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Citoyen du monde
Malazach
Messages : 61
crédits : 1697
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Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage noir
Alignement: Neutre mauvais
Rang: B - Cardinal
Depuis la mort de David, Vetih s’était mise à prier. Les circonstances étant ce qu’elles étaient, la veuve avait dû faire son deuil tout en continuant à s’atteler au labeur qui jamais ne cessait dans l’enfer qu’était leur vie quotidienne. Avec la fatigue, l’épuisement et les restes de cette maladie qui lui avait dévoré les bronches au début de l’hiver, les paroles de ses quelques proches encore en vie n’avaient pu atteindre son cœur en miette. Alors, comme beaucoup d’autres après l’arrivée des envoyés de Bénédictus, elle avait trouvé refuge dans les vieilles pratiques. A genoux devant un autel minuscule fait de brics et de brocs, Vetih avait imploré les cieux à chaque début de nuit. Le fragile esprit de celle qui avait perdu son unique enfant deux solstices auparavant puis père et mère lors de la dernière épidémie s’était perdue des heures durant à psalmodier ses respects et ses craintes comme si ces basses considérations de mortelles étaient des textes sacrés. Une telle injure envers les dieux, une telle faiblesse, lui paraissait bien innocente. Rien de plus qu’un exutoire comme un autre, pensait-elle alors…
Jusqu’à ce que les Anges et leurs damnées prêtresses fassent entrer le village des Affranchis dans le domaine des dieux.
“-Laissez-moi en paix.” Implorait-elle, prostrée dans un coin de sa minuscule cabane, la tête contre le pied de son lit, ses mains crasseuses ceinturant son propre torse couvert de griffure et de morsure. La lumière lui faisait mal. Les démangeaisons que le soleil matinal lui causaient ne s'arrêtaient jamais, alors elle avait fermé volets et fenêtres, s’était isolée dans les ténèbres totales…
Ainsi, réduit à la cécité pure et simple, Vetih ne pouvait voir les ombres s’étendre en des griffes aussi longues que celles de l’Ange Noir…Ou perdre son regard dans la chair du plafond, qui ne cessait jamais de suppurer en gémissant avec la voix sifflante de David.
“-Mais tu es en paix.” Gronda une paire d’yeux dans le noir. Et les crocs jaunâtres que ces orbes haineux dominaient crachèrent un bruit humide en réponse à la caresse d’une langue noire. “Vous l’êtes tous, maintenant.”
Les ongles de Vetih s’enfouirent dans la chair de ses épaules. Ses larmes la brûlaient. Avant que la lumière ne quitte sa chambre, elle avait découvert qu’un sang sombre accompagnait chacun de ses sanglots hystériques. Sa nuit, elle l’avait passé à craindre de se transformer en arbre, elle aussi, comme Ivan. Mais son tourment, à elle, refusait de prendre fin. Et au petit matin, après un sommeil fiévreux dévoré par un milliers de cauchemars, en enfilant ses vêtements, Vetih avait vomi de la bile en découvrant que la chair de ses cuisses était recouverte de bosses, semblables à la morsure des orties…Qu’elle avait gratté jusqu’à ce que lesdites cloques s’ouvrent, pour dévoiler le regard mauvais d’un millier d’yeux brillants, cerclés de veines rougeâtres.
“-David.” Répétait la veuve, recroquevillée dans la crasse de sa propre chambre.En réponse, la chair purulente ayant remplacé le plafond échappa un sanglot qui sembla provenir de plusieurs gorges différentes. “Aide-moi.” Et la chair de ses ongles s’enfonça un peu plus profondément dans ses propres épaules.
Le spectacle de la mort d’Ivan l’avait plongé dans une étrange apathie. Voir un fils poignarder son père et condamner ce dernier à devenir le vaisseau de ce qu’il abhorrait, ça dépassait l’entendement. Marik avait mis un certain temps à s’en remettre. Pour rétablir l’ordre dans sa tête, le laboureur s’était mis à marcher frénétiquement le long des remparts, puis le long des chemins…Et puis dans la nature. Le crépuscule avait laissé place à la nuit noire et celle-ci s’était empressée de céder du terrain face à la clarté toute relative du matin. Lorsque Marik s’était finalement rendu compte que l’horreur que le Patriarche avait laissé faire le foutait en rogne…
La colère avait éclipsé tout le reste. Faim. Soif. Épuisement. Plus rien d’autre ne lui avait semblé d’une quelconque importance. Ses hurlements n’avaient pas manqué d’attirer quelques prédateurs rôdant dans les environs.
Ses mâchoires s’étaient refermées sur le cou de la première abomination venue. Elle s’était débattue pendant quelques instants avant de se noyer dans son propre sang. De ses mains nues, le laboureur lui avait brisé la cage-thoracique avant d’abandonner sa carcasse à ce qui s’apparentait à des corbeaux dans cet enfer.
Désormais, un feu fait de rage lui dévorait la poitrine et consumait ses sens, son esprit, ses souvenirs…son identité.
La chose qu’il devenait dévala la pente d’un ruisseau pour fourrer sa gueule dans l’eau fraîche et lapper celle-ci jusqu’à ce que son regard enfiévré n’aperçoive son reflet. Les restes fracturés de ce qui avait un jour été sa conscience parvinrent à saisir que la couronne d’excroissances osseuses dominant désormais son crâne chauve n’aurait jamais dû être là et cette découverte ne fit que décupler sa rage. Du poing, il frappa son reflet et les remous de l’eau le chassèrent quelques instants. Puis ce qui restait de Marik arracha ses cornes en faisant claquer ses mâchoires surdimensionnées aux dents de requins. Du sang s’écoula des plaies que la brutale exérèse causa, dégoulina sur son front pour rougir sa vision, l’assombrir, la réduire…Mais pas assez pour l’empêcher d’apercevoir dans son reflet reformé…
Deux nouvelles petites excroissances, poussant dans les fossés de chair laissés par les anciennes.
