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Citoyen du monde
Malazach
Messages : 45
crédits : 750
crédits : 750
Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage noir
Alignement: Neutre mauvais
Rang: B - Cardinal
“-Qu'espérez-vous trouver ici?”
La peau parcheminée, brûlée plus que dorée par le soleil du patriarche n'avait pas encore éclipsée totalement la noblesse de ses traits. Son dos voûté par le poids des années maintenait par on ne savait quel miracle un port de tête assez altier pour que son hôte comprenne au premier regard qu'avant d'être un exilé, il avait un jour été à la tête d'une grande maison.
Mais son prestige s'arrêtait là. Sa demeure actuelle n'était guère plus qu'une hutte glorifiée. Ses gardes, des bêtes à moitié sauvage à la volonté rendue vacillante par une survie constante. Par la nécessité. Par l'absence de dieux.
L'Ange Noir avait pris place sur un tronc taillé grossièrement et reconverti en tabouret. Assis en tailleur face à lui, l'ancêtre triturait nerveusement son bâton à l'autre bout d'une table bancale, conçue - comme tout le reste - à la va-vite.
“-Retrouver nos frères égarés n'est donc pas une motivation suffisante?” Si le mortel face à lui n'avait pas refusé la toute puissance des dieux, la mine surprise, touchée, qu'afficha Malazach à cet instant l'aurait désarçonné de par sa justesse.
A la place, il lui sembla qu'une gargouille grimaçait une parodie de rictus sardonique. Et les dents de scie sur lesquelles pianotait sans discontinuer cette tranche de viande brûlée qui faisait office de langue chez cette créature n'arrangeait clairement pas ce sinistre tableau.
“-Dehors.” Cracha le vieux. “Tous les deux.”
Les gardes obtempérèrent, trop contents de quitter les lieux. Ils furent bientôt seuls. Et les abysses siégeant dans les orbites de l'Ange se refermèrent sur le mortel, sans qu'il ne vacille.
“-J'ai côtoyé votre race. Encore et encore, à l'époque de Bénédictus, de Shoumeï, du sommeil des dieux.”
Malazach secoua la tête. Oui. Des demi-anges, des bâtards au sang mêlée qui s'efforcaient de réclamer une ascendance divine alors que tout dans leur comportement empestait la fange mortelle.
“-Aucun d'eux n'a jamais considéré un mortel comme un frère. Nous sommes des moyens, pour vous. Nous l'avons toujours été.
-Je suis désolé pour le comportement de mes semblables.” Mentit l'Ange Noir en affichant une mine contrite. “Et que vous puissiez penser cela. Mais notre but est noble, nous souhaitons rétablir…”
Le bâton frappa le sol et l'entièreté de la pièce en fut secouée.
“-L'ordre.” Termina le Patriarche en se redressant, animé par un courroux soudain. “Bien sûr. Et les vieilles croyances. Combien de prières par jour cette fois, ô grand cardinal ? Une avant le dîner, après peut-être ? Combien de versets pensez-vous qu'il soit nécessaire de réciter avant d'aller au lit pour dissuader les dieux, cette fois, de ne pas détruire ce qui reste de nous?”
La vieille rancune. L'argument de tous les athées. L'ultime caprice divin. Aisément réfutable en usant de l'inénarrable “mise à l'épreuve”, pour peu que l'interlocuteur d'en face porte en lui encore le désir de s'abreuver de nouveau au mensonge de la croyance.
Mais Malazach doutait que ce soit le cas de celui-ci, pour l’instant. Cela viendrait bien sûr, mais pour l’heure ; le regard d'acier du vieillard brillait de colère. Il le détestait. C'était désormais clairement visible.
“-Vous venez pour récupérer des croyants. Mais nous ne nous appelons pas “Les Affranchis” pour rien, cardinal. Que fera votre armée de brutes et de morts lorsque vos pèlerins auront noté l'athéisme de notre communauté?
-Que pensez-vous qu'ils feront?” Coupa Malazach, l'air renfrogné par l'impatience et la lassitude. “Quelle est votre conclusion, ô saint père des Affranchis?” A son tour, le nécromant se redressa pour toiser le maître actuel des lieux. “Vous, qui avez connu Bénédictus à son âge d'or, ne reconnaissez-vous pas l'armure de mes chevaliers? L'argent qui la ornait s'est peut-être noirci, mais avez-vous déjà eu vent d'une lame tirée contre un innocent, athée, diviniste, stellaire?
-Non.” Consenti le vieux.
Et pourtant... Il y avait une raison pour laquelle, de leur vivant, les membres de la garde noire prêtaient voeu de silence et se tranchaient la langue au début de leur service.
“-Mais je n'avais jamais entendu dire que leur maître domptait la mort. Vous étiez différent, jadis.”
Non. Mais autrefois, cet imbécile croyait aux dieux.
“-Ce sont des temps difficiles pour nous tous.” Accepta l’Ange, à contrecœur.“Mais nos intentions restent les mêmes. Si vous ne croyez pas aux huits, vous ne pouvez nier la toute puissance de l'arbre-monde…et c'est l'un de ses fils que nous vous avons apporté.”
L'athéisme avait toujours été la comorbidité bénigne d'un mal bien plus insidieux : l'orgueil, celui de se croire au-dessus des cieux, d'être son propre dieu. Et le Patriarche ne faisait pas exception.
Ce qu’il convoitait, ce qu’il souhaitait depuis le début, c’était savoir ce qu’ils transportaient avec eux. Malazach le comprit à l’instant où le regard du vieux éclipsa sa colère pour s’emplir de curiosité.
Il alla se rasseoir, calmement, son coup de sang déjà oublié.
Malazach l'imita.
“-Dites m'en plus.”
Et L'Ange Noir s'exécuta.
Durant les trois jours qui suivirent, le fils de X'o-rath alla rendre visite à celui qui -c'était désormais évident- occupait le rang de décideur, parmi les égarés. Trois jours de discussions, tournant toutes autour de l'arbre-monde, des bourgeons et des effets de la corruption sur le monde et ses habitants. Ce qu'ils avaient amené avec eux, cette graine organique, sinistre, gardée la nuit par des morts-vivants caparaconnés, restait bien sûr au centre de leurs discussions. Et chaque fois que Malazach évoquait le renouveau qu’entrainerait sa plantaison, le Patriarche trouvait en ses paroles l’écho de ce que certains de ses propres séides athés lui rapportaient.
Malgré la méfiance, malgré sa haine des immortels, l’espoir de pouvoir apporter le renouveau à ses terres et aux siens se chargea de convaincre le vieillard plus que n’importe quel sermon du haut cardinal. Et lorsque sa résistance céda, qu’il accepta de se laisser tenter par cette opportunité, ses fidèles devinrent rapidement leurs fidèles.
Les échanges entre les deux groupes se firent plus fluide. Les pèlerins quittèrent les caravanes, s’en vinrent visiter les baraques ridiculement petites des nouvelles ouailles, comme les émissaires avant eux. Et si les Affranchis ne plièrent toujours pas le genoux dans son sillage, certaines échines commencèrent à se courber, timidement.
L’histoire se répétait toujours, qu’importe le contexte, qu’importe l’enjeu. Le sang Shoumeïen avait besoin de croire, implorait la soumission à une figure divine. Combien de fois, les dieux et leurs rejetons les avaient utilisés puis bafoués, au cours des millénaires? Malazach se souvenait encore de l’époque où les humains primitifs dont les descendants deviendraient les premiers représentants de la nation-morte babillait des débuts de prières en sacrifiant vierges et bétails pour arrêter un déluge, une épidémie, une guerre, sans jamais attirer le moindre regard.
Et sans jamais cesser leurs tentatives pour autant.
Une fois le Patriarche et ses favoris rassurés, ils décidèrent qu’au quatrième jour, un messager se chargerait de transmettre la nouvelle de leur arrivée à la communauté voisine, à moins d’une demi-journée de marche de là. Malazach suggéra qu’une si périlleuse mission bénéficie d’une escorte et personne ne s’y opposa. En début de matinée, Jerek le pisteur attendait donc ses accompagnateurs à l’orée du village tandis que le fils de X’or-ath s’entretenait avec Qultarn, à l’abri des oreilles indiscrètes, au milieu des rangs silencieux de la Garde Noire.
“-L’âme athée à une certaine tendance à vagabonder, une fois livrée à elle-même trop longtemps.” Sa langue claqua d’agacement. “Tu devras donc le protéger, le surveiller et me rapporter ses dires.” Les yeux d’émeraudes dardèrent par-dessus la forêt de heaumes cornus, en direction des quelques guerriers bien vivants du village, rassemblés autour du pisteur. “Ces hommes te regardent comme un exemple depuis que tu pars en expédition avec eux, mon fils. C’est bien. Très bien.” Une main d’albâtre gratifia le Drakyn d’une tape sur l’épaule.”Va maintenant, avec ma bénédiction. Et ramènes-les vivants.”
La peau parcheminée, brûlée plus que dorée par le soleil du patriarche n'avait pas encore éclipsée totalement la noblesse de ses traits. Son dos voûté par le poids des années maintenait par on ne savait quel miracle un port de tête assez altier pour que son hôte comprenne au premier regard qu'avant d'être un exilé, il avait un jour été à la tête d'une grande maison.
Mais son prestige s'arrêtait là. Sa demeure actuelle n'était guère plus qu'une hutte glorifiée. Ses gardes, des bêtes à moitié sauvage à la volonté rendue vacillante par une survie constante. Par la nécessité. Par l'absence de dieux.
L'Ange Noir avait pris place sur un tronc taillé grossièrement et reconverti en tabouret. Assis en tailleur face à lui, l'ancêtre triturait nerveusement son bâton à l'autre bout d'une table bancale, conçue - comme tout le reste - à la va-vite.
“-Retrouver nos frères égarés n'est donc pas une motivation suffisante?” Si le mortel face à lui n'avait pas refusé la toute puissance des dieux, la mine surprise, touchée, qu'afficha Malazach à cet instant l'aurait désarçonné de par sa justesse.
A la place, il lui sembla qu'une gargouille grimaçait une parodie de rictus sardonique. Et les dents de scie sur lesquelles pianotait sans discontinuer cette tranche de viande brûlée qui faisait office de langue chez cette créature n'arrangeait clairement pas ce sinistre tableau.
“-Dehors.” Cracha le vieux. “Tous les deux.”
Les gardes obtempérèrent, trop contents de quitter les lieux. Ils furent bientôt seuls. Et les abysses siégeant dans les orbites de l'Ange se refermèrent sur le mortel, sans qu'il ne vacille.
“-J'ai côtoyé votre race. Encore et encore, à l'époque de Bénédictus, de Shoumeï, du sommeil des dieux.”
Malazach secoua la tête. Oui. Des demi-anges, des bâtards au sang mêlée qui s'efforcaient de réclamer une ascendance divine alors que tout dans leur comportement empestait la fange mortelle.
“-Aucun d'eux n'a jamais considéré un mortel comme un frère. Nous sommes des moyens, pour vous. Nous l'avons toujours été.
-Je suis désolé pour le comportement de mes semblables.” Mentit l'Ange Noir en affichant une mine contrite. “Et que vous puissiez penser cela. Mais notre but est noble, nous souhaitons rétablir…”
Le bâton frappa le sol et l'entièreté de la pièce en fut secouée.
“-L'ordre.” Termina le Patriarche en se redressant, animé par un courroux soudain. “Bien sûr. Et les vieilles croyances. Combien de prières par jour cette fois, ô grand cardinal ? Une avant le dîner, après peut-être ? Combien de versets pensez-vous qu'il soit nécessaire de réciter avant d'aller au lit pour dissuader les dieux, cette fois, de ne pas détruire ce qui reste de nous?”
La vieille rancune. L'argument de tous les athées. L'ultime caprice divin. Aisément réfutable en usant de l'inénarrable “mise à l'épreuve”, pour peu que l'interlocuteur d'en face porte en lui encore le désir de s'abreuver de nouveau au mensonge de la croyance.
Mais Malazach doutait que ce soit le cas de celui-ci, pour l’instant. Cela viendrait bien sûr, mais pour l’heure ; le regard d'acier du vieillard brillait de colère. Il le détestait. C'était désormais clairement visible.
“-Vous venez pour récupérer des croyants. Mais nous ne nous appelons pas “Les Affranchis” pour rien, cardinal. Que fera votre armée de brutes et de morts lorsque vos pèlerins auront noté l'athéisme de notre communauté?
-Que pensez-vous qu'ils feront?” Coupa Malazach, l'air renfrogné par l'impatience et la lassitude. “Quelle est votre conclusion, ô saint père des Affranchis?” A son tour, le nécromant se redressa pour toiser le maître actuel des lieux. “Vous, qui avez connu Bénédictus à son âge d'or, ne reconnaissez-vous pas l'armure de mes chevaliers? L'argent qui la ornait s'est peut-être noirci, mais avez-vous déjà eu vent d'une lame tirée contre un innocent, athée, diviniste, stellaire?
-Non.” Consenti le vieux.
Et pourtant... Il y avait une raison pour laquelle, de leur vivant, les membres de la garde noire prêtaient voeu de silence et se tranchaient la langue au début de leur service.
“-Mais je n'avais jamais entendu dire que leur maître domptait la mort. Vous étiez différent, jadis.”
Non. Mais autrefois, cet imbécile croyait aux dieux.
“-Ce sont des temps difficiles pour nous tous.” Accepta l’Ange, à contrecœur.“Mais nos intentions restent les mêmes. Si vous ne croyez pas aux huits, vous ne pouvez nier la toute puissance de l'arbre-monde…et c'est l'un de ses fils que nous vous avons apporté.”
L'athéisme avait toujours été la comorbidité bénigne d'un mal bien plus insidieux : l'orgueil, celui de se croire au-dessus des cieux, d'être son propre dieu. Et le Patriarche ne faisait pas exception.
Ce qu’il convoitait, ce qu’il souhaitait depuis le début, c’était savoir ce qu’ils transportaient avec eux. Malazach le comprit à l’instant où le regard du vieux éclipsa sa colère pour s’emplir de curiosité.
Il alla se rasseoir, calmement, son coup de sang déjà oublié.
Malazach l'imita.
“-Dites m'en plus.”
Et L'Ange Noir s'exécuta.
Durant les trois jours qui suivirent, le fils de X'o-rath alla rendre visite à celui qui -c'était désormais évident- occupait le rang de décideur, parmi les égarés. Trois jours de discussions, tournant toutes autour de l'arbre-monde, des bourgeons et des effets de la corruption sur le monde et ses habitants. Ce qu'ils avaient amené avec eux, cette graine organique, sinistre, gardée la nuit par des morts-vivants caparaconnés, restait bien sûr au centre de leurs discussions. Et chaque fois que Malazach évoquait le renouveau qu’entrainerait sa plantaison, le Patriarche trouvait en ses paroles l’écho de ce que certains de ses propres séides athés lui rapportaient.
Malgré la méfiance, malgré sa haine des immortels, l’espoir de pouvoir apporter le renouveau à ses terres et aux siens se chargea de convaincre le vieillard plus que n’importe quel sermon du haut cardinal. Et lorsque sa résistance céda, qu’il accepta de se laisser tenter par cette opportunité, ses fidèles devinrent rapidement leurs fidèles.
Les échanges entre les deux groupes se firent plus fluide. Les pèlerins quittèrent les caravanes, s’en vinrent visiter les baraques ridiculement petites des nouvelles ouailles, comme les émissaires avant eux. Et si les Affranchis ne plièrent toujours pas le genoux dans son sillage, certaines échines commencèrent à se courber, timidement.
L’histoire se répétait toujours, qu’importe le contexte, qu’importe l’enjeu. Le sang Shoumeïen avait besoin de croire, implorait la soumission à une figure divine. Combien de fois, les dieux et leurs rejetons les avaient utilisés puis bafoués, au cours des millénaires? Malazach se souvenait encore de l’époque où les humains primitifs dont les descendants deviendraient les premiers représentants de la nation-morte babillait des débuts de prières en sacrifiant vierges et bétails pour arrêter un déluge, une épidémie, une guerre, sans jamais attirer le moindre regard.
Et sans jamais cesser leurs tentatives pour autant.
Une fois le Patriarche et ses favoris rassurés, ils décidèrent qu’au quatrième jour, un messager se chargerait de transmettre la nouvelle de leur arrivée à la communauté voisine, à moins d’une demi-journée de marche de là. Malazach suggéra qu’une si périlleuse mission bénéficie d’une escorte et personne ne s’y opposa. En début de matinée, Jerek le pisteur attendait donc ses accompagnateurs à l’orée du village tandis que le fils de X’or-ath s’entretenait avec Qultarn, à l’abri des oreilles indiscrètes, au milieu des rangs silencieux de la Garde Noire.
