétorque d'un ton goguenard :

    "J'en pense que tu seras un diamant déposé dans la vase. La seule fierté du Reike est de savoir massacrer avec dextérité. Tu auras le mérite de mettre de la noblesse là où il n'y en a jamais eu."

    Elle l'embrasse, et c'est différent des fois précédentes. La passion instinctive n'est plus de la partie pour le moment; mais les délicates attentions de cet instant d'accalmie lui plaisent tout autant. Le cerbère pivote lorsqu'elle s'assoit pour chercher sa robe de chambre et, tout en installant ses griffes contre les flancs de la jeune femme, il dépose sur l'une de ses cuisses quelques baisers puis la laisse s'éloigner. Alors qu'elle s'empresse d'enfiler sa tenue matinale, il laisse une exhalation traduire son amusement puis ajoute, un peu rieur :

    "Tu n'es pas obligée de t'habiller tout de suite, tu sais..."

    Elle sourit brièvement, mais Abraham n'y lit pas la satisfaction honnête qu'il espère voir sur le visage de celle qu'il veut faire sienne. Sa diligence, bien que louable, provient d'une source faite de mélancolie et d'anxiété. Il ne lui jette pas la pierre, sachant que ces tourments ont des racines légitimes et qu'il serait stupide de batifoler sans s'en soucier. Lorsqu'elle fait allusion aux vêtements, il jette un regard à son propre corps dénudé et hoche mollement la tête, pour lui-même plutôt que pour elle. Il se glisse sous les draps ornés de nombreuses déchirures, soupire puis ajoute :

    "Ne te triture pas trop l'esprit. Tu en as déjà bien assez fait pour moi."

    Il sait qu'il est vain de lui dire, mais l'intention a son importance. Bientôt, il prouvera que lui aussi peut régler des problèmes plutôt que d'en causer.
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  • Sam 24 Aoû - 17:41
    Hélénaïs avait toujours trouvé étrange la manière dont la vie pouvait faire changer les choses en un claquement de doigt. Hier elle était esseulée, dévastée et terrifiée. Aujourd’hui, si elle était toujours dévastée, elle ne se sentait seule et une détermination nouvelle l’animait. Les épreuves qui se profilaient ne seraient pas aisées, pas plus qu'elles ne l’étaient hier soir lorsqu’elle avait vu Abraham débarquer en catimini dans son bureau mais étrangement, elle lui faisait moins peur. Sa présence, quoi qu’on puisse en dire, était rassurante parce qu’elle savait désormais qu’elle ne ferait plus front toute seule. Sur le point de se lever, elle s’abstint lorsqu’elle sentit le contact d’une main griffue et de lèvres sur sa cuisse. Un léger sourire vint étirer ses lèvres et elle plongea à nouveau la main dans la masse de ses cheveux qu’elle caressa affectueusement.

    - Je suis certaine que les Reikois ont d’autres fiertés que le massacre. Du moins, elle essayait de s’en convaincre et c’était là que résidait toute l’ironie. Envoyer une sénatrice pacifiste, humaniste dans un pays encore régi par des lois patriarcales et où la violence faisait foi, c’était à rien n’y comprendre. Mais peut-être y avait-il là une carte à jouer. Le moment de se pencher sur la question viendrait bien assez tôt. Pour l’heure, elle avait des chats autrement plus inquiétants à fouetter.  Après avoir laissé ses doigts courir sur le tissu pour en trouver le sens, Hélénaïs l’enfila non sans laisser un sourire flotter sur ses lèvres. A choisir, elle aurait cent fois préféré rester pelotonnée nue dans le lit à ses côtés, toute la journée, toute la nuit et même toute la semaine si cela avait pu régler tous les problèmes qui flottaient au-dessus de leurs têtes comme une épée de Damoclès. Hélas, c’était impossible. Ils le savaient tous les deux.

    - C’est mon travail de me triturer l’esprit, ne l’oublie pas. Ajouta-t-elle d’un air entendu. C’était son devoir de trouver des solutions et des propositions pour changer la face d’un monde qui ne lui plaisait pas, c’était sa responsabilité de préserver Abraham de la sentence qui lui tomberait forcément dessus si par malheur quelqu’un venait à faire le lien entre eux. Bien qu’elle n’en pipa mot, Hélénaïs était déterminée à trouver une faille dans le système de son propre pays pour qu’il puisse s’y glisser. - Pour ce que ça vaut, tu es en sécurité ici. Pour un temps au moins. Du bout des doigts, elle effleura les siens, trop loin d’elle pour atteindre quoi que ce soit d’autre puis elle se leva, resserra le lien sous sa poitrine et quitta la pièce.

    Activant son senseur après avoir récupéré sa canne, la jeune De Casteille passa en revue les signatures qu’elle percevait encore. Arrivée en haut des marches, elle s’arrêta. Emérée, l’y attendait. Un soupire las et résigné lui échappa et Hélénaïs consentit une bonne fois pour toutes à quitter l’illusion de paix qu’elle et Abraham s’étaient forgés.
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