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  • Mar 27 Aoû - 18:02
    30 Octobre de l’An -7, 13 :45

    L’automne était une saison particulièrement agréable à Magic. Le Parc de la Mandragore, en contre-bas, affectait profondément le paysage de l’Université, qui avait une vue imprenable sur les couleurs chatoyantes des arbres en cette saison : l’or, le pourpre, l’orange et l’écarlate parsemaient l’horizon dans une harmonie qui rappelait indéniablement la lumière éclatante des couchers de soleil. Ses rayons, d’ailleurs, chauffaient doucement le visage de la Pléiade sans l’enfiévrer, dans un de ces rares moments de contemplation où la bise, chargée des odeurs de mucus annonçant les prochaines gelées, lui donnaient envie de retourner à sa vie nomade.

    Juste un peu. La vie à l’Université lui plaisait ; la routine qu’elle lui imposait, le plaisir d’enseigner entre deux obligations, les trouvailles esthétiques ou les nouveaux talents qu’elle dénichait parmi ses élèves, tout ceci faisait partie d’un quotidien qu’elle n’échangerait pour rien au monde. Ainsi, tandis que l’automne se parait de ses couleurs les plus flamboyantes, la Perfectionniste endossait avec plaisir les responsabilités qui lui étaient dues avec un zèle qui frôlait l’hérésie. Elle profitait maintenant de cette période de creux annonçant l’arrivée des prochains examens ; elle était satisfaite d’avoir répondu à tous ses devoirs administratifs et s’autorisait en conséquence un petit temps libre pour faire une inspection discrète des élèves et des enseignants de son Cursus. Ce dernier avait en effet l’avantage de regrouper de nombreuses disciplines des sciences humaines – art, journalisme, diplomatie –, ce qui lui permettait de voir fleurir des talents et des personnalités diamétralement différentes d’une année à une autre. N’importe qui d’autre aurait trouvé cette perspective peu alléchante, vu la quantité supplémentaire de travail que cela demandait. Mais pour elle qui ne connaîtrait ni la mort, ni la faim, et certainement pas l’ennui, une telle perspective l’enchantait.

    Elle sortit donc de son bureau avec le sourire aux lèvres et un lourd carnet à la main. Elle portait pour l’occasion un pantalon de soie d’araignée noire doublée de cachemire, une chemise blanche en lin maintenue par un corset en cuir gravé, et une large cape grise ourlée spécialement conçue pour laisser passer ses trois paires d’ailes. Les couloirs étaient à cette heure peu fréquentés : la plupart des étudiants se trouvaient en cours ou à la bibliothèque pour tester leurs connaissances. Elle se mit à rêvasser quelques instants sur son passé d’écolière. Même s’il s’agissait d’une période lointaine et trouble, le plaisir d’étudier était toujours là, et elle en venait encore à penser, comme chaque année, qu’elle reprendrait bien quelques années afin d’entamer son quatrième Cursus. Éventuellement bientôt, oui. Les rares apprentis qu’elle croisait s’inclinaient devant elle, comme le protocole le demandait, sans qu’elle remarque que ceux-ci serraient les dents et chuchotaient entre eux après son passage. Elle était également trop perdue dans ses pensées pour voir qu’ils s’empressèrent d’envoyer des messages magiques – petits papiers volants ou signes lumineux simples – vers les classes qu’elle allait inspecter. À moins qu’elle ne fasse semblant – puisque ce genre d’avertissements jouaient rarement en la faveur des sujets examinés.

    Elle monta l’escalier en pierre qui menait au troisième étage de l’aile Est. Elle avait décidé de faire le tour des classes en commençant par le haut, ce qui lui permettrait plus facilement d’accéder aux quartiers privés du Méditant afin de s’entretenir avec lui. Et jouer ensemble aux échecs ; c’étaient à tous deux un passe-temps qu’ils affectionnaient. Ces échanges sous la forme de jeux leur donnaient également l’occasion de discuter de leurs élèves respectifs ou des différentes stratégies d’enseignement qu’ils préconisaient pour telle ou telle personnalité. Son tour-surprise des classes lui offrait un argument supplémentaire pour bavarder.

    L’ange commença ainsi son tour d’inspection en partant des classes du 3e où se déroulaient la plupart des cours de première et deuxième année. Elle comptait rester une dizaine de minutes par classe, ce qui monopoliserait son après-midi entière afin d’inspecter tous les étages, non sans prévoir un temps supplémentaire en cas de problème dramatique ou de découverte atypique – on n’était jamais à l’abri de dénicher un prodige ou un perturbateur… Car toutes les formes de pensées créatrices étaient bonnes à prendre pour la Perfectionniste, surtout celles qui ne rentraient pas dans les cadres imposés par les institutions.

