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Impératrice-dragon du Reike
Ayshara Ryssen
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Info personnage
Race: Vosdraak
Vocation: Mage - Soutien
Alignement: Loyal neutre
Rang: S - Impératrice
- Regarde-moi ça ! Ces draps sont encore aussi immaculés qu'un matin de printemps. On pourrait croire qu’ils dorment chacun de leur côté.
- Tu m’étonnes. Après un mariage pareil, je suis presque certaine qu’ils n’ont même pas partagé une vraie nuit ensemble.
- Elle, une princesse Draknys, livrée comme une marchandise. Lui, un barbare devenu roi... C’est clair que ça ne doit pas être l’amour fou.
- Oui. Une union arrangée pour que le royaume retrouve la paix... Tout le monde le sait. M'enfin, je pensais qu'ils auraient... Bref, tu comprends. Surtout avec tout ce qu’on raconte sur Tensai Ryssen. On l’imaginait plus... fougueux.
- Je ne sais pas... Il paraît qu’il est redoutable sur le champ de bataille, mais avec elle... Je ne suis pas sûre. Elle doit être si perdue...
- 'Faudra bien qu’ils finissent par le consommer, ce mariage. C’est ainsi que l’on consolide ce type d'alliance, non ?
Et c'était tristement vrai. Cela faisait une petite semaine à présent. Sept jours depuis que son frère l'avait vendue, depuis qu'elle était devenue la reine d'un homme qu'elle ne connaissait qu'à travers des récits de guerre teintés d'effroi et de gloire – parfois de mépris. Tensai. Le chef des barbares. Son époux. Ils avaient juré devant les Astres, pour le meilleur... et pour le pire.
Malgré tous les chambardements qui lui arrivaient, Ayshara refusait de verser la moindre larme. Fidèle à son éducation, elle garda la mâchoire serrée et le menton haut pendant toutes les cérémonies. En revanche, un mutisme inusité s'empara d'elle – non pas sans rappeler l'enfance de Vaenys. Ceux qui l'avaient connue antérieurement, le bout de femme sympathique, consciencieuse, appréciant discuter des heures avec les domestiques, reconnaissaient à peine cette silhouette gracieuse qui se déplaçait désormais au sein des corridors du palais. Une épaisse carapace s'était forgée autour de ce corps d'apparence si frêle. Une protection qu'elle jugeait nécessaire afin de survivre dans ce nouveau quotidien qui ne lui appartenait plus vraiment. L'épouse du Conquérant ignorait où se situait le seuil entre son devoir de souveraine et l'infime part d'elle-même qui souhaitait toujours croire à l'indépendance. Elle se limitait à des échanges froids, polis, esquivant habilement les conversations inutiles ou celles pouvant éveiller certains de ses vils démons internes. Dire qu'il y a à peine un mois de cela, elle s'amusait encore à jouer à la dinette en toute innocence, loin de se douter que sa vie évoluerait de façon aussi fastidieuse.
Peut-être... Peut-être qu'il y avait juste trop d'émotions à gérer simultanément. La perte subite de ses chers parents, la trahison de son frère, le mariage avec un austère inconnu, et surtout - oui surtout ça - un vaste royaume à panser en tant que souveraine fraichement couronnée. Quasi tout restait à apprendre. Au diable les années de scolarisation qui ne lui avaient appris qu'à maîtriser les lois et protocoles déjà en place. À l'heure actuelle, rien ne fonctionnait normalement. La vosdraak était chez elle sans réellement l'être. Enfin, il s'agissait de son impression du moment, n'envisageant guère la possibilité que la situation change. En mieux.
Et donc, plutôt que de se plaindre et de passer pour une faible, elle préférait se taire, garder ses distances. Le temps de se recentrer, a minima.
Ils ne se parlaient presque pas, ne partageaient rien, si ce n'est un lit. Mais pourtant, à chaque fois que ses prunelles croisaient celles de son mari, son cœur se mettait à battre plus vite. Un sentiment diffus qui la troublait. Puis la nuit, lorsque Ayshara sentait la présence de Tensai à côté, une chaleur étrange la prenait. Elle ne voulait pas de cette attirance. La repousser de toutes ses forces, il fallait. Comment pouvait-elle ressentir une telle ambiguïté pour un homme – un tueur qui symbolisait la déchéance de sa lignée ancestrale ? Elle se détestait de ne pas pouvoir l'ignorer.
Ce soir-là, la reine se préparait à aller "accueillir" son époux. Un mot au goût fort amer sur ses lèvres, parce qu'elle savait exactement d’où il revenait : une mission de "pacification" au sein des ruelles d’Ikusa. Le drakyn avait probablement fait taire de manière définitive une bande d'irréductibles reikois pure souche, des gens farouchement loyaux aux Draknys. Les braises de la guerre n'étaient pas complètement éteintes... La stabilité de la nation tenait à un fil. Depuis la chute de Reih et d'Aaliya, la capitale vivait à la cadence des rumeurs, des complots ainsi que des violences. À plusieurs coins de rue, les deux camps se chamaillaient, afin de tenter d'imposer leur vision. Un joyeux bordel, quoi. En réalité, la sœur de Vaenys n'avait aucune maudite idée de ce qui sortirait de sa bouche ou de ce qu'elle ferait face à lui. C'était toujours pareil – une partie d’elle ne demandait qu'à exploser d'une colère sourde. Elle n’aimait pas jouer les potiches, à devoir sourire et accepter docilement le mâle alpha rentrant au bercail, comme si tout allait bien, comme si tout le Reike n’était pas sur le point de s'effondrer, comme si des brutes sanguinaires ne venaient pas juste d’écarter 5000 ans d'histoire d'un putain de revers de main.
Heureusement, Ayshara s'appuyait sur un petit cercle d'amis fiables pour traverser cette période difficile. Zéphyr, Afosios, Herendil, Noctalys et plusieurs autres formaient son noyau de soutien, lui offrant réconfort quand elle en manquait... Mais était-ce suffisant ?
