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  • Dim 30 Juin 2024 - 21:33
    Vers -10 000
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    Le bruissement d’ailes attire l’attention de Zachary, alors qu’il pénètre dans la fauconnerie, tout en haut du temple d’Aurya. Un léger sourire s’affiche sur son regard, alors que, à peine entré, l’homme est accueilli par des criaillements d’oiseaux. Tout en haut de ce lieu de prière, dédiée à la déesse de la perfection, se tient cet élevage, somme toute humble, mais néanmoins plaisant, il doit bien l’admettre. Du mieux qu’ils peuvent, les rapaces réclament ardemment leur pitance, comme si le nouveau-venu est en retard et qu’il a commis là un crime de lèse-majesté. On n’est qu’à l’aube, pourtant, mais les premières lueurs du jour réveillent déjà les oiseaux qui, bientôt, voleront dans les cieux du Sekai.

    - Vous êtes de loin bien plus énergique que l’une de vos maîtresses, observe le bellâtre avec un léger sourire, alors qu’il se penche vers l’un des buse blessée, qui ne pourra retrouver l’air frais aujourd’hui. Habituellement, c’est Joseph, le fauconnier, qui s’occupe des bêtes ailées tout en haut du temple, mais, comme toute homme de ce monde, son congénère est sujet aux maladies et aux faiblesses de sa race. Cloué au lit par un rhume élémentaire, il a été demandé à l’intendant de prendre sa place temporairement, ce à quoi Zachary a acquiescé sans mot dire. D’une part, le pauvre fauconnier ne mérite pas qu’on néglige ses oiseaux. D’autre part, cela montre aussi qu’on lui fait confiance, et qu’il s’intègre de mieux en mieux aux divinistes des environs. Une bonne chose, puisque le dénommé Zach est là pour s’infiltrer parmi eux. Quant aux soins à fournir aux bestiaux, cela ne lui pose pas réellement de problèmes, tant qu’il se lève un peu plus tôt pour faire sa besogne. D’ailleurs, l’ange aux cheveux argentés n’est pas là depuis quelques temps. Son compère l’avait averti que la dénommée Siame assistait à l’envol des rapaces le plus souvent possible, mais la fille d’Aurya est étrangement distante depuis une certaine période, comme si elle cherchait à s’isoler, ses dieux seuls savaient pourquoi. Zachary en fait peu cas, et s’en fiche même comme d’une guigne : à dire vrai, ne pas l’avoir dans les pattes lui laisse plus de liberté pour faire son travail, qu’il s’agisse de celui qu’il accomplissait quotidiennement, ou bien de celui qu’on lui avait demandé d’accomplir en toute discrétion.

    Habituellement discret, car plutôt taciturne, l’homme sortait de son silence quand il devait demander l’aide d’un serviteur du temple pour assurer ses fonctions. Et celles-ci, au moins, avaient l’avantage d’être aussi diverses que variées, puisqu’il avait réussi, après de longs mois de dur labeur, à être l’intendant de ce lieu de prières. Il coordonnait donc les différentes activités religieuses (sans pour autant y assister), contactaient avec les commerçants pour se raviver en ressources quand c’était nécessaire – telle la commande de bougies ou de l’encens -, notaient les différentes réparations à effectuer, et enfin, faisaient ponctuellement le lien entre le clergé et les fidèles, quand ces derniers n’osaient pas trop les approcher. C’était ainsi qu’il avait parfois « malencontreusement » oublié quelques demandes qui concernaient Phèdre en priorité, chose que, bien entendu, sa sœur n’avait jamais réellement apprécié. Mais il fallait bien la laisser se reposer, et puis, avec ses diverses tâches, un oubli était bien pardonnable, non ? Dans ces rares moments, Zachary avait presque un sourire impertinent à l’encontre de celle qu’on appellerait des millénaires plus tard la Prophétesse. Mais, hormis ces quelques petits bémols, son travail restait néanmoins irréprochable, de sorte que le temple se portait relativement bien. Même si, avec l’absence de Siame, il y avait bien eu l’apparition de quelques petits… « tracas ».

    - Zachary !

    Une voix s’élève dans son dos, et l’espace d’un instant, le Shoumeïen devine déjà ce que va lui dire Martha, une petite bonne femme un peu sourde, pas méchante, mais un peu… un peu trop maternelle, voilà.

    - Zachary, elle ne veut pas se lever !

    Pas besoin de préciser qui est le « elle » en question, mais l’intendant ne ralentit pas le pas pour autant alors que la sacristaine, celle qui range tous les objets religieux du temple, se met à marcher à ses côtés.

    - Tu lui as préparé un bain ? lui demande-t-il.
    - Je lui ai même mis ses arômes préférés ! lui rétorque la bonne dame d’un ton fier.
    - Et son petit-déjeuner ?
    - Comme elle n’est pas enceinte, je lui ai apporté les meilleures gâteries !
    - Et pourquoi tant de délicatesse de ta part ? sourit encore Zachary.
    - Parce que… L’intéressée fait la moue. Parce qu’en tant qu’ange et servante céleste de notre Maîtresse, - le sourire de son interlocuteur se fige un peu, mais elle ne s’en aperçoit pas - il faut bien qu’elle préside la cérémonie religieuse de ce matin.
    « Tu m’étonnes qu’elle ne veut pas se lever » songea l’intendant, alors que Phèdre était, de son point de vue, encore considérée comme un outil aux mains des croyants divinistes.
    - Et donc, qu’est-ce que tu me veux ? reprend Zachary d’une voix détachée, même s’il se doute de ce qui va arriver.
    - Si c’est toi qui y vas…
    - … C’est déjà la dixième fois que tu me le demandes en un mois.
    - Tu exagères, ça fait juste deux mois que… Bref. La dénommée Martha toussote. Il est quand même vrai que tu sais t’y prendre.
    - Et que je vais me faire tuer par sa sœur si elle prend qu’un homme a mis un pied dans sa chambre.
    - Mais on ne peut quand même pas attendre le retour de Dame Siame !! s’exclame fougueusement la dévote. On ne sait même pas quand elle va rentrer... fait-elle avec une mine plus inquiète.
    - Oui. Un silence. Puis, tout bas : Ce serait bien si elle ne rentrait jamais.
    La malentendante se tourne vers lui avec un regard un peu étonné :
    - Hum, qu’est-ce que tu as dit ?
    - Rien du tout, sourit de manière hypocrite le concerné.
    Distraite, la bonne femme se contente d’hocher la tête, avant de reprendre, avec l’énergie du désespoir :
    - S’il te plait, trésor, va me la chercher ! Qu’est-ce que je vais dire à Dame Siame, OU PIRE, à Sieur Malazach quand il passera par ici si elle prend des mauvaises habitudes !
    - C’est vrai que ce vieux décérébré pourrait aussi crever, souffla Zachary de manière imperceptible, alors qu’à l’inverse, sa compagne semble suivre un scénario catastrophique dans sa tête. Remarquant d’ailleurs le rictus plein d’ironie de l’intendant, elle reprend vivement :
    - Un peu de respect pour les prêtres des Divins ! Tu as bien dû voir cet saint homme depuis le temps !
    Ce monstre immonde, tu veux dire, la reprend intérieurement l’espion. Mais ne sachant naturellement pas lire dans ses pensées, la bonne femme continue.
    - N’as-tu pas vu la ferveur de ses sermons ? La bonté dans ses regards ? Sais-tu que la dernière fois, il m’a sou…
    - Je vais voir Phèdre, le coupa Zachary, d’un ton soudainement pressé. Il ne préférait pas, il ne voulait même pas entendre la suite, il risquait d’en vômir.
    - Oui, oui, vas-y !!… Une pause. Attends. Zachary ! Tu l’as appelée par son prénom ?!

    Cette fois, l’intéressé ne prend pas la peine de lui répondre, et quittant l’une des alcôves de l’église, il se dirige d’un pas rapide vers la demeure des deux anges. Ce lieu lui serait interdit, en temps normal, si l’aînée de la fratrie était présente, mais comme le dit le dicton, les absents ont toujours tort. Après avoir pénétré dans un petit couloir, et marché un peu, il arrive aux appartements de la belle aux bois dormants, et puisqu’il n’a aucune réponse après avoir toqué à la porte en bois, il pénètre d’un pas feutré dans la pièce. Peut-être que l’ange croira que Martha est revenue pour s’acharner sur elle, mais lui, au contraire, ne dit mot. Quand il pénètre dans la salle, les volets fermés lui font deviner que la sacristaine n’a pas été très futée, ni très diplomate pour arriver même à l’arracher à son lit. La pièce est toujours plongée dans la pénombre – un contexte parfait pour se rendormir – et en plus, ses fameuses gâteries ne sont pas spécialement ce que Phèdre préfère manger au petit matin, note-t-il. Il faut dire que pour l’apprivoiser, il a bien dû apprendre ce qu’elle aimait assez rapidement. Qu’à cela ne tienne, lui la fera sortir du lit, et d’un geste, il ouvre les contrevents soigneusement fermés afin de permettre à la lueur du jour d’entrer dans la pièce.

    - Il est temps de se lever, Princesse, lui déclare-t-il alors que l’air vivifiant de la montagne entre dans la chambre.  Sgaeyl meurt de faim et je ne l’ai pas encore libéré de sa cage, il ne se laisse approcher que par sa douce maîtresse. Allez-vous ignorer les appels au secours de votre faucon adoré ?

    Tout en parlant, un sourire est venu orner ses lèvres, alors qu’il s’appuie contre le rebord de la fenêtre, et qu’il entend la jeune femme remuer dans son lit. Si elle a pu vaincre Martha, elle se doute qu’il n’en sera pas aussi facile avec lui et – bien qu’il se ne l’avouera pas – il prend déjà plaisir à la taquiner.
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    Phèdre
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  • Mer 3 Juil 2024 - 20:43
    Martha était bruyante. Beaucoup trop au goût de Phèdre qui peinait à dormir lorsqu’elle ne sentait pas la chaleur de sa jumelle tout près d’elle. La douceur cotonneuse de ses plumes lui manquait, le rythme lent de sa respiration aussi. Son odeur avait presque complètement disparu de sa taie d'oreiller -qu’elle avait bataillé pour garder-,  le lit lui semblait mille fois trop grand pour elle et même les couvertures ne lui semblaient plus assez chaudes maintenant qu’elle y dormait seule. De plus, sans elle, elle avait l’impression que l’obscurité était plus profonde, plus dangereuse. Comme si en l’absence de Siame quelque chose de terrifiant se tâpissait brusquement dans un coin pour l’observer, attendant le bon moment. Une bête à l'affut, dans l’ombre, qui n’attendait qu’un instant d'inattention pour frapper. Alors elle dormait peu, elle était forcée d’attendre les premières lueurs du jour -l’heure ou Siame s’éveillait en temps normal- ou que l’épuisement ne soit trop grand, pour enfin fermer l’oeil sans avoir l’impression que des serres de ténèbres allait l’étriper vivante.

    C’était idiot. Presque honteux en vérité. A tel point que Phèdre préférait encore subir les réveils bruyants de Martha que d’admettre une faiblesse aussi lamentable. Elle ? Un ange ? Terrifié par quoi ? L’obscurité ? L’absence de sa moitié ? C’était risible. Trop pour sa fierté alors elle se taisait, grapillait autant d’heures de sommeil qu’il était possible de le faire et se montrait aussi retors que sa fatigue était grande. Phèdre avait compris qu’elle avait atteint un certain stade de pénibilité lorsque ce ne fut plus Martha qui se chargea de la réveiller. Elle avait envoyé un homme et l’ange avait songé que Siame punirait Martha pour cela. Toujours fut-il que la première fois, la surprise et la curiosité avaient fini par l’arracher au sommeil. Elle ne lui avait pas adressé un mot et s’était contenté de l’observer en train de lui parler. Il avait ensuite apporté un déjeuner qu’elle avait dédaigné. Alors il en avait apporté un second et comme poussé par une magie quelconque, son estomac avait gargouillé. Cela avait eut l’air de satisfaire l’humain, il avait vaguement souri et s’était éclipsé aussi vite qu’il était arrivé. Ce jour-là, Phèdre avait décrété qu’elle le détestait.

    Phèdre ne parlait presque jamais à personne, c’était Siame qui se chargeait de le faire, elle ordonnait, exigeait, menait le monde à la baguette et sa sœur se contentait d’observer ce monde tourner autour d’elles. Ça ne la dérangeait pas. Phèdre savait mieux que personne que son rôle était celui d’un apparat, d’un bijou grandeur nature que l’on expose comme une pancarte : “Regardez l’enfant d’Aurya, regardez le sang qu’elle peut transmettre”. Toutefois, il lui arrivait d’être jalouse, d’avoir envie de voler un peu de la lumière de sa sœur pour se l’approprier. Parfois, elle était lasse de briller seulement dans le noir, bien à l’abris des regards. Heureusement, Siame trouvait toujours les mots pour la remettre dans le droit chemin. Tout comme elle était parvenue à la rassurer quant à son absence, lui vantant un repos bien mérité de plusieurs semaines avant qu’à nouveau elle ne doive consommer une nouvelle union. Cet argument avait fait mouche ; Phèdre avait cessé de se plaindre de son “abandon”. Mais désormais elle lui manquait et elle en venait presque à regretter. Son dernier accouchement remontait à presque un an ;  c’était bien assez long si cela permettait de faire revenir Siame. Mais Siame n’était pas revenu, Phèdre n’avait été accordé à aucun mâle et ses journées autant que ses nuits étaient horriblement longues. Même pour un être éternel comme elle.

    Ce fut au septième matin qu’elle lui parla pour la première fois. Cette nuit avait été particulièrement agitée et cela faisait bientôt deux mois que Siame n’était pas rentrée. Son absence était un trou béant dans sa poitrine. Une plaie purulente sur laquelle chaque rayon du soleil matinal était une pincée de sel. Elle était déjà éveillée lorsqu’il avait pénétré en douceur dans sa chambre et elle n’avait rien fait pour le lui faire remarquer. Doucement il s’était approché du lit, elle avait sentit les vibration de l’air contre ses rémiges puis il avait déposé une assiette sur sa table de chevet. Ce fut cet instant qu’elle choisit pour déployer vivement l’une de ses ailes sans le toucher, juste assez pour le faire sursauter et l’obliger à reculer.

    - Va t’en ! Avait-elle grondée. - Je suis réveillée.

    Un silence de plomb était tombé sur la pièce, seulement troublé par le vent s'infiltrant entre les interstices des vieilles pierres du temple. Enfin, elle l’avait entendu rebrousser chemin et fermer la porte. Quand elle s’était retournée, l’assiette qu’il avait déposée était remplie de nourriture. C’était une habitude chez lui. Chacune de ses venues était accompagnée de victuailles. Phèdre avait d’ailleurs remarqué que ce qu’elle mangeait finissait immanquablement par lui être resservit tandis que ce qu’elle laissait était remplacé par d’autres mets, comme s’il la prenait pour une créature étrange dont il aurait fallu éprouver les papilles. Elle le méprisait.

    Bientôt, ce qui était une solution de contournement devint un jeu. Phèdre s’amusait de voir jusqu’à quel stade d’agacement Martha était capable de résister avant de faire appel à l’humain. Peu à peu, elle constata que ce seuil était assez bas surtout lorsque son réveil précédait une cérémonie. De toute façon Martha ne l’aimait pas, elle aimait Aurya parce qu’elle était laide comme un pou et espérait sans doute recevoir un don. C’était la conclusion à laquelle Phèdre avait abouti après des heures à penser dans l’obscurité morbide de sa chambre, incapable de songer que c’était une femme travailleuse qui voyait en la jeune ange une créature paresseuse, belle et juste bonne à écarter les cuisses, ses enfants fussent-ils réclamés par une déesse. Elles, deux créatures voués à évoluer dans un monde identique mais dont les statuts autant que les caractères les empêchaient de se comprendre. Pour autant, Martha était dévouée, loyale et toujours polie. Il n’empêchait que Phèdre ne l’aimait pas et que, conjointement, Martha lui préférait Siame qui était son exact contraire. Une raison de plus de haïr l’une et de jalouser l’autre.

    “Il y a une cérémonie aujourd’hui.” Songea Phèdre, l’esprit hagard alors qu’elle tirait sur les couvertures pour les remonter jusqu’à son menton. Martha avait à peine tenu dix minutes avant de claquer la porte en pestant tout bas, sans doute pour aller chercher cette créature éphémère, cet humain dont elle ne connaissait même pas le nom. C’était sa plus piètre performance. D’habitude elle lui tenait tête une bonne vingtaine de minute, tentait de marchander, d’utiliser une voix mielleuse ou même de la rouspéter poliment. Plutôt que d’attendre, Phèdre préféra se rendormir : chaque minute de sommeil lui était précieuse ces dernier temps.

    Lorsque la porte s’ouvrit à nouveau, la conscience de Phèdre était profondément endormie. Peut-être même était-elle en train de rêver à cet instant. En tout cas, elle n’aurait bougé pour rien au monde. Les draps étaient chauds, le matelas moelleux, le coussin tout doux et pour la première fois depuis des semaines l’absence de Siame n’était pas aussi lourde que du plomb dans son estomac. Oh par la déesse! qu’elle aurait voulu dormir des heures, voir des jours, peut-être même jusqu’au retour de sa jumelle si cela lui permettait de ne pas voir le temps passer. Mais alors qu’elle était sur le point de sombrer dans un sommeil plus profond encore, la lumière l’arracha brutalement aux bras de Morphée. Par réflexe l’une de ses ailes se souleva pour cacher son visage.

    Les lèvres pincées, le visage couvert par des plumes blanches, elle luttait contre les envies sanguinaires qu’il faisait naître chez elle. Si les huits lui avait conféré la force, il était certain qu’elle l’aurait balancé du haut de la tour d’astronomie et aurait daigné adresser la parole à Martha pour lui dire d’aller nettoyer les restes. Hélas, Phèdre savait que la force était de loin l’un de ses principaux défauts. Peut-être, songea-t-elle, qu’elle pourrait utiliser ses pouvoirs contre lui. Le posséder un instant, l’inviter poliment à se jeter du haut du mont et prétexter qu’il avait disparu. Oui, ce serait une bonne idée. Personne ne le retrouverait jamais et si quelqu’un venait à lui poser des questions, elle répondrait simplement que comme tous les hommes il était un lâche. Un plan parfait. Son aile s’abaissa légèrement et elle le regarda par-dessus ses rémiges, l’air tout à fait en colère.

