Une nouvelle aube

L'aube se lève tout juste sur le port de Courage. En ce début du mois de décembre, le ciel pourtant d'habitude si lumineux de cette belle ville côtière est empli de nuages noirs. A la fenêtre de ma cabine, je regarde au loin. Une brise se lève, elle devrait chasser ces nuages de mauvaise augure d'ici à ce que l'ancre soit levée. Sur le fauteuil derrière moi se trouve mon nouvel uniforme, encore sur son cintre. J'essaye de ne pas le regarder. Je pense que je n'ai jamais possédé d'aussi beaux habits, d'aussi belle facture. A mon rendez-vous chez le tailleur, j'étais en sidération. Tout ça, pour moi ? Capitaine de la Marine de la République, ça en jette, en fait. Par contre, la République est-elle obligée de jeter de l'argent par les fenêtres, comme ça ? Ils ont pas mieux à faire que de payer des uniformes sur mesure à leurs officiers ? Je me retourne, je lève la veste bleue, avec ses boutons dorés, ses belles épaulettes, et surtout, cet espace désigné pour y accrocher un placard et ses médailles. Mais moi, je n'ai rien fait, je n'ai rien à accrocher, rien à démontrer, et je n'ai pas grand chose à faire de ces décorations.

Je me suis enrôlée après avoir compris que j'aurais un plus grand impact en travaillant avec la Marine. Je me suis enrôlée parce que Kieran, parce que le Contre-Amiral Fallensword, parce que Gunnar, parce que tous ces gens m'ont démontré que la République pouvait travailler pour le bien-être de son peuple. Je me suis enrôlée pour tenir la promesse que je me suis faite : offrir un monde meilleur à Elnael. Mais comme c'est pas gagné, va falloir que je fasse la peau à quelques pirates de plus. Mes anciens collègues, amis, membres de ma famille. Ça fait quelques temps déjà que j'ai pris l'habitude de me battre contre eux. Là, je fais de leur traque mon devoir absolu. Je repense au Masqué... peut-être que la prochaine fois, j'arriverai à l'arrêter. Il le faudra, en tout cas.

L'uniforme est toujours dans ma main, avec sa belle veste, son pantalon souple aux mêmes couleurs, sa chemise blanche immaculée. Je m'avance de quelques pas, ouvre la petite porte du placard, et y accroche le cintre avec l'ensemble. Je prends le bonnet offert par le Père Sekai, qui prend immédiatement la forme de ces chapeaux fins aux bords longs légèrement relevés que j'ai l'habitude de porter. Celui-ci a l'avantage de ne jamais s'envoler, une petite magie bénéfique et bienvenue apportée par le barbu du Grand Nord. Je ne compte plus le nombre de bousingots que j'ai déjà perdu en mer. J'ajuste ma veste en cuir qui me suit depuis quelques années déjà, lisse les plis de ma vieille chemise, enfile ma cape, et je sors de la cabine.

Sur le pont, c'est déjà l'effervescence. Je fais un signe à Trois-Doigts, le charpentier, qui est en train d'ajuster les cordages. Lui et Yorak, notre chirurgien et cuisinier, ont accepté de s'enrôler avec moi dans la Marine, c'est un vrai soulagement d'avoir les anciens encore avec moi. On a racheté l'Ecumeur de Nuages à la SSG ensemble, si bien que c'est notre navire à tous les trois maintenant. Pourtant, ils ont refusé de changer de poste, tous les deux. Trois-Doigts a juste assumé le poste de quartier-maître en plus du sien. C'est assez logique, il a toujours été très proche de l'équipage, gérer leur bien-être et les ressources et faire le lien avec moi et le second, c'est assez naturel pour lui. Parmi les officiers, on a par contre changé de timonier et de second. Je regrette un peu Lièn, qui a été mon second depuis que je suis devenue capitaine, mais il a préféré continuer à travailler avec la Societé des Sept Gardiens, je ne peux pas lui vouloir. Le nouveau, Faen, est un demi-elfe qui a fait le cursus Stratégies Militaires à Magic, il a suivi la voie royale pour être à ce poste. Je pense même qu'il est plus compétent que moi pour être capitaine. Ce n'est pas de notoriété commune que je suis une ancienne résidente de Kaizoku, une ancienne pirate, ce n'est pas un fait que je raconte à tout va. Dans mon équipage, ceux qui sont là depuis toujours sont au courant, les autres ont dû entendre la rumeur, mais je me garde bien de la confirmer. Mais forcément, la Grande Armée Républicaine sait d'où je viens, ils ont accès à mon dossier. C'est probablement pour ça qu'ils ont mis ce gars à ce poste. Pour surveiller que je fasse correctement mon travail.