    Les premières classes étaient particulièrement décevantes : des élèves sages et consciencieux faisaient des yeux ronds à la Pléiade pendant qu’elle passait entre les rangs. Elle sentait ensuite leur tension lorsqu’elle s’asseyait en retrait, derrière eux, examinant leurs mimiques et leurs tentatives pour paraître détendus. C’était pourtant à cet instant que l’exercice prenait toute sa valeur : dans la nervosité d’être observé par plus grand que soi, dans les émotions négatives ou dans la pression qu’une telle présence insufflait à l’âme de l’observé, la personne se révélait comme elle était au fond d’elle – pour le meilleur et pour le pire. Souvent pour le pire. Mais tout le monde était passé par là, même elle, voilà maintenant mille ans de cela. Elle perpétuait finalement un rituel ancestral ou une forme de bizutage psychologique que certains trouvaient inutile et cruel. Soit. Pas pour elle. Et personne ne pouvait la contredire, alors elle entretenait cette tradition avec délice.

    Elle finit par entrer dans la dernière salle du troisième étage. Toujours affublée de son sourire charmant, celle-ci s’excusa de son intrusion aux étudiants et au professeur qui donnait cours, et leur fit le laïus habituel expliquant sa présence imprévue.

    - Chers étudiants, cher enseignant, veuillez excuser mon interruption. Je vous en prie, continuez ce que vous faites ! Je suis simplement là en tant qu’observatrice. En aucun cas je ne voudrais vous déranger pendant que vous travaillez. Je suis ici pour prendre des notes afin d’évaluer le niveau global du Cursus des Arts Physiques et Oratoires Magiques : professeurs et élèves sont concernés et c’est ce système qui me permet ensuite d’adapter les cours, puis d’innover si cela est nécessaire, grâce également aux différents commentaires que je reçois de la part des médiateurs et des conseils d’enseignants.

    Il était ici question d’un cours de sculpture magique. Les apprentis devaient produire un objet en s’aidant de leur magie élémentaire ou des techniques apprises à l’Université à partir des différentes matières premières qui étaient mises à leur disposition. Un exercice particulièrement intéressant pour la Pléiade : la confection d’objets – qu’ils soient magiques ou non, esthétiques ou utilitaires – la ravissait toujours, puisqu’elle était elle-même assez douée dans cet art qui pouvait facilement produire des résultats étonnants. L’étude des techniques de chacun était en outre un excellent moyen de trouver les futures vedettes avant-gardistes qui viendront gonfler sa large panoplie d’artistes à la mode.

    L’aristocrate prit donc le temps de faire le tour des pupitres où les élèves concentrés sculptaient leurs premiers objets. Ses ailes repliées au maximum derrière elle pour éviter de renverser quoique ce soit, elle déambulait lentement parmi ses petits protégés, attentive à chacun de leurs mouvements tandis qu’ils essayaient de garder leur contenance malgré son œil scrutateur. Son expression restait figée sur son sourire charmant et ne laissait percevoir que sa félicité bienveillante dans une attitude qu’elle espérait magnanime – même si elle avait conscience que la situation pouvait également la rendre terrifiante pour celui qu’elle observait. La Pléiade se posta finalement derrière une jeune femme métisse aux cheveux noirs ébouriffés, dans une position stratégique qui favorisait une vision globale de la classe : elle sentait ici des énergies plus fortes que dans les salles précédentes et son instinct lui disait qu’elle pouvait y débusquer quelque chose d’intéressant.

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  • Ven 30 Aoû - 22:46
     
    Façonner des talents
    Avec La Perfectionniste

    L’arrivée de la Pléïade dans la salle avait causé quelques murmures stressés et admiratifs des étudiants, qui redoublaient désormais d’efforts pour éveiller l’intérêt de l’ange. Rapidement, les jeunes apprentis commencèrent à incanter, à tracer des cercles avec de la craie ou à agiter leurs mains dans tous les sens afin de canaliser la magie. Il ne fallut pas longtemps avant que la salle d’expérimentation ne devienne un véritable capharnaüm où fusaient les sortilèges élémentaires. Il n’était pas attendu que les élèves réussissent du premier coup, ou même qu’ils parviennent à un résultat acceptable du point de vue esthétique. L’enjeu était de les pousser à expérimenter des sortilèges dans un environnement à peu près sécurisé. Les étudiants, malgré leur manque d’expérience, s’étaient vus inculquer les sortilèges basiques pour pouvoir se débrouiller sans risque d'immoler leur voisin de table. Sculpter était une chose, incanter sans risquer une catastrophe en était une autre. Et l’université attendait de ses étudiants qu’ils sachent maîtriser la première et exceller dans l’autre.  