En arrivant près de l'entrée du palais, le rythme cardiaque de la belle blonde s'accéléra. Des voix lui parvenaient, des ordres lancés, des chevaux qui frappaient leurs sabots. La grande porte s'ouvrait, et elle savait qu’il était là, à quelques mètres. Tensai le Conquérant. Ses améthystes balayèrent la cour, trouvant son visage parmi les rustres en armure qui l'accompagnaient. Il en jetait vraiment dans ces instants-là, avec la terre du combat qui le recouvrait çà et là. Il dégageait quelque chose de brute, d'animal. Difficile de ne pas être impressionnée face à ce guerrier colossal – portant les stigmates des boucheries qu'il orchestrait.
Empereur-dragon du Reike
Tensai Ryssen
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Info personnage
Race: Drakyn
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Chaotique neutre
Rang: S
- Majesté…
Melton Kalsworth avait enfin eu le courage de s’approcher de ce géant qui le dominait de toute sa hauteur. Membre de la haute société reikoise, on lui avait donné le dur rôle de « paranymphe » ou de chaperon, afin que le mariage soit entièrement consommé entre les nouveaux monarques. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela était… sacrément compromis ? Certes, Tensai avait bien posé ses yeux sur Ayshara, lui avait-t-on soufflé. Les servantes du palais étaient catégoriques sur ce point ; puis, lors de la cérémonie religieuse qui les avait unis, il avait bien dû considérer sa nouvelle épouse. Mais pour le reste, le barbare n’avait strictement rien d’un prince charmant. D’abord, il était impassible et ne laissait rien montrer de ses sentiments. On aurait dit une forteresse, un mur, que même l’ancienne princesse ne savait percer. Ensuite, l’homme n’avait aucune manière. Il était brutal, n’avait aucun tact, aucune douceur dans ses propos. Il ne cherchait visiblement même pas à accorder la moindre attention à sa dulcinée, puisque – de ce qu’il avait entendu – le guerrier se levait dès l’aube pour retrouver ses guerriers, et pour ensuite consolider sa propre autorité. Ses journées consistaient à étouffer les éléments rebelles qui s’élevaient ici et là dans la capitale et ailleurs, à se montrer présent dans le joyau d’Ikusa, en appliquant les sanctions lui-même. D’une main de fer, il ne tolérerait pas le moindre écart, même s’il devait encore répandre le sang de ses propres sujets. La tête des anciens souverains étaient d’ailleurs collées à des piques pour rappeler à tous que les choses avaient changé et même l’armée était une fourmilière qui n’arrivait pas à complètement s’apaiser. Le Drakyn avait naturellement remplacé les hauts-officiers par des soldats dont il connaissait la valeur et l’allégeance, mais cela ne voulait pas dire pour autant que la ville était calme, que l’ordre régnait, que son règne était incontestable. Au contraire, et c’était bien pour cette raison que le monarque était tant sorti du palais ces derniers temps. D’une part, il avait déjà visité plusieurs casernes de la métropole pour voir l’état des troupes, il avait aussi visité les zones qui devaient être reconstruites, voire réparées, depuis qu’il avait lancé son offensive sur Ikusa. D’autre part, être assis sur un trône, être plus encore un roi administratif, paisible et peu belliqueux ne correspondait pas à sa personnalité. Tensai voulait davantage être une tête couronnée proche de ses frères d’armes, tout comme l’homme-dragon avait pour ambition de repousser les frontières du Reike, en menant le pays loin de son immobilisme crasse qu’il avait tant décrié. Ce n’était pas qu’Ikusa qui avait besoin d’être purgé : Kyouji et Taisen devaient également continuer à se réformer, sans oublier les multiples clans qui parsemaient le sol du désert.
En un mot, Tensai avait de grandes ambitions, n’avait pas une minute pour lui et ne semblait pas d’humeur à jouer les séducteurs.
« L’a-t-il seulement été ? On dit qu’il n’aime que le sang, le combat, et le meurtre », remarqua amèrement le noble qui le suivait, et qui avait été superbement ignoré par le Drakyn, au demeurant. Prenant toutefois son courage à deux mains, il toussota à nouveau, encouragea son étalon à se mettre à hauteur du guerrier, puis reprit : « Majesté… Je suis navré d’insister, mais j’aimerais vous parler… »
Melton n’était pas dupe, le barbare le supportait seulement parce qu’il faisait partie d’une famille puissante. Celle-ci était restée prudemment en retrait durant la Conquête. A présent que les lions s’étaient mangés entre eux, son domaine sortait de l’ombre et voyait dans les nouveaux monarques une occasion de se faire une place de choix. Mais outre cela, il y avait aussi urgence, car la noblesse était elle aussi au bord de l’implosion. Si le couple asseyait son autorité, les aristocrates mèneraient une bataille pour se faire bien voir par les souverains. Et si le couple se disloquait… Une guerre se lancerait sans doute pour qu’il y ait un malheureux accident à l’un, puis à l’autre, afin qu’une nouvelle dynastie pût voir le jour. Certains avaient déjà pensé à cette hypothèse, Melton en était sûr, et il leur souhaitait bonne chance dans ce combat face à l’Oreille. En attendant, les siens, plus prudents, avaient décidé de miser sur Ayshara et son époux. Dès que le mariage serait consommé, l’avenir pourrait être vu sous de meilleurs auspices.
Mais il fallait qu’il le consomme et avec la brute qu’il accompagnait, c’était loin d’être gagné, bon sang.
C’était la matriarche Kalsworth qui s’était dit, à juste titre, que le souverain aurait peut-être besoin de conseils pour approcher son épouse, et qui avait donc incité le nobliau à se mettre en avant de la scène. L’ordre sous-jacent était naturellement de se faire bien voir. Mais autant dire que le Reikois avait eu l’impression plus d’une fois d’être une mouche importune que Tensai allait écraser sans ménagement, et ce, sans crier gare.
– Votre Majesté… Un grognement lui répondit et le pauvre hère avala tant bien que mal sa salive. Avez-vous pu parler un peu avec la reine… ?
Le regard que lui jeta le barbare lui confirma ses doutes.
Il le voyait vraiment comme une mouche qui l’emmerdait à du cent à l’heure.
- Comme vous le savez, je suis là pour vous aider et…
- Tu n’es pas une aide, tu es une gêne.
La réponse sèche claque, et Melton sent ses couleurs disparaître, avant qu’il ne se reprenne.
