Nestor, alias Grisaille; n'est pas de ceux qui volent un surnom fantaisiste pour s'attirer des louanges dénués de tout mérite. Grand gaillard usuellement vêtu de longs manteaux, il tient en partie son sobriquet à la teinte de son austère sélection vestimentaire, mais pas que. Sinistre même selon ses amis, effroyable aux dires de ses détracteurs; Grisaille est de ceux qui tentent usuellement de se faire discrets, quelque part au coin d'une pièce mal éclairée, mais qui finissent inévitablement par s'attirer les œillades des curieux.

Il suffit d'un simple regard appuyé pour réaliser que quelque chose cloche chez ce mystérieux bougre au calme extraordinaire. Les insouciants le supposent apathique, les roublards savent que sa placidité apparente est celle du crotale attendant son heure pour frapper avec justesse et précision. Sous la longue capuche de toile, sa trogne noire bordée de longues dreadlocks brunes révèle d'étranges striures mouvantes qui trahissent son inhumanité ainsi qu'une paire d'iris reptiliens qui finissent d'achever la bizarrerie du tableau.

Grisaille ne respire pas la bienveillance, ce même parmi les Limiers chez lesquels l'humour fait déjà souvent défaut. Enquêteur dans l'âme, il passe le plus clair de son temps la tête enfouie dans une montagne de documents qui ne semble jamais vouloir fondre ou encore déambulant dans les couloirs, cigare à la gueule, ce avec les cris désespéré des emprisonnés pour seul concerto. Pour tâcher d'être aimable, on le dira professionnel, minutieux et invariablement sérieux. En vérité, on le pensera plus généralement froid, calculateur et surtout fort lugubre. Mystérieux, sans histoire connue, patibulaire et pas franchement du genre à se laisser inviter pour boire un coup, ses plus fidèles compagnons le savent néanmoins doué d'une indéniable sagesse dûe à l'âge ainsi que d'une tendance à une forme de compassion somme toute très humaine.

Le voilà qui sourit à pleines dents tout en fixant le dallage, dévoilant au passage quelques quenottes brillantes ainsi qu'une paire de canines d'or qui parachèvent son allure d'improbable prédateur. Au gré d'un sec mouvement de tête, son grain de sa peau s'altère brièvement pour se faire rocailleux, laissant enfin deviner sa nature d'Elémentaire. Qu'est-ce qui le fait glousser dans sa barbe, ce grand dadais à la frimousse taillée pour faire frissonner les ours ? Une blague, tout bêtement. Cette plaisanterie, ce n'est pas un souvenir, c'est le cocasse trait d'esprit d'une voix qu'il est le seul à entendre.

...Car Grisaille n'est jamais seul.

Les naïfs le taxent de folie, ses semblables le supposent parfois maudit. Foutaises et légendes. Grisaille n'est frappé par aucun autre mal que son maladif désir de servir droitement. Cet être avec lequel il échange furtivement dans le théâtre sacré de sa vieille caboche n'est point une fabulation mais bel et bien son parent, son confident, son plus proche allié. Cette entité connue pour ses extraordinaires facultés se nomme Sablier, elle est un ancêtre de Nestor dont les pouvoirs uniques en leur genre permettent aux deux membres de la lignée des Vilarquebuse de fonctionner en tant qu'entités entièrement symbiotiques.

L'aspect parfois effroyable de son enveloppe, Grisaille le doit justement à cette atypique alliance générationnelle. Sablier exprime couramment sa présence par diverses manifestations arcaniques, plus notamment l'apparition de formes serpentines qui parcourent librement le corps de son protégé. Cette mue permanente est la parfaite illustration de leur improbable fusion, si ancienne et profonde d'ailleurs qu'on en peine aujourd'hui à dissocier l'un de l'autre. Elle est également leur unique salut face à l'infernale corruption du Razkaal ainsi que la principale source de leur puissance si habilement dissimulée. Leur union spirituelle, extraordinairement stable du fait de leur formidable compatibilité arcanique et psychologique, leur permet de se protéger mutuellement face au récital pervers de la légendaire prison.

