Ne jamais laisser un combat durer trop longtemps, on n’était jamais à l’abri de mauvaises surprises en cours de route. Attaquer pour tuer. Peu importe le talent d’un combattant ou la puissance d’un mage, l’éliminer avant qu’il n’ait pu faire la démonstration de son talent était la façon la plus sûre de s’occuper du problème. La monstruosité était toujours vivante, et ils lui avaient laissé le temps de révéler une autre de ses capacités.

Leur stratégie avait bien fonctionné jusqu’ici. Verndrick mettait la pression à l’hybride pendant que l’orc qui lui avait confirmé être l’un des collègues infiltrés des Effraies attaquait en traître. Ils avaient presque réussi à l’avoir quand l’une des excroissances de Froussard s’enfonça dans la nuque de leur adversaire. La reine insectoïde réagit automatiquement en se tournant vers l’origine de l’attaque avant de cracher un jet de liquide que le lancier soupçonna dangereux. L’odeur de réaction chimique et de matière organique qui se décomposait souffla à Verndrick que sa théorie se confirmait : cela faisait une technique de plus dont il devait se défendre.

Mais pour l’heure, il devait profiter de la situation. Il y avait des dynamiques simples dans un combat, des règles basiques qui étaient connues de tous. Parfois, il fallait prendre des risques ou ignorer ses principes de base pour prendre le dessus sur son adversaire. Cependant, dans la plupart des combats, c’était plutôt celui qui poussait l’autre à l’erreur et punissait chaque manquement qui finissait par gagner. L’une de ses règles, la première que son père lui enseigna, était de ne jamais perdre son adversaire de vue, sauf quand c’était fait exprès pour le piéger. Dès que l’hybride se détourna de l’espion pour attaquer l’agent des Effraies, Verndrick se baissa en dégainant l’un de ses coutelas qu’il planta dans le talon gauche du monstre. Il laissa l’arme dans le corps, dégaina un deuxième couteau qui finit dans ce qui pouvait passer pour le genou droit de la reine.

Quand il récupéra son attention, il pensait qu’elle prendrait une posture plus conservatrice. Ce ne fut pas le cas : elle protégeait toujours ses organes vitaux, mais laissait toutes les autres attaques passer. Les premières giclées de sang touchèrent le visage de l’elfe qui comprit que son sang était aussi devenu caustique. Sa première réaction était de se retirer comme l’orc qui l’avertit en passant de cette nouvelle capacité de la corrompue. Mais ce n’était pas le moment de la laisser souffler. Ils devaient pousser leur avantage et en finir le plus vite possible.

Il serra les dents pour encaisser la douleur provoquée par les brûlures et répondit au sourire de la bête écarlate par un hochement de tête. Il savait reconnaître un adversaire redoutable. Elle était prête à l’emporter dans la tombe avec elle, chaque blessure qu’elle subirait vomissant du liquide corrosif sur le lancier qui les lui infligeait. Verndrick ajusta sa stratégie. Il n’était pas question de baisser la pression, mais il fallait rester prudent. Ses dernières attaques avaient pour but de restreindre ses mouvements, les suivantes visaient à lui enlever des options d’attaques. Il s’en prenait à ses appendices, sectionnant autant qu’il le pouvait. De fines couches de protections de vent apparaissaient à la surface de sa peau pour les protéger du sang qui giclait. Les membres sectionnés devenaient des moignons à l’extrémité toxique que le monstre n’hésitait pas à utiliser pour l’attaquer.

Sa magie de l’air ne pouvait pas le protéger de tous les jets de sang, donc il utilisa aussi sa vitesse et son bouclier pour limiter les dégâts. Il se retrouva avec des brûlures supplémentaires, mais rien qui ne pouvait l’empêcher de continuer le combat. Son offensive porta ses fruits. La reine était occupée par lui, blessée et ses mouvements étaient limités. Froussard profita de l’opportunité pour balancer un trait osseux depuis sa position, visant le dos de l’insectoïde. Un coup que Verndrick espérait fatal. Mais il ne fallait rien laisser au hasard dans un combat. Quand le projectile atteignit la cible, l’hybride fut momentanément sonné par la puissance de l’attaque. Ne voulant pas attendre pour voir les dégâts, Verndrick profita de la diversion pour se glisser sur le côté avant de se retrouver dans le dos de la corrompue. La lame d’un couteau apparut dans la main de l’espion avant de finir sa course dans la nuque de l’hybride, exactement où l’orc avait frappé plus tôt. Un sort d’air dispersa le sang qui fusa de la blessure.