- … Et pour votre intérêt et celui du Royaume – on peut l’admettre, il est, sinon fou, au moins courageux – plus vite vous aurez une bonne relation, et mieux ce ser…
Le dénommé Melton s’interrompt quand il voit un rictus ironique déchirer le visage de son souverain. Pour peu, on croirait qu’il rit, sauf que… ce n’est forcément de bonne augure.
- J’ai tué ses parents.
- C’est vrai mais…
- J’ai chassé son frère.
- Vous avez raison mais…
- Je n’aurais eu aucun scrupule à tuer ses serviteurs. Qu’il s’agisse de son renard ou de son demi-hibou.
- Vous avez encore raison, m...
- Et j'ai massacré la garde royale il y a à peine une semaine.
Cette fois, Tensai s’arrête brusquement, et le cortège qui le suit avec lui. Son sourire sarcastique a disparu pour ne laisser place qu’à des prunelles orageuses.
- Et toi, tu me dis sept jours plus tard « d’avoir de bonnes relations avec elle » ?
- Je ne me fais pas d’illusions, messire, répond précipitamment son interlocuteur, et un grognement plus mauvais lui répond. Mais comme vous le savez, les souverains ont le devoir divin de procréer et… – un baragouinage en shierak-quiya lui répond encore une fois, toujours plus sombre, toujours plus inquiétant – et avant d’en arriver là, dit-il d’un rythme de plus en plus rapide, vous pourriez peut-être lui offrir des cadeaux ?
Sa proposition semble au moins intriguer Tensai – signe qu’il n’y a pas du tout pensé – et cela a au moins le mérite de lui faire lâcher la manche de sa claymore, qu’il caressait comme s’il avait envie de la sortir (on se demande pour qui).
- Des cadeaux ? Quels cadeaux ?
- Eh bien, vous savez. Ce qui plait aux femmes.
Le silence lui répond.
- … Vous savez ce qu’aiment les femmes, Majesté ?
Du coin de l’œil, Tensai échange un œil avec un membre de son clan et c’est ce dernier qui répond.
- Les femmes de notre clan aiment se battre.
- Et se façonner de nouvelles armes.
- Et prouver qu’elles valent autant que les hommes.
Les deux bougres s’échangent un regard entendu pendant que Melton est… un peu désabusé. Juste un peu. Rien de dramatique. Il s’en remettra.
- Et je suppose qu’elles aiment aussi les bijoux… ?
Un silence pensif.
- … Les beaux tissus en soie… ?
Silence toujours persistant.
- … Les parfums ?
Le silence est maintenant désespérant et Tensai a une légère moue.
- C’est ce qu’aime Ayshara ?
Au moins, il dit son nom. C’est toujours ça de pris.
- Eh bien, je n’ai pas l’outrecuidance de connaître la princes… votre épouse, Monseigneur. Mais je suis sûre que cela lui plairait.
Manifestement, Tensai n’est pas très convaincu. Alors Melton change de tactique.
- Mais ce qui lui plairait encore plus, c’est que vous lui offriez un cadeau que vous aurez vous-mêmes choisi.
Angoissé, le noble observe son nouveau souverain qui semble abîmé dans ses pensées. Il se passe un moment encore, avant que le monarque ne dise brusquement :
- J’y réfléchirai.
L’instant d’après, il envoie son cheval au galop et sa troupe accélère naturellement la cadence pour suivre le roi du Reike. Surpris, Melton reste là, et il lance une œillade presque craintive au Ryssen qui est resté à ses côtés. Puis, la curiosité étant ce qu’elle est, il ose finalement demander :
- Qu’est-ce que le roi baragouinait en shierak-quiya, quand je parlais de leur devoir de procréer ?
Son interlocuteur hausse les épaules de manières nonchalante avant de répondre.
- Qu’il en avait rien à carrer.
Puis, éclatant de rire en voyant la figure déconfite du chaperon, le guerrier reprend sa course pour rejoindre le futur Tueur des Titans.
Quand la troupe de Tensai arrive au palais, l’après-midi est bien entamée, la soirée est même déjà amorcée, et nul doute que les serviteurs du palais se trémoussent déjà pour savoir quand il leur faudra livrer le repas au couple royal. Mais le monarque est indifférent à la préoccupation des domestiques. C’est trop tôt pour qu’il les prenne en considération, et il a encore des préoccupations trop égocentriques pour considérer tout ce que son rôle de souverain implique. Il est un barbare plus qu’un roi, en cette étape de sa vie, qui prend ce qu’il veut, quand il veut, et en faisant peu fi des familles qu’il détruit. Agent du chaos et de la destruction, le colosse d’alors peine également à imaginer l’idée de concevoir une famille, de construire quelque chose de durable avec une inconnue qui n’a vécu que dans les murs de ce château. Oui, l’homme l’a tout de suite considérée jolie – sans nul doute est-ce la plus belle femmes qu’il ait vu de sa vie – et oui, l’idée ne lui a pas déplu de la toucher, de poser sa main si grande sur son visage si fin, pour sécher les larmes, pour l’amener contre lui, pour la serrer dans ses bras.
Mais c’est une femme fragile, songe-t-il.
C’est une poupée, un outil autrefois au main de Vaenys, croit-il encore.
Le géant ignore même si elle saurait tenir tête aux femmes de son clan et parti pris oblige, il imagine sans mal les guerrières marcher sur le tempérament de la magicienne.
Plus encore, le barbare sait qu’il a détruit sa vie. Il sait encore qu’il est l’assassin de ses parents, en plus d’être un régicide ; il sait qu’il a renversé l’ordre pour imposer ses lois, sa loi, celle de la force – et à ce stade, il n’en veut pas d’autres. Il sait, comme il l’a rappelé à Melton plus tôt, qu’il a chassé son frère, qu’il l’a isolée de tout, qu’il a remplacé sa garde royale, qu’il a failli même s’en prendre à ses hybrides.
Alors comment même la Vosdraak pourrait l’aimer ?
C’est bien pour qu’elle ne supporte pas sa présence qu’il l’avait évitée. Peut-être pour lui montrer un geste minime de délicatesse. Mais Tensai l’a bien compris avec cette sangsue : on veut qu’ils consument leur mariage. Et on veut, on attend que le couple royal se rapproche l’un de l’autre. C’est une plaie… Mais peut-être pourra-t-il faire un effort.
