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  • Mar 19 Mar - 15:10

    Les Portes du Temple des Secrets:

    En même temps que la nuit tombait, les immenses portes du temple s'élevaient majestueusement devant elle, si hautes que Siame en eut le vertige. En s'approchant, elle sentit son émerveillement se muer en appréhension. Sa contemplation la fit sombrer dans une torpeur inquiétante. Il lui fallut s'ébrouer l'esprit pour dissiper cet étrange aura. C'était le propre de ce genre de lieux sinistres que l'on avait abandonné pour une raison. Les récits déformés des mortels et leur crédulité émouvante enrichissaient considérablement les rumeurs populaires. Les Titans, en compétiteurs aguerris des arts du mythes et de la propagande, avaient relâchés leurs serviteurs sur le Sekai pour fortifier les craintes des mortels. Incontestablement, pour le commun des mortels, fréquenter ce genre de lieux c'était prendre le risque de rentrer chez soi maudit sur des générations à venir. Et d'une façon, dans leur peur superstitieuse, ils avaient raison de se montrer prudent.

    Dans son cas, Siame avait déjà tout perdu.
    Une malédiction de plus, ou une malédiction de moins...

    Elle s'avança donc, enveloppée d’une sérénité prétentieuse, dont seules les créatures divines pouvaient se targuer. Éclairant les portes à la lueur sanglante de sa torche, elle observa les mots gravés dans la pierre, en bas-parlé, dialecte ancien du Culte des Ombres mais pas inconnu de la création des Titans.

    ᚨᛚᛚᚨᛁ ᛗᚨᚾᚾᚨ ᚠᚱᛖᛁᚺᚨᛚᛋ
    ᛃᚨᚺ ᛋᚨᛗᚨᛚᛖᛁᚲᛟ
    ᛁᚾ ᚹᚨᛁᚱᚦᛁᛞᚨᛁ ᛃᚨᚺ
    ᚱᚨᛁᚺᛏᛖᛁᛋ ᚹᚨᚢᚱᚦᚨᚾᛋ.

    "Né dans le sang, Juré par le sang, J'entre vivant, Et j'en sors mort." Un avertissement, si non une invitation selon l'intripide profanateur de ces lieux sacrés. La lueur de sa torche vacilla, éclairant le reste de la porte, découvrant les visages sculptés dans la pierre. Les faciès furent figés dans des expressions de douleur, leurs bouches vociférantes mais muettes. Seuls leurs globes oculaires semblaient s'animer et réagir à sa présence. Des visages de morts, aux yeux vivants. Des yeux intelligents, étonnamment attentifs, mobiles comme seuls ceux des âmes curieuses savent l'être. Un genre tout à fait sinistre de voyeurisme, qu'elle comprenait parfaitement. La fascination l'emportait sur la terreur d'un tel spectacle. Il ne s'agissait là que d'une abomination de plus sur ces terres. Elle laissa courir ses doigts griffus sur les visages, ses ongles s'émoussèrent sur la pierre, et Siame enfonça sans sourciller, index et majeur dans l'un des globes. Un gémissement lointain, hurlant et affreux, lui répondît dans un soupçon d'humanité.

    Heho ! J'ai baisé ta mère pour que tu me crèves les yeux comme ça ?

    Siame eut un haussement de sourcils faussement outré, peinant à masquer son amusement et sa curiosité alors éveillée. Ce monde ne cessait de l'étonner.

    Dis-moi comment ouvrir ces portes, exigea-t-elle d'une voix sans chi-chi, ne trahissant aucune émotion.

    Bonjour déjà ? On ne vous a pas appris la politesse dans le royaume des divins ? C'est bien vous ça, les anges, sous prétexte qu'un géant vous a éternué par le cul, vous vous croyez tout permis. Il cligna des paupières. D'ailleurs, elles sont où tes ailes à toi poulette ?

    S'il lui était encore possible de passer inaperçue devant les mortels, il existait sur cette terre des entités impossibles à tromper. En réponse, Siame enfonça de plus belle ses ongles dans l’œil, prête à venir le déloger de son orbite de pierre s'il refusait de coopérer.  