“-L’âme athée à une certaine tendance à vagabonder, une fois livrée à elle-même trop longtemps.” Sa langue claqua d’agacement. “Tu devras donc le protéger, le surveiller et me rapporter ses dires.” Les yeux d’émeraudes dardèrent par-dessus la forêt de heaumes cornus, en direction des quelques guerriers bien vivants du village, rassemblés autour du pisteur. “Ces hommes te regardent comme un exemple depuis que tu pars en expédition avec eux, mon fils. C’est bien. Très bien.” Une main d’albâtre gratifia le Drakyn d’une tape sur l’épaule.”Va maintenant, avec ma bénédiction. Et ramènes-les vivants.”
✞✞✞ Malazach est Maudit ✞✞✞
-Les pratiquants du Culte des Ombres et les adeptes du Divinisme le voient comme un ange resplendissant.
-Les adeptes du Shierak et les athées, eux, le voient tel qu'il est véritablement ; une créature aussi famélique que sinistre.
Citoyen du monde
Qultarn
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Info personnage
Race: Drakyn
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: D
Les jours de traque et de chasse avaient porté leurs fruits macabres : au prix de plusieurs heures passées à surveiller deux moutons égarés à dessein, ils étaient parvenus à piéger la meute de loups et l’éliminer, fournissant au passage une belle quantité de fourrures aux trappeurs qui s’attelèrent immédiatement à la tâche sanglante de les dépecer et d’étendre le cuir. Qultarn avait immédiatement tourné son attention vers la suite : si le groupe de prédateurs avait été sorti de l’équation, il restait toutefois à s’occuper des béhémoths qui rôdaient sur ce territoire et constituaient un danger majeur pour les habitants, les empêchant de trop s’éloigner de leur village pour commercer aisément avec les autres, cultiver, cueillir ou chasser.
Bref, ils constituaient une contrainte forte pour l’expansion de leur influence, et si cette dernière devait redevenir Diviniste comme elle aurait toujours dû le rester, alors c’était également une contrainte qui pesait sur eux. Du reste, ses rapports avec Amir et les autres s’étaient considérablement réchauffés quand ils avaient pu voir le cœur qu’il mettait à l’ouvrage, ainsi que son efficacité et sa vitesse. A voir leurs regards, certains avaient également pris conscience que, s’il le voulait, il pouvait les éliminer comme un fermier fauche le blé au petit matin, sans le moindre effort.
En avoir l’idée était une chose, le réaliser en était une autre.
Heureusement, la crainte était devenue une forme de respect puis de camaraderie quand ils avaient arrêté leur premier béhémoth. Le drakyn ne l’avait pas dit, mais éliminer tous les monstres de la région risquait de couper les vivres au Vieux Borgne et l’encourager à attaquer davantage les Hommes. C’était, à la vérité, exactement ce sur quoi il comptait pour le faire sortir de sa tanière et le chasser. Puis le Cardinal l’avait sollicité pour accompagner un convoi vers un village proche, dont ils avaient des nouvelles épisodiquement. Il laissa quelques instructions aux gardes et chasseurs, et laissa son regard parcourir leur petit groupe.
« Oui, Monseigneur, votre Volonté sera faite. »
Jerek semblait effectivement peu réceptif à leurs prédications. Il faisait partie des rares qui ne se déparait pas d’une forme de méfiance à leur égard, et seule la présence de Phèdre l’adoucissait quelque peu. C’était peut-être également pour cela qu’elle était présente avec eux aujourd’hui : elle avait commencé à travailler le vieux pisteur au corps et à l’esprit, et les habitants du village le plus proche auraient potentiellement également besoin d’être influencés dans le bon sens pour retrouver le chemin de la Foi. Il allait de plus falloir être vigilant pour s’assurer que Jerek ne commence pas à les présenter sous forme d’une menace qui avait pour but de les dominer à nouveau.
Qultarn échangea un sourire avec Phèdre, puis donna l’ordre de se mettre en route. Ils avaient avec eux de gros sacs contenant quelques vivres, de l’artisanat et une partie des peaux qu’ils avaient récoltées. Mais, surtout, l’objectif était de se renseigner sur le territoire de l’autre village, de ses dangers et de ce qui pourrait les affecter. Le guerrier ne pouvait s’empêcher de penser que le chef du village profitait aussi de leur force pour augmenter son prestige et l’influence qu’il pouvait exercer sur la région. Les habitudes des gens de pouvoir changeaient rarement, après tout, et la façon qu’il avait de s’adresser à ses compatriotes ou à Malazach en disait beaucoup.
L’ex-brigand aurait pris plaisir à lui extirper les tripes.
Le nouveau fidèle comptait bien suivre l’ordre de leur chef de les ramener tous en vie, et il présumait que c’était pour cela que le patriarche vivait encore. Ils devaient s’attirer les bonnes grâces du petit peuple plutôt que les forcer par leur puissance, et il ne pouvait s’empêcher d’y sentir une forme d’ironie : c’était eux qui représentaient les Titans et l’Arbre-Monde, la magie incommensurable, n’importe quel membre de leur troupe aurait pu exterminer le village entre le déjeuner et le souper, et, pourtant, ils se retrouvaient à tenter de convaincre, sans ramper, mais à devoir se prouver, alors que la situation devrait être inversée. Les paysans devraient se prosterner sur leur passage, implorer la pitié des Dieux, prier tous les jours.
Était-il Dieu que celui qui devait mériter sa Foi ? Il rangea bien vite cette pensée qui semblait confiner au blasphème dans un recoin sombre de son esprit, pour l’examiner plus tard à loisir, poser la question à un théologue sans le heurter. Sa dévotion était de toute façon plus forte que cela, mais la mécanique avec une population perdue et des Dieux pas toujours présents avant quelque chose de fascinant.
La route fut calme et sans événement marquant. Jerek parvint à tirer un lapin dont ils se régalèrent à midi, puis ils arrivèrent dans un village qui semblait être le parfait jumeau de celui qu’ils venaient de quitter. Si leur présence suscita d’abord les mêmes craintes et méfiance qu’auparavant, celle de Jerek et d’une poignée d’autres suffit à rassurer les habitants. Ils s’enquirent des nouvelles, échangèrent brièvement, et si Qultarn laissa le vieux pisteur sous la surveillance de Phèdre, il privilégia plutôt d’échanger avec les nouveaux gardes et chasseurs.
De fait, ici aussi, ils avaient des problèmes avec le Vieux Borgne et d’autres béhémoths, tandis que les loups les avaient relativement épargnés, pour une raison très simple : ils élevaient peu de bétail, préférant se concentrer sur les cultures, dans une plaine plus clémente que les collines et montagnes dont les Divinistes venaient. Le commerce alla bon train également, et ils en profitèrent pour expliquer les raisons de leur présence. Le chef local était un homme à l’allure davantage martiale, dans la force de l’âge, dont le visage respirait la bonne humeur.
« Je suis soulagé de votre présence. Nous avons longuement appelé le salut des Dieux, sans succès. Force est de constater que les Tout-Puissants n’ont pas pris la peine de venir nous sauver, contrairement aux autres mortels.
- Et, pourtant, ce sont les Titans qui nous ont guidés jusqu’à vous, répondit doucement Qultarn.
- Peut-être bien, peut-être bien… Toujours est-il qu’il n’y a aucune intervention divine pour venir à notre secours.
- Question d’interprétation. »
Le drakyn ne s’étendit pas sur la question du Bourgeon pour l’instant, attendant de voir si les gens étaient dignes de confiance ici. Cependant, il ne doutait pas que Jerek raconterait de façon circonstanciée leur arrivée parmi eux.
Citoyen du monde
Valmyria
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Phèdre
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Cela faisait quelques jours que Phèdre s’était mise à roder dans le giron de Jerek. Elle ne l’appréciait pas tellement, avec ses regards scrutateurs aussi curieux que suspicieux. Il ne lui permettrait aucune erreur, ni aucune incartade d’aucune sorte. Il lui avait fallu ruser pour s’attirer ses bonnes grâces qui ne lui étaient pas encore entièrement acquises, et elle sentait qu’elle pouvait les perdre avec mille fois plus de facilité. Cependant, le pauvre ne restait qu’un homme, bien que très résistant à la magie qui se lovait constamment autour d’elle, enivrant tous ceux qui l’entouraient, se laissait trop souvent bercé par ses sourires enjôleurs et ses attentions délicates. Ce jeu, Phèdre y avait joué toute son ancienne vie. Séduire un homme qu’il soit humain, elfe, orc ou ange, n’était pas très compliqué. Il suffisait généralement de tirer les bonnes ficelles et d’aguicher convenablement leurs esprits pour que leurs imaginations fasse le reste. Jerek avait au moins le mérite de ne pas être si aisément corruptible, ou du moins un peu moins que la moyenne. A la vérité, la réincarnée restait convaincue que c’était ses penchants religieux qui retenaient l’homme de se laisser entièrement tomber dans ses filets, rendant la chose d’autant plus agaçante puisque c’était exactement pour cette raison qu’il lui avait été demandé de l’approcher.
La bibliothèque du village était précaire mais elle avait cette odeur de papier et d’encre qui avait toujours eu le don de l'apaiser. Dans cette vie comme dans l’autre, les livres avaient toujours tenus une place particulière dans son existence. Ils lui avaient tenu compagnie lorsqu’elle se sentait trop seule, lui avaient apprit tout ce qu’elle savait lorsqu’on avait refusé de le lui enseigner, lui avaient permit de coucher ses pensées sur leurs pages et lui avaient même fait l’aumône d’une cachette durant ces cent dernière années. Un sentiment indescriptible de nostalgie qu’elle devina émaner d’Eris la submergea lorsqu’elle repensa à ces journées passées à ranger de lourds grimoires récalcitrants et poussiéreux. Une période qui lui semblait à la fois lointaine et d’hier. Ici elle avait, ironiquement, retrouvé un sentiment similaire de paix. Avant qu’on ne l’en arrache pour la forcer à tourner comme un vautour autour d’un Jerek dont l’esprit libre l’était un peu trop. Si seulement elle avait su que cela la forcerait à chevaucher une journée de plus, elle aurait prétexté un rhume magique ou n’importe quoi qui lui aurait évité le voyage. Hélas, il était trop tard et elle ne put que rendre à Qultarn un maigre sourire. Sa présence était d’ailleurs sa seule source de réconfort, au moins elle n’était pas seule. Lui, semblait d’ailleurs dans son élément. Depuis qu’il avait été occire le Béhémoth il rayonnait autant si ce n’était plus qu’une jeune mariée.
Phèdre découvrait quant à elle que des bleus pouvaient se former sur les fesses et que s’asseoir dessus n’avait absolument rien d’agréable. Cela ne fit qu’empirer son humeur qu’elle gardait toutefois bien cachée derrière un masque de déférence et de charme poli dès que Jerek avait le malheur de poser les yeux sur elle. De même, elle ne s’offrit pas le plaisir de chevaucher aux côtés de son camarade mais plutôt à ceux du pisteur, silencieuse la plupart du temps, elle profitait de chaque occasion pour admirer ouvertement les talents de l’homme. Dont elle se fichait éperdument ; les talents autant que l’homme. Cela avait le mérite de fonctionner et lui de baisser sa garde, pas assez pour qu’elle en soit satisfaite mais suffisamment pour s'apercevoir que sa manipulation, bien que lente, faisait son effet au fil du temps. Parfait.
La route, hormis son séant douloureux, ne fut effectivement pas difficile, ni très longue et ils ne tardèrent pas à rejoindre un village pas si différent de celui qu’elle venait de quitter. Nulle déception, cette fois au moins Phèdre ne s’attendait à rien de plus que des vieilles bicoques disposées de manières un peu différentes cependant.
—Je crois que toi et moi sommes condamnés à aller en reconnaissance. Glissa-t-elle au drakyn, discrètement, lorsqu’ils mirent pied à terre.
Ce n’était jamais que la seconde fois.
Contournant son cheval, elle vint décrocher ses sacoches ou reposaient d’autres exemplaires de livres qu’elle avait tenu à emporter. Des versions moins travaillées que celles qu’elle avait fournie au village précédent mais qui, pour des péons dans leur genre, devaient avoir l’air de véritables trésors. Jerek l’aida à décharger bien volontiers et sans qu’elle eut à demander, il lui indiqua même docilement l’endroit où trouvait ce qui s’apparentait à la bibliothèque. Dans son regard, néanmoins, le doute persistait. Tenace. Alors, quand il tourna les talons, elle lui attrapa la main presque timidement et se touché la rebuta bien plus qu’elle ne l’attendait. Au moins autant que l’air emprunté qu’elle se força à arborer, le regard fuyant comme si elle hésitait. L’homme resta silencieux jusqu’à ce que Phèdre daigne prendre la parole, d’une voix douce comme du velours.
— Jerek, commença-t-elle, accentuant sa magie de séduction en la couplant à une manipulation d’émotion bien ciblée. — Je sais que vous doutez de nos intentions, autant que des Huits. Vous avez vos raisons, je les entends. Mais s’il vous plaît, ne soyez pas trop dur avec nous. Nous sommes ici pour vous aider, votre village et celui-ci et même si vous n’avez pas la foi, même si vous doutez, je vous en conjure, ne vous privez pas de la chance qui vous est offerte et de tout le bien que vous pourrez tirer de tout cela. Vous et les autres. Nous n’aspirons qu’à rétablir la grandeur de jadis, celle que vous devriez déjà connaître. Vous pouvez changer les choses pour eux et pour vous.
Elle lui offrit un sourire auquel il ne répondit pas, scrutant son visage comme s’il pouvait voir jusque dans son esprit. Puis sans savoir si sa magie et ses mots l’avaient atteint comme elle le souhaitait, Phèdre se détourna. Les bras chargés d’épais ouvrages, elle gagna l’intérieur du bâtiment et recommença, une fois de plus, son endoctrinement auprès les érudits du village.
La bibliothèque du village était précaire mais elle avait cette odeur de papier et d’encre qui avait toujours eu le don de l'apaiser. Dans cette vie comme dans l’autre, les livres avaient toujours tenus une place particulière dans son existence. Ils lui avaient tenu compagnie lorsqu’elle se sentait trop seule, lui avaient apprit tout ce qu’elle savait lorsqu’on avait refusé de le lui enseigner, lui avaient permit de coucher ses pensées sur leurs pages et lui avaient même fait l’aumône d’une cachette durant ces cent dernière années. Un sentiment indescriptible de nostalgie qu’elle devina émaner d’Eris la submergea lorsqu’elle repensa à ces journées passées à ranger de lourds grimoires récalcitrants et poussiéreux. Une période qui lui semblait à la fois lointaine et d’hier. Ici elle avait, ironiquement, retrouvé un sentiment similaire de paix. Avant qu’on ne l’en arrache pour la forcer à tourner comme un vautour autour d’un Jerek dont l’esprit libre l’était un peu trop. Si seulement elle avait su que cela la forcerait à chevaucher une journée de plus, elle aurait prétexté un rhume magique ou n’importe quoi qui lui aurait évité le voyage. Hélas, il était trop tard et elle ne put que rendre à Qultarn un maigre sourire. Sa présence était d’ailleurs sa seule source de réconfort, au moins elle n’était pas seule. Lui, semblait d’ailleurs dans son élément. Depuis qu’il avait été occire le Béhémoth il rayonnait autant si ce n’était plus qu’une jeune mariée.
Phèdre découvrait quant à elle que des bleus pouvaient se former sur les fesses et que s’asseoir dessus n’avait absolument rien d’agréable. Cela ne fit qu’empirer son humeur qu’elle gardait toutefois bien cachée derrière un masque de déférence et de charme poli dès que Jerek avait le malheur de poser les yeux sur elle. De même, elle ne s’offrit pas le plaisir de chevaucher aux côtés de son camarade mais plutôt à ceux du pisteur, silencieuse la plupart du temps, elle profitait de chaque occasion pour admirer ouvertement les talents de l’homme. Dont elle se fichait éperdument ; les talents autant que l’homme. Cela avait le mérite de fonctionner et lui de baisser sa garde, pas assez pour qu’elle en soit satisfaite mais suffisamment pour s'apercevoir que sa manipulation, bien que lente, faisait son effet au fil du temps. Parfait.
La route, hormis son séant douloureux, ne fut effectivement pas difficile, ni très longue et ils ne tardèrent pas à rejoindre un village pas si différent de celui qu’elle venait de quitter. Nulle déception, cette fois au moins Phèdre ne s’attendait à rien de plus que des vieilles bicoques disposées de manières un peu différentes cependant.
—Je crois que toi et moi sommes condamnés à aller en reconnaissance. Glissa-t-elle au drakyn, discrètement, lorsqu’ils mirent pied à terre.
Ce n’était jamais que la seconde fois.
