OPERATION CARICATIVE POUR LES ENFANTS SHOUMIENS [LIBRE]

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La sœur Ruby avait reçu son cadeau de la part du Père Sékai et elle avait décidé de donner les deux pots à une femme shoumienne qui était venue avec le groupe qui avait embarqué dans le navire SSG. La femme rousse avait visité l’un des hospices qui servait de lieu de refuge temporaire pour ce groupe de réfugiés. La sœur Ruby était partie se renseigner sur le fait qu’une grande table allait préparée avec plusieurs repas servis à tout ce monde. Cependant, elle constatait ce qu’elle avait mentionné dans sa lettre se révélait et elle observait que certains enfants avaient évoqué oralement à leurs parents ce qu’ils voulaient aussi pour cette fin de l’an. Néanmoins, leurs parents leur répondaient qu’ils avaient déjà eu le cadeau en étant arriver dans la République et notamment la cité Courage. L’ouïe fine de la sœur Ruby avait intercepté cette discussion et elle décidait de parler avec les membres du refuge.

La femme rousse présentait son projet de faire des cadeaux en passant une partie de son salaire de marin comme convenu dans sa lettre auprès du père Sekai. Le personnel du refuge esquissait un petit sourire quand la sœur Ruby évoquait cette partie de sa lettre envers le père Sékai. Elle voulait augmenter la cagnotte avec la participation de la taverne où elle travaillait. Elle savait que le propriétaire allait accepter à intégrer son établissement dans cette opération caritative. Cependant, la sœur Ruby proposait de donner les cadeaux au moment où le premier jour de l’an six arrivait. Elle voulait éviter d’ajouter de nouveau problèmes auprès du peuple shoumien avec les autorités de Courage. La sœur Ruby ne connaissait pas le caractère de la nouvelle maire et elle ne voulait pas donner une justification pour une surveillance particulière dans le lieu où elle travaillait. La sœur Ruby quittait donc le refuge avec acceptation du personnel du refuge pour ce projet. Elle avait estimé un montant et elle partait vers la marine notamment le bâtiment dont les membres de son escouade. Elle leur ordonnait de venir dans le lieu de son travail pour participer à cette opération en invitant leurs copains, famille et donner des pourboires.

La sœur Ruby arrivait dans la matinée dans la taverne et elle expliquait le projet auprès du propriétaire de la taverne. Celui-ci donnait son accord et une pot géant avec plusieurs indications de montant différents pour arriver à la somme escomptée. La sœur Ruby avait donné des informations auprès des autorités pour cette opération caricative et elle en profitait pour aussi inonder le GAR avec ceux dont elle avait encore gardé contact. Ils donnaient aussi l’information de cette opération vers L’OR et le bouche à oreille permettait même d’alerter le SCAR ainsi que les effraies. La femme rousse avait préparé une banderole avec la mention qui mentionnait l’opération particulière qui allait se dérouler tout le long du mois de décembre :

RECOLTE POUR LES REFUGIES SHOUMIENS

A TRAVERS VOS POURBOIRES, DONNER

UN PEU DE MAGIE POUR LEURS ENFANTS

UNE SURPRISE PARTICULI7RE LES ATTENDRA

LE PREMIER JOUR DE L’AN 6

CONSOMMEZ SANS MODERATION

DANS VOS COMMANDES

L AME DES CENDRES VOUS REMERCIERA

La femme rousse avait décidé de ne pas porter une tenue particulière qui ne devait pas résonner avec le père Sékai et elle se rappelait de la soirée en tenue blanche organisé par les nobles. Elle prenait la décision de porter une tenue blanche de la tête au pied qui avaient un air brillant via un peu de magie. Tout le personnel de la taverne était vêtu en blanc et l’intérieur de l’établissement avait une ambiance blanche. Cependant, il y avait une pancarte qui précisait qu’il n’y avait pas un style vestimentaire pour ce événement particulier. La sœur Ruby avait amené aussi une sorte de cloche géante qui devait retentir, quand on arrivait à un montant intermédiaire. La femme rousse espérait que certaines personnalités allaient venir pour accélérer les dons et surtout ceux qui donnaient directement dans le pot géant. La femme rousse décidait de se présenter juste devant porte et elle voulait recevoir les premiers clients qui allaient participer à cette opération caritative. Elle en profitait aussi pour préparer quelques gourmandises pour les mendiants qui avaient leur places qui étaient à quelques mètres de la taverne.

Tout à coup, elle voyait les premier clients qui arrivaient et la sœur Ruby leur présentait son sourire avec sa tenue blanche brillant grâce à la magie élémentaire de la lumière fournies par une de ses contacts dans le GAR. Elle avait attaché ses cheveux avec une forme de queue de cheval et elle n’avait pas gants comme les autres du personnel de la taverne.

La neige tombe mollement sur les pavés de Courage, assez pour cacher la saleté sans pouvoir masquer la misère. L'air a ce froid sec qui vous prend dans les poumons et s’installe sans demander la permission, mais j’ai connu pire. Depuis les événements des Bougeoirs, la réalité des Shoumeïens me préoccupe un peu plus chaque jour. Des visages creusés par la fatigue, des yeux qui ne cherchent plus la lumière mais une maigre promesse d’avenir. Je vois leurs rangs s’étirer au fil des ruelles, des ombres faméliques en quête d’un bout de chaleur. Un cadeau, juste un cadeau pour les gamins, ça ne résout rien à la grande échelle, mais pour eux, ça change tout. Alors je me dis que joindre l’utile à l’agréable ne me ferait pas de mal. Un peu d’alcool, un peu de vie, une pause.

C’est la période où le monde ralentit — un peu. La poussière et les cris laissent place à des gestes timides, quelques sourires, des mains tendues. Les marchands accrochent des guirlandes à leurs étalages défraîchis, les mères cousent des écharpes en laine abîmée pour les gamins qui grelottent. Ici, même les ruelles les plus sombres résonnent de chants maladroits et d’éclats de voix. La guerre, le chaos, le sang — tout ça s’éclipse un instant, comme si on essayait de se persuader que la vie peut être autre chose. Juste un peu d’éclaircissement dans ce foutoir qu’est notre monde.

Vany marche à mes côtés, enlaçant mon bras que je lui offre avec amour, sa silhouette élancée et voluptueuse, enveloppée dans un manteau épais. Ses yeux d'ambre fouillent les environs, comme toujours. Elle est belle dans son observation presque impénétrable, mais je sais lire entre ses gestes. Là, un rictus amusé quand elle croise mon regard, comme si elle décelait quelque chose que je ne vois pas encore.

« Ca va aller, Kieran. » Qu'elle me souffle comme une promesse.

Un long soupir de soulagement s'échappe des mes lèvres dans une épaisse buée opaque, réalisant que la dynamique du Razkaal ainsi que les derniers évènement me poussent à être beaucoup trop sur le qui-vive. Crispé. Tendu. Finalement, pas présent totalement, ici. Le bruit de la taverne nous arrive bien avant que l’établissement ne se dévoile à nos yeux. Un brouhaha chaleureux, des rires lointains, et cette ambiance à la fois brute et accueillante qui donne aux lieux un parfum d’évasion. La bâtisse est méconnaissable. Drapée de blanc — jusqu’à l’écœurement, diront certains — mais il faut lui laisser ça : la Sœur Ruby sait y faire. Elle est postée devant l’entrée, la tenue éclatante et brillante grâce à quelque magie discrète. Elle sourit aux clients qui arrivent, et je lui fais un signe de tête de loin. C’est sincère, tout comme elle.

« Madame, mes respects pour cette initiative. »

A l’intérieur, l’atmosphère est étrangement douce, presque festive. Le blanc à profusion pourrait rendre la scène artificielle, mais c’est tout l’inverse. Les clients arrivent petit à petit, étonnés d’être accueillis par un personnel tout en harmonie. Ayna nous fait signe depuis une table dans le fond. Elle est là, le sourire plein d’éclats et les mains occupées à garnir une assiette pour les plus petits. Le visage d'Elnael s'éclaire dès notre arrivée.

