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Négocier pour mieux survivre
Feat. Yagmit Gurhat
Kyouji, 23h30, près d'une auberge
S'il y avait bien un endroit dans l'empire du Reike qui faisait le bonheur des marchands, il s'agissait évidemment de la ville de Kyouji, dans laquelle je me trouvais actuellement. Un vrai carnaval d'activité durant la journée, les commerçants et les convois de marchandises s'affairant continuellement dans la cité frontalière. Néanmoins, on pouvait trouver un peu de quiétude rien qu'en admirant l'architecture, la verdure luxuriante et les jardins suspendus que l'on ne pouvait trouver qu'ici ! Même l'auberge dans laquelle notre caravane faisait halte pour la nuit affichait un décor tout aussi plaisant à regarder. Bref, un décor parfait pour courtiser la belle comme dans les histoires. Dommage que les "belles" reikoises que j'avais rencontré soient des brutes épaisses, la plupart plus musclées que moi.
Jusqu'ici, le Trajet s'était déroulé sans trop d'encombres, et tous les actionnaires étaient encore entiers. Tant mieux, car nous allions avoir besoin de toute l'aide nécessaire pour survivre à cette nouvelle mission, qui allait nous emmener dans la Jungle de Sang, à a peu près deux jours de voyage au Nord de Kyouji. Je sentais que ce Trajet n'allait pas être une partie de plaisir, mais à bien y réfléchir, aucun ne l'était jamais.
" Ah, mon bon Capitaine "
Bon sang ...
" L'estimé Qurdu Kan vous cherchait ! Que faites-vous donc, dehors de la sorte par cette fraiche nuit ? En train de vous occuper des chevaux, sûrement ? Oh, mais comment pourrait-il en être autrement ? Évidemment que vous vous occupez des chevaux, mon brave ! Un Capitaine digne de ce nom se doit de maintenir ses montures dans un parfait état physique et mental pour le Trajet ! Ha ! Valeureuses bêtes ! Loyales et fidèles ! "
Pas loyal, et pas particulièrement fidèle, l'un des chevaux tenta de mordre la main du mage, qui s'approchait pour flatter son encolure. Le Maître de Caravane ventripotent recula en poussant un glapissement disgracieux, alors que les mâchoires du cheval claquaient dans le vide. J'éclatais d'un rire mauvais, tout en saisissant le mors du cheval pour le calmer.
" Qurdu Kan, un jour, ces canassons finiront par vous piétiner, vu toutes les conneries que vous racontez ! Et croyez-moi, ce sera pour moi une bénédiction ! "
" Oh, vilaine bêtes ! Engeances démoniaques ! Suppôts des titans ! "
Alors que le mage de la Guilde continuait d'invectiver les chevaux, qui le fusillaient du regard en retour, je remontais sur le siège de la calèche renforcée, afin de récupérer mon arme. Une arbalète, arme simple mais solide, qui m'avait sauvé la vie plus d'une fois grâce à sa puissance insoupçonnée. Dans ce Sekai rempli de magie, de prouesses surhumaines et de monstruosités sans nom, les simples individus sans capacité n'avaient pas le loisir de se reposer sur l'usage du mana. A la place, ils devaient redoubler d'ingéniosité et d'efforts pour survivre. Enfin ! A ce jour, aucun des adversaires qui avaient croisé notre route n'était sorti indemne d'un barrage de carreaux d'arbalète à pointe barbelée. De vraies saloperies à fort pouvoir d'arrêt, qui vous causait de graves hémorragies internes.
Je descendais de la caravane pour rejoindre Qurdu Kan, toujours en train de rouspéter contre les chevaux :
" Ha, vous vous croyez sans peur, maudits équidés ? Attendez que nous arrivions dans la Jungle de Sang ! Qurdu Kan vous servira lui-même en pâture aux monstruosités qui s'y terrent, pendant que nous reviendrons à Courage en héros ! La Mairesse elle-même accueillera le bienheureux Qurdu Kan, et l'élèvera tel un héros républicain ! "
Comme à son habitude, Qurdu Kan racontait tout un tas de bêtises. La nuit ne s'annonçait pas de tout repos.
CENDRES
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Un voile de pénombre. Une lumière fantomatique. Les bruits rares mais si aisés à capter. La nuit. Paisible, relaxante, et pourtant bien plus dangereuse que sous la bénédiction visible du Soleil. Même dans une cité comme Kyouji. Ou plutôt surtout comme pareille cité. Car là ou les biens s’échangent en quantité, il y a des jeux d’argent constants à même d’exciter les passions et d’annoncer de futurs drames. Et si la ville marchande du Reike par excellence, plus proche à bien des égards de la République que de l’Empire auquel elle appartient, ne voyait pas toujours sur son sol les tragédies que de telles affaires lucratives pouvaient produire, elle en était régulièrement l’origine même.
Yagmit se trouvait, voilà trois jours depuis son arrivée, partagé entre dégoût et nostalgie. Dégoût de s’immerger à nouveau dans un endroit à la gloire de la décadence. Car pour lui, le plus souvent, tout ce qui motivait à faire des affaires, à gagner de l’argent et à en engranger toujours plus, corrompait l’âme, dénaturait la nature primitive de l’individu et détruisait sa constitution morale et physique. Autrement dit, s’adonner à des activités si viles faisaient tout sauf de sublimer les individus, et, par voie de conséquence, rendait caduc leur existence car inepte la consistance de leur mort. Une vie vide de sens, alors presque inutile au Soleil, si ce n’est pour Lui servir de réflexion sur les causes de ces échecs du vivant. Malgré tout, le Lycanthrope n’arrivait pas à se débarrasser d’un autre sentiment. Celui, très fort, de la nostalgie. Ô combien ces temps, si proches et pourtant déjà si lointains, comme appartenant à une autre époque, réveillaient en lui une rage et une tristesse profonde. Quatorze années ! Quatorze années à venir à chaque début de printemps tenter de négocier avec les citadins, les autres caravanes Reikoises et…. Les Républicains. De vils profiteurs, des lâches, des comédiens, des sans honneur, que dire de plus à leur sujet, si ce n’est de les étouffer sous un tas de mots péjoratifs ? Ils ne méritent pas mieux. Du moins la plupart d’entre eux. Certains, à son grand étonnement, avaient démontré des personnalités qui partageaient nombre de traits avec ce que Yagmit jugeait comme purement Reikois. Certains, tout comme lui et sa caravane d’antan, ne cherchaient pas forcément à enfler de la meilleure façon l’autre partie ou à se perdre dans la luxure. A son image, ils ne faisaient que mener des affaires afin de subvenir à leurs besoins, à s’entretenir et à s’épanouir sans se perdre en chemin. Mieux encore, de rares Républicains, à l’évidence, auraient pu tenir la dragée haute dans un duel contre un guerrier Reikois typique.
