”La jungle de Sang est une forêt très luxuriante au climat chaud et très humide, c’est une des étendues de faune la plus vaste de Sekaï mais contrairement à ce que son appellation laisse supposer, elle ne fait pas partie des plus dangereuses. La teinte pourpre de son terreau qui lui donne son nom provient en effet du nombre colossal de batailles et d’affrontements ayant eu lieu à l’interieur de sa végétation, la quantité phénoménale de sang versé a finit par influencer sur la couleur de son sol.” La voix nasillarde de Ra déblatère sans faute le passage d’un livre lu par le Démon à Melorn, l’oeil hypermnésique du Démon étant le seul capable de s’ouvrir à volonté en même temps que les autres, il s’est octroyé une place sur un des filaments latéraux du torse de Savoir pour profiter d’un spectacle inédit.

”Sa praticabilité semble plus difficile que d’après la documentation…”

Plus calme, plus grave et plus posée, avec un timbre rassurant aux tonalités quasi-humaines, un autre oeil à la proportion démesurée s’exprime depuis le plus gros des organes oculaires de Savoir. Aux primes abord les cuissardes elfiques en bronze lamellé semblent dissimuler des membres anthropomorphes tout ce qu’il y a de plus normal, mais déjà lorsque les lambeaux de tissus, la tabarde et les pièces d’armure cèdent leur place à un genou au teint desséché et anormalement brunâtre, il est évident que le corps sous les accoutrements n’a rien d’humain, d’elfique ni même de “vivant”. Sous l’articulation s’étale la suite d’un membre devenant rachitique avec la peau collant à même l’os, pour qu’ensuite l’ossature se subdivise en une multitude d’appendices à l’apparence racinaires dont les ramifications se terminent abruptement en serres rèches et épaisses. Les jambes de Savoir maintiennent son corps augural debout, tandis que de l’autre côté de ses membres postérieurs au niveau de ses cuisses, une horreur plus grossière dans son évocation se dévoile dès le bassin: toute la partie supérieure du tronc de ce corps n’est plus qu’une parodie de ce qu’il fut un jour. Éventré en totalité comme le démontrent les deux rangées de côtes éclatées et apparentes, la cage thoracique s’ouvre pour dévoiler une parodie d’anatomie dont les plus courageux chirurgiens pourraient s’essayer à la comparer à celle d’un elfe, mais entre les viscères débiles et noires d’un sang stagnant qui se déversent de la base du tronc et les organes trop gros, trop bleuis et trop déformés pour être encore reconnaissables, le torse de Savoir suscite surtout le dégoût plutôt qu’un souvenir d’écorché médical.

Depuis ce torse maladif, un bras gauche encore humanoïde sert de rappel pour garder à l’esprit des spectateurs de cette aberration de la nature qu’elle fut un jour un elfe sain. Tant qu’on omet l’armure azsharienne fusionné avec sa chaire et faisant partie intégrante du corps du Démon, cette unique partie est la seule un tant soit peu normale de son enveloppe charnelle. L’autre membre antérieur n’a pas eu la même chance lors de la possession du cadavre par Savoir, sortant d’une épaule déjà difforme pour s’articuler chaotiquement, le bras droit du Démon n’est qu’une chimère chitineuse d’ossature entremêlée et d’appendices intriqués les uns dans les autres, formant de multiples pattes préhensiles aux serres acérées qui grouille à l’unisson. Le tout est surmonté d’une prolifération organique infâme, à partir de là où des moqueries de poumons sont encore discernable se tient maintenant une masse informe de chaire sans réel application physiologique, comme si une explosion de mitose cellulaire sans dieu ni gènes pour la guider avait donné un capharnaum biologique en générant une multitude de ces grands globes oculaires violacés, dont la plupart trônent sur des filaments de tissus organiques à la texture visqueuse qui oscillent doucement dans les airs, comme portés par l’apesanteur. De tout ces organes optiques soigneusement protégés par d’épaisses membranes pourpres, seuls deux d’entre eux sont ouverts, leur paupière s’étant désintégrée pour révéler une fois encore une anatomie oculaire particulière. Les yeux de Savoir ne sont que leur iris, dépourvus de sclère leur couleur prend donc toute la surface du globe et la texture filandreuse de leur épithélium recouvre la totalité des optiques, à l’exception d’une pupille noire comme la nuit dans le centre de chacun de ses yeux.

