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Citoyen du monde
Malazach
Messages : 45
crédits : 750
crédits : 750
Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage noir
Alignement: Neutre mauvais
Rang: B - Cardinal
Lorsque l’attention des mortels se voyait dissipée par l’heure du sommeil. Que le crépuscule intimait aux éphémères de se retirer dans leurs antres primitives, l’Ange, lui, se retirait vers les hauteurs immaculées. En des temps plus civilisés, lorsque l’élégante perfection des cieux ne s’était pas encore faite supplantée par la boue de la normalité, d’autres que lui, d’autres comme lui, l’y avaient retrouvé.
Tout en foulant du pied cette neige qui ne leur arrachait jadis aucun frisson, les fils et filles premiers-nés du Forgeron, de la Guerrière, de la Chuchoteuse, du maître des Flots ou celui de la mort -son propre Père- s’étaient laissés aller au badinage inepte comme aux débats passionnés. Leurs esprits supérieurs, éduqués par des éons de connaissance, leur permettaient alors de bondir d’un sujet à l’autre, de partager avec clarté à leurs pairs les dernières nouvelles de ce monde encore en formation ou de s’emparer de nouveaux savoirs en buvant jusqu'à la lie les paroles des autres.
Malazach, malgré ses dires, n’avait jamais fait partie des premiers-nés. Mais ils l’avaient accueilli parmi eux, lorsqu’il s’était emparé du cœur d’Illanielle, fille de Zeï, la mère de son premier enfant.
Plus avidement qu’aucun autre, l’Ange Noir avait alors fait ce qu’il avait toujours fait en dévorant avec avidité la sagesse des anciens. Il s’était lié d’amitié avec Sylas, premier-né de X’orath, avait jalousé -comme tout le monde- la place d’Envoyé des dieux de l’éminent Haknafeïn, qui pouvait parler aux créateurs eux-mêmes, et s’était gaussé de la stupidité des fils jumeaux de Kazgoth, Ollanius et Pius.
Désormais, il était seul, là-haut.
Aucun d’eux n'avait survécu à la chute des dieux. Ceux qui n’étaient pas morts au combat s’étaient avillis en rejoignant les causes mortelles.
Debout, les yeux rivés sur les nuages en-dessous de lui, que le pic de la montagne avait perforé pour s’arroger une place parmi les cieux, Malazach s’efforçait de chasser les murmures portées par le vent. De ne point reconnaître l’écho de voix s'étant tues depuis longtemps, dans les sifflements de l’air.
Pouvait-il lui-même prétendre avoir encore une place, ici ? Lui, qui s’était tant mêlé à la médiocrité de ce monde maudit que son enveloppe s’était tordue pour mieux correspondre à sa nature de charognard. Jamais, en vingt-cinq milles années, Malazach n’avait regretté ne serait-ce qu’une fois d’être un survivant. D’avoir refusé l’extermination sans trahir son sang. Mais la solitude, même pour une âme aussi vieille et retorse que la sienne, finissait invariablement par peser.
Puisqu’ici, jugé par les cieux, ou en bas, adulé par un millier de fidèles brebis, il était et resterait seul.
Dans un élan de sentimentalisme pitoyable, il avait conçu une nouvelle table, semblable à celle qu'ils avaient occupé durant l'âge d'or, pour l'apporter ici à l'aide de serfs cadavériques. Une dalle de marbre rectangulaire aussi longue qu'un attelage de six bœufs, montée sur un pied amovible de roche que ses servants avaient taillé à coups de crocs et de griffes. L'exercice avait duré deux semaines. Distrayant et affreusement sinistre.
Maintenant… assis, les mains croisées sur la surface de cette tablée dominant les cieux, l'Ange Noir, qui s’était volontiers fait assassin de son propre peuple au cours des derniers siècles au nom de principes auxquels sa vieille et amère âme restait la seule à croire encore, présidait le néant, les étoiles en seules témoins.
Et il ne trouvait plus en lui assez de forces pour pleurer.
***
La nuit témoigna avec indifférence de son réveil en sursaut. Les fils des cieux n'avaient jamais eu besoin de dormir. Ils en avaient la fonction, bien sûr, mais comme dans beaucoup d'autres cas, les Anges n'avaient fait que mimer les coutumes mortelles à force de côtoyer leurs trop nombreuses races bâtardes. Lui-même, à son grand étonnement, s'était accoutumé bien vite à cette étrange habitude, après la chute. Un moyen de voler au temps quelques heures de quiétude. Ses rêves enfiévrés lui avaient longtemps servi de moyen pour résoudre des problèmes, établir de nouveaux stratagèmes…une mémoire parfaite en toute circonstance pouvait permettre de mettre à profit le domaine onirique, l'utiliser pour exploiter ce que la conscience ne parvenait pas à imaginer.
Mais de résolution, il n'était plus question désormais. Plus depuis des siècles. Ce que Malazach étouffait dans l'espoir de continuer son œuvre, le sommeil le ranimait et il finissait toujours par se retrouver face à la table de marbre, jugé par les étoiles.
Un cauchemar répété. D'autant plus douloureux par l'indéniable réalité de sa conclusion.
Malazach poussa un long soupir alors que ses paupières s'ouvraient pour dévoiler à son regard las le plafond de la chambre de l'ancien haut prêtre de Bénédictus. Le bois et la pierre de la Sainte Cathédrale grinçaient et craquaient constamment depuis sa récupération. Les morts s'affairaient sans relâche dans sa remise en état. Ce qui ne pouvait être réparé se voyait retiré par des mains froides au sang stagnant, pourri. La reconstruction n'avait pas échappé au monde, et quelques serfs à l'esprit rendu volatile par la corruption ambiante s'étaient présentés dans les environs, le visage masqué, le regard perdu.
Les pionniers de la nouvelle croisade les avaient récupérés et placés dans les maisons encore debout des quartiers nettoyés par la Garde Noire et les chevaliers de la Rose Croix. Chaque jours, de nouveaux croyants venaient alimenter leurs rangs. Des mortels. Un nouveau ramassis d'enveloppes jetables, aisément remplaçables, l'acclamant comme il se devait, alors qu’il occupait enfin cette place convoitée depuis tant d’année…
Sur un champ de ruines.
L’Ange Noire se redressa, quittant les draps de soie à la surface parsemée de plumes noires. D’une main aux doigts griffus, il s'empara d'une soutane au tissu coûteux, aussi sombre que la nuit. Son regard dériva jusqu'au miroir fixé au mur, face au lit, et le Porteur de Peine se surprit à se dévisager durant de longues secondes. Ses côtes apparentes, sa peau plus grise que pâle, le réseau de veines et de capillaires parcourant les reliefs de sa chair maladive ne suscitaient en lui nul malaise ni honte. Même ses ailes étaient devenues…autre chose. Des appendices crochus avaient remplacé leurs articulations cartilagineuses, et il pouvait presque sentir ses crocs pousser dans sa mâchoire en lacérant la chair de ses joues. La corruption ne laissait personne indifférent, sans doute. Pas même lui.
Il rejeta la bure coûteuse pour se contenter d'une robe de moine grise rêche et usée, coiffa sa couronne de Laurier et lorgna une dernière fois vers son reflet pour lui accorder un sourire fatigué.