***
“-C’était une abomination.” Statua simplement le Patriarche en frappant le sol de la pointe de son bâton. Il n’y avait plus de rage dans sa voix. Pas plus que de tristesse. L’épreuve avait suffisamment secoué le vieillard pour que toute émotion quitte sa carcasse usée. Que restait-il d’autre à dire ? Les siens lui avaient fait part d’étranges manifestations, un peu partout dans le village, depuis la fin de la cérémonie. Si la plupart continuait à vivre comme avant, certains habitants se plaignaient de visions impossibles, d'hallucinations enfiévrées, trop souvent cauchemardesques, et trois disparitions étaient à noter, en plus d’Ivan. Son visage se plissa lorsque ses yeux se posèrent une fois de plus sur l’arbre qu’était devenu le père trop protecteur d’un fils ingrat et le Patriarche découvrit qu’il restait encore en lui assez de sentiments pour éprouver un dégoût franc à l’égard de cet épouvantable gâchis. “Ne me parlez pas de choix, Sorcière. Avec ou sans mon accord, cette…Atrocité aurait eu lieu.”
Le bruissement de plumes noires qu’il ne connaissait que trop bien se fit entendre derrière-lui et une ombre famélique vint recouvrir sa silhouette voûtée.
“-Quel crime sommes-nous censés avoir commis?” S’enquit Malazach. Lentement, son sombre conseiller vint se placer sur sa gauche, pour pointer d’un doigt griffu le fils de l’arbre-monde poussant dans la chair du père trahi.
“-La Prophétesse a-t-elle poignardé Ivan? Etait-ce Valmyria ?”
Les dents du vieux se découvrirent.
“-Peu importe quelle main tenait la lame.
-Bien sûr.” Consenti Malazach. Il adressa un sourire las à La Prophétesse avant de rediriger son attention vers l’ancien maître des lieux, à la manière d'un professeur indiquant à un pair l'agacement provoqué par un élève trop turbulent. “Ce n’est pas la main qui compte. C’est l’esprit. L’éducation de l’enfant, sans doute faite à la manière des Affranchis. A la manière de ceux qui refusent la sévérité des cieux, qui la prennent pour de la folie, qui pensent mériter plus. Regarde autour de toi, esprit affranchi, que penses-tu maintenant du potentiel d’un enfant qu’on ne rappelle jamais à l’ordre, libre de toute autorité supérieure ?”
Les parallèles n’avaient rien de subtil et leur grossièreté n’échappèrent pas au vieillard, puisqu’ils impliquaient que l’Ange ne faisait plus le moindre effort pour cacher mépris et suffisance à l’égard de leur espèce.
“-Toi, qui a tenté d’assassiner la toute puissance de tes créateurs dans l’esprit de chacune des pauvres âmes ici-bas, tu trouves surprenant qu’un parricide ait eu lieu à l’intérieur de tes murs?”
Il n’en riait pas ouvertement, mais les mots de l’Ange Noir sortaient avec trop de fluidité, trop d’engouement, pour qu’ils ne trahissent pas l’amusement que leur détresse provoquait en lui.
“-C’est précisément pour ça que nous avions renié les cieux.”
Les épaules squelettiques de la créature se haussèrent.
“-Les dieux existent, Patriarche. Que vous le vouliez ou non.” Le Cardinal laissa son regard glisser jusqu’à une cabane dont les portes récemment condamnées étaient encadrées par une paire de gardes noirs. Qultarn était assis non-loin de là, occupé à mâchonner ce qu’il devinait être un morceau de viande quelconque. “Ils voient au travers de la chair, des os et de la morale. Quand les bénis se seront habitués à leurs enveloppes, ils…
-Ils ne sont guère plus que des bêtes, maintenant.
-Des bêtes qui défendront votre domaine avec plus de hargne que dix hommes réunis.” Une fausse tristesse s’ancra sur le visage sombre alors qu’il se désolait : “Un bien cruel choix du destin, je le conçois. Mais leur sacrifice vous permettra de vivre, pas seulement survivre. Alors tâchez au moins d’être reconnaissant à leur sujet.”
Près de la porte condamnée, face aux hallebardes des gardes noirs, Moral, la sœur de Vetih, maudissait le monde de lui avoir pris le dernier membre de sa famille. Son mari à ses côtés s'efforçait de la convaincre de se relever, de s'extirper de la boue qu'elle inondait de larmes depuis de longues minutes, sans succès. Gauchement, il lui avait posé la main sur l'épaule, incapable de se résoudre à se baisser pour l'enlacer et ainsi offrir son dos aux sinistres gardiens. Plus loin, un quatuor de pèlerins mortels s'installaient dans une tente près de la demeure vide de Marik, qu'ils finiraient tôt ou tard par occuper. Jerek, l'air résigné, traversa le champ de racines encerclant ce qui avait un jour été un père aimant pour inspecter un plant de tomate et froncer un sourcil à la vue des veinules noires parcourant la peau flétrie de l'un des fruits. Une jeune serf provenant de Bénédictus attrapa sa main alors qu'il se redressait. Elle s'empara du fruit pour mordre à pleine dents dedans et l'odeur qui s'en extirpa chassa à elle seule le dégoût initial du pisteur. La nouvelle venue lui adressa un hochement de tête entendu et s'éclipsa sans un mot, le fruit toujours en main. Elle n'avait pas l'air malade. C'était même plutôt l'inverse.