« Eli, deux énormes poissons à tribord !
- Salut Vanille, salut Papa !
- C'est "Vany". Eli, si t'apprends tes cours comme tu retiens les prénoms, ton année va être longue. »

Puis elle nous sourit, radieuse. Elle a cette chaleur qui attendrit les plus fermés. Moi, en l’occurrence. Je me laisse tomber sur une chaise, Vany juste à côté. C’est la deuxième fois qu’elle rencontre Ayna et Elnael, et cette fois, on a une raison de célébrer. La première fois, c'était des présentations en bonnes et dues formes. Les premiers échanges étaient timides, mais rapidement, les choses ont prit un cap plus chaleureux. Un plat, à boire, et c'est là que je découvre enfin le cousin d'Ayna. On m'aurait dit qui l'accompagnait ce jour-là, jamais je n'y aurais cru. Mais oui, une Lieutenant que j'ai rencontré dans un cadre bien plus obscur était présente. Mais, il y avait quelque chose de différent dans ses yeux. Quelque chose de plus chaud, de plus énamouré, chaque fois que ce Gunnar lâchait une boutade ou une anecdote sur ses patrouilles. C'était ... Beau, et sain.

« On fête ça aussi, hein ? L’intégration de Tatayna dans la Marine ! S’exclame Elnael, un large sourire aux lèvres.
- Tiens, c'est vrai ça. Ayna devient sérieuse maintenant.
- Pitié non, ça voudrait dire que je te ressemblerais.
- Que les Astres t'en protègent, surtout. »

Un rire partagé, posant une main affectueuse sur l’épaule de son neveu. Elle a toujours eu ce lien unique avec lui, quatorze ans passés à veiller sur ce gamin. Moi, j’ai parfois l’impression d’avoir encore des lacunes en tant que père, mais voir ça… Ça apaise quelque chose en moi. D'ailleurs, les yeux qu'il pose sur moi ont un éclat différent, le reflet est moins méconnaissable, les traits plus agréables... Je ne suis plus inconnu. Sa deuxième épaule finit engloutie par ma main, le voilà cajolé par ce qui semble être ses deux parents aujourd'hui. Et nous sommes tellement fier de lui.

« Prêts à consommer sans modération pour la bonne cause ? » lâche Vany, un sourire acéré au creux de sa phrase. À prendre au premier degré, puisqu'elle a une descente digne d'un barbare Reikois après la guerre.

Ayna rit doucement, puis me regarde. Nous regarde, comme si elle nous découvrait encore. Les conversations s’enchaînent, ponctuées par le tintement d’une cloche quelque part dans la salle. Un montant intermédiaire atteint. Certains clients donnent de bon cœur, d’autres moins, mais ils donnent. Et moi, je suis là, un verre à la main, à regarder les visages autour de moi. Les enfants qui rient, les hommes et femmes qui respirent un peu mieux, juste pour aujourd’hui. Puis je finis par lever mon verre.

« A ta nouvelle carrière, Ayna, à toi ma Dragonne, et en souhaitant à Elnael de réussir son année.
- Et à mon Dragon qui a intérêt de faire attention à lui durant tout ce temps, n'est-ce pas ? »

Vany souffle ça comme une évidence. Je ne réponds pas, juste un regard qui lui disait qu'elle avait tapé dans le mille, comme d'habitude, me contentant de lécher la mousse de ma chope avant de la reposer. Je relève la tête et regarde la pièce. Les visages sont apaisés, un peu plus lumineux, et ça suffit.

Pour aujourd’hui.

"Brrrrrlm'ph."

Au creux du col de l'immense Drakyn plus chaudement vêtu qu'à l'accoutumée, une masse informe s'agite entre trois couches de tissus superposés. A la manière d'un chat fourré dans une pile de couettes dont il ne trouve pas la sortie, l'étrange créature échaude la nuque de son porteur à un point qui n'aurait pas manqué d'arracher une grimace à la plupart des mortels mais Kieran, solide comme un roc magmatique, s'en accommode sans encombre. A mi-chemin entre l'éveil et le sommeil durant le gros du voyage, l'animal sauvage finit par consentir à dévoiler sa petite truffe lorsque les fumets d'aliments cuits et d'alcools divers commencent à lui parvenir. Par une série de marmonnements aigus mais enroués, semblable en tous points d'ailleurs à ceux d'un marmot râlant en sortie de sieste, il s'exprime :

"Ploo'El Dachy'bar ffo'el kharby. Kieban lol'Enepah dof'ih glug glug."

Joignant le geste aux incompréhensibles paroles, l'hybride draconique s'extirpe finalement de la nappe épaisse dans laquelle il s'est fiché jusqu'à présent et se révèle aux yeux amusés ou bien interloqués de la plupart des membres de la tablée. Avec une agilité ainsi qu'une vitesse propres aux reptiles dont il hérite quelques traits, Klak-Klak glisse le long du bras démentiellement gros de son camarade et redescend même jusqu'à la pogne de ce dernier pour ensuite venir renifler la chope dans laquelle vient de boire le Prévot. Sans se faire prier le moins du monde, il enfonce son museau droit dans le contenant et si la proportion d'eau dans la boisson reste un peu trop importante à son goût, il vient tout de même aspirer le tiers du liquide dans un gargarisme sonore.

Cela fait, il s'ébroue pour arroser copieusement son porteur ainsi que les convives les plus proches et lorsque Vanay s'agite en réponse aux projections alcoolisées, il lui adresse un regard à la fois intense et tout autant dénué d'intelligence. Les deux grosses billes noires rivées sur la demoiselle si lourdement imprégnée de l'odeur de son compagnon, il se saisit d'une grosse poignée de noix, fourrent celles-ci dans sa gueule sans quitter la Drakyn des yeux ne serait-ce qu'un instant puis recommence. Il l'aime bien, Vanay; mais il ne parvient toujours pas à prononcer convenablement la première lettre de son prénom. Sans qu'il puisse expliquer pourquoi, la voix et les attitudes de cette dernière l'apaisent. C'est sûrement lié aux regards doux qu'elle échange avec son plus proche ami, mais il n'y a rien dans sa caboche qui permette de le confirmer.

"Banay. Ploo'el Dach'Gabli fo Po'Eldar nab'il ? Bluh wee."

L'intention n'est pas claire mais lorsqu'il pousse le bol dans la direction de la jeune femme et qu'un buveur aventureux essaie d'y mettre sa main pour piquer quelques noix, l'hybride se met instinctivement à grogner en faisant le gros dos afin d'exprimer sa désapprobation. Vanay fait partie de sa meute, elle doit gagner en poids pour assumer le froid du Solstice hivernal et en tant qu'alliée honorifique de Klak-Klak, il est normal pour lui qu'elle ait la priorité sur les inconnus. Le malheureux recule sa pogne de peur de se faire mordre et Klak-Klak continue à lui faire les gros yeux tandis que les conversations joviales vont bon train, puis il en détourne son attention et tend l'oreille lorsque le son de tintement d'une cloche résonne dans la pièce. A l'instinct, il retourne se placer sur l'épaule de Kieran et inspecte la zone avec un sérieux presque comique.

Le froid mordait Courage en cette soirée, une brise glaciale s'insinuant entre les maisons de la cité républicaine. Didier était descendu avec une certaine élégance du siège de sa charrette, secouant les pans de son manteau pour en déloger la neige accumulée durant le trajet court trajet de l'entrepôt où il louait un espace de stockage. Son compagnon, Victor, restait près du véhicule, les mains dans les poches, surveillant d'un air neutre le chargement. Une collection modeste mais soigneusement sélectionnée et récupérée à l’occasion de dons et de récupérations fait auprès de la bonne société républicaine : couvertures, vêtements chauds et jouets en bois, ces derniers marqués du discret sigle de “D.V.S.”, l’atelier artisanal tenu par son père, Dieter – un détail qui, à n'en point douter, servirait à dorer son blason auprès de la communauté shoumeïenne.

Tandis qu’il progresse dans la rue bordée de boutiques et d’auberges, Didier ajusta son écharpe de laine grise autour de son cou, un geste qui lui conférait une allure aussi distinguée que nonchalante. La taverne – Âme des Cendres – émergeait à l’angle d’une ruelle plus étroite, brillamment ornée de banderoles blanches et de cette cloche gigantesque qui trônait près de l’entrée. L’effervescence autour de l’événement ne passa pas inaperçue : des clients, des curieux et des enfants s’agglutinaient déjà, animant les lieux d’un bruissement joyeux. Didier esquissa un sourire contrôlé, satisfait de cette opportunité de s’immiscer au sein d’une telle initiative.