Alors que la cour grouille de cavaliers, de chevaux, et de domestiques qui accourent pour accueillir leur nouveau roi, l’homme-dragon grogne un ordre à une domestique :
- Qu’on m’amène mon épouse !
Son ton est suffisamment fort pour que tous l’entendent. Melton lui-même devrait en être heureux, sauf qu’il a un regard étonnamment pâle, comme s’il n’était pas ravi par… quelque chose.
Mais la domestique n’ose rien contester. Pas face à ce colosse qui pourrait lui arracher la tête d’un claquement de doigt. Alors elle se détourne, court vers l’entrée pendant que son cœur bat à tout rompre. Elle ne pense même pas que le roi pourrait avoir la décence de convoquer son épouse une fois lavé, et une fois qu’il est à l’intérieur du palais. Elle est trop paniquée pour le critiquer – or, il y aurait de quoi faire – et elle est tellement concentrée sur sa course qu’elle est à deux doigts de rentrer dans Ayshara. En fait, elle est tellement rapide qu’elle n’arrive pas à interrompre son élan, mais heureusement, elle n’est pas suffisamment vivace pour les renverser toutes les deux. Quand la pauvre se rend enfin compte de qui elle a heurté, ses yeux s’élargissent et elle bégaie :
- Ma-Ma-Ma-Majesté ! Pardon !
Déjà la domestique esquisse un pas pour s’incliner aussi profondément qu’elle le peut. Bientôt, néanmoins, elle se redresse et désigne du doigt la direction de Tensai.
- Il veut-il veut vous voir ma dame… Un ton plus bas, d’une voix tremblante. Je ne sais pas pourquoi…
« Faites attention », soufflent ses yeux, mais elle ne le dit pas tout haut. Au contraire, elle s’efface pour laisser sa maîtresse s’avancer, et quand Tensai la verra s’avancer, une mine pour une fois satisfaite s’affichera sur son regard.
- Approchez, ma reine.
Si son ton est le même que d’habitude – une voix directe qui n’a pas l’habitude d’être désobéie – son tempérament montre cependant qu’il n’est pas de mauvaise humeur. Il ne pense même pas que le sang qui m’accule une part de son armure pourrait lui être désagréable.
- On m’a signalé qu’il serait de bon goût que je vous fasse quelques cadeaux, pour vous montrer mon… Comment l’autre avait dit, déjà ? Ah, oui. Mais plutôt que vous prendre des choses inutiles, aka les bijoux, les parfums, les soieries, tout ce genre de choses-là, j’ai voulu vous offrir quelque chose de personnel. Tout autour d’eux, le reste du cortège observe, guette la moindre réactions d’Ayshara ainsi que celle de Tensai. Qu’on les amène ! ordonne-t-il.
Deux serviteurs amènent alors trois servantes enchainées – trois esclaves, reconnaîtra la Vosdraak – mais la belle n’aura pas le temps de dire un mot que Tensai poursuivra.
- Je les ai achetées au marché d’esclaves aujourd’hui même, dit-il d’un ton un peu fier. Je me suis dit qu’être entourée de nouveaux serviteurs pourraient vous faire du bien, puisqu’au palais tout le monde autour de vous a l’air morne.
Tensai désigne les trois femmes du regard.
- Elles vous aideront… pour ce que vous voulez, finit-il par déclarer. Leur sort m’importe peu tant que cela vous plait.
Et enfin, voilà qu’il se tait, attendant une réaction d’Ayshara.
Le pire, dans tout ça ? C’est qu’il est plutôt content de lui, ce cher Tensai.
Melton Kalsworth avait enfin eu le courage de s’approcher de ce géant qui le dominait de toute sa hauteur. Membre de la haute société reikoise, on lui avait donné le dur rôle de « paranymphe » ou de chaperon, afin que le mariage soit entièrement consommé entre les nouveaux monarques. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela était… sacrément compromis ? Certes, Tensai avait bien posé ses yeux sur Ayshara, lui avait-t-on soufflé. Les servantes du palais étaient catégoriques sur ce point ; puis, lors de la cérémonie religieuse qui les avait unis, il avait bien dû considérer sa nouvelle épouse. Mais pour le reste, le barbare n’avait strictement rien d’un prince charmant. D’abord, il était impassible et ne laissait rien montrer de ses sentiments. On aurait dit une forteresse, un mur, que même l’ancienne princesse ne savait percer. Ensuite, l’homme n’avait aucune manière. Il était brutal, n’avait aucun tact, aucune douceur dans ses propos. Il ne cherchait visiblement même pas à accorder la moindre attention à sa dulcinée, puisque – de ce qu’il avait entendu – le guerrier se levait dès l’aube pour retrouver ses guerriers, et pour ensuite consolider sa propre autorité. Ses journées consistaient à étouffer les éléments rebelles qui s’élevaient ici et là dans la capitale et ailleurs, à se montrer présent dans le joyau d’Ikusa, en appliquant les sanctions lui-même. D’une main de fer, il ne tolérerait pas le moindre écart, même s’il devait encore répandre le sang de ses propres sujets. La tête des anciens souverains étaient d’ailleurs collées à des piques pour rappeler à tous que les choses avaient changé et même l’armée était une fourmilière qui n’arrivait pas à complètement s’apaiser. Le Drakyn avait naturellement remplacé les hauts-officiers par des soldats dont il connaissait la valeur et l’allégeance, mais cela ne voulait pas dire pour autant que la ville était calme, que l’ordre régnait, que son règne était incontestable. Au contraire, et c’était bien pour cette raison que le monarque était tant sorti du palais ces derniers temps. D’une part, il avait déjà visité plusieurs casernes de la métropole pour voir l’état des troupes, il avait aussi visité les zones qui devaient être reconstruites, voire réparées, depuis qu’il avait lancé son offensive sur Ikusa. D’autre part, être assis sur un trône, être plus encore un roi administratif, paisible et peu belliqueux ne correspondait pas à sa personnalité. Tensai voulait davantage être une tête couronnée proche de ses frères d’armes, tout comme l’homme-dragon avait pour ambition de repousser les frontières du Reike, en menant le pays loin de son immobilisme crasse qu’il avait tant décrié. Ce n’était pas qu’Ikusa qui avait besoin d’être purgé : Kyouji et Taisen devaient également continuer à se réformer, sans oublier les multiples clans qui parsemaient le sol du désert.