Contournant son cheval, elle vint décrocher ses sacoches ou reposaient d’autres exemplaires de livres qu’elle avait tenu à emporter. Des versions moins travaillées que celles qu’elle avait fournie au village précédent mais qui, pour des péons dans leur genre, devaient avoir l’air de véritables trésors. Jerek l’aida à décharger bien volontiers et sans qu’elle eut à demander, il lui indiqua même docilement l’endroit où trouvait ce qui s’apparentait à la bibliothèque. Dans son regard, néanmoins, le doute persistait. Tenace. Alors, quand il tourna les talons, elle lui attrapa la main presque timidement et se touché la rebuta bien plus qu’elle ne l’attendait. Au moins autant que l’air emprunté qu’elle se força à arborer, le regard fuyant comme si elle hésitait. L’homme resta silencieux jusqu’à ce que Phèdre daigne prendre la parole, d’une voix douce comme du velours.
— Jerek, commença-t-elle, accentuant sa magie de séduction en la couplant à une manipulation d’émotion bien ciblée. — Je sais que vous doutez de nos intentions, autant que des Huits. Vous avez vos raisons, je les entends. Mais s’il vous plaît, ne soyez pas trop dur avec nous. Nous sommes ici pour vous aider, votre village et celui-ci et même si vous n’avez pas la foi, même si vous doutez, je vous en conjure, ne vous privez pas de la chance qui vous est offerte et de tout le bien que vous pourrez tirer de tout cela. Vous et les autres. Nous n’aspirons qu’à rétablir la grandeur de jadis, celle que vous devriez déjà connaître. Vous pouvez changer les choses pour eux et pour vous.
Elle lui offrit un sourire auquel il ne répondit pas, scrutant son visage comme s’il pouvait voir jusque dans son esprit. Puis sans savoir si sa magie et ses mots l’avaient atteint comme elle le souhaitait, Phèdre se détourna. Les bras chargés d’épais ouvrages, elle gagna l’intérieur du bâtiment et recommença, une fois de plus, son endoctrinement auprès les érudits du village.
Prophétesse
Siame
Messages : 215
crédits : 341
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Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage soutien
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Cardinal
Pendant ces quelques jours, Siame s’était tenue à l’écart. On la voyait rarement, l’entendait plus rarement encore—sa présence sporadique amplifiant secrets et symboles. Les Hommes parlaient. C’est ce qu’ils faisaient de mieux. Et on s’était mis à murmurer qu’elle lisait l’avenir dans les veines de l’Arbre-Monde, qu’elle entendait les Titans à travers la graine. Son absence entretenait le mystère, et les Mortels avaient fini par guetter, redoutant autant qu’espérant une apparition. Elle avait laissé le soin à Valmyria de protéger le rejeton de l’Arbre—elle qui ne cessait de prouver non seulement sa loyauté, mais une force d’esprit qui lui avait plu. "L’elfe porte en elle la dualité de ce foutu Monde : la gloire et la chute, la semence et le feu. Qui sait lequel prendra racine en elle ?" l’avait-on entendu dire à son homologue divin, un soir. Les deux, espérait-elle.
On l’avait vu le lendemain aux côtés du Haut Cardinal lors du départ du groupe d’expédition, avant qu’elle disparaisse à nouveau, aussitôt les silhouettes de Phèdre et celle de Qultarn englouties par la végétation noircie. À cette heure, le Doreï n’avait plus rien à voir avec la région qu’elle avait connue autrefois. “Elle reviendra,” avait-elle ajouté pour elle-même, pour s'en convaincre, compartimentant dans un coin de son esprit les dangers qui rôdaient là-bas. Le soleil osait à peine se montrer, ce jour-là, obombré par la brume – épaisse, mauvaise et grise – qui filtrait désormais les Cieux sur le Shoumei. Qui filtrait bien davantage encore. L’Ange s’était retirée, et on ne l’avait plus revue depuis...
Cependant, ce soir-là, elle se montra. Ivan ne perçut sa présence que lorsque l'elfe tourna les yeux vers elle. Ses traits étaient ravagés par le doute et les nuits sans repos. Le mortel portait en lui le combat des cœurs divisés, plus qu’aucun autre ici. Son regard passa de Valmyria à l’Ange, sans qu’il n’ose s’avancer comme l’elfe l’avait invité à le faire. Siame fit un pas, l’observa avec une tendresse grave, comme le berger contemplait une brebis égarée.
— Prêt à tout sacrifier pour rester sur ces Terres, mais refusant de déposer ce que l’autel te réclame. Sa voix fendit l’air comme le premier souffle des Créateurs.
— Je ne sacrifierai pas mon fils pour de telles folies, répliqua-t-il avec l'âpreté désespérée de ceux qui refusent coûte que coûte de changer d’avis. Il fallait croire que rien de tout ça ne l’avait convaincu, pas même l’apaisement de leur Patriarche. Je ne le laisserai pas être l’instrument d’un pouvoir que je ne comprends pas moi-même.
Un long silence s’étira. Dense, solennel. Et un lien invisible s’allongea, entre Elle, en Valmyria, jusqu’à lui. Siame posa une main sur l’avant-bras de l’elfe en percevant les battements de son cœur s’enfiévrer d’une rage sourde à chaque bourrasque traîtresse de la part de l’Affranchi.
— Alors, approche. Et regarde. Regarde ce qui attend ton fils et choisis.
Elle savoura un instant la vision de cet homme acculé contre ses propres convictions, encerclé de ses propres doutes. Il s’approcha de la graine. Techniquement, l’Ange ne possédait pas les voies nécessaires pour partager ses visions. Mais qu’importe. Il lui suffisait d’appuyer au bon endroit pour tisser sa toile dans l’imagination des Mortels. Elle lui conta : les villages cimetières ; les maisons réduites à des squelettes de bois calciné ; le silence de ces Terres maudites. Et au milieu de cette désolation, son fils. Agenouillé dans la poussière, des bras maigres, décharnés, tendus vers le vide—priant un ciel sourd. L’enfant fragile, sa vie vacillante comme la flamme d’une bougie. Ce sont les Hommes, eux-mêmes, qui ont réduit ce village à feu et à sang. Comme les Reikois l’ont fait à Célestia, quelques mois auparavant. On le lui a raconté. Mais il ne l’avait jamais vu de la sorte—n’avait pas éprouvé véritablement le désespoir, ni les ombres hurlantes des soldats saccageant tout sur leur passage.
Ivan s’était imaginé courir vers son, mais ses jambes restent entravées par des chaînes invisibles.
⋯ C’est ce que tu choisis si tu refuses. Le pain des Cieux ne descendra pas pour toi—ni pour lui. Tu te fais l’architecte de sa mort. La voix de l’Ange se teinta d’un chagrin infini. Et sa vie ; un simple sacrifice inutile sur l’autel de ton incrédulité. Mais…
Le cœur de mortel se mit à gonfler, et son espoir à vibrer dans sa poitrine—crescendo.
⋯ Je t’ai promis de ne pas te mentir…
La vision qu’elle lui conta n’était pas plus heureuse. Aucun havre de paix, pas d’Eden reconquis pour eux. Mais elle lui parla de l’Arbre, cet arbre colossal qui pousserait ici, dresserait des branches – vastes, protectrices – comme des bras. Elle lui parla de son fils, plus âgé, la tête haute, vêtu d’une armure ornée de symboles encore inconnus. Ceux de la Volonté. Il en serait le protecteur, ici-même. Un chef respecté, et ce respect viendrait avec son lot de douleurs. Mais il aurait un avenir, un futur, comme l’elfe le lui avait dit. La chose lui paraissait si tangible. Si proche.
Et le vide reprit sa place, lorsqu’elle le ramena à la réalité. Il porta une main fébrile à sa poitrine, chancela un instant, son souffle court. L’Ange et celle qui s’était fait Protectrice de la graine le regardaient toujours.
— Il n’y aura pas de troisième voie, Ivan. Il n’y aura pas d’agneau pris dans les ronces pour sauver ton fils.
— Pourquoi lui ?
— Nous faisons tous des sacrifices ici. Parce qu’engendrer c'est accepter d’abandonner sa chair au Monde. Il crut entendre un son perçant, faible, lointain dans sa voix. J’ai été mère, aussi, il y a longtemps. L’avait-elle seulement été ? Qu’importait, personne n’avait besoin de savoir. Tout ce qui comptait, c’était persuader ceux qui les rejoindraient. Et s’il fallait pour ça se dévoiler, alors… Je n’ai porté qu’un tombeau dans mon ventre. Pas un cri, pas un souffle. Seulement le silence. Il crut voir une peine abyssale dans ses prunelles grises, clashant contre la dureté de sa voix. Elle plongea des doigts fantômes au fond de sa gorge pour continuer. Si j’avais pu lui offrir la moindre chance, le moindre souffle, je n’aurais pas hésité un seul instant. Elle n’avait pas hésité un seul instant. Tu as cette chance. Ne la laisse pas se flétrir.
Les narines de l’homme frémir, comme celles d’un chien. Siame devina toutes les manières dont il la maudissait en silence, quand il se détourna.
— J’espère que lorsque nous planterons la graine, toi et son fils serez au premier rang lors de la cérémonie. Et que vos prières nourriront ses racines.
Il quitta les lieux, en silence.
— Il n’est pas convaincu. Toujours pas, avait confié Siame à Valmyria, les yeux fixés vers la porte où il avait disparu. Il faut que nous soyons prudents. Ne les laisse plus s'approcher.
On l’avait vu le lendemain aux côtés du Haut Cardinal lors du départ du groupe d’expédition, avant qu’elle disparaisse à nouveau, aussitôt les silhouettes de Phèdre et celle de Qultarn englouties par la végétation noircie. À cette heure, le Doreï n’avait plus rien à voir avec la région qu’elle avait connue autrefois. “Elle reviendra,” avait-elle ajouté pour elle-même, pour s'en convaincre, compartimentant dans un coin de son esprit les dangers qui rôdaient là-bas. Le soleil osait à peine se montrer, ce jour-là, obombré par la brume – épaisse, mauvaise et grise – qui filtrait désormais les Cieux sur le Shoumei. Qui filtrait bien davantage encore. L’Ange s’était retirée, et on ne l’avait plus revue depuis...
Cependant, ce soir-là, elle se montra. Ivan ne perçut sa présence que lorsque l'elfe tourna les yeux vers elle. Ses traits étaient ravagés par le doute et les nuits sans repos. Le mortel portait en lui le combat des cœurs divisés, plus qu’aucun autre ici. Son regard passa de Valmyria à l’Ange, sans qu’il n’ose s’avancer comme l’elfe l’avait invité à le faire. Siame fit un pas, l’observa avec une tendresse grave, comme le berger contemplait une brebis égarée.
— Prêt à tout sacrifier pour rester sur ces Terres, mais refusant de déposer ce que l’autel te réclame. Sa voix fendit l’air comme le premier souffle des Créateurs.
— Je ne sacrifierai pas mon fils pour de telles folies, répliqua-t-il avec l'âpreté désespérée de ceux qui refusent coûte que coûte de changer d’avis. Il fallait croire que rien de tout ça ne l’avait convaincu, pas même l’apaisement de leur Patriarche. Je ne le laisserai pas être l’instrument d’un pouvoir que je ne comprends pas moi-même.
Un long silence s’étira. Dense, solennel. Et un lien invisible s’allongea, entre Elle, en Valmyria, jusqu’à lui. Siame posa une main sur l’avant-bras de l’elfe en percevant les battements de son cœur s’enfiévrer d’une rage sourde à chaque bourrasque traîtresse de la part de l’Affranchi.
— Alors, approche. Et regarde. Regarde ce qui attend ton fils et choisis.
Elle savoura un instant la vision de cet homme acculé contre ses propres convictions, encerclé de ses propres doutes. Il s’approcha de la graine. Techniquement, l’Ange ne possédait pas les voies nécessaires pour partager ses visions. Mais qu’importe. Il lui suffisait d’appuyer au bon endroit pour tisser sa toile dans l’imagination des Mortels. Elle lui conta : les villages cimetières ; les maisons réduites à des squelettes de bois calciné ; le silence de ces Terres maudites. Et au milieu de cette désolation, son fils. Agenouillé dans la poussière, des bras maigres, décharnés, tendus vers le vide—priant un ciel sourd. L’enfant fragile, sa vie vacillante comme la flamme d’une bougie. Ce sont les Hommes, eux-mêmes, qui ont réduit ce village à feu et à sang. Comme les Reikois l’ont fait à Célestia, quelques mois auparavant. On le lui a raconté. Mais il ne l’avait jamais vu de la sorte—n’avait pas éprouvé véritablement le désespoir, ni les ombres hurlantes des soldats saccageant tout sur leur passage.
Ivan s’était imaginé courir vers son, mais ses jambes restent entravées par des chaînes invisibles.
⋯ C’est ce que tu choisis si tu refuses. Le pain des Cieux ne descendra pas pour toi—ni pour lui. Tu te fais l’architecte de sa mort. La voix de l’Ange se teinta d’un chagrin infini. Et sa vie ; un simple sacrifice inutile sur l’autel de ton incrédulité. Mais…
Le cœur de mortel se mit à gonfler, et son espoir à vibrer dans sa poitrine—crescendo.
⋯ Je t’ai promis de ne pas te mentir…
La vision qu’elle lui conta n’était pas plus heureuse. Aucun havre de paix, pas d’Eden reconquis pour eux. Mais elle lui parla de l’Arbre, cet arbre colossal qui pousserait ici, dresserait des branches – vastes, protectrices – comme des bras. Elle lui parla de son fils, plus âgé, la tête haute, vêtu d’une armure ornée de symboles encore inconnus. Ceux de la Volonté. Il en serait le protecteur, ici-même. Un chef respecté, et ce respect viendrait avec son lot de douleurs. Mais il aurait un avenir, un futur, comme l’elfe le lui avait dit. La chose lui paraissait si tangible. Si proche.
Et le vide reprit sa place, lorsqu’elle le ramena à la réalité. Il porta une main fébrile à sa poitrine, chancela un instant, son souffle court. L’Ange et celle qui s’était fait Protectrice de la graine le regardaient toujours.
— Il n’y aura pas de troisième voie, Ivan. Il n’y aura pas d’agneau pris dans les ronces pour sauver ton fils.
— Pourquoi lui ?
— Nous faisons tous des sacrifices ici. Parce qu’engendrer c'est accepter d’abandonner sa chair au Monde. Il crut entendre un son perçant, faible, lointain dans sa voix. J’ai été mère, aussi, il y a longtemps. L’avait-elle seulement été ? Qu’importait, personne n’avait besoin de savoir. Tout ce qui comptait, c’était persuader ceux qui les rejoindraient. Et s’il fallait pour ça se dévoiler, alors… Je n’ai porté qu’un tombeau dans mon ventre. Pas un cri, pas un souffle. Seulement le silence. Il crut voir une peine abyssale dans ses prunelles grises, clashant contre la dureté de sa voix. Elle plongea des doigts fantômes au fond de sa gorge pour continuer. Si j’avais pu lui offrir la moindre chance, le moindre souffle, je n’aurais pas hésité un seul instant. Elle n’avait pas hésité un seul instant. Tu as cette chance. Ne la laisse pas se flétrir.
Les narines de l’homme frémir, comme celles d’un chien. Siame devina toutes les manières dont il la maudissait en silence, quand il se détourna.
— J’espère que lorsque nous planterons la graine, toi et son fils serez au premier rang lors de la cérémonie. Et que vos prières nourriront ses racines.
Il quitta les lieux, en silence.
— Il n’est pas convaincu. Toujours pas, avait confié Siame à Valmyria, les yeux fixés vers la porte où il avait disparu. Il faut que nous soyons prudents. Ne les laisse plus s'approcher.
CENDRES
Citoyen du monde
Malazach
Messages : 45
crédits : 750
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Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage noir
Alignement: Neutre mauvais
Rang: B - Cardinal
“-Vous me certifiez que ce sera sur nos terres que l'influence de l'arbre-monde sera plus forte ? Que le fruit de cette graine défendra les membres de ce village plus que tout autre ?”
Malazach hocha la tête, comme il l'avait fait les six autres fois où le Patriarche s'était risqué à lui poser cette question. Jusqu'alors, le vieillard avait toujours réussi à le demander de manière détournée, mais l'impatience et le doute s'étaient chargés de ronger sa retenue. Maintenant, alors même que les messagers s'en étaient allés distribuer la sainte vérité aux autres communautés, sa nature humaine reprenait le pas en écrasant prudence et minutie dans son sillage. A l’entente de cette phrase aux si lourdes implications, un sourire franc s'était matérialisé sur le visage exempt de toute imperfection du nouveau conseiller du vieux tandis que ce dernier continuait d’observer le chemin principal du village depuis l'une des rares fenêtres de sa modeste demeure.