Le marchand entra dans la taverne après avoir poussé la lourde porte en bois massif, et il fut aussitôt frappé par l’éclat immaculé qui dominait l’atmosphère. Les tenues blanches du personnel luisaient sous l’effet d’une magie discrète, et les décorations lumineuses déversaient une chaleur bienvenue. Didier apprécia la mise en scène, calculant déjà l’impact qu’elle pourrait avoir sur les Shoumeïens présents. L’une des premières leçons que son père lui avait inculquées resurgit dans son esprit : « La générosité ostentatoire est un investissement comme un autre, mon fils. » Un adage qu’il avait suivi avec application toute sa vie.

Ses yeux scrutèrent la salle bondée à la recherche de la fameuse sœur Ruby. Il ne savait que peu de choses d’elle, sinon qu’elle était réputée pour son engagement et sa droiture. Un atout ou une faiblesse ? Cela restait à déterminer. Il nota la cloche centrale et ses inscriptions minutieuses qui indiquaient des paliers de dons. Une subtile combinaison de charme et d’efficacité. Ses pas le menèrent près du comptoir, où il déposa quelques pièces dorées dans le pot dédié, faisant mine de ne pas remarquer les regards intrigués que son geste attira.

Lorsqu’il finit par repérer une femme rousse près de l’entrée, Didier s’avanca avec un sourire mesuré, adoptant cette expression avenante qui dissimulait toujours ses pensées véritables. La sœur Ruby semblait absorbée par l’arrivée de nouveaux clients, et Didier profita de l’instant pour réajuster son gilet, donnant l’impression d’un homme sûr de lui mais non prétentieux. Sa voix, lorsqu’il l’interpella doucement, était chaleureuse, presque familière.

« Madame, c’est un plaisir de vous ren… » Didier s’interrompit, reconnaissant la femme qu’il avait brièvement rencontré lors de l’un de ses périples de Liberty à Courage.« …contrer enfin. Je me permets de m’annoncer : Didier Van Strijdonck, marchand et citoyen de la République. J’ai entendu parler de votre admirable initiative, et j’ai jugé qu’il serait peu digne de ma part de rester simple spectateur. Ma charrette, que vous trouverez devant la taverne, contient quelques modestes contributions : couvertures, vêtements et quelques jouets. Rien de bien extraordinaire, mais j’espère que cela apportera un peu de confort à ceux qui en ont le plus besoin. »

Didier s’inclina légèrement, puis poursuivit sur un ton où perçait une pointe d’humilité feinte : « Bien entendu, si vous avez besoin d’aide supplémentaire pour distribuer ces dons ou pour toute autre tâche, n’hésitez pas à me solliciter. Il me semble que l’entraide est le fondement même de nos valeurs républicaines, n’est-ce pas ? »

Sa phrase s’acheva sur un sourire, tout en laissant entendre qu’il s’attendait à une réponse favorable.

Message N°1

Dans les rues enneigées, un groupe de personnages haut en couleurs s'achemine tranquillement vers l’Âme des Cendres. La Caravane était arrivée la veille à Courage : et avec la neige et les fêtes de fin d'année, Hiraeth avait à cœur de lâcher un peu la bride à sa troupe de bras cassés.

Aussi, après une vraie nuit de sommeil comme ils en avaient connu peu ces derniers temps (euuuuh beaucoup trop longtemps en fait), ils joignaient l'utile à l'agréable : aller boire un coup et faire la fête ET participer à une opération caritative. Tout ça dans une atmosphère détendue de vacances dont le Nomade n'avait guère goûté la sérénité cette année.

En tête, Sabrache la gobeline et Zaou le raton piaillaient entre eux, surexcités. Derrière, Arden l'armoire à glace silencieuse leur chuchotait de crier moins fort, comme à son habitude. Dieter accordait son luth en route et lissait sa moustache, les deux tâches l'occupant pleinement. Astuce et Oko Jero marchaient avec lui, son elfe et son mage, comme au bon vieux temps. Mais maintenant, il n'était plus un enfant flemmard ou un ado indiscipliné, et s'ils avaient encore du mal à s'en apercevoir, l'an 5 avait placé des limites qu'ils ne franchiraient plus.

Hiraeth ne savait s'il devait s'en réjouir ou le regretter. Malgré l'ambiance festive, une sorte de voile s'était déposé entre lui et les joies simples dont il se sentait coupé peu à peu. Il n'avait guère été présent pour les siens, osant des risques démesurés, et il ne se sentait pas prêt à faire le bilan d'une année en dents de scie émotionnelles. Le bilan s'était alourdi dernièrement. Et il était loin, bien loin, d'atteindre le moindre de ses objectifs.

OPERATION CARICATIVE POUR LES ENFANTS SHOUMIENS [LIBRE] Divide14

Oko Jero :

Je vois son visage s'assombrir, encore, et nous échangeons un regard angoissé avec Astuce. Il n'a jamais été des plus expansifs, mais depuis quelques mois il semble parfois éteint, comme aspiré de l'intérieur. Elle comme moi sommes peu pratiquants d'une véritable hygiène de vie, pourtant nous voilà à le pousser à dormir, à manger correctement, à boire autre chose que des grammes.
Notre presque-neveu nous semble sombrer dans une sourde dépression, et nous sommes impuissants.
Heureusement, l'Âme des Cendres se profile à l'horizon et la joie de nos camarades le ragaillardit.

L'ambiance très claire est néanmoins chaleureuse et un regard aux premiers arrivés apaise mes craintes : notre troupe hétéroclite ne fera pas trop tache là au milieu. Chacun arrive et à la surprise d'Hiraeth qui ne s'y attendait pas, chacun dépose sa pièce dans le grand pot des dons avant d'aller se trouver une table assez longue pour notre septaine d'abrutis.
Il les a ramassés dans la rue, dans les bouges ou aux portes de la mort : ils n'ont pas oublié. Je suis fier de nos argousins.

Je sens soudain Astuce marquer un pas, et notre Nomade s'arrête près de l'entrée. Ah, on dirait que Belles-Bottes est là aussi. Je les dépasse en ajoutant mon obole pour aller m'asseoir avec les autres qui mènent déjà beau tapage. Dieter est allé s'entretenir avec les responsables de l'auberge pour voir s'il peut jouer un peu, les autres commandent déjà. Ça promet.

« Salut bel homme. »

Astuce m'a devancé, quel toupet ! Intenable.

Je passe près de Didier en le saluant, et elle lui fait un clin d’œil dans le dos de la Sœur Ruby, que je salue profondément également, ajoutant un remerciement rapide pour son organisation d'un tel événement. Ils sont en discussion, je ne veux pas les déranger.

Pas mal de gens sont présents, ainsi qu'une belle table exotique à laquelle j'adresse un signe de tête aimable avant de rejoindre la mienne, tout aussi exotique, où mes caravaniers ravis d'écluser dans un endroit aussi chic n'ont presque pas encore renversé de bière.

Il est temps de penser à autre chose.

Opération caritative

Vêtue d’un long manteau blanc pareil à la fourrure d’une hermine et de bottes longues, Lyna Gretsky s’avancait dans la rue à pas légers faisant grincer la neige sous ses semelles. Un léger sourire satisfait flottait sur ses lèvres généralement pincées. Elle leva un avant-bras, paume tournée vers le ciel floconneux alors qu’elle avait redressé le menton pour admirer les étoiles blanchâtres tourbillonner dans le vent avant de se poser un instant sur sa peau avant de fondre et glisser comme des larmes pures. La sirène inspira, se remplissant un instant d’une joie enfantine. Ce n’était certes pas dans ses habitudes mais ce soir devait être pour tous un moment de légèreté, y compris pour cette acharnée de travail. Ce soir on allait profiter allègrement pour permettre à des enfants démunis de sourire à leur tour. C’était une démarche purement altruiste à laquelle la jeune femme n’aurait pu ignorer.