Ce pouvoir fascinant a toutefois un coût; et pas des moindres. Quand deux âmes se superposent si intensément, elles ont une fâcheuse tendance à déborder, évoluer voir s'engloutir l'une l'autre. Que reste t-il de Nestor au fin fond de cette étrangeté surnaturelle qu'est devenu la Grisaille ?

Sale journée, vilaine pluie, mais belle occasion d'offrir à notre flétrissante République un peu de cet espoir qu'elle se languit d'obtenir. Le SCAR y est passé, diverses équipes d'enquêteurs se sont succédées sur cette piste mais puisque les Hommes ont fait chou blanc, il est temps d'envoyer les chiens de chasse pour traquer le monstre. Les prédateurs plus impitoyables de la légendaire prison ont été mis sur le coup et s'il n'y a qu'une seule silhouette qui se tient face au portail du domaine de Casteille, il y a pourtant plus d'une âme sur le coup et surtout plus d'une paire d'yeux.

Les pupilles fendues et cernées d'or se posent sur une haie impeccablement taillée puis oscillent d'une statue d'extérieur à une petite serre coquette. Mêlées aux locks de Grisaille, de serpentines figures se tordent en sondant l'air de leurs langues frétillantes. Loin d'être anxieux, les Vilarquebuse ont toutefois la circonspection ainsi que la patience que l'on hérite du grand âge. L'une des mains gantées de mitaines se dresse, s'immobilise à quelques centimètres du portail métallique et la voix du serpent ancestral résonne au tréfond de la caboche de Nestor :

"Prêt."

Ils n'ont pas besoin de communiquer davantage pour se comprendre. Grisaille dépose une main contre le fer et aussitôt, les talents de Sablier en matière de psychométrie magique se révèlent. Des images mentales fugaces viennent prendre la place de la vision des Limiers lorsque leurs paupières se ferment. Des paluches de domestiques, de visiteurs, d'amis de la famille; mais pas l'ombre d'un assortiment de griffes diaboliques révélé par le sortilège. Ca déçoit, mais ça ne prouve ou n'infirme rien en soi.

"R.A.S. Ça ne veut pas dire qu'il n'est jamais venu, mais au moins pas par la grande porte."

Un subtil hochement de tête fait office de réponse.

"Reste sur tes gardes p'tiot, s'il est venu la voir en même temps que nous il va falloir être réactif."

Ca va sans dire. De sa main libre, Nestor décrit un geste que son ancêtre ne connaît que trop bien. Ses doigts pianotent dans le vide et rien qu'à la torsion des muscles dont Sablier connaît la moindre parcelle de fibres, l'Artefact reconnaît les prémices du mouvement par lequel son héritier invoque son arme favorite. La bête qu'ils pourchassent a le pas leste et la furtivité du tueur né mais les vieux crotales, eux aussi, sont encore dotés d'un certain mordant. Grisaille ressent l'inquiétude de son compagnon de toujours et se dit qu'étrangement, il aborde le conflit potentiel avec plus d'anticipation que de crainte. La fougue de la jeunesse, encore vive après quatre siècles ? Amusant.

"Allons y." qu'il murmure sobrement tout en s'aventurant dans les jardins.

Il a tout pour faire un tableau parfait ce joli manoir, à condition bien sûr d'occulter le crachin et les nuages gris qui confèrent à l'idyllique paysage un aspect foutrement sinistre. Les pisteurs déambulent, sur leurs gardes malgré leur flegme apparent, puis c'est Sablier qui vient rompre spirituellement le silence en commentant l'esthétique des lieux :

"Belle bâtisse... et ce n'est pourtant qu'un domaine viticole parmi tant d'autres, le vin et le pain sont des moyens faciles de s'enrichir, et là où il y a de l'argent..."

La conclusion vient par réflexe :

"...Y'a de la poussière."

A deux pas de la porte d'entrée, Grisaille s'apprête à toquer mais se voit interrompu dans le processus par son protecteur qui lui communique ses précautionneuses intentions :

"Attends ne toque pas, j'aimerais repasser sur la poignée de la porte."