A Kyouji, puis grâce à la guerre civile, Yagmit comprit deux choses d’importance. Deux révélations qui l’aidèrent grandement dans sa décision de quitter sa terre natale et lui donnèrent un nouvel objectif. Du moins y participèrent-elles grandement. Tout d’abord, son Reike ne valait pas mieux qu’une autre nation de premier plan du Sekai. La lutte fratricide l’avait démontré à bien des égards. Tout comme les autres, les territoires du Reike étaient faillibles, instables, chaotiques, et prompts à se désolidariser du pouvoir central. Ensuite, partout dans les nations pouvait se trouver des individus partageant ses convictions, sa philosophie de vie. Ce qu’il aime appeler « l’âme Reikoise ». Cette âme ne se trouve pas cantonnée seulement au sein de l’Empire, anciennement Royaume. Non. Elle s’épanouit et se diffuse partout ou des hommes et des femmes de valeur rendent par leur mode de vie, consciemment ou non, hommage au Soleil. Hommage aux ancêtres fondateurs du Reike. Là se trouvait sa leçon. Et de là s’est élevée sa motivation. Celle d’abandonner ces terres soumises, soumises à un barbare de même qu'un usurpateur responsable du malheur de toute sa famille, la famille Gurhat.
A cette dernière pensée, naviguant jusqu’alors presque en aveugle de toit en toit, le loup-garou laissa s’échapper un grondement sourd dont la sonorité tomba dans l’oreille toute proche d’un couche-tard « quelque peu » alcoolisé, en train d’attendre de rendre son repas par la fenêtre. Prenant peur, il ravala le contenu de son estomac et disparut dans son logement, non sans émettre quelques remontées gastriques de circonstance. Yagmit, de son côté, continua sa progression en reprenant pleinement conscience de son environnement. Arrivé dans un quartier qu’il n’avait pas encore visité depuis son arrivée, il s’immobilisa sur la rive d’un lourd toit plat élégamment ouvragé, tendit l’oreille, puis patienta. Doté d’une ouïe excellente, il ne tarda pas à capturer tout un tas de sons en provenance d’ici et là. Entre autres, par ici un couple qui se chamaillait, par là des ivrognes parlant une langue que seuls des ivrognes peuvent comprendre, à cet endroit un individu s’exclamant être le roi du monde, un autre déblatérant des mensonges à n’en plus finir pour impressionner une fille légère et flatter son ego, ou encore un rire machiavélique de quelqu’un qui, visiblement, avait finalisé une très bonne affaire dans la journée. Et puis…. Là ! Une conversation, des hennissements, des mots forts à l’image d’un « Capitaine », « Jungle-Du-Sang », « Mairesse » et « héros Républicain ». Une dispute, également ? Légère, qui sembla s’étouffer d’elle-même. Un bruit, au-delà de tout-ceci, vint chatouiller ses écoutilles. Le raclement d’un objet sur quelque chose. Un objet dont on s’emparait à dessein. Le tout accompagné d’un léger tintement de métal.
Yagmit se mit en branle, sa curiosité piquée à vif. Potentiellement, une opportunité intéressante venait de se dévoiler à lui. Il ne s’emballa par pour autant. Les mots pouvaient constituer un indice, certes, mais, hors du contexte, leur sens et leur force pouvaient largement supplanter ou dégrader leur signification d’origine. Autrement dit, le loup-garou se devait de venir constater la scène. Sans grande peine, l’échange ayant été assez long pour lui permettre de localiser assez finement le lieu d’émission, il avala la distance le séparant de son sujet d’intérêt en quelques secondes, maltraitant deux ou trois toits au passage de par ses bonds prodigieux. Le bruit résonna sans accroche sous le linceul noir de la Dame maîtresse des rêves et des cauchemars. Peu importe. Yagmit n’était pas un assassin. C’était un chasseur et un combattant. Quand sa proie était localisée, il ne perdait pas de temps en détails. Droit au but. Ne pas laisser le temps à l’autre de comprendre ce qu’il se passait, d’analyser la situation ou de sentir les odeurs. Tout par les réflexes et la passion. En huit secondes, le Lycanthrope put atteindre son point d’intérêt. En huit secondes d’une course au souffle maîtrisé, ponctuée par le bruit des pas puissants et des « légers » dégâts opérés sur certains toits malheureux, il se présenta de tout son être sur le lieu de son attention. Quand il sauta au sol, ramassé sur lui-même, il eut tout le loisir de scruter de ses yeux jaune orangé deux individus en prise avec des chevaux paniqués dont les hennissements perturbaient désormais la perception de son environnement. Braves bêtes. Yagmit s’en délecta. Il était toujours appréciable de faire une entrée dans un désordre certain. Sa forte odeur, le bruit de sa course, tout cela lui rappela ses chasses et le regard terrifié de ses proies sentant la mort approcher à grande vitesse, avant même de l’apercevoir. Certes, cela faisait, parfois, des chasses plus difficiles. Mais tellement plus délectables ! Et quand, au contraire, la proie était un prédateur… Quel plaisir de le trouver prêt au combat. Yagmit se trouve être un combattant, et ce sera toujours en combattant qu’il agira. Frontalement, brutalement. Et c’est ainsi qu’il agissait ici.
Redressé de tout son être, son odeur chatouillant les narines, sa forme massive de loup-garou, ses deux griffures profondes sur le visage, son pelage d’un bleu-noir jouant de teintes claires et sombres à la fois, ses longs bras, ses griffes tranchantes, ses jambes puissantes, et sa queue relâchée, voilà comment il se présenta lorsqu’il lâcha :
« La paix soit avec vous »
Une simple phrase de courtoisie pour attirer l’attention des deux hommes, délivrée d’une voix forte, grave, et, au passage, pour éviter de se prendre un carreau d’arbalète. Car oui, un homme, prévoyant, se trouvait armé. Et d’une arme aussi lente à recharger que redoutable à l'impact.
CENDRES
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Négocier pour mieux survivre
Feat. Yagmit Gurhat
Chaque actionnaire de la Guilde se devait d'être paré à toute éventualité pendant un Trajet. Une règle simple qui marquait la différence entre la vie et la mort, que les vétérans avaient intégrés tant bien que mal, et que les nouveaux gardes de caravanes apprenaient à leur dépens. Pendant mes nombreux Trajets effectués avec la Guilde, j'avais déjà eu la malchance de croiser la route de meutes de loups sauvages, et, bien que beaucoup plus rarement, de Loups-Garous affamés. Des créatures toutes droits venus de vos pires cauchemars pour vous arracher votre âme, de même que votre gorge, le tout dans d'atroces souffrances. En revanche, un Loup-Garou se présentant de manière courtoise après avoir fait une entrée fracassante, c'était une première pour moi !