Lorsqu’elle pénétra à son tour à l’intérieur de la taverne, son sourire n’en fut que plus grand. Pour l’occasion le personnel avait assorti ses tenues et décoré avec soin les lieux. C’était lumineux, chaleureux et d’une blancheur d’une pureté innocente. A l’entrée se trouvait la femme à l’origine de cet élan de bonté. Elle était plus éblouissante encore que tout le reste. Sa chevelure flamboyante soigneusement coiffée, parée d’une tenue intensément lumineuse. Lyna en était son parfait opposé lorsqu’elle se défit de son long manteau : Vêtue d’une robe noire toute en sobriété et seulement brodée de quelques fleurs qui s'harmonisent avec celles parsemant sa chevelure rosâtre cascadant en toute liberté sur ses épaules et son dos.

La jeune femme s’approche pour saluer mais un homme la devance, proposant son aide ainsi que des fournitures pour les réfugiés. Il semble que la doctoresse ne soit pas la seule à être venue les mains pleines, se fit-elle la réflexion alors qu’elle intervient finalement :

« Mes excuses de vous interrompre. Je voulais juste vous apporter ce panier d’herbes médicinales. Ce n’est pas grand chose, mais je serais ravie d'apporter de l’aide aux réfugiés s’ils venaient à souffrir de quelques maux. » Elle hoche la tête en signe de salutations, se reculant déjà pour ne plus les déranger. « Bonne soirée à vous et merci pour cette magnifique initiative. »

Sur ces paroles, elle se détourne, ses yeux clairs parcourant l’assemblée déjà présente. La sirène ne serait surement pas de ceux qui rapportent grandement par la consommation de boissons mais elle alla au moins déposer dans le grand pot une contribution.

CENDRES

- Une soirée mondaine ?

Léonora inspectait son reflet dans le grand miroir à cadre doré de la chambre tout en ajustant une boucle de cheveux. Gunnar, assis sur le lit, l'observait en silence, un sourire en coin. Elle se tourna, haussant un sourcil.

- Caritative… Je t’en ai parlé la dernière fois, pour les réfugiés Shouméiens.
- Je me rappelle bien, mais mondaine...

Léonora soupira, entre l’exaspération et l’amusement. Il la taquinait une fois de plus.

- Cela aurait pu l'être, oui.

Voyant son air légèrement dépité, Gunnar se redressa pour s'approcher d'elle. Posa ses mains sur ses épaules avant de l'attirer doucement contre lui.

- Ça te tient à cœur, on dirait.

Elle hocha la tête sans répondre immédiatement.

- Mais là, c'est une soirée caritative… dans une taverne, nous sommes loin des mondanités.

Et elle ne porterait pas une tenue aussi simple. Il recula légèrement pour soutenir son regard dans le sien, cette malice dans les yeux qui la faisait toujours fondre.

- Mais il fallait commencer par là !
- Evidemment, pourquoi n’y ai-je pas pensé ? franchement…

Avant qu'elle ne puisse réagir, il l'enlaça plus fermement et déposa un baiser exagérément appuyé sur sa joue, qui arracha un sourire à Léonora.
C'est ainsi, entre taquineries et gestes tendres, que fut décidé le programme de leur soirée. Gunnar enfila rapidement sa veste, tandis que Léonora récupérait une étole pour se couvrir avant de mettre sa cape. Ils sortirent ensemble dans la fraîcheur du soir, Dans une calèche puis sous la neige, bras dessus, bras dessous, en direction de la taverne où se déroulait l'événement. Sur le chemin, Gunnar lui raconta une anecdote sur un homme qu'ils avaient arrêté plus tôt dans la journée et elle riait de bon cœur. Ce qu'il ignorait, c'est que cette soirée serait l'une des dernières qu'ils passeraient ensemble. Léonora n'avait pas trouvé le courage de le lui annoncer. Pas encore. Elle chassa cette pensée sombre et de profiter pleinement de chaque seconde à ses côtés.

Déjà, au coin de la rue, ils entendaient le brouhaha des discussions et les notes d'une musique joyeuse. Léonora serra un peu plus les bras de Gunnar. À l'entrée de la taverne, une silhouette se détachait de l'ombre. La sœur Ruby, celle qui avait organisé l'événement, se tenait là, entourée de plusieurs petits groupes. Elle remarqua la présence.

- C'est elle ?

Léonora acquiesça puis l'entraîna à l’intérieur.

- Viens. Nous la saluerons plus tard. Elle a déjà bien assez de monde autour d'elle.

Ils franchirent le seuil de la taverne animée. Elle s'arrêta un instant, surprise par la décoration. Tout était blanc. Des tentures immaculées pendaient des poutres du plafond, oscillant doucement dans l'air, les tables n’avaient pas échappées au code de la soirée tout comme le personnel.

- C'est… inattendu.

Léonora hocha la tête sans trop savoir quoi en penser, mais elle nota l’attention apportée à l’événement jusqu’au moindre détail. Mais l’esprit et le brouhaha ordinaire d’une taverne, l’odeur de bière, de ragoût y étaient bien encrés. Le monde s'était déjà bien amassé, les conversations vives.

Gunnar posa une main légère sur son épaule et se pencha vers elle.

- Tu veux t’asseoir où ?
- Où tu voudras… Après tout, c’est toi qui as le plus l’habitude de ce genre d’endroit.

La sœur Hématite patientait tranquillement la venue de ceux et ceux qui voulaient participer à cet événement caritatif. Toutefois, elle n’avait vu pas ceux qui entraient en premier et il y avait de sacrés personnalités. Néanmoins, elle eut le temps de voir un immense Drakyn accompagné par la Draky qui avait participé à l’incident lié au bateau de la SSG. La femme rousse vêtu de blanc remerciait avec un signe de tête , suites aux propos de Kieran et elle gardait cette reconnaissance à l’intérieur de son esprit. Elle faisait un geste de main pour inviter le couple à entrer à l’intérieur de la taverne. Quand le couple de Drakyn entrait complètement à l’intérieur de la taverne, la rousse ne voulait pas à commencer à se poser des questions sur Vanay et elle faisait des allers et retours vers les mendiants du coin. Leur nombre augmentait suite à son action surtout les enfants qui avaient lancé la nouvelle de cette opération caritative.

La femme à la tenue blanche décidait de déléguer cette tâche avec les friandises à un membre de la taverne et il apportait une caisse remplie de sucreries sous forme d’une fleur connue dans le sekai pour le goût de miel que l’on récoltait de cette plante. La sœur hématite s’apprêtait à rejoindre l’entrée de la taverne, quand elle voyait un homme dont le visage lui disait quelque chose. Elle ne voulait pas utiliser son énergie autre que pour cette cause et elle n’essayait pas de chercher dans sa mémoire. Le marchant Républicain proposait une sacrée offre pour les enfants Shoumeins. La femme avec la tenue blanche illuminée le remerciait avec un signe de tête de bas en haut. Elle continuait de garder un sourire pour les prochains participants à cette opération caritative. Elle voyait un groupe atypique et elle maintenait son accueil avec sincérité. Elle répondait au remerciement de Hiraethe avec le même salut qu’elle avait fait auprès de Van strijdonck. Elle recevait des nouvelles de ce qui se passait à l’intérieur via le membre qui était en charge la caisse remplies de friandises. Il revenait pour une seconde tournée à tout les mendiants cette fois et elle était ravies de l’activité festive qui s’y déroulait. Toutefois, elle devait organiser la manière de distribuer et il y avait un début de file qui se dessinait vers la Taverne. La sœur utilisait son pouvoir de vol pour faire une distribution plus rapide et éliminer cette file. Elle réussissait et au même moment, la médecin aux cheveux roux était passée dans la taverne pour donner sa contribution. Quand la femme à la tenue blanche revenait vers la place pour accueillir, un des membres lui parlait de Lyna avec couleur de cheveux distincte.