Voilà qui convenait mieux au seigneur d'une bande de mendiants en marge du monde.
L'heure était venue de s'assurer qu'aucune dissension ne risquait de troubler son règne.
Il aurait préféré la trouver dehors, à fixer le néant en direction de Mael la conquise, l'air renfrogné par une juste mais puérile colère envers les mortels. Dans les jardins, habitée d'une sérénité nouvelle, acquise pendant son absence, peut-être lors d’un pélerinage aux confins du monde. Ou bien dans les bains, à se laisser aller à la paresse et au luxe comme tant d'autres de leurs congénères après la guerre. Tout, plutôt qu'ici, au paradis de la quiétude, où le silence n'était brisé que par le bruissement des pages tournées et le craquement du vieux plancher. C'aurait été plus simple, de constater immédiatement un changement. De ne plus entrevoir celle qu'il avait connu et formé, jadis, dans cette silhouette estropiée. Cette ange sans ailes.
Mais Siame était là. Elle lisait, isolée, assise en tailleur, les sourcils froncés par on ne savait quel songe. Comme avant.
“Existe-t-il plus insidieux poison qu'un livre?” Lui avait-il un jour soufflé en s'amusant du discret sursaut que son irruption avait causé.”Il nourrit l'esprit d'histoires et de fantaisies mais, si l'on ne prend pas garde, ce même esprit se retrouve bien vite trop occupé à rêver pour agir.”
Combien de mises en garde de ce genre, de conseils aux airs de menaces avaient rythmés leurs conversations pendant des siècles? Le jeune lui, si persuadé que le monde tournait alors pour les dieux et leurs fils favoris, ne tombait jamais à court de citations, dictons et lois.
L’Ange Noir s’approcha doucement, jusqu’à ce que le livre dans les mains de la fille d’Aurya ne se referme en un claquement sec.
“-Puis-je te parler?” La formulation lui était revenue naturellement. Une escroquerie sentimentale, inconsciente, puisqu’à l’époque de leur amitié, Malazach avait toujours entamé les hostilités en prononçant ces quatre mêmes mots.
Pourtant, les dieux seuls savaient à quel point cela faisait longtemps qu’il n’avait plus eu besoin de demander une quelconque forme d’accord pour que ses trop nombreux serfs se mettent à boire ses paroles.
Mais Siame n'était pas un serf. Et pour sa part, cela faisait bien plus longtemps encore qu'elle n'avait plus eu besoin de ses conseils.
“-Dehors.” Précisa-t-il, un doigt braqué en direction de la sortie. “J'aimerai te montrer quelque chose.”
***
Il n’y avait pas d’épitaphes. Les pierres tenaient à peine debout. Des plantes grimpantes avaient poussé sur leur surface avant de mourir et de noircir. Deux tombes jumelles, perdues au milieu de rien, sur un plateau désolé loin des routes menant à Bénédictus. A quelques pas de là, les rebords de cette plateforme de terre, de roches et de cendres offraient une vue dégagée sur la lointaine cité moribonde et l’arbre-monde. L’aridité de cet endroit ne datait pas du cataclysme, ces terres-ci étaient mortes-nées. Elles devaient aux locaux et à leur symptomatique absence de créativité le nom de “Berceau du Faucheur”, ce qui leur valaient depuis tout temps la réputation d'intouchables, de sacrées aux yeux de tous, mais trop souvent saccagées par des apprentis nécromants ou des sectaires radicaux.
Mais ces tombes-là, pourtant plus vieilles que certaines villes, personne n’y avait jamais touché.
Le gardien y veillait.
A l’image de celles qu’il protégeait, l’entièreté de son être avait fini enseveli dans les ronces et les plantes grimpantes. Ce n’était qu’une armure, sans casque ni tête, toujours debout malgré son évidente absence de vie. Les deux mains posées sur un espadon aussi long qu’un homme, le géant d’acier ne s’éveillait que lorsqu’une forme de vie osait approcher ces lieux. Les ossements d’innombrables animaux errants parsemaient les environs, seuls témoins de la violence dont l’armure maudite pouvait faire preuve. Malazach avait pris soin de retirer les corps des intrus humains, pour éviter d’attirer l’attention, pour s’assurer que l’endroit persiste à être ce qu’il devait être : Un mémorial anonyme.
L’Ange Noir s’approcha des tombes jumelles d’un pas qui s’était toujours fait hésitant, ici. D’un clignement d’yeux, il pacifia l’armure qui s’était mise à grincer à leur arrivée.
Puis le Nécromant s’arrêta quelques instants pour adresser ses respects aux cercueils orphelins reposant dans cette terre, les mains jointes, la pointe de ses doigts orientée vers les profondeurs appartenant à son Père. Et le silence n’eut pas le temps de fondre sur eux avant qu’il n’avoue :
“-Il n’existe guère de farce plus cruelle - pour quelqu’un de ma lignée - que de ne pas même avoir un corps à enterrer.” Sans une once d’émotion dans la voix, le nécromant continua : “Je vous ai cherché. Longtemps. Bien après la fin de la guerre. J’ai remonté le peu de pistes que tu avais laissé derrière-toi, mais tu avoueras que tu as toujours su disparaître de la surface du monde lorsque tu le souhaitais.” L’indice d’un sourire se manifesta à la commissure de ses lèvres. “Lorsqu’il m’est devenu évident que ta disparition n’était dû ni à un abandon, ni à l’une de tes fantaisistes aventures loin de nous tous, j’ai…”
Il avait creusé à main nue les fossés. Le sol calcaire avait ouvert la pulpe de ses doigts et la douleur physique avait agi comme un pansement plus que bienvenue sur le supplice que cette condamnation à la solitude au milieu des primitifs éphémères lui infligeait. Le capitaine de la Garde Noire, seul témoin de la scène à cette époque, était resté bouche-bée face à cette scène surréaliste. Son seigneur, à moitié fou, fouissant dans la fange comme le dernier des serfs, tout semblant de calme envolé ; La chair de ses mains à vif, la face souillée de boue sanguinolente… Il n’avait pas tendu la main pour l’aider à s’extirper de son œuvre, une fois cette dernière terminée. Abasourdi, le chevalier s’était contenté d’observer son maître jeter deux cercueils vides dans la fosse leur étant destinée avant d’essuyer d’un revers de manche ce qui souillait ses traits d'albâtre.
Le silence s’en était suivi. Le mortel caparaçonné, posté deux pas derrière l’Ange, avait laissé ce dernier se laisser aller à la morbide contemplation de ces deux tombes anonymes, pas encore recouvertes. Jusqu’à ce que la nuit tombe. Jusqu’à ce que les cieux se mettent à pleurer, eux aussi, et que la terre récemment retournée ne commence à glisser d’elle-même dans les fosses pour recouvrir ce que Malazach ne parvenait pas à abandonner.
“-Monseigneur.” Avait simplement risqué le mortel.
Et son seigneur s’était retourné.