    C'est bon, c'est bon, ça va ! Du calme. Je ne vous savais pas si susceptibles, vous autres. L'Ange le libéra de sa prise acérée. Il battit encore des paupières pour dissiper la douleur et retrouver une vision nette. Bon sang, ça fait un mal de chien.

    Elle arqua un sourcil pour l'inviter à ne pas tester les limites de sa patience.

    Oui donc, pour ouvrir ces foutues portes. T'as intérêt à écouter attentivement parce que je ne vais pas me répéter mille fois, commença-t-il avec une insolence mal étudiée, que Siame accepta de tolérer tant qu'il lui révélait ce qu'elle voulait savoir, se contentant de sourire moqueusement face au caractère de difficile de cette grossière engeance. Tu vois mes frères là ? L’œil tourna dans son globe, comme s'il n'avait été attaché à aucun nerf optique. C'est lorsque l'Ange redressa la tête qu'elle aperçut une douzaine de paires d'yeux la contempler sans pudeur.

    Hum ?

    C'est très simple, il suffit de nous ramener une offrande à chacun de nous.
    Mais pas n'importe laquelle !
    Ouaip, pas n'importe laquelle.

    Et douze voix s'élevèrent pour ajouter leur grain de sel, dans une cacophonie insupportable. Dans quelle affaire s'était-elle encore fourrée... Heureusement, l'espoir de retrouver ses ailes – qu'elle croyait alors détenues dans ce temple – doucha son irascibilité naissante.

    Quel genre d'offrande ?

    Une plume pétrifiée.

    C'est une mauvaise blague ? Elle fronça doucement les sourcils face à l'ironie de la demande.

    Pas le moins du monde, ma p'tite dame !
    Ouaip, pas le moins du monde, rétorqua la troisième voix en écho, avant qu'une quatrième, plus mesurée, ne rejoigne la partie.
    Ces plumes sont cachées un peu partout dans les Rocheuses.
    Ouaip, planquées dans les endroits les plus dangereux et les plus tordus, des endroits que tu n'imagines même pas !
    C'est clair, ce n'est pas une balade de santé. J'espère que t'es prête à rencontrer toutes sortes de saloperies sur ton chemin. Mais bon, t'as l'air débrouillarde, tu devrais t'en sortir.

    C'est tout ? Je vous ramène ces plumes et les portes s'ouvriront ? Légèrement étonnée de la simplicité de la chose, Siame eut une moue suspicieuse.

    Ouaip, les portes s'ouvriront.
    Allez poulette, ramène nous ces plumes avant qu'on finissent en gargouilles à force de rester ici à rien foutre !
    Souviens-toi, ô messagère des cieux, que le véritable trésor n'est pas la récompense que tu trouveras à l'intérieur, mais le voyage que tu entreprends pour l'atteindre. Que ta quête soit guidée par la sagesse et la compassion. Que ton courage soit inébranlable et ta détermination inflex...

    Inflexible, j'ai compris. Siame rétorqua d'un battement de cils insensible à la voix caverneuse du véritable PNJ de quête.

    C'est lorsqu'elle s'apprêtait à faire demi-tour pour s'adonner à la recherche de ces plumes, ne préférant pas s'attarder plus longtemps, que la première voix la rappela in extremis.

    Ah oui, d'ailleurs, on a oublié de te dire, mais il y a un gars un peu bizarre, avec plein d'yeux partout lui aussi, qui est passé pour la même chose, un peu plus tôt. Fais vite, si tu ne veux pas qu'il te vole tes plumes.

    Cette fois-ci, l'Ange ne fit aucun effort pour contenir sa frustration et son poing s'écrasa rageusement dans l’œil de l'étrange créature pétrifiée et congédiée de sa présence terrestre pour dépérir dans la porte du Temple des Secrets. C'était à se demander ce qu'ils avaient tous bien pu faire, outre franchir les limites de la patience de l'Ange, pour mériter un tel sort. Loin d'éprouver une quelconque compassion – les Titans pour tous et chacun pour soi – Siame disparue, la perspective de se savoir devancée et inévitablement ralentie par l'absence de ses si précieuses ailes, attisant son agacement.  