Bien que la surprise pût clairement se lire sur mon visage, mon arbalète était levée, visant le lycanthrope, prête à projeter un carreau meurtrier vers l'immense nouvel arrivant. À vrai dire, Si nous avions été hors des murs d’une ville, et si le Loup-Garou ne leur avait pas parlé, le projectile serait déjà parti. Une main vint se poser sur mon arme, ce qui me fit tourner la tête. Qurdu Kan, qui m'adressait un léger hochement de tête vertical, pour me signifier de ne pas tirer. Le mage prit alors la parole, afin de désamorcer la situation :
" Allons, mon brave ! De quel droit pointez-vous ainsi votre engin de mort vers ce gentilhomme ? N'avez-vous pas entendu ses mots de bienvenue chaleureux ? Auriez-vous été si surpris par son arrivée que vous en auriez oublié les règles les plus basiques de la bienséance ? Allez donc calmer les chevaux, pendant que je m'entretiens avec notre invité nocturne ! "
J'abaissais mon arbalète, et m'approchais des chevaux tout en gardant un oeil sur le nouvel arrivant, ainsi que sur le Maître de Caravane ventripotent, qui se dirigeait vers l’immense Loup-Garou, les mains écartées, s'apprêtant à lui délivrer l'une de ses fameuses tirades interminables :
" Mon bon monsieur ! Qurdu Kan vous adresse ses salutations, et vous remercie pour votre accueil ainsi que votre arrivée grandiose ! Ha, ce panache ! Quel régal pour les yeux ! Que nous vaut l'honneur de votre visite ? Ho, mais quel empoté je fais ! Souhaitez-vous une collation ? Un rafraichissement ? Nous disposons d'un vin tout bonnement exceptionnel, un vrai nectar que l'on trouve uniquement en République ! Il est même dit que la Présidente elle-même en raffolerait ! Et croyez-moi, mon ami, notre estimée dirigeante est réputée pour s'y connaitre ! "
Qurdu Kan. Un homme aux manières étranges et au physique disgracieux, avec une prédisposition à endormir son auditoire à l'aide de discours ronflants et remplis d'inepties. Des apparences très peu flatteuses, qui cachaient en réalité un véritable homme d'affaires, doublé d'un mage élémentaliste plus que compétent. En me retournant vers les chevaux, les légères volutes d'air émanant de sa main ne m'avaient pas échappées. Qurdu Kan, tout aussi surpris que moi par l'arrivée du Loup-Garou, avait réagi au quart de tour et préparé une vague meurtrière de magie du Vent.
Les actionnaires de la Guilde n'étaient pas des tendres, mais le petit homme grassouillet qui se tenait en face du nouveau venu était de loin l'un de ses éléments les plus dangereux.
CENDRES
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La maîtrise de soi dont firent preuve les deux individus à son dévoilement le surprit quelque peu. D’ordinaire, une certaine panique doublée de maladresses comportementales comiques accompagnaient presque toujours une apparition aussi peu rassurante, d’autant plus sous le couvert d’une heure propice aux ambiances mystiques. A l’évidence, et cela permit à Yagmit d’opérer un premier jugement sur les deux sujets de son intérêt, ces derniers disposaient d’un bagage conséquent en matière d’expérience de vie. Voilà bien un point qui amena le loup-garou à s’engager dans une suite d’approche tout autre que celle à laquelle il s’était attendu. Un comportement à la fois quelque peu déroutant, mais plutôt bienvenu. En effet, depuis la rupture de son exil dans la Jungle Du Sang, nombre de personnes avaient eu tôt fait de changer d’orientation à sa vue. Pas tous, certes… Mais beaucoup trop à son goût. Où diable se trouvait donc le sang-froid des Reikois ? Décidément, cette terre lui hérissait le poil un peu plus chaque jour. Sans doute aucun, il était grand temps qu’il la quitte !
Fallait-il donc venir ici, à Kyouji, dans les immondices de la décadence pour trouver un tant soit peu de courage ?! Courage, comble de l’ironie, proposé par des Républicains, qui plus est ? Car oui, il avait parlé leur langue, l’ayant aisément reconnue et comprise lors de sa première perception sur les toits. Une langue dont l’usage et les accents ne lui échappaient pas, même si, il faut le reconnaître, il ne la domestiquait pas aussi bien qu’un natif de la République. Le rendu se trouvait parfois haché, un peu moins fluide que ce qu’il aurait voulu. Mais trêves de distractions ; revenons à nos moutons sur l’origine présente du courage. Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie, n’a-t-il donc tant vécu que pour cette infamie ?! Quelle tristesse que semblable constat. Si le Lycanthrope n’avait pas tant d’amour propre, il en aurait pleuré, ici et maintenant. Mais là n’était guère le sujet, et l’égarement ne se devait point de prendre ses quartiers en son sein, car un manque d’attention sur le fil d’une prise de contact comparable à celle-ci pouvait souvent signifier la fin précoce du chant de la vie d’un ou plusieurs protagonistes.
D’ailleurs, en parlant de danger, quand bien même l’individu enrichit d’une arbalète se délesta de son attitude menaçante, un autre, aux capacités d’élimination bien moins visibles, venait d’entrer en scène. Les muscles de Yagmit lâchèrent un léger tressaillement, renouvelant une dose d’adrénaline dont il avait étouffée en partie la libération à la suite du début de la première intervention du second intervenant. Si le premier avait gardé ses lèvres closes pour ne présenter qu’une posture sans équivoque, l’autre, beaucoup plus détendu en apparence, s’affichait démuni de moyens de combat dans des mains à des années-lumière d’un combattant. Par le nez en surin des gobelins, qu’est-ce donc cette diablerie ? Comment peut-on accepter de se satisfaire de pareil organisme ? Yagmit réprima, avec grande difficulté, un spasme de dégoût qui manqua de faire tressaillir sa lèvre supérieure.