C'est le seul à porter l'uniforme, ici. Même la nouvelle timonière, Uma, une naine d'une soixantaine d'années, s'est très bien adapté au ton décontracté et à l'ambiance familiale de mon navire. Cela fait quelques jours qu'ils sont parmi nous, et je l'ai déjà vue échanger des moqueries avec Yorak au sujet de son ragoût, de sympathiser avec Lileth, notre vigie, ou faire des bras de ber avec les gabiers. Mais ça ne m'étonne pas. En tant que naine, déjà, elle a dû avoir du mal à faire carrière dans la Marine. Les siens ne sont pas connus pour leur pied marin, l'eau est plutôt leur faiblesse, habituellement. Et puis elle a un caractère aussi trempé que le mien, sans mauvais jeu de mot. Ça me rassure, je vois que le changement radical que je redoutais en m'engageant et acceptant des membres confirmés de la Marine n'est pas entièrement sur le point de se produire. Enfin, j'espère. Aujourd'hui, on reçoit de nouveaux mousses et matelots. Une demie-douzaine de nouvelles recrues, dont certaines ne sont là que pour le prochain trajet. Car on m'a confié une mission spéciale, à faire en solo avant de rejoindre la flotte. L'occasion de retrouver des vieilles connaissances...

Je vois le tricorne bleu aux jolies dorures de Faen, qui se tient bien droit devant la passerelle, et je suppose qu'il est justement en train d'accueillir les nouveaux membres de l'équipage. J'ai raté le début de son discours, probablement un truc un peu barbant sur l'honneur, le service de la patrie, la rigueur et tout le tintouin. Décontractée, je viens me mettre à droite de la passerelle, accoudée au bastingage, de sorte qu'il ne me voit pas immédiatement, et je les distingue enfin. Ces six petites personnes, en uniforme et en rang sur les pavés du port. Entre le bruit des vagues, des mouettes qui prennent leur petit-déjeuner, du vent qui se lève, et la distance, je doute fortement qu'ils aient entendu quoi que ce soit du discours de Faen. J'éclate de rire, ce qui l'interrompt. Il se tourne vers moi, hausse un sourcil, et d'un ton très respectueux mais complètement pédant, me salue.

« Capitaine Yelcan, mes hommages. Vouliez-vous intervenir pour l'accueil des nouveaux matelots ?
- Faites les monter, Faen, ils n'entendent rien de là où ils sont. Vous reprendrez votre discours quand ils seront sur le pont, voyons. »

Je fais un grand signe aux matelots pour les inviter à monter sur le bateau, et je les vois, tous penauds, essayer de comprendre ce qu'il se passe. J'éclate de rire à nouveau, et fais quelques pas dans la direction opposée.

« Attendez, capitaine ! Vous n'allez pas les accueillir ?
- Je vous les laisse pour l'instant, envoyez les moi deux par deux une fois que vous les aurez assignés, histoire que je les rencontre. Il faut que j'aille voir Uma pour m'assurer que ces nuages noirs ne vont pas nous empêcher de partir. »

Une main sur mon bousingot, je salue les premiers matelots qui montent, et mon regard s'arrête sur une jeune femme. Elle n'a jamais mis un pied sur un navire, ça se voit. Elle est très jolie, par contre. Je souris. Trois-Doigts prend alors ma place, et avant que Faen ne puisse reprendre la parole, c'est lui qui accueille les mousses d'un grand rire rauque et d'une tape dans le dos pour le plus proche.

« Bienvenue, moussaillons ! Voici notre second, Faen Heledan, et moi je suis Trois-Doigts, quartier-maître. Si vous avez le moindre problème, c'est à moi qu'il faut le rapporter, histoire que je vous dise que vous êtes des braillards flemmards et que je vous botte le cul pour que vous retourniez travailler ! Mouahahahahah ! Allez, mettez-vous en binôme, Heledan va vous filer vos assignations pour aujourd'hui. Y'en a dans le lot qui ont jamais navigué ? »

« Ca y est, ça y est, ça y est ! » se répétait sans cesse Wilsa depuis le levé de son lit, pendant son chemin jusqu’au port et enfin devant le bateau qui allait pour la première fois l’emmener loin de la terre. « Enfin, c’est le moment ! »

La jeune rousse rejoignit les rangs des mousses et matelots en uniformes, puis adopta une posture droite, face à L’Ecumeur des nuages. Même le nom la faisait frissonner d’excitation. Elle se fit violence pour adopter le même comportement que ses camarades mais au fond, elle trépignait d’impatience de grimper sur le pont et pouvoir tout observer jusqu’au départ.

Un homme – ou plutôt demi-elfe – depuis ce fameux pont, l’uniforme impeccable sur lui tandis que tout le reste semblait dédaigner ce genre d’habits, s’était lancé dans un discours grandiloquent dont elle n’avait pas écouté un traitre mot. Une vieille habitude prise lors de ses études à Magic. Son regard était plutôt fixé derrière lui, à regarder l’animation de l’équipage. Elle crevait d’envie de les rejoindre.

Ce fut l’intervention d’une femme, vite identifiée comme la capitaine du navire, qui sauva Wilsa de ce discours interminable. L’aura qui se dégageait d’elle plu tout de suite à la rousse. Elle ignorait si cela venait de ce physique tonique, cette peau hâlée, ou tout simplement de cette assurance tranquille et de ce sourire en coin défiant le demi-elfe (elle n’avait pas retenu son prénom, il avait dû se perdre dans le discours assommant) mais Wilsa en était sûre, cette femme représentait ce qu’elle souhaitait pour elle-même.