Sans mot dire, l'hôte du corps partagé obtempère et laisse la magie de Sablier glisser contre la porte. Surveillant les alentours sans vraiment croire à la perspective d'un assaut, il est tiré à sa besogne lorsque la tâche de son camarade s'achève et que sa main est utilisée pour se servir du heurtoir. Grisaille tourne la tête pour faire face à l'entrée et c'est justement quand le son du loquet se fait entendre que Nestor sent l'influence de Sablier s'amenuiser et qu'il reprend pleinement le dessus. Accueilli par une domestique décontenancée, il se contente d'une froide introduction tout en agitant les documents officiels qui légitiment sa venue. Evidemment invité à entrer malgré l'audible déplaisir qu'inspire sa présence, le Limier passe du hall au salon puis patiente en inspectant l'intérieur de cette grande maisonnée chargée d'histoire.

"On a quelques minutes..."

C'est machinalement et lentement que le corps physique de Grisaille prend place, adossé contre le mur d'un grand salon qu'il découvre sans y accorder pour l'heure un grand intérêt. Cette apathie, il la doit aux errances de son esprit fixé ailleurs car, à l'initiative de son associé, ses pensées se muent au gré de l'illusion réconfortante et familière d'un bureau d'enquêteur noyé dans d'épaisses volutes de fumée. Au centre de tout : Sablier, ou plutôt l'image, pas particulièrement claire d'ailleurs, que Nestor s'en fait.

L'exercice est toujours intrigant du fait de sa nature onirique. Le local spirituel, somme des pensées croisées de la paire d'enquêteurs superbement minutieux, a tout d'un lieu associant ordre et chaos avec un impeccable équilibre. Rien n'y est précis et pourtant, tout s'y devine instinctivement, facilitant ainsi avec une véritable efficacité les échanges naturellement tenus par les deux esprits fusionnés. Le plus âgé du duo d'Elémentaires se prélasse et s'étire, jouissant bien plus de cet environnement qui le dote d'une enveloppe que son héritier qui, quant à lui, détient encore le privilège de fouler le sol bien réel par ses propres moyens.

"Petits rappels, petits rappels, petits rappels. On nous a dit que de Casteille était fidèle à son courant politique, très humaine, très empathique et franche. D'un autre côté, elle est jeune, la présence d'un Limier va invariablement fausser son comportement donc pas de précipitations parce qu'elle peut être extrêmement nerveuse sans pour autant que ça ne soit significatif."

Sablier sert un verre de whiskey tourbé à son descendant qui s'en saisit pour ensuite se balader dans le local imaginaire, ou peut-être pas. Ils sont simultanément assis l'un en face de l'autre, ils se tournent le dos, consultent et trient des documents ensemble, à moins qu'ils s'y prennent séparément ? En ce lieu mystique aux courbes floues dont les lois ne sont jamais pleinement régies, les errances mentales de l'un font effet sur l'autre.

“Je serai ferme, peut-être un peu cruel en fonction de l’échange. juste assez pour la déstabiliser et la jauger, en tout cas.” qu'il lance d'un coup en furetant au travers d'un carreau encrassé au travers duquel on ne perçoit strictement rien de concret.

Sablier hoche son indéfinissable tête pour valider les propos de son vis-à-vis. S'aidant d'un tour d'esbrouffe, l'Artefact humanisé use des cendres de son cigare irréel pour générer dans le vide des portraits à peine identifiables de cibles et de témoins. Grisaille les reconnaît tous d'instinct et vient associer leurs truffes aux multiples dossiers qui y sont associés.

”Tu connais mon avis sur la question, l'interrogatoire de Zelevas a été compliqué du début à la fin, pour quelqu’un qui a été condamné aussi ouvertement et à qui il ne restait plus rien à perdre, je ne crois pas que ce soit une question de fierté s’il s’est montré aussi résistant. Le vieux a encore des choses à cacher et mon argent est sur cette femme.”