Aussitôt cette crispation réfrénée, il comprit l’origine de son soubresaut musculaire à l’approche de cet être grotesque. Par le Soleil tout-puissant, un mage ! UN MAGE. Ooooh, qu’il pouvait mépriser les mages. Alors certes, ils avaient leur utilité, c’est indéniable. Et leurs capacités provenaient assurément de l’astre divin, à n’en pas douter, dans le seul but d’expérimenter de nouvelles conceptions du vivant. A partir de ce point de vue-là, le loup-garou pouvait comprendre la nécessité de leur existence… Mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il se devait de les apprécier ! D’ailleurs, à ses yeux, chaque mage, en vérité, n’était qu’une vie sacrifiée par le Soleil pour mieux capter les effets même du mana sur la création de cette époque. Oui, un sacrifice sur l’autel du progrès, rien de plus. Des vies gâchées à dessein, facilitées par la magie, et éloignées de l’ingéniosité dont seules les constitutions comme lui, Yagmit, en était capable. Mais voilà déjà que le sujet de sa répugnance à plus d’un titre ouvrait derechef la bouche. Des mots qui amusèrent le Lycanthrope par le contrepied flagrant que prenait la teneur de la tirade par rapport à l’ambiance tendue du moment. Car oui, cet homme se tenait prêt à canaliser un sort. Yagmit le sentait dans sa chair même. Quel sort, ça, il n’en savait foutre rien, mais ce n’était clairement pas pour faire apparaître un bouquet de fleurs. Pour que Yagmit ressente ainsi le mana, c’est que le sort en question devait peser lourd. Sans parler de son compère resté en arrière dont il ne doutait pas de la réactivité à aligner de nouveau son engin meurtrier droit sur lui.
Décidant de jouer le jeu et reculant de deux pas, sans mouvement brusque, afin de signifier son refus de se rapprocher davantage, peu désireux de voir la distance fondre comme neige au soleil entre lui et une menace potentielle au degré de danger nébuleux, il fit jouer de nouveau ses cordes vocales :
« Du vin, vous dites ? Quelle précieuse attention que voilà. Je ne peux que saluer votre savoir-vivre, moi qui peine à retrouver la civilisation, jusqu’alors sauvage parmi les sauvages. »
Après trois ans en exil, à côtoyer essentiellement des bêtes, son élocution ne manqua pas de le surprendre. S’il n’avait pas eu toute sa tête, il aurait pu penser que sa grand-mère se trouvait à ses côtés du temps où ils engageaient chacun l’introduction d’une affaire pour la caravane. Le dicton « chassez le naturel, il revient au galop » prit ici tout son sens. Se raclant sans manière aucune la gorge afin d’éclaircir un gosier encore peu habitué à laisser de nouveau s’échapper des mots intelligibles, Yagmit se décida à poursuivre :
« Pour le moment, sans offense aucune pour votre personne respectable, je me contenterai de goûter à mon propre vin. Le meilleur cru de la région, n’en doutez pas une seconde. »
Accompagnant le geste à la parole, le loup-garou s’entailla sans geste abrupt la paume de la main gauche, puis la serra, avant de laisser perler quelques gouttes de sang dans sa bouche, sans toutefois laisser son regard se détacher des dangers possibles se tenant devant lui, les oreilles également à l’affût afin de détecter tout nouvel élément à même de menacer sa position actuelle. Par cette action, le loup-garou signifia deux choses à son interlocuteur. Premièrement, qu’il savait, lui-aussi, être théâtral, sans pour autant se moquer ou prendre ombrage d’un tel comportement, tout en laissant s’échapper l’avertissement qu’il ne se laisserait pas si facilement conter fleurette. Si, par de belles paroles, son interlocuteur souhaitait l’endormir, ou prendre l’ascendant de la discussion, qu’il sache que le Lycanthrope n’était pas dupe. Deuxièmement, dans un geste innocent, il s’essuya la bouche du dos de la main gauche, dévoilant à son auditoire la paume précédemment meurtrie, et désormais déjà guérie. Voilà qui devrait, en toute subtilité, avertir ce mage ventripotent qu’il n’était pas créature à poser le genou facilement, profitant dès lors, en cas de mauvaise tournure des événements, de moyens propres à résister bien au-delà de simples mortels. Ceci fait, il coupa court à ce petit jeu, et entra dans le vif du sujet :
« Voyez-vous, je ne suis guère un individu prônant l’oisiveté, et, en dehors de mon sommeil et de mes séances de méditation, je me délecte avec passion des activités nocturnes. Votre voix a su capter mon attention, alors que j’étais en chasse, et c’est ainsi que je me présente à vous, attiré telle une luciole par la lumière, à l’écoute de mots prompts à châtouiller mes esgourdes. République entends-je ? Jungle Du Sang ois-je ? N’en jetez donc pas davantage, car c’est ma curiosité que vous avez piquée. A partir de ce fait, auriez-vous donc l’amabilité bienvenue de m’exposer la raison, en cette cité, de votre venue bienheureuse ? »
CENDRES
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Feat. Yagmit Gurhat
Hé bien, voilà que Qurdu Kan semblait avoir trouvé un adversaire à sa hauteur : un lycanthrope ayant lui aussi un attrait pour le théâtral. Mais où allait donc le Sekai ? Tout en faisant mine de m’occuper des chevaux, je gardais un œil sur la scène, les oreilles grandes ouvertes, guettant la réaction du mage de la Guilde alors que le Loup-Garou nous demandait la raison de notre visite.
« Cher ami, si sauvage vous étiez, point cela ne se voit ! Qurdu Kan peut affirmer, et même clamer haut et fort, que votre diction et vos manières sont aussi raffinées que dans les plus hautes sphères de la noblesse républicaine ! Sans doute pourriez-vous donner des leçons de savoir-être à mes compatriotes, en particulier ce cher Capitaine ici présent »
Immonde bâtard ! Avec ses gestes et ses moues du visage dignes d’une tragédie ! Alors que je lui lançais un regard assassin, le mage continua sur sa lancée :
« La raison de notre venue en ces magnifiques lieux impériaux ? Ma foi, mon bon monsieur, l’un des plus simples que l’on puisse imaginer : une mission ! Nous nous préparons pour une expédition dans la célèbre Jungle de Sang ! Quel lieu mystérieux ! Quelles légendes exquises ! Ah, le frisson de l’aventure ! Il se trouve que l’un de nos estimés mécènes s’intéressent grandement aux anciens artéfacts dotés de propriétés magiques. Armes, armures et autre bijouterie ! Nous nous rendons donc en ce lieu pour récupérer lesdits artefacts, et ainsi gagner humblement notre vie ! »
La nature de nos activités n’était pas un secret, du moins en République, aussi Qurdu Kan n’avait rien dit qui sorte de l’ordinaire. Seule l’identité du client devait rester secrète, La Guilde de Transport Armé mettant un point d’honneur à préserver l’anonymat de ses employeurs. En particulier si la demande s’avérait sensible, voire illégale.
