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    Sixte V. Amala
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  • Mar 17 Sep - 23:13
    Une nuit noire et orageuse était tombée sur Courage depuis plusieurs heures déjà et le reste de la journée n’avait guère était plus réjouissant. Les rues pavées avaient laissé place à de petits ruisseaux et les chemins s’étaient transformés en véritable bourbier. Les volets des devantures étaient presque tous déjà clos, ceux qui ne l’étaient pas encore ne tarderaient pas à l’être. Il n’y avait que sur le port que les commerces tenaient bon, les matelots pour la plupart habitués aux intempéries, ne s’empêchaient pas de sortir et c’était exactement la raison qui avait poussé Sixte à s’aventurer dans l’une de ces tavernes à l’odeur âcre de sueur, de tabac et d’alcool. Personne ne lui prêtait vraiment attention, assise dans un coin, non loin de l’âtre d’une gigantesque cheminée où trônait une marmite considérable dont il émanait une odeur de poisson écoeurante. Aucune mèche de cheveux n’échappait de son capuchon rabattu sur sa tête. Ses pieds étaient nonchalamment posés sur la table, à côté d’une chope de bière et d’une pièce de cuivre destinée au tavernier. Sans être vraiment une habituée, sa présence n’était pas étrangère et n’intéressait personne. Sauf l’homme qui entra en boitant, traînant dans son sillage une vilaine jambe de bois qu’il avait perdu dans ses jeunes années. Il observa l’assemblée toute entière dont quelques visages se tournèrent dans sa direction et s’arrêta seulement lorsque ses yeux rencontrèrent la fine silhouette de la de la demi-elfe.

    — T’es en avance. Commenta-t-il en se laissant tomber lourdement sur la chaise qui faisait face à la jeune femme.

    — Jamais en retard. Le contredit-elle avec un sourire tout juste dévoilé par sa capuche. — Alors, qu’est-ce que tu veux ? J’espère que ça en valait la peine.

    — Je ne t’ai jamais déçu, allons.

    — Il faut une première fois à tout.

    L’homme soupira puis étira sa jambe avant de tendre un rouleau de papier à Sixte qui mit quelques secondes avant de le prendre. Elle le déroula pour afficher un portrait.

    — Mais encore ?

    — Ce gars, j’ai besoin que tu le tue.

    — Le meurtre n’est pas vraiment ma tasse de thé. Répondit-elle en levant le nez, dévoilant enfin son regard bleu à son interlocuteur.

    — On sait tous les deux que si, pour qui peut se le payer.

    — Petit malin. Une risette étira ses lèvres.

    Le boiteux laissa échapper un rire rauque avant de poursuivre.

    — Je m’en serais chargé moi-même, mais c’pas possible. Il désigna sa jambe. — Ce bonhomme, je le veux mort ou vif. Si t’arrives à me le ramener c’est bien. Si tu le tues, ça l’est tout autant. Je saurais pas exactement te dire où il se trouve à cet instant, mais ce que je sais c’est que dans deux jours il va quitter Courage grâce à un bateau qu’on à jamais vu dans un port Républicain.

    Sixte pencha la tête et son interlocuteur haussa les épaules à sa question silencieuse.

    — J’sais pas. Je sais juste qu’il va s'ancrer hors de la ville, probablement pour se ravitailler et embarquer ses passagers. Dont mon connard. Trouve le, tue le. C’est tout. Il sortit une lourde bourse qu’il posa sur la table.

    — C’est demandé si gentiment… Dit-elle dans un sourire. — Marché conclu !