Suivant du regard les altérations des silhouettes bizarres qui se dessinent et se redéfinissent d'elles mêmes, Nestor laisse un demi-sourire apparaître sur sa frimousse de croquemort et rétorque :

“Tu n’auras pas d’adversaire avec qui le parier, ton argent. Je suis d’accord avec toi sur toute la ligne et même si je veux bien croire que le peu de sentimentalisme du Lion ait été entièrement consacré à sa jeune protégée, j’ai l’impression qu’il nous fait un brin de zèle. S’acheter un sens de l’honneur, à son âge et dans sa situation, ça m’semble relativement tardif.”

Il marque un silence, boit une gorgée qui n'a que le goût d'un souvenir. Tandis qu'il s'humecte les lèvres, il s'intéresse l'espace d'un bref instant à un bruit provenant de l'extérieur du bureau et donc du monde réel. Ca s'agite à l'étage du manoir De Casteille, sûrement la tenancière qui se bichonne en vue de l'entretien à venir. Il leur reste quelques secondes, assez pour aborder un sujet épineux :

“Rien à voir mais… tu penses que le Prévot se fie à notre instinct, sur ce coup ? J’ai l’impression qu’il va pas tarder à chercher une excuse pour nous reprendre le dossier. Ça a l’air de le toucher un peu trop… personnellement, cette histoire.”

L'ancêtre se redresse d'un coup, son fauteuil grince plus qu'il le faudrait.

"Hé grand !"

Une leçon, rien d'inhabituel...

”Ne t’occupe pas de ça, garde la tête froide. Si la version la plus simple est souvent la plus vraie, le chemin qui y mène n’en est pas moins sinueux pour dévoiler ce qui est délibérément caché. Même si le Prévôt Ryven venait à te retirer l’assignation ça ne veut pas dire que c'est un échec, d’accord?”

Sablier pose une main sur l'épaule de Grisaille en dépit de la distance supposée les séparer. Les dimensions ne sont jamais un problème, lorsque l'on rêve...

”Tu suis ta voie et tu le fais bien, c'est tout ce qui compte. Maintenant concentre toi sur ce qui nous attend, ce que Zelevas cherchait à cacher n’est pas nécessairement en rapport avec Casteille, les deux parents de la Sénatrice étaient très proche du vieux… il peut y avoir une couleuvre sous ces pierres qu’on ne verra pas voir venir avant de la déloger, alors reste à l’affût et navigue avec prudence.”

La sollicitude de l'ancien semble toucher le petit cœur poussiéreux du concerné. Elargissant sciemment son rictus malin, Nestor ne chasse pas la main de Sablier et se contente d'envoyer avec détachement :

“J’ai passé l’âge de m’attacher à une affaire, Mouton. Ce n'est pas pour nous que je m’inquiète, c’est pour Kieran. Dès qu’il est question de Mortifère, il nous fait le coup de la vouivre renfrognée pour dissimuler son véritable ressenti… et comme à chaque fois qu’il se mouille trop, il va patauger puis se ramasser et finir par boire la tasse.”

”Mmh…”

Ils sont interrompus par de nouveaux bruissements nés dans la réalité. Tournant instinctivement la tête vers la porte symboliquement présente, Grisaille quitte finalement une assise qui disparaît lorsqu'il s'en sépare et traverse le brouillard tout en ajoutant :

"...mais t’as raison, c’est pas le sujet pour l’instant. C’est l’heure du spectacle.”

Le bureau austère s'efface dans une bourrasque fantasmée et c'est à cet instant que la fameuse Hélénaïs De Casteille se manifeste, visiblement soucieuse mais toutefois actuellement dépourvue de son senseur en vue de son silence. Profitant de l'instant pour détailler l'attitude de la demoiselle avec attention, l'Elémentaire aux yeux reptiliens discerne sans mal les marques d'un affolement difficilement contenu qui, malheureusement, ne démontre pas grand chose au delà d'un potentiel trait de personnalité. Dissimulé aux oreilles de la jeune femme aveugle par le crépitement irrégulier d'un feu de cheminée, le Limier se révèle lorsqu'il s'éloigne du mur contre lequel il s'est adossé.

"Bonjour... L’Office avait d’autres questions à me poser ? Je pensais en avoir terminé la dernière fois déjà."