La main de Verndrick se libéra du couteau avant de devenir un poing qu’il brandit brièvement avant de taper de toutes ses forces sur la garde de la lame pour l’enfoncer plus profondément dans la nuque avant de reculer et de prendre ses distances. Il y avait toujours d’autres spécimens en vie. Sans perdre le corps de l’hybride de vue au cas où elle serait toujours en vie, il se prépara à en finir avec ce qui restait des bêtes corrompues. D'ailleurs, il y avait de nouveaux venus. Étaient-ce des ennemis ou des alliés ?

Résumé:

Du feu, une échaudée et vilaine boule de feu sans aucun avertissement. Heureusement, Verndrick avait pris ses distances et le sort ne lui était pas destiné. L'hybride rouge était donc morte. Le lancier n’avait cependant pas baissé son arme, il était d’un naturel méfiant sur le champ de bataille. Ce ne fut que quand le nouveau venu se présenta et expliqua son passif avec les monstres corrompus qu’il se détendit un peu. Il avait du mal à croire que ce Flo était le genre de lâche à fuir pendant que son ami mourait. Les lâches ne débarquaient pas au milieu d’un combat pour balancer un sort de cette puissance.

Il l’observa se débattre avec Rathonite qui finit par accepter la potion proposée sous l’insistance de sa pupille. Verndrick les désigna d’un mouvement du menton sans regarder l’agent des Effraies dans les yeux avant de lui répondre comme s’il parlait tout seul.

“Les miens sont pareils.”

Il se rapprocha du groupe pour vérifier que son client, Aubert, allait bien. Le commerçant ne semblait pas vraiment apprécier que l’attention soit portée sur le triton. Ce dernier avait déjà ensorcelé celle qui se faisait appeler Val. Verndrick resta avec le groupe et apprit des faes qu’elles ne seraient à même de les téléporter que dans deux jours. Il était judicieux d’éviter de faire des messes basses avec l’orc s’ils ne voulaient pas perdre leur couverture. C’étaient tous les deux des professionnels, ils aviseraient si un nouvel imprévu se présentait.

L’espion passa le reste de la journée à analyser les corps de leurs adversaires. Il aurait aimé avoir plus de temps avec l’hybride, mais le feu ne faisait pas de concession. Il nota dans son journal tout ce qu’il avait remarqué sur les cadavres. Dans le métier, l’information était cruciale. Connaître l’anatomie, les stratégies et techniques de combat ainsi que les points faibles d’une proie faisaient partie du boulot. Il avait toujours sa couverture d’aventurier, il ne devait pas se relâcher sur ce point.

La nuit venue, il se reposa dans la tente après le repas et Flo ne tarda pas à les rejoindre. Ainsi, leur groupe s’agrandissait. Du moment où le nouveau n’avait pas une posture d’ennemi, il pouvait le tolérer le temps de connaître sa véritable histoire. C’était ce qu’il faisait avec les autres de toute façon. Rester courtois, nouer des liens et infiltrer les divinistes.

Le lendemain, il eut droit sans surprise aux questions du triton. C’était surtout ce à quoi il s’était préparé. Répondre aux questions, se fondre dans la masse, se faire des “amis”. Les combats ne venaient que quand on foirait. Mais les divinistes avaient apparemment leurs propres techniques de recrutement. À moins qu’ils aient moins de contrôle qu’il ne le croyait. Ils jouaient avec des forces imprévisibles et la corruption n’était pas un mal qui se laissait dompter. Ou alors, certains ne profitaient de la marche pour régler leur compte. Aubert ou Rathonite avaient-ils énervé le mauvais diviniste ? Spéculations inutiles. Il se tourna vers son interlocuteur.

“Il n’a pas tort, c’est plus poli d’avertir avant de toucher l’esprit d’une personne. Mais ça ne me gêne pas, je suis habitué. Je crois que ça amuse les télépathes de surprendre les gens avec leur magie.”

Il sortit sa gourde et en but une gorgée.

“Comment je fais pour m’en sortir ? Eh bien, vous le voyez !”

Il écarta les mains pour englober tout le voisinage.