    Athénaïs de Noirvitrail, troisième descendante de la famille de Noirvitrail, s’était placée dans les premiers rangs. En élève modèle, la demoiselle aux cheveux bouclés avait travaillé pendant des années sur les grimoires de ses précepteurs, mais il fallait qu’elle se rende à l’évidence : elle n’avait aucun talent pour la magie élémentaire. Le feu, la terre, l’eau, l’air, la lumière ou les ombres ; tout ceci s’était révélé totalement infructueux pour elle. Ce n’était pas qu’elle manquait de talent pour la magie, loin de là, mais elle se révélait incapable de canaliser la magie pour faire naître des éléments naturels. Ses parents pensaient qu’il s’agissait simplement d’une faille dans son éducation qui serait vite comblée par l’enseignement avisé des professeurs de l’Université. Comme toute enfant de haute naissance, la jeune fille avait été auscultée par des précepteurs avisés et tous en étaient venus à la même conclusion. Bien qu’Athénaïs possédât un talent inné pour la magie, elle était complètement “sourde” aux énergies élémentaires. C’était pour cette raison que malgré sa bourse fléchée pour le cursus prestigieux de théorie fondamentale de la magie, tout le cursus lié à la magie élémentaire avait été rayé de sa liste de cours pour un assortiment de cours liés à la fabrication d’objets magiques, domaine dans lequel ses professeurs avaient décelé une aptitude certaine et qui la destinait au corps des Façonneurs.

    Mais comme tous les étudiants, Athénaïs devait se plier aux us et coutumes de l’université et trouver des solutions à ses problèmes. C’était un milieu impitoyable où la demoiselle devait faire ses preuves, en utilisant ses forces et en faisant en sorte de compenser ses faiblesses. La demoiselle devait cependant compter sur une difficulté supplémentaire … Une difficulté multipliée par six … Elle avait espéré que ses soeurs resteraient tranquilles. Les journées à passer à négocier avec elles s’étaient révélées infructueuses et les demoiselles n’étaient pas parvenues à un accord viable dans le temps. La brunette devait se rendre à l’évidence : il était impossible de contrôler six chipies et de leur imposer des règles autres que l’auto-préservation. Leur tempérament était trop différent et si elles s’estimaient les unes les autres, elles restaient des êtres indépendants, curieux et avec la fâcheuse tendance à apparaître au mauvais moment pour commenter les cours, s’emparer d’un muffin, ou s’amuser jusqu’au bout de la nuit.

    Mais cette fois-ci, Athénaïs avait bon espoir de pouvoir utiliser efficacement le potentiel de ses six soeurs … ou en tout cas, d’éviter de causer un mélodrame avec un autre étudiant suite à une attaque imprévue de clone. Sculpter quelque chose, ce n’était pas très compliqué après tout. Ses soeurs et elles avaient un minimum de coordination, suffisamment pour ne pas se crêper le chignon au bout de cinq minutes.

    ”Je pense que nous devrions sculpter quelque chose d’un peu ambitieux … Une miniature de l’université serait parfaite !”

    Chrisabelle, la plus difficile à vivre de ses soeurs, mais aussi la plus virtuose en matière d’art, venait d’apparaître à ses côtés. S’installant sur une chaise vide et esquivant adroitement un sortilège venant d’échapper à l’un des étudiants des rangées supérieures, elle commença à déplier avec adresse les outils de sculpture que certains utilisaient via la télékinésie. La demoiselle afficha un air sûr d’elle et commença à dessiner sur un papier ce qu’elle imaginait. Athénaïs se pencha vers elle, ses longs cheveux bouclés s'emmêlant dans ceux de sa soeur.

    ”Chris, encore une fois … c’est juste un exercice simple. On ne devrait pas tirer des plans sur la comète.”

    Exactement, déclara une voix derrière elle. On devrait plutôt sculpter un chat. C’est plus simple, c’est mignon. Tout le monde aime les chats !”