    - Je ne suis pas une princesse. Je ne suis pas de ton monde. Répondit-elle au lieu d’écourter son existence déjà fugace. - Et tu n’as pas le droit d’être ici. Ma sœur te châtiera pour cela. Sa voix était rapeuse, la faute à un mutisme de plusieurs jours. - Ferme ces volets et va-t’en. Pesta-t-elle tout en le toisant toujours derrière une frange de plumes blanc écrue. Mais quelque chose lui soufflait -sans doute son sourire abominablement nonchalant- qu’il n’en ferait rien. Alors elle le dévisagea avec toute la méchanceté dont elle était capable, quintessence d’arrogance dans sur un trône de coton et de plume.  Le silence était palpable et son regard bleu ne quittait pas celui mordoré du jeune humain.

    “Je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste, je le déteste. VA T’EN !” hurlait-elle en son for intérieur.

    Puis comme il ne semblait pas répondre à ses sollicitations silencieuses, elle abaissa son aile avec méfiance et sans jamais cesser de darder son regard azurin dans sa direction comme si elle était la souris et lui le chat. Mais c’était l’inverse, n’est-ce pas ? De nouveau les secondes s’écoulèrent sans que Phèdre ne dise rien, ni ne pense rien d’ailleurs. Elle ne savait pas ce qu’il voulait, pourquoi il lui parlait, la regardait et s’entêtait à lui apporter ses repas. Désormais réveillée, sa tâche était accomplie, il devait s’en aller mais il n’en faisait rien. Alors elle se leva, laissa le draps tomber le long de son corps nu et avança d’un pas dans sa direction sans chercher à se cacher. Le morsure du froid sur son corps fit frissonner sa peau d'albâtre.

    - J’irai voir Sgaeyl. Annonça-t-elle sans le lâcher du regard. - Quand j’aurai déjeuner. Et par là, elle entendait “Où est mon déjeuner ?” Celui qu’il avait l’habitude de lui apporter. Sans attendre de réponse, elle se détourna de lui, souleva ses draps et fila à nouveau s’y dissimuler. C’était sans équivoque : tant qu’il ne lui rapporterait pas son repas, elle ne lui ferait pas l’aumône de s’arracher à son lit. Qu’il essaie donc de l’apprivoiser s’il s’en croyait capable
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  • Dim 14 Juil 2024 - 17:22
    Adossé contre le rebord de la fenêtre, Zachary observait la silhouette de l’ange réagir à la lumière du jour, et tout naturellement  à sa présence. La première fois qu’il s’était aventuré dans cette pièce, il avait été aussi discret qu’une ombre : déposer un repas et le récupérer lui avait pris moins d’une minute, et il avait été satisfait quand il avait constaté que la demoiselle n’avait pas fait la fine bouche. A cette époque, il ne prévoyait pas qu’il reviendrait souvent ici, et il avait vu son intervention comme quelque chose d’occasionnel, presque même comme quelque chose de rarissime. Cette femme était dans un cocon doré qu’il ne pouvait atteindre, et puis, sa sœur reviendrait vite, la protègerait, lui servirait de rempart face au moindre inconnu. Mais voilà, l’aînée avait été de plus en plus absente, au point de disparaître de longues semaines ; et en conséquence, il fallait bien que Phèdre fréquente d’autres personnes. Même si on était un enfant ou un serviteur des Dieux, toute créature avait besoin de contacts humain, au sein du Sekai. La belle ne faisait pas exception. C’était ainsi qu’une brèche s’était créée et que l’intendant s’était retrouvé dans un rôle qu’il n’aurait pas cru jouer un jour.

    Mais est-ce que ça lui déplaisait ? Même quand elle lui avait adressé la parole la première fois, pour lui dire de s’en aller, l’homme n’avait pas bronché. Ses ailes l’avaient surpris, oui, il avait même été pris de court et avait sursauté, car Zachary s’était habitué à n’avoir aucune réaction de la jeune femme. Mais cela ne l’avait pas empêché de revenir. En théorie, il continuait parce que l’opportunité était trop belle, parce que cela lui permettait d’entrer dans le cœur de l’organisation religieuse – même si ce culte restait quand même centré uniquement sur Aurya. En pratique, le guerrier s’était déjà demandé s’il n’avait pas fait cela d’abord dans un élan de pitié, face à cette fille qui n’était qu’un objet, un bijou d’apparat qu’on montrait avec fierté. Mais bientôt, ce sentiment avait évolué en autre chose. La curiosité à son égard ? L’envie de la sortir de sa cage ? Était-ce, peut-être, un moyen de se rebeller, face à ces divinistes qui cherchaient à manipuler l’une des leurs ? L’affection de Siame envers Phèdre était naturellement sincère, mais Zachary était en dehors de ce cercle et ne pouvait s’empêcher de la critiquer pour leurs rôles bien distincts. Il abhorrait la façon dont était traitée sa cadette, mère porteuse condamnée à rester dans l’ombre et à simplement donner vie à ses enfants. Peut-être que ce mépris pour la Prophétesse ainsi que pour le temple avait été ce qui avait été son moteur, au début. Isolée de tout, l’ange ne méritait pas, selon lui, d’être ainsi reclue dans sa chambre et dans ses appartements. Puis, un véritable intérêt pour la demoiselle était né au fil de leurs rencontres. La lutte contre les Divins était doucement passé en second plan, et il avait cherché à connaître son caractère. Ses formes… n’étaient pas ce qui avait attiré l’intendant, au premier abord. D’ailleurs, jamais il ne l’avait réellement regardée comme avaient pu le faire les autres individus qui avaient couché avec elle : il ne la détaillait jamais et se contentait surtout de croiser son regard, pour que jamais elle ne le voie comme un intrus qui la regardât comme un objet. Contre toute attente, il s’était amusé à découvrir ses goûts, notamment alimentaires, puisque c’était lui qui avait de plus en plus souvent la charge de lui apporter ses repas. Mais il ne pouvait pas dire que c’était suffisant non plus. Son caractère restait une énigme. Oh, certes, elle était paresseuse, elle traînait au lit, elle était désagréable, elle préférait la solitude, mais, en y réfléchissant bien, s’était dit Zach, son comportement pouvait s’expliquer facilement. Lui-même était une anomalie dans sa vie, et du reste, la jeune femme devait être dévorée par l’ennui. Impossible de laisser les choses en l’état, et si sa sœur était trop occupée pour prendre soin de sa jumelle, alors il n’allait pas se priver de tordre les barreaux de sa cage.

    Mais apprivoiser Phèdre restait quand même un sacré défi. Ce fut en vain qu’elle se protégea le visage de la lumière du soleil, car ses pupilles allaient bientôt s’habituer à la lumière de toute façon. Son ton, par contre, indiquait bien qu’elle l’avait mise en colère, et il haussa légèrement les épaules face à l’un de se propos.

    - Oui, Dame Siame n’appréciera certainement pas que j’aie pénétré dans vos appartements, c’est une certitude. Une légère pause. Avant qu’il ne continue. Mais malheureusement, elle n’est pas là et je ne suis pas d’avis de vous voir dépérir jour après jour. Cela dit, l’ange s’était déjà retournée dans son lit, et il laissa planer un silence, sans bouger, jusqu’à ce qu’elle soit enfin obligée de le prendre en compte. La patience était une vertu, n’est-ce pas ? Et le silence, il pouvait le supporter longtemps.

    Ce fut finalement lui qui gagna puisque Phèdre daigna se lever, mais pas de la plus pudique des manières. En effet, l’ange était bien debout, oui, mais dans toute la splendeur de sa nudité, et réaction humaine oblige, l’attitude de Zachary sembla se durcir légèrement, comme s’il désapprouvait à demi-mot le fait de se déplacer de telle façon en présence d’un autre. A défaut de pouvoir regarder ailleurs, l’intéressé planta résolument son regard dans les yeux de la miss, sans la dévisager de haut en bas, et celle-ci lui lâcha finalement qu’elle ne bougerait pas avant d’avoir mangé son déjeuner. Un léger rictus s’afficha sur les lèvres de son vis-à-vis quand elle eut enfin l’audace de retourner dans son lit et l’intendant finit par se détendre alors qu’il poussait un soupir.

    - Et ça dit ne pas être une princesse ? lâcha-t-il tout bas, non sans une pointe de malice dans la voix. Je vais vous le chercher. Patientez un peu.

    De fait, Zachary se dirigea vers le seuil de la porte, mais au dernier moment, il s’arrêta, et sembla saisir quelque chose dans sa poche. Dans sa main, une poupée très rustique, qui ne payait pas de mine, mais qui était apparemment fait maison.

    - Au fait, j’ai rencontré une gamine de huit ans, hier. Après une grossesse difficile, sa mère a été condamnée à ne plus porter d’enfants, mais celle-ci voulait impérativement un second enfant. Une légère pause. La petite a compris, à l’époque, que son petit frère venait du Temple. Et donc, incidemment, de Phèdre. Le gosse ayant eu ses un an récemment, ils sont venus rendre grâce à Aurya. Evidemment, la petite pense que vous avez été chercher son petit frère chercher dans le Royaume Divin, pour le ramener ici bas sur terre. Ah, les versions innocentes des enfants… Elle m’a confiée cette poupée pour vous remercier. D’un geste, il lui lance le jouet, qui atterrira juste à côté de Phèdre. Je crois que vous avez fait une heureuse. Sur ce, je reviens.

    Certes, l’homme n’approuve pas le rôle de Phèdre, mais cette histoire pourra peut-être la consoler un peu, dans son amertume de perdre ses enfants. Enfin, si elle en est amère, seulement. Zachary n’en sait rien, il ne prétend pas se mettre non plus à la place de cet être éternel, mais il suppose qu’enfanter de cette façon ne doit pas la laisser indifférente. Du reste, il est rare qu’elle reçoive des présents, Siame servant sans doute de filtres pour ce genre d’affaires. Est-ce que c’est une bonne ou une mauvaise idée de lui avoir donné la poupée, il n’en sait rien, mais les yeux pétillants de la fillette – entièrement dévouée à la cause titanide, malheureusement – avait eu de quoi être attendrissant.

    Passant par les cuisines, il faut naturellement un peu de temps pour que le plat soit préparé et servi. Avec sa chance, se dit le guerrier, la fille d’Aurya sera profondément rendormie… Enfin, il n’avait pas refermé les volets, cela l’encourageait peut-être même à faire un pas sur la terrasse de sa chambre. Mais il n’avait pas trop d’espoir.

    Quand il revient, il dépose comme à son habitude le plat au même endroit. Prudent – on ne sait jamais, avec ses ailes –, il s’écarte sans regarder la silhouette et jette un simple coup d’œil par la fenêtre.

    - Il fait beau, aujourd’hui. Vous voulez faire un tour avec votre faucon ?

    Oui, il n’y a rien de plus banal, comme sujet de conversation. C’est à la fois faire preuve d’un flegme absolu et d’une audace nonchalante, mais puisqu’elle a chamboulé son propre programme, Zachary s’amuse un peu à la bousculer, à sortir de ses retranchements, et surtout, de sa zone de confort.

    Il l’écoute en tout cas répondre, et puisqu’il sait qu’il n’y a rien de plus désagréable que d’être observé en train de manger, il finit par reprendre la parole au bout d’un instant.

    - Le bain qu’a préparé Martha doit être froid. Je vais vous mettre de l’eau chaude. Je vous laisserai par contre choisir les arômes ainsi que votre tenue, la prévient-il. D’habitude, c’était Martha qui s’en occupait le jour d’une cérémonie, mais lui, il est un homme, il est capable de faire pire que bien. Prévenez-moi quand vous avez fini. Il est à deux doigts d’ajouter qu’elle n’est pas obligée de mettre sa tenue de cérémonie si elle veut effectivement accompagner Sgaeyl dehors, mais il se retient. Avec son caractère de rebelle, elle est capable de faire tout l’inverse de ce que souhaite Martha, ce qui l’arrangerait bien.
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  • Jeu 18 Juil 2024 - 20:51
    La poupée atterrit aux côtés de Phèdre et avec elle le poids douloureux de centaines d'enfants dont elle ignorait autant les visages que les noms. Des enfants qui avaient ses yeux, peut-être même sa bouche ou la fossette qui se créait dans le creux de ses joues lorsqu’elle souriait. Elle n’en savait rien, elle ne les revoyait jamais, Siame y veillait méticuleusement et Phèdre ne s’en plaignait pas. Le déni était mille fois plus réconfortant que la vérité crue du but de son existence. Ce rôle qui lui avait été attribué pesait parfois lourd sur ses épaules mais elle était une ange loyale, docile. D’aucun pouvait la qualifier de caractérielle et certains mortels, comme Martha, avait peur d’elle et de ses humeurs. Pourtant, elle n’était rien de plus qu’une enfant trop choyée dans une cage dorée qui n’a de cesse de rapetisser autour de son âme qui continue de grandir décennie après décennie. Feuille vierge lors de sa création, Phèdre avait -comme sa sœur- commencé à développer sa propre personnalité. Années après années elle avait eu ses propres expériences et modelé ses jugements à son image. Mille autres comme elle aurait pu finir par se détourner du chemin. Pourtant Phèdre n’avait de cesse d’y persister, s’y accrochant comme un bateau à ses amarres, même en pleine tempête. Siame pouvait être fière de l’influence qu’elle avait sur sa jumelle et de l’amour que lui portait cette dernière. Toutefois, il arrivait que cette foi vacille, que cet amour dévoyé et aveugle n’entrouvre un œil et dans ces moments, c’était les fondations de sa psychée qui s'ébranlaient.

    L’humain était déjà parti lorsque Phèdre releva la tête pour regarder l’endroit où il se tenait un instant plus tôt, son joli visage déformé par la douleur et la peur n’était plus qu’un masque de laideur infâme. Sans crier gare, elle tenta de briser la statuette en deux. Le bois lui résista,  une fois de plus sa force lui fit défaut. L’exaspération l’emporta sur la raison et elle jeta le jouet à travers la pièce. Le bois ricocha sur les vieilles pierres avant d’aller heurter le sol dans un bruit mat. Elle toisa la statuette de son lit comme s’il s’était agit d’une créature répugnante. En retour, les yeux vides la fixaient, l’accusant, la pointant du doigt pour sa loyauté envers ses dieux, envers sa mère et envers sa sœur mais aussi pour sa lâcheté ; celle de n’avoir pas voulu connaître ni les visages, ni les noms de ces enfant, de ne pas se souvenir de leurs pères et de ne surtout jamais vouloir les revoir. Pour cette raison, Siame lui avait toujours permis d’échapper aux cérémonies qui ne la concernait pas directement ; afin que jamais elle n’ait à croiser leurs regards. Il était toutefois arrivé qu’elle s’y présente, les yeux rivés sur le sol en forçant son esprit à se recroqueviller sur lui-même, quelque part dans un coin de sa tête dont elle était la seule à connaître le chemin.

    - Ce n’est pas… L’enfant est à Aurya. Cracha-t-elle à la poupée comme si elle pouvait lui répondre. - C’est elle qu’il faut remercier. Elle et Sisi.Parce qu’après tout, c’était Siame qui délivrait les messages de la Titanide. Elle aussi qui choisissait les hommes dont l’ange allait porter les enfants. Phèdre ne faisait que don de son corps, un bien maigre présent dans une lutte aussi gigantesque que la leur. Un œuvre lente, interminable mais où chaque âme au sang-mêlé, chaque ferveur renouvelée par la venue au monde de ses descendants était une pierre apportée à l’édifice. Un combat qu’elle et sa sœur entendaient bien gagner. La rage lui tordant l’estomac, Phèdre se leva de son royaume de coton et de draps et parcourut la distance qui la séparait du présent qui lui avait été fait. Ses doigts se refermèrent autour du corps de la poupée et elle traversa la pièce jusqu’à la cheminée.

    - Je n’ai pas d’enfants. Confia-t-elle à la statuette avant de la laisser tomber dans les flammes et de s’en détourner. Les yeux du jouet la fixèrent, immuable dans le bois sombre où ils étaient taillés, jusqu’à ce qu’il ne reste plus de lui qu’une paire de pieds calcinés.

    Quand Zachary revint, Phèdre avait passé  l’une de ses robes simples qu’elle portait toujours et qui faisait ressortir la teinte écru de ses ailes. Elle était debout, dos à la porte et en train de se demander laquelle de ses pèlerines serait la plus à-même de la garder au chaud.

    - Oui. Fut son unique réponse. Oui elle irait voler avec Sgaeyl puisque sa sœur n’était pas là pour le faire et que son estomac était maintenant rempli de plomb. Finalement son choix se porta sur la cape d’un gris anthracite, qui était aussi terne que l’hiver dans les Monts de Célestia. D’un geste agile, elle l’a fit glisser sur ses épaules avant de se retourner pour observer l’assiette que Zachary avait déposé près de sa tête de lit. Si elle avalait quoi que ce soit, elle le rendrait sur le champ. Alors elle pinça les lèvres, fronça le nez et releva le menton en reprenant son air capricieux. -  Je n’ai pas faim. Et je n’ai pas envie de prendre de bain maintenant. Je ne vois même pas pourquoi vous voulez que j’en prenne un. Nous ne le faisons que lors de cérémo… Ses traits se durcirent. - Siame n’est pas là, il ne peut y avoir aucun office sans elle. Ses yeux dévisagèrent le jeune homme et trouvèrent leur réponse sans qu’il n’ait besoin de prononcer un mot. - Non. Je ne le ferai pas. Et elle tourna les talons.

    La colère faisait bourdonner ses oreilles, le sang battait ses tempes au même rythme que les tambours de guerre et en un éclair, sans même s’en être rendu compte, elle était arrivée à la fauconnerie. L’odeur aigre de la fiente la prit à la gorge et dissipa l’étau brumeux de son esprit. Ses yeux bleus se posèrent sur les différentes cages, celle où le faucon de sa soeur attendait calmement en la regardant avec ses grands yeux jaune. A l’image de sa maîtresse, il attendait patiemment ce qui devait venir. Phèdre fit un pas vers lui mais un cri aussi puissant que strident vint lui vriller les tympans. Un sourire se dessina sur ses lèvres pour la première fois depuis des jours.