A la suite de ses camarades, elle s’engagea sur le navire, posa son tout premier pied sur le pont, et au même moment qu’une bouffée d’excitation explosait dans sa tête, elle ressentit un léger vertige qu’elle tenta de masquer. Une légère appréhension vint titiller son esprit. Et si elle avait le mal de mer ? Cela la fit légèrement froncer les sourcils et elle décida de repousser ses inquiétudes. Premier voyage ou pas, elle était dans la marine. Si la nausée venait l’enquiquiner, elle la combattrait de toutes ces forces. Du moins, c’est ce qu’elle pensait.

Elle reporta son attention sur le quartier maître qui demandait aux matelots de faire des groupes de deux. Puis la question fatidique tomba. Les mousses se regardèrent entre eux, et Wilsa nota que deux d’entre eux semblait se moquer de la question. Comme si des personnes pouvaient s’engager dans la marine sans avoir naviguer au moins une fois dans sa vie. De ce fait, elle piqua un fard, sa peau claire rougissant à vue d’œil lorsqu’elle leva la main. Le dédain qu’elle put lire dans les yeux des nouveaux fit bouillir une colère en elle, parsemé d’un peu de honte mais lorsqu’une seconde main se leva, son cœur s’apaisa. Elle adressa un sourire timide au mousse qui lui aussi semblait gêné par son ignorance.

Trois-doigts s’esclaffa.

- Eh beh parfait ! Les deux novices, vous vous mettez ensemble et on va aller voir le capitaine. On s’occupera ensuite de vous faire voir les bases. Heledan, je te laisse les quatre autres.

Sans plus de cérémonie et devant la mine contrite de Faen Heledan (elle avait enfin retenu son nom), Trois-Doigts fit signe à Wilsa et l’autre nouveau de le suivre. La jeune femme en profita pour tendre la main à son nouveau compagnon de fortune.

- Je m’appelle Wilsa.

Timidement, il serra sa main, de façon plutôt ferme malgré les apparences.

- Pelvest.

Leur échange s’arrêta là, les deux matelots trop occupés à suivre le contre-maître tout en découvrant la vie sur le bateau. L’équipage semblait décontracté et de bonne humeur, ils discutaient entre eux tout en préparant le départ. Wilsa ne savait plus où donner de la tête. Son attention était si accaparée par tout ce remue-ménage qu’elle ne vit pas tout de suite que Trois-Doigts s’était arrêté devant le capitaine et une femme naine, en pleine discussion. Elle s’arrêta juste à temps et fixa son regard vert sur la femme aux cheveux chocolat.

- Voilà les deux p’tits nouveaux qui n’ont jamais navigué Cap’taine ! Allez, présentez-vous moussaillons.

Wilsa se raidit et dans un salut un peu maladroit, elle se présenta d’une voix claire et forte, pleine d’enthousiasme.

- Wilsa Bertham, je viens de Liberty et j’ai intégré la Marine dans l’espoir de rendre la liberté à la population. Pour vous servir Capitaine.

- On n’en demandait pas tant… Marmonna Trois-Doigts, le regard amusé.

La rousse lui jeta un regard désemparé mais il balaya ses inquiétudes d’une main et se tourna vers Pelvest. Celui-ci salua à son tour la capitaine et se contenta de décliner son identité.

Message 1

Toujours penchée sur la carte, je relève néanmoins la tête pour saluer les nouvelles recrues. Je ne suis pas surprise de voir la rousse que j'avais repéré tout à l'heure. Elle n'a pas le pied marin. Mais ça viendra. Je pouffe face à sa présentation bien trop formelle, mais acquiesce néanmoins d'un geste bienveillant. Le deuxième est beaucoup plus formel, sans doute suite à nos réactions amusées. Je jette un dernier coup d'oeil à la carte et à Uma, puis me redresse et fait le tour de la table. Derrière moi, j'entends la naine rouler puis ranger sa carte dans son étui, et prendre la direction opposée pour aller donner quelques ordres aux gabiers. Elle m'a assuré que nous pouvions partir, mais en faisant probablement un petit détour pour éviter l'orage. Une goutte tombe sur ma joue quand je me place face aux deux nouveaux matelots.

« Bertham, Pelvest, bienvenue dans la Marine ! Je suis la capitaine Ayna Yelcan. C'est un bien mauvais jour pour prendre la mer pour la première fois... Trois-Doigts va vous accompagner à la cale pour que vous y posiez vos affaires près de votre hamac. Je vous conseille de vous changer dans des vêtements plus confortables, et chaudement. C'est la première règle pour éviter le mal de mer, que d'avoir bien chaud. Gardez avec vous une gourde d'eau et hydratez vous régulièrement. Et on va vous montrer la réserve, assurez vous d'avoir toujours quelque chose dans l'estomac, prenez une collation toutes les deux ou trois heures.
- Comme ça vous aurez toujours un truc à vomir mouahahahah !
- Ensuite, vous remonterez sur le pont, ça vaudra mieux que de rester à l'intérieur, pour une première fois. Vous serez sous la supervision de Trois-Doigts aujourd'hui, il vous fera faire le tour de tous les éléments à entretenir et à protéger contre la pluie. Si vous vous sentez malade, revenez vers le centre du bateau, évitez de vous réfugier à l'abri, et ne regardez pas la mer. C'est compris ? »

Ils acquiescent et me saluent un peu trop militairement à mon goût, ça a le don de me faire rire à nouveau.