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  • Sam 23 Mar - 1:06


    ”Alors? Qu’est-ce qui pourrait se trouver derrière cette porte au temple?”
    ”Curieux. Nous n’avons aucun élément de réponse à cette question. Inutile de conjecturer sur la nature de ce qui s’y cache, nous n’en savons rien.”
    ”Nous savons maintenant que c’est précieux, et important.”
    ”Prudent. Ce sont de pures suppositions.”
    ”Des suppositions soutenues par ce qui se tient devant nous.”

    Si l’entrée au pied d’une des montagnes qui parsème les Rocheuses s’était révélée bien étroite et avait rendue difficile la descente du Démon dans son couloir abrupte et sinueux, la grotte dans laquelle Savoir se tient maintenant est d’un tout autre gabarit. Une cavité énorme nichée à plusieurs centaines de mètres sous le pic enneigé est parcourue par des courants d’air occasionnels qui passent par les différents trous dans la paroi du plafond. La salle naturelle baigne dans la lumière du soleil artificiel généré par l’azsharien, projetant ses rayons sur les murs de pierre bosselés et le sol inégal au milieu duquel un trou béant se dessine, plongeant vers les entrailles de Sekaï en se perdant dans une obscurité sans fin. De l’autre côté de l’entrée, par dessus le gouffre de ténèbres, un autel taillé dans la roche est visible, surmonté d’une myriade de cierges à moitié fondus qui encadrent un délicat promontoir doté d’un dôme en hématite. À l’intérieur de la rouge bulle cristalline repose une plume en lévitation, de grande taille, sa texture mat se révèle en fait à la lumière être d’un matériau étrange, à mi-chemin entre le teint de l’argile et les zébrures du marbre. Les détails de cet objet divin sont d’un réalisme si saisissant qu’ils ne laissent que peu de place au doute quant à leur véritable nature, il ne peut s’agir que d’une sculpture magique d’un talentueux arcaniste… ou une plume pétrifiée, et donc de provenance authentiquement organique.

    Le regard multiple de Savoir dévie de l’autel pour se reporter sur les différentes inscriptions dans les murs de la caverne. Il n’a pas besoin de se concerter pour se mettre d’accord sur un détail important, c’est que toutes les gravures paraissaient vieilles de plusieurs milliers d’années. Relativement jeunes par rapport à l’âge du Démon, mais datant certainement de la première guerre contre les Titans. Ce qui trouble passablement Savoir c’est qu’il n’a pas eu grande peine à venir jusqu’ici après avoir quitté le temple la veille, alors pourquoi donc cet endroit n’avait-il pas été pillé il y a bien longtemps? Les Mortels sont généralement bien empressés d’assouvir leur cupidité, et nul doute que la pierre d’hématite seule qui servait de prison à la plume solide aurait dû suffire à attirer la convoitise de plus d’un explorateur. Devant les quelques mots de divina à peine déchiffrable qui sont encore lisibles, le Démon de la Connaissance se doute que la salle est piégée, reste à apprendre comment.

    ”Hypothèse…”
    ”Méfiant. L’autel possède une sécurité magique qui repousse ceux qui s’en approchent.”
    ”Il y a une tâche de sang de taille considérable entre l’autel et le gouffre. Donc...”
    ”Inférant. L’autel ou le gouffre tue les aventureux.”
    ”Alors?”
    ”Compréhensif. Alors il va falloir faire preuve de prudence.”

