Père Sekaï,

Même dans mon enfance je ne vous ai pas écrit. Je n’en avais pas l’autorisation et lorsque j’ai été libre de me faire, je crois que vous aviez perdu un quelconque intérêt à mes yeux. D’une certaine façon, c’est toujours le cas. Vous êtes un mythe tantôt bienfaiteur, tantôt fantasque, tantôt… Particulier. Personne ne sait qui vous êtes, personne ne sait ce que vous êtes et personne ne le saura probablement jamais. Je crois que, finalement, c’est cela que je vous envie. Peut-être également ce qui m'intrigue. Il est toujours plus aisé de coucher des mots à l’attention d’un inconnu pour qui l’on éprouve rien et qui ne peut nous décevoir.

Pour l’heure, je reste convaincu que c’est l'ennui qui me pousse à écrire. Quelqu’un qui m’est proche à évoqué l’idée de le faire et le sommeil me fuyant, je me suis laissé tenter. Mais je n’ai que peu de chose à demander, ma vie est celle que je me suis construite, celle que j’ai décidé qu’elle serait. Loin, très loin de celle qu’on avait tracé pour moi. J’ai balayé mon futur sans y regarder et j’ai jeté mon passé aux oubliettes en pensant que cela suffirait. Et ça a suffit. Pour un temps. C’est un peu comme de la mauvaise herbe, on croit être parvenu à s’en débarrasser mais il persiste. De manière très inattendue néanmoins. J’ai encore un peu de mal à croire ce que j’ai sous le nez. Une part de moi aurait préféré rester ignorante, l’autre est soulagée de savoir. Et je crois qu’une troisième à des envies de meurtre. Chose peu commune, même pour moi. Mais le problème du passé, du mien en tout cas, n’est pas tant qu’il ressurgisse mais plutôt qu’il aille se heurter au présent.

Je ne suis plus la gamine esseulée que j’étais autrefois. J’ai laissé cette identité derrière moi, avec ses souvenirs, ses choix et tout ce qui faisait de ma vie ce qu’elle était. Plus qu’un nouveau chapitre, c’est un nouveau livre que j’ai décidé d’écrire. De composer quelque chose de complètement nouveau sans que ce maudit passé ne vienne y empiéter, sans que mon nom ou mon rang ne puisse venir s’en mêler. J’ai vraiment pensé que les choses pourraient être aussi simple, que je pourrais être Sixte, sans passé et sans que ça ne questionne qui que ce soit. Aujourd’hui, je crains que ce ne soit plus possible et qu’il me faille déterrer mes vieux cadavres. Dont certains, qui auraient dû en être des vrais.

En bref, Père Sekaï, faites livrer de la gnole. Et de l’or. J’aurais besoin de l’un autant que de l’autre.

Sixte.