Surpris par l’assaut soudain, le bretteur n’avait pas eu le temps de dégainer son arme. Les griffes noires avaient expédié le heaume au loin, à l’impact, alors même que son possesseur s’écroulait. Avec empressement, en dérapant dans la boue comme un loup acculé, le fils de X’ora-th s’était jeté sur son sous-fifre pour lui écraser le visage à coup de pieds jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une bouillie de bris d’os et de cervelles.
Et puis, sans attribuer le moindre regard au cadavre, Malazach s’était mis à hurler.
“-J’ai fait creuser ces deux tombes.” Mentit-il en se détournant des antiquités désormais obsolètes pour planter son regard dans celui de son accompagnatrice ressuscitée. “Pour ne pas oublier. Peut-être aurais-je dû commencer par là, lorsque tu es revenue la première fois.”
Tout en foulant du pied cette neige qui ne leur arrachait jadis aucun frisson, les fils et filles premiers-nés du Forgeron, de la Guerrière, de la Chuchoteuse, du maître des Flots ou celui de la mort -son propre Père- s’étaient laissés aller au badinage inepte comme aux débats passionnés. Leurs esprits supérieurs, éduqués par des éons de connaissance, leur permettaient alors de bondir d’un sujet à l’autre, de partager avec clarté à leurs pairs les dernières nouvelles de ce monde encore en formation ou de s’emparer de nouveaux savoirs en buvant jusqu'à la lie les paroles des autres.
Malazach, malgré ses dires, n’avait jamais fait partie des premiers-nés. Mais ils l’avaient accueilli parmi eux, lorsqu’il s’était emparé du cœur d’Illanielle, fille de Zeï, la mère de son premier enfant.
Plus avidement qu’aucun autre, l’Ange Noir avait alors fait ce qu’il avait toujours fait en dévorant avec avidité la sagesse des anciens. Il s’était lié d’amitié avec Sylas, premier-né de X’orath, avait jalousé -comme tout le monde- la place d’Envoyé des dieux de l’éminent Haknafeïn, qui pouvait parler aux créateurs eux-mêmes, et s’était gaussé de la stupidité des fils jumeaux de Kazgoth, Ollanius et Pius.
Désormais, il était seul, là-haut.
Aucun d’eux n'avait survécu à la chute des dieux. Ceux qui n’étaient pas morts au combat s’étaient avillis en rejoignant les causes mortelles.
Debout, les yeux rivés sur les nuages en-dessous de lui, que le pic de la montagne avait perforé pour s’arroger une place parmi les cieux, Malazach s’efforçait de chasser les murmures portées par le vent. De ne point reconnaître l’écho de voix s'étant tues depuis longtemps, dans les sifflements de l’air.
Pouvait-il lui-même prétendre avoir encore une place, ici ? Lui, qui s’était tant mêlé à la médiocrité de ce monde maudit que son enveloppe s’était tordue pour mieux correspondre à sa nature de charognard. Jamais, en vingt-cinq milles années, Malazach n’avait regretté ne serait-ce qu’une fois d’être un survivant. D’avoir refusé l’extermination sans trahir son sang. Mais la solitude, même pour une âme aussi vieille et retorse que la sienne, finissait invariablement par peser.
Puisqu’ici, jugé par les cieux, ou en bas, adulé par un millier de fidèles brebis, il était et resterait seul.
Dans un élan de sentimentalisme pitoyable, il avait conçu une nouvelle table, semblable à celle qu'ils avaient occupé durant l'âge d'or, pour l'apporter ici à l'aide de serfs cadavériques. Une dalle de marbre rectangulaire aussi longue qu'un attelage de six bœufs, montée sur un pied amovible de roche que ses servants avaient taillé à coups de crocs et de griffes. L'exercice avait duré deux semaines. Distrayant et affreusement sinistre.
Maintenant… assis, les mains croisées sur la surface de cette tablée dominant les cieux, l'Ange Noir, qui s’était volontiers fait assassin de son propre peuple au cours des derniers siècles au nom de principes auxquels sa vieille et amère âme restait la seule à croire encore, présidait le néant, les étoiles en seules témoins.
Et il ne trouvait plus en lui assez de forces pour pleurer.
***
La nuit témoigna avec indifférence de son réveil en sursaut. Les fils des cieux n'avaient jamais eu besoin de dormir. Ils en avaient la fonction, bien sûr, mais comme dans beaucoup d'autres cas, les Anges n'avaient fait que mimer les coutumes mortelles à force de côtoyer leurs trop nombreuses races bâtardes. Lui-même, à son grand étonnement, s'était accoutumé bien vite à cette étrange habitude, après la chute. Un moyen de voler au temps quelques heures de quiétude. Ses rêves enfiévrés lui avaient longtemps servi de moyen pour résoudre des problèmes, établir de nouveaux stratagèmes…une mémoire parfaite en toute circonstance pouvait permettre de mettre à profit le domaine onirique, l'utiliser pour exploiter ce que la conscience ne parvenait pas à imaginer.
Mais de résolution, il n'était plus question désormais. Plus depuis des siècles. Ce que Malazach étouffait dans l'espoir de continuer son œuvre, le sommeil le ranimait et il finissait toujours par se retrouver face à la table de marbre, jugé par les étoiles.
Un cauchemar répété. D'autant plus douloureux par l'indéniable réalité de sa conclusion.
Malazach poussa un long soupir alors que ses paupières s'ouvraient pour dévoiler à son regard las le plafond de la chambre de l'ancien haut prêtre de Bénédictus. Le bois et la pierre de la Sainte Cathédrale grinçaient et craquaient constamment depuis sa récupération. Les morts s'affairaient sans relâche dans sa remise en état. Ce qui ne pouvait être réparé se voyait retiré par des mains froides au sang stagnant, pourri. La reconstruction n'avait pas échappé au monde, et quelques serfs à l'esprit rendu volatile par la corruption ambiante s'étaient présentés dans les environs, le visage masqué, le regard perdu.
Les pionniers de la nouvelle croisade les avaient récupérés et placés dans les maisons encore debout des quartiers nettoyés par la Garde Noire et les chevaliers de la Rose Croix. Chaque jours, de nouveaux croyants venaient alimenter leurs rangs. Des mortels. Un nouveau ramassis d'enveloppes jetables, aisément remplaçables, l'acclamant comme il se devait, alors qu’il occupait enfin cette place convoitée depuis tant d’année…
Sur un champ de ruines.
L’Ange Noire se redressa, quittant les draps de soie à la surface parsemée de plumes noires. D’une main aux doigts griffus, il s'empara d'une soutane au tissu coûteux, aussi sombre que la nuit. Son regard dériva jusqu'au miroir fixé au mur, face au lit, et le Porteur de Peine se surprit à se dévisager durant de longues secondes. Ses côtes apparentes, sa peau plus grise que pâle, le réseau de veines et de capillaires parcourant les reliefs de sa chair maladive ne suscitaient en lui nul malaise ni honte. Même ses ailes étaient devenues…autre chose. Des appendices crochus avaient remplacé leurs articulations cartilagineuses, et il pouvait presque sentir ses crocs pousser dans sa mâchoire en lacérant la chair de ses joues. La corruption ne laissait personne indifférent, sans doute. Pas même lui.
Il rejeta la bure coûteuse pour se contenter d'une robe de moine grise rêche et usée, coiffa sa couronne de Laurier et lorgna une dernière fois vers son reflet pour lui accorder un sourire fatigué.