“J’ai rejoint la promenade vers Justice et comme nous tous ici, j’essaie de comprendre ce qui nous arrive. Je survis, j’improvise. Et surtout, je me fais de nouveaux compagnons. Paraît que la galère est moins dure à plusieurs.”

Il sourit au triton et poursuivit sur un ton amical.

“En parlant de compagnon. Le seul ici qui me paie pour le tenir compagnie se tire, ce ne serait pas professionnel de ma part de le laisser s’éloigner.”

Il rangea sa gourde et fit mine de rejoindre Aubert qui marchait en direction d’une partie de la foule.

“Pour répondre à votre question. Les titans ne sont pas les monstres que le Reike ou le gouvernement veut nous faire croire. Ils sont au-delà de la notion de bien et de mal. Comme toute force de la nature, ils ne sont pas là pour nous éradiquer, mais nous éprouver. Le feu ne blesse pas le métal, il aide le forgeron à le débarrasser de ses impuretés pour en faire une lame fiable. L’eau et le vent n’érodent pas les montagnes. Ils les façonnent et révèlent leur majesté. Liberty a été touché, la ville en ressortira plus forte et mieux préparée.”

La vérité, comme beaucoup de choses ici-bas, n’avait rien d’absolu. Tout était une question de perspective et d’interprétation. Et le secret d’un bon mensonge était d’y glisser une part de vérité. La République était restée loin de la guerre des titans, trop occupée à comploter en interne et à profiter, non secourir les réfugiés shoumeiens. Une petite piqûre de rappel, pour qu’elle lève le nez de son nombril et voie que la menace pouvait aussi venir d’ailleurs, n’était pas plus mal. Du moins, c’était ce que pensait le personnage que Verndrick jouait pour cette mission.

Il les abandonna pour pister son client. Ils ne s’éloignaient jamais trop longtemps du groupe. Aubert voulait paraître vaquer à ses occupations comme d’habitude sans pour autant perdre Flo des yeux. Ils se retrouvèrent de nouveau le soir. Le marchand n’était pas le seul à avoir des soupçons vu que le triton les accueillit à nouveau avec une question. Il voulait savoir si Froussard et lui se connaissaient. Pour le coup, c’était facile de lui répondre, aucun besoin de demi-vérité ou de mensonge.

“Non, comme il l’a dit, c’est la première fois que nous nous voyons. Il n’a pas une tronche qu’on oublie facilement,” ajouta-t-il en souriant.

“Entre les enseignements de ma famille et la formation militaire, on peut dire qu’on m’a appris à rapidement m’adapter et combattre en équipe avec n’importe qui ou presque.”

Cela expliquerait leur affinité au combat.

“Je suis sûr, certains le prennent mal que je ne sois pas devenu un général de l’armée ou une connerie du genre. Que voulez-vous, j’aime trop la route et la liberté.”

Il haussa les épaules.

“Par contre, rien de tel pour se faire de nouveaux amis que de frôler la mort en combattant une abomination. Ça et la boisson.”

Joignant le geste à la parole, il sortit une flasque qu’il proposa à l’orc puis au triton.

“C’est ça mon métier. Aventurier, mercenaire, garde du corps, chasseur de prime ou enfoiré, le client choisit le titre qu’il préfère. Et vous Flo ?”

Résumé:

Ainsi, le triton croyait à la destinée. Bien que Verndrick n’était pas lui-même un adepte du déterminisme, il reconnaissait son attrait. N’était-il pas censé être la réincarnation ou l’héritier spirituel du patriarche de leur clan mort trois millénaires plus tôt ? Tout le monde dans la famille le croyait destiné à de grandes choses et son père avait beaucoup investi en lui pour en faire une réalité. Il trouvait cette philosophie utile quand on croyait avoir une destinée qu’on désirait ou qui au moins valait le coup. Savoir qu’une route était toute tracée pour nous et menait à une destination de choix permettait d’endurer les obstacles sur le parcours. On pouvait trouver du réconfort en sachant que les difficultés faisaient partie du voyage et se relever, rassuré qu’il y avait toujours de l’espoir.