    - Joseph ? Appela-t-elle. En dehors de Zachary -qui ne lui laissait pas vraiment le choix -, Joseph était l’un des rare humains à qui Phèdre adressait la parole. Sans doute grâce à Siame qui le considérait suffisamment pour que sa cadette daigne en faire de même. Hélas, seuls d’autres cris plus puissant encore lui répondirent et elle dû se résoudre à s’aventurer seule dans la fauconnerie.

    La cage de Sgaeyl grinçait au moins aussi fort que l'oiseau piaillait mais ce dernier daigna enfin se taire lorsque Phèdre lui tendit son poignet. L’animal n’hésita pas et vint s’y poser tout en plantant ses serres dans sa peau d’albâtre. Ensemble, ils rejoignirent l’air de vol où l’air frais de la montagne ne trouvait aucun autre obstacle que la silhouette mince de Phèdre. Tendant le bras, elle libéra l’oiseau qui s’envola immédiatement vers le ciel ou il ne tarda pas à devenir qu’un point bleu roi au milieu de l’étendue laiteuse. Sa pèlerine glissa de ses épaules, libérant ses ailes qui se déployèrent pour la première fois depuis des semaines.

    - Encore toi ? Demanda-t-elle quand elle entendit des pas derrière elle. Cette fois ce n’était pas de la colère, mais plutôt de l’étonnement et une pointe d'intérêt.
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  • Mer 24 Juil 2024 - 0:35
    Il l’avait laissée à ses pensées, conscient que l’ange avait peu l’occasion d’être mise en face de ses « responsabilités », et par conséquent d’être mise devant la joie de ces familles qui obtenaient un enfant par son intermédiaire. Certaines plaies se devaient d’être cachées pour bien cicatriser, à moins que Zachary ne se trompât et qu’elle fût totalement indifférente à son rôle de génitrice. Au fond de lui, l’intendant en doutait, car les serviteurs des Divins restaient avant tout des humanoïde dotés d’envies, de rancœur, de sentiments : ce qui les rapprochaient en fait terriblement des humains, quand on y réfléchissait. Sans doute, certainement même, que le gardien de Phèdre s’attirerait-il des reproches de Siame si elle entendait parler de cette affaire : pour l’heure, néanmoins, l’homme s’en moquait éperdument et ce fut après quelques temps qu’il revint dans la chambre, un plateau de nourriture en main. Pas de traces de la poupée sur le lit, et à dire vrai, Zach ne chercha même pas après, tant cela aurait été flagrant pour la propriétaire des lieux. Au contraire, il posa son regard sur Phèdre, désormais habillée d’une robe simple, et comme il s’aperçut qu’elle hésitait entre deux pélerines, un commentaire sortit naturellement de ses lèvres :

    - Celle de gauche s’harmonise le mieux avec vos ailes.

    Pourquoi est-ce qu’il disait cela lui ? Il en était le premier surpris, bien qu’il ne regretta pas du tout sa remarque. Elle n’était, au fond, qu’un avis comme un autre, dite avec une telle spontanéité que rien n’était prémédité. Pour autant, rien ne garantissait que la belle allait mettre la cape qu’il avait conseillée, et il se détourna d’elle pour déposer le repas sur une table de la chambre. Dos à la fille d’Aurya, la jeune femme lui répondit qu’elle irait voir Sgaeyl, ce à quoi le guerrier ne répondit rien. Mais quand il croisa son regard, il devina qu’elle allait encore faire un caprice. Pas de repas, pas de bain, pas de cérémonie non plus, donc. Zachary dut faire tous les efforts du monde pour ne pas laisser transparaître un rictus ô combien éloquent, qui voulait dire : « Je savais qu’elle me ferait un coup pareil », mais quand la belle mentionna l’absence de Siame, et que son regard se durcit, l’envie de faire une remarque pinçante disparut. C’était vrai que ce n’était qu’une jeune femme seule, finalement, mise dans un rôle dont elle n’avait pas envie, abandonnée même par son aînée, qui n’avait jamais disparu aussi longtemps depuis qu’il avait mis un pied dans le temps, il y a de cela un peu plus d’un an.

    Lorsque son interlocutrice sortit sans demander son reste, le bellâtre observa un moment le seuil de la porte, comme s’il y trouverait des réponses, puis, il sembla réfléchir et marmonna enfin quelque chose pour lui-même.

    - Je vais devoir prévenir Martha de changer la liturgie ou de trouver un autre figurant...

    Car – il en était quasi sûr – si Phèdre allait à la fauconnerie et prenait du bon temps avec son animal de compagnie, elle ferait en sorte que l’heure de la cérémonie soit dépassée à son retour. Une petite perfidie qu’il pouvait bien pardonner, mais l’idéal était que cela ne retombe pas sur l’ange. Encore que, sa protectrice de toujours balaieraient certainement les plaintes de la sacristaine d’un revers de main. Mais en son absence, il était inenvisageable de l’attendre pour régler ce genre de soucis. Se penchant donc dans un premier temps vers l’âtre de la pièce, Zachary vérifia qu’il y avait des bûches en suffisance pour que la pièce ne devienne pas froide d’ici quelques temps, et alors qu’il utilisait le tisonnier pour remettre convenablement un morceau de bois, il aperçu les deux petits pieds de la poupée qu’il lui avait offerte. Tiens, donc, elle l’avait rejetée. Une fuite, peut-être. Du dégoût, peut-être aussi. Ce n’était pas forcément une bonne idée de la laisser seule dans cet état d’esprit…

    Déposant la tige métallique dans l’endroit prévu à cet effet, l’intendant sort et s’aventure dans un premier temps dans l’église réservée aux fidèles et, bien sûr, aux organisateurs du culte. Il sait où trouver la vieille dame, et il s’aventure donc au bout de la pièce, derrière le chœur de la maison de prière. Un petit couloir le fait mener vers une autre petite pièce – celles ou sont généralement rangée les objets de cérémonie ainsi que les vêtements des prêtres – et il ne tarda pas à voir la silhouette de Martha. Penchée sur un calice, qu’elle nettoyait avec vigueur, elle sursaute presque quand le bel homme arrive à côté d’elle, mais bien vite, ses yeux se remplissent d’espérance.

    - Alors ?
    - Alors rien. Un échec complet.

    Je devrais peut-être le dire avec moins de satisfaction d’ailleurs. Heureusement pour lui, son vis-à-vis ne s’en rend pas compte, et claque la langue avec désapprobation. Et quand elle entre dans des complaintes, du style, « si Dame Siame était là… », Zachary préfère couper court :

    - Je vous préconise de dire que les deux sœurs sont en pleine… méditation pour communier avec leur déesse. Leur absence sera dès lors, sinon approuvée, au moins tolérée. On n’osait pas encore, à l’époque, se dresser contre les Titans, ou alors ces mouvements étaient aussitôt opprimés par leurs serviteurs eux-mêmes. Pour le reste, vous connaissez mieux la liturgie que moi, je suis sûr que vous pouvez confier la part de Phèdre à d’autres membres du sacerdoce.

    Malin, Zach décida de vite s’esquiver pour ne pas être piégé par Martha et l’aider à ceci puis à cela. Il en aurait pour des heures, pire, elle pourrait lui faire assister à la cérémonie sans même que la plus jeune fille d’Aurya ne fût présente. Un comble, quand même, non ? Alors le gérant du temple préféra quitter le lieux de prière pour s’aventurer dans des lieux plus privés de la demeure, et ainsi rejoindre la fauconnerie. C’était là qu’il s’attendait à rejoindre Phèdre, et effectivement, celle-ci avait pris les choses en main malgré l’absence de Joseph. Libérant son oiseau, ce dernier avait grimpé sur son poignet et l’intendant eut tout juste le temps de le voir battre des ailes pour prendre sa liberté et par-là même un grand bol d’air frais. Sa maîtresse, par contre, ne s’était pas encore envolée, probablement car elle avait entendu ses bruits de pas au dernier moment. Quand elle l’interpela, Zachary ne chercha pas à s’effacer particulièrement.

    - Encore moi, confirma-t-il. Son regard se posa sur ses ailes et sa silhouette gracile, et il eut quand même le temps de se dire qu’elle était magnifique. Je suis passé voir Martha pour trouver… de quoi la satisfaire. Conclusion : vous êtes libre. Pour ce matin, du moins. Oui, parce que rien n’indiquait qu’elle ne reviendrait pas à la charge plus tard, mais ils n’en étaient pas encore là. Il faudra trouver une autre astuce pour qu’elle ne vous casse plus les pieds, lâcha-t-il avec bonhomie, sans même se dire que, s’ils s’y mettaient à deux pour casser les pieds de Martha, celle-ci pourrait vivre un enfer et implorer d’autant plus le retour de Siame. Vous allez faire un tour ? Une question plus rhétorique, pendant laquelle Zach jeta un œil au ciel bleu. Dites-moi où vous comptez vous arrêter, si vous ne revenez pas directement ici. Vous n’avez encore rien mangé, et sauf preuve du contraire, vous risquez d’être affamée à un moment donné. Je vous rejoindrai.

    Evidemment, cet arrêt serait proche du temple, mais c’était aussi cela qui rendait possible le fait que Zachary pût la rejoindre à cheval.
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  • Mer 31 Juil 2024 - 18:25
    Les humains étaient-ils aussi agaçants que celui-là ? Ils avaient été nombreux à la servir au fil des années, à œuvrer au sein du temple, sous la juridiction de Siame, et à vivre au rythme des deux anges. Aucun d’eux ne s’était jamais plaint. Evidemment, elles avaient eut leur lot de fainéants, d’incapables, de menteurs et d’intéressés -tous avaient finit par prendre la porte ou rejoindre le royaume des morts plus vite qu’ils ne l’avaient espérés- mais parmi cette multitude d’âmes qui avait foulées les dalles en pierre grise du temple, aucune n’était similaire à celle de cet humain en particulier. Avec son regard mordoré, intelligent et curieux qui avait la manie de fureter partout, de s’attarder sur des détails sur lesquels il n’aurait pas dû, de lui parler comme si des millénaires ne les séparaient pas. Sans parler de leur rang respectif. Face à Phèdre, Zachary n’était qu’un cloporte. Non, il était même moins que cela. Un grain de poussière dans un désert. Mais il se comportait comme s’il était le vent qui créait les tempêtes de sable, faisant changer de cap les gigantesques dunes. Plus qu’agaçante, Phèdre trouvait cette manie intrigante. Divertissante. Et lorsqu’on était âgé de plus ou moins cinq millénaires, on ne crachait jamais sur une distraction.

    Les yeux rivés vers l’horizon, Phèdre semblait capable de voir où se trouvait son oiseau même si le point noir qu’il avait été n’apparaissait plus. Ses ailes bruirent autour d’elle, comme si elle était sur le point de s’envoler et elle fit un pas en avant, se tenant juste au bord du précipice. La tour de vol, forte de ses presque cent cinquante mètres de haut, surplombait la cour d’enceinte où l’on pouvait voir s’agiter quelques religieux. D’ici, ils avaient tous l’air de fourmis. De ridicules petites fourmis qu’un titan n’aurait aucun mal à écraser contre la semelle de ses chaussures. C’était aussi l’endroit d’où les deux sœurs prenaient leurs envols. Siame, comme toujours, n’aimait guère les fioritures et attendait souvent un courant ascendant qui lui permettait de planer rapidement tout en prenant de la hauteur sans faire d’effort. Au contraire, Phèdre était un véritable garnement qui préférait se laisser tomber comme une pierre, tant et si bien que plus d’un membre du personnel avait frôlé le malaise.

    - Je n’ai pas faim. Répéta Phèdre tout en lançant un regard par dessus son épaule, décrochant ses yeux du ciel blanc pour la première fois depuis plusieurs minutes. - Je n’ai guère besoin d’un chaperon. Martha fait ça très bien toute seule. Sa voix était calme mais l’on pouvait en déceler tout l’agacement sans difficulté. Puis elle tourna pour faire face au vide. Il lui suffisait d’un pas et elle basculerait. Il lui suffisait d’un battement d’aile et elle mettrait trente mètres entre elle et l’inconnu. L’envie n’en manquait pas ; il s’agissait des moments qu’elle chérissait le plus, ceux où personne hormis sa sœur ne pouvait lui dire quoi faire et même s’ils avaient voulu, elle se serait élevée suffisamment haut pour ne plus les entendre. Pourtant, au lieu de se laisser tomber, elle recula et tourna les talons. Franchissant en quelques enjambées la distance qui la séparait de Zachary. Elle lui fit face, ses yeux bleus dévalant la courbe de son visage, notant l’angle de sa mâchoire, l’esquisse de ses clavicules qui apparaissaient par le col de sa chemise et dont des mèches brunes venaient souligner la rudesse. Puis elle le toisa comme on le ferait avec un cheval, jaugeant de ce qu’elle voyait et faisant fit du reste. Bientôt son indifférence se mua en colère. Comme si, brusquement, une idée, une suggestion ou peut-être un jugement hâtif venait de prendre forme dans son esprit.

    - Par les huit! vous les hommes êtes tous les mêmes. Sa voix était ronronnante, son regard fait de velours comme si la colère l’avait désertée - un masque de façade savamment maîtrisé-. Un pas de plus et elle réduisit à néant la distance qui les séparait encore. Elle n’aurait pu tendre le bras sans heurter sa poitrine. - C’est pour cela, que tu te glisses dans ma chambre depuis plusieurs matin, à l’insu de ma soeur et sous le nez de Martha. Cette petite catin espère me piéger avec  un… “mâle” aurait été le mot juste, il n’était rien que ça ; une paire de couilles. Ils n’étaient tous que ça. Sans laisser le temps au jeune homme de répliquer, elle prit possession de son esprit, lui intima de rester immobile. Seuls ses yeux étaient en mesure de suivre ses faits et gestes. Phèdre leva sa dextre et fit courir le dos de ses doigts contre la joue de Zachary. - Que t’as-t-on dit à mon sujet ? Elle demanda, sachant pertinemment qu’il était incapable de formuler la moindre réponse. - Que j’ouvrais les cuisses pour le premier venu ? Que l’on pouvait me chevaucher comme une putain dans un bordel ? Que ce temple était celui on l’on peut baiser un ange ? D’un mouvement vif ses doigts vinrent s’emparer de son visage et elle le força à la regarder. Ses iris le sondèrent aussi profondément qu’elle le pouvait. Puis, toujours aussi vite, elle plaqua son autre main contre son entrejambe avant de refermer les doigts autour de ses testicules. - Si tu crois pouvoir t’attirer mes faveurs comme celles d’une jument avec un sucre, tu te trompes lourdement, humain. Le dernier mot passa la barrière de ses lèvres comme un crachat puis elle le relâcha, physiquement mais aussi mentalement.

    Quand Siame reviendrait, il faudrait qu’elle le lui dise, qu’elle fasse interdire les hommes dans l’enceinte du temple. Dans ses appartements. Mais elle se rappela que c'était déjà le cas - au moins pour ses appartements - et un petit sourire vint relever l’un des coins de ses lèvres lorsqu’elle déduisit que ce serait Martha qui écoperait d’une punition.  

    - Va me préparer un bain. J’ai froid. Et j'ai une cérémonie à présider. Et elle quitta l’air de vol. Sgaeyl reviendrait avant la nuit, sa cage était ouverte et Phèdre entendait bien s’en assurer.
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  • Sam 10 Aoû 2024 - 19:00
    Zachary savait que c’était une garce, et qu’il ne pouvait en être autrement quand on était enfermé dans un cocon doré depuis des années, voire des siècles, mais pour autant, il n’avait pas vu venir la réaction de l’ange à ces derniers propos. Il pouvait comprendre, bien sûr, que la belle n’eût pas besoin d’un chaperon, surtout après ses quelques millénaires d’existence ; il pouvait concevoir aussi que Martha était suffisamment collante pour qu’elle remplît ce rôle à elle toute seule et que la sœur respirât à une liberté totale, au moins au sein même ce temple. Mais la réalité, c’est qu’elle était bridée, utilisée, que sa liberté n’était qu’illusoire, qu’elle était enfermée, et que même ses vols passagers, bien plus haut que les cimes des montagnes, n’étaient que des bouffées d’oxygène qui la condamnaient toujours à revenir chez elle, dans ce lieu de culte qu’elle partageait avec Siame. Le guerrier soupçonnait et continuait à penser que la fille d’Aurya voulait aller bien plus loin que ces collines et cette campagne, et s’il ne la ménageait donc pas, c’était aussi pour la forcer à casser ses barreaux qui l’entouraient, pour prendre son véritable envol, cette fois.

    Mais semblait-il qu’il avait été trop loin. Du moins, c’est ce que Zachary crût quand il vit la jeune femme se tourner dans sa direction. Son air soudainement renfrogné, les éclairs qui parcouraient ses yeux, lui firent même croire qu’elle allait le baffer, mais non, non, elle était capable de bien plus que ça, en réalité. Puis, sa colère sembla disparaître sous une façade de calme absolu, calme qui ne trompa pour autant le jugement de l’intendant. Elle était en colère et elle s’était imaginé… qu’est-ce qu’elle s’était imaginé au juste ? Fronçant les sourcils à la mention de Martha qui « avait essayé de la piéger », le bellâtre ouvrit la bouche pour tenter de se défendre, mais il se rendit alors compte qu’il n’arrive même pas à bouger ses lèvres. Merde.

    Cette fille était une garce et il allait rapidement le comprendre.

    Quand elle déposa ses doigts contre la joue de Zachary, il comprit alors ce qu’il lui était passé par l’esprit. Forcément, elle ne pouvait qu’avoir mécompris ses intentions – mais en même temps, il ne lui dirait jamais qu’il était avant tout là pour espionner les deux sœurs et comprendre les rouages de leur système pour mieux porter un coup à ce centre diviniste. Là où Phèdre croyait qu’il voulait la baiser comme n’importe quel autre homme qui désirait partager sa couche, lui avait pensé que se rapprocher de la demoiselle lui ouvrirait des portes, sans se laisser douter qu’il se piègerait lui-même par ses propres sentiments. Enfin, dans l’immédiat, ce n’est pas de l’amour qu’il ressent pour l’ange : c’est plutôt un flot d’injures, contre sa propre idiotie et contre sa géôlière, qui lui passe par l’esprit. Car par les Astres et même par les Divins, comme elle dit, qu’est-ce qu’il a mal dans son entrejambe. Clairement, la jeune femme sait où sont les parties les plus sensibles de la gente masculine, et elle sait également où resserrer son emprise. Si l’homme ne peut pas parler, son regard reste un poème de souffrance qui indique qu’il le sent passer, et il se plie enfin en deux quand la princesse du temple relâche son emprise. Il l’entend réclamer un bain mais il ne réagit même pas à ses propos et la concernée ne cherche pas non plus à connaître sa réponse : au contraire, elle s’envole, le laissant seul avec les oiseaux, ce qui est un intermède plus que bienvenue pour le jeune homme.