Voilà qui convenait mieux au seigneur d'une bande de mendiants en marge du monde.
L'heure était venue de s'assurer qu'aucune dissension ne risquait de troubler son règne.
Il aurait préféré la trouver dehors, à fixer le néant en direction de Mael la conquise, l'air renfrogné par une juste mais puérile colère envers les mortels. Dans les jardins, habitée d'une sérénité nouvelle, acquise pendant son absence, peut-être lors d’un pélerinage aux confins du monde. Ou bien dans les bains, à se laisser aller à la paresse et au luxe comme tant d'autres de leurs congénères après la guerre. Tout, plutôt qu'ici, au paradis de la quiétude, où le silence n'était brisé que par le bruissement des pages tournées et le craquement du vieux plancher. C'aurait été plus simple, de constater immédiatement un changement. De ne plus entrevoir celle qu'il avait connu et formé, jadis, dans cette silhouette estropiée. Cette ange sans ailes.
Mais Siame était là. Elle lisait, isolée, assise en tailleur, les sourcils froncés par on ne savait quel songe. Comme avant.
“Existe-t-il plus insidieux poison qu'un livre?” Lui avait-il un jour soufflé en s'amusant du discret sursaut que son irruption avait causé.”Il nourrit l'esprit d'histoires et de fantaisies mais, si l'on ne prend pas garde, ce même esprit se retrouve bien vite trop occupé à rêver pour agir.”
Combien de mises en garde de ce genre, de conseils aux airs de menaces avaient rythmés leurs conversations pendant des siècles? Le jeune lui, si persuadé que le monde tournait alors pour les dieux et leurs fils favoris, ne tombait jamais à court de citations, dictons et lois.
L’Ange Noir s’approcha doucement, jusqu’à ce que le livre dans les mains de la fille d’Aurya ne se referme en un claquement sec.
“-Puis-je te parler?” La formulation lui était revenue naturellement. Une escroquerie sentimentale, inconsciente, puisqu’à l’époque de leur amitié, Malazach avait toujours entamé les hostilités en prononçant ces quatre mêmes mots.
Pourtant, les dieux seuls savaient à quel point cela faisait longtemps qu’il n’avait plus eu besoin de demander une quelconque forme d’accord pour que ses trop nombreux serfs se mettent à boire ses paroles.
Mais Siame n'était pas un serf. Et pour sa part, cela faisait bien plus longtemps encore qu'elle n'avait plus eu besoin de ses conseils.
“-Dehors.” Précisa-t-il, un doigt braqué en direction de la sortie. “J'aimerai te montrer quelque chose.”
***
Il n’y avait pas d’épitaphes. Les pierres tenaient à peine debout. Des plantes grimpantes avaient poussé sur leur surface avant de mourir et de noircir. Deux tombes jumelles, perdues au milieu de rien, sur un plateau désolé loin des routes menant à Bénédictus. A quelques pas de là, les rebords de cette plateforme de terre, de roches et de cendres offraient une vue dégagée sur la lointaine cité moribonde et l’arbre-monde. L’aridité de cet endroit ne datait pas du cataclysme, ces terres-ci étaient mortes-nées. Elles devaient aux locaux et à leur symptomatique absence de créativité le nom de “Berceau du Faucheur”, ce qui leur valaient depuis tout temps la réputation d'intouchables, de sacrées aux yeux de tous, mais trop souvent saccagées par des apprentis nécromants ou des sectaires radicaux.
Mais ces tombes-là, pourtant plus vieilles que certaines villes, personne n’y avait jamais touché.
Le gardien y veillait.
A l’image de celles qu’il protégeait, l’entièreté de son être avait fini enseveli dans les ronces et les plantes grimpantes. Ce n’était qu’une armure, sans casque ni tête, toujours debout malgré son évidente absence de vie. Les deux mains posées sur un espadon aussi long qu’un homme, le géant d’acier ne s’éveillait que lorsqu’une forme de vie osait approcher ces lieux. Les ossements d’innombrables animaux errants parsemaient les environs, seuls témoins de la violence dont l’armure maudite pouvait faire preuve. Malazach avait pris soin de retirer les corps des intrus humains, pour éviter d’attirer l’attention, pour s’assurer que l’endroit persiste à être ce qu’il devait être : Un mémorial anonyme.
L’Ange Noir s’approcha des tombes jumelles d’un pas qui s’était toujours fait hésitant, ici. D’un clignement d’yeux, il pacifia l’armure qui s’était mise à grincer à leur arrivée.
Puis le Nécromant s’arrêta quelques instants pour adresser ses respects aux cercueils orphelins reposant dans cette terre, les mains jointes, la pointe de ses doigts orientée vers les profondeurs appartenant à son Père. Et le silence n’eut pas le temps de fondre sur eux avant qu’il n’avoue :
“-Il n’existe guère de farce plus cruelle - pour quelqu’un de ma lignée - que de ne pas même avoir un corps à enterrer.” Sans une once d’émotion dans la voix, le nécromant continua : “Je vous ai cherché. Longtemps. Bien après la fin de la guerre. J’ai remonté le peu de pistes que tu avais laissé derrière-toi, mais tu avoueras que tu as toujours su disparaître de la surface du monde lorsque tu le souhaitais.” L’indice d’un sourire se manifesta à la commissure de ses lèvres. “Lorsqu’il m’est devenu évident que ta disparition n’était dû ni à un abandon, ni à l’une de tes fantaisistes aventures loin de nous tous, j’ai…”
Il avait creusé à main nue les fossés. Le sol calcaire avait ouvert la pulpe de ses doigts et la douleur physique avait agi comme un pansement plus que bienvenue sur le supplice que cette condamnation à la solitude au milieu des primitifs éphémères lui infligeait. Le capitaine de la Garde Noire, seul témoin de la scène à cette époque, était resté bouche-bée face à cette scène surréaliste. Son seigneur, à moitié fou, fouissant dans la fange comme le dernier des serfs, tout semblant de calme envolé ; La chair de ses mains à vif, la face souillée de boue sanguinolente… Il n’avait pas tendu la main pour l’aider à s’extirper de son œuvre, une fois cette dernière terminée. Abasourdi, le chevalier s’était contenté d’observer son maître jeter deux cercueils vides dans la fosse leur étant destinée avant d’essuyer d’un revers de manche ce qui souillait ses traits d'albâtre.
Le silence s’en était suivi. Le mortel caparaçonné, posté deux pas derrière l’Ange, avait laissé ce dernier se laisser aller à la morbide contemplation de ces deux tombes anonymes, pas encore recouvertes. Jusqu’à ce que la nuit tombe. Jusqu’à ce que les cieux se mettent à pleurer, eux aussi, et que la terre récemment retournée ne commence à glisser d’elle-même dans les fosses pour recouvrir ce que Malazach ne parvenait pas à abandonner.
“-Monseigneur.” Avait simplement risqué le mortel.
Et son seigneur s’était retourné.
