Une relique ancienne du passé, un trésor oublié par ses propres descendants et considéré maintenant par ses pairs comme un outil de justice, Sablier a depuis bien longtemps adopté la forme dont il tire son nom et n'a pour ainsi dire plus le souvenir de son propre corps. Passé de père en fils au sein du clan Vilarquebuse, il est aujourd'hui dans les mains d'un héritier plus que prometteur.

Grisaille n'est jamais seul...

Les inconscients les taxent de folie, les autres héritiers du clan Vilarquebuse les jalousent, d'autres Limiers les considèrent maudits ou touchés par la corruption du Razkaal. Foutaises et légendes. Grisaille n'est frappé par aucun autre mal que son maladif désir de servir droitement. À l'intérieur de ce crâne habité à deux, le duo Vilarquebuse cogite sur toutes leurs enquêtes en échangeant silencieusement en leurs fors intérieurs. Fonctionnant en tant qu'entités entièrement symbiotiques, Sablier éprouve une compatibilité hors du commun avec Grisaille. De tout les héritiers du clan avec lequel il a coopéré jusqu'à maintenant, Grisaille est le premier en lequel l'artéfact a pleinement confiance pour accomplir le noble dessein du clan, celui de maintenir l'ordre en République.

L'aspect parfois effroyable de leur enveloppe, Grisaille et Sablier le doivent justement à la combinaison exceptionnelle de leurs pouvoirs. L'aïeul exprime couramment sa présence par diverses manifestations arcaniques, plus notamment l'apparition de formes serpentines qui parcourent librement le corps de son protégé. Cette mue permanente est la parfaite illustration de leur improbable fusion, si ancienne et profonde d'ailleurs qu'on en peine aujourd'hui à dissocier l'un de l'autre. Elle est également leur unique salut face à l'infernale corruption du Razkaal ainsi que la principale source de leur puissance si habilement dissimulée. Leur union spirituelle, leur permet de se protéger mutuellement face au récital pervers de la légendaire prison, même si toute résistance viens avec un prix.

Chaque pouvoir a un coût, et celui de Sablier n'est pas des moindres. Quand deux âmes se superposent si intensément, elles ont une fâcheuse tendance à déborder, évoluer voir s'engloutir l'une l'autre. L'ancêtre Vilarquebuse a déjà fusionné avec les parents de Grisaille, leurs parents et ceux avant eux, chaque partage, chaque cohabitation répétées sur des centaines et des milliers d'années ont lentement effacé la personnalité première de Sablier pour ne laisser de lui qu'une âme piégée dans un rôle. Il ne se comporte plus comme un guide pour son utilisateur, il l'est devenu, et ce risque il le passe à son tour à Grisaille.

Deux paires d'yeux serpentins scrutent l'obscurité des jardins avec une méfiance méticuleuse à la recherche du moindre mouvement suspect dans la pénombre. Tu y vois quelque chose? La voix râpeuse et ancienne de Sablier surgit dans les pensées de son utilisateur pour le lui demander, dépourvu lui-même de nyctalopie, il a cependant confiance en son hôte pour percer les ténèbres du Domaine de Casteille qui s'étale devant eux. D'ordinaire il aurait simplement puisé l'information dans les pensées de Grisaille, mais l'artéfact de la famille Vilarquebuse était lui-même occupé à surveiller les alentours en furetant derrière eux à l'affût d'une attaque en traître. Le descendant de la famille et Limier du Razkaal se tient debout devant le portail du Domaine entre les barreaux duquel on peut apercevoir les lumières chancelantes du Manoir. Leur enquête ne piétine pas à proprement parler, mais pour le duo de Limiers hors pairs, l'absence de capture après plusieurs semaines d'enquête reste un résultat plus qu'insatisfaisant.