“-Je sais ce que vous pensez.” Se défendit le Patriarche. “Il n'existe pas de rivalité entre les différents camps de survivants.” Son menton trembla subrepticement et il s'appuya un peu plus sur son bâton en approchant son visage fripé du verre. “Nos visions diffèrent, mais nous nous tolérons.
-Par définition, on ne tolère que ce qu'on accepte pas.” Siffla l'Ange. Et les gardes mortels postés à l'entrée échangèrent un regard en coin.
Les épaules trop frêles du vieil homme frémirent.
“-Dans votre monde, peut-être.”
Malazach laissa le silence délier la langue du maître des lieux. Il n’y résista pas longtemps.
“-Les Affranchis se sont débarrassés de l'obsession de l'ancien régime.” Une vérité de moins en moins tangible, à en juger le succès de la graine auprès des villageois. “Ce n'est pas le cas de tous, en Doreï. Et je crains que sans la puissance nécessaire, sitôt la nature de votre don révélée à tous, nous risquions une invasion par des groupes plus…
-Croyants.” Les ailes noires s'étirèrent alors que Malazach se levait de son siège pour s'approcher de celui qui s’efforçait de paraître vulnérable depuis le début de cette petite mascarade. Si il subsistait bien une vérité au sujet des éphémères pouvant se targuer d’avoir survécu à l’érosion du temps, c’était bien celle-ci : il n’existait pas de meilleur comédien qu’un mortel venant d’être percé à jour.
Le reflet de ses yeux noirs plongea dans le regard voilé par la cataracte.
“-Vous craignez les fanatiques. C'est pour ça que vous avez choisi soigneusement ceux qui l'apprendront en premier. Ce sont d'autres modérés, n'est-ce pas?
-Vous ne resterez pas ici éternellement.”
L'Ange acquiesça. Un soupçon de véritable respect lui sembla commencer à poindre en lui, à l’égard du Patriarche et de ses calculs froids.
“-J'aime que vous pensiez déjà à la suite. Vous allez leur proposer une alliance, et notre présence est un atout non-négligeable pour que les termes des négociations aillent dans votre sens, à ce sujet. Vous pourriez même finir Patriarche de deux communautés différentes, avec les bons arguments.
-Vous parlez comme un seigneur de guerre. Pas comme un survivant.” Mais malgré le dégoût dans sa voix, le vieillard ne chercha pas à démentir.
Pas plus que Malazach ne tenta de se défendre des accusations intrinsèques.
"-Je pense pouvoir vous conseiller."
Malazach hocha la tête, comme il l'avait fait les six autres fois où le Patriarche s'était risqué à lui poser cette question. Jusqu'alors, le vieillard avait toujours réussi à le demander de manière détournée, mais l'impatience et le doute s'étaient chargés de ronger sa retenue. Maintenant, alors même que les messagers s'en étaient allés distribuer la sainte vérité aux autres communautés, sa nature humaine reprenait le pas en écrasant prudence et minutie dans son sillage. A l’entente de cette phrase aux si lourdes implications, un sourire franc s'était matérialisé sur le visage exempt de toute imperfection du nouveau conseiller du vieux tandis que ce dernier continuait d’observer le chemin principal du village depuis l'une des rares fenêtres de sa modeste demeure.
“-Je sais ce que vous pensez.” Se défendit le Patriarche. “Il n'existe pas de rivalité entre les différents camps de survivants.” Son menton trembla subrepticement et il s'appuya un peu plus sur son bâton en approchant son visage fripé du verre. “Nos visions diffèrent, mais nous nous tolérons.
-Par définition, on ne tolère que ce qu'on accepte pas.” Siffla l'Ange. Et les gardes mortels postés à l'entrée échangèrent un regard en coin.
Les épaules trop frêles du vieil homme frémirent.
“-Dans votre monde, peut-être.”
Malazach laissa le silence délier la langue du maître des lieux. Il n’y résista pas longtemps.
“-Les Affranchis se sont débarrassés de l'obsession de l'ancien régime.” Une vérité de moins en moins tangible, à en juger le succès de la graine auprès des villageois. “Ce n'est pas le cas de tous, en Doreï. Et je crains que sans la puissance nécessaire, sitôt la nature de votre don révélée à tous, nous risquions une invasion par des groupes plus…
-Croyants.” Les ailes noires s'étirèrent alors que Malazach se levait de son siège pour s'approcher de celui qui s’efforçait de paraître vulnérable depuis le début de cette petite mascarade. Si il subsistait bien une vérité au sujet des éphémères pouvant se targuer d’avoir survécu à l’érosion du temps, c’était bien celle-ci : il n’existait pas de meilleur comédien qu’un mortel venant d’être percé à jour.
Le reflet de ses yeux noirs plongea dans le regard voilé par la cataracte.
“-Vous craignez les fanatiques. C'est pour ça que vous avez choisi soigneusement ceux qui l'apprendront en premier. Ce sont d'autres modérés, n'est-ce pas?
-Vous ne resterez pas ici éternellement.”
L'Ange acquiesça. Un soupçon de véritable respect lui sembla commencer à poindre en lui, à l’égard du Patriarche et de ses calculs froids.
“-J'aime que vous pensiez déjà à la suite. Vous allez leur proposer une alliance, et notre présence est un atout non-négligeable pour que les termes des négociations aillent dans votre sens, à ce sujet. Vous pourriez même finir Patriarche de deux communautés différentes, avec les bons arguments.
-Vous parlez comme un seigneur de guerre. Pas comme un survivant.” Mais malgré le dégoût dans sa voix, le vieillard ne chercha pas à démentir.
Pas plus que Malazach ne tenta de se défendre des accusations intrinsèques.
"-Je pense pouvoir vous conseiller."
- HRP:
Etant actuellement dans une chambre d'hôtel avec 3h de sommeil dans les dents, je manque singulièrement de créativité pour compléter ce poste comme il se doit. Voici donc un poste ayant principalement pour but de passer au tour d'après sans ralentir quiconque. Amusez-vous bien, je vous retrouve au tour d'après !
✞✞✞ Malazach est Maudit ✞✞✞
-Les pratiquants du Culte des Ombres et les adeptes du Divinisme le voient comme un ange resplendissant.
-Les adeptes du Shierak et les athées, eux, le voient tel qu'il est véritablement ; une créature aussi famélique que sinistre.
Citoyen du monde
Qultarn
Messages : 47
crédits : 1144
crédits : 1144
Info personnage
Race: Drakyn
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: D
Les deux villages auraient pu être des jumeaux : les mêmes masures un peu branlantes, le même chef un peu pontifiant, les mêmes regards un peu méfiants, et la même pauvreté un peu triste. C’était ce que Qultarn retirerait du rassemblement de maisons autour desquelles ils s’affairaient. De fait, la présence d’Amir lui permit toutefois de sauter quelques étapes, en montrant les peaux qu’ils avaient pu récupérer ensemble, et le jeune guetteur eut l’amabilité de raconter les prouesses martiales du drakyn contre les béhémoths qui les assaillaient depuis trop longtemps. La crainte instiguée par l’arrivée brusque d’un détachement de Bénédictus et les formulations équivoques de Jerek ne suffirent pas à désintéresser les jeunes hommes, les gardes et les pisteurs.
Ils avaient toujours besoin de bras, après tout, et l’expertise militaire était sans doute ce qui manquait à ce qui avait été, au mieux, des miliciens ou des vétérans, et au pire de simples fermiers à qui on avait tendu un arc un beau matin. Qultarn écouta donc les doléances des locaux, tenta des propositions qui avaient tout ce qu’il fallait de vague ou de flatteur pour conforter des opinions déjà pré-établies, et tapa virilement sur l’épaule de bucherons gaillards et rigolards. Il ne fallut que quelques heures pour qu’il se retrouve dans une cabane à une heure du village, avec Amir et quelques nouvelles têtes, avec un godet de la taille d’un dé à coudre devant lui.
« Goûte-moi ça, le drakyn, tu m’en diras des nouvelles. »
Eram versa avec agilité quelques gouttes dans tous les verres à partir d’une bouteille qui devait faire un bon mètre de haut, pleine de gnôle transparente dont l’arôme piquait déjà le nez du fidèle. Il évitait quelque peu l’alcool depuis sa conversion, d’une part en raison de leur dénuement à Bénédictus, et d’autre part pour garder les idées claires à mesure qu’il marchait sur la corde raide, à Maël, dans la nature, au combat. Néanmoins, sans faire de ronds-de-jambe, il attrapa le contenant qui semblait minuscule entre ses mains immenses, et jeta l’eau-de-vie de prunes au fond de sa gorge avant d’avaler.
« Délicieux, ça fait du bien là où ça passe, grogna-t-il. »
Eram bomba le torse à mesure que les autres faisaient de même, puis ils rapprochèrent leurs chaises de la petite table basse.
« Nous avons aussi eu des problèmes avec le Vieux Borgne, mais cela fait des semaines qu’on ne l’a pas vu. Par contre, les autres monstres de la région s’agitent, sans qu’on sache précisément pourquoi. »
Qultarn avait bien une idée, l’influence de Bénédictus et de l’Arbre-Monde s’étant faite plus forte ces derniers temps. La présence du Bourgeon ne devait également pas être étrangère à une agitation supplémentaire de la nature qui les entourait, mais il n’avait aucune certitude sur ce point. Dans tous les cas, le Haut-Cardinal avait demandé de se méfier et de ne pas évoquer la Graine de l’Arbre-Monde pour l’instant, et il comptait bien s’en tenir aux ordres. Et puis, il tâchait de construire de la bonne volonté auprès de la population, ce n’était pas pour semer le doute désormais, alors même que les meilleurs orateurs du groupe se trouvaient à la bibliothèque ou à une journée de marche.
« Qultarn et ses alliés ont affronté un béhémoth qui a tué un de mes collègues et amis quand on les a rencontrés pour la première fois. Il faisait, pouah… plusieurs mètres de long et de haut ! Et ils ont rapporté sa tête pour le bûcher funéraire. »
L’histoire et la taille du monstre grandissaient à chaque fois qu’Amir la racontait, puis les autres renchérirent et demandèrent les détails. Il hésita à évoquer ses alliés non-vivants, se contentant de les décrire comme des chevaliers entièrement vêtus de noir, stoïques et durs à l’ouvrage. Puis il se prêta au jeu des sentinelles, expliquant sans fioriture aucune la façon dont ils avaient traqué la bête jusqu’à parvenir à l’éliminer, utilisant leur nombre et leurs magies pour vaincre le monstre. Les exclamations des gardes ponctuèrent aimablement le récit, il ne put empêcher un sourire fier et franc à avoir amélioré le quotidien de ces pauvres hères. Ils ont beau s’être détourné de la vraie Foi, il ne s’agissait que de brebis égarées, pas d’hérétiques frénétiques. Si un peu d’héroïsme et de baume au cœur pouvait permettre de les remettre sur le droit chemin, alors il voulait bien continuer à abattre les béhémoths qui hantaient les campagnes du Doreï.
Après un tour des forêts proches pour examiner la topographie et les différentes mesures qu’ils pourraient mettre en place pour être prévenu de l’arrivée des monstres ou d’ennemis au plus tôt, ils retournèrent au village, constatant que toutes les marchandises avaient trouvé preneur, et qu’au petit jeu du troc, ils rentreraient même plus chargés qu’à l’aller. Le chef du village tapa sur l’épaule d’un homme qui était probablement son frère, à voir la ressemblance folle qu’ils arboraient, jusque dans leurs coupes de cheveux et leurs grains de beauté, ce qui le projeta d’un pas en avant.
Un salut bourru plus tard, Qultarn repéra Phèdre qui circulait dans la foule à proximité, et se rapprocha d’une poignée d’enjambées. Puis il se pencha sur elle pour lui murmurer doucement à l’oreille :
« Les gardes et chasseurs sont prêts à collaborer avec le premier village pour essayer d’établir sur une zone de circulation un peu maîtrisée entre eux deux. Il va y avoir des actions conjointes mais il reste les modalités exactes à établir, car d’après les anciennes cartes, tel endroit devrait appartenir à je ne sais pas qui. Bref, des comptes d’apothicaire. Je suppose que l’enjeu est de savoir qui va récupérer les fruits de la chasse et qui pourra cultiver à quel endroit si cela devient réellement sûr. Le Bourgeon y veillera sûrement, cela dit. »
Il laissa passer un instant, plutôt satisfait de ce que les discussions avaient donné. Ç’avait été Amir à la manœuvre, il s’était contenté de rester à ses côtés, mais sa participation était indéniable.
« Et toi, avec Jerek et les érudits ? »
Citoyen du monde
Phèdre
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Phèdre fit ce qu’on attendait d’elle. Elle se montra joviale, souriante et encline à partager tout le savoir qu’elle possédait. Sa mémoire lui faisait d’ailleurs défaut sur certains points comme des pièces manquantes d’un puzzle, elle se retrouvait parfois idiote face à des questions dont la réponse dansait sur la pointe de sa langue sans jamais lui revenir. Une sensation agaçante pour quelqu’un qui, depuis toujours, était incapable d’oublier. Elle avait l’impression qu’une partie de son existence avait été mise au rebut, dissimulée à sa vue et ce depuis qu’elle s’était éveillée dans le corps d’Eris, ce soir là où elle avait émergée uniquement grâce à la léthargie qui avait prit sa conscience. A l’époque, c’était le seul moyen que Phèdre avait de prendre entièrement le contrôle du corps. Lorsque la drogue n’entrait pas dans l’équation, elle n’était rien de plus qu’un bout de conscience balloté dans un esprit où elle n’avait pas sa place. Mais à mesure que le temps avait filé, elle s’était nichée comme un coucou dans la tête d’Eris. Tant et si bien que désormais, elle l’écrasait presque sans difficulté. Phèdre estimait qu’elle devait à la couardise de la demi-sang et à la puissance de la corruption la paix retrouvée. Mais comme un énième pied de nez à son existence, qu’elle se manifeste ou non, les émotions d’Eris parvenaient toujours à l’atteindre.
D’ailleurs, contrairement à elle, Jerek ne la dégoutait pas complètement. Oh évidemment, elle se garderait bien de terminer dans son lit s’il le lui en faisait la demande, mais elle avait fréquenté des hommes et des créatures bien pires que lui lorsqu’elle servait les desseins de sa Mère. Dire que c’était une partie de plaisir serait exagéré mais il avait le mérite d’avoir des choses intéressantes à raconter et lorsqu’il le faisait, au moins, il ne s’échinait pas à démolir tout ce pour quoi Phèdre et Qultarn oeuvraient de concert. Le drakyn avait d’ailleurs disparu avant même que la matinée ne se termine et elle avait appris d’une érudite qu’il s’était fait embrigader par un groupe de jeune soldat pour, d’après ses dires, boire un coup. L’ancienne ange regretta presque de ne pas être un guerrier ; boire plutôt que de s’attirer les bonnes grâce d’un vieux pisteur avait l’air tout à fait charmant. En tout cas elle espérait qu’il menait sa mission à bien et qu’il ne se contentait pas de boire comme un trou. Enfin, vu son gabarit, elle supposait qu’il lui faudrait sacrément entamer les réserves du village pour commencer à vaciller et il valait mieux parce que ce n’était certainement pas elle qui ferait office de béquille le cas échéant !
Bien loin des contes et grivoiseries des chasseurs, Phèdre passa un temps fou à étudier les grandes lignes des livres saints mais surtout à répondre aux interrogations légitimes des habitants, se faisant douce avec ceux qu’elle sentait hésitant. Et toujours, elle jouait de sa magie pour les enivrer tous autant qu’ils étaient, maniant leurs émotions comme s’ils étaient une partition et elle une pianiste. Ainsi, elle leur conta la grande époque, leur rappela subtilement qui était leurs véritables détracteurs et à cause de qui tout cela avait commencé. Puis elle leur souffla à la manière d’un diable tout ce dont ils étaient privés et surtout, tout ce à quoi ils pourraient prétendre. Malgré le malaise qui l’habitait en présence d’enfants, elle fit mine d’y prendre plaisir. Les dieux seuls savaient a quel point l’exercice était cruel.
Quand enfin sa pénitence prit fin, elle s’échappa aussi vite et poliment que possible pour se fondre dans une foule où, malheureusement, sa chevelure suffisait à la révéler. Ce fut probablement cela qui permit à Qultarn de la repérer aussi facilement, quoique sa grande taille était un sacré atout aussi. Sa voix manqua la faire sursauter, mais à défaut de se renfrogner, un demi-sourire étira le coin de ses lèvres alors qu’une lueur amusée s’allumait dans son regard. Ça, c’était une bonne nouvelle. Le début d’un grand projet, Malazach serait certainement satisfait de son nouveau soldat. Pas un génie, mais utile à sa manière.