Surpris par l’assaut soudain, le bretteur n’avait pas eu le temps de dégainer son arme. Les griffes noires avaient expédié le heaume au loin, à l’impact, alors même que son possesseur s’écroulait. Avec empressement, en dérapant dans la boue comme un loup acculé, le fils de X’ora-th s’était jeté sur son sous-fifre pour lui écraser le visage à coup de pieds jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une bouillie de bris d’os et de cervelles.
Et puis, sans attribuer le moindre regard au cadavre, Malazach s’était mis à hurler.
“-J’ai fait creuser ces deux tombes.” Mentit-il en se détournant des antiquités désormais obsolètes pour planter son regard dans celui de son accompagnatrice ressuscitée. “Pour ne pas oublier. Peut-être aurais-je dû commencer par là, lorsque tu es revenue la première fois.”
✞✞✞ Malazach est Maudit ✞✞✞
-Les pratiquants du Culte des Ombres et les adeptes du Divinisme le voient comme un ange resplendissant.
-Les adeptes du Shierak et les athées, eux, le voient tel qu'il est véritablement ; une créature aussi famélique que sinistre.
Prophétesse
Siame
Messages : 215
crédits : 341
crédits : 341
Info personnage
Race: Ange
Vocation: Mage soutien
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Cardinal
D’aussi longtemps qu’elle se souvienne, Siame avait toujours trouvé refuge dans le silence d’une bibliothèque. Parce que ces lieux – contrairement aux Hommes – ne posaient pas de question ; n’exigeaient pas de réponses ; n’attendaient aucune forme d’abnégation de sa part. Elle avait fui le Monde, ici – autrefois – entre les pages ouvertes des bouquins, dans un univers où elle n’avait jamais eu à porter le fardeau d’être. Où elle pouvait se contenter de disparaître dans le silence des mots, là où ses pensées n’avaient pas de voix.
Peut-être qu’une autre Siame aurait trouvé la paix ici.
Mais celle-ci avait troqué l’innocence de ses premiers jours contre le poids des vérités qu’on lui avait imposées.
« Existe-t-il plus insidieux poison qu’un livre ? » À cette époque, l'Ange avait esquissé un sourire en coin à la question. Il fallait l’imaginer, encore jeune, encore belle. Et belle, elle l’avait toujours été—sa Mère s’en était assurée : avait fait d’elle une nymphe de marbre (oh l’ironie du sort) ; lui avait donné le regard le plus angélique qu’il soit, et les lèvres les plus divines que l’Homme avait eu la joie de voir. D’une oreille distraite, elle avait écouté les conseils de son mentor et avait tourné sa page lentement – avec certainement, une pointe de provocation dans le mouvement. « Pourquoi crois-tu que je lis ? » s’était-elle contenté de répondre avant de continuer sa lecture. Siame ne s’était jamais contenté de recevoir bêtement les guidances qu’il lui avait offertes. Non, elle recevait chaque conseil comme on arrachait une croûte : cherchant la vérité et trouvant dans le sang la cruelle réalité du Monde dans lequel ils vivaient. Et elle avait toujours trouvé le moyen de nuancer leur justesse écœurante—motivée par le désir de bâtir, un jour, quelque chose qui lui appartiendrait. De tracer sa propre route. Elle avait toujours détesté l’idée d’attendre l’approbation de Malazach – aussi mentor fut-il – pour avoir été une élève attentive et docile. Alors, bien souvent, elle restait muette. Se contentait d’opiner—l’ombre d’un sourire sur les lèvres. Et le résultat de cet apprentissage ne se manifestait que bien après. Parfois 5 000 ans après.
Peut-être qu’il l’avait découvert.
Elle ne lui avait jamais demandé.
Elle ne lui avait jamais demandé si pendant ces 5 000 ans, il était venu à la bibliothèque dans l’espoir de l’y trouver. Ou de trouver des morceaux d’elle, éparpillés parmi les rayons. Elle ne lui avait jamais demandé s’il s’était attardé assez longtemps pour mettre la main sur l’un de ses ouvrages, pour le prendre et pour peut-être, voir son nom, à la toute fin, calligraphié de sa propre main. Combien de livres, ici, étaient signés par elle ? L’Ange avait fini par arrêter de compter.
Peut-être qu’à cette lointaine époque, on l’aurait vu relever la tête vers lui, le visage illuminé d’une expression mesquine.
« J’ai écrit celui-ci, » lui aurait-elle dit. « C’est mon propre poison qui coule à travers ces lignes, » aurait-elle confessé, une pointe de fierté moqueuse tapissée dans le fond de la voix. Oui, peut-être lui aurait-elle dit qu’elle avait choisi chaque mot soigneusement—et qu'à force de travail acharné, c’était son poison à elle qui avait tissé sa toile dans le cœur des fidèles, génération après génération.
Elle n’avait pas relevé les yeux, lorsqu’elle avait entendu le claquement de ses pas sur le carrelage de la bibliothèque. Sa bouche n’avait pris aucune inflexion et ses lèvres demeurèrent fines, dures, leur rougeur uniquement rappelée par les veines rouges, éclatées sous la peau laiteuse de ses épaules. Au fil des âges, sa beauté avait pris des formes différentes. Plus torturées. “Puis-je te parler ?” et ses yeux – ces deux lacs gelés – avaient finalement abandonné les pages noircies pour le regarder. Elle n’allait pas le nier, qu’il daigne lui demander l’avait amusé, tout au fond d’elle—ne l’aurait-il pas fait qu’elle aurait certainement fait mine de ne pas se sentir concernée, ou lui aurait-elle ri au nez, entre le dédain et l’attendrissement. Ceux qui croyaient outrageusement la connaître auraient affirmé avec simplicité qu’elle était congelée jusqu’à l’âme – et que s’y attarder était une perte de temps monumentale. Et tant mieux. Elle avait toujours considéré que s’entourer d’individus rebutés par le moindre obstacle était un tort impardonnable.
En vérité, elle n’avait pas été tout à fait certaine de comment interpréter son invitation. Il y avait-il là le vestige d’une civilité passée ? Lui faisait-il secrètement la grâce de ne pas la considérer comme l’un de ses serfs ? Peut-être était-ce là seulement une comédie de délicatesse qui n’avait que pour but de cacher sa véritable nature—rendue trop évidente par une malédiction pour qu’elle n’en croit la sincérité ? Ou bien, un avertissement suranné—en souvenir de toutes les fois où il avait allumé la mèche de la sorte. Autrefois, elle aurait certainement soutenu son regard—tenté de fragiliser ses efforts pour en comprendre l’origine. Mais qu’importe désormais. Siame n’avait plus la patience pour se perdre en surinterprétations.
Le livre sur ses genoux se referma comme une plaie sur son nom.
Et elle l’avait suivi.
La fraîcheur du lieu lui avait d’abord glacé les os. Ou bien était-ce autre chose, sur lequel elle ne parvenait pas à mettre le doigt. Une tension coula le long de son échine en arrivant au mémorial—de peur de comprendre que trop bien de quoi il s’agissait. Son regard glissa sur le gardien, la hallebarde que les années d’immobilité et de pluie acides avaient rouillée quand celui-ci s’éveilla pour un bref instant. Rappelé par Malazach, le corps sans Âme se figea à nouveau. Sans regarder celle qui accompagnait son maître. Comme s’il savait déjà ce qu’elle était. Il sembla à Siame que l’endroit vivait un deuil sans fin.
