L'éveil du privilégié

— Orifa Sigrior !

— Oui, ancien, je…

— Tu as une nouvelle mission. Une potentielle recrue prometteuse est remontée jusqu’à nous. À toi de vérifier ce qu’il vaut, tu as carte blanche.

— Très bien, ancien, mais normalement, je ne reçois pas une demande officielle ?

— Voilà les informations que l’on a sur lui.

Le petit document en question ne listait finalement que son âge, son nom, son prénom et l’emplacement de sa garnison.

— Attendez, il est en plein service militaire ?

— Je vous fais confiance.

L’ancien quitta la pièce pour retourner à ses affaires, laissant Orifa en pleine rage intérieure. Depuis quand le SCAR s'abaissait-il à aller recruter le premier venu qui n’avait même pas d’expérience militaire ?! Froissant le document qu’on venait de lui donner, elle se prépara à partir directement au lieu de sa mission. Même si cela lui avait pris plusieurs heures pour arriver au casernement des bleus, sa rage était toujours bien présente. Une mission est une mission, l’ancien devait avoir ses raisons. Heureusement pour lui, il n’avait pas indiqué que ce recrutement était finalement un bon gros pistonnage… Le sang aurait fait le tour de son corps jusqu’à sa tête et la présidente aurait été au courant de ces magouilles.

Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait de corvée de recrutement et même si, extérieurement, elle montrait un certain agacement à ce genre de tâche, finalement elle acceptait à chaque fois. Habituellement, elle venait plusieurs jours en avance pour pouvoir préparer le terrain du test et surtout les différentes épreuves. Pourtant, cette fois, cela allait se passer autrement. Elle était seule, pas d’autres agents pour l’accompagner. Pour mater un bleu, elle faisait confiance à ses capacités et s’il n’était pas capable de survivre, alors c’était qu’il ne devait pas rejoindre le SCAR.

Au centre de commandement de la caserne, Orifa portait son masque blanc, montrant une lettre de mission plus officielle avec la marque de la présidente en plus de son orbe de vote. Elle n’avait pas d’autres moyens de prouver qui elle était, mais en général, cela devait suffire.

— Even Fallensword, je veux tout savoir sur lui et je risque de m’imposer dans votre hiérarchie pour les besoins de la république. Vous n’y voyez aucun inconvénient ?

— Très bien, madame, je vais vous donner un laissez-passer dans la caserne pour la durée de votre mission. Pour Even… Je ne serais pas contre que vous le preniez avec vous. Il est certes très perspicace, réactif et certainement l’un des meilleurs de sa section. Pourtant, son comportement rebelle… Je m’en passerais bien. Je vous souhaite bien du courage.

— Je vous remercie. Où puis-je le trouver ?

— Dans le mess, j’imagine, ou alors dans la taverne du corbeau non loin.

— Le service militaire a bien changé…

— À qui le dites-vous.

Donc, il était du genre à avoir du mal à supporter la hiérarchie, mais en même temps assez efficace pour qu’on ne lui reproche pas trop ? Intéressant… En arrivant devant le mess qui était déjà fermé, il fallait croire que les derniers couche-tard étaient à la taverne. Soupirant légèrement, elle retira son masque pour pouvoir se diriger vers le lieu dit. Finalement, ce n’était pas bien difficile à trouver, il suffisait de tendre un peu l’oreille ; des cris s’entendaient de la sortie de la caserne.

À l’intérieur, on pouvait voir les jeunes recrues en train de s’amuser et de boire, la décadence à son paroxysme… Enfin, est-ce qu’elle était vraiment en droit de leur reprocher ? Restant dans un coin dans un premier temps tout en cherchant du regard sa cible, elle voyait un humain qui semblait être le chef du groupe. Ce dernier semblait avoir un ego surdimensionné, criant à tue-tête différents exploits tout en riant et en amusant la galerie.

— Dites-moi que ce n’est pas lui…

— Hey, Even !

— Fait chier…

Un membre du SCAR doit être une ombre dans la nuit, la discrétion doit être son qualificatif, et voilà que cette recrue était complètement à l’inverse… “Verndrick… Si seulement plus de recrues pouvaient être comme toi…” Quittant sa zone d’observation tout en retirant sa capuche, elle serrait les dents de devoir s’occuper de loin, attrapant une chope encore pleine pour pouvoir la jeter dans son dos, histoire de le mouiller plus que de lui faire mal.

— Hey, on ne vous a jamais dit qu’il y avait des heures pour dormir ?! Vous êtes ici pour vous entraîner et pas pour vous amuser ! Toi là, le puceau blondinet, arrête de te vanter à tout bout de champ, surtout quand tu n’as même pas encore connu un champ de bataille !

Au moins, maintenant, c’était calme, il fallait bien l’avouer. Tout le monde avait porté son regard sur elle, de toute manière, c’était son objectif.

— Toi là, reste pas planté là, le gringalet ! Je vais te remettre les idées en place dehors, et compte même pas te défiler.

Attaquer directement son amour-propre ? C’était lâche, mais c’était une autre manière d'appréhender le début de ce recrutement. Normalement, Orifa est plutôt du genre à faire ça en finesse, mais rien n’allait cette fois. Peut-être que finalement, cela allait être bénéfique pour elle ? La différence de gabarit entre les deux était importante, mais quand il s’agissait d’ego, cela n’avait aucune valeur.