« Mais voilà que Qurdu Kan monopolise la parole ! Quelle impolitesse de la part d’un Maître de Caravane ! A vous, cher ami ! Bien que nous soyons honorés d’avoir suscité votre intérêt, Qurdu Kan ne peut s’empêcher de se demander pourquoi un tel intérêt existe-t-il ? »
Sentant que la discussion allait s’éterniser, je remontais sur ma place de conducteur afin d’y prendre place, mon arbalète chargée placée nonchalamment à mon côté. Emmitouflé dans mon manteau couvert de boue et de poussière, capuche rabattue sur ma tête, je n’étais qu’une forme sombre dans la nuit, assistant à ce qui semblait être le début d’une négociation. Qurdu Kan se proclamait maitre dans cet art si complexe, et pour sa défense, les affaires de la Guilde avaient toujours été bonnes en partie grâce à sa participation, avec celle des autres Maîtres de Caravanes.
Restait à voir quel était l’enjeu de cette négociation, ainsi que le bénéfice pour chaque partie. Que pouvais donc bien vouloir un énorme lycanthrope au beau milieu de la nuit, à part les vider de leur sang ?
CENDRES
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C’est un fait, ce Qurdu Kan se démarquait de ses contemporains, à n’en pas douter. Dans sa vie, Yagmit avait eu l’occasion de rencontrer ou de croiser des individus notables, qu’ils soient originaux par leurs pensées, leurs actions, leur verve, ou qu’ils soient particulièrement déstabilisants de par une certaine folie à la fois amusante, énervante, et inquiétante. Ce grassouillet être Humain, dont il aurait volontiers croqué la chair afin de "servir la science", curieux de savoir quel pouvait être l’effet d’une manipulation à moyen terme du mana sur un tas de viande pareil, à force d’utiliser ses pouvoirs, venait d’entrer à ses yeux dans le panthéon des personnages inhabituels, et par la grande porte qui plus est.
Il y avait en lui ce savant mélange de moquerie, de grandiloquence, de bonhommie, de dégoût, de danger et de curiosité qui aurait pu aisément en faire la représentation maîtresse d’une pièce de comédie à succès. Et le plus amusant dans cette réflexion, c’est qu’il semblait davantage être tout à son aise, dans son environnement naturel, plutôt qu’un artiste se forçant à jouer simplement son rôle. Par la barbe dégoulinante des nains, que fait cet homme-ci avec cet homme-là ? Une pipelette pareille acoquinée avec un quasi-muet à l'image de l’individu crasseux à l’arbalète. Sans aucun doute, l’un des deux faisait perdre son temps et son talent à l’autre. A moins que tout ceci ne soit qu’une vaste farce dont le Lycanthrope était la victime. Une pensée pour le moins peu réjouissante.
« Mon cher et mystérieux Qurdu Kan, un jour, prenez donc le temps de contempler les étoiles. Peut-être y trouverez-vous un ancêtre au passé artistique inédit. M’est avis que vous devriez rapidement reconsidérer votre emploi actuel, dont vous avez eu la délicatesse de m'informer, pour vous lancer sans autre forme de procès au sein d'une carrière théâtrale émérite, aussi bien dans le domaine du tragique que du comique. »
Ces Républicains… Bon sang, il avait beau détester ce Reike qu’il avait su autrefois adorer, le changement de loyauté, très largement intéressé certes, risquait de jalonner sa route d’un certain nombre d’obstacles psychologiques, tout du moins. Malgré tout, quand bien même cette pensée assombrit quelque peu son humeur, il se devait bien de reconnaître deux choses à ce clown. D’abord, il avait sans peine amené Yagmit sur son terrain de jeu linguistique, prenant en main le ton de l’échange, et, il faut le dire, contaminant tranquillement le loup-garou par ses palabres, en en faisant lui-aussi un clown à son corps défendant. Ensuite, pour oser se diriger vers la Jungle Du Sang… Eh bien, ma fois, ce Républicain était des plus couillus !
La mission de ces deux étrangers suscita l’intérêt de l’ennemi juré des Vampires, sous la conclusion évidente des bénéfices humains qu’il pourrait en retirer. Soit ces deux loubards disposaient d’une assise financière certaine de part leur travail, soit ils entretenaient un réseau de connaissance, et donc d’influence, propice à initier d’intéressantes rencontres. Autant dire que Yagmit y vit là un moyen plausible d’initier son entrée dans la République, par la petite ou la grande porte, et de cimenter rapidement son adoption. Mais déjà ils avaient trop parlé. L’environnement dans lequel il se trouvait était tout sauf propice à un échange prolongé. Les individus en face de lui pouvaient être particulièrement instables, et les échanges verbaux de cette nature avaient le don d’attirer des oreilles indiscrètes. Aussi décida-t-il de clore lui-même la rencontre en leur proposant ceci :
« Cet intérêt ne regarde que moi, bienheureux Qurdu Kan. Comprenez bien qu’il serait tout sauf sage de prolonger un échange dans pareil endroit, échange qui s’est déjà étalé plus que de raison. Si votre mission est celle que vous venez de me présenter, vous aurez besoin de moi. La Jungle est vorace. Retrouvons-nous à cette estimée Jungle Du Sang, au bout de l’un des nombreux sentiers quittant la route principale Kyouji-Taisen pour venir embrasser son orée par son Sud. Montez alors le campement, et je viendrai vous trouver de ma propre initiative, lorsque Dame pénombre offrira au Dieu-Soleil sa méditation quotidienne. A dans quelques-jours Messieurs. »
Contagieux. Et pas qu’un peu. Maudits puissent être les mages et leur magie ! Quand bien même Yagmit n’avait ressenti aucun maléfice venir s’écraser sur lui, il en était convaincu, Qurdu Kan lui avait jeté un sort. S’arrachant à cette pensée il bondit sans cérémonie, ruinant une partie de la belle façade sur laquelle il s’accrocha, puis fila, légèrement énervé, vers une destination dont il ne s’attendait pas à contempler si rapidement de nouveau le paysage.
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Feat. Yagmit Gurhat
Une fois le Lycanthrope hors de vue, je poussais un long soupir de soulagement. Au moins, cet étrange entrevue s’était déroulée sans accroc. S’il avait fallu se battre avec un tel adversaire, nous aurions certainement subi de lourdes pertes.
" Hin hin "
Bon, le Loup Garou aurait quand même pu faire une faveur à la Guilde, et dévorer ce crétin de mage qui se retournait vers moi, son visage disgracieux affichant ce qui ressemblait à de l'excitation.
" Un Trajet des plus intéressants, n’est-il pas , mon cher Capitaine ? Qurdu Kan mettrait sa main à couper que ce singulier personnage va nous aider dans notre entreprise. Ha ! Les capacités d’orateur de Qurdu Kan sont toujours aussi légendaires ! "
Tout en palabrant, l’homme rondouillard se dirigeait vers la porte de l’auberge, pour rejoindre les autres actionnaires. Tout en lui emboîtant le pas, je flattais l’encolure d’un des chevaux de tête. Pour tout réponse, celui-ci tenta de me mettre un coup de tête.