— Ils n’ont d’érudits que le nom… Soupira Phèdre en retour. Beaucoup d’entre eux ne sont bons qu’à écrire, lire et compter. Elle lança un regard au drakyn. — Je veux dire, ils n’en maîtrisent que le strict minimum. Pas tous fort heureusement. Mais mes enseignement ont été quelques peu… Plus compliqués à dispenser. Il y avait néanmoins un avantage à ce que le savoir soit limité ; ceux à qui il manquait étaient bien plus facile à manipuler. — Certains sont encore sceptiques, mais ils ne le resteront pas longtemps. Ceux là étaient un peu comme Jerek et si elle n’entendait pas leur faire du charme, elle avait bien d’autres façons de s’attirer leurs faveurs. — Ils suivront la majorité. Assura-t-elle. — Quant à Jerek… Ah… Son esprit est retors. Libre. Mais loyal. Il me faudra encore du temps, et peut-être plus que quelques battements de cils, pour faire de lui un allié dévoué.
Un soupir franchit la barrière de ses lèvres lorsqu’elle releva le visage vers son camarade.
— Pour l’heure, il ne s’opposera pas à nous.
Cela ne voulait pas dire qu’il ne le ferait pas cependant et Phèdre ne l’oubliait pas. Pas plus qu’elle n’oubliait qu’elle n’était pas à sa place ici. Ses yeux clairs continuaient de fixer cet étrange ami qu’était Qultarn, lorsqu’elle demanda :
— Penses-tu que nous pourrons bientôt rentrer ?
Aussi froid soient les liens qui l’unissaient dernièrement à sa sœur, elle lui manquait.
D’ailleurs, contrairement à elle, Jerek ne la dégoutait pas complètement. Oh évidemment, elle se garderait bien de terminer dans son lit s’il le lui en faisait la demande, mais elle avait fréquenté des hommes et des créatures bien pires que lui lorsqu’elle servait les desseins de sa Mère. Dire que c’était une partie de plaisir serait exagéré mais il avait le mérite d’avoir des choses intéressantes à raconter et lorsqu’il le faisait, au moins, il ne s’échinait pas à démolir tout ce pour quoi Phèdre et Qultarn oeuvraient de concert. Le drakyn avait d’ailleurs disparu avant même que la matinée ne se termine et elle avait appris d’une érudite qu’il s’était fait embrigader par un groupe de jeune soldat pour, d’après ses dires, boire un coup. L’ancienne ange regretta presque de ne pas être un guerrier ; boire plutôt que de s’attirer les bonnes grâce d’un vieux pisteur avait l’air tout à fait charmant. En tout cas elle espérait qu’il menait sa mission à bien et qu’il ne se contentait pas de boire comme un trou. Enfin, vu son gabarit, elle supposait qu’il lui faudrait sacrément entamer les réserves du village pour commencer à vaciller et il valait mieux parce que ce n’était certainement pas elle qui ferait office de béquille le cas échéant !
Bien loin des contes et grivoiseries des chasseurs, Phèdre passa un temps fou à étudier les grandes lignes des livres saints mais surtout à répondre aux interrogations légitimes des habitants, se faisant douce avec ceux qu’elle sentait hésitant. Et toujours, elle jouait de sa magie pour les enivrer tous autant qu’ils étaient, maniant leurs émotions comme s’ils étaient une partition et elle une pianiste. Ainsi, elle leur conta la grande époque, leur rappela subtilement qui était leurs véritables détracteurs et à cause de qui tout cela avait commencé. Puis elle leur souffla à la manière d’un diable tout ce dont ils étaient privés et surtout, tout ce à quoi ils pourraient prétendre. Malgré le malaise qui l’habitait en présence d’enfants, elle fit mine d’y prendre plaisir. Les dieux seuls savaient a quel point l’exercice était cruel.
Quand enfin sa pénitence prit fin, elle s’échappa aussi vite et poliment que possible pour se fondre dans une foule où, malheureusement, sa chevelure suffisait à la révéler. Ce fut probablement cela qui permit à Qultarn de la repérer aussi facilement, quoique sa grande taille était un sacré atout aussi. Sa voix manqua la faire sursauter, mais à défaut de se renfrogner, un demi-sourire étira le coin de ses lèvres alors qu’une lueur amusée s’allumait dans son regard. Ça, c’était une bonne nouvelle. Le début d’un grand projet, Malazach serait certainement satisfait de son nouveau soldat. Pas un génie, mais utile à sa manière.
— Ils n’ont d’érudits que le nom… Soupira Phèdre en retour. Beaucoup d’entre eux ne sont bons qu’à écrire, lire et compter. Elle lança un regard au drakyn. — Je veux dire, ils n’en maîtrisent que le strict minimum. Pas tous fort heureusement. Mais mes enseignement ont été quelques peu… Plus compliqués à dispenser. Il y avait néanmoins un avantage à ce que le savoir soit limité ; ceux à qui il manquait étaient bien plus facile à manipuler. — Certains sont encore sceptiques, mais ils ne le resteront pas longtemps. Ceux là étaient un peu comme Jerek et si elle n’entendait pas leur faire du charme, elle avait bien d’autres façons de s’attirer leurs faveurs. — Ils suivront la majorité. Assura-t-elle. — Quant à Jerek… Ah… Son esprit est retors. Libre. Mais loyal. Il me faudra encore du temps, et peut-être plus que quelques battements de cils, pour faire de lui un allié dévoué.
Un soupir franchit la barrière de ses lèvres lorsqu’elle releva le visage vers son camarade.
— Pour l’heure, il ne s’opposera pas à nous.
Cela ne voulait pas dire qu’il ne le ferait pas cependant et Phèdre ne l’oubliait pas. Pas plus qu’elle n’oubliait qu’elle n’était pas à sa place ici. Ses yeux clairs continuaient de fixer cet étrange ami qu’était Qultarn, lorsqu’elle demanda :
— Penses-tu que nous pourrons bientôt rentrer ?
Aussi froid soient les liens qui l’unissaient dernièrement à sa sœur, elle lui manquait.
Citoyen du monde
Valmyria
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Prophétesse
Siame
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Info personnage
Race: Ange
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Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Cardinal
La nuit tombait inévitablement sur le village des Affranchis. Les derniers rayons d’un soleil faiblard étendaient les ombres des habitations vétustes, organisées autour de la place centrale. Et tous ici savaient que quelque chose d’important se préparait. Les détails, cependant, leur échappaient. Ce n’était pas à eux que l’on avait confié ce genre de secrets. Leur rôle se limitait à survivre sous le poids des décisions prises par d’autres—et dans leur cas, il s’agissait de leur Patriarche, retiré depuis quelques jours avec l’Ange maudit.
Siame observait silencieusement depuis une terrasse rudimentaire, en hauteur. Sa silhouette, drapée dans un tissu blanc – aussi immaculé que sa chevelure – jurait avec la rudesse environnante. Ses yeux en silex scrutaient les Hommes en contrebas, fragmentant dans un coin de son esprit leurs visages. Leurs traits durs, tranchés, de ceux qui ne mangent pas à tous les repas. Il ne savaient rien—non rien, ni du Monde qu’ils foulaient, ni de ce qui s’apprêtait à éclore sous leurs pieds. Parfois, certains se risquaient à jeter un regard vers Elle, et elle percevait leur crainte—mêlée à une forme de fascination. La chose lui arracha un sourire aussi bref qu’amusé. Parce qu’on lui avait appris, des années auparavant, que la peur – comme l’espoir – était une arme.
Les croyants avaient travaillé toute la journée, sous la direction vigilante de Valmyria. Elle se rappelait de l’inquiétude de l’elfe, quand Ivan s’était approché dangereusement de la graine, et de l’envie compulsive qu’elle avait perçu chez elle, celle de le tuer en hurlant pour exorciser tout ce qu’il lui inspirait. Fidèle jusqu’à l’obsession, Siame avait le sentiment de redécouvrir à travers elle ce qu’était la foi aveugle. Elle-même n’avait jamais vraiment eu ce luxe. En tant qu’Ange, en tant que Création de sa Mère, croire n’avait jamais signifié la même chose pour elle.
Siame avait fini par la rejoindre. Les veines noires qui avaient envahi son visage se dissipèrent, mais l’écho de la Corruption continuait à briller dans le fond de son regard. Elle la remercia d’un mouvement du menton.
— J’aimerais que nous plantions la graine au centre du village, demain, au coucher du soleil. Quand sa sœur et Qultarn serait de retour de leur expédition. Là où tout le monde pourra la voir. Elle laissa flotter un silence entre elles. Je sais ce que tu penses. Que c’est trop risqué… Ses yeux glissèrent sur le sol battu de la place. Mais c’est ici qu’ils se rassemblent, le soir. C’est ici que leur espoir prend vie. Je veux qu’ils le regardent, lorsqu’ils parleront ensemble de leur avenir. Et qu’ils se souviennent que cet Arbre – cet arbre que nous leur avons amené – leur a offert la force de résister. Que cette graine – cette minuscule graine – a été leur chance de se reconstruire. Elle coula un regard mesuré à l’elfe. Je superviserai la cérémonie, mais j’aimerais que tu sois celle qui plante cette graine. Toi et l’enfant, ensemble. Que le geste marque leur histoire, et que ce gamin s’en fasse la mémoire. Qu’ils continuent de l’appeler bénédiction ou malédiction, cela ne fera plus aucune différence.
C’était là toute la beauté de la chose. Les Affranchis n’avaient pas encore compris que leur choix était illusoire. Que cette Corruption, ils finiraient par la vénérer : par crainte ou par gratitude. L’Arbre ne ferait pas de distinction entre les fidèles et les dissidents. Tous finiraient par être liés à ses racines... d’une manière ou d’une autre.
Même Ivan, qui les regardait, l'œil mauvais.
Le regard que lui glisse l’Ange a raison de son hostilité, pour ce soir. Il se redresse de la poutre pourrie contre laquelle il est adossé avant de quitter les lieux.
Dans le maigre confort de son habitation, le regard fixé sur la lueur vacillante d’une bougie, Ivan ruminait. Demain, la graine serait plantée. Il savait bien que c’était le pire moment pour tenter quoi que ce soit, mais n’avait pas d’autres choix. L’elfe surveillait cette foutue graine jour comme nuit. C’était du suicide – oui – mais il n’y a rien qu’il n’aurait pas fait pour son fils. Les mots de la Prophétesse résonnaient encore dans sa tête, sa voix glaciale, et les visions qu’elle lui avait offertes. Des promesses. Mais surtout, des menaces voilées. Il n’était pas dupe. Il était peut-être encore le seul ici à les voir pour ce qu’ils étaient vraiment. Même le Patriarche avait fini par se laisser corrompre, influencé par la créature maudite et ses hideuses promesses. L’homme sentit une colère sourde lui prendre la gorge. Ils les avaient vendus. Et demain, ils perdraient eux aussi ce qui leur restait de leur humanité.
Alors, Ivan avait pris sa décision. Demain, lors de la cérémonie, quand le vent serait chargé de l’odeur de la terre fraîchement retournée, il passerait à l’action. Il avait toutes les chances d’échouer—mais s’il existait réellement des Dieux en ce moment, s’il avait une infime chance de réussir, cette graine ne serait jamais plantée. L’Arbre resterait une légende, une promesse non tenue. Peut-être réussirait-il aussi à emporter l’un d’Eux avec lui. Alors, le reste du village finirait par ouvrir les yeux. Et s’ils ne le faisaient pas, tant pis, il partirait avec la certitude de les avoir sauvés. D’avoir sauvé son fils. Sohanne s’occuperait de lui, elle lui avait promis. Il serra le poing sur le médaillon de sa femme, enracinant sa décision de son souvenir, cherchant du courage dans ce talisman qui semblait, à cet instant, cruellement futile. S’il échouait, le village serait condamné. Son fils serait condamné.
Siame observait silencieusement depuis une terrasse rudimentaire, en hauteur. Sa silhouette, drapée dans un tissu blanc – aussi immaculé que sa chevelure – jurait avec la rudesse environnante. Ses yeux en silex scrutaient les Hommes en contrebas, fragmentant dans un coin de son esprit leurs visages. Leurs traits durs, tranchés, de ceux qui ne mangent pas à tous les repas. Il ne savaient rien—non rien, ni du Monde qu’ils foulaient, ni de ce qui s’apprêtait à éclore sous leurs pieds. Parfois, certains se risquaient à jeter un regard vers Elle, et elle percevait leur crainte—mêlée à une forme de fascination. La chose lui arracha un sourire aussi bref qu’amusé. Parce qu’on lui avait appris, des années auparavant, que la peur – comme l’espoir – était une arme.
Les croyants avaient travaillé toute la journée, sous la direction vigilante de Valmyria. Elle se rappelait de l’inquiétude de l’elfe, quand Ivan s’était approché dangereusement de la graine, et de l’envie compulsive qu’elle avait perçu chez elle, celle de le tuer en hurlant pour exorciser tout ce qu’il lui inspirait. Fidèle jusqu’à l’obsession, Siame avait le sentiment de redécouvrir à travers elle ce qu’était la foi aveugle. Elle-même n’avait jamais vraiment eu ce luxe. En tant qu’Ange, en tant que Création de sa Mère, croire n’avait jamais signifié la même chose pour elle.
Siame avait fini par la rejoindre. Les veines noires qui avaient envahi son visage se dissipèrent, mais l’écho de la Corruption continuait à briller dans le fond de son regard. Elle la remercia d’un mouvement du menton.
— J’aimerais que nous plantions la graine au centre du village, demain, au coucher du soleil. Quand sa sœur et Qultarn serait de retour de leur expédition. Là où tout le monde pourra la voir. Elle laissa flotter un silence entre elles. Je sais ce que tu penses. Que c’est trop risqué… Ses yeux glissèrent sur le sol battu de la place. Mais c’est ici qu’ils se rassemblent, le soir. C’est ici que leur espoir prend vie. Je veux qu’ils le regardent, lorsqu’ils parleront ensemble de leur avenir. Et qu’ils se souviennent que cet Arbre – cet arbre que nous leur avons amené – leur a offert la force de résister. Que cette graine – cette minuscule graine – a été leur chance de se reconstruire. Elle coula un regard mesuré à l’elfe. Je superviserai la cérémonie, mais j’aimerais que tu sois celle qui plante cette graine. Toi et l’enfant, ensemble. Que le geste marque leur histoire, et que ce gamin s’en fasse la mémoire. Qu’ils continuent de l’appeler bénédiction ou malédiction, cela ne fera plus aucune différence.
C’était là toute la beauté de la chose. Les Affranchis n’avaient pas encore compris que leur choix était illusoire. Que cette Corruption, ils finiraient par la vénérer : par crainte ou par gratitude. L’Arbre ne ferait pas de distinction entre les fidèles et les dissidents. Tous finiraient par être liés à ses racines... d’une manière ou d’une autre.
Même Ivan, qui les regardait, l'œil mauvais.
Le regard que lui glisse l’Ange a raison de son hostilité, pour ce soir. Il se redresse de la poutre pourrie contre laquelle il est adossé avant de quitter les lieux.
(...)
Dans le maigre confort de son habitation, le regard fixé sur la lueur vacillante d’une bougie, Ivan ruminait. Demain, la graine serait plantée. Il savait bien que c’était le pire moment pour tenter quoi que ce soit, mais n’avait pas d’autres choix. L’elfe surveillait cette foutue graine jour comme nuit. C’était du suicide – oui – mais il n’y a rien qu’il n’aurait pas fait pour son fils. Les mots de la Prophétesse résonnaient encore dans sa tête, sa voix glaciale, et les visions qu’elle lui avait offertes. Des promesses. Mais surtout, des menaces voilées. Il n’était pas dupe. Il était peut-être encore le seul ici à les voir pour ce qu’ils étaient vraiment. Même le Patriarche avait fini par se laisser corrompre, influencé par la créature maudite et ses hideuses promesses. L’homme sentit une colère sourde lui prendre la gorge. Ils les avaient vendus. Et demain, ils perdraient eux aussi ce qui leur restait de leur humanité.
Alors, Ivan avait pris sa décision. Demain, lors de la cérémonie, quand le vent serait chargé de l’odeur de la terre fraîchement retournée, il passerait à l’action. Il avait toutes les chances d’échouer—mais s’il existait réellement des Dieux en ce moment, s’il avait une infime chance de réussir, cette graine ne serait jamais plantée. L’Arbre resterait une légende, une promesse non tenue. Peut-être réussirait-il aussi à emporter l’un d’Eux avec lui. Alors, le reste du village finirait par ouvrir les yeux. Et s’ils ne le faisaient pas, tant pis, il partirait avec la certitude de les avoir sauvés. D’avoir sauvé son fils. Sohanne s’occuperait de lui, elle lui avait promis. Il serra le poing sur le médaillon de sa femme, enracinant sa décision de son souvenir, cherchant du courage dans ce talisman qui semblait, à cet instant, cruellement futile. S’il échouait, le village serait condamné. Son fils serait condamné.