Les lèvres figés, l’Ange avait écouté, incapable de détacher son regard des deux stèles enracinées. Une pour sa sœur. Et une pour Elle. Curieusement, une profonde lassitude l’avait saisi dés qu’elle avait posé les yeux sur cette tombe qui aurait dû être la sienne. Et une fatigue sombre l’ébranla jusqu’à l’os : lui donnant l’envie de s’y allonger, de prendre sa place ici et de s’y abandonner pour le reste de l’éternité—sans qu’elle ne se l’expliquer réellement. Peut-être parce qu’elle aurait dû mourir cent fois déjà.
Un léger hoquet – presque douloureux, comme si son corps hésitait entre sanglot et ironie – échappa sa gorge lorsqu’il évoqua sa désastreuse inclinaison à disparaître sans laisser la moindre trace. Elle aurait voulu rire, franchement. Peut-être l’aurait-elle fait si elle n’avait pas été aussi sûre qu’il entendrait le nœud dans sa gorge. Parce que pour elle s’isoler n’avait jamais été rien de plus qu’un moyen de se préserver—quand vivre lui était cruellement éprouvant, et aimer davantage encore. Elle respira la nuit, longuement. Pour chasser la morsure salée des larmes dans sa voix.
— Je n’ai pas eu la chance de pleurer aucun de vous deux. La pierre ne pleure pas.
“Merci”. C’est ce qu’elle aurait voulu dire. Au lieu de ça, elle exècre la froideur – cette cuirasse désespérée – avec laquelle elle parle. Malazach pouvait-il seulement le lui reprocher, quand sa propre voix refusait de manifester la moindre once d’émotion ?
Peut-être que si elle s’était agenouillée pour plonger ses doigts dans la terre meuble, peut-être l’aurait-elle "vu".
Les visions l’auraient assaillies, sans filtre, sans mensonge. Il aurait été là, dans son esprit, après la guerre, ses propres mains enfouies dans la fange, à gratter la surface du Monde jusqu’au sang. Peut-être alors aurait-elle compris : sa détresse, son abandon, sa rage inépuisable. Tout ça, et personne pour le lui faire supporter.
Mais Siame ne l’avait pas fait.
Ou bien, refusait-elle de le faire—parce que s’embourber dans son ignorance était plus confortable. Croire qu’il n’en avait jamais rien eu à foutre lui était presque plus doux.
Elle était restée là, le regard perdu sur la stèle, à songer au venin et à la vengeance, à tout ce qui pouvait chasser le miroitement des larmes dans ses yeux et à se convaincre que les mots qu’il avait prononcé n’avaient aucun sens particulier dans sa bouche à lui. Elle resta silencieuse, un long moment—elle resta silencieuse, pendant que les « peut-être » continuaient de hurler autour d’elle, tissant une vie qu’elle ne toucherait jamais. Et le mensonge de Malazach resta sa seule vérité.
“Peut-être aurais-je dû commencer par là, lorsque tu es revenu la première fois.”
Mais – lui non plus – ne l’avait pas fait.
— Qu’est-ce que cela aurait changé ? Tout. Les “peut-être” n’écrivent pas les histoires.
Non, ils se contentent de s’empiler, comme un mausolée fragile de tout ce qui aurait pu être. Et les aveux glissent sur eux, comme des éclats de glace—ne trouvent aucune prise, ne pansent aucune des brèches qu’ils portent tous les deux en silence.
⋯ Célestia, 5 ans auparavant. ⋯
— Où est-il ? On l’avait regardé, médusé, comme si l’Ange venait de revenir d’entre les morts. Et c’était le cas. Malazach, jappa-t-elle, sa patience évaporée, une vague de reproches au bord des lèvres.
Elle avait d’abord cru que ses yeux lui jouaient des tours. Mais ses yeux allaient parfaitement bien. Là où se tenait autrefois son mentor – lui, sa fierté superbe et sa gueule de prince (elle-même aurait pu remarquer qu’il était charmant, si elle avait eu la moindre minute à accorder aux hommes charmants) – s’élevait désormais devant elle une forme bossue, émaciée et abjecte. Sa lèvre trembla, vaguement coupable—de le trouver si abominablement ignominieux. Tout de ce qu’il était devenu se heurtait à des principes solidement ancrés en elle. Et Siame avait dégluti péniblement dans le silence qui s'ensuivit, ravalant sa honte.
“Pourquoi ne m’as-tu jamais cherché ?” Elle avait ressassé la question durant tout son trajet jusqu’à Célestia et imaginé toutes les réponses—avait anticipé toutes les excuses. Mais la question mourra dans sa gorge quand il s'approcha d’elle. Elle ne la posa pas, de peur des choses qu’elle ne voulait pas voir. Son estomac se noua d’une crampe venimeuse, venue accompagner le dégoût qu’elle avait éprouvé en voyant ce qu’était devenu Célestia. Siame recula avec méfiance, refusant d’accepter ce qu’elle voyait. “Tu m’as abandonné. Tu m’as laissé seule avec lui.” Voilà ce qu’elle s’était imaginé lui cracher à la gueule. Elle aurait voulu le voir s’étrangler sur sa propre culpabilité, qu’il l’implore de lui pardonner. “Jamais,” lui aurait-elle répondu, le regard partagé entre la pluie et l’incendie. Oui, elle avait voulu qu’il regrette, pour le reste de sa misérable éternité, de ne pas l’avoir mieux considéré.
Siame n’avait pas prononcé le moindre mot. Pas non plus lorsqu’ils arpentèrent les pavés de la grande place, devant le temple, le pas chancelant, comme s’ils avaient oublié comment marcher à côté. Son pas ne se calquait plus au sien. Elle n’avait rien dit non plus, lorsqu’il s’arrêtèrent devant la fontaine. L’eau continuait d’y couler, comme à l’époque. Combien de fois l’avait-elle vu la bénir, devant le regard benêt des Mortels ? Elle demeura tout aussi silencieuse quand il la traîna dans une bâtisse pitoyable, ouvrit une porte grinçante pour la laisser entrer. La pièce unique était sombre, pleine de moisissure—lui donna le sentiment de se trouver dans une cellule ou dans un tombeau. Quelque chose craqua sinistrement sous son talon. Elle baissa les yeux sur les os d’animaux qui parsemaient le sol. Pendant une seconde, Siame avait craint qu’il ne l’enferme ici. Lui s’était contenté d’allumer une bougie déjà bien entamée, pendant que la revenante observa péniblement l’habitude flagrante avec laquelle il le fît.
— Que t'est-il arrivé ? Demanda-t-elle lorsque la flamme vacillante illumina son visage osseux, et l’inquiétude se mélangea au reproche dans sa voix. Tu sais quoi ? Je ne veux même pas savoir.
Parce que ces retrouvailles ne pouvaient pas bien se passer. Elle l’interdisait. Parce que la chute de son mentor ne pouvait qu’être une forme d’abandon. Elle avait imaginé trop de fois ce moment pour qu’il bouscule ses plans, simplement parce que lui aussi avait souffert—quand elle aurait préféré le trouver entouré de ses nouveaux compagnons, de ceux qui se faisaient alors appeler “Le Nouvel Ordre”, à se prélasser dans l’absence de douleur.