La sœur Hématite était ravie de voir que son opération avait généré autant d’élans de générosité. Elle était dans un état second que la description de Lyna via la couleur de ses cheveux ne suffisait pas pour lui faire rappeler que c’était son médecin pour le souci capillaire magique. Elle prenait un bouteille qu’elle avait laissé près du comptoir qui servait une devanture afin de recevoir les invités préalablement l’entrée de la taverne. Elle buvait un petit coup et elle n’avalait pas de l’alcool,car elle voulait avoir la maîtrise d’elle même. Elle continuait son activité d’accueil et un énorme groupe arrivait vers elle. Ce fut moment où arrivait Léonara et son compagnon futé, mais suite à cet attroupement, la sœur Hématite n’avait pas ce couple surprenant pour elle. Elle demandait à une autre membre de la remplacer à l’extérieur et elle partait à l’intérieur à l’établissement. Elle constatait l’ambiance de fête qui dominait et elle ne savait pas par où commencer afin de mieux connaître les contributrices et les contributeurs. Tout à coup il eut un gong qui retentissait et il annonçait qu’un certain montant était dépassé. Toutefois, la géante jarre n’était pas encore remplie et les dons avaient permis de passer la ligne de moitié. La femme rousse hésitait vers quelle table elle voulait passer et elle attendait d’avoir un signe.

Après la célébration du solstice d'hiver à Nareim, la demi-fae avait pris la route vers Courage. Afin de pouvoir rejoindre au plus vite la cité siège de la Marine de la nation bleu, suite à l’invitation qu’elle avait reçu de la sœur Hématie pour une soirée caritative aux profits principalement des enfants shouméens réfugiés. Les souvenirs de la colère des bougeoirs étaient encore bien vivaces dans sa mémoire. La fidèle de L’Esprit Sylvestre avait ses propres responsabilités envers sa forêt, sa famille et son village, mais là, il était question d'apporter un peu de réconfort à des enfants et cela changeait tout.

Le voyage ne fut pas de tout repos en cette période hivernale, la magie du déplacement instantané lui étant étrangère contrairement à sa camarade de couleur capillaire, c’est en volant de ses propres ailes qu’elle rejoignit donc Courage. Xera malgré ses différentes épaisseurs de vêtement avait senti le froid mordant pénétrer ses chairs et ses os. Elle ne perdit pas de temps à l'entrée et se dirigea directement vers le foyer flamboyant de la cheminée de la salle commune et tendit avidement ses mains vers la chaleur salvatrice. Emmitouflé comme elle était avec son manteau et sa toque de fourrure, personne n’avait semblé la reconnaître quand elle avait traversé la salle.

La demi-fae tira vers elle une chaise et entreprit de se débarrasser des couches superflues de vêtements pour les y déposer, ainsi que son sac. Un employé de l’établissement finit par venir vers elle afin de s’enquérir de sa commande.

- un cidre chaud et vos plats du jour ou quoi que ce soit de chaud à manger s’il vous plaît, une fois le ventre plein, j’aurais besoin d’un endroit où stocker des butternut et des potimarrons. C’est pour les réfugiés….

L’employé de tout blanc vêtu prit sa commande et la regarda un peu interloqué, pour sa dernière demande, l’herboriste de Nareim avait bien un sac avec elle, mais tout au plus pouvait, il contenir deux ou trois courges de taille modeste. Enfin, le client était rois et tant que la jeune femme consommait…

L'ambiance est plutôt détendue, mais je n'arrive pas complètement à me lâcher. Eli me jette des oeillades, il essaye de m'embarquer dans sa bonne humeur. Ça m'a surpris, qu'il appelle Kieran "papa". C'est récent, ce changement. C'est une sensation agréable, que de le voir s'épanouir, dans sa vie, dans ses liens. Je lève mon verre pour trinquer avec les autres, et je bois en cachant mon stress. A mon poste dans la Marine, ouais. Et pourtant, dans deux semaines, je pars en mission, et pas pour eux. Mais qu'est-ce que j'ai encore foutu pour me retrouver dans un tel bordel. Ma place est sur le plancher d'un bateau, pas en train d'explorer des ruines abandonnées avec la Grande Armée Républicaine... Ces cons du SCAR me tiennent toujours par les mêmes sentiments, même cinq ans après. Ils savent, que je ferai tout pour le gosse. Et comme il y a cinq ans, je ne peux rien dire, je ne peux rien partager à ce sujet. Agent double, mon cul, je suis purement et simplement un pigeon.

Je vide ma chope et j'en commande immédiatement une autre. Il faut consommer, ce soir, non ? Et on est avec deux trous, deux Drakyns bien plus résistants que nous ? Alors si je me pinte la gueule, ils me ramèneront à l'Ecumeur, c'est pas très grave, après tout. Mais avant ça, j'ai quand même une petite discussion sérieuse à avoir avec Kieran et...

« QU'EST-CE QUE CE TRUC FOUT ICI ?! »

Je me lève en sursaut, je manque de faire tomber le banc sur lequel on était assis avec Elnael, mais il se rattrape à la table pour garder l'équilibre. De la chemise de Kieran vient de sortir une créature que je ne pensais jamais revoir, et qui me renvoie à d'horribles souvenirs. C'était quand j'ai traqué Eli sur tout le continent, quand il a fugué. Je me souviens des deux chasseurs de prime dans la forêt, du coup de main que j'ai accepté de leur rendre par la force des choses... mais surtout, de l'incendie. Mon cheval, les chasseurs... Calcinés. Par cette... chose. Qui regarde amoureusement mon ami bleu et sa compagne rouge.

« Cette créature est dangereuse, Kieran. Elle a failli me tuer, il y a un an et demi. »

Je pose une main sur l'épaule d'Eli, pour l'éloigner. Il me faut une longue explication et pas mal de mots doux pour que je revienne enfin m'assoir, quelques minutes plus tard.

« Et comment tu sais qu'il va pas te trahir et se mettre à tout cramer d'un coup ?
- Je lui fais confiance, c'est mon ami.
- On peut être ami avec ce truc ? Je croyais qu'il voulait tuer tout ce qui vit ?
- C'est plus compliqué que ça... Mais n'aie pas peur, Ayna.
- Ouais Tatayna, si papa le dit, c'est que c'est bon ! »

Toi, petit con, je te retiens. "Papa", c'est quand même le mec que tu regardais en coin sans lui faire entièrement confiance, avant notre aventure il y a quelques mois. Et maintenant, c'est devenu un argument de poids ? Dire que je pars en mission suicide pour lui payer des études et m'assurer qu'il ait tout ce qu'il lui faut là-bas, et ces idiots de mages lui mettent des idées bizarres dans la tête. Je soupire. Il va vraiment me falloir de l'alcool, beaucoup d'alcool, pour faire passer tout ça. Je sors ma tabatière et commence à rouler une cigarette, nerveusement, ne quittant pas la bestiole des yeux. Mais encore une fois, c'est Eli qui me ramène sur terre.

« Et euh... tu te souviens, tu voulais demander quelque chose à papa...
- Ouais... euh... Kieran ?
- T'en veux déjà une autre ? T'as même pas fini celle-ci ?
- Hein ? Non enfin si, commande une autre chope fraiche, je vais vite finir celle-là, mais c'est pas ça que je voulais te demander.
- Ouais dis moi.
- Tu fais quoi à la fin de ce mois-ci ? Tu pars pas en mission compliquée à l'autre bout du monde ?
- Non, pourquoi ? Tu fais la crémaillère de l'Ecumeur ? Ça fait un moment que tu l'as ce rafiot maintenant, mais bon...
- Non, euh... Tu sais Magic ferme une semaine, congés annuels des professeurs ou je sais pas quoi... »

Au prix auquel on paye cette académie de merde, ils pourraient au moins avoir la décence de rester ouvert toute l'année. Mais bon.

« Du coup Eli va pas pouvoir aller en cours pendant une semaine et euh... bah moi je pourrais pas le garder. J'ai... j'ai un truc à faire. »

Quand il m'a annoncé ça, le marmot, évidemment je sortais de mon entrevue avec Leonora, celle pour me faire recruter temporairement dans la Troisième, histoire de pouvoir remplir mon rôle pour le SCAR. J'y crois toujours pas. Moi, soldat de la GAR. En mission pour le SCAR. Bordel, je suis une pirate de Kaizoku à la base, foutez moi la paix avec vos acronymes de républicains ! Et forcément, quand Eli m'a dit qu'il ne pouvait pas aller en cours pendant une semaine, je ne lui avais pas encore annoncé que je partais pour les Ruines Maudites. C'est lui qui a suggéré qu'il reste avec Kieran. J'ai trouvé que c'était une excellente idée. Mais ça m'a saoulée en même temps. J'ai encore un peu de mal à me faire à cette nouvelle dynamique.