« Et pas de ça entre nous ! Vous garderez vos saluts pour les autres capitaines de la flotte, ici on est une famille.
- Ouais enfin sauf quand le capitaine a décidé de se servir en premier pour avoir la meilleure part du flan de Yorak, là y'a plus de famille, c'est le retour à la dictature...
- Ta gueule, Lileth, on t'a pas sonné ! »

Lileth s'enfuit en riant. C'est une jeune femme d'une petite vingtaine d'années, fluette et agile, à la peau noire ébène. Avec sa vision d'aigle, presque aussi bonne que la mienne, elle est notre vigie. Je me tourne vers Trois-Doigts.

« Je te les laisse, les martyrise pas trop.
- On verra mouahahah ! »

Je soupire, amusée. Je les regarde s'éloigner, avec une pointe de nostalgie. Je me souviens pas de mon premier trajet en bateau, mes parents me faisaient naviguer avant que je puisse m'en souvenir. Mais je me souviens de mon premier équipage officiel, de mes premières expériences en tant que matelot. Ça remonte, maintenant. C'était un autre temps, une autre mentalité qui m'habitait à l'époque. Ineg était encore là, Elnael n'était pas né... J'étais insouciante, je ne me demandais pas ce qui m'attendait le lendemain, je vivais au gré des pillages et des butins... Ouais, j'ai bien changé. Heledan m'amène les quatre nouveaux matelots, et je recommence mon explication. Ceux-ci ont l'air un peu plus expérimentés, j'en mets deux avec Yorak à la cuisine, au fin fond du bateau. Ils ont pas l'air contents, tant pis. Ils changeront d'affectation demain, de toutes façons. Les deux derniers viendront aider les gabiers. Les mousses partis choisir leur hamac, je retrouve Faen et Uma pour acter le nouveau trajet. Direction le Sud, à mi-chemin avec les Iles Paradisiaques, dans un tout petit port sur la côte républicaine. On va prendre un peu le large, pour éviter la tempête, et on reviendra ensuite vers les côtes. On devrait y être demain soir, si tout va bien.

Dans la cale, les matelots se préparent. Des hamacs ont été gardés pour eux, ils ont chacun leur petit espace personnel. Les deux affectés aux gabiers roulent des mécaniques. Ce sont ceux qui se sont moqués de Wilsa quand elle a levé la main un peu plus tôt. Ilhan, la peau tannée et les cheveux très courts, se moque de l'autre femme de la nouvelle promotion, une brune musclée, qui a été affectée à la cuisine.

« Comment j'aimerais pas être à ta place... C'est nul, la cuisine !
- Tu devrais pas l'énerver, Ilhan, imagine elle empoisonne ta soupe.
- Et puis elle au moins, elle a une vraie affectation, elle fait pas le toutou du quartier-maître...
- Hahaha c'est vrai, ça va les nouveaux, vous avez pas peur de finir comme le gars qui va vous materner ? »

Il lève la main, en baissant deux doigts, comme pour imiter la dextre de Trois-Doigts qui, comme son surnom l'indique, en a perdu deux. Lui et son camarade s'esclaffent. Le dernier garçon, celui en binôme avec avec la brune, en train de plier ses affaires, semble perdu dans ses pensées.

« Qu'est-ce t'as, toi, elle te fait pas rire ma blague ?
- Nan, c'est pas ça... Mais c'est juste que... Je repensais à la capitaine. On dirait pas une pirate, pourtant...
- Qu'est-ce tu racontes ?
- Mon père travaille aux services administratifs de la GAR, il m'en a parlé. Apparemment le capitaine Yelcan est une ancienne citoyenne de Kaizoku... Vous savez ce que ça veut dire...
- Hé ! Tous les Kaizokiens sont pas forcément des pirates !
- Ouais enfin ceux qui sont pas des pirates sont juste morts durant l'explosion du volcan hein !
- Tu racontes n'importe quoi...
- N'empêche, si ça se trouve on est sur un navire de pirates...
- Mais tais toi, tu dis de la merde ! On est là parce qu'on fait partie de la Marine, n'importe quoi !
- Allez allez, ça suffit les bavardages, on va bientôt lever l'ancre, allez trouver vos affectations les matelots, vous avez eu suffisamment de temps pour vous préparer là, oh ! »

Trois-Doigts vient d'interrompre le dialogue entre les mousses. Chacun s'exécute, en passant à côté du charpentier aux trois doigts par main. Son rire rauque communicatif retentit quand ils les voit détaler comme des souris.