Et au fond d’elle, dans un battement de paupière discret, elle remercia silencieusement les Dieux qu’il soit encore en vie.
Les deux Anges étaient restés cloîtrés dans la bâtisse trois jours et trois nuits durant—sans le moindre repos, sans la moindre pause. Les fidèles avaient même fini par se demander s’ils en sortiraient un jour—et le temps avaient été rythmé par les éclats de voix, parfois accusateurs, parfois hargneux, s’échappant de la porte. Et quelques fois, des silences interminables – tristes, peut-être – entrecoupaient les altercations houleuses.
Jusqu’à qu’Elle sorte. Qu’elle se détourne du temple – ce temple qui avait un jour été sa maison – pour partir.
Peut-être qu’une autre Siame aurait trouvé la paix ici.
Mais celle-ci avait troqué l’innocence de ses premiers jours contre le poids des vérités qu’on lui avait imposées.
« Existe-t-il plus insidieux poison qu’un livre ? » À cette époque, l'Ange avait esquissé un sourire en coin à la question. Il fallait l’imaginer, encore jeune, encore belle. Et belle, elle l’avait toujours été—sa Mère s’en était assurée : avait fait d’elle une nymphe de marbre (oh l’ironie du sort) ; lui avait donné le regard le plus angélique qu’il soit, et les lèvres les plus divines que l’Homme avait eu la joie de voir. D’une oreille distraite, elle avait écouté les conseils de son mentor et avait tourné sa page lentement – avec certainement, une pointe de provocation dans le mouvement. « Pourquoi crois-tu que je lis ? » s’était-elle contenté de répondre avant de continuer sa lecture. Siame ne s’était jamais contenté de recevoir bêtement les guidances qu’il lui avait offertes. Non, elle recevait chaque conseil comme on arrachait une croûte : cherchant la vérité et trouvant dans le sang la cruelle réalité du Monde dans lequel ils vivaient. Et elle avait toujours trouvé le moyen de nuancer leur justesse écœurante—motivée par le désir de bâtir, un jour, quelque chose qui lui appartiendrait. De tracer sa propre route. Elle avait toujours détesté l’idée d’attendre l’approbation de Malazach – aussi mentor fut-il – pour avoir été une élève attentive et docile. Alors, bien souvent, elle restait muette. Se contentait d’opiner—l’ombre d’un sourire sur les lèvres. Et le résultat de cet apprentissage ne se manifestait que bien après. Parfois 5 000 ans après.
Peut-être qu’il l’avait découvert.
Elle ne lui avait jamais demandé.
Elle ne lui avait jamais demandé si pendant ces 5 000 ans, il était venu à la bibliothèque dans l’espoir de l’y trouver. Ou de trouver des morceaux d’elle, éparpillés parmi les rayons. Elle ne lui avait jamais demandé s’il s’était attardé assez longtemps pour mettre la main sur l’un de ses ouvrages, pour le prendre et pour peut-être, voir son nom, à la toute fin, calligraphié de sa propre main. Combien de livres, ici, étaient signés par elle ? L’Ange avait fini par arrêter de compter.
Peut-être qu’à cette lointaine époque, on l’aurait vu relever la tête vers lui, le visage illuminé d’une expression mesquine.
« J’ai écrit celui-ci, » lui aurait-elle dit. « C’est mon propre poison qui coule à travers ces lignes, » aurait-elle confessé, une pointe de fierté moqueuse tapissée dans le fond de la voix. Oui, peut-être lui aurait-elle dit qu’elle avait choisi chaque mot soigneusement—et qu'à force de travail acharné, c’était son poison à elle qui avait tissé sa toile dans le cœur des fidèles, génération après génération.
Elle n’avait pas relevé les yeux, lorsqu’elle avait entendu le claquement de ses pas sur le carrelage de la bibliothèque. Sa bouche n’avait pris aucune inflexion et ses lèvres demeurèrent fines, dures, leur rougeur uniquement rappelée par les veines rouges, éclatées sous la peau laiteuse de ses épaules. Au fil des âges, sa beauté avait pris des formes différentes. Plus torturées. “Puis-je te parler ?” et ses yeux – ces deux lacs gelés – avaient finalement abandonné les pages noircies pour le regarder. Elle n’allait pas le nier, qu’il daigne lui demander l’avait amusé, tout au fond d’elle—ne l’aurait-il pas fait qu’elle aurait certainement fait mine de ne pas se sentir concernée, ou lui aurait-elle ri au nez, entre le dédain et l’attendrissement. Ceux qui croyaient outrageusement la connaître auraient affirmé avec simplicité qu’elle était congelée jusqu’à l’âme – et que s’y attarder était une perte de temps monumentale. Et tant mieux. Elle avait toujours considéré que s’entourer d’individus rebutés par le moindre obstacle était un tort impardonnable.
En vérité, elle n’avait pas été tout à fait certaine de comment interpréter son invitation. Il y avait-il là le vestige d’une civilité passée ? Lui faisait-il secrètement la grâce de ne pas la considérer comme l’un de ses serfs ? Peut-être était-ce là seulement une comédie de délicatesse qui n’avait que pour but de cacher sa véritable nature—rendue trop évidente par une malédiction pour qu’elle n’en croit la sincérité ? Ou bien, un avertissement suranné—en souvenir de toutes les fois où il avait allumé la mèche de la sorte. Autrefois, elle aurait certainement soutenu son regard—tenté de fragiliser ses efforts pour en comprendre l’origine. Mais qu’importe désormais. Siame n’avait plus la patience pour se perdre en surinterprétations.
Le livre sur ses genoux se referma comme une plaie sur son nom.
Et elle l’avait suivi.
×××
La fraîcheur du lieu lui avait d’abord glacé les os. Ou bien était-ce autre chose, sur lequel elle ne parvenait pas à mettre le doigt. Une tension coula le long de son échine en arrivant au mémorial—de peur de comprendre que trop bien de quoi il s’agissait. Son regard glissa sur le gardien, la hallebarde que les années d’immobilité et de pluie acides avaient rouillée quand celui-ci s’éveilla pour un bref instant. Rappelé par Malazach, le corps sans Âme se figea à nouveau. Sans regarder celle qui accompagnait son maître. Comme s’il savait déjà ce qu’elle était. Il sembla à Siame que l’endroit vivait un deuil sans fin.
Les lèvres figés, l’Ange avait écouté, incapable de détacher son regard des deux stèles enracinées. Une pour sa sœur. Et une pour Elle. Curieusement, une profonde lassitude l’avait saisi dés qu’elle avait posé les yeux sur cette tombe qui aurait dû être la sienne. Et une fatigue sombre l’ébranla jusqu’à l’os : lui donnant l’envie de s’y allonger, de prendre sa place ici et de s’y abandonner pour le reste de l’éternité—sans qu’elle ne se l’expliquer réellement. Peut-être parce qu’elle aurait dû mourir cent fois déjà.