« Du coup je voulais savoir si tu pouvais le garder pendant cette semaine. Aller le chercher le vendredi soir à Liberty, et le ramener le lundi de la semaine suivante. Mais si tu peux pas, c'est pas grave hein ! Hein Eli ?
- Nan, c'est pas grave. Je resterai chez Gouny ou avec l'équipage, si papa peut pas... »

Il arbore un grand sourire amusé, mais aussi un grand espoir dans ses yeux. Un peu d'anxiété, aussi ? Une semaine, enfin non, dix jours, seul avec son père. Ça doit être excitant pour lui, et aussi un peu stressant. Je ne serai pas là pour faire le pont entre eux, pour une fois. Mais c'est une bonne façon de voir si le courant passe enfin entre père et fils. Je regarde Vany, je cherche du courage dans les yeux de la compagne de mon frère de coeur. Je ne la connais pas depuis longtemps, mais elle m'est très sympathique, et je sens qu'elle a une bonne influence sur lui. Il sourit un peu plus, depuis qu'elle est dans sa vie.

« Et aussi euh... J'ai besoin d'entraînement. Avant de partir pour ma mission. »

Mission que je n'ai toujours pas énoncée, évidemment. Depuis mon combat contre le Masqué, je n'arrêtais pas de penser à ces pouvoirs élémentaires qu'il a, ce don de manipuler l'air. Inconsciemment, j'essayais de reproduire ce qu'il a fait ce soir-là, ses mouvements, de canaliser ma mana pour créer un courant. Le vent c'est un élément que je connais parfaitement, en tant que marin. Presque mieux que l'eau et la mer. Mais je ne pensais pas vraiment y arriver, je me disais que c'était hors de ma portée. Alors quand je me suis mise à voler d'un coup, et à pouvoir changer le sens des voiles en une pensée, j'ai pas compris ce qui m'arrivait. Mais j'ai tout de suite pensé à Kieran. Lui aussi, il maîtrise un élément, et lui aussi il vole. S'il y a bien quelqu'un qui peut m'apprendre à gérer ces nouveaux dons, c'est lui.

« Ah ouais faut que tu la vois faire ! Elle vole ! Et elle bouge le vent ! C'est génial !
- Mais du coup comme je pars bientôt pour un truc un peu dangereux, ce serait bien que je sache m'en ser... GOUNY !!!! »

La porte vient de s'ouvrir sur mon cousin. Un énorme sourire apparaît sur mes lèvres, avant de retomber un peu en voyant Leonora accrochée à son bras. Pas que je ne l'aime pas, au contraire. Mais voir ma nouvelle supérieure - même si je n'arrête pas de me rappeler que ce n'est que pour quelques semaines - ça me mine le moral immédiatement. Et ça me rappelle le bordel dans lequel je me suis fourrée. Je leur fais pourtant de grands signes, et Eli se lève pour aller chercher un tabouret et s'asseoir en bout de table, histoire de leur laisser de la place. Lui aussi il est content de les voir. J'adore ce gosse. Je sens que je vais mourir pour lui, mais je l'adore.

-Merde.

Je tourne sur moi-même aussitôt, faisant mine de ne pas l’avoir vu. Léo lève un regard interrogatif vers moi avant de jeter un regard dans mon dos. Elle se met à sourire. Bah quoi ? C’est que j’espérais quand même passer un moment tranquille avec Léo, une sortie en couple comme on en a rarement fait ; rapport au fait que ça me gêne toujours ; et pour une cause qui de plus lui tient à cœur. Ce n’est pas le moment où je m’attendais à voir débouler ma cousine. Déjà que de m’afficher en public avec Léo, j’ai déjà beaucoup pris sur moi. Pas que j’en ai honte, hein, au contraire, mais plutôt que je préfère garder ma vie privée à l’abri des regards. Déjà que c’était quelque chose que j’ai repoussé tant d’années, ce n’est pas pour l’afficher ostensiblement. Il était improbable de ne pas croiser des gens que je connaisse dans ce genre d'événement, quand même, je commence à croiser du monde, mais la famille, ce n’était pas dans mes plans.

Léo pose une main sur mon épaule, venant glissant quelques mots à mon oreille et me sauvant la face en donnant l’illusion que je ne l’ai vraiment pas vu et entendu parce qu’elle devait me parler.

-Ça te dérange ?
-Caritatif, pas mondain.
-Il n’y a pas de quoi en faire des mondanités, hein, c’est la famille.
-Oui… Oui. Allez.

On se regarde un instant avant d’échanger un baiser, puis l’on sort de notre aparté. Je me tourne vers Ayna et je lui fais un signe de la main. Je conduis Léo au milieu des différents groupes, imposant ma stature pour ne à devoir bousculer plus que de raison. Pour la cause du jour, ce serait mauvais genre que d’être un peu abrupt. Heureusement, la présence du prévôt génère un espace naturel autour du groupe que l’on rejoint, nous permettant de nous y insérer sans être gêné. Parce qu’on est en société et qu’étrangement, j’ai une soudaine amnésie de la fois où l’on s’est tous croisé il y a quelques semaines, je me prends au jeu des quelques amabilités d’usage.

-Je ne m’attendais pas à te trouver ici, Ayna. Prévot, moins de surprise, même s’il n’y a jamais eu autant de boulot pour nous qu’en ce moment. Vanay, toujours aussi charmante. Et toi mon petit, t'aurais pas encore grandi ?

Je fais abstraction de l’étrange créature. J’ignorais que le Prévot est Drakyn à s'embarrasser d’animaux de compagnie. Le Gunnar d’il y a six mois aurait fait une allusion peu respectueuse concernant sa dame, mais c’est du passé, naturellement. Il y a des femmes qui vous changent un homme, à ce qu’on dit. Je passe derrière Léo, la tenant par la hanche, glissant pour m’extraire du groupe.

-Je vais aller nous chercher à boire. Prenez en soin.

On s’échange un regard, conversant silencieusement quelques mots que l’on lit sur nos lèvres. Je m’assure ainsi de sa commande avant de m'éclipser. Je fends la foule sans commettre d’impair avant d’arriver au comptoir ou le personnel est bien occupé. Je détaille les différents types et j'alpague celui qui ressemble au patron.

-Une bière et un verre de vin. Un truc bon, hein ?
-Je ne sais pas si…
-Ecoute, mon gars. Si je me souviens bien, on a trouvé des trucs pas trop légaux dans tes affaires il y a quelques temps. Frauder l'impôt, c’est sérieux. Alors, tu vas me mettre quelque chose de bien et on évitera de parler de ça à nos invités. Ca ferait mauvaise presse à ce généreux événement, tu trouves pas ?
-Je pense que nous sommes d’accord.
-Allez.

Qui ne fait pas de magouilles, en même temps ? On a d’autres responsabilités qui nous préoccupent, évidemment, mais si on peut s’en servir pour avoir le meilleur pour l’amour de sa vie, on ne va pas s’en priver. Je laisse un bon pourboire pour la cause, naturellement, c’est quand même le principe de la soirée. Quand il revient avec ma commande, je lui jette un regard à moitié menaçant sous-entendant que je ne me priverais pas de revenir avec deux escouades d’Officiers Républicains si madame trouve à redire de son vin. Puis, je reviens au groupe.

Le monde s'amoncelle, les sourires étincellent, des gens avec des gestes tendres, des familles, du paraître aussi, dans ce décor blanc qui rappelle la froidure de l'hiver et sur lequel ne se détachent que mieux les attentions chaleureuses de chacun les uns envers les autres.

A ma table, ça piaille, ça vit, ça se partage avec animation quelques amuse-gueules en trinquant joyeusement. Dieter a obtenu son autorisation et a pu rejoindre quelques musiciens pour jouer d'entraînants airs de fête hivernale. Didier approche, et de là je vois le regard qu'il échange avec Astuce, nous excluant l'espace de quelques secondes.

Tant mieux pour eux.

Mes excités décident, au son de la cloche annonçant l'atteinte d'un palier de dons, de donner une petite représentation de jonglage pour quêter de quoi atteindre le palier suivant. Grande spécialité de Zaou et Astuce, mais comme elle semble occupée ailleurs, mon hybride de raton-laveur embauche sa coéquipière de dispute, la gobeline Sabrache.