Debout devant l'ouvrage en fer forgé du portail principal, l'héritier et son outil redoublent ensemble de prudence avant de pénétrer dans les sombres jardins. Dans le cou du Limier se tortille un serpent de poussière aux couleurs grisonnantes, ses écailles factices sont teintées de taches sombres par les gouttes de pluie qui s'écrasent dessus, ses yeux fouillent les ténèbres en ondulant contre la nuque de Grisaille. Prenant sa racine dans la forêt aux larges tresses noires de la chevelure de l'élémentaire, l'incarnation ostensible de Sablier fait siffler une langue fourchue entre ses deux crocs avant de se rétracter au creux du col de son hôte lorsqu'il sent ce dernier tendre un bras vers le portail. La main du Limier reste en suspens un instant, nul besoin de mots ils sont superflus face à l'expérience et à la synergie entre les deux enquêteurs. Le geste communique pleinement l'intention de Grisaille à son symbiote tandis que Sablier lève en premier lieu leurs défenses psychiques et rassemble sa mana. Le reptile lové dans le cou du jeune élémentaire ferme ses yeux et sa voix résonne encore une fois dans les pensées de l'homme pour tout simplement lui indiquer Prêt. et la main de Grisaille saisit enfin le fer forgé.

Concentré, Sablier projette sa mana sur le portail à travers le touché de son hôte, leurs corps entremêlés lui permet de faire naviguer son arcane à travers leurs cellules indistinctes et de parvenir à l'objet, commençant ainsi à remonter le passé pour y fouiller toutes les instances de contact. Des mains, des tonnes de mains bien vivantes qui s'emparent des barreaux, de la serrure, des visions de doigts qui attrapent les loquets pour faire pivoter les lourdes portes sur leurs gonds mais aucune apparition de griffes métalliques acérées et inhumaines ne vient à l'esprit de l'artéfact. Sablier passe en revue chaque instance le plus rapidement possible pour remonter à plus d'un mois et quelques, ne prenant pas la peine de visionner ce que sa magie lui présente dans les moindres détails puisque cette fois, il n'a pas besoin de chercher un propriétaire spécifique mais plus simplement une main prosthétique ou une main gantée. S'arrêtant fatalement à chaque vision de ces dernières pour élargir un peu plus sa vision au visage des actionneurs du portail, Sablier finit par conclure après deux minutes seulement en rapportant son résultat à son héritier. R.A.S. Ça ne veut pas dire qu'il n'est jamais venu, mais au moins pas par la grande porte. La voix du serpent, audible de Grisaille seulement accompagne la réouverture des yeux dorés du reptile tandis que ses pupilles s'élargissent un peu plus. Reste sur tes gardes piot, s'il est venu la voir en même temps que nous il va falloir être réactif. Bien conscient cependant qu'à tout moment si ses craintes se révèlent avérées, Sablier n'aura sans doute pas le temps de le voir arriver. Au fur et à mesure qu'ils s'approchent du bâtiment il est cependant de plus en plus clair que les chances d'une embuscade de la part de leur proie deviennent minces, le reptile reporte donc son attention sur la propriété de Casteille.

Belle bâtisse... et ce n'est pourtant qu'un domaine viticole parmi tant d'autres, le vin et le pain sont des moyens faciles de s'enrichir, et là où il y a de l'argent... ... il y a de la poussière. complète son hôte par habitude. Attends ne toque pas, j'aimerai repasser sur la poignée de la porte.

Le même processus se répète tandis que Grisaille, libre de ses mouvements et de sa concentration, observe le paysage en silence dans l'attente du verdict. Après une brève psychométrie pour confirmer ce qui avait été établi sur le portail, Sablier lève le bras droit de son hôte et lui fait actionner le heurtoir. L'artéfact Vilarquebuse sait qu'il doit garder le silence pendant leur présence ici, c'est une mesure multiple de prudence, de stratégie et d'avantage, continuer à dissimuler leur nature leur permet de garder une carte à abattre afin de prendre l'ascendant en cas de situation périlleuse, alors il se tait mais continue de communiquer mentalement avec le jeune homme. Hors de danger à l'intérieur du hall d'entrée, on leur dit que la demoiselle de Casteille a affaire mais qu'elle les recevra bientôt. On a quelques minutes...