En un mot, Tensai avait de grandes ambitions, n’avait pas une minute pour lui et ne semblait pas d’humeur à jouer les séducteurs.
« L’a-t-il seulement été ? On dit qu’il n’aime que le sang, le combat, et le meurtre », remarqua amèrement le noble qui le suivait, et qui avait été superbement ignoré par le Drakyn, au demeurant. Prenant toutefois son courage à deux mains, il toussota à nouveau, encouragea son étalon à se mettre à hauteur du guerrier, puis reprit : « Majesté… Je suis navré d’insister, mais j’aimerais vous parler… »
Melton n’était pas dupe, le barbare le supportait seulement parce qu’il faisait partie d’une famille puissante. Celle-ci était restée prudemment en retrait durant la Conquête. A présent que les lions s’étaient mangés entre eux, son domaine sortait de l’ombre et voyait dans les nouveaux monarques une occasion de se faire une place de choix. Mais outre cela, il y avait aussi urgence, car la noblesse était elle aussi au bord de l’implosion. Si le couple asseyait son autorité, les aristocrates mèneraient une bataille pour se faire bien voir par les souverains. Et si le couple se disloquait… Une guerre se lancerait sans doute pour qu’il y ait un malheureux accident à l’un, puis à l’autre, afin qu’une nouvelle dynastie pût voir le jour. Certains avaient déjà pensé à cette hypothèse, Melton en était sûr, et il leur souhaitait bonne chance dans ce combat face à l’Oreille. En attendant, les siens, plus prudents, avaient décidé de miser sur Ayshara et son époux. Dès que le mariage serait consommé, l’avenir pourrait être vu sous de meilleurs auspices.
Mais il fallait qu’il le consomme et avec la brute qu’il accompagnait, c’était loin d’être gagné, bon sang.
C’était la matriarche Kalsworth qui s’était dit, à juste titre, que le souverain aurait peut-être besoin de conseils pour approcher son épouse, et qui avait donc incité le nobliau à se mettre en avant de la scène. L’ordre sous-jacent était naturellement de se faire bien voir. Mais autant dire que le Reikois avait eu l’impression plus d’une fois d’être une mouche importune que Tensai allait écraser sans ménagement, et ce, sans crier gare.
– Votre Majesté… Un grognement lui répondit et le pauvre hère avala tant bien que mal sa salive. Avez-vous pu parler un peu avec la reine… ?
Le regard que lui jeta le barbare lui confirma ses doutes.
Il le voyait vraiment comme une mouche qui l’emmerdait à du cent à l’heure.
- Comme vous le savez, je suis là pour vous aider et…
- Tu n’es pas une aide, tu es une gêne.
La réponse sèche claque, et Melton sent ses couleurs disparaître, avant qu’il ne se reprenne.
- … Et pour votre intérêt et celui du Royaume – on peut l’admettre, il est, sinon fou, au moins courageux – plus vite vous aurez une bonne relation, et mieux ce ser…
Le dénommé Melton s’interrompt quand il voit un rictus ironique déchirer le visage de son souverain. Pour peu, on croirait qu’il rit, sauf que… ce n’est forcément de bonne augure.
- J’ai tué ses parents.
- C’est vrai mais…
- J’ai chassé son frère.
- Vous avez raison mais…
- Je n’aurais eu aucun scrupule à tuer ses serviteurs. Qu’il s’agisse de son renard ou de son demi-hibou.
- Vous avez encore raison, m...
- Et j'ai massacré la garde royale il y a à peine une semaine.
Cette fois, Tensai s’arrête brusquement, et le cortège qui le suit avec lui. Son sourire sarcastique a disparu pour ne laisser place qu’à des prunelles orageuses.
- Et toi, tu me dis sept jours plus tard « d’avoir de bonnes relations avec elle » ?
- Je ne me fais pas d’illusions, messire, répond précipitamment son interlocuteur, et un grognement plus mauvais lui répond. Mais comme vous le savez, les souverains ont le devoir divin de procréer et… – un baragouinage en shierak-quiya lui répond encore une fois, toujours plus sombre, toujours plus inquiétant – et avant d’en arriver là, dit-il d’un rythme de plus en plus rapide, vous pourriez peut-être lui offrir des cadeaux ?
Sa proposition semble au moins intriguer Tensai – signe qu’il n’y a pas du tout pensé – et cela a au moins le mérite de lui faire lâcher la manche de sa claymore, qu’il caressait comme s’il avait envie de la sortir (on se demande pour qui).
- Des cadeaux ? Quels cadeaux ?
- Eh bien, vous savez. Ce qui plait aux femmes.
Le silence lui répond.
- … Vous savez ce qu’aiment les femmes, Majesté ?
Du coin de l’œil, Tensai échange un œil avec un membre de son clan et c’est ce dernier qui répond.
- Les femmes de notre clan aiment se battre.
- Et se façonner de nouvelles armes.
- Et prouver qu’elles valent autant que les hommes.
Les deux bougres s’échangent un regard entendu pendant que Melton est… un peu désabusé. Juste un peu. Rien de dramatique. Il s’en remettra.
- Et je suppose qu’elles aiment aussi les bijoux… ?
Un silence pensif.
- … Les beaux tissus en soie… ?
Silence toujours persistant.
- … Les parfums ?
Le silence est maintenant désespérant et Tensai a une légère moue.
- C’est ce qu’aime Ayshara ?
Au moins, il dit son nom. C’est toujours ça de pris.
- Eh bien, je n’ai pas l’outrecuidance de connaître la princes… votre épouse, Monseigneur. Mais je suis sûre que cela lui plairait.
Manifestement, Tensai n’est pas très convaincu. Alors Melton change de tactique.
- Mais ce qui lui plairait encore plus, c’est que vous lui offriez un cadeau que vous aurez vous-mêmes choisi.
Angoissé, le noble observe son nouveau souverain qui semble abîmé dans ses pensées. Il se passe un moment encore, avant que le monarque ne dise brusquement :
- J’y réfléchirai.