Et les voilà partis, somme toute, pour un numéro qui fonctionne bien, même si ça ne fait qu'ajouter au bordel ambiant. Ils commencent à jongler avec des balles de couleur dans la rue, pendant qu'Arden rameute les gens à l'auberge et faisant l'article pour l'événement. Lorsqu'il ne chuchote pas, le guerrier carré possède une belle voix de grave.

Les gens entrent, la promesse du spectacle se poursuit à l'intérieur quand les deux arsouilles entrent sans cesser leur échange de balles. Le public se marre, ça devient davantage un numéro de clowns que de jongleurs. Zaou râle copieusement sur Sabrache qui rate régulièrement des balles, et elle lui répond avec une belle vivacité.

« Encore ! Mais t'as ôté tes moufles au moins ? »

« J'vais t'les mettre dans l'pif mes moufles ! »

« Au moins tu rattraperas une balle ! »

« Pfffff.... PRENDS ÇA ! »

Ouf ! La balle est lancée beaucoup trop fort en direction de la tête du raton, qui esquive par réflexe...

...Et ladite balle renverse un saladier de noix sur la table des drakyns et compagnie colorée...

Un machin rouge, ressemblant à un gros lézard, grimpe sur le plateau et se désole de la perte des précieux oléagineux.

Putain, faut toujours passer derrière eux, c'pas possible...

Ils ont continué à s'engueuler et se balancent désormais ce qu'ils trouvent à leur portée pour le renvoyer à l'autre, transformant leur show de jonglerie en bagarre de taverne simulée, tiens, prends cette chope vide, reçu, je te la renvoie avec sa copine, allez, j'y ajoute un chapeau chipé sur la tête d'un client...

Les gens rient et applaudissent, comme si c'était entièrement voulu par les artistes, de la maladresse de la gobeline aux chipages de chopes, en passant par la dispute de couple. J'avoue, ça met l'ambiance, mais je connais mes cocos, ils sont juste en roue libre. Bon, on va laisser Arden gérer.

Je saisis le plateau d'amuse-gueules qu'on vient de nous servir et je traverse agilement l'espace sous les volées de couvre-chefs et de noms d'oiseaux, déclenchant quelques « ooooh » de badauds émerveillés de me voir éviter une magnifique chope en bois qui aurait pu s'appeler « A demain Hir ».

J'arrive à la table malmenée, où un serveur désolé ramasse le résultat misérable de la frasque des miens, et je m'excuse auprès de lui. Puis, dans une grande révérence avec froufrous de manche digne du chef de troupe crasseuse que je suis, je m'incline et je répare le méfait par le don de notre plateau, le glissant avec précaution vers la créature rouge qui tape du pied et baragouine un truc auquel je pite que dalle.

« Mes excuses, messieurs-dames, pour la cruelle perte que vous avez subie par la faute de mes bras-cassés d'artistes. J'ose espérer que cette offrande remplacera adéquatement l'offense. Je vous assure qu'ils sont habituellement plus doués que ça, et plus polis également... »

« ANDOUILLE AU FROMAGE ! »

« BATRACIEN PUSTULEUX ! »

« ...enfin, en général. »

Je grimace exagérément, histoire de m'attirer leur sympathie, et j'aide le serveur à terminer de nettoyer. Purin, deux drakyns, la bestiole rouge, des gens qui m'ont l'air... fichtrement intéressants, je serais curieux d'en savoir davantage sur cette belle grappe ?

La chaleur qui émanait des flammes de cheminée commençait à faire effet, la demi-fae sentait la douce chaleur traverser son épiderme pour se diffuser lentement dans toutes les parties de son anatomie. Le serveur revint vers elle avec une chope de cidre chaud d'où s'échappait un agréable fumait d’épices et de cannelle. Ce dernier dégagea une petite table pour elle, qu’il plaça non loin de l’âtre au grand plaisir de la jeune femme rousse. L’herboriste de Nareim tenait sa chope de cidre chaux avec ses deux mains, profitant de la chaleur qui s’en échappait pour venir nourrir ses doigts. Elle resta debout ainsi avec sa chope qu’elle semblait garder comme un précieux trésor, immobile devant les flammes dansantes. Ce n’est qu'au moment où l'employé revint pour poser sur sa table une portion de tartiflettes, qu’elle quitta les songes ou son esprit devait vagabonder et bu enfin une première gorgée de sa boisson avant de se mettre à table.

Alors qu’elle dégustait tranquillement son plat avec délectation, elle remarqua à peine le duo de saltimbanque qui s’échangeait des noms d’oiseaux et tout ce qui leur tombait sous la main dans un numéro de jonglerie et d'engueulade combiné. Malheureusement pour elle, son assiette se transforma en dommage collatéral, quand l’un des projectiles improvisé la percuta en la faisant basculer sur le sol. Xera parvint que de justesse à sauver sa chope de cidre chaud de la chute.

Étrangement, les deux zigotos se calmèrent d’un coup, comme si une rousse demi-fae venait de forcer le curseur de leurs émotions à pointer sur zéro. Zaou et Sabrache ne semblent pas comprendre ce qu’il vient de se passer, l’instant d’avant ils se chamaillent avec enthousiasme, mais maintenant tout cela avait perdu tout intérêts, comme ça d’un coup, comme par Magie.

- loin de moi, l’envie de mettre fin à votre spectacle, mais voyez vous, je n’avais pas terminé ma part de tartiflette et maintenant elle nourrit le bois du plancher, ce serait la moindre des choses que de nettoyer votre bazar...

Entourés de plusieurs détachements d’Officiers Républicains de la première circonscription de Courage, un groupe de personnalités de la ville marche dans les rues enneigées des Bougeoirs à pas lents, profitant à la fois de la douceur du climat couragéen et des rues désertées par la populace, occupée aux préparations des périodes de fête et fuyant le froid hivernal.

”Et ici c’est le nouveau Commissariat.” Un homme à la carrure droite malgré le poids des années désigne un établissement de l’Office d’un doigt baladeur, sa prestance indique clairement un passé militaire et pour cause, Vorès de Cypres fut jadis le Haut Paladin de Shoumeï, aujourd’hui il n’est plus qu’un des piliers de la communauté des réfugiés shoumeïens de Courage. ”Le bâtiment était déjà un Commissariat auparavant, déserté. L’Office a décidé de le remettre d’aplomb après la manifestation, je crois que le Divisionnaire en charge du projet s’appelle Bremer.”

Les deux autres hommes qui évoluent auprès de l’ancien héro de guerre regardent avec un intérêt relatif le bâtiment en pleins travaux mais déjà opérationnel, celui de droite est un homme débonnaire à la physionomie que beaucoup qualifieraient de mauvaise, pourtant le Doyen Hensworth fait des pieds et des mains pour non seulement le Quartier des Bougeoirs, mais aussi pour conserver l’équilibre précaire du Conseil tri-parti établi par la Mairie et sur lequel ne cesse de planner la menace omniprésente de la corruption bureaucratique. Les traits fatigués du gros bonhomme démontrent bien le manque de tranquillité d’esprit qu’il accuse depuis les évènements du cinq septembre, mais d’un autre côté il achète par son travail la paix de son peuple, un sacrifice qu’il ne remettrait jamais en cause qu’importe la date et l’heure.

”Bremer oui, un brave homme. Un homme du peuple lui aussi.” Son ton jovial contraste avec sa voix grasse, et il illustre par quelques gestes des indications géographiques à son principal interlocuteur. ”Là bas, deux rues plus loins vous tournez à gauche et vous trouverez aussi une bibliothèque construite par la Perfectionniste, les travaux ont déjà été achevés grâce à ses formidables ressources et elle est déjà en ravitaillement.”

”Oh, magnifique.”