***
Jungle de Sang, au Sud, minuit
Le calme de la nuit fut troublé par le cri étouffé de l’actionnaire, alors que je serrais le bandage propre autour de son tibia ensanglanté.
Une foutue embuscade de Gnolls, alors que la caravane venait de quitter la route principale reliant Kyouji et Taisen. Les hyènes n’avaient pas fait long feu, et par chance, aucune perte n’était à déplorer. Seul l’actionnaire étendu sur le sol devant moi, un bout de bâton entre les dents, avait écopé d’une blessure sérieuse, une flèche ayant traversé sa jambe juste en dessous du genou. Une blessure qui ne menaçait pas ses jours, mais qui l’immobiliserait pour le moment.
" Hmm, voilà qui est fâcheux "
Je sursautais, et me retournais pour tomber nez à nez avec le Maître de Caravane. Avec les beuglements de l’actionnaire, je ne l’avais pas entendu arriver derrière moi. Le mage ventripotent avait sorti un petit calepin pour prendre des notes, tout en marmonnant :
" Utilisation de matériel de première urgence. Retrait de paie. 5%. Bien ! Tout est en ordre ! "
Sans faire plus de commentaire, le mage s’éloigna vers la caravane. Je m’apprêtais à me lever afin de le rejoindre, quand l’actionnaire à terre se mit à grogner :
" Putain d’gros porc ! Attends que j’attrape, tu vas moins faire l’malin ! "
" Fermes-la, abruti ! Tu connais les termes du contrat, si t’es pas content, fallait pas le signer ! Maintenant va manger, et t’avises pas de t’en prendre à Qurdu Kan si tu veux pas finir en morceaux "
Je me levais à mon tour, laissant le garde se débrouiller pour se relever, et je rejoignais le mage ventripotent, occupé à contempler l'étendue d’arbres qui s'étendait non loin devant nous, marquant l'orée de la tristement célèbre Jungle de Sang. J'avais entendu de nombreuses légendes sur cet endroit, telles que des créatures cauchemardesques, des trésors enfouis sous la terre gorgée de sang, ... . Qu'elles soient vraies ou nom, il était clair que nous allions nous enfoncer dans un endroit dangereux, et notre troupe attendait de l'aide.
" Vous pensez qu'il va venir, Qurdu Kan ? "
Le Maître de Caravane resta silencieux, l'air songeur. A l'évidence, même lui n'était pas sûr que le Loup-Garou, rencontré quelques jours plus tôt, allait les retrouver. Dans tous les cas, avec ou sans le Lycanthrope, la caravane s'enfoncerait dans la Jungle au matin, pour en affronter les dangers.
CENDRES
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Braves Gnolls. Lâches, peureux, vicieux, opportunistes, mauvais, mais parfois utiles. En effet, si Yagmit ne les portait pas dans son cœur, méprisant cette race de charognes, il lui arrivait parfois de leur trouver une utilité quelconque, comme aujourd’hui, par exemple. S’étant jeté sur eux tout feu tout flamme, le groupe de Hyènes avait quitté son misérable campement sans demander leur reste. Pourtant, le loup-garou n’avait aucune intention de les dévorer ou de les dépouiller de leurs maigres affaires ; en effet, il mûrissait un projet autrement plus productif que de s’adonner au simple pillage. Ayant repéré au loin une caravane dont il doutait encore de l’arrivée, Yagmit décida alors qu’il serait de bon ton que de tester, gentiment, la crédibilité de ses partenaires potentiels. La Jungle Du Sang constituant une des régions les plus rudes en ce bas-monde, il était hors de question de perdre son temps avec des guignols dont la dangerosité des lieux n’avait même pas effleuré l’esprit. Si la caravane se trouvait dans l’incapacité de se débarrasser d’une petite troupe de Gnolls, terrifiée de surcroît, alors le Lycanthrope n’avait aucune raison de perdre son temps avec eux, car quand bien même il se jugeait être un excellent guide et un combattant plus que compétent, à lui seul il ne pourrait assurer la survie de l’expédition si les membres de cette dernière ne possédaient pas un minimum de résistance morale et physique, en plus d’une réactivité au combat certaine.
Et c’est ainsi qu’il sut rabattre les Gnolls dans la direction de la caravane. Ce fut tout sauf une tâche ardue. Les Hyènes s’étant pissées dessus à sa première apparition, il ne rencontra aucune difficulté à les tracer tout le long et à les diriger là où il voulait. Par le Soleil, quel spectacle cocasse lui donnèrent-elles alors ! Sortant de la Jungle dans laquelle Yagmit les avait fait de nouveau rentrer, elle se retrouvèrent presque nez-à-nez avec l’arrière-garde de la caravane, complétement déboussolées. Quelques secondes de réflexion s'ensuivirent, qui purent être mises à contribution par les futurs partenaires du loup-garou afin de réagir promptement. Coincées, les Hyènes humanoïdes préférèrent affronter ces nouveaux venus plutôt que de faire machine arrière pour, pensaient-elles, se faire déchiqueter manu militari par les crocs et les griffes d’une bête enragée. Le combat fut pathétique. Ah ! Rien à voir avec les arènes de Taisen, pour sûr. Ces engeances contre-nature se firent littéralement massacrer, et si l’une de leurs flèches réussit à blesser l’un des caravaniers, ce ne fut qu’un coup de chance extraordinaire, rien de plus.
Yagmit, prenant toujours grand soin de cacher sa présence, et s’étant recouvert de cette fameuse plante urticante qui, en plus de repousser la plupart des insectes, avait la particularité de neutraliser les odeurs fortes, ne dégageant qu’un léger effluve acide seulement détectable à proximité immédiate, constata la scène finale. A l’évidence, la caravane avait au moins le mérite d’être disciplinée. Pas de panique sous l’effet de la surprise. Juste une réaction coordonnée pour faire face de la manière la plus efficace et violente qui soit à la menace. Voilà un spectacle qui, à défaut d’être divertissant, avait au moins le mérite d’être rassurant. C’est alors qu’il décida de sortir de sa cachette, sentant le regard du Maître de Caravane scruter les environs, et notamment sa position. Sans mouvement brusque, il parcourut les quelques mètres le séparant du découvert. Etant donné les circonstances, il jugea bon de s’annoncer, son déplacement provoquant un bruit certain, surtout pendant la nuit, les sons étant dans pareil cas nettement plus audibles.
