Découpant les flots dans un silence mortifère, la Renégate avançait doucement vers les abords de Courage. Depuis les émeutes ayant frappé la ville, les pirates de Brumerive en avait profité pour semer toujours plus de chaos sur les mers républicaines. Plus que jamais, la piraterie semblait reprendre du souffle et il était particulièrement agréable de naviguer sur les mers salées lorsqu'on hissait le pavillon noir. Cependant, les nouveaux marins décidant de prendre le noir et de combattre pour la Flotte sans Nom venaient avec leurs lots de maladies et autres besoins. Très vite, l'or ne fut plus seul besoin pour canaliser tout ce grouillot et les pillages s'étendirent à d'autres denrées plus... Modestes.

Tout d'abord, le sucre et les autres mets du genre furent placés en priorité dans la liste des longues chasses que réalisaient les forbans. Puis, dans un second temps, ce fut les alcools et autres tissus qui passèrent en tête. Et pour cause, ces derniers permettaient de fabriquer non seulement des armes, mais aussi des bandages plus ou moins stérilisés pour les nombreux blessés de Brumerive. Enfin, le regard de la Flotte se porta sur le matériel médical. C'était pour cela que Saumâtre retournait près de la ville encore meurtrie par l'apocalypse qui avait frappé à sa porte. S'il était évident que les pirates ne pourraient pas juste accoster sur les quais, la Renégate avait un avantage considérable sur les autres rafiots de la flotte. Elle possédait de multiples pavillons et, surtout, n'avait pas été aperçue pendant les événements de septembre. Ainsi, le bateau voguait dans la nuit, éclairé par la lueur de la lune et approchant les cotes républicaine. La destination ? Les quais des petits patelins entourant la grande cité. Des petits bourgs timides, discrets, qui servaient principalement à alimenter le commerce maritime et n'attirait que rarement les attentions des autorités. On y trouvait divers bateaux plus ou moins légaux qui venaient s'amarrer pour déposer leurs cargaisons tout en évitant au passage les taxes imposées par la SSG ou bien d'autres compagnies commerciales officielles. C'était d'ailleurs dans ces petits ports de proximité que Saumâtre récupérait habituellement ses "marchandises" particulières. Enfin... Quand il ne les capturait pas directement sur les flots, bien sûr.

Marchant doucement sur le pont de son navire, le naga laissa ses pupilles fendues glisser sur l'horizon enténébré avant de sourire, visiblement amusé par la situation. Afin de renforcer leur discrétion, et pour dissuader quiconque de venir prendre la mer pour les suivre, le pirate avait usé de son nouveau don. Une sorte de cadeau que lui avait offert l'océan à la suite de leur petite sauterie à Courage. Ainsi, d'épais nuages noires s'étaient manifestés sur les environs et avaient commencé à vomir des cordes de flotte sur les malheureux républicains assez courageux, ou pauvres, pour continuer de travailler malgré l'heure tardive. Quittant son observation, Saumâtre analysa ensuite les Arpenteurs qui se trouvaient autour de lui et qui s'affairaient à préparer l'arrivée prochaine du navire à "bon" port. Outre son équipage, l'esclavagiste avait demandé à plusieurs habitants de Brumerive de l'accompagner. Parmi ces derniers, se trouvait spécifiquement une des orphelins du repère de pirates que Saumâtre appréciait. Une enfant au tempérament aussi stable que la poudre noire mais qui avait le mérite d'être particulièrement efficace. Et c'était tant mieux car ils allaient avoir besoin de l'être.

- Syrtes ! L'enfant du Récif Noir attendit d'avoir l'attention de sa sœur. Dis aux gars de ranger les voiles et de préparer les cordes. On va pas tarder. On suit le plan comme prévu, fais en sorte que les Voltigeurs soient prêts.

N'attendant aucune confirmation particulière, l'écailleux s'approcha alors du côté bâbord de la Renégate. Déjà, on pouvait apercevoir un peu plus loin les lueurs des lanternes agitées de l'Enclave cramoisie, le port qui accueillerait bientôt le vaisseau pirate et son équipage. S'assurant ensuite que son tricorne était bien en place, le naga quitta le bord du navire pour descendre en direction des cales du navire. Grouillant d'activité, cette dernière abritait la plupart des marins qui n'étaient pas déjà occupés à faire avancer le rafiot. Certains y jouaient aux cartes, d'autres aux dés. Certains tentaient de dormir tandis qu'au fon l'odeur caractéristique du fromage fondu se mêlait au parfum de quelques viandes séchées. Continuant sa route, le pirate avança jusqu'à se retrouver devant Cendre directement. Si l'humaine était une exception à bord du navire, elle était cependant acceptée par les membres de l'équipage qui voyaient presque en elle une petite sœur. Même s'ils ne l'avouaient pas. Encore moins en présence de leur capitaine.

- On arrive bientôt ma grande. J'espère que tout est prêt de ton côté. Dans le doute, j'te répète le plan. Une fois accostés, on déboule pour aller direction l'entrepôt. On est pas spécialement attendus là bas donc faudra la jouer finaude pour s'introduire dans le bâtiment et y "emprunter" toutes les caisses marquées d'un dragon reikois. Pendant ce temps, Syrtes s'occupera de la "douane" et de la raison de notre présence. Officiellement, on vient vendre du sucre. Il ricana doucement. Avec de la chance, on trouvera autre chose que juste ces foutues caisses. Le matos médical c'est bien mais si on peut au passage laisser trainer nos yeux et nos mains sur quoique ce soit de précieux c'est pas plus mal. Comme convenu, tout ce qui pourra se revendre sera partagé équitablement entre les membres de la Flotte. Mais t'auras le droit à un bonus, comme on t'a enlevée au Cétus pour cette mission. Il tapota amicalement l'épaule de l'humaine face à lui. Allez gamine, on se retrouve dans dix minutes sur le pont.

Tournant ainsi les talons pour quitter la cale, l'être marin laissa un nouveau ricanement glisser comme deux roches s'entrechoquant en dehors de sa gorge. Les missions d'infiltration, c'était toujours quelque chose. Saumâtre y voyait chaque fois un jeu palpitant. Une sorte de traque silencieuse et un jeu de piste avec les autorités. D'une certaine façon, ça lui rappelait vaguement ses débuts au sein du Récif Noir, à avancer dans les ruelles pour échapper aux rares patrouilles aquarienne ou bien à la pègre locale. D'ailleurs, il était fort possible que ce soit la même chose dans leur mission actuelle. Après tout, cette dernière n'était jamais loin de la douane. Encore plus maintenant.

Une dizaine de minutes plus tard donc, la Renégate s'arrima contre l'un des pontons de l'Enclave. Relevant doucement le foulard qu'il portait lorsqu'il voulait se faire "discret", le naga attendit que toutes les personnes concernées ne soient présentes avant de quitter le navire. Avant lui, Syrtes s'était rendue auprès des autorités pour déclarer la marchandise à vendre et entreposer. Une diversion assez classique, grossière, mais qui ne choquerait pas les officiers chargés de la sécurité de l'endroit. Sans doute devaient-ils se dire que le navire était là pour faire un peu de contrebande. Rien de bien méchant. Quoi de plus normal après tout pour la République que de recevoir des biens mal acquis ?

Le profit n'avait aucune morale, comme le disait souvent Saumâtre lui même.