L’instant d’après, il envoie son cheval au galop et sa troupe accélère naturellement la cadence pour suivre le roi du Reike. Surpris, Melton reste là, et il lance une œillade presque craintive au Ryssen qui est resté à ses côtés. Puis, la curiosité étant ce qu’elle est, il ose finalement demander :
- Qu’est-ce que le roi baragouinait en shierak-quiya, quand je parlais de leur devoir de procréer ?
Son interlocuteur hausse les épaules de manières nonchalante avant de répondre.
- Qu’il en avait rien à carrer.
Puis, éclatant de rire en voyant la figure déconfite du chaperon, le guerrier reprend sa course pour rejoindre le futur Tueur des Titans.
***
Quand la troupe de Tensai arrive au palais, l’après-midi est bien entamée, la soirée est même déjà amorcée, et nul doute que les serviteurs du palais se trémoussent déjà pour savoir quand il leur faudra livrer le repas au couple royal. Mais le monarque est indifférent à la préoccupation des domestiques. C’est trop tôt pour qu’il les prenne en considération, et il a encore des préoccupations trop égocentriques pour considérer tout ce que son rôle de souverain implique. Il est un barbare plus qu’un roi, en cette étape de sa vie, qui prend ce qu’il veut, quand il veut, et en faisant peu fi des familles qu’il détruit. Agent du chaos et de la destruction, le colosse d’alors peine également à imaginer l’idée de concevoir une famille, de construire quelque chose de durable avec une inconnue qui n’a vécu que dans les murs de ce château. Oui, l’homme l’a tout de suite considérée jolie – sans nul doute est-ce la plus belle femmes qu’il ait vu de sa vie – et oui, l’idée ne lui a pas déplu de la toucher, de poser sa main si grande sur son visage si fin, pour sécher les larmes, pour l’amener contre lui, pour la serrer dans ses bras.
Mais c’est une femme fragile, songe-t-il.
C’est une poupée, un outil autrefois au main de Vaenys, croit-il encore.
Le géant ignore même si elle saurait tenir tête aux femmes de son clan et parti pris oblige, il imagine sans mal les guerrières marcher sur le tempérament de la magicienne.
Plus encore, le barbare sait qu’il a détruit sa vie. Il sait encore qu’il est l’assassin de ses parents, en plus d’être un régicide ; il sait qu’il a renversé l’ordre pour imposer ses lois, sa loi, celle de la force – et à ce stade, il n’en veut pas d’autres. Il sait, comme il l’a rappelé à Melton plus tôt, qu’il a chassé son frère, qu’il l’a isolée de tout, qu’il a remplacé sa garde royale, qu’il a failli même s’en prendre à ses hybrides.
Alors comment même la Vosdraak pourrait l’aimer ?
C’est bien pour qu’elle ne supporte pas sa présence qu’il l’avait évitée. Peut-être pour lui montrer un geste minime de délicatesse. Mais Tensai l’a bien compris avec cette sangsue : on veut qu’ils consument leur mariage. Et on veut, on attend que le couple royal se rapproche l’un de l’autre. C’est une plaie… Mais peut-être pourra-t-il faire un effort.
Alors que la cour grouille de cavaliers, de chevaux, et de domestiques qui accourent pour accueillir leur nouveau roi, l’homme-dragon grogne un ordre à une domestique :
- Qu’on m’amène mon épouse !
Son ton est suffisamment fort pour que tous l’entendent. Melton lui-même devrait en être heureux, sauf qu’il a un regard étonnamment pâle, comme s’il n’était pas ravi par… quelque chose.
Mais la domestique n’ose rien contester. Pas face à ce colosse qui pourrait lui arracher la tête d’un claquement de doigt. Alors elle se détourne, court vers l’entrée pendant que son cœur bat à tout rompre. Elle ne pense même pas que le roi pourrait avoir la décence de convoquer son épouse une fois lavé, et une fois qu’il est à l’intérieur du palais. Elle est trop paniquée pour le critiquer – or, il y aurait de quoi faire – et elle est tellement concentrée sur sa course qu’elle est à deux doigts de rentrer dans Ayshara. En fait, elle est tellement rapide qu’elle n’arrive pas à interrompre son élan, mais heureusement, elle n’est pas suffisamment vivace pour les renverser toutes les deux. Quand la pauvre se rend enfin compte de qui elle a heurté, ses yeux s’élargissent et elle bégaie :
- Ma-Ma-Ma-Majesté ! Pardon !
Déjà la domestique esquisse un pas pour s’incliner aussi profondément qu’elle le peut. Bientôt, néanmoins, elle se redresse et désigne du doigt la direction de Tensai.
- Il veut-il veut vous voir ma dame… Un ton plus bas, d’une voix tremblante. Je ne sais pas pourquoi…
« Faites attention », soufflent ses yeux, mais elle ne le dit pas tout haut. Au contraire, elle s’efface pour laisser sa maîtresse s’avancer, et quand Tensai la verra s’avancer, une mine pour une fois satisfaite s’affichera sur son regard.
- Approchez, ma reine.
Si son ton est le même que d’habitude – une voix directe qui n’a pas l’habitude d’être désobéie – son tempérament montre cependant qu’il n’est pas de mauvaise humeur. Il ne pense même pas que le sang qui m’accule une part de son armure pourrait lui être désagréable.
- On m’a signalé qu’il serait de bon goût que je vous fasse quelques cadeaux, pour vous montrer mon… Comment l’autre avait dit, déjà ? Ah, oui. Mais plutôt que vous prendre des choses inutiles, aka les bijoux, les parfums, les soieries, tout ce genre de choses-là, j’ai voulu vous offrir quelque chose de personnel. Tout autour d’eux, le reste du cortège observe, guette la moindre réactions d’Ayshara ainsi que celle de Tensai. Qu’on les amène ! ordonne-t-il.
Deux serviteurs amènent alors trois servantes enchainées – trois esclaves, reconnaîtra la Vosdraak – mais la belle n’aura pas le temps de dire un mot que Tensai poursuivra.
- Je les ai achetées au marché d’esclaves aujourd’hui même, dit-il d’un ton un peu fier. Je me suis dit qu’être entourée de nouveaux serviteurs pourraient vous faire du bien, puisqu’au palais tout le monde autour de vous a l’air morne.