« Messieurs, je vois là deux choses qui me font grand plaisir. Votre venue, dont je n’étais certes pas certain. Et votre premier contact avec l’hostilité de la région. Une manière à elle de vous saluer, je suppose. Ma foi, elle doit particulièrement vous apprécier, pour vous faire l’honneur de ne point trop vous bousculer ainsi. Dans mon cas, ma première venue en ces lieux m’avait réservé une épreuve autrement plus terrible. »
Yagmit sortit alors tout-à-fait, se dévoilant à Qurdu Kan, presque face-à-face, et jeta au sol un ballot de feuilles et de lianes tressées. Il ne tarda pas à s’expliquer davantage :
« Dedans vous trouverez ce qu’il faut pour éloigner les nombreuses espèces d’insectes de cette Jungle, qui ne demandent qu’à vous pourrir l’existence. Frottez-vous avec, c’est mon conseil. Certes, cela vous provoquera quelques irritations "un peu" agaçantes, mais croyez-moi, à côté des très nombreuses piqûres et morsures que cela vous évitera, il y a un gouffre de différence. »
D’un geste du menton, le loup-garou désigna le blessé laissé là, un peu plus loin.
« Votre gars, là, le poissard. Inutile de vous dire qu’il va claquer ici. Même avec vos premiers soins administrés. Et avec l’humidité de la zone, sa blessure va vite devenir un pot de pus qui n’aura rien à envier aux confitures de vos grands-mères. Et je ne parle même pas de l’état de sa jambe. Elle deviendra d’abord aussi noire que du charbon et aussi dure que du bois, avant de tomber en morceaux liquéfiés. Pas beau à voir, c’est moi qui vous le dis. J’ai déjà perdu une jambe comme ça. Loué soit le Soleil pour m’avoir fait Lycanthrope ! Humain, je n’aurais pas survécu. C’est qu’en plus la pourriture vous empoisonne le sang. »
Ouvrant ses bras comme pour accueillir un être cher, il contempla les cadavres des Gnolls.
« Un autre bon conseil, ne tardez pas à brûler les cadavres de ces immondes bâtards. Et je dis bien brûlés, pas enterrés. Autrement, dans quelques heures, on va se farcir une tripotée de charognards et de prédateurs qui vont venir nous serrer la pince. Si on peut éviter, ce ne serait pas du luxe. Mieux vaut faire profil bas ici. Je peux vous aider cette nuit, à faire tout ça, si tant est que nous décidions d’être partenaires. Je vous aide, ici et dans la jungle. On remplit votre mission, et ensuite on discute. De ce que je veux. Et de ce que vous saurez me donner. Et si tout s’accorde comme il faut, pensez au long terme, les Républicains. »
Sur ce, Yagmit se rapprocha de Qurdu Kan et lui tendit son immense main griffue.
CENDRES
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Négocier pour mieux survivre
Feat. Yagmit Gurhat
Alors que Qurdu Kan serrait l'énorme patte tendue du mieux qu'il pouvait, je ne pu m'empêcher de trouver la scène plutôt amusante : Qurdu Kan, petit homme obèse, paraissait si frêle, si fragile en face de l'énorme Lycanthrope. Le bestiau n'avait qu'à exercer un peu de force sur la main qu'il serrait, et toute la Jungle serait réveillée par les beuglements de douleurs du Maître de Caravane. Malheureusement, il n'y eu aucun accident à déplorer, et Qurdu Kan prenait la parole, après avoir poussé un soupri digne d'une tragédie amoureuse :
" Ah ! La cruauté du Sekai est légendaire, mon cher ! Qurdu Kan pourrait vous raconter des histoires qui hérisseraient chacun de vos poils ! Quoi qu'il en soit, la Guilde accepte vos termes ! Votre aide en cette nuit contre rétribution suite à négociation ! Maintenant, si vous voulez bien patienter quelques instants, Qurdu Kan doit effectuer quelques préparatifs avec le Capitaine ici présent "
Qurdu Kan se tourna vers moi, l'air tout à coup très sérieux. Ayant voyagé avec cet homme pendant des années, je savais déjà ce qu'il avait en tête. Tout en acquiescant silencieusement, je pris la suite du Maître de Caravane qui se dirigait vers les actionnaires, mon arbalète en main. Les visages des gardes étaient tendus, à cause de la proximité avec la fameuse Jungle de Sang. Les Gnolls n'étaient qu'un échauffement, et ils le savaient tous. Qurdu Kan progressait d'un pas assuré, se dirigeant vers le garde blessé, qui gémissait à intervales réguliers tout en se tenant la jambe, accroupi près d'un feu sur lequel frémissait une marmite remplie de ragoût. Le blessé nous jeta un regard noir alors que le mage se plantait devant lui et lui annoncait la mauvaise nouvelle :
" Mon cher, votre jambe va devoir être amputée, et vous serez confiné dans la caravane pendant que le reste d'entre nous irons dans la Jungle. Bien évidemment, l'utilisation du matériel d'urgence et votre non participation à cette partie du Trajet seront déduits de votre prime "
L'actionnaire, déjà mécontent de nous voir, avait maintenant les yeux exorbités et la machoire contractée sous l'effet de la colère. Une réaction compréhensible, qui n'annonçait héla rien de bon. Se mettant debout tant bien que mal à l'aide d'une épée, le garde fulminant commença à grogner, tout en agitant son arme vers le Maître de Caravane :
" Sale porc ! Une pauvr' flèche, et c'est comme ça que j'suis traité ! Guilde de merde ! Z'êtes que des enfoirés qui voulez garder la récompense pour vous ! T'sais quoi, mon gros ? Au lieu d'ce ragoût pourri, j'vais m'tailler une bonne pièce dans l'gras d'ton bide, et ... "
Avant qu'il puisse finir sa phrase, ou mettre sa menace à exécution, je dressais mon arbalète, envoyant sans avertissement un carreau dans la tête du mécontent. L'homme tomba à la renverse dans un fracas de métal, tué sur le coup par le projectile lui ayant transpercé le cerveau. Qurdu Kan, impassible, prit son calepin et se mit à noter tout en marmonnant :
" Rébellion et menace envers un Maîttre de Caravane devant témoin. Alternative refusée. Châtiment infligé conformément au contrat signé par l'intéressé. Prime annulée. Bien ! Capitaine, veillez à ce que vilain personnage soit brulé avec la pile de Gnolls. Je vous laisse vous occuper des préparatifs "
Tout en remettant mon arbalète sur mon épaule, j'ouvrais le sac que le Lycanthrope nous avait confié, et je commençais à passer parmi les gardes, tout en bougonnant tel un sergent instructeur :
" Allez on se bouge ! il est temp de mériter votre prime ! Prenez ces feuilles et frottez vous la peau avec, ça vous protégera de toutes les saloperies qui pourraient vous piquer dans la Jungle ! Mangez un bout, préparez votre bardas, et brûlez moi cette pile de hyènes ! On lève le camp dans une demi-heure ! Et foutez-moi l'autre abruti dans le feu, après avoir récupéré son attirail ! "
Tout en faisant la distribution des feuilles, je jetais un oeil à Qurdu Kan. Le mage se dirigeait à nouveau vers l'endroit où ils avaient laissés le Lycanthrope, sans doute pour discuter des épreuves à venir. Nous venions de perdre un élément, un actionnaire fraîchement recruté, qui n'avait manifestement pas lu son contrat jusqu'au bout. Combien d'entre nous allaient prendre sa suite à rejoindre l'au-delà ? Nous allions bien vite le savoir.