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Malazach
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A l'ouest du village, près de ses pseudo-remparts, il y avait un arbuste solitaire où se ressemblaient ceux qui devaient remplir le rôle de musicien au sein de ce microcosme arriéré. Un quatuor d'hommes et de femmes au teint assombri par le soleil ayant un jour chauffé ces terres, dans la trentaine, s'amusant à arracher quelques notes discordantes à leurs instruments grotesques. Les autres habitants allaient parfois y prêter une oreille distraite, leur absence totale de connaissance musicale ou même culturelle leur permettant probablement de survivre à la cacophonie. C'était un lieu de paix, fréquenté exclusivement aux heures de fin de labeur, où quelques couples s'efforçaient de trouver en eux un semblant de romantisme et où quelques enfants venaient s'amuser sous le regard d'ancêtres aux sourcils froncés. Il n'y avait jamais plus d'une quinzaine d'âmes, ici-bas, mais les rires et les chansons qui s'extirpaient de ce minuscule quartier avaient le mérite de donner le sourire aux passants.
Le Patriarche retrouva l'Ange Noir là-bas. Malazach se tenait légèrement en retrait, assis sur une roche lisse dépassant du sol au croisement de deux sentiers. Et il n'était pas seul.
A l'entente du staccato irrégulier causé par le bâton du mage à chaque fois que ce dernier heurtait le sol, les lèvres de Malazach cessèrent de se mouvoir pour se figer dans un sourire à la bienveillance que l'ancêtre savait feinte. Sylvia, fille d'Armand le forgeron et Blanche, sœur du Martyr David, se redressèrent en rougissant stupidement.
“-Patriarche.” Saluèrent-elles lorsqu'il arriva à leur niveau. Le vieillard leur rendit le salut d'un hochement de tête, puis elles s'éclipsèrent en pouffant.
“-Au moins vous faites l'effort de charmer des adultes.” Commença-t-il. D'un mouvement de main agacé, le Patriarche refusa à l'Ange la place assise qu'il lui cédait. “Je ne peux pas en dire autant de vos harpies.
-Les motivations de la Prophétesse sont semblables aux miennes, mais je ne la dirige aucunement.”
Un souffle amusé s’extirpa du chef de village.
“-Qu'en est-il de la prêtresse? Celle aux cheveux clairs.”
Malazach sembla soupeser la question, un rire dans le regard.
“-C’est l’arbre-monde qui la guide, désormais.
-Et qui l’a placé sous ses branches?”
Tandis qu’ils discutaient, son attention s’était petit-à-petit portée sur la bande de musiciens occupée à chanter une ballade qu'il ne connaissait que trop bien, lui évoquant une époque plus heureuse.
“-Probablement quelqu’un d’avisé.” Ironisa l’Ange à ses côtés.
Les paroles, marmonnées plus que chantées, abordaient la gloire des premiers jours de Shoumeï et du premier Haut Prêtre Satoshi. Pour évoquer tout regain de ferveur religieuse parmi les habitants, certains morceaux du texte avaient été…Ecourtés.
“-Alors c'est le grand soir.”
Malazach acquiesça. Lui aussi, fixait les musiciens. Et la façon que ses yeux avaient de se plisser subrepticement à l’entente de quelques passages impliquait qu’il connaissait tout aussi bien la chanson originale.
“-Inquiet?
-Evidemment.”
Un silence tout relatif s'installa entre eux. Jusqu’à ce que Malazach ne le brise.
“-Les radicaux que vous aviez pris l’habitude de craindre jusqu’alors viendront s’humilier à baiser vos pieds sitôt que le bourgeon aura pris racine dans le cœur de vos protégés.
-La vie n’est pas qu’une question de pouvoir.” Rétorqua simplement le vieux.
Le silence, de nouveau.
“-Dans votre monde, peut-être.” Conclut-il, les mains jointes.
Le crépuscule approchait. La pénombre, certes moins étouffante ici que dans le reste des Terres Désolées, demanderait tout de même aux mortels torches et regards plissés pour espérer se repérer sans se tordre les chevilles ou trébucher le long des chemins étroits au sol inégal. Pour pallier ça, chacun des sentiers menant au lieu de la plantaison s’étaient vus balisés de chandelles et de cierges. Un trio de gardes noirs précédaient Malazach alors qu’il marchait sereinement jusqu’à l’emplacement de ce qui deviendrait l’épicentre de tout. Les mains jointes, couvertes par les larges manches de son habit monacale, l’Ange enjamba quelques bougies que personne n’avait encore pris la peine d’allumer pour se trouver une place de choix dans la future consécration. Sur son passage, un quatuor d’enfants ricanant de leurs propres insouciances se scinda pour se reformer quelques mètres derrière. Sans grande surprise, les serfs mortels provenant de Bénédictus attendaient déjà, à une distance respectable, à genoux dans la terre noire, que les préparatifs se terminent et qu’enfin le fils de l’Arbre Monde soit mis en terre. Il ne se tiendrait pas parmi eux, ce soir. Sa place était aux côtés du Patriarche, à surveiller ses réactions jusqu’à ce que l’inimaginable se concrétise et que le fils d’un dieu végétal ne plante ses racines en ces lieux maudits par les dieux eux-mêmes. L’inquiétude du vieillard avait fini par devenir contagieuse pour une partie de ses plus proches alliés. Quelques uns des combattants mortels voyaient leurs phalanges blanchir sous la pression qu’ils exercaient sur la hampe de leurs propres lances de fortunes et les fronts se plissaient invariablement à chaque fois qu’une pulsation s’extirpait de la cosse. Maintenant, le vieux faisait les cents pas aussi rapidement que sa condition d’ancêtre le lui permettait, dans sa chambre. Qu’importe, Malazach savait que le Patriarche viendrait observer la scène, à la fin. Un esprit aussi vif que le sien ne pouvait se résoudre à imaginer. Il devait voir. Confirmer ses doutes. Ses hypothèses.
Et pourquoi pas récolter une part de gloire ou d’infamie au passage.
Jadis, à l’époque honnie du Nouvel Ordre, Malazach aurait présidé lui-même le rituel. Avide de vénération, de genoux pliés en son honneur, de la soumission des mortels, il aurait imaginé un millier de formules complexes et d’invocations pour rendre cette folie grandiose et s’accaparer…Tout.
Mais les temps avaient changé. Le trône, on le lui avait attribué d’office, sans discuter. Et son expérience lui dictait de ne pas se laisser devenir un monarque trop avare de reconnaissance
D’autant qu’il n’attribuait qu’une confiance ténue en l’Arbre-Monde et en l’esprit sombre qui empoisonnait ses racines.
Du coin de l’oeil, l’Ange Noir remarqua que les portes du village s’ouvraient pour accueillir messagers et accompagnateurs. La plus sublime des reconnaissances se fraya un chemin sur les traits sévères du cardinal lorsque son regard acéré remarqua parmi les mortels la Réincarnée et l’envoyé de Zeï.
A en juger l’absence de mines sombres autour d’eux, les nouvelles étaient bonnes. Évidemment. Il ne doutait pas qu’un ramassis de primates à peine extirpés de l’âge du cuivre puissent ne serait-ce que s’opposer à eux.
Une odeur de cire brûlée emplit ses sens et son regard se détourna des nouveaux arrivants pour lorgner du côté de la fosse encerclée de bougies que finissaient de creuser les serfs mortels. Malgré la chaleur étouffante et l’épaisse pellicule de sueur ne cessant de goutter de leurs visages plissés par l’effort, aucun nuage de mouches ou de moustiques ne venait se risquer autour du futur épicentre. Si les frères et sœurs de Son Père surveillaient la scène depuis les cieux, alors celui dont Sublime se faisait le héraut était indubitablement absent.
Un rire discret secoua son torse en faisant sursauter un duo de passants. Evidemment, Le Monstre choisissait de ne rien voir.
Puisque les filles retrouvées de la Perfection remplissaient de nouveau leurs devoirs.
Le Patriarche retrouva l'Ange Noir là-bas. Malazach se tenait légèrement en retrait, assis sur une roche lisse dépassant du sol au croisement de deux sentiers. Et il n'était pas seul.
A l'entente du staccato irrégulier causé par le bâton du mage à chaque fois que ce dernier heurtait le sol, les lèvres de Malazach cessèrent de se mouvoir pour se figer dans un sourire à la bienveillance que l'ancêtre savait feinte. Sylvia, fille d'Armand le forgeron et Blanche, sœur du Martyr David, se redressèrent en rougissant stupidement.
“-Patriarche.” Saluèrent-elles lorsqu'il arriva à leur niveau. Le vieillard leur rendit le salut d'un hochement de tête, puis elles s'éclipsèrent en pouffant.
“-Au moins vous faites l'effort de charmer des adultes.” Commença-t-il. D'un mouvement de main agacé, le Patriarche refusa à l'Ange la place assise qu'il lui cédait. “Je ne peux pas en dire autant de vos harpies.
-Les motivations de la Prophétesse sont semblables aux miennes, mais je ne la dirige aucunement.”
Un souffle amusé s’extirpa du chef de village.
“-Qu'en est-il de la prêtresse? Celle aux cheveux clairs.”
Malazach sembla soupeser la question, un rire dans le regard.
“-C’est l’arbre-monde qui la guide, désormais.
-Et qui l’a placé sous ses branches?”
Tandis qu’ils discutaient, son attention s’était petit-à-petit portée sur la bande de musiciens occupée à chanter une ballade qu'il ne connaissait que trop bien, lui évoquant une époque plus heureuse.
“-Probablement quelqu’un d’avisé.” Ironisa l’Ange à ses côtés.
Les paroles, marmonnées plus que chantées, abordaient la gloire des premiers jours de Shoumeï et du premier Haut Prêtre Satoshi. Pour évoquer tout regain de ferveur religieuse parmi les habitants, certains morceaux du texte avaient été…Ecourtés.
“-Alors c'est le grand soir.”
Malazach acquiesça. Lui aussi, fixait les musiciens. Et la façon que ses yeux avaient de se plisser subrepticement à l’entente de quelques passages impliquait qu’il connaissait tout aussi bien la chanson originale.
“-Inquiet?
-Evidemment.”
Un silence tout relatif s'installa entre eux. Jusqu’à ce que Malazach ne le brise.
“-Les radicaux que vous aviez pris l’habitude de craindre jusqu’alors viendront s’humilier à baiser vos pieds sitôt que le bourgeon aura pris racine dans le cœur de vos protégés.
-La vie n’est pas qu’une question de pouvoir.” Rétorqua simplement le vieux.
Le silence, de nouveau.
“-Dans votre monde, peut-être.” Conclut-il, les mains jointes.
Le crépuscule approchait. La pénombre, certes moins étouffante ici que dans le reste des Terres Désolées, demanderait tout de même aux mortels torches et regards plissés pour espérer se repérer sans se tordre les chevilles ou trébucher le long des chemins étroits au sol inégal. Pour pallier ça, chacun des sentiers menant au lieu de la plantaison s’étaient vus balisés de chandelles et de cierges. Un trio de gardes noirs précédaient Malazach alors qu’il marchait sereinement jusqu’à l’emplacement de ce qui deviendrait l’épicentre de tout. Les mains jointes, couvertes par les larges manches de son habit monacale, l’Ange enjamba quelques bougies que personne n’avait encore pris la peine d’allumer pour se trouver une place de choix dans la future consécration. Sur son passage, un quatuor d’enfants ricanant de leurs propres insouciances se scinda pour se reformer quelques mètres derrière. Sans grande surprise, les serfs mortels provenant de Bénédictus attendaient déjà, à une distance respectable, à genoux dans la terre noire, que les préparatifs se terminent et qu’enfin le fils de l’Arbre Monde soit mis en terre. Il ne se tiendrait pas parmi eux, ce soir. Sa place était aux côtés du Patriarche, à surveiller ses réactions jusqu’à ce que l’inimaginable se concrétise et que le fils d’un dieu végétal ne plante ses racines en ces lieux maudits par les dieux eux-mêmes. L’inquiétude du vieillard avait fini par devenir contagieuse pour une partie de ses plus proches alliés. Quelques uns des combattants mortels voyaient leurs phalanges blanchir sous la pression qu’ils exercaient sur la hampe de leurs propres lances de fortunes et les fronts se plissaient invariablement à chaque fois qu’une pulsation s’extirpait de la cosse. Maintenant, le vieux faisait les cents pas aussi rapidement que sa condition d’ancêtre le lui permettait, dans sa chambre. Qu’importe, Malazach savait que le Patriarche viendrait observer la scène, à la fin. Un esprit aussi vif que le sien ne pouvait se résoudre à imaginer. Il devait voir. Confirmer ses doutes. Ses hypothèses.
Et pourquoi pas récolter une part de gloire ou d’infamie au passage.
Jadis, à l’époque honnie du Nouvel Ordre, Malazach aurait présidé lui-même le rituel. Avide de vénération, de genoux pliés en son honneur, de la soumission des mortels, il aurait imaginé un millier de formules complexes et d’invocations pour rendre cette folie grandiose et s’accaparer…Tout.
Mais les temps avaient changé. Le trône, on le lui avait attribué d’office, sans discuter. Et son expérience lui dictait de ne pas se laisser devenir un monarque trop avare de reconnaissance
D’autant qu’il n’attribuait qu’une confiance ténue en l’Arbre-Monde et en l’esprit sombre qui empoisonnait ses racines.
Du coin de l’oeil, l’Ange Noir remarqua que les portes du village s’ouvraient pour accueillir messagers et accompagnateurs. La plus sublime des reconnaissances se fraya un chemin sur les traits sévères du cardinal lorsque son regard acéré remarqua parmi les mortels la Réincarnée et l’envoyé de Zeï.
A en juger l’absence de mines sombres autour d’eux, les nouvelles étaient bonnes. Évidemment. Il ne doutait pas qu’un ramassis de primates à peine extirpés de l’âge du cuivre puissent ne serait-ce que s’opposer à eux.
Une odeur de cire brûlée emplit ses sens et son regard se détourna des nouveaux arrivants pour lorgner du côté de la fosse encerclée de bougies que finissaient de creuser les serfs mortels. Malgré la chaleur étouffante et l’épaisse pellicule de sueur ne cessant de goutter de leurs visages plissés par l’effort, aucun nuage de mouches ou de moustiques ne venait se risquer autour du futur épicentre. Si les frères et sœurs de Son Père surveillaient la scène depuis les cieux, alors celui dont Sublime se faisait le héraut était indubitablement absent.
Un rire discret secoua son torse en faisant sursauter un duo de passants. Evidemment, Le Monstre choisissait de ne rien voir.
Puisque les filles retrouvées de la Perfection remplissaient de nouveau leurs devoirs.
✞✞✞ Malazach est Maudit ✞✞✞
-Les pratiquants du Culte des Ombres et les adeptes du Divinisme le voient comme un ange resplendissant.
-Les adeptes du Shierak et les athées, eux, le voient tel qu'il est véritablement ; une créature aussi famélique que sinistre.
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Qultarn
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Info personnage
Race: Drakyn
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: D
Le retour s’était déroulé comme l’aller : sans la moindre anicroche, et à part sur certains tronçons, les plus éloignés des deux villages, où il avait fallu faire preuve de calme et de silence alors que les voyageurs parcouraient un territoire moins maîtrisé et sur lequel des attaques de béhémoths avaient été déclarées, ils avaient pu discuter à bâtons rompus de la nature qui les entourait, des liens entre les deux villages, et de leurs rêves pour l’avenir. Jerek s’était laissé distancer, quand la conversation était parti sur ce terrain, avant de les retrouver pour un en-cas rapide en milieu d’après-midi.
Qultarn s’y perdait dans les liens familiaux et amicaux ou, plus rarement, les embrouilles qui pouvaient exister entre deux familles pour un mouton perdu ou volé, un champ dont un parti jurait que les pierres de délimitation avaient été déplacées dans la nuit, ou l’eau d’un puit qui aurait été volée par les uns ou les autres. Tous ces points avaient le goût de la poussière dérangée à intervalles réguliers mais jamais évacuée, en attendant d’être ressortie et paradée à un dîner de famille ou un festival local. Et, pourtant, cela semblait toujours plus intéressant que les liens matrimoniaux qui unissaient les deux communautés, où Amir passait de prénom en prénom, que les générations se croisaient sans cesse, et que le cousin de la belle-soeur de l’oncle du grand-père...
Qultarn hocha la tête distraitement.
Heureusement, ils arrivèrent enfin au village, celui qui aurait la chance d’accueillir le Bourgeon. Déjà, le drakyn ressentait à nouveau la pulsation régulière de l’Arbre-Monde, comme un battement qui venait se mêler au sien. A nouveau, une forme de sérénité l’envahit, et il laissa un vague sourire apparaître sur ses lèvres. Il ne s’était rien passé de grave, et s’il n’avait pas été particulièrement inquiet du fait de la présence des anges et de la prêtresse, ainsi que de la Garde Noire dont il connaissait l’efficacité guerrière, il n’avait pu empêcher l’ombre d’un doute de planer au-dessus de lui.
