Ah, les fins de journée... qu'il était toujours plaisant ou ennuyant de la voir arriver. Aucune ne se ressemblait, même quand elles n'étaient que banalités durant plusieurs jours, voire durant une bonne semaine. Il y avait toujours un petit truc, un petit détail qui la rendait unique, malgré la routine de voir les mêmes têtes des habitués tardifs, quand eux-mêmes, après leur dur labeur quotidien, venaient se détendre avec quelques bières et papoter de tout et de rien. Rien que leurs conversations étaient variées, apportant leur lot de ragots des environs. La tavernière avait toujours une oreille tendue pour écouter ce qui se disait dans le coin. Tout était toujours bon à prendre, même quand cela parlait d'un rat crevé et momifié trouvé au fond d'un tonneau vide. Mais ce soir, ce soir... était différent.

Une parfaite inconnue avait franchi le seuil du Marsouin Blanc, une capuche dissimulant en grande partie son identité. Et forcément, elle ne pouvait qu'attirer l'attention. Ce n'était pas la première fois que le modeste établissement recevait des gens de passage. Et ce ne serait pas la dernière fois. Takhys darda un air curieux mêlé d'une pointe de vigilance, tout en gardant un sourire chaleureux. Une chose était certaine pour la tenancière : l'inconnue, à la silhouette très féminine et qui soulignait un corps bien proportionné malgré le port de la cape, était la première à venir avec une telle teinte à sa chevelure, pour ce qui dépassait de la capuche. Bien ! Cela donnerait un peu de variété, surtout quand elle découvrit des cornes qui trônaient élégamment au-dessus de sa tête.

Après avoir terminé sa tâche du moment, elle se rapprocha de la table où s'était installée cette bien étrange cliente. La commande était simple : un thé. Quoi de plus étonnant pour se réchauffer, vu le temps maussade et humide qu'il y avait dehors.

La préparation du breuvage se fit rapidement. La sirène sentait l'attention que lui portait l'étrangère. Nul besoin de la regarder droit dans les yeux pour sentir que celle-ci l'observait avec une certaine insistance. Takhys sentait que cette donzelle n'était pas qu'une simple voyageuse. Il y avait autre chose, quelque chose de plus... prédateur. L'instinct et l'expérience de l'Aquarienne parlaient d'eux-mêmes. Avec subtilité, elle veilla à rendre ses gestes plus... posés, comme pour mettre un voile de mystère sur sa personne. Le Marsouin Blanc était peut-être une simple taverne, mais c'était un lieu propice pour venir discrètement et aborder des sujets de commerce un poil moins légaux. Discuter n'était pas interdit, encore moins pour consommer quelque chose de délicieux.

Donc, un possible nouveau contact ? Elle devrait patienter que ses deux derniers consommateurs du soir s'en aillent. Il ne leur fallut guère de temps, d'ailleurs, pour terminer d'enfiler ce qui leur restait comme boisson, se vêtir pour sortir, grommeler en voyant le temps dehors et fermer la porte derrière eux. Takhys se rapprocha de leur table, attrapa ce qui devait être pris pour être nettoyé et rangé, puis regarda la parfaite inconnue. Leurs regards se croisèrent. Il y avait cette petite étincelle de provocation dans le regard. Cette petite aura qui poussait deux prédatrices à se confronter. Takhys soutint son regard et lui adressa un nouveau genre de sourire : un sourire carnassier.

Elle la regarda, droite et fière, pendant encore quelques secondes, avant d'aller déposer les effets qu'elle avait en main. Puis, lentement, telle un requin cherchant à évaluer la menace, elle se rapprocha de la cornue, rejoignit la porte de la taverne et... la verrouilla. Après quoi, elle revint vers cette cliente pas comme les autres, et son sourire carnassier se fit un poil affamé.

Proche de la table, elle la regarda. Puis, elle prit la parole.

"Que souhaitez-vous en complément de ce thé, très chère ?"

Aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir ; depuis l'ouverture du Marsouin Blanc en fait, elle n'avait jamais eu une telle cliente. Que des hommes la lorgnent avec envie ou pour le simple plaisir de se rincer l'œil, cela était monnaie courante... Mais qu'une femme, à l'allure concurrente, porte un attrait certain comme étrange. Ses yeux la dévoraient littéralement, comme si elle cherchait à découvrir le petit défaut caché de tous, celui que personne ne pouvait trouver à part elle.

Toujours avec son intense sourire presque synonyme de dangerosité pour qui savait le comprendre, l'Aquarienne attendait autant avec curiosité qu'impatience de l'entendre discourir, puisqu'elle avait fait part de ses intentions de discuter avec elle. Un parfait accompagnement avec le thé qui attendait, fumant agréablement d'être dégusté.

La splendide inconnue retira sa capuche, demeurant dans une posture parfaite. Le geste même était léger et parfaitement maîtrisé, lorsqu'elle dévoila l'entièreté de sa chevelure qui encadrait souplement son visage aux lignes ovales, douces comme envoûtantes. L'élégance était comme une seconde nature chez cette dame. Quand elle s'exprima, se présentant évidemment, la Sirène comprit en partie pourquoi cette Drakyn à la beauté indéniable lui portait un grand intérêt. Bien des femmes exprimaient une beauté naturelle par l'extérieur, mais étaient d'un vide sidéral et sans intérêt. Cette "cliente" avait cette prédation en elle, ce qui la rendait encore plus magnifique. Prédatrice elle-même, Takhys était relativement fière d'avoir pressenti cette... comment les terrestres décrivaient cela, déjà ? Une aura ? Ça sonnait bien. Une aura donc, qui s'accompagnait d'un sous-entendu quelque peu... dangereux.

La Sirène restait égale à elle-même. Le Marsouin Blanc avait de la concurrence, elle le savait, mais qui ne pouvait guère rivaliser avec une maison des plaisirs comme celle de Tsubuyaku. Sauf sur leurs activités parallèles...

"Ce serait mentir que de ne pas connaître le Sukyandaru." répondit simplement la tavernière, gardant toujours un regard pétillant et vigilant sur cette dame à l'apparence si fragile.

Voilà qu'elle la flattait maintenant, sans doute pour la mettre à l'aise sur l'approche de la dite-concurrence. La Sirène ne doutait pas que son interlocutrice savait ce qu'elle faisait. Sinon, elle n'aurait pas pris la peine de se déplacer en personne, seule et sur le territoire de la tavernière.

Takhys patientait, imperturbable. Nul besoin de la brusquer pour qu'elle aille au but de ses "projets". Le silence était calculé de la part de la Drakyn, autant s'y joindre pour en profiter, non ? Pendant ce temps, la "cliente" but quelques gorgées du thé apporté.

Quand sa voix vibra à nouveau, doucereuse, ce fut pour entrer plus en profondeur dans la raison de sa venue à la petite taverne. Takhys posa quelques doigts sur le bord de la table et se déplaça de quelques pas légers, comme pour réfléchir. Elle laissait glisser sa main sur la surface boisée, dans un geste qui se voulait voluptueux. Sa posture se voulait presque aguicheuse aussi. De la provocation ? Possible.

"Vous savez aller droit au but, très chère. J'apprécie cela. Donc, vous souhaitez mon concours dans une alliance qui sera autant profitable à vous... " Qui avait de l'ambition comme elle devait se reposer sur le travail des autres et des "associations" pour atteindre ses objectifs. Takhys avait bien conscience qu'elle ne serait qu'un pion au début de cette "alliance". Mais elle n'y était pas très regardante, tant qu'elle y trouvait son compte. Et ça, Tsubuyaku devait pertinemment le savoir.

L'Aquarienne poursuivit, toujours en toute simplicité.

"... qu'à moi. Je pense que c'est une excellente idée. L'aventure que je mène avec mon humble établissement mérite d'avoir un peu plus... d'élan. Donc, très chère, je suis toute ouïe..."