Un léger hoquet – presque douloureux, comme si son corps hésitait entre sanglot et ironie – échappa sa gorge lorsqu’il évoqua sa désastreuse inclinaison à disparaître sans laisser la moindre trace. Elle aurait voulu rire, franchement. Peut-être l’aurait-elle fait si elle n’avait pas été aussi sûre qu’il entendrait le nœud dans sa gorge. Parce que pour elle s’isoler n’avait jamais été rien de plus qu’un moyen de se préserver—quand vivre lui était cruellement éprouvant, et aimer davantage encore. Elle respira la nuit, longuement. Pour chasser la morsure salée des larmes dans sa voix.
— Je n’ai pas eu la chance de pleurer aucun de vous deux. La pierre ne pleure pas.
“Merci”. C’est ce qu’elle aurait voulu dire. Au lieu de ça, elle exècre la froideur – cette cuirasse désespérée – avec laquelle elle parle. Malazach pouvait-il seulement le lui reprocher, quand sa propre voix refusait de manifester la moindre once d’émotion ?
Peut-être que si elle s’était agenouillée pour plonger ses doigts dans la terre meuble, peut-être l’aurait-elle "vu".
Les visions l’auraient assaillies, sans filtre, sans mensonge. Il aurait été là, dans son esprit, après la guerre, ses propres mains enfouies dans la fange, à gratter la surface du Monde jusqu’au sang. Peut-être alors aurait-elle compris : sa détresse, son abandon, sa rage inépuisable. Tout ça, et personne pour le lui faire supporter.
Mais Siame ne l’avait pas fait.
Ou bien, refusait-elle de le faire—parce que s’embourber dans son ignorance était plus confortable. Croire qu’il n’en avait jamais rien eu à foutre lui était presque plus doux.
Elle était restée là, le regard perdu sur la stèle, à songer au venin et à la vengeance, à tout ce qui pouvait chasser le miroitement des larmes dans ses yeux et à se convaincre que les mots qu’il avait prononcé n’avaient aucun sens particulier dans sa bouche à lui. Elle resta silencieuse, un long moment—elle resta silencieuse, pendant que les « peut-être » continuaient de hurler autour d’elle, tissant une vie qu’elle ne toucherait jamais. Et le mensonge de Malazach resta sa seule vérité.
“Peut-être aurais-je dû commencer par là, lorsque tu es revenu la première fois.”
Mais – lui non plus – ne l’avait pas fait.
— Qu’est-ce que cela aurait changé ? Tout. Les “peut-être” n’écrivent pas les histoires.
Non, ils se contentent de s’empiler, comme un mausolée fragile de tout ce qui aurait pu être. Et les aveux glissent sur eux, comme des éclats de glace—ne trouvent aucune prise, ne pansent aucune des brèches qu’ils portent tous les deux en silence.
— Où est-il ? On l’avait regardé, médusé, comme si l’Ange venait de revenir d’entre les morts. Et c’était le cas. Malazach, jappa-t-elle, sa patience évaporée, une vague de reproches au bord des lèvres.
Elle avait d’abord cru que ses yeux lui jouaient des tours. Mais ses yeux allaient parfaitement bien. Là où se tenait autrefois son mentor – lui, sa fierté superbe et sa gueule de prince (elle-même aurait pu remarquer qu’il était charmant, si elle avait eu la moindre minute à accorder aux hommes charmants) – s’élevait désormais devant elle une forme bossue, émaciée et abjecte. Sa lèvre trembla, vaguement coupable—de le trouver si abominablement ignominieux. Tout de ce qu’il était devenu se heurtait à des principes solidement ancrés en elle. Et Siame avait dégluti péniblement dans le silence qui s'ensuivit, ravalant sa honte.
“Pourquoi ne m’as-tu jamais cherché ?” Elle avait ressassé la question durant tout son trajet jusqu’à Célestia et imaginé toutes les réponses—avait anticipé toutes les excuses. Mais la question mourra dans sa gorge quand il s'approcha d’elle. Elle ne la posa pas, de peur des choses qu’elle ne voulait pas voir. Son estomac se noua d’une crampe venimeuse, venue accompagner le dégoût qu’elle avait éprouvé en voyant ce qu’était devenu Célestia. Siame recula avec méfiance, refusant d’accepter ce qu’elle voyait. “Tu m’as abandonné. Tu m’as laissé seule avec lui.” Voilà ce qu’elle s’était imaginé lui cracher à la gueule. Elle aurait voulu le voir s’étrangler sur sa propre culpabilité, qu’il l’implore de lui pardonner. “Jamais,” lui aurait-elle répondu, le regard partagé entre la pluie et l’incendie. Oui, elle avait voulu qu’il regrette, pour le reste de sa misérable éternité, de ne pas l’avoir mieux considéré.
Siame n’avait pas prononcé le moindre mot. Pas non plus lorsqu’ils arpentèrent les pavés de la grande place, devant le temple, le pas chancelant, comme s’ils avaient oublié comment marcher à côté. Son pas ne se calquait plus au sien. Elle n’avait rien dit non plus, lorsqu’il s’arrêtèrent devant la fontaine. L’eau continuait d’y couler, comme à l’époque. Combien de fois l’avait-elle vu la bénir, devant le regard benêt des Mortels ? Elle demeura tout aussi silencieuse quand il la traîna dans une bâtisse pitoyable, ouvrit une porte grinçante pour la laisser entrer. La pièce unique était sombre, pleine de moisissure—lui donna le sentiment de se trouver dans une cellule ou dans un tombeau. Quelque chose craqua sinistrement sous son talon. Elle baissa les yeux sur les os d’animaux qui parsemaient le sol. Pendant une seconde, Siame avait craint qu’il ne l’enferme ici. Lui s’était contenté d’allumer une bougie déjà bien entamée, pendant que la revenante observa péniblement l’habitude flagrante avec laquelle il le fît.
— Que t'est-il arrivé ? Demanda-t-elle lorsque la flamme vacillante illumina son visage osseux, et l’inquiétude se mélangea au reproche dans sa voix. Tu sais quoi ? Je ne veux même pas savoir.
Parce que ces retrouvailles ne pouvaient pas bien se passer. Elle l’interdisait. Parce que la chute de son mentor ne pouvait qu’être une forme d’abandon. Elle avait imaginé trop de fois ce moment pour qu’il bouscule ses plans, simplement parce que lui aussi avait souffert—quand elle aurait préféré le trouver entouré de ses nouveaux compagnons, de ceux qui se faisaient alors appeler “Le Nouvel Ordre”, à se prélasser dans l’absence de douleur.
Et au fond d’elle, dans un battement de paupière discret, elle remercia silencieusement les Dieux qu’il soit encore en vie.
Les deux Anges étaient restés cloîtrés dans la bâtisse trois jours et trois nuits durant—sans le moindre repos, sans la moindre pause. Les fidèles avaient même fini par se demander s’ils en sortiraient un jour—et le temps avaient été rythmé par les éclats de voix, parfois accusateurs, parfois hargneux, s’échappant de la porte. Et quelques fois, des silences interminables – tristes, peut-être – entrecoupaient les altercations houleuses.
Jusqu’à qu’Elle sorte. Qu’elle se détourne du temple – ce temple qui avait un jour été sa maison – pour partir.
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