Et pendant que Moral maudissait les gardes indifférents, que Vetih fourrait ses doigts griffus dans ses oreilles pour se percer les tympans dans l'espoir de ne plus entendre les gémissements d'un mort, le pisteur se risqua à s'emparer d'une tomate à son tour.
Jusqu’à ce que les Anges et leurs damnées prêtresses fassent entrer le village des Affranchis dans le domaine des dieux.
“-Laissez-moi en paix.” Implorait-elle, prostrée dans un coin de sa minuscule cabane, la tête contre le pied de son lit, ses mains crasseuses ceinturant son propre torse couvert de griffure et de morsure. La lumière lui faisait mal. Les démangeaisons que le soleil matinal lui causaient ne s'arrêtaient jamais, alors elle avait fermé volets et fenêtres, s’était isolée dans les ténèbres totales…
Ainsi, réduit à la cécité pure et simple, Vetih ne pouvait voir les ombres s’étendre en des griffes aussi longues que celles de l’Ange Noir…Ou perdre son regard dans la chair du plafond, qui ne cessait jamais de suppurer en gémissant avec la voix sifflante de David.
“-Mais tu es en paix.” Gronda une paire d’yeux dans le noir. Et les crocs jaunâtres que ces orbes haineux dominaient crachèrent un bruit humide en réponse à la caresse d’une langue noire. “Vous l’êtes tous, maintenant.”
Les ongles de Vetih s’enfouirent dans la chair de ses épaules. Ses larmes la brûlaient. Avant que la lumière ne quitte sa chambre, elle avait découvert qu’un sang sombre accompagnait chacun de ses sanglots hystériques. Sa nuit, elle l’avait passé à craindre de se transformer en arbre, elle aussi, comme Ivan. Mais son tourment, à elle, refusait de prendre fin. Et au petit matin, après un sommeil fiévreux dévoré par un milliers de cauchemars, en enfilant ses vêtements, Vetih avait vomi de la bile en découvrant que la chair de ses cuisses était recouverte de bosses, semblables à la morsure des orties…Qu’elle avait gratté jusqu’à ce que lesdites cloques s’ouvrent, pour dévoiler le regard mauvais d’un millier d’yeux brillants, cerclés de veines rougeâtres.
“-David.” Répétait la veuve, recroquevillée dans la crasse de sa propre chambre.En réponse, la chair purulente ayant remplacé le plafond échappa un sanglot qui sembla provenir de plusieurs gorges différentes. “Aide-moi.” Et la chair de ses ongles s’enfonça un peu plus profondément dans ses propres épaules.
Le spectacle de la mort d’Ivan l’avait plongé dans une étrange apathie. Voir un fils poignarder son père et condamner ce dernier à devenir le vaisseau de ce qu’il abhorrait, ça dépassait l’entendement. Marik avait mis un certain temps à s’en remettre. Pour rétablir l’ordre dans sa tête, le laboureur s’était mis à marcher frénétiquement le long des remparts, puis le long des chemins…Et puis dans la nature. Le crépuscule avait laissé place à la nuit noire et celle-ci s’était empressée de céder du terrain face à la clarté toute relative du matin. Lorsque Marik s’était finalement rendu compte que l’horreur que le Patriarche avait laissé faire le foutait en rogne…
La colère avait éclipsé tout le reste. Faim. Soif. Épuisement. Plus rien d’autre ne lui avait semblé d’une quelconque importance. Ses hurlements n’avaient pas manqué d’attirer quelques prédateurs rôdant dans les environs.
Ses mâchoires s’étaient refermées sur le cou de la première abomination venue. Elle s’était débattue pendant quelques instants avant de se noyer dans son propre sang. De ses mains nues, le laboureur lui avait brisé la cage-thoracique avant d’abandonner sa carcasse à ce qui s’apparentait à des corbeaux dans cet enfer.
Désormais, un feu fait de rage lui dévorait la poitrine et consumait ses sens, son esprit, ses souvenirs…son identité.
La chose qu’il devenait dévala la pente d’un ruisseau pour fourrer sa gueule dans l’eau fraîche et lapper celle-ci jusqu’à ce que son regard enfiévré n’aperçoive son reflet. Les restes fracturés de ce qui avait un jour été sa conscience parvinrent à saisir que la couronne d’excroissances osseuses dominant désormais son crâne chauve n’aurait jamais dû être là et cette découverte ne fit que décupler sa rage. Du poing, il frappa son reflet et les remous de l’eau le chassèrent quelques instants. Puis ce qui restait de Marik arracha ses cornes en faisant claquer ses mâchoires surdimensionnées aux dents de requins. Du sang s’écoula des plaies que la brutale exérèse causa, dégoulina sur son front pour rougir sa vision, l’assombrir, la réduire…Mais pas assez pour l’empêcher d’apercevoir dans son reflet reformé…
Deux nouvelles petites excroissances, poussant dans les fossés de chair laissés par les anciennes.
***
“-C’était une abomination.” Statua simplement le Patriarche en frappant le sol de la pointe de son bâton. Il n’y avait plus de rage dans sa voix. Pas plus que de tristesse. L’épreuve avait suffisamment secoué le vieillard pour que toute émotion quitte sa carcasse usée. Que restait-il d’autre à dire ? Les siens lui avaient fait part d’étranges manifestations, un peu partout dans le village, depuis la fin de la cérémonie. Si la plupart continuait à vivre comme avant, certains habitants se plaignaient de visions impossibles, d'hallucinations enfiévrées, trop souvent cauchemardesques, et trois disparitions étaient à noter, en plus d’Ivan. Son visage se plissa lorsque ses yeux se posèrent une fois de plus sur l’arbre qu’était devenu le père trop protecteur d’un fils ingrat et le Patriarche découvrit qu’il restait encore en lui assez de sentiments pour éprouver un dégoût franc à l’égard de cet épouvantable gâchis. “Ne me parlez pas de choix, Sorcière. Avec ou sans mon accord, cette…Atrocité aurait eu lieu.”