« Allez, les bleus, chopez les bâches là-bas, j'va vous montrer tout ce qu'il faut qu'on protège pour éviter que not' rafiot il prenne trop l'eau ! »

Wilsa avait bien noté les conseils de la capitaine dans un coin de sa tête. Etre au chaud, manger et boire suffisamment, viser le centre du bateau en cas de nausée. Elle mettrait un point d’honneur à appliquer tous ces conseils ne serait-ce que pour ne pas être handicapée pendant le voyage mais aussi ne pas se foutre la honte face au capitaine qu’elle estimait déjà beaucoup pour une première rencontre.

Elle descendit dans la cale, à la suite de Trois-Doigts et Pelvest, choisit un hamac et posa son paquetage dessus. Elle farfouillait dedans à la recherche d’un pull et d’une écharpe quand la suite des moussaillons fit son entrée bruyamment. Elle grinça des dents face à leurs éclats de voix, surtout celui de ce garçon qui avait osé se moquer silencieusement d’elle tout à l’heure. Ne devrait-il pas mieux se comporter en tant que membre de la Marine ?

D’ailleurs, Ilhan – prénom qu’elle avait choppé durant leur conversation – était de nouveau en train de s’adonner à sa moquerie, sur d’autres mousses cette fois. Décidément, il devait être complexé par quelque chose pour être aussi malveillant envers les autres. Les deux assignés à la cuisine ne faisaient pas grand cas de ses paroles, aussi quand il revint à la charge la concernant, elle s’appliqua à l’ignorer royalement. Néanmoins, son commentaire à propos du quartier-maître ne lui plût pas. Elle voulut rétorquer une réplique cinglante sauf que la conversation enchaîna sur quelque chose de plus intéressant que ce grossier personnage.

Wilsa garda le silence en écoutant les informations que ses camarades échangeaient. Ayna Yelcan, une potentielle pirate ? Maintenant Capitaine dans la Marine ? C’était un sacré retournement de veste et pourtant… La rousse se surprit à imaginer les différentes vies que leur capitaine avait pu vivre lorsque le contre-maître fit de nouveau son apparition pour dispatcher tout le monde. Elle enfila à la hâte le pull qu’elle avait attrapé et entoura son cou d’un foulard de soie. Machinalement, elle effleura son collier, une pensée envoyée à travers le pays à ses parents.

Pelvest et elle attrapèrent les bâches désignées par Trois-Doigts et remontèrent sur le pont. La pluie s’était intensifiée et le temps qu’ils fassent le tour du pont pour mettre à l’abri tout ce qui devait l’être, les deux moussaillons étaient trempés. Loin d’attendrir le quartier-maître, ils continuèrent la formation expresse par l’apprentissage des nœuds de marin. Ils en étaient donc là, à s’entraîner sur le pont, les doigts crispés par le froid et la pluie, pendant que le reste de l’équipage se tenait prêt pour le départ.

Wilsa replaça une mèche rebelle derrière son oreille et leva les yeux sur son camarade. Il n’était pas bien bavard. Cela ne collait pas vraiment avec le caractère de la rousse qui était plutôt du genre pipelette et joviale. C’est pourquoi elle se mit en tête de tout de même faire connaissance avec lui, le quartier-maître ayant disparut dans le navire pour s’assurer que le reste des moussaillons s’en sortait.

- Donc, Pelvest, pourquoi tu t’es engagé dans la Marine ?

Surpris de la voir s’adresser à lui, il releva ses yeux marrons vers elle. Il prit un temps avant de répondre.

- Pour mettre fin à la piraterie.

La jeune femme attendit la suite mais celui-ci reprit son nœud et se tût. Frustrée de ne pas en savoir plus, Wilsa pinça les lèvres, tritura un peu la corde entre ses doigts et choisit un nouvel angle d’attaque.

- Et que penses-tu des rumeurs sur la capitaine alors ? Tu crois qu’elle était une pirate avant ?
- … Je ne sais pas.
- Tu ferais quoi s’il s’avérait que c’était vrai ?

Les questions de Wilsa était teintée d’une franche curiosité, sans jugement de sa part. Pelvest, à sa décharge, sembla réfléchir à cette potentialité.

- Je crois que je changerai de navire.
- Ah bon ?
- Tu ferais quoi toi ?
- Hmm… Je resterai je pense. Elle m’a l’air d’être une femme forte et de caractère. C’est ce que je cherche à devenir alors si je peux apprendre des meilleurs, ça me va ! Répondit-elle avec un grand sourire.
- Et le fait qu’elle ait été une pirate ne change rien pour toi ? Elle a peut-être tué et pillé des familles qui n’avaient rien demandé.

Le ton de Pelvest était devenu dur sur ses dernières paroles et Wilsa le considéra un long moment. Elle avait peut-être beaucoup de choses à apprendre mais observer les gens, c’était quelque chose qu’elle adorait faire et elle était devenue plutôt douée. Elle comprit donc que le jeune matelot avait sûrement une histoire compliquée avec les pirates mais à la vue de son visage fermé, la jeune femme ne tenta pas d’en savoir plus. Elle répondit donc le plus sérieusement du monde.