    - Franchement, siffle-t-il, Madame a des idées bien préconçues…

    S’il avait vraiment les idées claires, il se dirait surtout que les pensées de Phèdre étaient logiques, marquées de bon sens : il ne pouvait la voir que comme un homme qui cherchait ses faveurs pour entrer dans son lit. Surtout en l’absence de son aînée. Mais voilà : la considérer comme un objet était justement ce qui l’avait dégoûté dès le début de son infiltration, et ça le dégoûtait encore. Par ailleurs, la douleur qui le parcourait en ce moment l’empêchait d’être totalement juste. L’idée lui vint même à l’esprit de ne pas renouveler l’eau de son bain pour qu’elle ait à se baigner dans une eau froide. Mais il y avait certaines limites qu’il ne pouvait pas dépasser, lui-même s’étaient déjà permis certaines largesses qui le faisait marcher sur un fil bien fragile. Autant obéir… Faire semblant d’avoir compris. Quoique, non. Il ne saurait pas tenir bien longtemps comme ça. Son esprit rebelle allait trop prendre le pas, il le savait déjà. Pouvait-il trouver un moyen de lui renvoyer l’ascenseur alors ? L’idée était tentante, très très tentante, même mais ça risquait de détruire tout ce qu’il avait essayé de créer jusque-là. Fichue mission, va. Et puis, ce n’était pas en se vengeant, surtout de façon mesquine, qu’il allait lui faire comprendre qu’il ne la regardait pas de la même manière que les autres. Non, la revanche, ce n’était pas un bon plan. Même s’il n’était pas interdit qu’il trouve quelques petites choses pour la faire monter dans les créneaux.

    Enfin, pour l’heure, maintenant que les choses revenaient à la normale, il avait réellement un bain à préparer. Mais quand Phèdre revint de son escapade, elle ne trouva pas l’homme dans ses quartiers. Il ne fallait pas abuser non plus, il n’allait pas faire le guet en attendant le retour de sa dame. De toute façon, la manière dont les choses s’étaient terminées à la volière aurait rendu les choses quelque peu étranges.

    Mais si l’ange crut temporairement avoir gagné, elle dut bien déchanter quand elle se présenta à la cérémonie pour remplir le rôle de Siame. Si Zach n’était pas parmi les fidèles qui se tenaient dans l’assemblée, il était néanmoins à l’arrière, dans les coulisses, à supporter les commentaires de Martha qui regardait avec angoisse la fête religieuse. Au moins avait-elle complimenté Phèdre pour son choix de tenue qui, il fallait le dire, la rendait superbe. C’était censé être le prêtre, le maître de cérémonie, mais elle lui avait clairement volé la vedette, et pour peu, on aurait dit qu’elle avait toujours accompli ce genre de devoirs. Certainement, sa sœur aurait été fière si elle avait été là. L’intendant, pour sa part, savait que la jeune femme n’avait pas autant l’habitude de faire cela, mais il ignorait si elle y prenait plaisir ou si elle détestait ça. Toujours était-il que, quand elle devait répondre ou faire certains gestes lors de la cérémonie, elle était la première à l’accomplir, et si l’un des fidèles était un peu plus lent que la moyenne pour suivre les gestes de la fille d’Aurya, on lui jetait des œillades un peu critiques, à moins qu’il ne s’agît d’enfants encore trop jeunes pour comprendre le sens d’une telle célébration.

    Enfin, la cérémonie se termina, et loin d’aller vers les fidèles, la belle se retira avec le prêtre pour rejoindre la sacristie, à l’arrière du temple. Elle était censée être une pièce de collection, après tout, il n’était pas question de lui permettre de fréquenter trop le bas-peuple. Zachary ne s’approcha pas trop de la jeune femme, au départ, préférant aider au rangement des quelques objets de valeur pour le culte, et ce n’est que quand  elle finit d’échanger quelques paroles avec le prêtre qu’il la croisa et daigna lui adresser quelques mots.

    - Vous vous en êtes bien sortie.

    Est-il nécessaire de rajouter quelque chose ? Il est plutôt inutile de revenir sur ce qui s’est passé au matin, sauf si les deux loustics souhaitent rajouter de l’huile sur le feu. Et l’homme, au moins, a eu le doigté de parler d’un ton neutre. Il compte en rester là, revenir au matin encore pour lui apporter son petit-déjeuner (et lui faire comprendre qu’il faudra bien plus que ça pour lui faire renoncer à s’approcher d’elle), mais, pour leur surprise à tous les deux, le prêtre qui a présidé la célébration s’approche de l’ange avec une mine soucieuse sur le visage.

    - En temps normal, Dame Siame va recevoir les doléances des fidèles vers l’entrée de l’église. Mais vous savez qu’elle n’est pas là et que je la remplace.

    Aucun ton de reproche dans sa voix, juste un simple constat des faits, et le ministre sacerdotal continue :

    - Je sais que c’est inhabituel, ma dame, mais voulez-vous y aller à sa place ? Je peux m’en occuper et être votre représentant… Mais… Je pense que les fidèles seraient ravis de voir une enfant de nos dieux après deux mois… Naturellement, moi ou l’intendant pouvons vous accompagner…

    Zachary n’a honnêtement rien à voir là-dedans.
    Mais il ne peut se dire que très honnêtement, cette proposition l’arrange pour la sortir de sa prison dorée.

    - Autrement, vous pouvez très bien rentrer dans vos appartements.

    Ca, ça l’arrange moins.

    - Zachary peut vous ramener jusqu’à vos quartiers, pour être certain que vous ne soyez pas alpaguée par certains croyants trop zélés.

    Ou peut-être pas en fait. Mais ce qui est sûr, c’est que la balle est dans le camp de Phèdre.
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  • Ven 16 Aoû 2024 - 12:38
    Phèdre se maudissait encore d’avoir été impulsive. Debout devant le dais, elle relisait les pages d’un livre saint pour se remémorer des psaumes qu’elle connaissait pourtant par cœur. Elle détestait cela ; présider les cérémonies. En vérité, elle ne l’avait fait qu’une poignée de fois au cours de sa longue existence, préférant laisser cette fonction à sa sœur aînée qu’elle considérait infiniment plus douée pour cela. Siame était captivante là où Phèdre était séduisante, elle savait fédérer les foules lorsque sa cadette savait soumettre les désirs à sa seule volonté. Mais aujourd’hui, elle avait voulu agacer l’humain et elle se retrouvait désormais charger de mener la cérémonie à bien. La mâchoire de Martha avait manqué de se décrocher lorsqu’elle était rentrée, furieuse, dans les cuisines en lui annonçant qu’elle présiderait bien l’office. Hébétée, la femme n’avait pas mis longtemps à se ressaisir et lorsque ce fut fait, elle lui avait lancé un regard suspicieux comme si cela faisait partie d’une manigance bien plus complexe. Elle avait raison, Phèdre ne tenait qu’à les agacer tous autant qu’ils étaient, mais surtout lui en faisant l’exact contraire de ce qu’il attendait d’elle. Cette cérémonie serait menée à bien et la jeune femme feraient en sorte de le leur rappeler jusqu’à ce qu’ils rendent tous leurs derniers souffle.

    Ses yeux parcoururent les pages d’un vieux jaune jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à ce que la dernière cloche eut finit de carillonner et jusqu’à ce que le dernier fidèle ait prit place dans le temple. D’abord il y eut un silence, le même qu’ils offraient à sa sœur avant qu’elle ne commence à parler et puis il y eut la constatation ; elle n’était pas Dame Siame, elle n’était pas sa jumelle. Leurs traits similaires n’étaient pas identiques mais c’était surtout la couleur de leurs iris qui les différenciaient. Les siens étaient bleus, loin du gris acier de ceux de son aînée. Elle n’était pas Siame, elle était l’Autre. La paix fut alors rompu par une myriade de chuchotis qui s’élevèrent, incompréhensible mais dont elle n’avait aucun mal à deviner la teneur. Patiente, elle les laissa parler, murmurer et lui lancer des regards en coin. Phèdre faisait en sorte de garder les yeux rivés vers le vitrail au-dessus de la grand porte qui surplombait la basilique et qui réfléchissait les rayons du soleil en un camaïeu de rouge qui lui rappelait le coucher du soleil.

    - Au premier jour… Commença-t-elle. Mais le brouhaha n’’en finissait pas.

    Elle allait les étrangler, tout autant qu’ils étaient. “FERMEZ-LA” Eut-elle envie de leur hurler. Pourtant, elle n’en fit rien et se contenta d’afficher un sourire affable quoique complètement faux. Puis insidieusement, elle laissa sa magie se déverser dans la pièce. Ainsi libérée, elle rampa et louvoya entre les pratiquants jusqu’à ce que le dernier d’entre eux ne l’observe avec une lueur admirative dans le regard. Homme, femme, enfant, vieillard, elle n’en laissa aucun au hasard. Tous séduits, tous réduits à une admiration béate. Et là, seulement, débuta son office.

    Quand elle prononça les derniers mots rituels, elle avait la bouche si sèche qu’elle avait l’impression d’avoir du sable sur la langue. Sa gorge lui faisait mal et ses pieds aussi. Debout depuis des heures, elle n’aspirait plus qu’à une chose : s’asseoir. Utiliser sa magie durant toute la commémoration l’avait complètement vidée de ses forces, surtout sur une grande quantité de personne mais tout s’était parfaitement déroulé et le petit peuple avait mis cette soudaine admiration de sa personne sur le compte de grandes qualités oratoires. Phèdre, pour ne pas les détromper, avait rapidement battu en retraite. Une fine pellicule de sueur maculait son front pâle, elle l’a chassa d’un revers de manche. Siame l’aurait sûrement gourmandée pour ce qu’elle venait de faire, sans parler de Malazach. Quoique le nécromant n’aurait pu que saluer sa prestation. Filant par la sacristie pour rejoindre ses appartements, ses pas s’arrêtèrent net lorsqu’elle entendit cette voix qu’elle commençait à connaître.

    L’air incrédule, elle se tourna vers lui. Encore et toujours, lui. A peine quelques heures plus tôt, elle avait manqué de lui broyer les testicules et avec elles toutes perspectives d’avoir un jour une descendance pourtant il était là et pis encore, il s’adressait à nouveau à elle. Mais contrairement à leurs derniers échanges, elle y décela une certaine méfiance. Il n’était pas si dénué d’intelligence qu’elle le pensait. Néanmoins, il avait piqué sa curiosité. Il n’était pas le premier homme qu’elle côtoyait  mais il était le premier suffisamment borné pour continuer de se trouver dans ses pattes après qu’elle l'ait menacé.

    - Personne n’en doutait. Lui répondit-elle d’un ton égal sans détourner son regard soupçonneux. Elle fut toutefois contrainte de le délaisser lorsque le prêtre qui avait officié à ses côtés s’adressa à elle. Immédiatement la ligne de ses épaules se tendit mais elle écouta ce qu’il avait à dire. A mesure qu’il parlait, les lèvres de l’ange se pincèrent. Tant et si bien que lorsqu’il termina ce n’était plus qu’une fine ligne vermillon. Ses sourcils s’étaient rejoints en leur centre et il n’émanait de Phèdre qu’un agacement profond.

    - Si je vous disais que Siame préfère utiliser son pot de chambre le soir, m'obligeriez vous à en faire de même ? Siffla-t-elle, les dents serrées alors que le pauvre religieux avait tellement pâli qu’il était sur le point de devenir transparent.

    - Non, non, ce n’est pas… Je ne voulais pas.

    Phèdre ne l’aida en rien et le regarda patauger dans des excuses sans queue ni tête. “La prochaine fois, songea-t-elle, il ne me comparera pas à elle.”

    - Toi. Son doigt pointa sur l’intendant. - Tu vas m’accompagner. Puis elle tourna les talons pour se diriger vers la nef où l’attendait sagement une poignée de fidèles. S’arrêtant à la limite de l’ombre qui la dissimulait encore, elle parla sans savoir si son garde-fou l’avait suivi où s’il était partie en courant. - Ne laisse aucun homme, ni aucun enfant poser un doigt sur moi. Siame aime peut-être les bains de foule mais ce n’est pas mon cas. Enfin, elle plaqua l’un de ses nombreux faux sourire sur son visage et s’arracha au couvert des ténèbres.

    Cette fois, nul besoin d’utiliser sa magie, le subterfuge qu’elle avait utilisé durant la cérémonie avait fait son effet et dès qu’ils le purent, ils lui vantèrent tous cette faculté qu’elle avait de parler. Ils lui expliquèrent l’émotion qui les avaient traversés et à quel point ils avaient pu ressentir une ferveur nouvelle. Phèdre les laissa palabrer sans chercher à les contredire puis elle reprit place près du dais, prête à écouter. Son regard était soigneusement évitant malgré le sourire de façade qu’elle affichait.

    L’ange effectua son travail avec brio, répondit avec autant de sagesse que possible. S’inspirant de ce qu’elle avait déjà vu faire mille fois par sa sœur, utilisant les mêmes mimiques contrites lorsqu’il le fallait, prenant un air lointain à certain moment pour à nouveau s’illuminer à d'autres. Jusqu’à ce qu’une femme ne se présente avec son époux.

    - Ma dame, commença la femme  alors que l’ange hochait la tête en guise de salutation. - Mon mari et moi-même souhaitons un enfant.

    Phèdre se contracta imperceptiblement.

    - Bien, j’imagine que vous savez comment vous y prendre. Je ne vois pas quoi faire de plus.

    L’épouse rougit et baissa la tête avant de reprendre.

    - Par delà les montagnes, une rumeur court,  ma dame. Poursuivit-elle d’une petite voix qui, malgré sa faiblesse, résonnait aux oreilles de Phèdre comme si elle hurlait.

    - Et quelle est donc cette rumeur ?

    - L’on dit que votre temple exauce les vœux, l’on dit qu’ici Aurya est plus généreuse qu’ailleurs et l’on dit qu’elle accorde aisément un enfant. C’est pourquoi nous sommes venus de loin pour prier la grande Aurya, pour vous prier vous, l’une de ses filles.

    Les jointures des mains de Phèdre virèrent au blanc lorsqu’elle les serra sur les pans de sa robe. Pour la première fois, son regard se baissa sur le couple. L’épouse était jolie, l’homme bien bâtit mais tout juste passable. Et pire que tout, il était mortel. Elle fronça le nez avant de tourner la tête vers le prêtre qui lui fit un signe de négation ; Siame n’avait laissé aucun message, n’avait envoyé aucune lettre. Phèdre n’accèderait pas à leur demande, pas tant qu’elle n’en aurait pas reçu l’ordre.

    - Vous serez donc désolé d’apprendre que ma sœur est absente. Son ton était plus sec qu’escompté. - Mais elle sera de retour bientôt. Bientôt dans le langage immortel pouvait s’avérer extrêmement long. - D’ici là continuez de prier les huit, votre loyauté sera récompensée. Ou peut-être pas. Phèdre espérait en tout cas que ce ne soit pas le cas, mais ce n’était pas à elle d’en décider. - J’en ai terminé pour aujourd’hui. Sans un regard pour le reste de la queue qui s’étendait dans les marches qui menaient au dais, elle se leva et quitta la pièce. Qu’ils se débrouillent donc avec leur brebis égarées, elle n’était pas bergère.
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  • Sam 31 Aoû 2024 - 14:13
    Un vent glacial souffle furieusement contre les plus hauts monts de Célestia. Le froid lui cingle les joues, mais Siame ne bouge pas d’un pouce. La fraîcheur ne lui avait jamais été déplaisante. La solitude non plus. Assise en tailleur face aux Cieux, elle médite. Depuis des heures, si bien que ses ailes sont lourdement drapées de givre. Ses traits sont peints d’une sérénité absolue, frémissent à peine sous le vent qui continue à hurler comme un Monde en perdition. Mais Siame sait. Siame voit. Parce que sa Maîtresse continue – à cette époque – de la guider. Elle médite sur le silence du passé qui se tasse en souvenir, le brouhaha du futur à venir, et de tout ce qui rampe entre les deux. Elle se met à sourire vaguement, presque moqueuse envers elle-même.

    Tu vas finir par congeler sur place, si tu restes là une minute de plus.

    Sa retraite l’avait poussé à se parler à elle-même. À elle-même, ou parfois, à la chaleur qui se pelotonnait aux creux de son ventre. Cela faisait quelques mois que Siame avait élu domicile sur ce pic isolé—à la recherche de réponses, à ce qu’elle devait être et ce qu’elle deviendrait. Il lui semble que sa Mère se moque d’elle, lorsqu’elle est silencieuse, comme ça avait été le cas ces six derniers mois. Comme si la Titanide possédait un secret que personne d’autre ne verrait jamais et qu’elle n’avait pas l’intention de lui partager. Son ventre arrondi est la promesse de quelque chose d’infiniment pur, ou peut-être de plus terrible encore. Son pouce s’attarda sur le très léger renflement sous sa robe. C’était encore à peine visible, mais assez pour qu’elle le sente peser dans sa chair. L’Ange avait fini par se relever. Elle s’était traînée jusqu’à la minuscule cabane, perchée sur le fil du Monde. Un assemblage improbable de planches grinçantes et quelques clous rouillés, posée là comme une pensée inachevée. Elle ne ressemble à rien. Fragile, grinçante, et pourtant, Siame l’adore. Elle défie toute logique ; elle défie toutes les lois de la nature ; dressée là, brisée et téméraire, dérisoire et obstinée, comme une insulte insolente au vent hurlant. À l’intérieur : presque rien. Un lit de fortune, un réchaud en pierre crachant quelques étincelles en train de s’éteindre, et une fenêtre minuscule qui s’accrochait à la lumière, comme si les rayons du soleil eux-mêmes refusaient de venir compromettre leur beauté dans un lieu si pitoyable. C’est un abri qui ne protège rien—et pourtant Siame ne s’était jamais senti plus en sécurité : loin du Monde, loin des Hommes. Il lui avait fallu laisser sa sœur, pour un temps. Mais elle reviendrait très vite. “Tu n’auras même pas le temps de remarquer mon absence, je te le promets.