Le bruissement de plumes noires qu’il ne connaissait que trop bien se fit entendre derrière-lui et une ombre famélique vint recouvrir sa silhouette voûtée.
“-Quel crime sommes-nous censés avoir commis?” S’enquit Malazach. Lentement, son sombre conseiller vint se placer sur sa gauche, pour pointer d’un doigt griffu le fils de l’arbre-monde poussant dans la chair du père trahi.
“-La Prophétesse a-t-elle poignardé Ivan? Etait-ce Valmyria ?”
Les dents du vieux se découvrirent.
“-Peu importe quelle main tenait la lame.
-Bien sûr.” Consenti Malazach. Il adressa un sourire las à La Prophétesse avant de rediriger son attention vers l’ancien maître des lieux, à la manière d'un professeur indiquant à un pair l'agacement provoqué par un élève trop turbulent. “Ce n’est pas la main qui compte. C’est l’esprit. L’éducation de l’enfant, sans doute faite à la manière des Affranchis. A la manière de ceux qui refusent la sévérité des cieux, qui la prennent pour de la folie, qui pensent mériter plus. Regarde autour de toi, esprit affranchi, que penses-tu maintenant du potentiel d’un enfant qu’on ne rappelle jamais à l’ordre, libre de toute autorité supérieure ?”
Les parallèles n’avaient rien de subtil et leur grossièreté n’échappèrent pas au vieillard, puisqu’ils impliquaient que l’Ange ne faisait plus le moindre effort pour cacher mépris et suffisance à l’égard de leur espèce.
“-Toi, qui a tenté d’assassiner la toute puissance de tes créateurs dans l’esprit de chacune des pauvres âmes ici-bas, tu trouves surprenant qu’un parricide ait eu lieu à l’intérieur de tes murs?”
Il n’en riait pas ouvertement, mais les mots de l’Ange Noir sortaient avec trop de fluidité, trop d’engouement, pour qu’ils ne trahissent pas l’amusement que leur détresse provoquait en lui.
“-C’est précisément pour ça que nous avions renié les cieux.”
Les épaules squelettiques de la créature se haussèrent.
“-Les dieux existent, Patriarche. Que vous le vouliez ou non.” Le Cardinal laissa son regard glisser jusqu’à une cabane dont les portes récemment condamnées étaient encadrées par une paire de gardes noirs. Qultarn était assis non-loin de là, occupé à mâchonner ce qu’il devinait être un morceau de viande quelconque. “Ils voient au travers de la chair, des os et de la morale. Quand les bénis se seront habitués à leurs enveloppes, ils…
-Ils ne sont guère plus que des bêtes, maintenant.
-Des bêtes qui défendront votre domaine avec plus de hargne que dix hommes réunis.” Une fausse tristesse s’ancra sur le visage sombre alors qu’il se désolait : “Un bien cruel choix du destin, je le conçois. Mais leur sacrifice vous permettra de vivre, pas seulement survivre. Alors tâchez au moins d’être reconnaissant à leur sujet.”
Près de la porte condamnée, face aux hallebardes des gardes noirs, Moral, la sœur de Vetih, maudissait le monde de lui avoir pris le dernier membre de sa famille. Son mari à ses côtés s'efforçait de la convaincre de se relever, de s'extirper de la boue qu'elle inondait de larmes depuis de longues minutes, sans succès. Gauchement, il lui avait posé la main sur l'épaule, incapable de se résoudre à se baisser pour l'enlacer et ainsi offrir son dos aux sinistres gardiens. Plus loin, un quatuor de pèlerins mortels s'installaient dans une tente près de la demeure vide de Marik, qu'ils finiraient tôt ou tard par occuper. Jerek, l'air résigné, traversa le champ de racines encerclant ce qui avait un jour été un père aimant pour inspecter un plant de tomate et froncer un sourcil à la vue des veinules noires parcourant la peau flétrie de l'un des fruits. Une jeune serf provenant de Bénédictus attrapa sa main alors qu'il se redressait. Elle s'empara du fruit pour mordre à pleine dents dedans et l'odeur qui s'en extirpa chassa à elle seule le dégoût initial du pisteur. La nouvelle venue lui adressa un hochement de tête entendu et s'éclipsa sans un mot, le fruit toujours en main. Elle n'avait pas l'air malade. C'était même plutôt l'inverse.
Et pendant que Moral maudissait les gardes indifférents, que Vetih fourrait ses doigts griffus dans ses oreilles pour se percer les tympans dans l'espoir de ne plus entendre les gémissements d'un mort, le pisteur se risqua à s'emparer d'une tomate à son tour.
✞✞✞ Malazach est Maudit ✞✞✞
-Les pratiquants du Culte des Ombres et les adeptes du Divinisme le voient comme un ange resplendissant.
-Les adeptes du Shierak et les athées, eux, le voient tel qu'il est véritablement ; une créature aussi famélique que sinistre.
Citoyen du monde
Valmyria
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Citoyen du monde
Phèdre
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Phèdre n’avait pas dormit cette nuit-là. D’abord parce que son lit de fortune lui brisait le dos mais surtout parce qu’elle n’avait de cesse de repenser à ce qui venait de se passer. A chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle voyait le visage d’Ivan se tordre de surprise et son regard, plein d’amour pour celui qui l’avait mis à mort se vider de toute trace de vie. Le fils avait terrassé le père. Que pouvait-il bien penser, lui, du Royaume des morts ? S’était il mis à haïr son enfant de l’avoir si honteusement trahi ? Était-il fier de lui, maintenant qu’il pouvait voir toute l’étendue de leur œuvre dans son ensemble ? Parce que c’était cela la mort, n’est-ce pas ? La compréhension juste des choses qui échappent à ceux qui vivent ? Avait-elle atteint cet état lors de son trépas ? Elle soupira, incapable de se souvenir ne serait-ce que de l’existence d’un tel royaume. Mais en son for intérieur, quelque chose lui soufflait qu’il existait et que c’était là que, d’une manière ou d’une autre, l’un des huit était venu repêcher son âme pour la renvoyer dans ce corps. Puis elle s’était levée, consciente que ses pensées ne lui laisseraient pas de répit.