Mais que faire quand on se savait destiné à la souffrance et à la soumission ? Dans ce cas, accepter son destin devenait le chemin de la mort, où on abandonnait tout combat en se complaisant dans sa douleur, attribuant sa cause et donc la justifiant par une force supérieure contre laquelle la lutte était futile. Une philosophie qui galvanisait certains et enfonçait d’autres n’était pas du goût du semi-elfe. Et si Flo pensait que les titans, des quasi-dieux, étaient soumis, eux aussi, au destin, alors ce n’étaient que des esclaves. Et quelle était l’entité qui décidait de l’avenir de tous, ou alors pensait-il que c’était de la chance pure ? Étant là pour s’infiltrer et non débattre sur des questions existentielles, l’espion se contenta de hocher la tête face à la remarque du triton. Il partageait au moins la même croyance que sa couverture en pensant que les attaques des disciples de Kaiyo n’étaient que des épreuves à surmonter par la République.

En parlant de chance et de destinée, voilà qu’une carriole s’approchait et que son occupant proposait de jouer à un jeu de hasard pour essayer de gagner une potion de mana en mettant son destin en jeu. Le guerrier n’était pas du genre à hésiter à risquer sa vie, il avait sa petite graine de folie qui le mettait souvent dans des situations aussi intéressantes que dangereuses. Mais cette fois, il décida de rester en retrait. La récompense proposée attirait beaucoup de monde et l’aventurier tenait à rester discret à ce moment de la mission. Observer et recueillir des informations. Dann Aubert, en voyant son protecteur attitré hésiter à participer, émit également des réserves. Il n’était pas étranger aux jeux de hasard, mais sa fibre commerçante le poussait à évaluer les risques avant de s’engager. Cela restait quand même une potion de mana à gagner gratuitement s’il avait de la chance. Il pouvait la revendre plus tard si elle attirait trop la convoitise.

Après moult réflexions, il rejoignit la petite foule qui s’était rassemblée autour de la carriole. Après plusieurs minutes de bavardage et de bousculade, Val fut annoncée vainqueur du prix. Les regards envieux qu’elle attirait maintenant prouvaient à Verndrick qu’elle avait gagné un cadeau empoisonné. Pensée qui se confirma par les différentes tensions qui s’accrurent dans le groupe. Entre Manuella qui était en compétition avec elle pour le cœur de Flo et les deux vieillards qui jugeaient qu’il était plus sage de leur confier la protection de la récompense, l’ambiance n’était pas vraiment à la camaraderie. La nuit tombée, ce à quoi l’espion s’était préparé toute la journée arriva. Mais contrairement à une offensive menée par des membres de la foule, ils avaient affaire à des morts-vivants visiblement contrôlés par magie.

Il remarqua Froussard, qui était de garde, alerter son groupe et les observa combattre quelque temps avant de croiser le regard de Manuella qui était aussi réveillée. D’un accord sans parole, ils se levèrent et rejoignirent la bataille pour en finir avec les cadavéreux. Heureusement, leurs ennemis étaient plus faibles et plus lents que les fois précédentes. Et les mages derrière leur contrôle n’étaient pas d’humeur à se montrer. Malgré l’avantage du nombre, la magie de la mage de l’air et la vitesse du lancier combinés au soutien de l’orc et de son groupe leur permirent d’en venir à bout sans blessures ou perte dans leurs rangs.

Le lendemain, les Destiny les accueillirent avec un nouveau dilemme. Leur donner la potion de mana que Val avait gagnée et qu’ils avaient défendue avec leur vie la veille. La potion avait beaucoup de valeur, et ils pouvaient l’échanger ou la vendre très facilement pour un excellent prix. Et vu la nature des épreuves qu’ils subissaient, ils combattaient beaucoup et cette ressource supplémentaire risquait de se montrer plus utile à l’avenir. Verndrick pouvait comprendre que la jeune femme hésitait à se séparer de son butin.

“Nous sommes dans le même bateau, miss Val. Et le futur du groupe dépend de vous. C’est votre récompense, donc votre choix. Prenez juste en compte que quelles que soient les épreuves que nous traversons, il semblerait qu’arriver à Justice les premiers ou au moins à la tête de la procession soit capital. Les fae avec leur insistance sur la magie de téléportation l'ont bien fait comprendre. Je doute que tous les participants aient eu la chance de gagner la potion en votre possession. D’ailleurs, je suis convaincu que le jeu de hasard faisait partie aussi des épreuves. C’est l’occasion pour nous d’utiliser cet atout pour prendre de l’avance sur la concurrence. Plus vite nous serons à Justice, mieux nous nous porterons.”

Résumé: