La Maison Bleue brillait de mille feux en cet fin d’après-midi dédié à l’avenir de la République, caressée par le soleil oranger d'un zénith hivernal. Sous ses plafonds ornés de fresques historiques, une foule d’élus, de professionnels influents et de citoyens triés sur le volet déambulait parmi les buffets et les discussions animées. Les murmures s’étaient amplifiés depuis l’annonce d’un discours imminent du Vice-Président, Soren Goldheart.

Un silence respectueux s’installa lorsque celui-ci monta sur l’estrade. Drapé dans un manteau de velours sombre brodé d’or, il émanait un charisme calculé, mêlant assurance et gravité. Ses yeux dorés, vifs et acérés, balayaient l’assemblée tandis qu’il posait ses mains baguées de dorures travaillées sur le pupitre. Une brève inspiration précéda ses paroles.

"Mes chers concitoyens et concitoyennes."

Sa voix posée emplissait la salle sans effort, chaque mot soigneusement choisi pour résonner dans les cœurs comme dans les esprits. Tout du moins, il l'espérait

"Nous vivons une époque de grands bouleversements. Des menaces multiples pèsent sur nous : de la corruption de l’Arbre-Monde, des épidémies aux Titans, les dangers sont multiples et omniprésents. Pourtant, dans ce chaos, une chose demeure constante : notre devoir de préserver ce qui fait la force de notre République. Non seulement nos institutions, mais nos citoyens. Car qu’est une nation sans son peuple, sinon une coquille vide ?"

Il fit une pause, capturant l’attention de tous comme s’il s’adressait à chacun individuellement.

"En ce début de soirée, je viens vous parler d’un projet qui me tient à cœur et sur lequel le gouvernement travaille sans relâche. Un système de santé républicain qui transcende les classes sociales, unissant toutes et tous sous une bannière commune : celle de la vie et de l’espoir. Imaginez un réseau de professionnels de santé, médecins, alchimistes et chercheurs, œuvrant de concert pour garantir un accès universel aux soins. Imaginez des laboratoires de recherche, pionniers en innovation médicale, où la magie et la science s’allient pour prévenir et guérir les fléaux de demain. C'est aussi là une manière de conventionner les pratiques... et éviter les dérives."

Un murmure d’approbation parcourut l’assemblée. Soren poursuivit, galvanisé.

"Nous avons la chance de posséder des ressources uniques : l’intelligence et la créativité de notre peuple. Pourquoi ne pas les mettre au service d’une cause commune ? En renforçant la santé de nos citoyens, nous renforçons la sécurité de notre nation. Une population en bonne santé est une population capable de résister, d’innover et de prospérer. Ce projet n’est pas qu’un rêve : c’est une nécessité. Une République forte ne se mesure pas seulement à ses épées, mais à sa capacité à protéger ceux qui la composent, à offrir à chacun la possibilité de vivre pleinement, en défiant la peur et la maladie. Ensemble, nous pouvons faire de ce projet une réalité et permettre à tous de se soigner, de se faire sauver, des plus aisés aux plus démunis."

Il termina sur un ton plein d’espoir :

"J’invite chaque esprit visionnaire, chaque main prête à construire, à se joindre à moi dans cette entreprise. Ensemble, faisons de la République un parangon de soin et d’humanité. C'est une des promesses que je vous fais moi, votre Vice-Président."

Un tonnerre d’applaudissements emplit la salle alors que Soren, l'ego gonflé à bloc, s’inclina légèrement avant de descendre de l’estrade. Le sourire discret sur ses lèvres trahissait un soulagement mesuré. Il avait fait sa part et il asseyait doucement son pouvoir et ses aspirations réformatrices et progressistes.

Se frayant un chemin parmi les convives, il se dirigea vers une alcôve où un groupe de collègues l’attendait, un verre de vin en main. Alors qu’il savourait une première gorgée, son regard fut attiré par un homme qui s’approchait, visiblement porté par une détermination qu’il reconnaissait aisément : celle des ambitieux.

L’échange promettait d’être intéressant.

Soren abaissa son verre, observant l'individu avec l’attention calculée d’un homme habitué à naviguer parmi les ambitions dissimulées. Son sourire poli ne trahissait rien de ses pensées. Il serra la main tendue, mais avec une retenue qui reflétait davantage une évaluation qu’un accueil chaleureux, bien que son sourire parut des plus sincères en dessinant des fossettes au creux de chaque joue du trentenaire.

"Monsieur van Strijdonck", commença-t-il d’un ton égal en se demandant comment on pouvait avoir un nom aussi exotique et difficile à prononcer, "je vous remercie pour vos félicitations. Je suis ravi de constater que mon discours suscite l’intérêt de citoyens aussi engagés que vous."

Il inclina légèrement la tête, comme pour mieux détailler son interlocuteur. Son regard, perçant et curieux, semblait sonder au-delà des apparences : des poils coupés au centimètre près, bonne mine, style entretenu, vêtements sur-mesure d'un tailleur coûteux, ton éloquent et maîtrisé. Un charlatant ou un homme d'affaire effectivement fortuné.

"Votre proposition est intrigante, mais assez banale pour moi, je dois dire", reprit Soren en posant son verre sur un plateau passant entre eux, sans masquer la pointe d'arrogance. "Vous parlez d’artisans et d’alchimistes de talent à travers nos provinces… Voilà des ressources précieuses, en effet, que je m'efforce déjà de recruter. La santé de notre République ne repose pas seulement sur les compétences médicales, mais aussi sur l’ingéniosité et le savoir-faire de ceux qui travaillent dans l’ombre pour fournir les outils et les solutions nécessaires.

Il croisa les bras dans un geste détendu mais attentif, un sourcil se levant.

"Vous comprendrez donc que, dans mon rôle, je suis constamment approché par des personnes souhaitant contribuer d'une manière ou d'une autre à l’édifice républicain. Il est de mon devoir de m’assurer que chaque pierre ajoutée s’intègre harmonieusement à l’ensemble et ne menace pas sa stabilité. Créer un certain "ordre", une confrérie réunissant les soigneurs sous une bannière commune n'est pas projet aisé et ne souffrira pas d'indésirables autour."

Un sourire plus marqué étira ses lèvres, mais ses yeux restèrent vigilants.

"Dites-moi, Monsieur van Strijdonck, en quoi votre réseau et vos collaborations pourraient surpasser ceux que j’ai déjà à ma disposition ? Et surtout, je ne peux m’empêcher de m’interroger : qu’est-ce qui pousse un marchand, par définition éloigné du domaine médical, à s’investir dans un projet aussi ambitieux que celui-ci ?"

Son ton était courtois, presque chaleureux, mais une pointe de curiosité incisive transparaissait dans sa dernière question.

"Est-ce par pure conviction ? Ou bien voyez-vous dans cette entreprise une opportunité particulière ?"

Soren se pencha légèrement en avant, prêt à écouter la réponse de Didier, tout en jaugeant chaque mot et chaque nuance. Ils venaient tous pour un peu d'argent ou un peu de pouvoir, ce gars-là n'allait pas sortir du rang. Mais qui sait ? Certains ne payent pas de mine mais ne déçoivent pas.

Le Vice-Président toisa par en-dessous le marchand au nom semblable à une formule magique, écoutant chacun de ses mots avec un brin d'ennui, l'attitude quelque peu arrogante. Nonchalance incarnée, même en position de pouvoir.

Bon. Le Didier avait certainement quelque chose à apporter. Il était un poil trop bavard et grandiloquent dans son discours, preuve qu'il avait certainement l'habitude de caresser les politiciens dans le sens du poil et d'amadouer un peu tout le monde pour les avoir dans sa poche plus tard, mais Soren sentait quand même l'honnêteté traverser ses propos. Il était peut-être bien intéressé par le projet-même que portait le scientifique ? Si ce n'était pas forcément par entière conviction, au moins par intérêt pour faire marcher son réseau.

"J'ai déjà un réseau de transport tout à fait solide et sécurisé, Monsieur Van Stirkjo... Didier. Cependant, vous avez l'air de m'affirmer avec une ferveur certaine que le vôtre est fluide, bien organisé, suivi de près et étendu dans des nations où je n'ai pas forcément encore beaucoup de prise." Il saisit la carte tendue par son interlocuteur. "Je ne vous garantis aucune collaboration future tant que je n'ai pas eu la preuve de vos dires. Ce que je peux vous garantir donc, c'est un essai de ma part. Des marchandises de très haute valeur Good Omens, devant atteindre Ikusa et l'éminente professeure Radoka présente là-bas, immunologue reikoise réputée."

Il sourit poliment. C'était un challenge. Le désert était très chaud, la route longue, les médicaments devant être conservés au frais. Et Radoka n'était pas aisément approchable ; tout le temps occupée, pas forcément très encline à la collaboration républicaine quand bien même ça pouvait faire avancer les intérêts communs de la médecine, de la science, du Sekai au final.

"J'imagine aussi, Didier, que toutes ces belles paroles et cette carte sont un gage de votre sérieux, mais aussi une demande sous-jacente." Ils ne viennent jamais offrir leur aide gratuitement. Tout a un coût. "Vous attendez quelque chose de moi. Sinon vous auriez approché un détaché de Good Omens directement. C'est fou, il y a même plein de sénateurs et de gens influents présents aujourd'hui...

Un rictus déforma le visage de l'éphèbe, observant la réaction de l'homme avec un brin de malice dans les yeux.

"J'étais à votre place un jour. Je connais la stratégie à adopter pour obtenir un peu de pouvoir ici bas."