    Siame avait senti une bile lui remonter dans la gorge. Sa main avait filé vers le pot d’herbes qui lui servaient à calmer ses nausées, avant de réaliser qu’il n’en restait qu’un malheureux fond—pas assez pour en faire infuser. Un long soupir vient cueillir les dernières miettes. Alors, elle avait déployé ses ailes et s’était rendue chez Isobel. Elle lui rendait visite toutes les deux semaines pour lui acheter ce qui lui manquait. Siame avait frappé, poussé la porte et l’odeur familière des herbes et de la terre était venu lui piquer les narines.

    Dame Siame, je vous attendais.

    La vieille femme la jauge du regard, s’attarde sur son ventre, puis déverrouille le placard et fourre quelques sachets en papier d’herbes. Plus qu’à l’habitude.

    Les nausées se font plus régulières ?
    On ne peut rien te cacher, Isobel.
    N’ayez pas l’air si abattue. Je ne sais pas ce que votre Maîtresse vous dit, mais ce n’est pas un péché, de ne pas en vouloir. Toutes les femmes ne veulent pas être mères.

    Bien sûr que je voudrais être mère,” manque-t-elle de lui rétorquer, “je ne suis pas une femme,” se contente-t-elle de dire en haussant les épaules, incapable de mettre des mots sur ses désirs idiots. Bien sûr qu’elle voudrait poser sa petite joue de velours contre sa gorge et le serrer fort contre sa poitrine—devenir quelque chose de plus grand qu’elle-même. Devenir tout ce que sa Mère n’avait pas été. Devenir tout ce qu’elle avait essayé d’être pour sa sœur, sans en avoir la permission. Ou sans y arriver.

    Avez-vous des nouvelles du temple ? Comment va ma sœur ?

    Isobel avait froncé des sourcils inquiets en lui tendant les sachets scellés. Ses lèvres s’étaient plissées dans un sourire contrit. L'Ange profitait de ses passages pour prendre des nouvelles de la vie à Célestia. Elle la soupçonnait de ne jamais acheter plus d'herbes pour pouvoir passer régulièrement dans ce seul but.

    On dit qu’elle refuse de recevoir les fidèles venus au temple et de répondre à leur demande.

    Siame avait récupéré les sachets et s’était détournée.

    Phèdre devrait faire comme elle le souhaite.

    Elle aussi, aimerait faire comme elle le souhaite. Elle aussi, aimerait bien envoyer balader sa Mère et ses stupides missions. Elle aussi, aimerait ne pas savoir à pousser Phèdre à faire tout ce qu’elle détestait. Elle aussi, aimerait ne pas avoir à assumer ses responsabilités et que quelqu’un soit là pour prendre soin d’elle. Mais ce n’était pas comme ça que l’histoire les avait fait. Sa paume est moite contre le sachet en papier et Siame sent son sang s’échauffer dans ses veines. L’Ange apprendra qu’on a une famille jusqu’au jour où on en a plus. Et qu’il faut prendre soin des gens tant qu’on peut le faire, jusqu'à ce que le destin nous pousse à choisir entre rester et survivre. Elle ne sait pas encore qu’un jour le souvenir de sa sœur se ferait en sanglots étranglés.

    × × ×

    Où est-elle ?

    Martha avait bafouillé quelque chose, que l’Ange n’avait pas pris la peine d’écouter. On l’avait vu atterrir dans la cour et le silence s’était fait. Était-elle revenue pour de bon ? Elle avait l’air changé, sans que quiconque puisse réellement poser le doigt sur l’origine de ce changement. Mais il y avait quelque chose, sur ses traits. Quelque chose de plus doux qu’à l’habitude, peut-être. Quelque chose de plus triste, aussi. Quelques mains s’étaient tendues dans sa direction – comme les Hommes aimaient toucher l’enfant du divin, comme si effleurer sa pureté leur permettrait d’effacer tous leurs péchés – et Siame ne les avait pas repoussé, cette fois-ci. Elle ne s’était pas attardé non plus lorsqu’ils s’étaient rué sur elle, avait agripper les pans de sa robe. On l’avait simplement vu filer vers les appartements, une main enroulée autour de son ventre.

    Elle avait trouvé la porte de leur chambre et n’avait remarqué l’homme qui se tenait devant qu’en posant la main sur la poignet. Ses yeux en silex s’étaient posés sur lui pour le jauger, comme si quelque chose avait été mal accordé. Son visage ne lui était pas tout à fait inconnu. De toute évidence, elle l’avait déjà vu. Mais que faisait-il ici ? Il y avait eu moment de flottement, durant lequel il avait été impossible de dire si elle s’apprêtait à le virer de son poste à coups de pied aux fesses, ou complètement l’ignorer. Par chance, il n’avait pas été dans la chambre de sa sœur à ce moment.

    Quel est ton nom ? Zachary, c’est ça ? Martha m’a dit que tu t’occupais de ma sœur pendant mon absence.

    Difficile de dire qu’il s’agissait là d’un reproche ou d’une bénédiction. Et Siame s’était détournée. Elle avait poussé la porte, et l’instant suivant, était venue cueillir sa jumelle entre ses bras. Pendant l’espace d’un battement de cœur, elle se plaît à s’imaginer lui dire de tout laisser tomber, de lui dire de venir avec elle et de l’emporter. Siame regrettera, longtemps après, de ne pas l’avoir fait. De ne pas avoir pris sa main, ce jour-là, de ne pas lui avoir dit “viens avec moi, partons”. Tout aurait été si différent, si elle avait eut le courage de le faire.

    Sa mission ; et la leur ; lui reviennent alors. Comme un coup de fouet, asséné par sa Mère. Siame ne se rend compte qu’elle se mord la lèvre que lorsqu’elle sent le goût du sang sur sa langue.

    Tu m’as manqué…

    Elle n’a pas envie de parler tout de suite, pas moins qu’elle n’a envie de la rappeler à l’ordre. Elle veut profiter de Phèdre, lui brosser les cheveux, rire à chacune de ses mesquineries et dévorer le plein d’elle qui se fait dans son cœur en prévision du manque à venir. Ce n’est que plus tard, tandis qu’elles sont en tailleur, l’une face à l’autre, ses mains dans les siennes, assises parmi les coussins de soie colorés, que Siame évoque le sujet.

    Pendant un moment, la pièce est saisie d'un silence fragile, précieux, que Siame chérit.

    Tu auras à choisir durant mon absence, Phèdre. Qui est digne, et qui ne l’est pas. Elle passe une main sur sa joue. Tu ne peux pas te tromper. Aurya ne te laissera pas faire d’erreur. Fais-lui confiance. Elle déglutit—sent un tiraillement dans sa poitrine, comme un doigt remuant dans sa cage thoracique. Comme Aurya venu titiller sa foi, une fois de plus. Comme je te fais confiance. Quoi qu'il arrive, je serais revenu pour l'accouchement. Je ne laisserai personne d'autre s'en charger.

    Elle était restée encore, quelques minutes. Une heure. Peut-être deux. Siame avait repoussé le moment fatal où elle devrait repartir. On l’avait finalement vu ressortir. Et l’Ange s’était arrêtée dans le couloir, comme si elle avait oublié quelque chose.

    Zachary ?

    Elle s’était retournée vers l’humain—avait levé lentement ses yeux d’acier froid vers lui. Ces yeux qui donnaient l’air de vouloir vous trancher, dès qu’elle vous regardait. Siame n’éprouvait pas le moindre égard pour eux. La plupart du temps, elle les ignorait. Qu’elle se souvienne de son prénom fut certainement un miracle. Mais parfois, sans qu’on ne puisse réellement l’expliquer, certains – comme Joseph, comme Isobel – s’attiraient une forme de sympathie de sa part.

    Prenez soin d’elle durant mon absence, s’il vous plaît. Martha m’a dit qu’elle ne savait pas comment vous vous y preniez, mais qu’elle finissait par vous écouter… Une pause indécise. Siame hésite. Elle décide de continuer. Ne la laissez pas traîner trop longtemps au lit, le matin. Pensez à retirer les tiges restantes sur les bleuets, dans ses infusions pour le petit-déjeuner. Elle déteste ça.

    Siame n’avait encore aucune idée des portes qu’elle venait d’ouvrir à cet homme. Pas la moindre idée de la tragédie et les chemins sombres, douloureux, vers lesquels elle s’élançait—qu’un jour, elle serait trop remplie de haine pour éprouver la moindre douleur. Après tout, qu’est-ce qu’un Homme, un simple mortel, pouvait bien faire ? Que représentait-il à l’échelle divine de son univers ? Aujourd’hui encore rien. Mais un jour, il représenterait tellement, assez pour que celle-ci n’oublie jamais.

    × × ×

    Siame ?

    Une voix masculine. Le bruit d’un froissement d’ailes qui se referment derrière elle. “Quel est le mal, Siame ?” Pour lui ? Aucun. Le froissement d’ailes qui s’ouvrent. “Parle moi, s'il te plaît.” Et l'Ange était partie sans se retourner.


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  • Sam 31 Aoû 2024 - 21:08

    Zachary devait avouer que, si Phèdre s’était rebellée, en laissant le prêtre en plan, il ne s’en serait pas particulièrement plaint, vu son amour infini pour le divinisme. C’était d’ailleurs ce qu’il avait essayé de manigancer tout le long de la matinée. Il l’avait encouragée à profiter de sa matinée avec son faucon, à fuir ses responsabilités qu’il jugeait de toute façon étouffantes pour la jeune femme. Mais finalement, l’ange avait tenu parole : elle avait bel et bien remplacé Siame et tenu le rôle qu’on attendait d’elle. Peut-être par esprit de contradiction, peut-être parce que la cause religieuse lui tenait peut-être plus à cœur que Zach ne le pensait au départ. Quoi qu’il en soit, la créature des Titans s’était présentée au temple. Oh, naturellement, cela avait créé des chuchotis dans l’assistance, l’homme le premier les avait entendus pendant qu’il contemplait plus en retrait le déroulement de l’office. Mais c’était sans compter le caractère bien trempé de la demoiselle. Quand elle voulait s’imposer, celle-ci savait le faire. Pas forcément de la meilleure des manières – l’événement de ce matin le lui rappelait bien – mais la fille d’Aurya avait toutefois de la ressource. C’est ainsi qu’elle déploya sa magie pour que chacun commençât à la regarder de manière admirative et béate. Zachary aussi, d’ailleurs, en fut victime quelques secondes et ce fut les pensées trop élogieuses à l’égard de la jeune femme qui finirent par le ramener sur terre. Comment ça, il aurait voulu encore la retrouver au fauconnier ? Et comment ça, il aurait encore voulu avoir la caresse de sa main contre joue ? Pour se faire encore broyer les parties génitales ensuite ? Merci mais non merci. Heureusement pour l’intendant, il n’était qu’en périphérie de l’assemblée, et il sut adroitement s’esquiver pour être hors d’atteinte de sa magie. Cela, au moins. Pourtant, si l’espion s’était un peu examiné, il aurait déjà pu voir que certaines pensées n’étaient pas si fausses que ça – qu’il pensait réellement qu’elle était jolie, et que, toute influence magique mise à part, la belle savait quand même bien élaborer des discours pour ses ouailles. Au fond, la séduction mise en place par Phèdre avait su faire ressurgir des émotions que Zachary contrôlait soigneusement, jusqu’à ce que son esprit ne finisse par tiquer sur son comportement un peu trop soumis pour que tout cela vienne uniquement de lui. En temps normal, le bretteur aurait même dû chercher à fuir la sœur de Siame, sauf que les deux tourtereaux avaient le malheur de s’entêter chacun à leur manière. Si la cadette cherchait à aller dans le sens contraire de ce que voulait Zachary, ce dernier, pour sa part, ne renonçait pas à la sortir de son cocon doré, quelle que fussent les réactions « hostiles » de la principale concernée. C’était devenu un jeu : au premier qui renoncerait. Et il n’y avait aucun vainqueur, il n’y en aurait jamais aucun, car ils ne se doutaient pas encore dans quel drame ils allaient se lancer.

    C’est par entêtement que le guerrier s’adresse à elle de nouveau dans la sacristie. Il s’amuse même de l’expression incrédule qui apparaît sur le regard de la Phèdre. Oui, il est encore là. Oui, ce ne sera pas aussi simple de ne plus l’avoir dans les pieds. Il est un peu plus méfiant – pas question de se plier en deux une nouvelle fois – mais contre toute attente, il est aussi résilient. Le duo se regarde donc un instant, avant que la sœur de Siame ne soit contrainte de s’intéresser au prêtre et que Zach ne médite sur sa réponse. Personne n’a douté qu’elle jouerait son rôle à la perfection, certes. Personne n’en a douté, sauf l’élue d’Aurya elle-même. N’a-t-elle pas revu ses textes jusqu’à la dernière seconde ? L’homme tire sa source de Martha, et sur ce point, la vieille dame est une source sûre. Quoiqu’elle dise, Phèdre ne veut pas décevoir les attentes qu’on a d’elle, notamment celle de son aînée et donc… donc elle se donne à fond. Et autant il peut comprendre son désir de vouloir faire au mieux, autant il ne peut être que dubitatif sur les honneurs rendus aux Divins dans ce temple, alors que ces brutes ne se soucient même pas des offrandes que leur font leurs fidèles. Mais ses réflexions tournent court quand la maîtresse des lieux lui impose de la suivre pour aller voir les croyants qui l’attendent, et compte-tenu de leurs échanges précédents, Zach en est le premier surpris. C’est à son tour d’être incrédule, bien qu’il ne se fasse évidemment pas prier pour la suivre comme son ombre. D’ailleurs il acquiesce simplement quand elle lui demande de ne pas laisser la foule la toucher. Si c’est ce dont elle a envie, il s’exécutera sans broncher. Aussi, Zachary reste en retrait tout en dissuadant quand il le faut les âmes alentours de trop s’approcher de la créature ailée. De temps en temps, il fait un simple geste du bras pour dissuader les familles, les couples ou les célibataires de s’approcher trop près, et comme les divinistes admirent la servante d’Aurya, ils sont plus ou moins soumis, bien trop contents de déjà la voir proche d’eux. Certainement voient-ils ça comme un honneur… Et pour la principale intéressée, ça doit être lassant d’être vue comme une pièce de collection. Mais elle joue (encore) son rôle, donnant des brides de réponses qui paraissent lumineuses pour ses auditeurs. Jusqu’à ce qu’une femme s’approche… Et le regard de Zachary, neutre le temps de jouer le garde du corps, se raidit imperceptiblement quand l’inconnue explique pourquoi elle est ici. Tais-toi, pense-t-il, va t’en loin d’ici. Vouloir un héritier était louable, utiliser une mère pondeuse pour se faire, pour un besoin somme toute égoïste, ça ne l’était pas. Avec effort, Zachary s’abstient de faire le moindre commentaire, seule sa mâchoire et son regard fermé laisse entrevoir qu’il n’aime pas la conversation qui a lieu présentement. Phèdre, peut-être, s’en rendra compte à cause de leur proximité, ou peut-être pas. Ce qui est sûr, c’est que l’ange questionne le prêtre du regard, et l’intendant peut deviner le message qu’ils s’envoient. Siame n’est pas là, Phèdre n’a donc pas besoin d’être disponible pour ce couple, quoiqu’à bien y réfléchir, il ne semble pas méchant. Il est juste… opportuniste. Comme tous les autres.

    D’ailleurs, les phalanges blanches de Phèdre sont un indice : cette dernière n’aime pas leur demande, elle non plus, quelque chose qui est rassurant, sinon humain et logique. Une chose que Zachary se doute depuis longtemps, mais que la réaction de la jeune femme confirme. Et c’est quelque chose qu’il souhaite bien creuser, mais pas là, pas aujourd’hui. Il s’est passé trop de choses pour qu’il se permette d’aller sur ce terrain glissant, même quand il la ramène près de sa chambre. Le veto indirect de Siame leur permet de toute façon de ne pas creuser la question, et cela leur fera du bien à tout le monde. Cette fois, Zachary n’a pas l’intention d’être un emmerdeur de première, alors quand il adresse quelques mots à Phèdre, c’est pour savoir ce dont elle a envie cet après-midi. Un encas, un livre, peu importe : qu’elle lui fasse juste savoir si elle désire quelque chose. Il se doute que sa réponse tient en un nom, Siame. Mais elle n’est pas là, et c’est bien la seule personne qu’il ne peut lui apporter. Du moins, c’est ce qu’il croit, avant de prendre congé.

    Car en dehors des appartements de sa protégée, les choses s’agitent. L’homme s’aperçoit que du monde court à l’extérieur, et bien vite, l’espion envoie quelqu’un pour enquêter sur ce tumulte.

    La réponse est sans appel : Siame est revenue.

    La nouvelle le surprend, ses yeux s’écarquillent légèrement, mais pour autant, Zach ne bouge pas de sa position. Contrairement aux autres, il n’a pas besoin de voir l’aînée de la fratrie. Pis, il sait qu’elle va venir par ici, puisqu’il est proche des appartements de sa sœur. Forcément, ils vont se croiser… Et quand leurs yeux se croisent réellement, seuls les Astres savent à quel point l’homme aimerait faire barrage pour qu’elle ne passe pas cette porte. Non pas que leurs retrouvailles soient mauvaises. Phèdre est la joie de Siame et Siame est la joie de Phèdre. Mais la Prophétesse peut remettre en route ce cercle vicieux qui est à l’arrêt depuis quelques mois, et il ne souhaite pas que la belle aux yeux saphirs ouvre de nouveau les cuisses pour le premier venu. Vraiment, si elles cherchaient toutes les deux à fuir, l’intendant serait le premier à les aider dans cette entreprise. Mais là… Zach soupçonne la créature céleste d’être un oiseau de mauvais augure. Pour l’heure, néanmoins, elle daigne lui adresser la parole alors qu’il s’attendait à être invisible, et l’individu ne sait pas très bien comment réagir à ses paroles. La femme enceinte sait qu’il s’est occupé de sa sœur, mais est-ce qu’elle approuve, est-ce qu’elle désapprouve, c’est un mystère. Et puis, Zach a aussi envie de savoir si elle va rester ou non. En l’état, les deux issues sont possibles, mais seule Phèdre apprendra la vérité en première.