Profitant injustement de la cécité de la jeune femme pour éviter de faire d'office savoir leur présence, le duo symbiotique échange aux confins de leur enveloppe commune quelques observations :

"Très propre."
"En effet, impeccable."
"Pas de personnel dans la pièce."
"Et on entend peu de domestiques… pour un si grand domaine."
"Elle n’est pas allée s’asseoir de suite, très nerveuse, comme un lapin qui sait que le loup l’a vu."

Elle leur offre un sourire de politicienne, plein de charme et de patience. Il ne lui rend pas cette gentillesse et cela s'entend :

"Ce n’est pas l’Office qui m'envoie. C’est le Razkaal."

Maîtrisé, glacial. Tout ce qu'il faut pour instaurer l'effroi. "Razkaal", c'est un mot qui a tendance à favoriser le sérieux à défaut du respect. Se mettant en marche, Nestor commence son petit jeu et va volontairement manquer de courtoisie en explorant sans y être invité ce salon qui, de toute évidence, ne présente que peu d'indices de valeur. Il est avant tout question d'instaurer un climat particulier, une ambiance favorable à l'inconfort et donc aux erreurs.

"Nestor Vilarquebuse. Enchanté, Madame de Casteille."

Une domestique fait son apparition et c'est la risette d'un alligator à crocs dorés qu'il lui offre. Cela ne l'amuse pas de se montrer vil, mais ça fait partie du rôle à tenir. Alors qu'il s'apprête à reprendre la parole, un choc à l'extérieur de la maisonnée parvient à ses oreilles et c'est aussitôt que Sablier s'agite en réponse à la perturbation sonore. S'immobilisant sans mot dire, ce assez longtemps d'ailleurs pour que son interlocutrice perçoive l'étrangeté d'un tel silence, Grisaille s'entretient à nouveau en secret avec son camarade :

"J'entends mal, il y a eu un bruit dehors là non ?"
"Quelque chose est tombé et c'est plus gros qu'un chat, je dirais..."
"Mmh... je vais aller voir, fais attention grand."
"Toujours."

La prudence, c'est leur marque de fabrique n'est-ce pas ?

Nestor sent la projection astrale de l'entité symbiotique se faire et c'est donc seul qu'il lance l'interrogatoire d'Hélénaïs de Casteille. C'est sommaire, particulièrement bref, juste assez pointu d'ailleurs pour établir quelques conclusions légitimant de garder le dossier sous le coude et le nom de la jeune politicienne gravé dedans. La marque qu'ils ont laissé sur cette affaire est indélébile mais cette histoire n'est pas la leur et ils le savent. La conclusion, d'autres l'écriront pour eux. Non pas qu'ils craignent se mouiller, mais ils savent l'un comme l'autre que les jeunes aussi doivent trimer pour s'imposer dans ce monde, même s'il est prêt à dévorer n'importe qui à la moindre inattention.

Saluant la maîtresse des lieux aussi courtoisement que peut s'y prendre un rustre, Nestor lève ses fesses de l'assise sur laquelle il s'est invité puis s'éclipse en laissant sous-entendre que tout cela n'est pas terminé. Il n'apprécie pas spécialement de mettre une donzelle endeuillée dans un tel état d'anxiété, mais il sait d'expérience que l'angoisse fait des miracles lorsque l'on sait la manier. Surveillant vaguement les alentours sur le chemin du retour, l'enquêteur dépasse le portail entrouvert puis amène un cigare bien réel à ses lèvres avant de placer une paume en cloche sous ce dernier.

Depuis sa main, des striures poussiéreuses se dessinent pour laisser se manifester la pointe d'une arme qui vient trancher net l'embout du cigare avant de disparaître comme elle est venue. De l'autre dextre, le vieux crotale va piocher une boîte d'allumettes usées puis enflamme son tabac avant de prendre quelques inspirations mesurées pour alimenter le foyer. Lorsque les épaisses volutes qu'il recrache se dissipent tout autour de lui, les deux compagnons ressentent aussitôt une montée de sensations, plus costaudes d'ailleurs chez l'invité que chez l'hôte; puis la paire de fauteurs de trouble se met en marche.

"Qui aurait cru que les yeux d'une aveugle en diraient tant."

-Le Rakzaal