La porte d'un bureau s'ouvre, révélant un couloir sombre et nébuleux sans murs ni sol et la silhouette de Grisaille qui entre calmement dans la pièce. Dans le bureau aux grandes fenêtres radieuses mais étrangement opaques, un bureau, une armoire, plusieurs tables et des chaises en vrac désertées par un personnel nul part en vue occupent un espace trop propre et trop lisse. Une silhouette vague est avachie dans le fauteuil à la texture ambigüe entre le velour et le feutre mais à la couleur définitivement rouge, Sablier. L'ancêtre Vilarquebuse saisit le cigare bien net pincé entre ses lèvres aux contours incertains et alimente d'une exhalaison de plus la nappe de fumées brumeuses qui occultent totalement le plafond de la salle. L'outil de justice profite de cette interlude mentale et de ce corps fictif pour étirer des membres qu'il s'improvise subitement endoloris pour simplement s'offrir la satisfaction du geste, avant de se redresser dans son siège et d'articuler ses doigts par pur plaisir d'en avoir bien à lui. Les formes vacillantes de ses mains se soustraient mystérieusement à la pleine perception de Grisaille, elles sont là, bien visible du coin de l'oeil mais ineffables dès lors que l'attention de l'arrivant se porte dessus, Sablier accueille son hôte en s'emparant d'une bouteille d'alcool sans signe distinctif et sert un verre d'une liqueur génériquement brune à Grisaille pendant qu'il déambule lentement dans le bureau.

"Petits rappels, petits rappels petits rappels. On nous a dit que de Casteille était fidèle à son courant politique, très humaine, très empathique et franche. D'un autre côté, elle est jeune, la présence d'un Limier va invariablement fausser son comportement donc pas de précipitations parce qu'elle peut être extrêmement nerveuse sans pour autant que ça ne soit significatif."

"Je serai ferme, peut-être un peu cruel en fonction de l’échange. juste assez pour la déstabiliser et la jauger, en tout cas."

La silhouette acquiesce d’un hochement approbateur avec sa tête changeante. Écrasant le cigare dans un cendrier bleu ou blanc, Sablier prend une pincée des cendres à l’intérieur et en saupoudre le bureau, la poussière grisonnante s’étale en tombant pour former magiquement des images sur le plan de l’office et dessine des visages dans les remous monochromes, ces faciès cendreux ont beau ne ressembler en rien à ce que Grisaille connait, l’élémentaire sait pourtant instinctivement ceux qu’ils représentent.

"Tu connais mon avis sur la question, l'interrogatoire de Zelevas a été compliqué du début à la fin, pour quelqu’un qui a été condamné aussi ouvertement et à qui il ne restait plus rien à perdre, je ne crois pas que ce soit une question de fierté s’il s’est montré aussi résistant. Le vieux a encore des choses à cacher et mon argent est sur cette femme."

L'artéfact doté de son corps onirique dans ce monde factice qui n'existe qu'à l'intérieur de leur têtes se prélasse un instant sur le bureau ou à côté, ou assis devant, il observe à la fois la réponse de son descendant et regarde en même temps l'office aux cendres dessinant des mirages envoûtants.

"Tu n’auras pas d’adversaire avec qui le parier, ton argent. Je suis d’accord avec toi sur toute la ligne et même si je veux bien croire que le peu de sentimentalisme du Lion ait été entièrement consacré à sa jeune protégée, j’ai l’impression qu’il nous fait un brin de zèle. S’acheter un sens de l’honneur, à son âge et dans sa situation, ça m’semble relativement tardif."