Il faisait encore nuit noire et l’on entendait rien d’autre que les chuchotements discret du vent dans les feuilles et le craquement du bois des arbres qui jouxtaient le village. A pas de loup pour ne surtout pas réveiller ses camarades, Phèdre s’était extirpé de son abri, avait attrapé la première pelisse qui lui était tombée sous la main et en avait drapée ses épaules avant de s’enfoncer dans les sillons étroits qu’ils qualifiaient de rues. La boue qui maculait le sol ne tarda pas à tâcher le bas de sa robe -elle n’avait jamais apprécié porter des pantalons- tandis qu’elle avançait en direction des murs d’enceintes. Ce n’était en rien comparable aux remparts qui encerclaient les grandes villes mais cela lui permit de prendre un peu de hauteur. Un homme, plus chasseur que guerrier, lui lança un regard intrigué mais voyant qu’elle l’ignorait copieusement se contenta d’un haussement d’épaule et de retourner jouer avec ses cartes.
D’ici, elle avait une vue imprenable sur l’ensemble de maisonnettes et de bâtiments mais surtout sur l’arbre. Il n’était rien de plus qu’un arbrisseau pour l’heure mais elle n’avait pas besoin d’être un ange pour savoir qu’il pulsait déjà d’une magie sombre et puissante. Une magie qui allait étendre sa corruption dans la terre, dans l’eau, dans les plantes, dans les animaux, jusque dans les esprits. Elle façonnerait ce nouveau territoire à l’image des Huit, à l’image de tout ce qui aurait dû rester tel qu’il était. Phèdre s’en réjouissait. Cela faisait bien longtemps qu’ils étaient en perdition et plus longtemps encore que les titans étaient sous estimés, les divinistes traqués et mit au rebut comme si c’étaient eux les infidèles. Ce temps serait bientôt révolu.
Phèdre finit par descendre pour retracer le chemin en sens inverse sauf qu’au lieu de regagner sa couche, elle poursuivit sa route jusqu’à l’arbre. On y devinait encore la silhouette d’Ivan, prisonnier de l’écorce à tout jamais, éternel serviteur d’une cause qui le débectait. Il y avait quelque chose de poétique à ce qu’une nouvelle ère se forge dans le sang d’un hérétique. La demi-sang dépassa les auréoles de bougies dont la majorité avaient déjà commencées à mourir et se tint en face de l’arbre. Elle pouvait sentir sa magie vibrer sans le toucher.
“Etait-ce ainsi, autrefois ?” Ne put-elle s’empêcher de se demander, sans être capable de s’en souvenir. Mais cet arbre, cette magie, était-ce bien l'œuvre des Huit où seulement celle d’un seul ? L’entité sombre, qu’était cette chose ? Les questions se bousculaient dans son esprit sans jamais trouver de réponses et Phèdre passa le reste de sa nuit à se questionner, son regard bleu rivé sur le rejeton de l’arbre. Jusqu’à ce qu’au matin, une voix ne l’interpelle ; l’heure du départ ne tarderait pas. Alors seulement, elle se détourna pour rejoindre les autres.
Il était temps de rentrer, désormais.
Il faisait encore nuit noire et l’on entendait rien d’autre que les chuchotements discret du vent dans les feuilles et le craquement du bois des arbres qui jouxtaient le village. A pas de loup pour ne surtout pas réveiller ses camarades, Phèdre s’était extirpé de son abri, avait attrapé la première pelisse qui lui était tombée sous la main et en avait drapée ses épaules avant de s’enfoncer dans les sillons étroits qu’ils qualifiaient de rues. La boue qui maculait le sol ne tarda pas à tâcher le bas de sa robe -elle n’avait jamais apprécié porter des pantalons- tandis qu’elle avançait en direction des murs d’enceintes. Ce n’était en rien comparable aux remparts qui encerclaient les grandes villes mais cela lui permit de prendre un peu de hauteur. Un homme, plus chasseur que guerrier, lui lança un regard intrigué mais voyant qu’elle l’ignorait copieusement se contenta d’un haussement d’épaule et de retourner jouer avec ses cartes.
D’ici, elle avait une vue imprenable sur l’ensemble de maisonnettes et de bâtiments mais surtout sur l’arbre. Il n’était rien de plus qu’un arbrisseau pour l’heure mais elle n’avait pas besoin d’être un ange pour savoir qu’il pulsait déjà d’une magie sombre et puissante. Une magie qui allait étendre sa corruption dans la terre, dans l’eau, dans les plantes, dans les animaux, jusque dans les esprits. Elle façonnerait ce nouveau territoire à l’image des Huit, à l’image de tout ce qui aurait dû rester tel qu’il était. Phèdre s’en réjouissait. Cela faisait bien longtemps qu’ils étaient en perdition et plus longtemps encore que les titans étaient sous estimés, les divinistes traqués et mit au rebut comme si c’étaient eux les infidèles. Ce temps serait bientôt révolu.