- C’est une possibilité oui, mais j’ai pour principe de ne pas me baser sur le passé. Si c’est une bonne capitaine maintenant – elle fit un geste pour désigner l’équipage du pont – et je n’ai pas l’impression que quelqu’un s’en plaigne, alors je veux croire qu’elle a fait une croix sur son passé douteux et qu’elle se tourne vers un plus bel avenir pour tout le monde.

Pelvest fronça légèrement les sourcils puis haussa les épaules. Il eut un léger sourire en coin.

- Tu m’as l’air d’être plutôt optimiste…

La jeune femme lui offrit un beau sourire et la conversation s’arrêta là. Ils firent encore quelques nœuds puis le quartier-maître revint de ses tâches.

- Alors les p’tits nouveaux, faites donc voir vos nœuds.

Il regarda attentivement le travail des deux jeunes gens, avec un sérieux qu’il n’avait pas encore montré jusque-là, et hocha la tête, satisfait.

- Très bien ! Sachez que ces nœuds peuvent vous sauver la vie ainsi que celle de l’équipage. Il ne faut jamais sous-estimer cette tâche.

Il claqua soudain dans ces mains, comme pour chasser le sérieux de son corps et reprit son sourire habituel.

- On va bientôt partir ! Je vous laisse allez à l’avant du navire pour regarder votre premier départ et après, finit la rigolade, vous allez trimer ! Hop hop hop, on se dépêche, cette offre généreuse est à durée limitée !

Wilsa et Pelvest se levèrent alors et rapidement, se dirigèrent à l’avant de la proue, les yeux fixés sur l’horizon, les voix des marins derrière eux annonçant que l’Ecume des Nuages était prêt pour le voyage. La rousse sentit ses yeux la picoter, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Elle remercia intérieurement la pluie de cacher son émotion. « Ça y est, c’est le départ. »

Message 2

« Capitaine, je ne pense pas que...
- Ça va, Faen, je sais ce que je fais. Je t'assure.
- Mais pourquoi là-bas ?
- Faen, tu connais mon historique, tu sais très bien pourquoi j'ai été recrutée. Maintenant, si tu pouvais t'assurer que l'équipage soit prêt à lever l'ancre, plutôt que de remettre mes ordres en question, ça me plairait vachement. »

Ma peau noircit légèrement, alors que mes cheveux volent au vent qui se lève avec la pluie naissante. Je prends une grande inspiration, et ma peau reprend sa teinte naturelle. Heledan prend congé, et je me tourne vers Uma. Elle me fait un signe de tête, l'air digne, et se remet au travail. Peu après j'entends enfin l'ordre que j'attendais, et le navire se met en mouvement. La pluie est fine, mais pas assez handicapante pour nous empêcher de naviguer. Elle a juste ce côté insidieux, insupportable, qui pénètre les vêtements. Le vent la ramène sur mon visage, c'est embêtant. D'un tapotement sur mon chapeau, je le modifie magiquement pour qu'il me protège un peu mieux contre les éléments qui s'acharnent contre moi. Si seulement le père Sekaï avait pu m'offrir un chapeau qui me protège contre les seconds à la langue un peu trop pendue...

A la proue, je vois les deux jeunes mousses dont c'est le premier voyage en mer. Trois-Doigts les a laissé observer ce départ. Il a bien fait. Voilà qui a le mérite de me rendre mon sourire habituel. Je m'élance vers eux, leurs regards émerveillés me réchauffent le coeur. Ils ne doivent pas m'entendre arriver, tout concentré qu'ils sont sur leur observation.

« Vous savez pourquoi on l'appelle l'Ecumeur de Nuages ? »

Je leur laisse le temps de se retourner, surpris par ma présence. Mon sourire bienveillant se laisse aucun doute sur le fait que j'approuve leur activité actuelle, bien que oisive, mais complètement indispensable.

« Dans une journée grise comme celle-ci, c'est quand on s'en rend le mieux compte. Regardez, là, en bas, sous la figure de proue. »

Sous la tête de loup, en suivant la ligne de l'étrave jusqu'au point où le bois rencontre l'eau, c'est là ce que je leur montre du doigt. Notre vaisseau prend de la vitesse, et à cet endroit précis, la mer s'ouvre pour lui laisser le passage, formant de l'écume blanche à la surface. Avec sa forme élancée et fine, on voit depuis ce point, aussi bien l'écume de la mer, que le reflet des nuages gris juste avant, sur la partie encore calme de l'eau. Et l'écume se mêle au ciel, si bien que l'on dirait que le navire s'élance sur une mer de nuages.

« L'Ecumeur de Nuages. Ce n'est pas un navire comme les autres. Parce que c'est le premier sur lequel vous voyagez. Il aura toujours une place particulière dans votre coeur. Profitez bien, jeunes mousses, les premières expériences sont importantes. »

Je pose mes mains sur leurs épaules, un geste maternel avant de prendre congé, voyant Trois-Doigts qui revient pour chercher ses protégés.