Un cours silence s'installe et Sablier sent bien que quelque chose trotte dans la tête de Grisaille, quelque chose d'autre que les pas de l'apparition mentale sur le plancher de pierre du bureau, il laisse le temps au jeune de rassembler ses pensées tandis que s'amassent des volutes de feuillets et que les armoires d'archives s'épluchent toutes seules en encombrant subitement la pièce, mais quand l'ordre revient d'un seul coup et que le bureau se retrouve de nouveau propre comme si rien ne s'était passé, l'objet des Vilarquebuse accorde de nouveau son attention au gamin:

"Rien à voir mais… tu penses que le Prévot se fie à notre instinct, sur ce coup ? J’ai l’impression qu’il va pas tarder à chercher une excuse pour nous reprendre le dossier. Ça a l’air de le toucher un peu trop… personnellement, cette histoire."

"Hé grand!" Sablier se redresse d’un coup dans son fauteuil avec un grincement de cuir anormal pour la matière feutrée de l’assise du meuble. "Ne t’occupes pas de ça, garde la tête froide. Si la version la plus simple est souvent la plus vraie, le chemin qui y mène n’en est pas moins sinueux pour dévoiler ce qui est délibérément caché. Même si le Prévôt Ryven venait à te retirer l’assignation ça ne veut pas dire que c'est un échec, d’accord?"

Le bras de Sablier vient se poser sur l’épaule de Grisaille malgré la distance qui les sépare, tordant bizarrement la géométrie du bureau sans soulever la moindre interrogation chez les deux hommes.

"Tu suis ta voie et tu le fais bien, c'est tout ce qui compte. Maintenant concentre toi sur ce qui nous attend, ce que Zelevas cherchait à cacher n’est pas nécessairement en rapport avec Casteille, les deux parents de la Sénatrice étaient très proche du vieux… il peut y avoir une couleuvre sous ces pierres qu’on ne verra pas voir venir avant de la déloger, alors reste à l’affût et navigue avec prudence."

Sur le visage noir anthracite de son héritier, le sourire déjà présent s'élargit un peu plus pour marquer

"J’ai passé l’âge de m’attacher à une affaire, Mouton. Ce n'est pas pour nous que je m’inquiète, c’est pour Kieran. Dès qu’il est question de Mortifère, il nous fait le coup de la vouivre renfrognée pour dissimuler son véritable ressenti… et comme à chaque fois qu’il se mouille trop, il va patauger puis se ramasser et finir par boire la tasse."

"Mmh…"

Des sensations de picotements viennent caresser la nuque informe de Sablier tandis que des bruits de pas se font subitement entendre dans le bureau en imitant des heurts contre la porte. Les yeux à la couleur dépareillée ou non se posent alors sur l’entrée de l’office, le plus jeune des deux reprend:

"...mais t’as raison, c’est pas le sujet pour l’instant. C’est l’heure du spectacle."

Sablier profite des derniers instants de son corps manifeste pour s’étirer une ultime fois avant que son héritier ne se lève et ne parte du bureau. La pièce se désagrège alors en des volutes de fumées indistinctes, laissant entrevoir dans l'esprit de Grisaille une sorte de flou fondant leur vision réelle à celle de la représentation mentale de la pièce fictive, devenant de plus en plus clair au fur et à mesure qu'ils se reconcentrent sur leur environnement. Tandis que l’artefact aveugle épie la vision de son utilisateur à travers son esprit, Sablier regarde Nestor se redresser du mur contre lequel ils s’étaient adossés pendant leur petite réunion pour saluer la Sénatrice de Casteille. Surveillant attentivement les mimiques de la jeune femme à la cécité totale, l’outil vivant reste étrangement mutique pendant que son descendant se livre au même exercice. Cette enquête est toute particulière et ses ramifications sont noueuses et insondables, même pour le duo de Limiers expérimentés que sont les Vilarquebuse c'est une épreuve singulière et les différentes implications de parties de la haute sphère en font une affaire intéressante pour le développement de son protégé. Sablier ne souffle donc rien et laisse Grisaille s’avancer lui-même sur la planche. Après de brèves présentations, ils accèdent enfin au salon et un jeu insidieux commence enfin:

Très propre.
En effet, impeccable.
Pas de personnel dans la pièce.
Et on entend peu de domestiques… pour un si grand domaine.
Elle n’est pas allée s’asseoir de suite, très nerveuse, comme un lapin qui sait que le loup l’a vu.