Après avoir passé les grandes portes, ils furent immédiatement accueillis par une batterie d’enfants qui se jetèrent dans les jambes des éclaireurs et des membres de l’autre village. Il ne fallut que quelques instants de plus pour que les autres adultes, qui semblaient être en train de tourner en rond autour de la partie centrale, ne viennent aux nouvelles, autant pour les avoir que pour passer le temps à mesure que les préparatifs de la cérémonie avançaient. Car c’était bien cela, le son des cordes, et d’un flutiau asthmatique, ainsi que quelques tam-tams frappés de façon hasardeuse.
« Juste à temps pour le grand final, alors ? Souffla Qultarn à Phèdre. »
Le Haut-Cardinal était déjà placé au milieu des bougies, à une place de choix pour observer la situation. Il attendait calmement, la parfaite représentation de la patience et de la bonté. Puis son attention fut captée par les chasseurs et guetteurs aux armes et armures dépenaillées qui traînaient en bordure, leurs lances et épées à portée de main, et donc les regards parcouraient continuellement la foule, s’arrêtant à chaque fois brièvement sur les représentants de la Volonté des Titans. Un léger fronçage de sourcil en s’arrêtant sur les fanatiques qui étaient déjà à genoux dans la poussière à méditer en psalmodiant des chants à la gloire des Dieux suffit à lui faire comprendre que la situation pouvait basculer.
Pourtant, la cohorte de Non-Vivants veillait probablement également au grain, se faisant discrète autour du Bourgeon, ou dans les allées qui menaient à la place sur laquelle tout le village commençait petit à petit à se rassembler. Tout donnait l’impression d’une tension contenue qui s’accumulait petit à petit, à mesure que le soleil descendait sur l’horizon, et si leur point de vue surélevé sur le promontoire leur octroirait quelques secondes de lumière supplémentaire, certains s’affairaient déjà à allumer les torches.
Le représentant du village voisin se rendit directement auprès du patriarche, et leurs messes basses commencèrent sans tarder alors même qu’avec Amir, Qultarn rejoignait les miliciens avec un large sourire et la démarche détendue. Au moindre faux-mouvement, de toute façon, sa magie suffirait à les déarmer, voire à les exécuter, mais cela placerait la cérémonie à venir sous de mauvais auspices. Il n’avait pas pu prendre les ordres du Cardinal ou de la Prophétesse, mais leur objectif final restait inchangé : planter le Bourgeon, et répandre l’influence de l’Arbre-Monde sur le Doreï.
« Alors ? Parés pour la cérémonie ? Demande le drakyn.
- ... Oui, marmonna l’un en retour.
- Fin prêts, fit un autre.
- Ils se sont jetés sur les peaux de loups, vous auriez dû voir ça ! Lâcha Armir, peut-être insensible à la tension sous-jacente.
- On a fait de bonnes affaires, ajouta Qultarn sans en avoir la moindre idée.
- Tant mieux, répondit Semek en reportant son attention sur leur duo. »
Alors qu’Amir commençait à raconter leur épopée, ou en tout cas c’était comme cela qu’il le présentait, l’ex-brigand crocheta ses pouces dans sa ceinture et arrêta le joueur de flûtiau quand il passa à côté de lui. Il montra l’instrument, se frappa doucement la poitrine. Avec un rire réjoui, il lui tendit l’objet avec de trotter pour rattraper les autres, et attraper un petit pain fourré qui venait de sortir du four. Avec un grognement, Qultarn retira ses gantelets, les calant contre son fourreau, et essuya le bec humide de salive.
Puis il y posa doucement ses lèvres, ses gros doigts trouvant les trous par habitude, avant de tirer quelques notes hésitantes qui lui permirent de jauger de la médiocre facture de l’objet. Puis il souffla un air un peu plus enjoué, le genre qu’on entendait sur toutes les escales de caravaniers, et dans les festivals de Maël. S’il n’avait pas la prétention d’être un joueur expérimenté, il parvenait tout de même à sortir des trilles suffisamment convaincants pour arracher un sourire à Amir, aux musiciens qui reprirent leurs propres ustensils pour l’accompagner, ainsi qu’aux gardes qui semblaient soulagés de ne plus avoir sa présence qui les surplombait d’aussi près.
Et, pourtant, il était toujours aussi prêt.
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Valmyria
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Phèdre
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Phèdre se fendit d’un charmant sourire en franchissant les grandes portes du village.
- Ils n’auraient pas osé commencer sans nous. Lui répondit-elle sur le même ton avant de se laisser glisser de sa selle. Délaissant les rênes à un villageois qui passait trop près d’elle, Phèdre abandonna un Qultarn qui s’était déjà détourné pour faire le Haut-cardinal seul savait quoi. Par chance, elle remarqua que Jerek était peu ou prou trop occupé à discuter avec les siens de son retour et de ce qui s’était passé au second village pour faire attention à elle. Aussi, elle profita de ces instants d'inattention pour se fondre dans la foule des croyants qui se rendaient auprès du bourgeon.
C’était une étrange sensation que d’avoir l’impression d’être renvoyé un millénaire en arrière, à une époque où le respect qui lui était voué était digne des grands de ce monde. Tout était à la fois complètement différent et extrêmement similaire. Sauf qu’aujourd’hui, Phèdre ne faisait plus partie des pions les plus importants de l'échiquier. Autrefois ange, elle n’était désormais rien de plus qu’une mortelle que chaque seconde faisait faner un peu plus plus. Moins d’un demi millénaire s’écoulerait pour qu’elle ne rende une seconde fois son dernier souffle. Comment faisaient-ils, tous ces gens, pour accepter une telle fatalité ? Au moins avait-elle la chance d’avoir hérité d’une longévité à peu près acceptable, si Eris s’était avéré humaine, elle serait simplement morte sans avoir eu ne serait-ce que le temps que de prendre conscience qu’elle était plus qu’une simple mortelle et qu’un passé de plusieurs millénaires se traînait à sa cheville comme autant de vieilles casseroles. Sans avoir sut que sa sœur était en vie et qu’elle avait souffert milles maux en son absence. Quelque chose en elle songea que, peut-être, il eut été mieux que cela se passe ainsi. Mais elle étouffa cette pensée avec colère.
Longeant les ruelles au même rythme que les fidèles, Phèdre se déploya avec les autres en corolle autour du bourgeon. C’était une étrange vision ainsi que d’étranges pétales d’hommes et de femmes qui se formaient autour de lui. Les bougies, illuminant de leurs lueurs vacillantes les pourtours faisaient danser des ombres sur les visages dégoulinant de ferveur. Certains étaient déjà à genoux, psalmodiant, marmonnant. Et au devant, au plus près du rejeton de l’arbre : les siens. Valmyria dont la ferveur presque folle se lisait dans ses yeux et qui accrocha son regard, lui offrant un sourire auquel elle répondit après une brève hésitation -elles n’avaient jamais échangé plus de trois mots-, Siame drapée de toute sa dignité, dont les yeux en silex semblaient capable de voir en chacun des présents et Malazach écrasant par sa seule présence. Phèdre resta un moment en retrait à les observer avant de daigner avancer dans leur direction sans pour autant se fondre dans leur masse. Elle prit sa place, le dos droit, l'œil alerte et se tut.
Tout avait déjà été prévu ou, si ça n’avait pas été le cas, tout semblait se dérouler avec une certaine perfection. Néanmoins, tout commença véritablement à la venue d’un enfant dont la présence eut la fâcheuse tendance d’hérisser Phèdre qui se contracta. Lançant une œillade à sa sœur, elle chercha une réponse dans ses yeux mais n'obtint rien de plus. Mutique, elle força son attention à revenir vers l’elfe dont l’épée s’était échappée du fourreau et était sur le point de venir entailler la paume du petit garçon. Et lorsqu’elle le fit, Phèdre détourna les yeux, le teint soudainement bien pâle. Son cœur battait la chamade et une sueur froide s’était mise à ramper le long de son échine, obscur fantôme d’un passé oublié. Jusqu’à ce qu’un éclat de voix ne lui fasse relever la tête.
Le père de l’enfant, semblait-il, rendu fou que ce soit par la raison ou la corruption avait fait irruption. Phèdre fit naturellement un pas en avant, une attaque mentale réglerait aisément ce désagrément mais le geste de Valmyria la convainquit de rester en retrait. Tout se passa très vite, il y eut d’abord quelques échanges de mots dont l'intonation ne laissait que peu de place au doute puis l’homme leva l’épée au dessus de sa tête près à frapper l’elfe qui n’en avait visiblement cure alors qu’elle aurait pu s’en protéger si facilement. Phèdre hésita à nouveau à intervenir mais ce fut à cet instant que la silhouette chétive de l’enfant s’élança, mû par la corruption probablement plus que par une quelconque envie. La lame pénétra la chair dans un chuintement caractéristique et la demi-sang recula d’un pas, comme bousculée. A nouveau, son regard fila à la rencontre de celui de sa sœur pour comprendre, ou peut-être pour se rassurer, mais elle ne la regardait pas.
Des hommes trainèrent le corps au-dessus du bourgeon et bientôt ce qui était encore humain devint… Autre chose. La curiosité de Phèdre la força à regarder. Une part d’elle était fascinée par le spectacle aussi étrange qu’horrible qui se dessinait sous ses yeux. La grandeur des huit n’avait de cesse de la surprendre, même après tout ce temps, même après qu’ils aient été mis en échec au point que certains les pensaient défait, ils ne cessaient pas d’exister, ils ne les abandonnaient pas. Jamais. Pourtant, ce fut bien de la peur qui lui vrilla les tripes.
Alors Phèdre se mura dans le silence, s’agrippa à son esprit de toutes ses forces et endura la cérémonie tant bien que mal.
- Ils n’auraient pas osé commencer sans nous. Lui répondit-elle sur le même ton avant de se laisser glisser de sa selle. Délaissant les rênes à un villageois qui passait trop près d’elle, Phèdre abandonna un Qultarn qui s’était déjà détourné pour faire le Haut-cardinal seul savait quoi. Par chance, elle remarqua que Jerek était peu ou prou trop occupé à discuter avec les siens de son retour et de ce qui s’était passé au second village pour faire attention à elle. Aussi, elle profita de ces instants d'inattention pour se fondre dans la foule des croyants qui se rendaient auprès du bourgeon.
C’était une étrange sensation que d’avoir l’impression d’être renvoyé un millénaire en arrière, à une époque où le respect qui lui était voué était digne des grands de ce monde. Tout était à la fois complètement différent et extrêmement similaire. Sauf qu’aujourd’hui, Phèdre ne faisait plus partie des pions les plus importants de l'échiquier. Autrefois ange, elle n’était désormais rien de plus qu’une mortelle que chaque seconde faisait faner un peu plus plus. Moins d’un demi millénaire s’écoulerait pour qu’elle ne rende une seconde fois son dernier souffle. Comment faisaient-ils, tous ces gens, pour accepter une telle fatalité ? Au moins avait-elle la chance d’avoir hérité d’une longévité à peu près acceptable, si Eris s’était avéré humaine, elle serait simplement morte sans avoir eu ne serait-ce que le temps que de prendre conscience qu’elle était plus qu’une simple mortelle et qu’un passé de plusieurs millénaires se traînait à sa cheville comme autant de vieilles casseroles. Sans avoir sut que sa sœur était en vie et qu’elle avait souffert milles maux en son absence. Quelque chose en elle songea que, peut-être, il eut été mieux que cela se passe ainsi. Mais elle étouffa cette pensée avec colère.
Longeant les ruelles au même rythme que les fidèles, Phèdre se déploya avec les autres en corolle autour du bourgeon. C’était une étrange vision ainsi que d’étranges pétales d’hommes et de femmes qui se formaient autour de lui. Les bougies, illuminant de leurs lueurs vacillantes les pourtours faisaient danser des ombres sur les visages dégoulinant de ferveur. Certains étaient déjà à genoux, psalmodiant, marmonnant. Et au devant, au plus près du rejeton de l’arbre : les siens. Valmyria dont la ferveur presque folle se lisait dans ses yeux et qui accrocha son regard, lui offrant un sourire auquel elle répondit après une brève hésitation -elles n’avaient jamais échangé plus de trois mots-, Siame drapée de toute sa dignité, dont les yeux en silex semblaient capable de voir en chacun des présents et Malazach écrasant par sa seule présence. Phèdre resta un moment en retrait à les observer avant de daigner avancer dans leur direction sans pour autant se fondre dans leur masse. Elle prit sa place, le dos droit, l'œil alerte et se tut.
Tout avait déjà été prévu ou, si ça n’avait pas été le cas, tout semblait se dérouler avec une certaine perfection. Néanmoins, tout commença véritablement à la venue d’un enfant dont la présence eut la fâcheuse tendance d’hérisser Phèdre qui se contracta. Lançant une œillade à sa sœur, elle chercha une réponse dans ses yeux mais n'obtint rien de plus. Mutique, elle força son attention à revenir vers l’elfe dont l’épée s’était échappée du fourreau et était sur le point de venir entailler la paume du petit garçon. Et lorsqu’elle le fit, Phèdre détourna les yeux, le teint soudainement bien pâle. Son cœur battait la chamade et une sueur froide s’était mise à ramper le long de son échine, obscur fantôme d’un passé oublié. Jusqu’à ce qu’un éclat de voix ne lui fasse relever la tête.
Le père de l’enfant, semblait-il, rendu fou que ce soit par la raison ou la corruption avait fait irruption. Phèdre fit naturellement un pas en avant, une attaque mentale réglerait aisément ce désagrément mais le geste de Valmyria la convainquit de rester en retrait. Tout se passa très vite, il y eut d’abord quelques échanges de mots dont l'intonation ne laissait que peu de place au doute puis l’homme leva l’épée au dessus de sa tête près à frapper l’elfe qui n’en avait visiblement cure alors qu’elle aurait pu s’en protéger si facilement. Phèdre hésita à nouveau à intervenir mais ce fut à cet instant que la silhouette chétive de l’enfant s’élança, mû par la corruption probablement plus que par une quelconque envie. La lame pénétra la chair dans un chuintement caractéristique et la demi-sang recula d’un pas, comme bousculée. A nouveau, son regard fila à la rencontre de celui de sa sœur pour comprendre, ou peut-être pour se rassurer, mais elle ne la regardait pas.
Des hommes trainèrent le corps au-dessus du bourgeon et bientôt ce qui était encore humain devint… Autre chose. La curiosité de Phèdre la força à regarder. Une part d’elle était fascinée par le spectacle aussi étrange qu’horrible qui se dessinait sous ses yeux. La grandeur des huit n’avait de cesse de la surprendre, même après tout ce temps, même après qu’ils aient été mis en échec au point que certains les pensaient défait, ils ne cessaient pas d’exister, ils ne les abandonnaient pas. Jamais. Pourtant, ce fut bien de la peur qui lui vrilla les tripes.
Alors Phèdre se mura dans le silence, s’agrippa à son esprit de toutes ses forces et endura la cérémonie tant bien que mal.
Prophétesse
Siame
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Rang: B - Cardinal
Peut-être qu’Ivan avait raison, tout du long.
Oui, peut-être qu’Ivan avait raison et que ce soit le cas ne fît aucune différence. Parce que ça n’avait jamais été la question : tout n’avait jamais été rien de plus, rien de moins qu’une question de pouvoir. C’est ainsi que les Titans avaient un jour pris le contrôle de ce Monde, c’est ainsi que les Hommes faisaient régner leur autorité.
Dans l’ombre dansante des torches, Siame se tenait droite. Elle présidait la cérémonie avec une gravité qui n’appartenait qu’aux immortels—qui évoquait autant de pureté que de fatigue millénaire. Sa voix – un coup de marteau sur une enclume invisible – accompagna les incantations de Valmyria.
— Cette graine porte plus qu’une promesse. C’est le témoignage de nos choix et de notre foi. Subrepticement, son regard glissa sur le Patriarche. Elle se nourrira de vérités, belles ou hideuses.