CENDRES
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Maître Reiksaj, le torse velu, s’en allait près d’un relais à chevaux, monter sa scène par laquelle son expression s’élèverait. Gestuelle maîtrisée, démarche assurée, barde de son état, le voilà artiste atypique. Si plein de fougue, que dans les yeux de son public, l’on pouvait nourrir quelque méprise quant à son nouveau rôle. Si tôt cette surprise passée, si tôt la scène montée. Entendons la chanson de Maître Reiksaj, à l’assurance distinguée.
Oyez oyez braves gens, laissez-moi vous conter une aventure,
Aux entremêlements d’une faune et flore réclamant notre sang
C’est dans cette jungle fameuse que nous entamèrent notre torture
Deux âmes fières, arbalétrier bougonnant, magicien pachyderme, loup-garou puant
Voici cinq gentilhommes en premier lieu proche d’une caricature
En pleine nuit ces parieurs évoluaient hâtivement,
Sereins ou soumis à une peur sourde maltraitant les entrailles
Mais tous en prise avec un seul et unique serment
De cette Jungle gloutonne des âmes autrefois sans faille
En tirer substance pour la gloire de leur futur prélèvement
Geomis, vicieux dites-vous ?
Pour sûr présentés nous fûmes
Lancondas, vicieux dites-vous ?
Pour sûr découverts nous fûmes
Voraces, vicieux dites-vous ?
Pour sûr vicieux vous fûtes
De nuit, toujours de nuit, observaient et marchaient d’un pas bien lourd,
De jour, toujours de jour, remplissaient leur bide et s’offraient un piètre sommeil
Car voyez-vous braves gens de ma cour,
La nuit s’ornemente de bien de dangers sans pareil
Quand le jour apaise les bruits alentours
De péripéties en péripéties nous allions sans défaillir,
Lycanthrope sauvage, bestial, pisteur sans autre concurrent,
Capitaine à l’arbalète leste, meurtrière, rageur toujours prêt à assaillir,
Pachyderme comédien, coupant, maître magicien plus que mordant,
Deux corps solides, puissants, porteurs pour tout soutenir
Geomis, vicieux dites-vous ?
Pour sûr présentés nous fûmes
Lancondas, vicieux dites-vous ?
Pour sûr découverts nous fûmes
Voraces, vicieux dites-vous ?
Pour sûr vicieux vous fûtes
Enfin champ de bataille ancestral nous apparût
Porteurs, porteurs, prenez notre commande,
Mais attention de ne point y rencontrer un imprévu,
Que peuvent donc cacher ces objets de légende ?
Malédiction ou piège mortel, tels sont leurs attributs
Enfin champ de bataille ancestral nous apparût
Porteur, porteur, ne nous en reste plus qu’un
Partons, partons de cet enfer des disparus
Sur notre dos le parfum du butin,
Nous entamâmes le chemin des réapparus
Geomis, vicieux dites-vous ?
Pour sûr présentés nous fûmes
Lancondas, vicieux dites-vous ?
Pour sûr découverts nous fûmes
Voraces, vicieux dites-vous ?
Pour sûr vicieux vous fûtes
Aux entremêlements d’une faune et flore réclamant notre sang
C’est dans cette jungle fameuse que nous entamèrent notre torture
Deux âmes fières, arbalétrier bougonnant, magicien pachyderme, loup-garou puant
Voici cinq gentilhommes en premier lieu proche d’une caricature
En pleine nuit ces parieurs évoluaient hâtivement,
Sereins ou soumis à une peur sourde maltraitant les entrailles
Mais tous en prise avec un seul et unique serment
De cette Jungle gloutonne des âmes autrefois sans faille
En tirer substance pour la gloire de leur futur prélèvement
Geomis, vicieux dites-vous ?
Pour sûr présentés nous fûmes
Lancondas, vicieux dites-vous ?
Pour sûr découverts nous fûmes
Voraces, vicieux dites-vous ?
Pour sûr vicieux vous fûtes
De nuit, toujours de nuit, observaient et marchaient d’un pas bien lourd,
De jour, toujours de jour, remplissaient leur bide et s’offraient un piètre sommeil
Car voyez-vous braves gens de ma cour,
La nuit s’ornemente de bien de dangers sans pareil
Quand le jour apaise les bruits alentours
De péripéties en péripéties nous allions sans défaillir,
Lycanthrope sauvage, bestial, pisteur sans autre concurrent,
Capitaine à l’arbalète leste, meurtrière, rageur toujours prêt à assaillir,
Pachyderme comédien, coupant, maître magicien plus que mordant,
Deux corps solides, puissants, porteurs pour tout soutenir
Geomis, vicieux dites-vous ?
Pour sûr présentés nous fûmes
Lancondas, vicieux dites-vous ?
Pour sûr découverts nous fûmes
Voraces, vicieux dites-vous ?
Pour sûr vicieux vous fûtes
Enfin champ de bataille ancestral nous apparût
Porteurs, porteurs, prenez notre commande,
Mais attention de ne point y rencontrer un imprévu,
Que peuvent donc cacher ces objets de légende ?
Malédiction ou piège mortel, tels sont leurs attributs
Enfin champ de bataille ancestral nous apparût
Porteur, porteur, ne nous en reste plus qu’un
Partons, partons de cet enfer des disparus
Sur notre dos le parfum du butin,
Nous entamâmes le chemin des réapparus
Geomis, vicieux dites-vous ?
Pour sûr présentés nous fûmes
Lancondas, vicieux dites-vous ?
Pour sûr découverts nous fûmes
Voraces, vicieux dites-vous ?
Pour sûr vicieux vous fûtes
Maître Reiksaj, le torse velu, s’en allait d’un relais à chevaux, monter sa scène par laquelle son sommeil s’élèverait. Gestuelle maîtrisée, démarche assurée, barde de son état, le voilà artiste au repos. Si plein de satisfaction, que dans les yeux de son public, l’on pouvait nourrir quelque envie à son nouveau rôle. Si tôt cette surprise passée, si tôt la scène montée. Entendons le souffle de Maître Reiksaj, à l’apaisement distingué.
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