    Tandis que le Démon s’approche doucement de l’ouverture dans le sol, il place ses grandes pattes déformées contre le bord du précipice et demeure solidement accroché avec ses autres serres agrippées dans la pierre derrière lui, un avantage de ses jambes ramifiées en diverses excroissances chitineuses informes qui, à partir des genoux, n’avaient plus rien d’humanoïde. Alors qu’il se meut, les viscères bleuies qui dégoulinent de son abdomen éventré produisent un bruit flasque répugnant, les organes pourris sont gorgés d’un sang noirci et stagnant qui n’a plus circulé depuis des temps immémoriaux, ils sont devenus de vulgaires morceaux de viande putréfiés mus par l’influence ésotérique du Démon qui habite le corps.
    Savoir penche son torse vers l’avant, surplombant la mer d’ombres impénétrables avec son tronc sensiblement elfique, mais à partir duquel la chair prolifère de façon archaïque au dessus des clavicules. Le monticule organique dénué de sens paraît dessiner des semblants d’organes, de muscles, de chair et d’os sans fonctions physiologiques, dans un fourre-tout indécis de masse. De ce désordre surgissent plusieurs longs filaments organiques qui semblent en suspens dans les airs, flottant comme en apesanteur et assujettis aux caprices du vent qui les ballote doucement de droite à gauche. Chacun de ces longs fils surnaturels transporte plusieurs globes enrobés dans des membranes violacées dont la taille paraît trop imposante pour les supports chétifs qui les lie à l’entité démoniaque. Deux d’entre eux sont ouverts, l’un doté d’une pupille noire sertie d’un fin pourtour orangé, après lequel se dévoile une iris jaune et verte criarde. L’autre possède un puit noir aussi profond que le gouffre qu’il contemple maintenant, tandis que son éphytélium est parsemé d’auréoles violettes et bleues animées de mouvements de va-et-vient irréguliers qui déforment les cercles colorés et rappellent les vagues océaniques qui s’écrasent sur le rivage. Lorsque les deux voix reprennent la parole, il n’y a aucune bouche, aucune corde vocale qui paraît s’actionner pour produire leurs sons, les phrases paraissent être émises par le corps même de l’entité macabre.

    ”Prudent. Certains de ces cailloux au sol sont d’une couleur trop claire.”
    ”C’est parce que ce sont des ossements.”

    Quand l’oeil violet d’Ica pivote sur son socle pour se tourner vers celui de Ra, il constate que celui-ci a désassemblé son globe oculaire. Son épithélium intérieur s’est rétracté pour libérer le jeu de sa cornée, et le cristallin s’est avancé par télékinésie devant l’organe optique tandis que l’humeur vitreuse s’étend pour modifier l'accommodation. La lentille optique se tord sous l’effet de la magie démoniaque et l’oeil hypermnésique de Ra observe plus précisément la surface des différentes pierres au sol. Leur porosité et la formation irrégulière de ce qui s’apparente à du calcium ne laisse aucun doute, il s’agit bien de restes de races diverses. Cela confirme les doutes soulevés par Ra tantôt: à l’intérieur du Temple réside quelque chose d’important, personne n’aurait pris le temps d’ériger une sécurité aussi complexe pour en restreindre l’accès, et de dissimuler le déverrouillage de sa grande porte derrière des plumes dont la garde est aussi redoutable, si ce qui y était enfermé n’en vallait pas la peine. En tombant sur le Temple par hasard la veille Savoir avait été fortement intrigué, et la curiosité inévitable de Ra l’avait poussé à entrer. Ce qui n’était pas prévu, c’était la quête donnée par les gargouilles sentientes du Temple qui avait non seulement réveillé Ica avec une emprise imparable sur la Conscience de Savoir, mais qui l’avait doté d’un but si intriguant que l’oeil obsessionnel n’avait pas dévié une seule fois de sa tâche depuis.

    Sur les deux bras du Démon azsharien, un d’entre eux a l’apparence d’un elfe de l’ancien temps, mais l’autre est une déformation cauchemardesque, une parodie de membre dont la dégénérescence visible résulte en une multitude de petits appendices à mi-chemin entre le chitineux et l’osseux, se ramifiant par endroits en plusieurs semblants de bras décharnés qui se terminent par des groupes de serres acérées en nombre inégal. Pliant justement trois de ces griffes monstrueuses pour dessiner les contours d’une sphère, Savoir génère une boule compact luminescente qu’il laisse ensuite tomber dans le vide du gouffre, la balle descend en ligne droite, éclairant au passage les parois ocres du puit sans fond sur son passage alors que les ténèbres se referment aussitôt après elle. Arrivée hors de portée de son rayon d’action, la lumière se meurt sans avoir touché le fond. Savoir s’empare alors d’un débris quelconque au sol, et vient le lâcher parfaitement droit au dessus du trou béant en usant de sa télékinésie. Il attend un moment le son de l’impact qui ne viendra jamais avant d’abandonner l’idée d’estimer la profondeur du gouffre.