    Ce qu’elles s’échangent, seule Aurya en a connaissance. Zachary, de son côté, ne reste pas planté devant la porte. Il s’active pour les curieux ne trainent pas trop dans le coin, va voir Martha pour voir si elle a appris quelque chose, si les deux sœurs seront de nouveau définitivement présentes ou non. Mais la vieille dame n’en sait pas plus que lui, même si cela se voit dans ses pupilles : elle veut savoir, elle aussi. Pour certains, le retour de l’ange est motif de joie, pour d’autres de respect, et sa vieille compagne finit par remarquer que l’espion est bien silencieux, lui aussi. La faute à qui ? est-il à deux doigts de demander alors qu’il guette le moindre venant des appartements des deux anges. Mais enfin, la porte s’ouvre, enfin, la demoiselle aux yeux de fer sort de la chambre de Phèdre. L’endroit est plus calme qu’auparavant, et l’intendant est tout aussi surpris que la première fois quand elle l’appelle. Sans dire un mot, il se retourne vers Siame, l’interroge du regard. Et il reste intérieurement pantois quand elle l’autorise à prendre soin de sa cadette. Lui comme cette dernière avaient toujours pensé que Siame l’écorcheraient vif si celle-ci apprenait sa présence près de sa sœur. Mais… en fait non ? C’est… surprenant. Inédit. Inestimable, peut-être. Car naturellement, maintenant qu’il a l’aval de l’aînée, Zachary ne va pas se faire prier pour se rapprocher de sa dulcinée. Même si cela va l’entrainer sur un chemin de non-retour.

    L’homme acquiesce simplement quand la maîtresse des lieux lui conseille de retirer les tiges des bleuets, un détail qu’il ne connaissait pas et qui est bienvenue. Et puis, l’ange prend congé. Il ne la suit pas, car il sait que, à peine à l’air libre, elle s’envolera pour un temps indéterminé. Pour être honnête, Zachary ne comprend pas ce qui se passe dans l’esprit de la créature ailée. La joie qu’a dû éprouver Phèdre s’est à tous les coups changé en amertume profonde – forcément, puisque sa seule famille disparaît encore – et c’est cela qui l’inquiète profondément. Siame ne s’en rend pas compte, mais elle vient de lui laisser un dragon à gérer. Et encore. La belle est capable de ne pas faire d’esclandre, mais de bouder dans sa chambre. Par tous les dieux, réels ou non, comment est-ce qu’il va s’y prendre pour désamorcer cette bombe ? Il pourrait aussi très bien ne rien faire. La laisser seule un moment pour encaisser le coup. S’immiscer trop vite, ça pourrait faire pire que mieux. Et au moins, elle digère que son aînée s’en aille en la laissant derrière. Un instant indécis, Zachary décide dans un premier temps d’aller voir Martha pour découvrir si l’ange lui a laissé des indications particulières. Mais la vieille ne sait pas grand-chose, sinon qu’elle a tout dit à Phèdre, et l’homme, de son côté, lui dévoile prudemment qu’il a obtenu la bénédiction fraternelle pour s’occuper de leur protégée. Un point bien apprécié par la fidèle, évidemment, qui s’empressera d’en prendre note – à dire vrai, Zachary l’en a informée justement pour qu’il ait champ libre et que sa présence près des appartements de la belle ne soit pas (ou plus) contestée. Maintenant… Il reste à décider. Être présent ou être discret ?

    L’éphèbe prend finalement la décision de faire un peu des deux. Il laisse passer une grosse heure après le départ de Siame, avant de s’inviter dans sa chambre pour lui déposer ce qu’elle lui a éventuellement demandé pendant qu’ils revenaient de la cérémonie. Mais maintenant, cela doit lui paraître bien futile, alors le guerrier s’efface : il la laisse bouder ou même pleurer discrètement, car dans tous les cas, c’est du poison qui sort. Il lui signale simplement qu’elle peut l’appeler n’importe quand, une parole bien dangereuse, mais qui pour autant est dite sur le moment d’un ton sincère. Il ne s’impose pas plus, pas aujourd’hui, bien qu’il serait bien tenté de lui apporté quelques gestes ou paroles de réconfort. Et si jamais elle lui fait une scène, Zachary prendra le parti de tout encaisser sans lui faire de reproches. Quant à la possibilité d’appeler le fameux couple, il lui affirmera dans le plus grand des calmes qu’ils sont déjà partis, que c’est bien dommage (non), mais qu’ils n’auront qu’à revenir plus tard (c’est-à-dire jamais), qu’ils auront bien d’autres choses de la voir à l’avenir. Lui-même se portera garant de les faire se rencontrer, s’ils reviennent. C’est-à-dire dans dix ans, au grand minimum, mais n’est-ce pas un battement de cils dans la vie d’un ange ?

    Dans tous les cas, qu’elle perçoive son subterfuge ou non, son offre d’être présent reste bien réelle. Si elle ne veut rien, il n’insistera pas, si elle ne veut pas le voir, il n’insistera pas, et si elle décide une chose puis une autre, il ne le lui reprochera pas. Même, les premiers jours, il se montrera également patient avec elle, vu le coup qu’elle aura reçu avec le départ de Siame. Mais il n’est pas question non plus de la voir enfermée et se cantonner aux cérémonies. Alors un beau matin, il ouvre grand les fenêtres – comme il l’a fait déjà bien dès fois – et il lui adresse la parole avec un ton à la fois affable, et à la fois enjôleur, comme quelqu’un qui prépare un coup dans son sac.

    - Votre soeur m’en voudra si je vous laisse vous morfondre dans vos appartements.

    D’un geste, il se retourne vers la belle aux bois dormants, et il ajoute :

    - Il n’y a pas de cérémonies aujourd’hui. Vous êtes aussi libre que l’air.

    En vrai, ils savaient tous les deux que Phèdre devait faire un choix prochainement sur « l’heureux élu » qui devait partager sa couche, et il savait que cela lui pesait. Alors l’homme comptait bien lui proposer au moins une bouffée d’oxygène loin des attentes pesantes qu’on attendait d’elle.

    - Je pense qu’il serait bon que vous preniez l’air, que vous sortiez de votre chambre. Je veux vous entendre rire, ou au moins, si ce n’est que ça, vous voir sourire. Alors qu’est-ce qui vous ferait bien plaisir ?

    Un léger silence.

    - Je vous préviens, « dormir » ne me semblera pas une réponse acceptable.

    On ne savait jamais, hein. Du reste, il aurait pu faire ses propres propositions mais il préférait que la belle prenne sa décision elle-même. D’autres s’occupaient de lui dicter son emploi du temps tout le long de la journée et pour une fois, elle pouvait faire ce qu’elle voulait. Au moins, Zachary avait eu le doigté de la laisser dormir longtemps, c’était toujours ça de pris, au fond.
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  • Dim 8 Sep 2024 - 17:43


    L’ange avait fuit, c’était aussi simple que cela. De toute façon, elle n’avait aucune réponse à leur apporter. Phèdre était un bijou que l’on exposait en vitrine ou que l’on gardait soigneusement caché, tout dépendait de l’utilité qu’on en avait et c’était Siame qui avait été choisi pour porter la parole d’Aurya dans ce bas monde. C’était elle qui savait conseiller les fidèles et surtout qui pouvait choisir qui sa Mère trouvait digne ou non d’obtenir un enfant de leur sang. Quand bien même elle l’aurait voulu, elle n’en avait pas le droit car ce choix ne lui était jamais revenu. C’était l’une des raisons qui l’avait empêchée de prendre amant, elle n’en avait pas le droit. Pas plus qu’elle n’en avait eu l’envie d’ailleurs, les plaisirs de la chair, ceux après lesquels les mortels couraient avec tant de fougue, lui étaient parfaitement étrangers. Pour elle, l’acte n’était qu’un concert de gémissements rauques -pas les siens-, de pensées divagantes, d'odeurs désagréables, parfois de douleurs mais surtout d'obéissance.

    La cadette n’était et ne se sentait pas à sa place ici, alors elle fila dans les couloirs sans se retourner.

    Phèdre était suffoqué. De colère, de chagrin et d’inquiétude alors que les bras si réconfortants de sa sœur se détachaient d’elle. La retenir était la seule chose qu’elle avait envie de faire, empêcher sa chaleur de lui échapper et sa présence de s’évanouir à nouveau. Pourtant lorsqu’elle recula, elle ne la força pas à rester, se contenta des vestiges de son odeur dans l’air autour d’elle. C’était toujours mieux que l’absence crue qu’elle vivait depuis des mois, qui bientôt allait devenir une année. Néanmoins, Phèdre n’était pas assez crédule pour croire que Siame était de retour pour de bon. La culpabilité qu’elle lisait dans son regard d’acier était pour trop évidente, elle ne faisait qu’un passage éphémère qui n’était, finalement, voué qu’à remuer le couteau dans la plaie. A cette pensée, elle eut envie de hurler. Mais pire que tout, ce furent les mots qu’elle prononça qui lui coupèrent le souffle.

    — Je dois… Choisir ? Mais… "Mais". C’était toute l’atrocité de l’amour qu’elle vouait à sa jumelle. Sa solitude était horriblement pesante mais elle la supportait pour elle. Elle haïssait porter des enfants des autres mais si elle le voulait, alors elle le faisait. Elle exécrait qu’ils la touchent mais il le fallait. Elle aurait voulu s’enfuir loin, très loin d’ici, loin de Siame mais aussi avec. Elle aurait voulu l’étrangler de ses propres mains mais ne jamais la perdre. Alors lorsque sa sœur détourna la conversation, étouffant ses protestations naissantes, Phèdre ne chercha pas à lutter et ravala sa fierté autant que ses angoisses pour profiter de ces quelques instants qui leur étaient offerts. Sans trop savoir pourquoi, elle ne pipa mot de ses altercations avec Zachary. Probablement parce qu’il n’y avait guère lieu de s’y intéresser ou que le faire serait revenu à repousser l’unique personne qui se souciait delle et de savoir si elle préférait les framboises aux myrtilles et si elle préférait son thé avec une pointe de lait ou de sucre. Pourtant, elle le détestait encore. Lui et ses yeux dorés qui n’avaient de cesse de l’observer dès qu’elle faisait mine de ne pas lui prêter attention.

    — Ne pars pas, s’il te plait. Avait demandé Phèdre d’un air contrarié, le regard bas, du bout des lèvres. Mais Siame ne s’était pas retournée et la porte s’était doucement refermée sur son dos et ses ailes d’un blanc éclatant, plus pur que les siennes.

    Et ce fut tout.

    Phèdre se laissa retomber sur le bord de son lit, sa robe vaporeuse suivant les mouvements de son corps en silence.

    Et ce fut tout.

    Phèdre n’entendit pas les mots de Zachary, elle vit à peine que la porte avait été à nouveau ouverte puis refermée. Elle l’a fixa durant une heure entière dans l’espoir de voir Siame la repasser pour la rejoindre, lui dire qu’elle lui manquait bien trop pour qu’elle s’absente encore aussi longtemps. Elle attendit une journée et une nuit. Jusqu’à ce qu’elle doive admettre qu’elle était seule. Alors elle se força à bouger, à vivoter en se nourrissant lorsqu’on le lui demandait et à ne converser que lorsque cela s'avérait nécessaire. Pas très souvent en sommes. Et puis comme si son enfer personnel ne suffisait pas, le sommeil avait décidé de la fuir. Les heures défilaient, interminables, semblables les unes aux autres tandis que l’épuisement se lisait sur chacun de ses traits mais ses yeux étaient incapable de se fermer dans ce grand lit vide qu'était désormais le sien. Alors, elle passait des heures à fixer le plafond, à inventer des histoires dont elle était l’héroïne, s’évadant dans des contrées qu’elle n’avait jamais vu avec des gens qu’elle n’avait jamais rencontrés mais où personne ne faisait d’elle ce qu’elle était dans cette vie ci. Enfin, le matin arrivait et on la tirait du lit

    Celui-là ne fut pas différent. Elle entendit les pas de Zachary, sa démarche qu’elle avait apprit à reconnaître parmi toutes celles du temple, avant de sentir son odeur ; le cèdre et la neige. Puis elle devina sa haute silhouette dans la pénombre de la chambre et, avant qu’il n’ait le temps de tirer les rideaux, elle recouvrit son visage de son aile pour se donner l’air tout juste éveillée. Un pieu mensonge qui se lirait aisément dans ses traits plus tirés de fatigue que gonflés de sommeil.  En silence, elle l’observa.

    Zachary était une énigme qu’elle n’arrive pas à résoudre. Il y avait eut tant de haine dans ses yeux ce jour-là, sur l’air d’envol et elle avait cru que cela suffirait pour qu’il s’éloigne d’elle mais ça n’avait pas été le cas. Il était méfiant -qui ne l’aurait pas été ?- mais il continuait de lui parler, de s’intéresser à elle et même à prendre en compte d’autres de ses préférences qu’elle-même n’avait jamais remarquées. Abaissant son aile, elle se redressa dans son lit, révélant un négligé de soie blanche qui se fondait presque sur sa peau.

    — Pourquoi ? Demanda-t-elle d’une voix intriguée.

    Lentement, elle repoussa sa couverture et quitta sa couche pour avaler en quelques enjambées la distance qui les séparait.

    — Pourquoi aimerais-tu me voir rire ? Je n’ai pas besoin de sourire pour exister. Je n’ai besoin que d’un cœur qui bat et d’un corps fonctionnel. Alors pourquoi es-tu ainsi ? Sa question était sincère, dénuée de moquerie et ses yeux bleus fixaient les siens où son reflet lui renvoyait son regard. Pour la première fois, elle remarqua qu’il lui rendait aisément une tête. Sa main se leva mais contrairement à la première fois qu’ils s’étaient fait face, elle ne vint pas lui broyer les testicules mais simplement faire courir la pulpe de ses doigts le long de sa joue, aussi légère qu’une plume.  — Les mortels sont des créatures tellement étranges, toi plus que les autres. Tu es un mystère.

    Elle le dévisagea encore de longues secondes, s’attardant sur sa bouche avant de lui tourner le dos en manquant de lui envoyer son aile dans le nez.

    — Il n’y a pas de cérémonies, mais il y’en aura une bientôt. N’est-ce pas ? Ses épaules s’affaissèrent légèrement. — C’est pour cela que tu essayes de m’occuper ? Je retire ce que j’ai dis. Tu n'es pas un mystère. Tu es un livre ouvert. Et un mauvais livre. Grogna-t-elle alors qu’elle sentait la colère qui l’avait enflammé le jour du départ de Siame se remettre à battre dans sa poitrine après s’être tut durant des jours. Serrant la mâchoire, elle inspira profondément avant de soupirer bruyamment.  — Va te changer, habilles toi chaudement et rejoints moi sur le promontoire. C’était un lieu à l’extérieur de l’enceinte du temple mais toujours sur son domaine, semblable à un doigt rocheux tendu vers la plaine en contrebas.

    Quand Phèdre s'y présenta par la voie des airs, Zachary attendait déjà. Elle devinait sa silhouette en dessous d’elle, malgré les quelques nappes de brouillard qui persistaient de bon matin. Heureusement, elle n’était pas venu les mains vides. Profitant d’un courant descendant, elle se laissa silencieusement portée vers l’humain et lorsqu’elle fut bien assez proche, elle lui largua une boule de neige en pleine tête.

    — Je te pensais plus difficile à surprendre. Avoua-t-elle, l’air déçu en se posant non loin. Puis avant qu’il ne puisse lui faire une réflexion, elle haussa les épaules. — Tu as dit que j’étais libre comme l’air. Elle se pencha, forma une nouvelle boule, visa et la lança en direction du jeune homme avant de reprendre son envol d’un grand coup d’aile. Ironiquement, pas très haut, juste assez pour pouvoir battre des ailes sans toucher le sol. - Voyons voir si tu es meilleur que ma sœur, Zachary.
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  • Dim 15 Sep 2024 - 19:11

    Phèdre avait vivoté plus qu’autre chose depuis le retour et le départ de Siame. Comme si l’énergie vitale qu’elle avait conservé jusque-là avait été absorbé par sa jumelle, ou plutôt par le petit qui était dans son ventre. Ironiquement, elles étaient un duo qui ne permettait pas un troisième entremetteur, sans quoi leur lien était mis à mal, bien contre leur volonté. La cadette souffrait à cause du bébé dans le ventre de sa sœur ; et l’aînée souffrirait bientôt à cause de cet homme aux yeux dorés, qui se faisait lentement, très très lentement une place dans le cœur de l’autre ange. Mais ni les deux femmes, ni l’intendant, ni la petite créature innocente ne se doutaient de ce qui allait se passer. Zachary, de son côté, avait pris son temps pour observer sa protégée, cherchant à savoir quand il pouvait s’immiscer sans la blesser davantage – un fait qu’il n’aurait pas imaginé au début de son infiltration dans le temple, mais pour lequel il devait se rendre à l’évidence : il s’était attaché à cette enfant des Titans. Naturellement, l’espion s’était lui-même traité d’idiot, mais il avait décidé de ne pas trop se prendre la tête à cet égard. Les sentiments étaient les sentiments, on n’y pouvait parfois rien, et dans l’absolu, il n’y avait pas de mal à aimer quelqu’un. Bon, c’était une fidèle d’Aurya, mais c’était aussi une malheureuse qui, une fois sa cage ouverte, pourrait voler de ses propres ailes. Peut-être. Zach n’en était pas certain mais il n’y avait rien de mal à casser les barreaux qui la retenaient prisonnière. Et si elle perdait sa dévotion pour sa Mère et surtout pour sa mission en passant… Ce n’était rien de très grave, n’est-ce pas ?