Yeux dépareillés avec un regard toujours difficile à décrypter, Falconi Genova marche doucement dans les rues des Bougeoirs, se laissant guider par les deux représentants de la communauté shoumeïenne tandis que la poignée de dignitaires shoumeïens du tri-parti composés pour la pluparts d’érudits et d’artisans les suivent de près. Le petit monde est tenu à l’écart des journalistes impatients et des passants trop curieux par les Officiers qui veillent anxieusement à la sécurité du Président de la République en un territoire aussi risqué pour une apparition publique, et ils continuent de déambuler ainsi tout en faisant mine d’ignorer les gardiens de la paix qui pavent leur chemin en écartant les badauds et en surveillant chaque fenêtre. Cela fait maintenant plus d’une heure que le Patriarche des Genova, Grande Famille de la République originaire de Courage depuis des millénaires, se promène en compagnie du Doyen et du Seigneur de Cypres pour témoigner de lui-même des avancements des aménagements du Quartier défavorisé suite aux violentes manifestations qui avaient secoué la cité portuaire il y a quatre mois. Le Quartier des Bougeoirs a déjà bien changé depuis sur ses principaux axes de transit et Falconi peut voir l’ensemble de la transformation lente mais certaine de ces rues avec ses propres yeux hétérochromes. Si à l’origine il était surtout venu converser avec la Maire Lucia Aldobrandini en ce qui concernait les résultats de l’enquête sur Arès Wessex et ce qu’ils signifiaient pour la suite de Courage, le Genova avait tenu à faire un geste public en descendant par lui-même dans les Bougeoirs et ainsi envoyer un message.

”Il y a même un peu d’activité malgré le froid.” fait le Président en désignant un établissement dans un coin de rue d’un mouvement du menton. Une grande banderole annonce une opération caritative et les pas de Falconi se mettent à rapprocher machinalement le groupe de l’endroit en question. ”Pour les enfants shoumeïens?”

”Je n’étais pas au courant de cet évènement mais plusieurs mouvements de semblables générosités sont nés dans les derniers mois. Ceci en est un parfait exemple.”

Alors que Falconi laisse d’abord quelques uns des Officiers Républicains entrer dans l’établissement, il attend quelques secondes devant le perron jusqu’à ce qu’on lui annonce qu’il est sécurisé, et le Président passe la porte de la taverne. Si ce n’est la décoration au blanc éclatant et le désordre typique de ce genre d’établissements, rien ne vient de prime abord attirer le regard bigarré du sexagénaire. Plusieurs tables aux clients hétéroclites tant par leurs races -peu surprenant venant de la population des Bougeoirs- que par leurs milieux sociaux -très surprenant venant de la population des Bougeoirs- animent la salle d’une gaieté sincère que Falconi ne retrouve jamais lors de soirées mondaines. Peut-être un tantinet vulgaire à son goût, mais même si le Genova a toujours baigné dans l’esthétique brodée de la haute sphère républicaine, ses fréquentations avec le monde des mercenaires et des ombres à travers la Vieille Guilde et sa responsabilité de Patriarche l’ont rendu un peu plus perméable aux classes sociales plus basses. L’agitation dans la grande pièce diminue un peu d’intensité alors que les clients de la taverne jettent une oeillade mitigée aux Officiers Républicains qui viennent d’entrer, ainsi qu’aux visages des trois nouveaux venus. Falconi commence alors par se délester de son manteau, révélant son gilet en cuir, la veste rouge qui apporte sa couleur en dessous et le pourpoint blanc qui orne sa poitrine, et il commence enfin à parcourir la pièce du regard, trouvant avec surprise une poignée de visages connus.

”C’est justement le Divisionnaire. Là bas.”

”Oh? Lequel?”

Et quand l’ancien Haut-Paladin mime un signe du bout des doigts pour indiquer une moustache, Falconi esquisse un sourire singulier en remarquant la personne accrochée à cette fameuse moustache.

”Le Sekaï est décidément bien petit.”

Le Président fait quelques pas jusqu’à la table où s’étalent un florilège de gabarits tous plus différents les uns que les autres, il y a là Drakyns bleu et rouge, un étrange varan de komodo peut-être un peu autiste, plusieurs jeunes hommes et femmes et un adolescent de sang mêlé dont l’uniforme de MAGIC est presque aussi surprenant à trouver ici que la présence de la Lieutenant. Il vint jusqu’à elle, debout à ses côtés tout en posant ses mains sur des dossiers de chaise pour ne pas ignorer les convives de la jeune femme.

”Mademoiselle de Hengebach, permettez-moi de vous appeler ainsi, vous n’êtes pas en service. Il m’est euh… il m’est une agréable surprise, de vous trouver ici! Veuillez m’excuser si je vous dérange en compagnie de vos proches ou famille… eum… proche, enfin, amis et famille, mais je ne pouvais me résoudre à laisser tranquille un des visages les plus importants de notre Grande Armée haha.” Falconi salua le reste de la tablée d’un signe de tête et poursuivit avec un sourire affable, désignant d’un geste de la main la noble shoumeïenne dont il désire faire l’éloge, ”Les Ruines du nord n’ont qu’à bien se tenir, n’est-ce pas? Plus que quelques semaines et vous serez leur vaillante conquérante! À ce rythme votre état de service finira par faire rougir celui de votre Général haha.” Et sans prendre le temps de remarquer de quelconques réactions à ses propos, il se tourne ensuite vers le charmant jeune homme à son bras. ”Et vous devez être le Divisionnaire Bremer oui? Toutes mes félicitations pour le Commissariat que vous remettez sur pieds dans le quartier, j’ai eu la chance de pouvoir témoigner de ses avancements tout à l’heure et… ahem… euh… et bieeeen, comme le reste des Bougeoirs, ça avance! Bien! Ça avance bien.”

Si l’oratoire n’avait jamais été son fort, Falconi était d’autant plus balbutiant lorsqu’il se retrouvait dans des situations inhabituelles qui lui devenaient naturellement inconfortables. Il commença à chercher de quoi embrayer plus loin sur la conversation tandis que de l’autre côté de la salle à une table toute aussi bariolée que la leur, une sorte de troupe de saltimbanques se donnaient en spectacle. Le Conservateur reporta son attention sur eux, mais ne sachant que dire à leur propos pour combler le vide du silence il opta finalement pour une solution plus simple:

”Et qui sont ces charmantes personnes en qui vous… êtes… en qui nous so-... en compagnie de qui nous sommes?”

Le ridicule ne tue pas, et lui plus particulièrement avait même finit par en prendre l’habitude lors de ses nombreux déboires et instants de malaise à MAGIC, mais pourtant le Genova commence lentement à regretter d’avoir mit les pieds dans cette taverne.

OPERATION CARITATIVE […]

Feat. Le gratin

Qu’est-ce que je fous là ?

J’veux dire, je sais ce que je fous là. Je me terre comme une taupe dans son trou pour échapper aux collègues des Effraies. Le Coordinateur a encore trouvé une mission qui sent les embrouilles, et il parait qu’il s’est mit à offrir un bonus de capture pour l’équipe qui va me ramener au QG. Bravo la camaraderie !

Mais bon sang, qu’est-ce que je fous là ?

Que des têtes connues, dans cette taverne ! Du genre qui remplissent les classeurs des Renseignements ! Des hauts gradés, des dingos du Razkaal, des affiliés distingués et des foutus héros de la nation bleue ! Même le président s’est pointé, c’est pour dire le traquenard !

Est-ce que j’ai envie de traîner avec cette clique ! Ça va pas ou quoi ? C’est des aimants à problèmes ! Toujours à se jeter en travers du danger, avec leurs sorts et leurs épées en feu ! Je suis qu’une simple bidasse anonyme, on me paye pas assez pour ces conneries !

Tiens, c’est pas le Divisionnaire Bremer là-bas ? Qui tient le bras d’un des gros bonnets de la 8eme légion ? J’ai des infos pour le gus a la moustache, du genre que je peux utiliser pour avoir une faveur au sein de l’Office. Reste à savoir comment je vais l’approcher dans ce nid de vipère, mais j’ai ma place ici non ? Nous aussi on sauve le monde, chez les Effraies, ça fait de moi un héros non ?

C’est mort, j’y vais pas, et vu ma tenue, les gros bras qui entourent le président vont me prendre pour un pouilleux des Bougeoirs. A la place, je vais m’adosser à un mur, dans le champ de vision du gradé moustachu, et je lui fait des signes de tête quand son regard se porte dans ma direction.

Normalement, avec sept ans d’études, il devrait capter !

CENDRES