    ”Nous les avons vu.”
    ”Oui.”

    Si le trou est aussi profond, alors le danger qu’il représente ne peut provenir de ce qui se trouve en bas, mais plutôt de ce qu’il abrite dans ses parois. Lorsque la sphère de lumière avait entamé sa descente, plusieurs cavités annexes étaient présentent dans ses murs, donnant l’aspect d’une ruche poreuse. Le défilement rapide de la source radieuse aurait pu facilement passer inaperçu si ce n’était pour l’acuité visuelle développée du Démon poly-oculaire, et Savoir parvenait à la conclusion que l’autel devait être maudit, ou que le gouffre renfermait un écosystème bien dangereux qui se terre dans ces petites galleries.
    Il commence à canaliser sa magie au coeur de l’oeil d’Ica, mais celle-ci se dissipe au dernier moment.

    ”Observant. Nous avons besoin de plus de portée, un ajustement du niveau magique optimal est nécessaire, Ica est inadapté.”

    Alors qu’un crépitement accompagne la manifestation de deux membranes protectrices qui enveloppent progressivement leurs globes vitreux, Ica et Ra se referment et un troisième organe optique s’ouvre inversement. L’iris révélée cette fois n’a rien à voir avec les deux précédentes, possédant une anatomie bien plus proche de celle d’un humain classique mis à part sa taille démesurée et sa pupille proportionnellement trop grande, l’iris d’un carmin riche et profond observe silencieusement le néant qui lui fait face. Entre les microscopiques méandres filandreuses de son uvée, une lumière commence à naître, trahissant la concentration magique qui s’y trame. Bientôt la grande perle noire au coeur d’Alys s’illumine d’un éclat rougeoyant intense et un puissant faisceau laser fuse contre la paroi de la roche en contrebas, découpant dans le flanc du dénivelé avec violence tandis que la caverne est inondée d’une lueur vermillon.

    Aucune réaction. Le silence.

    Seul le bruit de quelques rocs qui se détachent après-coup de la falaise et s’enfoncent dans le brouillard de ténèbres perturbe l’insonorité ambiante. Savoir se redresse, dirige son regard vers l’hématite de l’autre côté du gouffre et se téléporte devant l’autel. Le Désintégrateur d’Azshary observe méticuleusement l’installation gravée dans la roche, jouant sur la hauteur de son globe sur le filament organique pour l’inspecter sous tout les angles. Quand il est persuadé qu’aucune trace d’un piège physique n’est présente sur l’autel, il saisit entre plusieurs serres le globe cristallin qui vire alors soudainement du bleu au rouge. Le Démon relâche immédiatement l’objet tandis qu’à la base de la pierre semi-précieuse, les veinules sanguinolentes qui le maintenaient encastré dans l’autel changent drastiquement de couleur, contaminée par une couleur noirâtre qui se propage rapidement, faisant pousser les veines tentaculaires jusque dans les murs, le sol et le gouffre de la pièce.

    L’oeil d’Alys observe alors avec attention son environnement, incertain de l’origine du danger imminent, incertain de si même il était en danger, incertain de la gravité du piège dans lequel il tombait. La réponse ne tarda pas à se faire connaître quand un grouillement sourd commence à jaillir de l’orifice et annonce la venue d’une myriade de monstres, le Démon demeure sur ses gardes, à l’affût, prêt à réagir.