« On se voit au déjeuner, jeunes gens. Ménagez-vous, le voyage va durer quelques temps, ne tombez pas malades trop vite. Et n'hésitez pas à me poser vos questions quand on se verra tout à l'heure. »

Et je m'éloigne pour aller aider deux gabiers qui ont du mal à accrocher le bout de la voile avant après qu'il ait lâché. Je n'oublie pas que c'est une première pour moi aussi. Les temps sont étranges, intégrer la Marine n'avait jamais été dans mes plans jusqu'à maintenant, je ne pensais pas que j'en arriverai là. Mais c'est excitant, et j'ai l'impression de faire quelque chose d'important. De lutter pour ce monde meilleur, comme je me le suis promis. Ce n'est pas rien.

~~~

Le déjeuner arrive bien vite, les heures passent à une vitesse folle. Nous avons laissé le port de Courage loin derrière nous, et nous sommes loin de la côte, comme prévu, pour éviter la tempête. Uma avait raison, nous avons de nouveau du soleil depuis quelques dizaines de minutes, les nuages se concentrant sur les rivages au loin et laissant l'océan plus calme. Une aubaine pour nous. Un peu partout, les matelots qui ne sont pas en train de préparer l'espace pour le repas du midi s'affairent à sécher ou faire tomber l'eau de pluie qui s'est accumulée ces dernières heures. Après le repas, je ne doute pas qu'ils ne mettront tous frénétiquement à nettoyer, cirer, briquer notre beau vaisseau, pour lui éviter la moindre usure due à l'humidité.

Il est courant, dans notre équipage, qu'en jour de voyage, la majorité mange ensemble, les uns installés sur des tonneaux, les autres à même le sol. Des rotations sont effectuées pour ceux qui sont de garde pour s'assurer que le bateau ne perde pas le cap pendant ce moment de convivialité, mais c'est toujours important pour ceux qui sont là depuis longtemps. C'est un moment de partage, où tout le monde est à la même enseigne, et les vannes fusent très rapidement. Aujourd'hui, c'est forcément au tour des nouveaux mousses d'être le centre de l'attention, je me tiens dans un coin, mon bol de porridge à la main, et j'écoute les gabiers lancer des fions à ceux qui étaient aux fourneaux, les taquiner sur la qualité du repas, et leur trouver de sympathiques sobriquets. Je ris de bon coeur à leurs blagues, tout comme les mousses eux-mêmes, qui rapidement, se mettent à répondre de la même façon.

« Et bah si ça te plait pas, t'auras pas de lard dans ton bol la prochaine fois ! Tu t'en porteras pas plus mal tiens !
- Oh mais comment y m'parle l'aut' ! Va'zy qu'ils prennent bien la confiance les p'tiots nouveaux hé !
- Vas-y mon gars, défends toi, t'as bien raison, ce gros saligot mérite que ça !
- Hé toi mais tu m'cherches aussi ! T'vas m'trouver hé !
- Faudrait déjà que tu trouves tes orteils derrière ton ventre, avant d'pouvoir me mettre la main d'ssus ! »

Ça rit en choeur, c'est grivois, j'adore cette ambiance. Je sens le regard pesant de Faen, resté dans son coin. Il ne va pas tarder à repartir vaquer à ses occupations. Grand bien lui en fasse. Il m'agace. Je lève le nez vers le ciel. Une mouette passe. Aaah. Quel beau métier.

La vision de l’Ecumeur des nuages voguer sur les flots restera sûrement parmi les plus beaux souvenirs de Wilsa. Sentir le vent et la pluie fouettée son visage alors qu’elle restait encore quelques minutes à la proue la firent se sentir vivante comme rarement elle avait pu le ressentir. Elle comprenait la lueur émue de la capitaine lorsqu’elle était venue s’adresser à eux. Le premier voyage en bateau ne laissait personne indifférent. Elle avait jeté une œillade à son camarade qui avait joué l’indifférence, laissant de côté les discussions et rumeurs à propos du passé d’Ayna Yelcan. Elle apprécia ce comportement, tant que rien n’est prouvé, il ne sert à rien de se monter la tête.

Il lui fallu faire un gros effort pour arracher son regard de l’horizon et suivre le quartier-maître.

Il n’avait pas menti lorsqu’il avait dit qu’il les ferait trimer, malgré les recommandations du capitaine de se ménager. Peut-être d’ailleurs n’était-ce pas grand-chose pour Trois-Doigts mais pour Wilsa, qui n’avait suivi qu’un entraînement rudimentaire pour augmenter sa stamina, intégrer les leçons de navigation tout en faisant appel à sa force physique pour mettre la théorie en pratique, c’était tout un travail qui épuisait rapidement ses réserves.

Elle était restée sur le pont, à suivre les directives du quartier-maître sous le regard affûté du second. Non seulement il dénotait avec l’uniforme face au reste de l’équipage mais son visage grave contrastait avec l’ambiance légère sur le navire. Wilsa se fit la réflexion qu’il ne devait qu’apprécier moyennement le degré de décontraction pour un navire de la Marine.