Puis, après un court silence pendant lequel Sablier ne le brusque pas à l’inviter à ouvrir le bal, Grisaille prend une parole cette fois bien physique pour s’adresser à leur témoin.

"Ce n'est pas l'Office qui m'envoie. C'est le Razkaal."

Pendant que les yeux de Grisaille parcourent le salon dans lequel ils évoluent, ils sont deux à utiliser sa vision pour relever le plus de détails possible. L'un se concentre avant tout sur sa cible tandis que l'autre ausculte chaque détail de la pièce pour relever les différents points remarquables qui pourraient complémenter cette entrevue, ils ont déjà relevé la propreté des lieux qui traduit une attention régulière de la part des domestiques, tout comme l'absence de ces derniers dans une discussion pourtant difficile pour la jeune femme qui s'était assistée auparavant d'une aide pour faire face à l'Office. Rien de particulièrement étonnant à ce qu'elle congédie son personnel lorsqu'il s'agit d'un Limier, mais le détail est notable et pourra être recoupé avec d'autres éléments plus tard au besoin. Sablier reste silencieux pendant que son descendant s'occupe des formalités, commençant par des présentations en règle, la Famille Vilarquebuse n'est certes pas intégrée à la noblesse républicaine comme le sont les autres lignées plus industrielles ou politiques, mais on sait se comporter:

"Nestor Vilarquebuse. Enchanté, Madame de Casteille."

Alors qu'il s'apprête à continuer, la bouche de Grisaille déjà entrouverte pour poser des questions, un bruit résonne dehors et réveille immédiatement l'attention de l'artéfact mental et de son porteur.

J'entends mal, il y a eu un bruit dehors là non?

En l'absence d'incarnation physique pour pouvoir écouter avec les oreilles de ses serpents capillaires, Sablier se retrouve obligé de sonder continuellement l'esprit de son utilisateur afin de puiser ses perceptions sensorielles, et si la précision de cette manoeuvre n'est pas non plus digne d'une paire d'yeux et d'oreilles bien à lui, il est presque sûr d'avoir entendu un bruit sourd dehors, pas très loin de la fenêtre du salon. À cette heure et par ce temps il s'agit tout aussi bien d'un animal qui cherche un abri que d'une tuile tombée à cause du vent, l'objet de justice réfléchit rapidement tandis que le gamin émet la même théorie.

Quelque chose est tombé et c'est plus gros qu'un chat, je dirais...
Mmh... je vais aller voir, fais attention grand.
Toujours.

Sablier cesse de parasiter la vue de son hôte pour plutôt se concentrer sur ses propres sensations, nulles pour l'instant. La projection astrale présente toujours un risque pour son utilisateur en sachant qu'il se prive de la conscience de son environnement immédiat pendant la canalisation du sort, mais l'un des avantages d'être deux, c'est que l'autre veille. L'artéfact articule sa mana vers l'extérieur de la pièce, revisualisant leur trajet d'il y a quelques minutes depuis le portail jusqu'à la porte d'entrée, et arrêtant son choix à une dizaine de mètres du perron du Manoir de Casteille, il commence à faire magiquement se rassembler la poussière au dehors malgré la fine pluie. Les agrégats de sable, de terre et de matière organique effilochée se rassemblent pour former une sphère grisâtre de moutons poussiéreux, modelant la saleté en une parodie d'oeil qui se met à chercher dans le noir. La lumière émanant du salon où ils sont actuellement aide Sablier à trouver la direction de la pièce et il braque son regard astral en sa direction, ça fait toujours bizarre de se voir d'un point de vue extérieur à soi mais l'artéfact en a non seulement l'habitude et ce n'est pas seulement son corps de surcroit, il accorde donc plutôt son attention sur le jardin aux alentours, à la recherche de l'origine du bruit de tantôt.