    Myrthelle venait d’apparaître dans le dos d’Athénaïs, un immense sourire aux lèvres. La plus enjouée des soeurs n’avait pas perdu son temps et venait de s’emparer d’un gâteau dans le havresac de sa soeur, qu’elle mâchonnait avec tout le plaisir du monde. Chrisabelle la fusilla du regard.

    ”Comme si tu t’y connaissais en art, la morfale !” répliqua-t-elle d’un ton cinglant.

    ”Les filles, s’il vous plait … pas maintenant …gémit l’originale, qui lançait des regards inquiets vers les autres étudiants, de peur de se faire remarquer.

    ”Hey je te permets pas de me parler comme ça, l’emmerdeuse ! répliqua Myrthelle en haussant le ton. T’es pas ma mère et t’es pas ma patronne, ok ?!”

    “Heureusement sinon tu serais virée et … hey ! Nan mais t’es sérieuse là !? T’as quel âge ?!”

    Myrthelle venait de lancer dans les cheveux de sa soeur des miettes de biscuits. Ca tournait mal … très mal … Les soeurs Noirvitrail avaient beau être brillantes individuellement, leur caractère étaient parfois très difficile à gérer. Et à ce titre, la personnalité de Myrthelle s’accordait mal à celle de Chrisabelle. Athénaïs paniquée, essayait de leur faire baisser d’un ton, mais c’était peine perdue …Prise entre deux feux, elle ne pouvait que regarder le semblant d’harmonie tissée entre elle et ses soeurs s’écrouler comme un château de carte.

    ”Oh misère de misère de misère. gémit-elle, encore plus paniquée qu’avant.

    La scène qui s’ensuivit fut assez confuse. Les récits des étudiants de ce jour-là sont assez contradictoires. Qui de Myrthelle ou de Chrisabelle déclencha le début des hostilités ? Toujours est-il qu’à peine les deux adolescentes en venaient aux mains, quatre autres clones exactement identiques apparurent pour ceinturer les deux soeurs. Théodora, Nicée, Augusta et Eulalie tentaient de retenir Myrthelle et Chrisabelle avant qu’elles n’en viennent au main, devant une Athénaïs presque en larmes.
    CENDRES


    [FlashBack] Façonner ses talents [PV Athénaïs] Signat12

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  • Lun 2 Sep - 17:10
    Une pointe d’excitation perça le masque social qu’affichait la Pléiade en face de son public universitaire. Sitôt son discours terminé et son inspection commencée, les étudiants se mirent en branle et redoublèrent d’efforts pour l’impressionner, créant le capharnaüm de voix, de sortilèges et d’agitation qu’elle recherchait vivement lors de ces visites. Voilà donc une classe accrocheuse : la première phase de son plan de repérage avait fonctionné pour ce groupe disparate d’élèves en proie à la panique. Les enchantements fusaient dans tous les sens afin d’attirer son œil. Les plus doués en sculpture se mettaient au travail sur leur morceau d’argile ou de pierre, directement avec leurs mains ou grâce à leurs talents magiques ; les autres révisaient leurs sorts afin de l’épater, ce qui menait, dans un cas comme dans l’autre, à augmenter la pression des autres élèves – un véritable effet boule de neige qui arriverait bientôt à son apogée.

    La Perfectionniste se déplaça légèrement vers l’avant de la classe afin d’avoir une vue de face de tous les étudiants. La zone était trop instable pour qu’elle puisse prendre des notes : un charme lancé maladroitement – et dans la mauvaise direction, à moins que cela n’ait été prémédité – l’avait raté de peu ; la fenêtre, derrière elle, devint mauve et commença à prendre une texture liquide. Elle claqua des doigts pour annuler son effet et les carreaux reprirent leur forme habituelle. Elle lança ensuite un regard oblique au professeur, qui affichait un air contrit et commençait à suer ; elle lui fit un mouvement de tête encourageant, le poussant à se rappeler qu’il s’agissait là de son rituel favori et indiscutable, puis se focalisa sur ses petits protégés.

    Trois têtes sortaient du lot. Le plus évident était celui qui avait failli la repeindre en mauve avec son incantation désastreuse. Elle n’était vraiment pas sûre que cela ait été un accident : le garçon se concentrait maintenant sur le sculptage d’un dragon de glaise – dans une attitude bien trop tranquille pour quelqu’un qui venait de risquer l’intégrité de la Pléiade et d’au moins deux de ses camarades. Le deuxième étudiant se trouvait tout au fond de la classe. Les yeux rivés sur des figurines élaborées dans un cristal de roche, celui-ci s’appliquait à maintenir un sortilège de lévitation afin de les asperger de peinture à des endroits stratégiques pour y faire refléter la lumière et leur ajouter de la profondeur. Clairement le genre de profil fait pour la performance scénique. La troisième, enfin, était cette jeune fille aux cheveux ébouriffés des premiers rangs dont elle venait de s’éloigner. De prime abord, celle-ci ressemblait à une élève studieuse conventionnelle à laquelle elle n’aurait pas fait attention ; mais son attitude imprévisible la fit bien vite changer d’avis.

    D’abord unique le temps qu’elle observe les autres, la voici dorénavant accompagnée de deux clones autonomes qui se chamaillaient pour choisir quelle forme donner à leur exercice. La Pléiade plissa légèrement les yeux devant ce phénomène des plus étonnants : les clones ne se contentaient pas de reproduire ce que l’original leur demandait de faire, mais prenaient des libertés – non. Même pire : ceux-ci décidaient par eux-mêmes. Étaient-ils doués de conscience ? Comment cela pouvait-il être possible ? Elle fut d’autant plus stupéfaite quand les deux clones, qui commençaient à se battre devant l’originale, se virent arrêtés par quatre autres, bousculant au passage les apprentis des autres tables alentour. Des cris de protestation ou de panique fusèrent dans toutes les directions : entre les clones agités, l’originale au bord des larmes, les bousculés furieux ayant dérapé sur leurs œuvres, ou les autres, stressés ou jaloux, qui se rendaient compte qu’un sort de clonage avait été lancé avec succès, toute la classe entrait brusquement dans un état d’hystérie collective propice à l’épanouissement du génie.

    La directrice ne put s’empêcher de claquer furtivement des mains dans une position d’effervescence qu’elle n’arrivait plus à cacher. S’approchant du professeur toujours immobile devant la classe, celle-ci chuchota doucement à son oreille :

    - Qui est cette jeune femme capable de produire six clones individualisés ?

    - Il s’agit d’Athénaïs de Noirvitrail, Madame… Sa famille provient de l'empire reikois ayant fui leur régime despotique. Ils sont des artisans de renom spécialisés dans la verrerie. Athénaïs… à vrai dire, elle est un peu à part, continua-t-il, un peu gêné. Il s’agit de l’une des élèves ayant un parcours spécialisé, à cheval entre plusieurs Cursus, afin de répondre à… ses talents innés.

    - Oui, effectivement, son nom me dit quelque chose. Cela ne m’étonne pas. Mais pourquoi ne m’a-t-on pas prévenu de ce talent exceptionnel pour le clonage ?

    L’enseignant lui fit un regard embarrassé et désolé, voyant bien qu’il avait fait l’erreur de ne pas l’informer des aptitudes atypiques de ses élèves – encore l’une des failles d’un système trop bien rôdé dont l’objectif était d’obtenir des résultats conformes aux attentes théoriques de ses dirigeants. Pratique pour l’Armée. Complètement inutile pour l’Art. L’ange poussa un petit soupir déçu et se dirigea vers Athénaïs et ses clones. Comment devait-elle l’aborder ? Comme une unique personne ? Ou comme sept individus à part entière ? Devant l’incongruité d’une telle situation, elle opta pour la multitude ; cela lui paraissait plus sûr afin de créer des liens. Elle se posta donc devant sa table et les apostropha :

    - Eh bien, mes enfants, pourquoi ne réussissez-vous pas à vous entendre ? J’aimerais bien voir de quoi vous êtes capables lorsque vous vous accordez.

    Tandis qu’elle parlait, Inâna examina lentement chacune d’entre elles selon un objectif double : captiver leur attention grâce à sa posture d’autorité et tenter de comprendre le niveau d’élaboration d’un tel sortilège. Avaient-elles le même regard ? Était-ce inné, ou un secret de famille provenant de son clan ? Peut-être s’agissait-il d’une ruse pour l’impressionner ? Dans ce cas, comment l’originale réussissait-elle à garder sa concentration alors qu’elle paraissait affolée, justement reconnaissable grâce à cette attitude qui la plaçait en retrait des autres ? Elle paracheva d’ailleurs son balayage visuel de la troupe sur l’Athénaïs aux yeux brillants d’angoisse et de larmes, la poussant à rétablir l’ordre – ou tout du moins à lui répondre. La deuxième phase de son plan venait de débuter.

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  • Sam 14 Sep - 23:39
    Façonner des talents
    Avec La Perfectionniste

    Les soeurs en étaient aux mains quand La Perfectionniste surgit dans leur champ de vision. Surprises, elles arrêtèrent immédiatement de se donner en spectacle. Face à une figure d’autorité, les jeunes demoiselles, bien éduquées par leur mère, savaient se tenir. Athénaïs, au bord de la crise de nerfs, regarda ses soeurs épier avec attention celle que l’on nommait La Perfectionniste. Celles-ci jaugèrent la professeure autant que celle-ci décortiquait avec attention la scène. Athénaïs sentit le sentiment d’appréhension naître dans l’esprit de ses soeurs. Elles sentaient qu’elles étaient allées trop loin et redoutaient désormais d’être collectivement punies. Tels des chatons pris en train de faire une grosse bétise et se figeant sur place - la vision de La Perfectionniste était-elle basée sur le mouvement ? - elles semblaient réfléchir à la manière de se sortir de ce mauvais pas.

    Ce fut Théodora qui rompit le silence. La plus diplomate et la plus confiance des soeurs tint tête à La Perfectionniste et osa répondre à sa question :

    ”Je vous présente mes excuses au nom de mes soeurs, madame, dit-elle en s’inclinant poliment. Ce spectacle est déplaisant à bien des égards et je puis vous assurer qu’il n’était pas dans nos intentions de déranger cette classe.”

    A ce moment-là, une petite explosion retentit dans les rangs du fond. Un étudiant venait de faire éclater sa bulle d’eau et ruisselait désormais de la tête aux pieds. L’hilarité générale qui s’ensuivit détourna un instant l’attention de la classe des soeurs Noirvitrail, qui n’en demandaient pas tant. Les demoiselles reprirent leur contenance et se concertèrent. Le défi que leur proposait La Perfectionniste était à leur mesure, si bien sûr elles parvenaient à s’entendre. Bien que les demoiselles aient des personnalités différentes, elles étaient capables, dans leurs bons jours, de travailler ensemble sans se marcher sur les pieds. Boostées à l’idée de pouvoir montrer leur valeur face à l’une des plus augustes représentantes de l’université, les demoiselles formèrent un cercle et discutèrent de la manière dont remplir les consignes de leur professeur.

    Après quelques minutes de concertation, les soeurs, mettant de côté leurs inimitiés respectives, se mirent à travailler. Le consensus général fut que le projet de Chrysabelle était réalisable, mais uniquement s’il était tempéré par le regard posé d’Augusta sur sa faisabilité. L’ingéniosité de Myrthelle allait aider, de même que le soin apporté par Nicée, l’adresse d’Eulalie et le sens de la coopération de Théodora. Athénaïs, elle, épaulerait les différentes soeurs et veillerait à ce que le projet corresponde aux attentes folles de sa soeur virtuose. Elles se mirent rapidement au travail pour donner corps à la vision de Chrysabelle, chacune se conformant à la tâche qui lui était associée. Ne pouvant utiliser la magie élémentaire, les soeurs firent de leur mieux avec les outils dont elles disposaient sous les mains : ciseaux à bois, compas, équerres, gabarits et autres outils de menuiseries. Le résultat, présenté une heure plus tard, ne fut pas une oeuvre d’art, mais s’avéra suffisamment convaincant aux yeux des Noirvitrail.

    Oh bien entendu, Chrysabelle ne put s’empêcher de lâcher un “Mmmmph !” dédaigneux devant un travail qui à son sens ne respectait qu’à peine ce qu’elle avait imaginé, mais au vu du temps disponible, elle ne pouvait pas faire la fine bouche. La maquette en bois de l’université n’était pas une très grande oeuvre d’art, mais elle avait le mérite de montrer ce que sept paires de mains pouvaient faire une fois suffisamment coordonnées. C’était très brut de décoffrage … mais au moins, elles étaient parvenues à un résultat honnête … et sans utiliser la moindre magie élémentaire.

    Les soeurs reposèrent leurs outils et regardèrent La Perfectionniste. Chrysabelle, Myrthelle et Eulalie la toisaient avec un air de défi. Théodora, Augusta et Nicée restèrent muettes, dans l’attente d’un commentaire. Quant à l’originale, elle se pinça les lèvres. Etait-ce suffisant ? Etait-ce bien ? Allaient-elles se faire tancer pour leur incompétence ?
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