    Son manque d’appétit ainsi que ses traits tirés, marqués par la fatigue, étaient quelque peu interpelants. Au point même que Martha lui avait demandé si Phèdre avait déjà choisi un homme avec qui faire son affaire, « sait-on jamais qu’elle commencerait déjà une grossesse ». La vieille dame n’avait pas compris la désapprobation bien visible sur le regard de l’intendant, mais elle avait été rassurée lorsqu’il lui avait répondu par la négative. Lui, de son côté, avait décidé que son isolement devait cesser, et c’était donc dans cet état d’esprit qu’il s’aventura dans sa chambre en ouvrant clairement les rideaux à ses fenêtres. Puis, il se retourna en direction de la silhouette dans le lit, et face à son manque de ronchonnement, il supposa qu’elle était déjà réveillée avant son entrée dans la pièce. Loin de le fusiller du regard pour son intrusion, pourtant, elle l’observait, comme si elle le voyait pour la première fois. Zachary se demanda même si elle n’était pas méfiante – un comble puisqu’il avait fait tout pour mieux la connaître – mais il eut une mine bientôt interrogatrice. Pourquoi quoi ? L’homme n’eut pas le temps de poser la question que la belle sortit du lit, se leva, et franchit la distance qui les séparait. Un peu plus grand que l’ange, Zachary planta son regard un peu surpris dans les yeux saphirs de son interlocutrice, alors que, heureusement, il la dépassait d’une petite tête. Ses pupilles avaient la couleur de l’azur, là où les siennes avaient les couleurs de l’or, et il ne pouvait y lire qu’une curiosité sincère. Bien, parce que pendant une brève seconde, il avait craint pour des parties particulièrement sensibles de son corps. Cela dit, le raisonnement de la belle l’intriguait, et il lui répondit quasiment du tac au tac :

    - Seuls les animaux n’ont pas besoin de sourire pour exister. Ils se contentent de leurs besoins et de leurs instincts. Vous, vous êtes bien plus qu’un animal, vous êtes un être doué de raison et de sentiments, et vous avez le droit de rire comme n’importe qui d’autre. Une expression un peu audacieuse, et en même temps un peu contrite apparaît sur son regard. Ce rire est souvent synonyme de bonheur, et je suis sûre qu’il doit être merveilleux à entendre. Vous ne pensez pas ?

    En plusieurs millénaires, la miss devait déjà avoir exprimé sa joie de cette façon, mais depuis quand s’était-elle laissée aller à de vrais instants de joie ? Pas dans ce temple devenu une prison, en tout cas. Car heureuse, Phèdre ne l’était pas.

    Ce qui est certain, c’est que leurs yeux se fixent un instant, alors que la question du « pourquoi » résonne encore entre eux deux. Parce que je n’aime pas te voir ainsi aurait été la réponse la plus honnête, parce que tes yeux sont éteints et que cela m’insupporte, parce que tu as le droit d’être joyeuse tout simplement. Ironiquement, Zachary est sur le point de le lui dire, peut-être se laisserait-il même aller à poser sa main contre ses cheveux ou contre sa joue dans un geste d'une douceur étonnante, mais la jeune femme le devance sans le savoir et étrangle ainsi les mots dans sa gorge. Pas par peur, mais parce que la spontanéité de Phèdre autant que ses réactions tantôt douces, tantôt violentes, le surprennent à chaque fois. Néanmoins, aucun risque, il ne s’agit pas d’être immobilisé, cette fois, il s’agit d’une simple caresse et d’une simple remarque de la sœur de Siame. Quand enfin, la demoiselle se retourne et qu’elle lui envoie son aile dans la figure, l’intendant songe avec une légère sarcasme que les anges aussi sont une race bien étrange et qu'ils ne font pas attention à grand chose. Certainement pas à leurs membres ailés qui font au moins toute leur taille.

    Mais les voilà repartis sur le thème de la cérémonie. Comme si c’était le motif de sa raison dans ses appartements, vraiment.

    - Il y en aura une dans une semaine. Il y a encore le temps, répond nonchalamment Zachary. Et au pire, on peut toujours l’annuler, maintient-t-il dans le plus grand des calmes. Oui, il la convaincra un jour de ne plus se présenter aux offices, il ne désespère pas.

    Mais après un soupir bien appuyé de la maîtresse des lieux, Zachary est un peu surpris par la proposition de la fille d’Aurya. Elle accepte d’aller dehors ? Le promontoire, ce n’est pas très loin, mais c’est toujours mieux que rien. Ils seront à l’extérieur du temple, en tout cas. Quant à venir avec des habits chauds, c’est une évidence vu la neige qui s’est abattue sur les lieux ces derniers jours : l'athée a beau apprécier l’ange, il ne compte pas mourir de froid pour ses beaux yeux.

    Il signifie cependant à cette dernière qu’il  a bien entendu, et il ne tarde pas à la laisser tranquille, pour que l’un comme l’autre se préparent.  Personne n’est fort surpris que Zach s’aventure à l’extérieur, puisqu’il peut parfois aller rôder à différents endroits pour repérer les travaux à réaliser, aller voir les plaintes des retraitants, et mieux gérer, en conséquence, la vie des divinistes qui dépendent du temple. Ses bottes en cuir s’enfoncent dans la neige, et il se félicite d’avoir mis des chaussures assez solides, qui le protègeront suffisamment de la poudreuse qui l’entoure. Sa cape et sa tunique, qui assurent généralement un bon camouflage en forêt, détonne particulièrement sur le blanc de la neige, et l’ange n’aura par conséquent aucun mal à repérer cette silhouette isolée, qui attend patiemment que sa compagne le rejoigne. Bien sûr, il sait qu’elle peut voler, mais l’espion ne s’attend pas pour autant à voir cette forme humaine jaillir de la brume matinale pour lui lancer… une boule de neige.

    Totalement pris au dépourvu, Zachary se la prend de plein fouet, et des flocons de neige viennent ainsi se mêler à ses cheveux et se déposer même sur ses épaules. Décidément… elle sait bien viser. Et elle était surtout redoutablement silencieuse avec ses membranes ailées.

    - Ce sera moins facile la prochaine fois, déclare-t-il sans réfléchir, alors que la surprise laisse place à une lueur d’amusement, et même, à une expression de défi. Bon, cela dit, cela ne l’empêche pas de recevoir un second projectile pendant que lui-même se penche pour amasser de la neige et faire une sphère blanche. Rapidement, il en prépare une plus petite, qu’il lance alors que la jeune femme s’est de nouveau envolée dans les airs, mais sans trop s’éloigner pour que la partie soit équitable. Son coup rate, ce qui attirera peut-être un ricanement de son amie de jeu, mais la deuxième, par contre, arrivera à l’atteindre à l’épaule et Zachary ne put s’empêcher d’émettre un ricanement satisfait. Un partout ! déclare-t-il gaiement.

    Et puisque ce ne serait pas drôle de rester une cible immobile, Zachary décide de prendre le parti de son environnement. Il faut bien ajouter des difficultés ici et là ! Alors tantôt, il se faufile entre un ou deux troncs, tantôt l’homme se réfugie derrière un rocher, un peu plus gros que la moyenne, où il se fait une réserve de munition. C’est alors à celui qui anticipera mieux les mouvements de l’autre (ou à celui qui n’aura plus assez de neige dans les environs). Zach sera généralement le premier à devoir changer de place, ce qui permettra allègrement à Phèdre de le canarder comme il se doit même si, elle s’en rendra compte, le jeune homme est plus vif qu’il n’y paraît au premier abord. Il n’est cependant pas intouchable, et l’intendant soufflera parfois pitoyablement quand un projectile bien envoyé lui fera de temps en temps perdre l’équilibre pour se retrouver dans la neige. D’autre part, ce sera toujours à charge de revanche, car l’espion ne fera pas de cadeau à sa partenaire de crime, sous prétexte qu’elle est la princesse du temple. Rivale d’une heure, elle entendra Zachary s’esclaffer quand il la touchera dans les cheveux, ou dans le dos, faisant preuve d’une spontanéité à la fois comique et touchante. Puis, quand, Phèdre voudra quitter les airs et se cacher elle-même derrière d’autres éléments de la nature, Zach se prêtera au jeu également, et il fera même preuve d’un peu de filouterie en bougeant silencieusement jusqu’à une de ses cachettes pour lui envoyer un projectile dans le dos. Ce qui est sûr, c’est qu’il supportera autant les moqueries que les cris de victoire ou de défaite de Phèdre. Lui, de son côté, ne cachera pas qu’il s’amuse assez bien, preuve en est à ses yeux pétillants, et son sourire assez enfantin.

    Seulement à un moment, il lui lancera une question non dénuée d'espièglerie :

    - Alors ? Je suis plus doué ou moins doué que votre sœur ?

    Zachary lui laissera évidemment tout le loisir de réfléchir, et c’est après qu’elle aura réagi qu’il constatera toute la « dévastation » provoquée par leur jeu. Le promontoire, autrefois parfaitement lisse est immaculé, a été ravagé par leurs courses, leurs projectiles, leurs chutes ; à d’autres endroits, il y a encore des petits monticules de neige, derniers vestiges de leurs munitions créée sur le tas. Leurs nez et leurs joues sont naturellement rougis par le froid, mais ayant presque systématiquement bougé jusque-là, leur corps a encore suffisamment chaud pour ne pas ressentir l’ambiance hivernale.

    - J’y pense. Est-ce que vous avez déjà…
    - PAR AURYA !!
    Le cri interrompt Zachary qui se tourne dans la direction du bruit, et il hausse un sourcil en voyant une silhouette bien connue se diriger vers le binôme.
    - Martha, salue-t-il d’un ton neutre, un sourire poli sur son visage. Mais celle-ci n’écoute pas. Concentrée sur son avancée périlleuse dans la neige, elle reprend avec un visage rempli d’effroi :
    - Par Aurya, répète-t-elle, mes enfants, vous allez mourir de froid !
    L’intendant ne peut s’empêcher d’échanger un regard qui en dit long avec Phèdre – du genre, « mais quelle peste celle-là » –, et c’est lui le premier qui reprend la parole :
    - Pas d’inquiétude. On rentrera quand on l’estimera nécessaire.
    - Mais vous n’avez pas vu ce temps de canard ?
    - Oh si, on en aura même au dîner paraît-il, répond-il avec une pointe d'ironie. Il n’en sait rien, cela dit, il s’en moque même comme d’une guigne et il se demande surtout comment écarter la mégère. Puis un sourire presque sournois apparaît sur son regard. Mais on parlait justement de toi, tu tombes à pic, ma chère Martha. On se disait que tu pourrais préparer un bain, pour quand on rentre. Ainsi qu’une collation et une boisson très chaude. Et puis, Phèdre voulait aussi une tunique en particulier pour quand elle rentrerait, mais je ne connais pas sa garde-robe. Il jette un oeil vers son binôme, et Zach se demande si elle marchera dans son jeu. Trouve-lui des choses à faire, lui suggère-il du regard, qu’elle ne vienne plus nous ennuyer. C’est avec un sourire toujours poli qu’il écoutera sagement sa comparse lui répondre, puis, prévenant toute réplique de Martha – à moins que Phèdre ne lui rabatte le claquet –, il commencera à se diriger vers un petit bosquet à côté du promontoire. C’est une zone qui appartient toujours au temple, mais qui mène à une petite dépendance de bûcherons. Les paysans paient une redevance au lieu de culte, en échange de pouvoir exploiter la zone. A cette période de l’année, il ne devait pas y avoir grand-monde, mais en l’occurrence, cela les éloignerait de la sacristaine.

    - Phèdre, lance-t-il, on y va.

    La vérité, c’est qu’ils s’éloigneraient pas beaucoup. Tout au plus marcherait-t-il d’une centaine de mètres, mais ça suffirait pour être à l’abri des regards. Cela dit, ça doit être un peu déstabilisant pour la diviniste de sortir autant de sa zone de confort : elle a clairement le choix entre le suivre ou rentrer. Zachary ignore totalement si elle va lui proposer autre chose, si elle va le laisser en plan, ou si elle aura l’audace de faire le rattraper. Si le guerrier entend ses bruits de pas derrière lui, il ralentira quand même le pas pour la laisser la rejoindre, avant de lui glisser dans un sourire :

    - Désolé, je n’avais pas le courage de la supporter. On ne marchera pas longtemps, il y a une petite clairière au milieu du bosquet, à côté d’une maisonnette qui sert de refuge pour le stock du bois et les ouvriers qui y travaillent. Elle sera vide à cette période de l’année. explique posément l’intendant. Cela dit, si vous avez froid, on peut rentrer. Il lui proposerait juste un léger détour, pour ne pas recroiser Martha. Toujours est-il que leur solitude à deux reste agréable, et il finit par se souvenir de la question qui lui est passée en tête. Vous avez déjà fait des bonhommes de neige ?
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  • Mar 17 Sep 2024 - 22:59
    Inconvenant et immature, voilà comment Siame aurait très probablement qualifié son comportement. Mais elle lui aurait sourit avant de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il en allait presque toujours ainsi. C’était la première fois que Phèdre emmenait quelqu’un d’autre que sa sœur ici. Non pas que l’endroit fut véritablement dissimulé, ni interdit à qui que ce soit mais l’ange n’avait jamais eu le goût de fréquenter qui que soit d’autre. Pas plus qu’elle n’y avait vu d’intérêt. Jusqu’à ce qu’elles ne se retrouvent séparées et qu’elle ne soit obligé de s’ouvrir au reste du monde, celui qui tournait autour d’elle mais qu’elle n’avait jamais véritablement prit le temps d’observer. Désormais, elle le voyait ; sous la forme d’un jeune homme aux yeux d’or.

    Trop lente, une boule de neige heurta l’épaule de la jeune femme, éclatant en une pluie de flocon qui vint se confondre dans sa tignasse blanche. Le visage toujours indifférent, elle plongea vers le sol et redressa sa courbe de manière à pouvoir récupérer une plâtrée de neige sans se poser. Elle l’a roula en boule et la lança là où elle devinait le jeune homme. Sans succès. Phèdre devait concéder cela à sa sœur : c’était un jeu enfantin. Cependant, même après plusieurs millénaires, elle adorait toujours autant y jouer. En cela, les jumelles étaient aussi différentes, Phèdre aussi joueuse qu’un chaton de six semaines tandis que Siame était comme une vieille chatte aigrie qui préférait s’asseoir dans un douillet fauteuil en toisant le reste du monde. Il fallut plusieurs minutes et quelques éclats de rire de la part de l’humain pour que le masque de Phèdre ne daigne se fendiller et qu’un sourire ne vienne réhausser les coins de ses lèvres. Virevoltant parmi les couloirs aériens, utilisant les trous d’airs et les courants contraires à son avantage, elle joua aussi simplement que si elle était une gamine sans même se rendre compte du temps qui passe. Riant, lorsqu’elle sentait une boule l’atteindre, manquant de piailler lorsque c’était une des siennes qui parvenait à son but. Ce ne fut que lorsqu'elle le vit quitter sa cachette les mains vide qu’elle revint à la terre.

    — Tu ne voles pas, tu es forcément moins bon. Dit-elle avec un demi sourire un brin moqueur. Elle aurait bien mis en avant sa nature mortelle mais déjà il reprenait la parole. Jusqu’à ce que la voix criarde de Martha ne se fasse entendre. Phèdre grimaça et recula d’un pas. Elle ne craignait pas cette femme, lui échapper aurait été d’une facilité enfantine, s’en débarrasser plus encore mais elle n’aimait pas sa présence, ni le regard critique et désabusé qu’elle lui glissait constamment comme si, à ses yeux, Phèdre avait toujours été une déception. C’eut sans doute été le cas. Elles se connaissaient depuis plusieurs décennies maintenant, lorsque la mortelle était entrée au service de sa Mère, elle n’était qu’une gamine élancée et souriante. Aujourd’hui elle était vieille, replète et maussade. Néanmoins, sa crispation laissa place à l’étonnement lorsqu’elle entendit Zachary trouver pléthore de corvées pour l’occuper encore un peu. Ses sourcils se haussèrent et ses yeux vinrent machinalement se poser sur le jeune homme, détaillant son visage et ses expressions pour y trouver la raison de tels actes. Elle ne comprenait pas. En revanche, elle savait que si elle voulait grappiller quelques minutes de liberté en plus, c’était exactement ce qu’il lui fallait.

    — Effectivement, je voudrais ma robe de cérémonie rose.

    — Vous n’aimez pas le rose.

    — Ah bon ?  Je suis pourtant sûre d’en avoir une. Mentit-elle en sachant pertinemment, tout comme Martha, qu’aucune tenue rose ne l’attendait dans ses penderies. — Et j’aimerais que vous me trouviez des herbes de Stunule.

    — De… S-stu-nule ? Bafouilla la femme.

    Phèdre hocha la tête.

    — Vous en trouverez sûrement au village. Un pieu mensonge puisqu’elle venait juste d’inventer ce mot mais elle pourrait toujours prétexter s’être trompé ou qu’il n’y en avait simplement pas.

    Martha la fixa longuement en silence puis soupira, mécontente, et regarda Zachary tourner les talons, rapidement imitée par Phèdre. Elle songea que les humains n’avaient absolument aucune logique avant d’emboiter le pas au jeune homme, non sans une brève hésitation. En quelques enjambées, elle avala la distance qui les séparait et le rattrapa pour marcher tranquillement à ses côtés.  

    — Ça nous est arrivé une fois ou deux, peut-être un peu plus. Mais Siame n’est pas friande de ce genre… D’activités. Dit-elle, mimant des guillemets avec ses mains. Et ensemble, ils marchèrent tranquillement jusqu’à la maisonnée. Comme il le lui avait promit, l’endroit était désert, le monticule de neige devant la porte prouver qu’elle n’avait pas été ouverte depuis longtemps, du givre léchait les fenêtres et même la forêt alentours était silencieuse, l’on entendait seulement quelques pépiements ci et là mais rien d’alarmant pour un plein hiver dans les monts enneigés de Celestia.

    Phèdre fut la première à s’engager dans le cercle immaculé, soulevant ses jupes pour éviter de les détremper plus qu'elles ne l’étaient déjà. Puis remarquant que son entreprise était fort inutile, elle abandonna et avança dans la poudreuse comme elle le put.

    — Bien, j’imagine que les anges et les mortels font leurs bonhommes de neige de la même manière, non ?

    D’un air de défi, elle releva ses manches et les plongea dans les neiges pour faire une boule à laquelle elle ajouta de la neige et lorsqu’elle fut assez grosse, elle l’a fit rouler jusqu’à Zachary.

    — Je n’ai pas l’intention de te servir de faire-valoir, mets toi au travail. Dit-elle de la voix de celle qui à l’habitude d’être obéit. Laissant au jeune homme le soin de faire le bas du corps, elle s’affaira de son côté à reformer une boule qu’elle fit ensuite rouler pour l’agrandir. Enfin lorsque les deux parties du corps furent à son goût, elle exigea de Zachary qu’il les superpose. — Bien. Lança-t-elle d’un air satisfait en se baissant, essoufflée, pour fabriquer une troisième et ultime boule ; la tête.

    Quand elle eut terminé, elle la déposa au sommet des deux autres et recula pour avoir une vue d’ensemble.