L'ancêtre a parfaitement confiance en les capacités de son héritier pour conduire l'interrogatoire de la Sénatrice, il est vrai que Grisaille n'est pas non plus parfait, tout comme ne l'est pas Sablier, mais la sagesse pluri-millénaire du trésor du clan lui fait dire que même en cas de bévue, son manipulateur en tirera une leçon mémorable qui le fera progresser, c'est donc conscience tranquille mais à l'affût qu'il passe quelques minutes à scruter sans succès l'obscurité sans voir quoi que ce soit d'intéressant. Dissipant la boule de poussière en la laissant s'éparpiller au vent nocturne, Sablier retourne à la vision de Grisaille en lui communiquant l'infructueux résultat de sa surveillance.

Le vieil objet se rend compte alors qu'ils ont sorti un objet de leur poche, un calepin fatigué ayant connu des jours meilleurs, aux pages jaunies tant par l'âge que par la lumière et gondolées par l'humidité permanente du Razkaal. Il y a bien longtemps qu'ils ont cessé d'y écrire à la plume, les feuilles sont devenues bien trop fragiles pour l'acier et c'est à la place la caresse rugueuse d'un fusain qui vient écrire dessus. Là encore la dualité de Grisaille et Sablier leur permet de subdiviser les tâches, l'un fait mine de griffonner des notes dans le carnet tandis qu'il se concentre en réalité pleinement sur la conversation et sur les moues de son interlocutrice, pendant que l'autre pirate le contrôle de leurs systèmes nerveux entremêlés pour s'emparer de la main droite et annoter la conversation comme un greffier invisible. Ils sont peut-être deux à pouvoir se rappeler des réponses de la jeune femme et il est toujours possible à Sablier d'aller chercher directement dans la mémoire de son porteur pour en avoir le coeur net, mais les mots couchés sur le papier se révèlent souvent plus fiables que les souvenirs, d'autant plus lorsqu'ils passent leurs journées à enquêter. Les doigts de Grisaille bougent tout seuls pour transcrire la volonté de l'ancêtre sur le papier, et s'ils peuvent communiquer par esprit, l'artéfact préfère parfois passer sur le papier pour diverses raisons. La première est d'abord pratique, faire irruption dans les pensées de son descendant le dérange dans son fil de raisonnement et lorsqu'il faut articuler un interrogatoire avec autant de minutie, Sablier aime ne pas forcément intervenir d'emblée à la moindre occasion et plutôt laisser le petit jeune se concentrer. La deuxième raison est d'ordre psychologique, prendre des notes lors d'une examination est une source d'angoisse pour le sujet d'en face et le pousser à la nervosité peut souvent entraîner des erreurs de jugement, des lapsus révélateurs ou des fuites d'informations involontaires, combiner la parole à l'écriture en même temps, c'est aussi ne pas laisser le temps à l'interrogé de réfléchir à ce qui peut réellement être noté sur ce calepin.






Après avoir consigné leurs notes dans le petit carnet, la main de Sablier le range à l'intérieur de leur poche et ils vérifient par habitude de ne rien avoir oublié, Grisaille prend congé de la demoiselle et ils se retirent de la demeure. Une fois dehors, l'artéfact reste encore un peu muet alors qu'il attend que son descendant ne lui octroie une dose de tabac. Le prix de fusionner avec son utilisateur et d'être un trésor passé de génération en génération au sein du clan Vilarquebuse, c'est celui de récolter les addictions des héritiers au fil des passations. Manifestant la pointe du nodachi de Grisaille pour découper l'embout d'un cigare, Sablier se détend un peu en le sentant prendre une première bouffée. L'artéfact écoute patiemment son hôte réfléchir pendant qu'ils se mettent en marche, et pensif, il dit à voix haute en s'éloignant du palier de Casteille:

"Qui aurait cru que les yeux d'une aveugle en diraient tant."

Un sifflement serpentin monte depuis le col de Grisaille tandis que lui répond une voix toute aussi physique:

"Et elle va avoir besoin d'une surveillance rapprochée."