Siame n’avait jamais vu ce que les Mortels trouvaient de si formidable à vivre dans l’hypocrisie, comme ils le faisaient. Ce qu’elle lisait chez eux l’indignait la plupart du temps : peur, doute, désir inavoué d’échapper à la salissure des choix difficiles. Parce que refuser d’achever le mulot que le chat ramenait ne vous rendiez pas moins cruel—bien au contraire. Un silence grave avait suivi, ponctué seulement par le craquement des bougies. Elle fit un pas en arrière, ouvrant l’espace au centre à Valmyria, qui se tenait, solennelle, aux côtés de l’enfant. Dix ans à peine. Sa silhouette encore mal dessinée, des joues rosées, creusées : celles d’un enfant qui ne mangeait pas à sa faim. Et pourtant, il portait sa tâche comme un roi. Sans la moindre hésitation. Siame observa la Prêtresse poser une main sur l’épaule du garçon, l’accompagner tandis qu’il exécutait les gestes avec une concentration désespérée, comme si l’avenir du Sekaï entier reposait sur lui. Et dans un sens, c’était le cas. À quoi s’attendaient-ils ? À feindre de croire toutes les conneries sur l’innocence—comme si les innocents avaient un jour été épargnés. Ça n'avait jamais été le cas : sur aucune terre, dans aucune des nations qui peuplaient ce Monde. Parce qu’avoir raison ne faisait pas miraculeusement disparaître les assassins, les traîtres, les menteurs et les lâches. Les innocents tombaient en premier : mieux fallait-il encore leur donner les armes pour se défendre. Si l’Ange se confondait parfois à s’attendrir devant l’humain-trop-humain, elle n’en avait à ce jour rencontré qu’un seul lui ayant fait l’aveu d’une parfaite franchise : et il était tout l’inverse d’un Saint.
Oui, peut-être qu’Ivan avait raison, tout du long.
Si Siame désapprouvait – comment aurait-elle pu faire autrement ? – elle ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’au fond, il avait été le seul à s’accrocher à ses convictions—et à se battre pour ce qu’il croyait juste. Et pour ça, elle éprouva une forme de respect. C’était le côté malheureux de la chose : on avait rudement du mal à rencontrer l’honnêteté—cette même honnêteté qui vous envoyait directement au bûcher…
Et tout changea lorsque l’homme s’avança.
Trop tard, malheureusement. Parce que la graine de Corruption avait déjà été plantée : dans la terre, tout comme dans l’Âme de son propre fils. Le premier signe de vie était apparu – rapide comme une flèche – une tige, d’abord minuscule, de déployant pour former l’esquisse d’un tronc naissant. Siame aurait certainement bougé, tout comme le reste ici présent, si Valmyria en avait manifesté le moindre besoin. Mais elle était restée immobile : comme Malazach, qui, trop curieusement, restait en retrait ; comme sa sœur, dont le regard cherchait le sien en quête de réponse. En vérité, elle n’en avait pas la moindre à apporter, quand la scène se suffisait à elle-même. Quand Ivan mourut de la main de sa propre chair car il avait eu le malheur de vouloir lui retirer ce que l’enfant voyait à travers ce bourgeon : l’espoir d’un lendemain—que même son paternel n’avait pas eu la force de lui offrir. Si Ivan avait réellement aimé son fils, il aurait quitté Shoumei pour la République, comme tant d’autres. Mais Ivan, comme tous ici, avait fait un choix.
Peut-être était-ce là la raison pour laquelle Siame ne perçut ni tristesse, ni regret chez l’humain, lorsque la lame se planta dans son foie et que le sang éclaboussa ses joues creuses. Une vague de chaleur bouillonna dans les veines du gamin : une sensation qu’il n’avait jamais eue l’occasion d’éprouver auparavant. La Corruption. Elle se déversa chez lui comme une rivière. L’Ange avait vécu suffisamment longtemps pour savoir qu’une prière ne pouvait contrer la voracité du pouvoir brut. Pas même chez un enfant. Elle sut, à cet instant, qu’il protégerait l’arbre jusqu’à son dernier souffle. Envers et contre tous. La Prophétesse avait opiné lentement, lorsque Valmyria les avait questionnés—elle ne vit aucune raison de l’en priver, quand celle-ci avait mené la cérémonie avec un dévouement incomparable.
— “Elle se nourrira de vérités, belles ou hideuses.”
Le Patriarche s’était approché lentement de l’Ange, appuyé sur sa canne noueuse, le regard voilé d’un mélange d’appréhension et de reproches. L’aube projetait sur le vieillard une lumière crue, un peu laide, soulignant les plis de son visage fatigué. Siame, debout devant l’Arbre, ne se retourna pas immédiatement—fragilisant ses efforts d’engager la conversation.
Devant elle, la graine avait déjà poussé pour faire la taille d’un homme. Elle revit le corps d’Ivan, pris de spasme sous les incantations de la Prêtresse—pouvait désormais voir les traits de son visage grotesquement figés dans l’écorce. Il avait été consumé : littéralement. Les Affranchis pensaient certainement avoir encore le contrôle sur ce qu’ils avaient invoqué la veille. Mais la Corruption ne répondait à personne. Ne possédait ni maître, ni conscience dans le sens humain (trop humain) du terme. Juste une intention implacable—purement organique et dénuée de toute forme de remords.
— C’est donc cela. Une belle œuvre que vous avez présidée, n’est-ce pas ? Il ne fit aucun effort pour masquer l’antiphrase sous-jacente dans sa voix.
Et elle ne prit pas la peine de tourner la tête vers lui.
— Craignez-vous l'Arbre, Patriarche ? Les grandes décisions vous pèsent-elles soudainement ?
— Il ne s’agit pas de crainte. Il s’agit de précaution. Cet arbre ne fait aucune distinction entre le juste et l’injuste, entre les enfants et les vieillards.
Son reproche, subtilement formulé, invita l’Ange à se retourner enfin pour lui faire face. Il ne détourna pas le regard lorsqu’elle le harponna du sien.
— Il y a deux sortes de dirigeants dans ce Monde : ceux qui osent prendre le risque et ceux qui s’excusent de ne pas l’avoir fait. Et vous le savez, autrement, vous n’auriez jamais accepté cette graine, ni même la lourde tâche de choisir pour les hommes et les femmes de ce village. Pourtant, vous l’avez fait. Parce que vous savez tout aussi bien que moi qu’un monde sans danger n’a jamais existé. Et qu’il n’existe pas d’innocents sur le Sekaï : juste des créatures qui essaient de survivre. Ce Monde n’a jamais eu besoin d’un arbre pour se montrer cruel. Elle désigna du menton la clairière dévastée au-delà des habitations, par des bêtes dont l’enveloppe même échappait encore à leur compréhension. Vous vouliez une solution ? Nous vous l’avons donné. Maintenant, si vous cherchez quelqu’un à blâmer, regardez d’abord en vous-même. Vous avez fait ce choix. Comme tous ceux qui sont restés silencieux. Nous pouvons toujours comparer nos péchés, mais in fine, l’impulsion reste la même. Il y a dans le fond de ses yeux quelque chose d’un peu brute, un peu cruel, qui se mélange à une expression différente : la résignation froide de ceux habitués à la douleur—de ceux qui ont encaissé trop de coups et qui attendent le prochain.
Son regard glissa à nouveau sur l’Arbre, sur le visage déformé d’Ivan, hurlant aux Cieux, la gorge noué d’une pierre trop lourde à avaler. La terre encore tachée de sang. Elle n’avait jamais su ne pas mépriser ceux qui s’offraient le luxe d’hésiter sous couvert d’une pseudo-morale—ni avait jamais vu rien de moins, rien de plus qu’un moyen pour les lâches de se soustraire aux exigences de la réalité – crue, cruelle – et de se cacher derrière un simulacre de bienpensance. L’opportunité pour eux de continuer à se décerner des médailles qu’ils ne méritez pas.
— Une effigie, un avertissement, ou peut-être, simplement, une conséquence. Je ne suis pas encore certaine. Je vous laisse le soin de le découvrir. Je suis curieuse de voir ce que vous en ferait. Quant à nous, nous ne tarderons pas à vous quitter. Notre mission ici est achevée.
Non, Siame n’était pas encore certaine de comment elle tiendrait compte de l'événement, lorsqu’elle noircirait les pages pour le raconter. Elle se détourna du vieillard pour faire volte-face, à la recherche des siens.
Oui, peut-être qu’Ivan avait raison et que ce soit le cas ne fît aucune différence. Parce que ça n’avait jamais été la question : tout n’avait jamais été rien de plus, rien de moins qu’une question de pouvoir. C’est ainsi que les Titans avaient un jour pris le contrôle de ce Monde, c’est ainsi que les Hommes faisaient régner leur autorité.
Dans l’ombre dansante des torches, Siame se tenait droite. Elle présidait la cérémonie avec une gravité qui n’appartenait qu’aux immortels—qui évoquait autant de pureté que de fatigue millénaire. Sa voix – un coup de marteau sur une enclume invisible – accompagna les incantations de Valmyria.
— Cette graine porte plus qu’une promesse. C’est le témoignage de nos choix et de notre foi. Subrepticement, son regard glissa sur le Patriarche. Elle se nourrira de vérités, belles ou hideuses.
Siame n’avait jamais vu ce que les Mortels trouvaient de si formidable à vivre dans l’hypocrisie, comme ils le faisaient. Ce qu’elle lisait chez eux l’indignait la plupart du temps : peur, doute, désir inavoué d’échapper à la salissure des choix difficiles. Parce que refuser d’achever le mulot que le chat ramenait ne vous rendiez pas moins cruel—bien au contraire. Un silence grave avait suivi, ponctué seulement par le craquement des bougies. Elle fit un pas en arrière, ouvrant l’espace au centre à Valmyria, qui se tenait, solennelle, aux côtés de l’enfant. Dix ans à peine. Sa silhouette encore mal dessinée, des joues rosées, creusées : celles d’un enfant qui ne mangeait pas à sa faim. Et pourtant, il portait sa tâche comme un roi. Sans la moindre hésitation. Siame observa la Prêtresse poser une main sur l’épaule du garçon, l’accompagner tandis qu’il exécutait les gestes avec une concentration désespérée, comme si l’avenir du Sekaï entier reposait sur lui. Et dans un sens, c’était le cas. À quoi s’attendaient-ils ? À feindre de croire toutes les conneries sur l’innocence—comme si les innocents avaient un jour été épargnés. Ça n'avait jamais été le cas : sur aucune terre, dans aucune des nations qui peuplaient ce Monde. Parce qu’avoir raison ne faisait pas miraculeusement disparaître les assassins, les traîtres, les menteurs et les lâches. Les innocents tombaient en premier : mieux fallait-il encore leur donner les armes pour se défendre. Si l’Ange se confondait parfois à s’attendrir devant l’humain-trop-humain, elle n’en avait à ce jour rencontré qu’un seul lui ayant fait l’aveu d’une parfaite franchise : et il était tout l’inverse d’un Saint.
Oui, peut-être qu’Ivan avait raison, tout du long.
Si Siame désapprouvait – comment aurait-elle pu faire autrement ? – elle ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’au fond, il avait été le seul à s’accrocher à ses convictions—et à se battre pour ce qu’il croyait juste. Et pour ça, elle éprouva une forme de respect. C’était le côté malheureux de la chose : on avait rudement du mal à rencontrer l’honnêteté—cette même honnêteté qui vous envoyait directement au bûcher…
Et tout changea lorsque l’homme s’avança.
Trop tard, malheureusement. Parce que la graine de Corruption avait déjà été plantée : dans la terre, tout comme dans l’Âme de son propre fils. Le premier signe de vie était apparu – rapide comme une flèche – une tige, d’abord minuscule, de déployant pour former l’esquisse d’un tronc naissant. Siame aurait certainement bougé, tout comme le reste ici présent, si Valmyria en avait manifesté le moindre besoin. Mais elle était restée immobile : comme Malazach, qui, trop curieusement, restait en retrait ; comme sa sœur, dont le regard cherchait le sien en quête de réponse. En vérité, elle n’en avait pas la moindre à apporter, quand la scène se suffisait à elle-même. Quand Ivan mourut de la main de sa propre chair car il avait eu le malheur de vouloir lui retirer ce que l’enfant voyait à travers ce bourgeon : l’espoir d’un lendemain—que même son paternel n’avait pas eu la force de lui offrir. Si Ivan avait réellement aimé son fils, il aurait quitté Shoumei pour la République, comme tant d’autres. Mais Ivan, comme tous ici, avait fait un choix.
Peut-être était-ce là la raison pour laquelle Siame ne perçut ni tristesse, ni regret chez l’humain, lorsque la lame se planta dans son foie et que le sang éclaboussa ses joues creuses. Une vague de chaleur bouillonna dans les veines du gamin : une sensation qu’il n’avait jamais eue l’occasion d’éprouver auparavant. La Corruption. Elle se déversa chez lui comme une rivière. L’Ange avait vécu suffisamment longtemps pour savoir qu’une prière ne pouvait contrer la voracité du pouvoir brut. Pas même chez un enfant. Elle sut, à cet instant, qu’il protégerait l’arbre jusqu’à son dernier souffle. Envers et contre tous. La Prophétesse avait opiné lentement, lorsque Valmyria les avait questionnés—elle ne vit aucune raison de l’en priver, quand celle-ci avait mené la cérémonie avec un dévouement incomparable.
(...)
— “Elle se nourrira de vérités, belles ou hideuses.”
Le Patriarche s’était approché lentement de l’Ange, appuyé sur sa canne noueuse, le regard voilé d’un mélange d’appréhension et de reproches. L’aube projetait sur le vieillard une lumière crue, un peu laide, soulignant les plis de son visage fatigué. Siame, debout devant l’Arbre, ne se retourna pas immédiatement—fragilisant ses efforts d’engager la conversation.
Devant elle, la graine avait déjà poussé pour faire la taille d’un homme. Elle revit le corps d’Ivan, pris de spasme sous les incantations de la Prêtresse—pouvait désormais voir les traits de son visage grotesquement figés dans l’écorce. Il avait été consumé : littéralement. Les Affranchis pensaient certainement avoir encore le contrôle sur ce qu’ils avaient invoqué la veille. Mais la Corruption ne répondait à personne. Ne possédait ni maître, ni conscience dans le sens humain (trop humain) du terme. Juste une intention implacable—purement organique et dénuée de toute forme de remords.
— C’est donc cela. Une belle œuvre que vous avez présidée, n’est-ce pas ? Il ne fit aucun effort pour masquer l’antiphrase sous-jacente dans sa voix.
Et elle ne prit pas la peine de tourner la tête vers lui.
— Craignez-vous l'Arbre, Patriarche ? Les grandes décisions vous pèsent-elles soudainement ?
— Il ne s’agit pas de crainte. Il s’agit de précaution. Cet arbre ne fait aucune distinction entre le juste et l’injuste, entre les enfants et les vieillards.
Son reproche, subtilement formulé, invita l’Ange à se retourner enfin pour lui faire face. Il ne détourna pas le regard lorsqu’elle le harponna du sien.
— Il y a deux sortes de dirigeants dans ce Monde : ceux qui osent prendre le risque et ceux qui s’excusent de ne pas l’avoir fait. Et vous le savez, autrement, vous n’auriez jamais accepté cette graine, ni même la lourde tâche de choisir pour les hommes et les femmes de ce village. Pourtant, vous l’avez fait. Parce que vous savez tout aussi bien que moi qu’un monde sans danger n’a jamais existé. Et qu’il n’existe pas d’innocents sur le Sekaï : juste des créatures qui essaient de survivre. Ce Monde n’a jamais eu besoin d’un arbre pour se montrer cruel. Elle désigna du menton la clairière dévastée au-delà des habitations, par des bêtes dont l’enveloppe même échappait encore à leur compréhension. Vous vouliez une solution ? Nous vous l’avons donné. Maintenant, si vous cherchez quelqu’un à blâmer, regardez d’abord en vous-même. Vous avez fait ce choix. Comme tous ceux qui sont restés silencieux. Nous pouvons toujours comparer nos péchés, mais in fine, l’impulsion reste la même. Il y a dans le fond de ses yeux quelque chose d’un peu brute, un peu cruel, qui se mélange à une expression différente : la résignation froide de ceux habitués à la douleur—de ceux qui ont encaissé trop de coups et qui attendent le prochain.
Son regard glissa à nouveau sur l’Arbre, sur le visage déformé d’Ivan, hurlant aux Cieux, la gorge noué d’une pierre trop lourde à avaler. La terre encore tachée de sang. Elle n’avait jamais su ne pas mépriser ceux qui s’offraient le luxe d’hésiter sous couvert d’une pseudo-morale—ni avait jamais vu rien de moins, rien de plus qu’un moyen pour les lâches de se soustraire aux exigences de la réalité – crue, cruelle – et de se cacher derrière un simulacre de bienpensance. L’opportunité pour eux de continuer à se décerner des médailles qu’ils ne méritez pas.
— Une effigie, un avertissement, ou peut-être, simplement, une conséquence. Je ne suis pas encore certaine. Je vous laisse le soin de le découvrir. Je suis curieuse de voir ce que vous en ferait. Quant à nous, nous ne tarderons pas à vous quitter. Notre mission ici est achevée.
Non, Siame n’était pas encore certaine de comment elle tiendrait compte de l'événement, lorsqu’elle noircirait les pages pour le raconter. Elle se détourna du vieillard pour faire volte-face, à la recherche des siens.
CENDRES
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