    — Pourquoi tu t’obstines ? Demanda-t-elle sans crier gare. Le silence lui répondit et elle tourna la tête vers le jeune homme avant de croiser les bras sur sa poitrine. — Je t’ai presque broyé les testicules, je t’ai ignoré pendant des jours et j’ai pris soin d’être aussi agaçante que possible. Alors explique moi ce qui te pousses à rester dans mon giron ? Ses yeux bleus le transperscèrent de part en part avant qu’elle ne reprenne. — Et tu ne me fera pas croire que c’est pour faire plaisir à Martha, elle ne t’aime pas. Son regard se reporta sur le bonhomme de neige et elle se défit de son écharpe pour la passer autour de son cou. Puis elle planta un doigt de chaque côté de sa tête ronde pour faire des yeux et recula.

    Ses ailes frémirent lorsqu’elle ajouta :

    — Tu espères être choisi pour la prochaine cérémonie ? Tu as entendu ce que ma soeur à dit, n’est-ce pas ?

    Sans trop savoir pourquoi, cette idée la chagrinait mais ne lui déplaisait pas entièrement. Et ça n’aurait pas dû être le cas.
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  • Dim 22 Sep 2024 - 19:55

    Phèdre rit.
    C’est un son cristallin, c’est un son très simple, aussi, mais c’est la première fois qu’il la sent se détendre de cette façon, en montrant sans aucune crainte ses sentiments. Elle s’amuse, elle virevolte, elle frétille en jouant avec les courants aériens, et durant cette parenthèse hors du temps, l’ange semble redevenir un enfant. Zachary doit concéder qu’il n’est pas désagréable de la voir ainsi : de son point de vue, la sœur de Siame semble presque vivre une seconde naissance loin de sa chambre, et si cela pouvait durer ainsi, certainement qu’il signerait tout de suite. L’homme, de son côté, n’a pas ce côté si juvénile, mais à son visage, on voit qu’il joue le jeu, qu’il s’amuse lui aussi, et qu’il se réjouit de ses victoires, comme de son adversaire de temps en temps. Entendre ses exclamations de contentement a un je-ne-sais-quoi de réjouissant – c’est bien pour cela qu’il a voulu la tirer à l’extérieur – et bien malgré lui, un sourire flotte souvent sur ses lèvres.

    Toute bonne chose a cependant une fin et Zach accueille de bonne grâce le fait qu’il est moins doué que la fille aînée d’Aurya. Dommage. Mais bon, il lui laisse volontiers cette place, il en trouvera d’autres où il sera meilleur que Siame. Une de ses plus ferventes fidèles vient d’ailleurs les retrouver et, pour le plus grand bonheur de l’intendant, Phèdre renchérit à ses propos. Elle veut une robe de cérémonie rose, puis des stunules – ça existe seulement ça ? – et la sacristaine ne sait finalement plus sur quel pied danser. Mais elle marche et c’est avec un sourire mi-figue mi-raisin que l’homme laisse la vieille mégère dans la pénade. Puis, il prend lui-même les devants en se dirigeant vers un petit bosquet et en appelant Phèdre à le rejoindre. Il ne faut pas longtemps pour qu’il entende ses bruits de pas dans la neige, signe qu’elle l’a rejoint, et surtout que Martha ne les a pas suivis. Aucun d’eux ne va s’en plaindre et c’est d’un air attentif qu’il écoute la diviniste lui répondre. Elle a donc eu des batailles de boule de neige avec sa sœur, mais pas souvent. Dans l’absolu, il ne peut en faire le reproche à Siame : tout comme lui détesterait tricoter, elle a le droit d’être passionnée par autre chose… Mais il préfère ne pas savoir quoi. De toute façon, c’est sa cadette qui l’intéresse, et uniquement elle. Ils arrivent d’ailleurs à une petite clairière ouverte dans les bois, non loin de la cabane des bûcherons et Zachary la regarde le devancer, en essayant vainement de maintenir sa jupe hors de la neige. Mais c’est inutile, elle finit donc par renoncer et par entrer dans le vif du sujet : les bonhommes de neige. Pas besoin de confirmer que les anges et les hommes agissent de la même manière pour les réaliser, mais il est vrai que l’espion est un peu lent à la détente, puisque, pendant une dizaine de secondes, il la regarde faire, jusqu’à ce que cette dernière le mette au pas. Réceptionnant la boule qu’il coince entre ses deux mains, Zach ignore l’humidité qui tente d’entrer dans ses mitaines pour se concentrer sur les paroles de la belle, qui l’invite à se mettre au travail.

    - Mais si je faisais tout, tu ne t’amuserais pas non plus, fait-il avec un mince sourire  avant d’arrêter là la taquinerie, et de pousser la boule déjà élaborée par Phèdre. Il ne se dit même pas qu’il est passé au tutoiement sans s’en rendre compte, car il ouvre la bouche directement après. Je m’occupe du tronc, j’irai la placer au centre de la clairière.. Et c’est réellement ce qu’il se passe, laissant une trainée de plus en plus grosse derrière lui, alors que Zach prend soin de lui donner une masse suffisante pour que leur création enneigée puisse accueillir deux autres sphères plus petites. Quand Phèdre a fini celle de taille intermédiaire, l’homme ne se fait pas prier pour la prendre et la placer le mieux possible, puis, il n’y a plus qu’à composer la tête, et ça, naturellement, Phèdre peut aisément le réaliser toute seule. L’intendant s’écarte un instant pour aller saisir deux branches fines qui feront l’affaire, en lui servant de bras et de mains. Il en profite également pour ramener deux ou trois pierres qui lui serviront de bouton, et il donne ces dernières à Phèdre pendant qu’il place les morceaux de bois au bonhomme de neige. Une fois leur œuvre finie, le duo s’écarte et Zachary lâche un commentaire.

    - Je trouve que c’est plutôt satisfai…
    — Pourquoi tu t’obstines ?

    La question est dite tellement à l’improviste que l’homme l’interrompt, tourne la tête vers sa compagne, l’interroge du regard pendant que celle-ci croise les bras sur sa poitrine et qu’elle ne lui révèle le fond de sa pensée. Et honnêtement, il y avait de quoi la comprendre. Lui aussi avait envisagé de revoir ses plans à un moment, avant qu’il ne choisisse de « s’obtiner » pour reprendre ses mots.  Évidemment, donner quelques excuses seraient facile, sauf que la jeune femme, loin d’être idiote, les devance, et fait comprendre à son interlocuteur qu’elle n’avalera pas n’importe quelle salade. Un silence lui répond au début, pendant lequel l’ange en profite pour faire des yeux à leur création, et elle pose une dernière question qui, étrangement, font sortir l’éphèbe de sa réserve.

    - Je ne me suis absolument pas rapproché de toi pour en profiter à tes dépends.

    Sson ton est plus dur qu’il ne le croit au départ. Alors il s’adoucit rapidement, mais n’en demeure pas moins franc tant sa répartie est spontanée.

    - Je ne supporte pas ces couples qui cherchent à profiter de toi et qui s’approchent de toi de manière intéressée. Tu ne mérites pas de subir la compagnie d’autres hommes, pour qu’on te considère ensuite comme rien de plus qu’un ob…

    Oups, non, Zachary, non, tu vas trop loin et la suite va mal se passer si ça continue. Heureusement, l’homme a la décence de s’interrompre, inspire profondément, une fois, deux fois, comme si cela lui servait à réorganiser ses pensées, puis, il décide d’aller à l’essentiel.

    - Je préférerais que tu me choisisses parce que tu me plais et parce que je te plais plutôt que tu ne le fasses par devoir pendant la cérémonie, finit-il par souffler, et d’un pas lent, il finit par se rapprocher de leur bonhomme de neige. Il rectifie un peu son nez, et il finit par se tourner vers Phèdre à qui il accorde un sourire aussi vrai qu’un peu triste. Il se rappelle d’ailleurs une de  ses questions un peu plus tôt dans la journée, et il  y répond sans crier gare. Je veux te voir sourire, parce que je souhaite te voir plus heureuse, et parce que t’entendre rire me fait moi-même du bien à moi aussi. L’homme plonge ses prunelles dans les yeux bleus océans de l’ange, et il esquisse un geste dans sa direction, pour faire tomber de son cheveux quelques flocons qui restent obstinément accrochés à sa chevelure. Son geste est résolument doux et court – déjà il abaisse la main, alors que jusqu’ici il ne l’a jamais touchée – puis il se tourne à demi vers la direction du temple. Il faut qu’ils rentrent, et pourtant, il préférerait aller ailleurs.

    - Si nous restons là, nous allons mourir de froid. D’ailleurs, le bas de sa jupe est trempée. Il serait peut-être temps qu’on aille se réchauffer. Je ferai votre thé préféré. "Votre" parce que, quand on y réfléchit, il l'a tutoyée sans trop réfléchir et sans sa permission ; en plus, à l'intérieur du temple, ils devront assumer leurs rôles à nouveau. Mais cela ne l'empêche pas de reprendre avec une nouvelle idée qui est apparue dans son esprit. La prochaine fois qu'on sortira, j'apporterai une luge, il y a beaucoup de versants enneigés qui se prêteraient à un tel exercice. Et je suis sûr que vous n'avez encore jamais essayé.

    Au loin, les cloches sonnes, annonçant le passage des heures, mais il n’est pas sûr que l’un et l’autre les entendent.
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  • Dim 29 Sep 2024 - 19:26
    Les pieds vissés dans la neige aussi solidement que s’ils avaient été gelés, Phèdre attendait une réponse qu’elle n’était pas sûre de vouloir entendre. Malgré les jours et les semaines qui défilaient, malgré le temps qu’elle avait passé à l’observer, elle était toujours incapable de savoir ce qui se tramait dans l’esprit de Zachary. Les humains étaient curieux par nature, et elle avait d’abord pensé qu’il s’agissait de cela, c’eut été logique. Puis elle en était venu à se demander s’il n’était pas un profiteur. A ce sujet les Hommes étaient faibles et il en était un. Alors elle lui avait fait peur exactement comme elle l’avait fait avec tous ceux et celles dont la présence l’avait inquiétée d’une manière ou d’une autre au fil du temps. Mais contrairement aux autres, Zachary était encore là et s’il avait été ronchon les jours qui avait suivi la menace qu’elle avait fait planer sur ses testicules, il était encore là. Pis encore, ils étaient tous les deux en train de faire une activité aussi anodine qu’un bonhomme de neige. Siame elle-même ne lui avait accordé ce plaisir qu’une ou deux fois ces dernières décennies, jugeant la chose un peu trop enfantine. Ce que Phèdre lui accordait volontiers mais après plusieurs siècles enfermés au temple, à donner autant d’enfants que son corps le lui permettait, ce genre de choses lui faisait du bien et lui permettait d’oublier ne serait-ce qu’un peu.

    A la réponse du jeune homme, ses yeux s’étrécirent. Siame était la seule personne à l’avoir jamais tutoyé et si une personne s’y était risqué en sa présence, elle aurait probablement été châtié d’une manière ou d’une autre. Pourtant, Phèdre ne dit rien, ne chercha pas à rectifier la manière dont il s’adressait à elle. Elle se contenta de rester muette et de le suivre des yeux lorsqu’il approcha de leur création. Elle regarda ses doigts à la peau dorée, qui contrastaient avec la neige, en train d’arranger le visage bancal du bonhomme et se demanda ce que cela ferait si c’était sur son visage qu’il les faisait courir. La seconde suivante, sa main se levait pour chasser les flocons qui se confondaient dans ses cheveux et Phèdre entendit distinctement son palpitant louper un battement avant de se mettre à battre avec un rythme si effréné qu’elle eut l’impression qu’il pouvait l’entendre. Avant d’avoir le temps de reculer pour lui échapper, ce fut lui qui fit un pas vers l’arrière. “Pourquoi ?” S’écria-t-elle intérieurement. Ses cheveux étaient-ils rêches ? Leur touché désagréable ? Pour la première fois, juste le temps d’un battement de cil, Phèdre douta de sa beauté. Mais la cloche qui sonna, austère, la força à imiter son compagnon.

    Le vouvoiement était à nouveau de mise, remarqua Phèdre alors qu’elle tournait la tête vers Zachary dont les yeux restaient rivés vers le clocher. Avait-elle rêvé ce qui venait de se passer ? C’était l’impression qu’elle avait, comme si tout cela n’était rien de plus que le fruit de son imagination, tout droit tiré de la solitude qui lui pesait tant. Il voulait la voir rire parce que cela lui faisait du bien, à lui ? C’était idiot. Il aurait voulu qu’elle le choisisse. Pourquoi ? Elle lui plaisait ? Elle continuait de fixer son profil. Elle lui plaisait ? Avait-elle jamais plut à qui que ce soit ? Et puis qu’était-ce, plaire, lorsqu’on est parfait ? Phèdre n’avait jamais été aimé par nul autre que sa sœur. Mais son corps avait été adoré par plein, abusé par plus encore. Choisir et être choisie lui étaient des notions étrangères.

    — Tu dis n’importe quoi, gronda-t-elle, agacée par l’étrange colère qu’elle sentait grossir dans sa poitrine, à moins que ce ne soit le désespoir de sa condition, l’étrange réalité qu’elle avait toujours ignorée et dont Zachary était en train de soulever le voile qui l’avait toujours recouverte. D’un puissant battement d’aile, témoignant à lui seul du maelstrom d’émotion, elle décolla. Le laissant seul au milieu de la forêt, elle fila droit vers le temple et entra par la fauconnerie qui était le seul endroit à disposer d’une aire d'atterrissage suffisamment large pour accueillir ses ailes.

    Joseph, s’était depuis longtemps remis de sa maladie et qui connaissait suffisamment la cadette pour savoir quand il valait mieux l’ignorer, lui lança un simple regard étonné avant de retourner à ses oiseaux, lesquels piaillèrent bruyamment au passage de l’ange. Mais Phèdre ne s’arrêta pas, même pour Sgaeyl et s’engouffra dans les entrailles de la tour pour descendre les marches quatre par quatre jusqu’à atteindre le niveau des salles d’eau où l’attendait Martha et le bassin d’eau chaude. Sous le regard médusé de cette dernière, l’ange se débarassa de ses vêtements avant de se plonger dans l’eau chaude. Elle l’était tellement qu’elle lui brûla les extrémités comme si elle venait de les glisser dans un brasier. La douleur était telle que Phèdre grimaça sans pour autant chercher à s'y soustraire ; s’était ironiquement apaisant. Elle s’enfonça dans l’eau jusqu’à la taille avant de se laisser lentement tomber en arrière jusqu’à ce que sa tête soit immergée elle aussi. Martha l’observait du coin de l’oeil sans mot dire.

    — Quand doit avoir lieu la prochaine cérémonie, au plus tard. Demanda Phèdre dans un chuchotis à peine audible.

    Martha ouvrit la bouche et Phèdre la coupa :

    — Je ne parle pas des offices que ma sœur préside. Je parle de mes cérémonies. Sa voix était glaciale.

    La servante détourna le regard de la silhouette voluptueuse qui flottait dans l’eau laiteuse comme si la regarder une seconde de plus aurait été un sacrilège.

    — Un mois, au plus tard, à dit votre sœur.

    — C’est Siame  qui l’a dit…

    — Oui, lors de son dernier passage et elle a dit que vous devi-..

    — Choisir, je sais. Va-t-en.

    Martha hésita mais l’immobilité de Phèdre la décida à battre en retraite. Elle n’osa réapparaître que bien plus tard, lorsque l’eau du bain fut à peine tiède. Sa maîtresse était toujours dans la même position, le corps flottant à la surface du bain, ses ailes et ses cheveux déployés en une corolle pâle autour d’elle.

    Les jours suivants, Phèdre était silencieuse, comme elle l’était toujours quand quelque chose la contrariait et qu’elle n’arrivait pas à mettre des mots dessus. Tous les matins, avec la régularité d’un métronome, elle se rendait seule dans la salle de prière pour y faire brûler des encens, déposer des offrandes et prier sa Mère de la guider désormais que sa sœur n’était plus là pour le faire. Mais chaque jour était plus silencieux que le précédent, la présence de sa Mère que Siame sentait toujours sur son épaule, lui était toujours défendu. A tel point qu’elle avait envie de hurler.

    A l’aube du dixième jour, après avoir prié du crépuscule au beau milieu de la nuit, Phèdre était excédée. Ses traits irréprochables étaient tirés et des cernes noirs continuaient de border ses yeux bleus.

    — Vous êtes cruelle ! Cracha-t-elle à l’attention de la statue de sa mère qui la regardait d’un air vide. — Pourquoi elle et pas moi !?La fureur la faisait trembler et d’un geste d'humeur elle balaya un candélabre qui s’écrasa sur le sol dans un vacarme tonitruant, éteignant ses bougies avant même qu’elles ne touchent le sol.  Puis en se relevant, elle lança un regard mauvais à l’effigie qui continuait de la toiser.

    Le temple était toujours silencieux la nuit, rare étaient les âmes qui s’aventuraient dans son dédale aussi tardivement. Seule Siame en avait l’habitude et Malazach. Peut-être était-ce leur présence à tous les deux qui obligeaient les autres à se calfeutrer dans leurs appartements. En tout cas, Phèdre ne prit pas la direction des siens. Au lieu de se diriger vers le sud, elle bifurqua en direction de l’aile nord où logeait les domestiques, croisa une pauvre hère qui se figea lorsqu’elles se retrouvèrent nez à nez et qui, d’une main tremblotante, lui indiqua une porte du deuxième étage sur la droite lorsqu’elle lui demanda où se trouvait la chambre de Zachary.

    Phèdre ne s’annonça pas, ni ne toqua, elle se contenta d’ouvrir la porte qui avait négligemment été laissée ouverte puis de se glisser à l’intérieur avant de refermer derrière elle. La seule source de lumière dans la pièce provenait d’une petite lucarne sans volet où s’engouffrait les rayons de la pleine lune. Un peu loin, dans le fond de la pièce, elle distingua un lit vers lequel elle se dirigea. Chacun de ses pas paraissait plus bruyant que le précédent, le silence était léger et le grincement de son poids sur le bord du matelas lui sembla tonitruant lorsqu’elle y prit place.

    — Zachary. Chuchota-t-elle. — Zachary ! Non sans une hésitation, elle posa la main sur son épaule pour le secouer doucement. — Pourquoi je te plais ?
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