Le premier, Ra, continue de parler avec une voix suraiguë qui ne semble pas venir ostensiblement d’une bouche que le Démon ne possède de toute façon pas, mais carrément de son corps tout entier, récitant avec la fidélité d’un bon élève ayant appris sa poésie, les détails emmagasinés par Savoir durant ses trois cent milles dernières années de lecture sur tout ce qu’il sait concernant la Jungle de Sang. Son iris verdâtre vire lentement au jaune au fur et à mesure que l’épithélium antérieur supplante la postérieure, et un fin halo orangé entoure un orifice pupillaire noir comme la nuit mais aussi fin qu’un point de plume. L’oeil hypermnésique ausculte à toute vitesse l’orée de la Jungle devant eux comme pour en relever les moindres détails, cherchant inlassablement à enregistrer le plus de détails possibles.

”... qu’en pensez-vous Boktor?”

Perché sur un autre filament à quelques dizaines de centimètres de Ra, le plus gros globe oculaire de Savoir est également ouvert pour dévoiler une iris à la construction quasi-similaire à celle d’un être humain si on en omet la proportion colossale: une couleur brune légèrement noisette, une texture poreuse aux tissus organiques entrelacés, l’iris de Comp est une annonce fidèle de sa conscience, trompeuse, imitatrice. L’oeil empathique de Savoir contrôle actuellement le corps mais son emprise sur la conscience générale du Démon n’est pas assez forte pour endiguer l’ouverture simultanée de Ra, nullement gêné par cette cohabitation, Comp parle en usurpant les tonalités des mortels, en imitant ces mêmes émotions qu’il perçoit chez eux mais ne ressent pas, il les voit, il les comprend mais il ne les internalise pas et c’est là toute la différence. L’oeil de Comp scrute attentivement la Jungle sans pourtant adresser un regard à la personne qu’il questionne.

Le Démon est debout devant l’orée de la forêt tropicale aux côtés de Myriem de Boktor, une autre chevalière des Veilleurs de l’Aurore. Arrivés ensemble sur place en traversant l’Empire par téléportation, le duo attend patiemment que les renforts les rejoignent. Quelques jours auparavant, la Baronne avait mentionné la survenue d’une lune de sang dans l’almanach, et le Gardien de la Connaissance souhaitait profiter d’une fluctuation de la corruption exceptionnellement basse sur les terres shoumeïennes pour laisser le camp sous la surveillance temporaire d’Espoir et de Dactyle. Ils étaient parti en direction de la Jungle de Sang afin d’investiguer sur les propriétés des Rosa Lunarerubra, aussi connues comme Séductrices Pourpres, Carmines Lunaires ou tout simplement Roses Sanguines, Roses de Sang. Leurs étranges propriétés supposées méritent d’autant plus d’être investiguées que Savoir leur soupçonne une similitude avec le fonctionnement de certaines aura titanesques, tandis que leurs capacités urticantes plus évidentes intéressent aussi la Baronne pour ses propres arts médicaux. Si le Shoumeï n’effraie nullement les deux mages accomplis en dépit de l’horreur ineffable de la corruption qui le ronge et des aberrations maléfiques qui le peuplent, la Jungle n’est cependant pas un terrain favorable pour un groupe de deux explorateurs, encore moins durant cette période de perturbation magique. Chacun d’entre eux avait donc appelé des renforts, le Désintégrateur d’Azshary contactant donc le conseil des érudits de Melorn pour leur demander un juste retour de leur aide après la participation des Veilleurs à la défense de la cité en juin dernier, tandis que la Baronne a fait appel à une mystérieuse amie dont l’entité poly-oculaire ignore encore tout.

”Les Fondateurs arrivent.” La voix sereine de Comp extirpe Ra de sa contemplation des denses ombres tropicales et l’autre oeil se braque à son tour en direction du nord pour voir les nuages de poussière soulevés par le galop des chevaux. ”Lysandre a accédé à notre demande, c’est un bon sig-”
”... signe parce que la collaboration militaire entre deux nations ou entités géopolitiques marque régulièrement à travers l’histoire le début d’une alliance économique, scientifique et sociale ainsi que d’un rapprochement culturel, le Royaume de Jael’ti-bah’at a par exemple porté secours à la ville d’Ajman en moins trois cent cinquante deux mille sept cent vingt-et-un pour faire front aux hordes de nagas qui sortaient du Lac Rebirth durant la dix-huitième guerre marine…”

Il y a quelques semaines, une lettre de Myriem est arrivée entre ses mains. Une missive imprégnée de cette écriture élégante, mais cette fois son contenu se distinguait par une tonalité particulière. Une demande d’aide pour une expédition dans la Jungle de Sang. Étudier des roses, disait-elle. Sur le papier, cela était presque banal, mais en connaissant Myriem, rien ne l’était jamais. Il était à parier que c’était encore une de ces aventures peu ordinaires.