Phèdre finit par descendre pour retracer le chemin en sens inverse sauf qu’au lieu de regagner sa couche, elle poursuivit sa route jusqu’à l’arbre. On y devinait encore la silhouette d’Ivan, prisonnier de l’écorce à tout jamais, éternel serviteur d’une cause qui le débectait. Il y avait quelque chose de poétique à ce qu’une nouvelle ère se forge dans le sang d’un hérétique. La demi-sang dépassa les auréoles de bougies dont la majorité avaient déjà commencées à mourir et se tint en face de l’arbre. Elle pouvait sentir sa magie vibrer sans le toucher.
“Etait-ce ainsi, autrefois ?” Ne put-elle s’empêcher de se demander, sans être capable de s’en souvenir. Mais cet arbre, cette magie, était-ce bien l'œuvre des Huit où seulement celle d’un seul ? L’entité sombre, qu’était cette chose ? Les questions se bousculaient dans son esprit sans jamais trouver de réponses et Phèdre passa le reste de sa nuit à se questionner, son regard bleu rivé sur le rejeton de l’arbre. Jusqu’à ce qu’au matin, une voix ne l’interpelle ; l’heure du départ ne tarderait pas. Alors seulement, elle se détourna pour rejoindre les autres.
Il était temps de rentrer, désormais.
Citoyen du monde
Qultarn
Messages : 75
crédits : 2020
crédits : 2020
Info personnage
Race: Drakyn
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: D
La cérémonie, ses festivités et la rumeur de chaos qui allait avec, qu’il soit guerrier, vindicatif ou, au contraire, joyeux et bon enfant, tout ça était tombé sous une chape de plomb à la mort d’Ivan. Le choc général s’était mué en un maelstrom d’émotions difficiles à séparer quand le Bourgeon s’était nourri du cadavre issu d’un parricide pour devenir davantage qu’une graine, plutôt un adolescent, ou un enfant bien portant peut-être. La route restait longue pour devenir l’Arbre-Monde, mais nul ne pouvait nier la nature divine de ce à quoi ils venaient d’assister.
Certains se jetèrent à genoux, et Qultarn faillit en faire de même.
Il préféra observer la foule, les hommes en armes, les femmes éplorées et les enfants qui hurlaient, perturbés par l’atmosphère du village. Le point de bascule avait été passé quelques instants plus tôt, et il ne restait qu’à assister à l’Histoire telle qu’elle s’écrivait, graver ces moments dans sa mémoire, son coeur et sa chair, l’utiliser pour continuer à bâtir le monument interne de sa Foi. Si la pulsation calme du Bourgeon avait été un élan de sérénité qui l’avait parcouru, l’Arbrisseau était davantage un torrent ravageur qui parcourut tous ceux présents jusqu’à creuser le lit d’une rivière dont les courants profonds pouvait emmener les baigneurs imprudents.
La joie des fidèles de Bénédictus n’échappa à personne, tout comme le scepticisme de certains Affranchis. Le drakyn hésita à monter la garde, ou à profiter de l’occasion pour prier. Il s’y consacra tout de même au début, avec ses confrères et consoeurs. Puis il se retira dans sa tente de fortune, laissant passer une nuit d’insomnie, pris par l’excitation de la réussite, de la cause qui avançait, de la prospérité et du retour en grâce des Dieux. Il tomba finalement dans un sommeil agité aux petites heures de l’aube, avant d’être réveillé par les premiers mouvements dehors.
Certains avaient mal vécu l’influence de l’Arbre-Monde, sûrement victimes de leur manque de Foi, ou de leur opposition aux Titans et au Bourgeon. Ceux-là, déséquilibrés par l’influence divine, avaient été réduits à moins que des hommes : à de simples bêtes dont la seule tâche, imprégnée dans les tréfonds de leur être, serait de protéger le village et ce qu’il abritait, plus précieux que les vies de tous les habitants réunis. Qultarn nota avec un sourire intérieur que le Patriarche n’avait pas été affecté, malgré ses dénégations de la puissance des Dieux, ses tentatives d’accaparer des bribes de pouvoirs.
Les Titans avaient encore un projet pour lui et pour le contrôle qu’il pouvait exercer sur les alentours.
La cérémonie avait en tout cas fait forte impression sur le membre du village d’à côté, qui échangeait à voix basse et rapide avec Amir. Ce dernier arborait un sourire satisfait, en constatant que les champs donnaient déjà davantage, et en ressentant l’influence de l’Arbrisseau. Le chasseur-guetteur se doutait déjà de l’influence que cela aurait sur la faune et la flore, hors du village, et avait hâte de pouvoir reprendre le contrôle de la zone. Eloigner les béhémoths lui éviterait peut-être aussi de mourir à chaque fois qu’il s’éloignerait d’un jet de pierre ou deux de chez lui.
« Satisfait ? Demanda le jeune homme.
- Oui.
- Du coup, vous allez retourner à Bénédictus ?
- Notre travail ne s’arrête pas là. Toute forêt a commencé par un simple Bourgeon, et nous devons continuer à oeuvrer pour rétablir l’influence des Titans.
- ... Je vois.
- Mais cela ne veut pas dire que notre labeur au Doreï est terminé. Je dois rééchanger avec le Cardinal sur le sujet.
- A propos de ?
- Nous verrons, je ne souhaite pas trop en dire. »
Puis ce fut au tour de l’autre de prendre la parole, un certain Heral.
« Donc vous souhaitez continuer à étendre votre influence au Doreï ?
- L’influence des Dieux, oui. Pas la nôtre.
- C’est pourtant la même chose, et celle du Patriarche des Affranchis également.
- Est-ce réellement le cas ?
- En tout état de fait, actuellement, oui.
- Et, pourtant, s’il devait se passer quelque chose ou arriver quoi que ce soit au Bourgeon... »
La menace implicite fit réfléchir les deux hommes quelques secondes.