A vrai dire, elle était elle aussi étonnée. Elle avait pensé évoluer dans un milieu rigoureux et carré. Non pas que l’équipage ne soit pas efficace, bien au contraire, mais elle pensait à quelque chose de plus… Protocolaire ? Elle haussa finalement les épaules, appréciant l’ambiance présente et préféra se concentrer sur ses tâches, non sans grincer des dents sous le froid et l’effort.

***

A l’arrivée du repas, la rousse faisait partie des équipes chargées de sécher les voiles. Ses bras criaient grâce mais elle se refusait à montrer un signe de faiblesse, tout du moins essayait-elle. De plus, le remous des vagues l’avait fait pâlir. C’était l’une des raisons pour lesquelles elle avait choisi de rester à l’extérieur. Tout en tirant comme une damnée sur une toile imbibée d’eau, elle s’évertuait à respirer profondément afin de faire passer la nausée.

Pelvest, qui était resté à ses côtés, lui jetait de temps à autres des regards légèrement inquiets, sans faire de commentaires, à son plus grand soulagement. Lui-même semblait un peu pâlot mais de toute évidence, il réussissait à mieux gérer son mal-être. Et il avait une force de bougre comparé à elle.

Une fois le travail terminé, ils rejoignirent la tablée où le repas les attendait. Il faisait comme un peu plus chaud et les rires emplirent le pont. Cela réchauffa le cœur de Wilsa même si son ventre s’amusait à se retourner de temps à autre. Cela n’échappa pas à certains membres. Le cuisinier s’approcha d’elle et passa fermement un bras autour de sa nuque, un sourire malicieux collé au visage.

- Eh beh alors ! Ça a le mal de mer ! Pas très résistants ces nouvelles recrues monsieur Faen !

Wilsa fit un effort pour garder son équilibre face à cette accolade bourrue et eut un sourire gêné.

- Laisse-la donc Yorak, c’est son premier voyage ! On passe tous par-là, t’en fais pas la miss. Rétorqua Uma, la femme naine avec qui le capitaine parlait avant le départ.
- Pour une fois que tu balances pas de bêtises ! Le cuisinier attrapa un bol rempli de porridge sur la table et le mis sous le nez de Wilsa. Mange donc jeune mousse, il vaut mieux dégobiller quelque chose que rien du tout.

Et aussi bon que sentait la nourriture, l’estomac de Wilsa décida de danser de nouveau la java, lui arrachant un bruit étouffé, faisant s’esclaffer la plupart des présents. Elle savait que rien n’était méchant, c’est pourquoi elle ne s’en formalisa pas. D’une main tremblante elle prit le bol et lorsque Yorak la relâcha, elle partit s’installer et écouta les échanges. Elle aurait voulu participer mais elle était trop concentrée à manger son repas sans tout recraché ensuite.

L’une des mousses – la brune musclée, du nom de Tolda – s’installa non loin d’elle.

- D’ici deux-trois jours, tu devrais t’y être habituée. Lui fit-elle avec un clin d’œil.
- J’espère que ça sera plus rapide… Réussi à articuler Wilsa.

La brune haussa les épaules, et se tourna vers l’assemblée.

Du coin de l’œil, Wilsa aperçut la capitaine, la tête levée vers le ciel, un sourire apaisé sur le visage. Elle ne l’avait que très peu vue durant les dernières heures, toujours vaquant d’un endroit à un autre, comme si elle n’aimait pas rester à ne rien faire. La rousse brûlait d’envie d’aller lui parler mais elle restait impressionnée.

Le porridge semblait avoir stabilisé quelque peu son estomac, au plus grand soulagement de la jeune femme. Elle avait réussi à finir sa part et semblait avoir retrouvé quelques couleurs. Il restait un peu de temps avant de reprendre les tâches de navigation, et Wilsa décida de s’avancer au-devant du bateau, ne se lassant pas de la vue qui s’offrait à elle. L’océan, partout où elle tournait la tête.

Elle entendit des pas derrière elle, s’attendit presque à se retrouver face à la capitaine mais c’était le second qui la regardait d’un air pincé.

- Miss Bertham, vous feriez mieux de ne pas trop vous habituez à regarder de manière si oisive l’océan. Rappelez-vous bien que vous êtes membres de la Marine, pas une petite noble en croisière. Si vous avez terminé votre pause déjeuner, allez donc vous occuper de sécher le sol de la poupe.
- Mais…
- Oseriez-vous, dès votre premier jour, remettre en question les ordres de votre second ?

Les yeux du demi-elf lançaient des éclairs. Wilsa inspira doucement, refusant de se créer des ennuis, et hocha la tête en se dirigeant vers l’arrière du bateau. Il semblait que le second du capitaine ait ruminé toute la matinée et que la rousse avait malencontreusement appuyé sur le petit bouton qui allait le faire exploser.

Elle s’arma d’un balai-serpillère et, ignorant ses mains qui la brûlaient, elle se mit à éponger l’eau qu’ils avaient fait tomber des voiles un peu plus tôt. La vue ici était elle aussi imprenable mais elle se garda bien de lever la tête, sentant encore le regard froid de Faen dans son dos.

Message 3