    Le premier adversaire pointe le bout de son infâme figure quand se dévoile à la lumière du faux soleil une entité insectoïde parsemée des mêmes veines noires. Alys fait feu immédiatement et le rayon qui transperce l’insecte le renvoie d’où il vient, subitement embrasé localement par la montée de chaleur brutale de sa peau de moins deux à mille degrés. Savoir reste un moment immobile, le grouillement lointain ne s’est non seulement pas arrêté, mais il persiste et se rapproche. Bientôt c’est toute une nuée de monstres chimériques qui rampent du gouffre et se ruent sur lui.

    ”Action recommandée: extermination.”

    Les autres globes oculaires de Savoir s’ouvrent tour à tour pour dévoiler des copies d’alys et toutes se mettent à ouvrir le feu sur les bestioles, faisant pleuvoir une foule de lasers sur la nuée incandescente, le Démon tire le plus possible, mais les créatures déformées par la magie titanesque qui s’est infiltrée dans la roche depuis cinq mille ans sont trop nombreuses. Une d’entre elle parvient à atteindre Savoir et crache une bile verdâtre à ses pieds, provoquant un sifflement aiguë de ses pattes racinaires qui commencent à se dissoudre. Immédiatement le Démon de la Connaissance réagit en faisant exploser son propre corps d’une lueur radiale éclatante, submergeant l’essaim dans une puissance de feu destructrice qui perturbe jusqu’à l’intégrité de la grotte même. Le plafond précaire commence à se fissurer, les failles se répandent par accoups, agrandissant la vulnérabilité de la pierre. Des débris commencent à chuter du plafond, Savoir lève un de ses yeux rouges vers les hauteurs et sa lumière jaillit une nouvelle fois pour le protéger d’un éboulement. Un autre oeil d’Alys se retourne vers le globe d’hématite qui commence à retrouver sa teinte bleutée originelle, le Démon saisit la sphère de cristal magique et constate qu’elle se détache maintenant toute seule de son socle, les veinules se sont résorbées avec la mort des insectes auxquels elles étaient liées. Il ne perd pas de temps et se téléporte immédiatement en dehors de la caverne pour revenir à l’air libre, à l’entrée du chemin étroit qui ne mène désormais qu’à un cul de sac effondré.

    De retour au calme, l’oeil carmin se referme contre son gré alors que revient Ica, celui qui possède un lien si particulier avec l’oeil désintégrateur lui permettant de le faire aller et venir à l’envie revient donc à la charge maintenant qu’Alys a fait son travail. Tandis que Savoir contemple la bulle de cristal qui protège la plume pétrifiée, il insuffle sa magie dans la pierre précieuse et la plume se détruit.

    ”Confiant. Une première étape victorieuse, un premier pas. Voyons ce qu’il en est au Temple.”

    Alors qu’Ica se concentre méticuleusement pour préparer le complexe sort de projection, il visualise l’intérieur du lieu de culte, plus particulièrement le devant de la grande porte aux têtes de pierre animées. Sa vision se fait plus nette au fur et à mesure qu’à l’intérieur de la pièce véritable, un oeil géant semblable à Ica se matérialise, inspectant la grande porte pour découvrir non seulement qu’un des visages de la porte s’est figé pour de bon, ses yeux vivants maintenant fermés et tout aussi minéraux que le reste de son faciès, une plume de pierre entre ses dents, mais aussi qu’à côté de la manifestation sa présence magique, une autre projection astrale est visible un peu plus loin tandis qu’un deuxième visage se mure lentement dans un silence de marbre. La distance de sa projection n’est cependant pas suffisant pour lui donner le don de parole, alors l’oeil colossal observe, avide de connaître ce concurrent dans ce qui devient désormais une course à l’ouverture des portes.
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  • Lun 25 Mar - 18:49


    Le chemin serpentant sur le flanc de la falaise ne lui demanda aucun effort. Usé par les années de passage, Siame s'était contenté de suivre la route tracée sous les pas déterminés des mortels. Cette voie lui suggérait que nombre de pèlerins l'avaient un jour empruntée. Autour d'elle, le vent soufflait de plus en plus fort, au fur et à mesure que l'Ange progressait dans son ascension. Elle porta son regard sur la crevasse taillée dans la roche se présentant enfin à elle. Juste suffisamment grande pour laisser passer un homme. L'entrée de la grotte. Avant de se résoudre à s'y engager, elle se tourna une dernière fois vers l'horizon, dans le vent qui giflait ses joues, songea aux avertissements des gargouilles. Elle ignorait ce qu'elle allait découvrir à l'intérieur, mais elle savait une chose : si ses ailes se trouvaient dans ce temple, aucune épreuve n'était trop grande pour l'arrêter. Oui. C'est sur cette certitude qu'elle s’engouffra dans l'entrée de la gorge.