« Nous assurerons la protection de l’Arbre comme nous avons assuré celle des villages. Et nous espérons l’assistance de Bénédictus pour refaire du Doreï le pays de cocagne et de prospérité qu’il était auparavant.
- Ce sera avec plaisir, jura Qultarn. »
La préparation de leur départ ne s’arrêtait cependant pas, donc le drakyn prit congé afin de ranger ses affaires. Si les villageois transformés par la magie créatrice des Titans étaient des visions d’horreur, des humains à première vue détruits, ils étaient également devenus ce qu’ils devaient être pour porter le fardeau qui avait été déposé sur leurs épaules. Ils ne connaissaient plus ni les doutes, ni les peurs qui avaient hanté leurs pas jusque-là. Ne restait que la certitude, dure comme le roc et aveuglante comme le soleil, qu’ils devaient donner leur vie pour le Bourgeon.
Par certains aspects, c’en devenait presqu’enviable, songea-t-il.
Harnachant son paquetage, il prit place à l’avant du cortège, retrouvant le cheval Non-Vivant qui l’avait déjà porté à l’aller.
Prophétesse
Siame
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Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage soutien
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Cardinal
“C’était une abomination”. Face à la réalisation, l’Ange s’était prise à cajoler l’Arbre d’un sourire satisfait. “Une abomination”. Elle l’avait répété, dans un souffle, songeuse.
“Sorcière”. Un ravissement vicieux avait étiré ses lèvres. Siame avait soutenu son regard, avec le détachement de celle qui attendait le prochain mouvement du prétentieux imbécile sur le point de commettre l’erreur d’aller plus loin. Elle l’aurait poussé de ses propres mains pour l’embrocher sur l’une de branches affûtée de l’Arbre—ainsi l’homme aurait peut-être eu un semblant d’utilité. Ce furent les froissements des ailes de Malazach qui l’a retinrent de rappeler brutalement au mortel ce qu’il méritait. Son sourire s’estompa au fur et à mesure, mais pas la certitude que le vieux serait le prochain à se faire bouffer par la Corruption. Puisse son agonie être lente et douloureuse, ajouta-t-elle pour elle-même, réalisant que ses vieux travers avaient quelque chose de doucement réconfortant. D’un battement de paupière inaffecté, elle éloigna l’insulte. Il fallait supposer que l’intervention du Haut Cardinal la rendit un peu plus indulgente, car il n’y avait aucune forme d’animosité dans le fond de son regard lorsqu’elle le reposa sur le Patriarche—et même l’aplomb avec lequel il persistait à se défendre provoqua chez elle une pointe d’attendrissement.
— Peut-être que cela serait arrivé quoi qu’il advienne. Même sans votre accord. Mais dans ce cas, vous n’auriez pas été là pour le voir. Et quel dommage cela aurait été, pas vrai ?
Ce qu’elle entendait réellement, ce qu’il finirait par regretter d’avoir été là et d’avoir assisté à tout ça. Il regretterait de ne pas être mort, lui aussi—car ce qui l’attendait ne pouvait qu’être pire. Oh, Siame le savait, elle ne connaissait le sentiment que trop bien.
— Songez à venir nous voir, lorsque vous passerez aux alentours de Bénédictus, ses lèvres s’étirèrent dans un sourire de garce, faussement innocent.
Que l’invitation l’enchante ou non, qu’il l’accepte ou non n’était d’aucune importance. Elle savait qu’elle ne reverrait jamais cet Homme-ci. Et que si ce n’était pas la Corruption qui l’emportait, le temps ne tarderait pas à le faire.
La Prêtresse – qui s’était illustrée durant la cérémonie – n’avait pas tardé à les rejoindre, après avoir quitté Galaad.
— Vous avez fait du bon travail, Valymria, murmura Siame, avant de se détourner vers l’enfant qui continuait de les observer timidement.
Il devrait vivre sa vie entière avec la culpabilité de ce qu’il avait accompli la veille. Quand bien même l’avait-il fait pour une plus grande cause, quand bien même Siame lisait la noblesse d’un tel dévouement, elle savait qu’il passerait le reste de son existence à lire les reproches implicites dans le regard des autres. “Approche”. Les mots avaient résonné dans l’esprit du gosse. Et il avait obéi sans réfléchir le moindre instant, incapable de détourner le regard de l’Ange qui venait à sa rencontre. Tendrement, elle cueilla sa joue dans le creux de sa main, ses mots en guise de bénédiction.
— Galaad, le Gardien. Tu seras celui qui veille et protège.
Le petit cortège de la Volonté s’étira lentement sur la route poussiéreuse à l’orée du village. Tous les trois, ils retrouvèrent Phèdre et Qultarn, laissant derrière eux des Affranchis poussés hors de leur torpeur hérétique, qui se réveillaient enfin, en voyant les leur changer sous leurs yeux. Écorchés par la force des événements, marqués par la cruauté d’une chose qu’ils ne parvenaient pas encore à nommer. L’Âme captive du tronc continuait d’hurler, ses branches se tendant vers les Cieux comme des bras. Oui, ils s’en rapprocheraient, lentement, mais inexorablement. Ils finiraient un jour par griffer les nuages. Siame ne put s’empêcher d’y voir une forme d’ironie : pour ces Dieux qui avaient fui cette Terre, pour sa Mère qui l’avait abandonné ici. Leur propre Création finirait un jour par les rattraper.
Il est des abominations que même les Créateurs, dans leur omniscience, n’auraient osé concevoir. L’Arbre naquit, maudit dès sa germination, nourri par le sang d’un père sacrifié sur l’autel de la Corruption par son propre fils. Abreuvées, ses racines se glissèrent dans le ventre du Monde, et son écorce – tissée de douleur – portait les stigmates du martyr : un visage figé dans un cri sans fin. Ses branches – tordues et suppliciantes – s’élançaient vers les Cieux, comme des prières adressées à nos Dieux.