Pourtant, ce n’était pas tant les roses qui attisaient sa curiosité, mais plutôt l’énigmatique compagnon qu’elle mentionna dans chacune de ses lettres, ce Savoir. Un démon, comme elle lui avait déjà expliqué lors de leurs retrouvailles. Un démon qu’elle admirait autant qu’elle en redoutait la présence. Un mystère incarné. Elle ne savait pas précisément en quoi elle pourrait leur être utile. Ses talents ne lui semblaient pas spécialement adaptés à une mission aussi singulière. Mais Myriem a toujours eu cette capacité étrange de faire appel à des personnes pour des raisons qui, avec le temps, finissaient par se révéler évidentes.

Léonora tenta de se renseigner sur la Jungle de Sang avant de s’engager dans cette aventure. Mais, pour être honnête, ses recherches n’ont rien donné de concluant. Peut-être avait-elle mal cherché. En vérité, elle n’avait pas consacré autant de temps que qu’elle aurait dû à cette tâche. La GAR monopolisa toutes ses journées, et le peu de temps libre qu’il lui restait, son esprit semblait préférer s’égarer ailleurs, elle ne pouvait que reconnaître que sa concentration lui avait fait défaut. Mais d’une certaine manière, ce voyage tombait à point nommé. L’idée de retrouver Myriem, de se plonger dans une aventure loin des obligations quotidiennes, la motivèrent d’avantage.

La Jungle de Sang... Rien que le nom suffit à éveiller sa curiosité. Qu’allait-elle y trouver ? Il lui fallait maintenant trouver le moyen de rejoindre cette jungle sans sacrifier des semaines entières à un voyage harassant. Son rôle à la caserne ne lui permettait pas de s’absenter trop longtemps. Elle se tourna vers l’option mage. Certains d’entre eux offraient leurs services pour répondre à ce type de demande, moyennant, bien sûr, une compensation à la hauteur de leur talent. Après quelques recommandations et un peu de négociation, elle fut orientée vers un vieil homme usé par les années, mais dont la réputation parlait pour lui. Il se disait être spécialisé dans les longues téléportations. Il vivait à la périphérie de Liberty, entouré d’un jardin où des herbes aux couleurs variées se battaient pour un peu de plus d’espace et donnait cette impression de manquer d’entretient. Lorsque qu’elle lui donna la destination, il avait écouté en silence, ses doigts caressaient distraitement sa longue barbe blanche. Finalement, après un long moment de réflexion, il accepta de l’aider. En échange, il ne lui demanda pas de l’or, mais de lui rapporter quelque chose de la Jungle de Sang, quelque chose d’unique, qu’il pourrait conserver. Une condition étrange, mais qu’elle n’était pas en position de refuser. Elle lui promit d’essayer.

Ainsi, le jour suivant, elle se tenait devant lui. Ce fut rapide. Une lumière aveuglante et elle se retrouva ailleurs.

Mais vraiment ailleurs. En observant autour d’elle, il était clair que cet endroit ne correspondait en rien aux descriptions que Myriem lui avait faites. Aucune trace du lieu du rendez-vous. Le vieil homme s’était manifestement trompé dans ses calculs, ou bien dans... elle ne savait quoi. Toujours est-il qu’elle se trouvait à quelques kilomètres encore de son objectif. Elle se mit en marche, orientée à l’aide des maigres indications que Myriem lui avait laissées dans sa lettre. Elle l’attendrait avec son Savoir.

A l’orée de La Jungle de Sang. L’air y était lourd, l’humidité écrasante et cette odeur âcre lui fit immédiatement comprendre pourquoi on l’appelait ainsi. Elle était arrivée.  Elle retrouva enfin la petite équipe. Myriem. A ses côtés se tenait un être qu’elle devinait immédiatement être ce fameux Savoir. Et il méritait son titre de démon dérangeant avec une silhouette troublante, des yeux, trop d’yeux… Sans parler du reste. Puis un grand blond qu’elle ne connaissait pas. Il était imposant, bien bâti. Peut-être un mercenaire ou un guide ?
En arrivant dans leur cercle, Myriem fut la première à réagir. Son visage s’illumina à sa vue et elle s’élança pour l’enlacer. Une fois leur étreinte finie, Leonora se redressa pour se présenter à ceux qui ne la connaissaient pas encore.

Je suis Léonora de Hengebach. Sommes-nous au complet ?

Elle attendait ensuite les instructions.