    Trois jours plus tard, il pleuvait toujours à verse sur la ville mais ce n’était rien à côté de l’orage qui grondait à une dizaine de kilomètre de là et qui rendait le ciel si sombre qu’on eut dit que la nuit était sur le point de tomber alors que l’après-midi n’était pas encore terminée. Sixte était sagement recroquevillé dans un renfoncement à flanc de falaise, à quelques mètres du sol. Suffisamment haut pour apercevoir les marins qui venaient de débarquer s’éloigner de leurs trop nombreuses chaloupes -sans doute ramenés en prévision des passagers qui repartiraient avec eux. Quatre hommes étaient restés près des embarcations pour les surveiller et Sixte avait pris soin de les observer minutieusement. Surtout le petit mousse, gringalet, tout juste la quinzaine et le visage aussi départie de poil que l’aurait été celui d’une jeune femme. Un bonnet était vissé sur ses cheveux blonds et il semblait trépigner d’impatience. A l’instar de le demi-elfe qui se tenait pourtant immobile alors que l’eau et les rafales de vents étaient en train d’imbiber ses vêtements.

    Il s’écoula plusieurs heures avant que la nuit tombe, seulement zébrée par de larges éclairs qui permettaient parfois de voir comme en plein jour. Le tempo de la pluie quant à lui était régulièrement interrompu par le fracas de la foudre. Si Sixte n’appréciait guère d’être trempée jusqu’aux os, elle devait bien admettre que le couvert de l’orage avait quelque chose de réconfortant. Encore plus lorsqu’elle vit, entre deux flash lumineux, le petit groupe revenir, deux fois plus gros qu’il ne l’était à son arrivée.  Grimaçant, elle s’arracha à sa cachette pour redescendre vers la plage où elle emboita le pas au groupe, cherchant parmi la foule emmitouflée l’homme sur lequel elle devait mettre la main.

    Ils étaient nombreux. Trop. Comprit-elle alors qu’ils commençaient à approcher dangereusement des chaloupes. Ralentissant la cadence, Sixte fit en sorte de se retrouver en queue de peloton puis jusqu’aux côtés du jeune mousse qui avait rejoint la troupe à mi chemin.

    — Sale temps. Lui lança-t-elle en resserrant sa cape autour d’elle.

    Le jeune garçon sursauta, probablement étonné d’entendre une voix de femme mais garda sa contenance et répondit :

    — A qui l’dites vous. Mais l’premier du cap’taine l’avait prévu.

    — Ah oui ?  Fit-elle, comme si cela l’intéressait, en profitant pour ralentir encore la cadence et semer le reste du groupe.

    — Ouep, c’est l’chef qui m’la dit. Et du coup c’est l’premier qui l’a dit au chef, qui l’a sans doute eut du cap’taine.

    — Tu connais ton capitaine ?

    — Pour sur m’dame ! J’le vois t’nir la barre tous les jours.

    —  Et comment est-il ?

    —  Bah j’sais pas m’dame, je lui parle pas moi.

    Sixte pinça les lèvres, se retenant d’expliquer à ce jeune mousse ce qu’elle pensait de son niveau d’intelligence. A la place elle demanda :

    — Dis moi, tu as quel âge ?

    — Quinze ans m’dame, presque seize. Mais j’suis maigrichon. Parait que ça s’appelle la malnutrition infantile. Ou un truc dans l’genre. C’qui veut pas dire que je sais pas faire mon boulot. Non moi j’suis un grand gaillard dans le corps d’un p’ti-... Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que la garde d’une dague lui heurta la tempe avec suffisamment de force pour lui faire tourner de l'œil. Ni une ni deux, Sixte traina le corps derrière un rocher, rangea sa tresse en couronne sur le haut de sa tête puis enfila le bonnet qu’elle enfonça au-delà de ses sourcils. Ensuite, elle emprunta la veste du mousse, trop grande pour lui comme pour elle et lui laissa une pièce de son butin dans la main. En guise de dédommagement.

    D’une carrure similaire, personne ne s'étonna de voir un jeune matelot, frêle comme un roseau courir à grandes enjambées sur la plage pour rejoindre le dernier canot qui le ramènerait au bateau.

    - Active, idiot ! L'invectiva un vieux pirate, la main en visière, pour essayer de discerner sa présence malgré le rideau de pluie. Sixte força la cadence puis s’élança d’un bond et atterrit avec une étonnante légèreté dans l'embarcation. — J’te savais pas si agile garçon, peut-être qu’on va songer à changer ton petit nom… Puis il partit d’un rire gras, lui envoya une grosse claque dans l’épaule qui manqua de lui faire manger le plancher de la chaloupe et lui tendit la rame. — Trève de plaisanterie, temps de bosser mon vieux.