L’enfant, meurtrier et gardien, courba le genou devant son œuvre impie. À l’ombre de l’arbre, il scella un vœu sacrilège, dans un murmure fervent : de protéger jusqu’à son dernier souffle cet Arbre, et ce père devenu monument vivant—ainsi, l’un et l’autre ne seraient jamais réellement séparés. Nul n’approcherait cet héritage des Titans sans affronter le regard brûlant du gardien, reflet de l’amour et de l’effroi mêlés.
Ainsi furent liés le père, l’Arbre, et l’enfant gardien.
“Sorcière”. Un ravissement vicieux avait étiré ses lèvres. Siame avait soutenu son regard, avec le détachement de celle qui attendait le prochain mouvement du prétentieux imbécile sur le point de commettre l’erreur d’aller plus loin. Elle l’aurait poussé de ses propres mains pour l’embrocher sur l’une de branches affûtée de l’Arbre—ainsi l’homme aurait peut-être eu un semblant d’utilité. Ce furent les froissements des ailes de Malazach qui l’a retinrent de rappeler brutalement au mortel ce qu’il méritait. Son sourire s’estompa au fur et à mesure, mais pas la certitude que le vieux serait le prochain à se faire bouffer par la Corruption. Puisse son agonie être lente et douloureuse, ajouta-t-elle pour elle-même, réalisant que ses vieux travers avaient quelque chose de doucement réconfortant. D’un battement de paupière inaffecté, elle éloigna l’insulte. Il fallait supposer que l’intervention du Haut Cardinal la rendit un peu plus indulgente, car il n’y avait aucune forme d’animosité dans le fond de son regard lorsqu’elle le reposa sur le Patriarche—et même l’aplomb avec lequel il persistait à se défendre provoqua chez elle une pointe d’attendrissement.
— Peut-être que cela serait arrivé quoi qu’il advienne. Même sans votre accord. Mais dans ce cas, vous n’auriez pas été là pour le voir. Et quel dommage cela aurait été, pas vrai ?
Ce qu’elle entendait réellement, ce qu’il finirait par regretter d’avoir été là et d’avoir assisté à tout ça. Il regretterait de ne pas être mort, lui aussi—car ce qui l’attendait ne pouvait qu’être pire. Oh, Siame le savait, elle ne connaissait le sentiment que trop bien.
Ainsi, il nous appartenait de juger de la liberté de conscience des Hommes. Mais les conséquences de la diversité des opinions mortelles reviendraient à la puissance de l’Arbre et à l’appréciation de la Corruption. Nous reprenions notre place légitime sur le Sekaï : Guides, Juges, Justice et Damnation à la fois.
— Songez à venir nous voir, lorsque vous passerez aux alentours de Bénédictus, ses lèvres s’étirèrent dans un sourire de garce, faussement innocent.
Que l’invitation l’enchante ou non, qu’il l’accepte ou non n’était d’aucune importance. Elle savait qu’elle ne reverrait jamais cet Homme-ci. Et que si ce n’était pas la Corruption qui l’emportait, le temps ne tarderait pas à le faire.
La Prêtresse – qui s’était illustrée durant la cérémonie – n’avait pas tardé à les rejoindre, après avoir quitté Galaad.
— Vous avez fait du bon travail, Valymria, murmura Siame, avant de se détourner vers l’enfant qui continuait de les observer timidement.
Il devrait vivre sa vie entière avec la culpabilité de ce qu’il avait accompli la veille. Quand bien même l’avait-il fait pour une plus grande cause, quand bien même Siame lisait la noblesse d’un tel dévouement, elle savait qu’il passerait le reste de son existence à lire les reproches implicites dans le regard des autres. “Approche”. Les mots avaient résonné dans l’esprit du gosse. Et il avait obéi sans réfléchir le moindre instant, incapable de détourner le regard de l’Ange qui venait à sa rencontre. Tendrement, elle cueilla sa joue dans le creux de sa main, ses mots en guise de bénédiction.
— Galaad, le Gardien. Tu seras celui qui veille et protège.
Pas un héros. Aucun ne pourrait le voir ainsi après le sacrilège accompli : le père, saigné par la main de sa propre chair. Non, Galaad ne serait pas un héros, mais un Gardien : celui qui reste, même quand tout s’effondre, même devant les reproches et l’adversité des Siens. Même lorsque ceux-ci – lâches – préféraient fuir. Il était le premier espoir et serait le dernier rempart. Le fardeau que nous déposions entre ses mains était lourd, plus lourd que l’enfant qu’il était ne pouvait porter seul. Mais il ne serait seul pour longtemps : d’autres se joindraient à lui.
Le petit cortège de la Volonté s’étira lentement sur la route poussiéreuse à l’orée du village. Tous les trois, ils retrouvèrent Phèdre et Qultarn, laissant derrière eux des Affranchis poussés hors de leur torpeur hérétique, qui se réveillaient enfin, en voyant les leur changer sous leurs yeux. Écorchés par la force des événements, marqués par la cruauté d’une chose qu’ils ne parvenaient pas encore à nommer. L’Âme captive du tronc continuait d’hurler, ses branches se tendant vers les Cieux comme des bras. Oui, ils s’en rapprocheraient, lentement, mais inexorablement. Ils finiraient un jour par griffer les nuages. Siame ne put s’empêcher d’y voir une forme d’ironie : pour ces Dieux qui avaient fui cette Terre, pour sa Mère qui l’avait abandonné ici. Leur propre Création finirait un jour par les rattraper.
Cet Arbre, comme les Autres, lieraient la fange du Monde et les Cieux Divins.
CENDRES
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