Tensai désigne les trois femmes du regard.
- Elles vous aideront… pour ce que vous voulez, finit-il par déclarer. Leur sort m’importe peu tant que cela vous plait.
Et enfin, voilà qu’il se tait, attendant une réaction d’Ayshara.
Le pire, dans tout ça ? C’est qu’il est plutôt content de lui, ce cher Tensai.
Impératrice-dragon du Reike
Ayshara Ryssen
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Info personnage
Race: Vosdraak
Vocation: Mage - Soutien
Alignement: Loyal neutre
Rang: S - Impératrice
Tandis que la jeune reine demeurait en retrait telle une ombre se découpant dans l'encadrement de la porte du palais, ses améthystes scrutèrent l’agitation de la cour en contrebas, jaugeant l'allure du nouveau roi, essayant tant bien que mal de cerner son humeur du moment. Concentrée sur la scène, le choc la prit évidemment par surprise – une personne venait de la percuter sur le côté. Une douleur vive à l'épaule poussa la belle vosdraak à grimacer brièvement, bien que le coup ne s'avère rien de plus qu’un frôlement maladroit (faiblesse raciale obligée). Elle chancela, recula d'un pas mais garda toutefois l'équilibre; son orgueil lui interdisant fermement de se casser la gueule alors que Tensai se trouvait si proche. Lorsque Ayshara dirigea son attention vers la source de cette malencontreuse bousculade, elle y découvrit une servante paniquée, haletante, les joues rouges et les mains tordues d’appréhension, qui bredouillait déjà des excuses. Bon sang...
Redoutant qu'on lui annonce (encore) une mauvaise nouvelle, la dernière des Draknys tenta de ne pas laisser l'irritation la gagner. Au lieu de quoi, elle inspira doucement et posa un regard apaisant sur la domestique, retenant un soupir.
- Ne vous inquiétez pas. Que se passe-t-il pour que vous couriez ainsi ?
Bien sûr. Il s'agissait de Ryssen. Comment pouvait-il en être autrement ? Il désirait donc la voir maintenant, à peine arrivé de sa "joyeuse" petite escapade au centre-ville. La demoiselle pressée ne lui fournit pas plus d’explications que ça, pas de détails, juste cette simple phrase qui pendait amèrement dans l'air. Quelque peu perplexe, la blonde acquiesça d’un mouvement de tête gracieux. Ce n’était pas comme si elle avait le choix, de toute façon. Elle s'exécuta, machinalement, un pied en avant, puis s’arrêta en jetant un dernier coup d'œil à la bonne, constatant la lueur d’alarme logée au fin fond de ses prunelles noisette. La peur de cette femme semblait vouloir la prévenir... De quoi ? La sœur du Baron ne s’y attarda pas davantage. Elle n’avait pas peur. Pas de lui. Ou du moins, c’était ce qu’elle aimait se répéter sans cesse. En ajustant l'étoffe soyeuse couvrant ses fines épaules, elle continua son chemin, prête à confronter celui qui deviendrait le père de ses futurs enfants...
Hélas, les regards pesants du cortège, des soldats et des serviteurs royaux, guettant la moindre de ses réactions, ne lui inspiraient pas spécialement confiance. Attendaient-ils qu'elle trébuche sur un mot ou un geste malheureux ? Tous ces chamboulements au sein de la cour rendaient la jeune femme plutôt méfiante et paranoïaque envers ces gens qui constituaient son entourage – seuls de rares élus étaient exempts de suspicions. Et comme si cela ne suffisait pas, il fallait maintenant faire face à l’apparence peu ragoûtante de son époux. Honnêtement, Ayshara dut rassembler l'entièreté de sa maîtrise afin de ne pas vomir son déjeuner quand elle nota enfin les détails de l’armure de Tensai. Non seulement le cuir et le métal étaient encore éclaboussés de sang séché – sûrement celui de ses ennemis. Mais l’odeur... Celle d’un homme privé de bain depuis des jours. Un cocktail olfactif d'une telle puissance qu'elle se demandait lequel des chevaux s'écroulerait le premier. Si l’hygiène du guerrier reflétait la grandeur de ses conquêtes, la belle comprenait mieux pourquoi certains clans préféraient se rendre sans combattre. Pourtant, lorsqu'elle l'avait vu pénétrer dans l'enceinte du château, de loin, il lui avait paru... agréable.
Les traits satisfaits flottant sur le visage du drakyn firent hausser un sourcil d'étonnement à la vosdraak. Était-ce bon signe ? Devait-elle se méfier ? Avec lui, difficile de savoir. Restant calme, la souveraine s’inclina légèrement, une courte révérence en guise de salutation, dès qu'elle fut à une distance jugée convenable du roi barbare. Du respect, oui. Néanmoins, il n'y avait aucun sourire qui ornait ses jolies lèvres, ne souhaitant guère démontrer à cet homme une fausse joie. Cependant, elle écouta sagement ce qu'il avait à dire, ne s'imaginant nullement qu'il lui parlerait de... cadeaux. Pour elle ? Vraiment ? Ces mots piquèrent rapidement sa curiosité. Peut-être des livres, pensa-t-elle naïvement, une toute minuscule étincelle d’espoir allumant son esprit. Des ouvrages anciens, des traités d’histoire, ou même des récits à propos des guerres du passé – quelque chose d'intéressant qui nourrirait sa soif d’apprendre. Ou une splendide œuvre d’art arrachée à l'ère révolue des Titans… Bref, le genre de truc capable de lui redonner le sourire en la reconnectant à un univers plus vaste que celui, étriqué, de ses obligations de monarque et de ce satané mariage politique.