    L'obscurité l'enveloppa aussitôt. Il lui fallut plusieurs minutes pour habituer ses yeux. Une heure, peut-être, pour progresser vers les profondeurs de la grotte. Égarée dans les tunnels de nuit noire, ce n'est qu'à l'effort d'une patience immense qu'elle put enfin apercevoir le puits de lumière illuminant le fond de la grotte. Elle s'avança dans le cœur de l'antichambre, découvrant au centre, un office haut de deux mètres, où régnait en maître un scribe de pierre. Tout autour, taillée dans la roche, se dressait une vertigineuse bibliothèque. Des lieux comme celui-ci, il en existait des tas, et avec le temps, les Hommes avaient fini par oublier qui les avait érigés : les mortels eux-mêmes, ou bien, des entités plus anciennes encore...

    Antichambre :

    Siame observa longuement le lieu, avant que son regard ne se pose finalement sur la plume pétrifiée qui lévitait au-dessus de la pile de parchemins rocheux.
    Il avait fallu que ce soit des plumes. Pétrifiées, comble de l'ironie. Même après tant d'années, même probablement mort, son bourreau continuait de la torturer. Ces plumes-ci, pouvaient-elles être les siennes ? Les sens aux aguets, Siame balaya une ultime fois l'antichambre du regard, prêta une oreille attentive au moindre bruissement. Seul un silence morbide lui répondit. Prudente, elle avança, rejoignit l'office qui séjournait devant elle.

    L'Ange tendit la main pour se saisir de la plume qui voletait silencieusement au dessus du bureau, animée d'une magie qui rendait la pierre aussi légère qu'une véritable plume l'eut été. Un sombre pressentiment l'envahit. C'était simple. Trop simple. Ça ne pouvait être aussi facile. Pas dans un monde comme celui-ci. Faute de solution, puisque les visages de la porte n'avaient pas eu la bonne idée de lui fournir un guide touristique sur la collecte de ces plumes, elle approcha ses doigts fins vers l'objet, prudemment, lentement. Ce n'est qu'en voulant les fermer pour s'emparer de celle-ci que les mains immenses du scribe de pierre prenèrent vie pour se saisir violemment de son poignet. Les pupilles du gardien s'éveillèrent d'une lueur rouge et, dans le bruit de deux pierres qu'on frappait l'une contre l'autre, sa tête se tourna dans la direction de l'Ange.

    — Qui ose perturber ma quiétude ?

    Une voix rauque échappa la bouche immobile du gardien, à la surprise de Siame. Combien de créatures étaient enfermées dans les pierres de ce Monde ? Elle grimaça, tenta de récupérer son poignet en tirant sur son bras, mais rien à faire, le scribe la maintenait fermement.

    — Hum... Son murmure résonna si profondément en elle que Siame se sentit vaciller. Pourquoi es-tu là ?
    J'ai besoin de cette plume, expliqua-t-elle sans démordre de sa volonté.
    — Pourquoi ? La question claqua comme un ordre et Siame tira de plus belle sur son bras, sentant la poigne de la créature de pierre se raffermir sur son propre poignet. Il allait lui broyer si elle ne répondait pas à ses questions.

    Pour ouvrir les portes d'un temple, capitula-t-elle dans un grognement douloureux.
    — Pourquoi souhaites-tu ouvrir les portes de ce temple ?

    Il émanait une autorité telle de la voix, que l'Ange fut contrainte de parler.

    Je crois que mes ailes se trouvent à l'intérieur.
    — Hum...

    Cette fois-ci, il lui sembla noter de l'approbation dans les vibrations de sa voix.