Le membre 'Myriem de Boktor' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

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'Base' :

Écouter sans rien dire. C'était une habitude, presque une seconde nature pour la lieutenante de la IIIᵉ Légion. Léonora n'avait pas pour habitude de se précipiter dans les conversations, non par manque de répartie ou par ignorance, mais parce qu'elle préférait observer. Un réflexe forgé par les années de discipline militaire, où l'analyse silencieuse était souvent plus précieuse que des paroles précipitées.
Elle se tenait légèrement en retrait, attentive aux échanges entre Myriem et l’ambassadeur. Ils débattaient sur la stratégie à adopter. Léonora, elle, penchait naturellement vers l'avis de Myriem. Approcher l'avant-poste semblait être une mauvaise idée et même si Myriem n’avait pas toujours eu un instinct très aiguisé pour éviter les ennuis inutiles. Cependant, cela n’était pas une si mauvaise idée. Si l’avant post était désert, ils pourraient y trouver un refuge pour la nuit. Rester à découvert dans cette jungle pourrait être plus dangereux.
Finalement, son amie lui lança un regard, cherchant visiblement son soutien. Léonora hocha imperceptiblement la tête, confirmant son approbation silencieuse. Pas besoin de parler, Myriem comprit immédiatement qu'elle partageait son avis.

Pourquoi ne pas laisser le hasard trancher ?

La jeune brune se contenta d’observer le grand blond qui se protégeait le visage alors qu’une odeur des plus agréable vint caresser leurs narines. D’ailleurs, le démon aux tripes à l’air de Myriem, pouvait-il sentir quelque chose ? S’il paraissait évident, selon son amie, que cette étrangeté était une encyclopédie sur viscères, il était moins évident pour tout ce qui était vital pour le plus simple humain. Par ailleurs, elle refusa la pommade qu’on lui proposa. Elle restait toujours méfiante face aux inconnus, faire confiance trop rapidement n’était pas dans ses habitudes.


En tout cas, nous ne pouvons pas nier leur odeur qui est des plus agréable.


Concernant les Roses de Sang, Léonora n'était guère plus informée que ce qu'elle avait entendu de rumeurs ou de  conversation de couloir. Ces fleurs mystérieuses avaient été évoquées ici et là, souvent en des termes énigmatiques, parfois alarmants. On parlait d'un rouge profond, presque surnaturel, d'un parfum entêtant qui pouvait troubler l'esprit et d'un pouvoir insaisissable que certains cherchaient à exploiter. Mais tout cela restait vague. Elle n'avait jamais vu ces roses de ses propres yeux, encore moins compris leur véritable nature. Si elle avait eu vent de leur existence, elle n'avait rien qui puisse vraiment enrichir les connaissances de Myriem ou répondre aux questions qu'elle se posait. Leur origine, leur dangerosité ou leur potentiel restaient des mystères que seule l'expédition pourrait peut-être éclaircir.

En silence, elle observait Myriem, dont l'excitation palpable à l'idée d'étudier ces roses ne faisait aucun doute. Sa fascination pour les mystères, qu'ils soient naturels ou magiques, avait toujours été un moteur puissant pour elle. Mais pour Léonora, cela restait un sujet lointain. Les préoccupations de la Légion étaient bien plus concrètes. Surveiller, protéger, tenir les lignes. L'étude de fleurs ne faisait pas partie de ses priorités.

Je ne vais pas pouvoir vous être d'une grande aide sur ce sujet. J'ai entendu des rumeurs, bien sûr, mais rien de fiable ou de précis. Et je doute que ces histoires puissent réellement vous avancer. Si des rapports ont circulé, je n’y ai pas eu accès, du moins, j’ai du effectuer ce voyage avant de pouvoir les parcourir. Cependant, je sais que ces fleurs attirent de nombreux curieux Républicains. Des marchands ou herboristes pour la plupart. Je parie que nous ne tarderons pas à voir ces fleurs très prochainement sur les étales. J’espère qu’elles n’apporteront pas avec elles un certain mal qui pourrait s’étendre plus rapidement que si elles restaient dans cette jungle.

Son ton était direct, mais sans froideur. Elle savait que Myriem comptait sur son soutien d'une manière ou d'une autre, mais elle ne voulait pas donner l'impression de savoir plus qu'elle ne savait réellement ni paraître trop sereine sur le sujet épineux.
Elle laissa échapper un sourire lorsque Myriem parla de son incapacité à se déplacer dans le noir alors qu'elle pouvait y voir dans l'obscurité totale. Avec toute sa force et sa puissance développée, elle pourrait quand même faire l’effort d’apprendre à y voir plus clair. Ce qui ne serait pas un luxe la concernant, elle qui n’y voyait déjà qu’à moitié.

Je suis curieuse de connaître la position de Savoir. Êtes-vous capable de trancher entre plusieurs possibilités ou devons-nous nous laisser porter ?