    De mauvaise grâce, la tête baissée et la pluie glissant le long de son nez retroussé, Sixte s’exécuta et commença à ramer. Cela sembla durer une éternité mais malgré l’orage, elle devina l’ombre du navire dans les éclairs et sur les vagues lorsqu’elle s’en approcha. Il était sombre, lugubre, loin des bateaux qu’elle avait connus dans sa jeunesse. A moins que l’image qu’elle n’en ait désormais soit à jamais ternie par la trahison qu’elle avait subi.

    Cela faisait plusieurs mois maintenant qu’elle n’avait pas revu Altarus et elle ne s’en portait pas plus mal. Son séjour dans les terres du nord lui avait fait un bien fou, tout comme jouer carte sur table avec Pancrace. Elle avait encore du mal à réaliser ce qui s’était passé d’ailleurs et parfois, elle se demandait si elle n’avait pas agit par pur esprit de vengeance. Pourtant, lorsqu’elle pensait à lui, elle était incapable de contrôler ce sentiment qui gonflait dans sa poitrine. Semblable à ceux d’autrefois.

    — T’attends quoi pour grimper, gamin ? Lui lança le vieux pirate et Sixte ravala sa fierté avec peine pour grimper à l’échelle en corde qui pendait mollement devant elle. La houle n’aida pas vraiment mais elle était heureusement agile et l’ascension ne lui posa aucun problème. En haut, une main l’attendait, tendue vers elle pour l’aider à passer le bastingage. Tête baissée, elle la saisit et la poigne puissante la tira sur le pont.
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    Altarus Aearon
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  • Dim 22 Sep - 21:26
    "Contre-maître, tout le monde a embarqué ? "

    Le vieux marin terminait de tirer le frêle mousse quand une voix autoritaire retentit, venant du gaillard arrière. En se retournant, l'homme manqua de trop tirer le gamin.

    "Y a pas plus que les caisses, C'pitaine ! "
    "Fais accélérer leur chargement."
    "Bien, C'pitaine ! Va terminer tes tâches, gamin ! "

    Et il abandonna le mousse, qui devrait normalement s'activer de son côté pour vaquer à ses occupations. Le jeunot aura-t-il alors la vision d'une ténébreuse silhouette qu'un éclair illumina un très bref instant ? Un regard acéré aura eu le temps de voir un être sombrement habillé. Une capuche et un masque tout aussi ténébreux couvraient son visage. Un autre éclair zébra la nuit alourdie par les nuages de l'orage qui grondait. Un peu plus que tout à l'heure. Nul doute que l'ombreux personnage ne pouvait être l'homme qui avait exigé de son marin de s'activer.

    Les bras croisés sur sa poitrine, le pirate masqué regardait les nouveaux embarqués prendre place sur le pont, malgré l'obscurité de la nuit. Les éclats lumineux de l'orage permettaient une fraction de seconde de distinguer la forme de chacun d'entre eux. Cette nuit, il était prévu d'embarquer six fuyards de la nation bleue. Silencieusement, il fixait ces personnes à la démarche lasse, qui tenaient le peu de possessions qu'il leur avait été permis d'embarquer. Un de ses marins leur ordonna de se placer vers la proue, là où une tente de fortune avait été montée pour les accueillir. Ce sera leur place le temps de leur voyage — le temps de rejoindre leur destination.

    La vigilance était cruciale, tant avec la présence de ces civils à son bord, que par le risque qu'il courait à traîner dans ces eaux. À cela, il se retourna pour regarder la haute mer, pour essayer de discerner la venue possible d'un navire républicain. À chaque éclair qui inondait les cieux obscurs, son œil alerte ciblait la moindre silhouette qui serait celle d'un navire républicain. Naviguer de nuit, sans fanal, était dangereux, mais c'était aussi un bon moyen d'approcher de sa cible sans se faire voir. La mer, grossie par le mauvais temps du moment, ne découragerait pas un audacieux officier de la Marine d'affronter et de couler un pirate qui oserait braver le territoire maritime de la République. Surtout ces derniers temps.

    Le pirate ne négligeait pas les conséquences de l'attaque de l'Assemblée sur Liberty. La rude offensive que la cité avait subie n'avait pas été sans conséquences, poussant la République à être sur le qui-vive. Ces conséquences sous-jacentes avaient accru certaines tensions, exacerbé certaines rancunes envers les étrangers et les non-humains qui vivaient au sein de la Nation Bleue, la République. Celles et ceux qui cherchaient depuis lors à partir le plus rapidement possible et par n'importe quel moyen visaient la mer. Elle n'était pas la voie la plus sûre, mais elle était la plus rapide, à condition de trouver le bon navire.

    Le Cetus en était un de ceux-là, tant pour fuir que pour rester libre, en effet, et avec le peu de biens qu'il était permis d'embarquer. Le masqué ne faisait pas ce genre de transport d'ordinaire. Mais dans un monde en constante évolution, en constante tension, varier ses activités était nécessaire. Surtout pour empêcher que ces pauvres hères ne tombent sur le mauvais pirate qui pourrait les dépouiller, les rançonner, voire pire... De ces gens qui se trouvaient désormais à son bord, il n'était pas regardant sur leurs origines ni sur pourquoi ils désiraient quitter à tout prix la République. Tant qu'ils n'avaient pas un comportement suspect... ou trop chaleureux avec les pirates. Des consignes avaient été données, tant pour eux que pour ses hommes d'équipage. Les embarqués ne devaient en aucun cas quitter la proue, se mêler aux hommes ou leur faire un brin de causette... Ce ne serait qu'en des circonstances urgentes que le capitaine leur permettrait de quitter l'avant de son brick.

    Après avoir une nouvelle fois sondé l'horizon, il leva la tête pour fixer le nid de pie. La vigie était présente, ses deux mains encadrant ses yeux pour mieux centrer son champ de vision et parfaire sa surveillance. Après quoi, la tête du masqué se porta vers la plage. La chaloupe revenait déjà, emplie de moitié par des caisses de différentes tailles

    *Bien...*

    Moins il s'éterniserait ici, moins il encourait le risque de se faire repérer. En plus de cela, le vent se montrait plus froid, plus changeant. L'orage devenait tempête.

    "Second ! "
    "Capitaine ?" répondit un homme d'une quarantaine d'années à la bonne mine avec une tignasse blonde un peu en désordre et une barbe de plusieurs jours mal taillée.
    "Assure-toi que nos passagers aient un recoin dégagé dans les cales pour s'y abriter..."
    "Vous redoutez la tempête ? Je pensais que nous aurions eu le temps de l'éviter en dégageant..."
    "Le vent a changé, oui. Assure-toi que rien ne leur soit accessible également, et qu'ils n'aient pas d'armes sur eux. J'aurai autre chose à faire que de gérer de possibles règlements de comptes."
    "Très bien, Capitaine. Je fais préparer les manœuvres avant ?"

    Le masqué acquiesça. Le second se retourna et vit le mousse qui était encore là, bêtement sur le pont.

    "T'es encore là, garçon ? Mais active-toi ! "
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    Sixte V. Amala
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  • Dim 29 Sep - 19:15
    Les marins étaient des hommes forts, Sixte en savait quelque chose et si elle avait manqué de l’oublier, le vol plané qu’elle venait d’effectuer avant d'atterrir lourdement sur le pont venait de le lui rappeler. Le bougre qui l’aidait à monter avait tiré sa carcasse avec tellement d’innatention qu’il avait manqué de lui arraché son bonnet pourtant bien vissé sur son crâne. Accroupie au milieu des autres, Sixte se releva péniblement en ajustant son couvre-chef, l’enfonçant profondément sur sa tête jusqu’à dissimuler ses sourcils. Heureusement, personne ne lui portait la moindre attention. Le fracas du tonnerre était tel qu’il était presque impossible de discerner l’endroit ou même la tonalité des voix qui hurlaient d’un bout à l’autre du bateau, tout juste était-il possible de percevoir des mots au milieu du brouhaha. Ce n’était pas la première fois qu'elle assistait à une chose pareille mais c’était toujours avec la même fascination qu’elle se demandait comment les membres de l’équipage arrivaient à se comprendre. En tout cas, le temps jouait en sa faveur. Hormis les éclairs qui la trahissaient à intervalles irréguliers, la pénombre ainsi que la pluie étaient un camouflage parfait pour masquer sa présence et personne ne fit attention au mousse maigrelet qui commença à se faufiler entre les passagers. Le premier problème, néanmoins, était que ce qui lui servait d’avantages était également ce qui permettait à sa cible de lui échapper. Le second était le roulis des vagues qui soulevait le bateau par à-coup et qui, non content de rendre les déplacements compliqués, faisaient danser la gigue à son estomac.

    D’un pas titubant, elle vint s'agripper au bastingage pour reprendre son souffle. Putain de merde, même après tout ce temps, la mer la méprisait toujours et la tempête n’aidait en rien. Elle était sur le point de céder aux caprices de son ventre lorsque qu’une voix bourrue retentit dans son dos, la faisant sursauter. Le visage tourné vers le sol, elle pivota sur ses talons, vers les deux hommes. Ils portaient tous les deux d’épaisse bottes en cuir noir et des pantalons de la même couleur, ce fut tout ce qu’elle osa regarder. S’ils découvraient son visage, il était certain qu’elle se trahirait. Aussi grand soit l’équipage, ils n’étaient pas assez sot pour se laisser abuser par le visage d’une femme, elfe de surcroit. En réponse à l’interpellation, elle haussa les épaules pour réajuster sa grande veste puis tira à nouveau sur le bonnet désormais imbibé d’eau avant de lever les mains l’air de dire “j’y retourne, j’y retourne” puis elle emprunta une démarche vive, mais pas précipité, pour s’éloigner d’eux.

    Son cœur battait la chamade lorsqu’elle s'engouffra dans l’escalier qui menait à la cale. De nombreux marins étaient en train de déplacer les caisses vers l'arrière du navire pour dégager de quoi abriter tous les passagers. Ces derniers étaient pour la plupart massés les uns sur les autres, dans un recoin sombre, à grelotter en attendant qu’on les invite à prendre place.

    — Vient aider, gamin.

    Sixte ne dit rien, dévala les quelques marches et se retrouva rapidement les bras chargés de sac en toile de jute a peine plus léger qu’elle. Au moins cela lui permettait-il de dissimuler son visage. Il leur fallut oeuvrer de longues minutes dans la pénombre avant de dégager assez de place pour que les passagers ne soient plus entassés les uns sur les autres et lorsque ce fut le cas, quelques-uns commencèrent à mettre la main à la pate. Une aubaine pour Sixte qui commença enfin à oser regarder les visages dans l’espoir d'apercevoir celui de sa cible. L’ironie voulut néanmoins que ce soit lui qui la trouva en premier.

    L’homme fondit sur elle comme un oiseau de proie alors qu’elle avait le dos tourné, trop occupée à stabiliser une caisse en équilibre à l’arrière de la cale du navire. Sans douceur, il écrasa son poids contre le sien, forçant son visage à s’enfoncer dans le bois sous elle.

    — Alors, petite putain. C’est lui qui t’envoie ? Il a pas pu venir tout seul hein ? Son haleine de tabac froid lui arracha un haut le cœur et son estomac, qu’elle avait réussi à tenir en respect jusqu’ici, gronda.

    — Lâche-moi, connard. Cracha-t-elle, la voix étranglée par la pression de l’angle de la caisse sur sa gorge. — J’sais pas de quoi tu parles, je suis juste là pour le bou-...

    De sa main libre, il arracha son bonnet de sa tête, révélant le pointue de ses oreilles.

    — Vous êtes pas très nombreux, les elfes, en République. Et les marins, ils aiment pas trop les mousses avec des miches. Ils préfèrent les garder pour les baiser dans les ports. Un de mes indics t’as vu avec la Jambe de Bois.


    “Merde.”


    — Après ça suffisait que tu me repère pas avant qu’on soit ici, histoire que ce soit moi qui te tombe… D’un mouvement presque trop vif pour un œil humain, Sixte utilisa sa jambe pour faire basculer le poids du corps de son agresseur et dans le même temps, lui transperça la gorge d’un geste net. Les yeux de l’homme s’agrandir alors qu’il reculait en titubant, plaquant ses mains autour de son cou dans l’espoir ridicule d’endiguer l'hémorragie. La seconde suivante il était à genoux, celle d’après il était face contre terre, mort et une auréole carmine était en train de se former autour de son cadavre.

    — Fais chier. Fais chier, fais chier.

    La houle fit tanguer le bateau et la caisse qu’elle n’avait pas eut le temps de stabiliser vacilla avant de chuter et d’exploser dans un vacarme tonitruant.

    — Putain, gamin ! Qu’est-ce que tu branles ?

    Il ne fallait pas qu’on la trouve là, encore moins tête découverte.
    Sixte se précipita sur le bonnet, l’enfonça sur son crâne et se drappa d’invisibilité. Ce ne fut que lorsqu’elle eut atteint l’escalier qui remontait jusqu’au pont qu’elle entendit distinctement :

    — Faites prévenir le Capitaine, on a un problème !
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    Altarus Aearon
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  • Sam 5 Oct - 21:40
    Quand un de ses marins le héla, le Masqué tenait la barre fermement, gardant un œil sur la petite bannière usée par les vents, qui avait perdu de sa blancheur depuis bien longtemps. Elle claquait chaotiquement dans le vent, lui confirmant que le Cetus ne pourrait pas échapper à la tempête qui s'annonçait des plus colériques. À croire que la mer n'était guère joyeuse d'avoir des terrestres ignares à bord du brick...

    Comprenant l'urgence par le ton de l'appel, le pirate appela un autre membre de son équipage pour prendre la barre, lui donnant des consignes strictes et précises à suivre ; en gardant un œil sur la petite bannière grisâtre, sur laquelle il devait veiller à la maintenir sur un certain cap. Si elle vrillait, il devait l'appeler sur-le-champ. Après quoi, il rejoignit l'accès à la cale. En bas des escaliers, se tenait l'homme qui l'avait appelé.

    "Qu'y a-t-il ?"
    "Un des embarqués a claqué, Capitaine."

    Le capitaine masqué ne répondit pas immédiatement, se contentant de fixer son homme. Derrière son masque, on ne pouvait discerner aucun trait de son visage, donc lire aucune émotion. La pluie commença à tomber. Le Masqué leva la tête vers les cieux, comme pour chercher à voir comment le temps déjà bien tumultueux allait s'engager. Ce n'était pas bon. Et voilà qu'il y avait un mort à bord. Ses hommes n'étaient pas de gros superstitieux, mais quand un homme mourait à bord à l'approche d'une grosse tempête, il y avait de quoi miner un peu le moral. Il finit par se pencher légèrement en avant, un signe silencieux pour indiquer qu’il attendait des explications.

    "Il a été égorgé... direct, net et sans bavure."

    Direct, net et sans bavure... Une main sûre, qui savait ce qu'elle faisait et ce qu'elle voulait... Il finit par descendre dans la cale, pour aller voir le corps de ses propres yeux.

    Le roulis du navire n'aidait guère à marcher droit. Une secousse fit gémir la coque. Les vagues grossissaient dehors. Le corps n'était pas loin des escaliers qui menaient en ces lieux. Les caisses finissaient d'être calées et enchevêtrées avec des cordages et de lourds filets, pour permettre le plus de place possible aux passagers du moment, qui avaient été menés dans une autre partie de la cale en attendant. L'odeur du sang était perceptible, se mêlant à l'odeur saline et boisée des entrailles du brick. La lumière des petites lampes à huile révélait le corps gisant au sol, baignant dans une flaque sombre. Le Capitaine s’accroupit près du cadavre, étudiant la blessure à la gorge. C’était net, sans hésitation. Pas le travail d’un amateur.

    Se retenant de soupirer, le Masqué se redressa. C'était bien le moment pour une pareille situation. Soit il était question d'un règlement de compte, soit un assassin avait réussi à embarquer à son bord et ferait tout ce qu'il faut pour se planquer.

    "La tempête nous tombe dessus. Quand elle sera passée, on s'occupera de trouver le coupable."
    "Mais... s'il..."
    "Le Second devait s'assurer qu'aucun de nos passagers n'ait d'armes. Fais procéder à une nouvelle fouille. Qu'on s'assure qu'il n'y a pas d'armes dissimulées dans la cale et sur le pont. Ne perds pas de temps..."
    "Tout de suite, Capitaine ! Et... euh... vous avez croisé le mousse ?"
    "Maigrichon ?"
    "Oui... il devait aider à dégager les caisses et il y a un sacré raffut..."
    "Il a dû se dissimuler quelque part avant de se sauver. Il n'a jamais été très courageux..."

    La cale prit un gîte inquiétant, le temps d'un bref instant.

    "Ne perds pas de temps... et rappelle les consignes aux invités à bord. En plus de rester dans la cale, tout en gardant un œil sur les mouvements de chacun d'entre eux. Cela rajoutera de la paranoïa entre eux, mais déliera peut-être quelques langues, quand la tempête sera passée..."

    Son marin acquiesça. Le Masqué remonta sur le pont, s'étonnant de ne pas avoir croisé le mousse en venant à la cale. Un éclair déchira le ciel nuageux. Il se rendit d'un pas rapide à la barre. L'orage promettait d'être hargneux... Quand ses mains gantées retrouvèrent le contact du bois poli de la barre, il hurla pour tous :

    "Qu'on clôt les sabords, qu'une équipe se tienne prête aux pompes, qu'on ferme les écoutilles et mettez vos lignes de vie ! La tempête va bien nous rincer !"

    La côte était désormais trop éloignée pour que le ou la meurtrière puisse espérer s'échapper en sautant par-dessus bord. Les vagues étaient devenues trop hautes et les creux trop profonds pour espérer partir en chaloupe, surtout si le coupable était néophyte.

    Quand la mer aura retrouvé son calme, le coupable ne trouvera pas le repos...
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    Sixte V. Amala
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  • Dim 13 Oct - 18:51
    La mer ne l’avait jamais aimé et elle n’avait jamais aimé la mer. Ç'avait toujours été ainsi, même un siècle et demi n’avait pas changé ça.

    Sixte s’extirpa de la cale au moment où le bruit des pas était revenu vers elle. Invisible, elle avait échappé à la vigilance du matelot qui avait découvert le corps et également à celui qui surveillait l’entrée de la cale et fouillait ceux qui y entraient. Plaquée contre le mur, elle avait évité de justesse, une bonne femme dont les jupes bouffantes s’étaient malencontreusement prises dans les boucles de ses bottes. Elle avait, heureusement, réussi à les dégager avant qu’elle ne s’apperçoive de quoi que ce soit. D’un bon discret, elle avait enfin regagné le pont où une pluie glaciale était en train de tremper tous ceux qui n’étaient pas à l'abri. Sixte ignora les gouttes qui rebondissaient sur sa silhouette, donnant un spectacle étrange à qui savait où regarder et s’approcha du bastingage.

    La mer était agitée, des vagues plus grosses les unes que les autres, soulevées par les vents, faisaient tanguer le bateau à un rythme lent qui rendait fou l’estomac de la demi-elfe. C’était comme se trouver au beau milieu d’une eau bouillonnante. Elle était aussi grise que le ciel au-dessus d'elle, impossible de voir le fond. Sixte leva le nez. La côte qui se trouvait à tout juste un kilomètre de nage et qu’on discernait sans peine malgré l’orage à venir, n’était désormais rien de plus qu’une mince bande obscure à l’horizon.

    “Merde.”

    Sixte savait nager, elle avait été forcée d’apprendre le jour où elle avait épousé un homme qui préférait la mer à la terre, mais sauter par dessus bord maintenant… Autant s’accrocher une enclume au bout du pied. Elle ne regagnerait jamais la rive. Pas en vie en tout cas. Tant pis, il restait encore les chaloupes. Cela lui demanderait des efforts conséquents mais c’était largement envisageable. La main agrippée à la rambarde pour se guider, l’estomac au bord des lèvres, elle avança lentement vers le centre du navire, là où les petites embarcations attendaient, accrochées aux flancs du bateau.

    — Eh, l’est où le gamin ?

    Sixte se figea à l’endroit où elle était. L’homme qui lui faisait face avait l’air maussade.

    — J’te parle, réponds putain.

    Comment pouvait-il la voir et surtout, s’il l’a voyait, pourquoi ne lui avait-il pas encore fait un trou dans la poitrine ? La réponse fut évidente quand une voix dans son dos répondit :

    — J’sais pas mon vieux. L’capitaine t’la dit. L’a dû avoir peur, doit se planquer qu’que part sur le bateau. S’voyait qu’y tiendrait pas la cadence l’ptit.

    — J’ai déjà fouillé la cale, y était pas. Il est pas à la poupe non plus. Grommela le bonhomme en avançant droit sur Sixte qui l’esquiva de justesse.

    — L’a pas pu aller bien loin.

    — T’crois qu’il a pu piquer une chaloupe ?

    — Nah, l’en manque aucune. Pis vu la gueule de la Belle, moi j’m’y risquerais pas avec un de ces coucous.  

    Sixte nota non sans grimacer que sa seconde option venait de partir en fumée. Si même des marins étaient réticents à l’idée de prendre la mer avec de telles boîtes à savons, elle ne donnait pas cher de sa peau. Le deuxième homme hocha la tête, puis haussa les épaules avant de lâcher un rire.

    — T’crois pas qu’il aurait pu aller dans les quartiers du cap’taine quand même ?

    — Ahaha ! Ca serait pas con, va être à la barre jusqu’à c’que le vent r’tombe. Mais c’est fermé, aucune chance d’entrer.

    C’était tout ce qu’il lui fallait.

    Sixte contourna les deux hommes discrètement, reposa sa main sur le bastingage et continua d’avancer. La pluie tombait drue désormais, si bien qu’on voyait à peine la proue du navire. Le bois du pont était devenu glissant et les rafales de vent faisaient penser à des gifles données par un dieu quelconque. Avancer était pénible, et ça ne le fut que plus encore lorsqu’un haut le cœur la surprit et qu’elle se plia en deux pour vomir par-dessus bord. Le tonnerre eut le mérite de couvrir ses régurgitations.

    Maintenir son invisibilité ou marcher. Sixte n’était pas en mesure de choisir laquelle de ces deux tâches était la plus ardue mais l’une comme l’autre lui demandait des efforts considérables. Après avoir avalé autant d’eau qu’elle en avait dégueulé et que ses vêtements eurent absorbés la moitié de la mer, elle trouva enfin la porte des appartements du capitaine. C’était audacieux, probablement un peu fou mais cela valait encore mieux que de rester sur le pont à avaler des gorgées d’eau salée jusqu’à ce que mort s’en suive. Elle avait évidemment envisagé de redescendre dans la cale et d’y prendre la place de n’importe quel réfugié. Mais elle était trop bien gardée. Contrairement à cette porte dont la seule gardienne était une serrure. Une solution temporaire, dès que la tempête se calmerait, que les matelot auraient d’autres chats à fouetter et que les esprits se seraient calmés, elle retournerait dans la cale.

    Crocheter la serrure ne fut pas compliqué, après le coffre de D’Elusie tout paraissait être un jeu d’enfant. Une fois la serrure forcée, Sixte ouvrit la porte, se glissa dans la pièce et referma derrière elle. La, elle abandonna son invisibilité dans un soupir las.
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