Au final, les rêveries de la dragonne ne durèrent pas longtemps. Et le réveil fut même brutal, surtout en voyant des serviteurs sortir d'un véhicule trois femmes aux yeux baissés, soumises, vêtues de haillons. Esclaves. Bien évidemment ! Quelle autre superbe idée personnelle pouvait venir à l’esprit d’un espèce de gros rustre sanguinaire tel que lui ?! Tout espoir de recevoir un cadeau significatif s’effondra en un éclair, remplacé par une froide désillusion. Ayshara bouillonnait à l'intérieur; l'envie de hurler et de faire sauter sa magie était terriblement vigoureuse, mais... Elle ne montra rien. Pas une ride sur le front. Elle se contenta de le fixer, le visage d’une reine, impassible. Si l'amie de Zéphyr avait appris des choses durant cette semaine aux côtés du drakyn, c’était qu’il s'avérait inutile de jouer sur le terrain de la force brute et de la colère. Contre lui, elle perdrait, inévitablement. Donc, elle rongea son frein et refoula sa révolte. Plutôt que de répondre, plutôt que de s’abaisser à le remercier pour ce présent de très mauvais goût, la belle resta de glace. Elle avait d’autres plans. Des plans qui ne nécessitaient pas de propos hâtifs ou d’explosions de rage. La vengeance demeurait un plat se préparant avec patience, après tout.
- Vous devriez prendre un bain. Avant le repas de ce soir, je dois vous donner vos premières leçons de lecture et d’histoire du Reike. Dit-elle calmement. Puis, sans attendre de réponse, la reikoise tourna les talons, le dos droit et le visage fermé, se dirigeant vers l'intérieur du palais. Les esclaves lui emboîtèrent le pas, silencieuses. En dépit de ce sentiment d'indignation qui l'accablait, l'épouse du Conquérant se promit que leur avenir sous son toit ne ressemblerait en rien à celui qu’elles avaient dû connaître jusque-là...
[...]
La porte de ses appartements privés se referma derrière elle. Debout près de l'entrée, le trio d'esclaves hésita à avancer. Un frémissement imperceptible parcourut Ayshara. Elle sentit un malaise se nouer au creux de sa gorge – un mélange de compassion et d'impuissance. Ces pauvres dames à la silhouette marquée par la fatigue avaient sans doute vécu une existence misérable.
- Premièrement, je tiens à m’excuser. Ce qui vous est arrivé aujourd’hui… Cela va à l’encontre de mes valeurs personnelles. Je suis contre l’esclavage : jamais je n’aurais souhaité que vous soyez arrachées à vos vies de cette façon. La future mère des dragons s’approcha lentement, veillant à ne pas les effrayer davantage. D'où provenez-vous ? Demanda-t-elle avec douceur. Après un bref silence, l’une d’elles finit par répondre, d’une voix tremblante, qu’elle s’appelait Lanna. Elle était originaire d’un village à l’est de Taisen. Son mari avait été tué lors d’un raid des Ryssen. Et ses deux enfants… Elle s’interrompit, les sanglots lui montant. Une autre femme, plus jeune, parla ensuite, expliquant qu’elle était la dernière survivante d’une petite communauté nomade décimée par des pillards du désert. La troisième, une quadragénaire à la corpulence frêle, raconta avec une résignation calme comment sa maison avait été brûlée pendant la prise d'Ikusa par le nouveau roi et comment elle avait été vendue par ses propres voisins pour une maigre poignée de pièces d'argent. Dès qu'elles eurent terminé de déballer leur sac, la reine chercha naturellement à apaiser la douleur de ces malheureuses victimes de la rudesse du contexte reikois. Vous êtes libres, ici. Vous ne me devez rien. Restez autant de temps qu’il vous faudra. Vous serez logées, nourries et je ne vous demanderai jamais de travailler sans votre consentement. Si vous avez de la famille ou des amis qui vous attendent quelque part, dites-le-moi. Je ferai mon possible pour les retracer. Elle sourit doucement, sachant pertinemment que cette promesse risquait de contrarier quelques idiots du palais, mais elle s'en moquait. Tensai lui-même avait dit qu'il se fichait de leur sort. Donc ce serait ça.
[...]
Plus tard, la vosdraak patientait au sein de la bibliothèque royale, le soleil s'étant couché depuis peu. Les bougies illuminaient la pièce et projetaient des ombres dansantes sur les bouquins empilés, instaurant une ambiance tamisée et reposante, tandis que le feu dans la cheminée ronronnait en diffusant une chaleur réconfortante. Habillée d’une longue robe immaculée agrémentée de détails en dentelles, la chevelure soigneusement tressée, Ayshara tenait entre ses mains un livre gigantesque, ouvert à une page qu'elle semblait ne plus lire vraiment. Les fesses posées sur des coussins luxueux à côté du foyer, elle se préparait mentalement à livrer cette "séance". Son cher époux finirait bien par pointer le bout du nez. Déterminée à accomplir cette lourde tâche, la jeune femme affronterait ce que son "étudiant" apporterait avec lui – sa force ainsi que son caractère de tête brûlée. Ou, s’il en avait le désir ce soir-là, un rarissime moment d’attention.
Et puisqu'elle n'était pas complètement sadique, elle lui avait même préparé, à l'avance, quelques notes de cours qu'il pourrait réviser à sa guise après cette petite leçon. Sur la table basse tout près, reposait un cahier impeccablement tenu, doté d'une couverture de cuir marquée d'armoiries draconiques typiquement reikoises. Dedans, il y avait des pages remplies d’informations essentielles, les subtilités complexes et les nuances du passé de ce royaume plurimillénaire fondé par Tensai premier du nom et Akasha Draknys. La reine avait pris grand soin de simplifier les concepts, d’organiser les faits de manière logique et accessible. Non par mépris. Mais plutôt parce qu’elle se doutait bien que son mari possédait des lacunes assez sérieuses dans ce domaine. Un bon monarque, croyait-elle, ne pouvait point gouverner efficacement sans comprendre l’histoire de ses sujets, sans connaître les victoires et les bouleversements sociopolitiques les ayant jadis façonnés. La vosdraak espérait qu’en lui propageant ce savoir, elle sèmerait une graine quelconque.
À la lueur du feu, elle passa une main distraite sur la couverture du cahier, ses doigts caressant les bords, songeuse. Peut-être n’écouterait-il qu’à moitié. Peut-être ricanerait-il en constatant sa minutie. Toutefois, cela ne l’arrêterait pas. Ayshara était patiente. Si elle devait lui enseigner l’importance de l’histoire une leçon après l’autre, un détail à la fois, elle le ferait. Malgré tout ce que cet individu représentait de chaos, il s'agissait de leur souverain. Et elle avait juré devant les Astres de l’accompagner... À sa manière.
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