    — Je ne peux pas te rendre tes ailes, mais je peux t'échanger cette plume contre tes souvenirs.
    Tu désires mes souvenirs ? La demande lui sembla absurde, et pourtant...
    — Les secrets de ce lieu sont gravés dans la pierre, écrits dans les vents du temps, offerts par les âmes fidèles. Mais de nos jours, les pèlerins se font rares... Les mémoires me manquent et celles que tu portes en toi pourraient enrichir mes archives. Offre-les et demande ce que ton être convoite ardemment.

    Avec la guerre, la destruction des terres shouméennes, ce n'était pas difficile d'imaginer que ces lieux furent délaissés par les religieux. Plus personne ne se risquait jusqu'ici, mis à part quelques fous alliés, dont elle faisait vraisemblablement partie.

    — Ainsi soit-il. Échangeons nos richesses.

    Il avait suffit de son approbation pour que le pacte fut scellé. La plume vola jusqu'à la main libre du scribe. Il s'en empara et vint chercher son encre directement à la source, au bras qu'il maintenait fermement dans son autre main. De la pointe de la plume, aiguisée comme la lame d'un rasoir, il traça une ligne dans la chair de l'Ange, trempa son outil dans le sang noir. Siame grimaça, échappa un gémissement, eut le sentiment qu'on venait de la frapper avec violence dans le ventre. Un frisson lui parcourut l'échine et il lui fallut faire preuve d'un effort immense pour retrouver son souffle. Dans son dos, une sensation brûlante raviva ses plaies. Par réflexe, les doigts de sa main libre vinrent se crisper sur ses cicatrices et elle s'étonna de sentir l'humidité du sang chaud sur ses doigts. Ses blessures venaient de se rouvrir et le tissu de son vêtement blanc s'imbiba d'un sang sombre et poisseux. C'était une magie étrange, ancienne, qui s'immisçait en elle, révaillait les souvenirs.

    — Raconte-moi, tonna le scribe.

    Et l'Ange raconta.

    × × ×

    — Je te remercie.

    Plusieurs heures s'étaient écoulées, durant lesquelles Siame avait retracé un à un les événements de sa vie, depuis aussi longtemps qu'elle se souvenait : depuis sa création, son arrivée sur les Terres du Sekai. Sur les parchemins de pierres, dans cet étrange temple souterrain, son histoire prenait désormais la forme de mots d'hémoglobine. La pointe de la plume était noircie du sang dont elle était venue s'inonder plusieurs fois dans les veines de l'Ange. Quand le gardien libéra enfin son poignet, des rougeurs le parsemaient tout entier. Siame le frotta pour dissiper l'engourdissement.  

    — Prends ce que ton cœur désire, créature céleste.

    L'Ange se redressa alors, et sans plus de cérémonie pour le sacré, et s'empara de la plume qui lui était offerte. Lorsque ses doigts touchèrent la pierre, elle s'insuffla aussitôt d'une magie ancienne, se fissura, pour s'effriter et disparaître : tout comme cela venait de se produire, quelque part, un peu plus loin dans les Rocheuses. Pour une tout autre créature.
    Et comme cette dernière, l'imitant sans le savoir, l'Ange ferma les paupières. Son corps ne fit plus aucun geste, et sa conscience fut projetée à plusieurs kilomètres, là où se trouvait la porte du Temple des Secrets.

    × × ×

    Dans un silence fantomatique, la projection s'avança au-devant de la porte, laissa son regard courir sur les visages qu'elle avait rencontrés plusieurs heures auparavant. Ils étaient désormais silencieux, endormis. Mais l'un d'entre eux semblait maintenant parfaitement pétrifié. Non. Pas un...
    Deux. Elle redressa la tête vers les deux plumes qui étaient venues s'inscrire dans le tableau. Siame fronça les sourcils, réalisant non seulement qu'elle n'était pas seule sur cette quête, mais qu'elle n'était pas seule à ce moment précis.

    Elle fit volte-face et constata que son concurrent se trouvait là, lui aussi, sous forme astrale, sous forme d'un œil dérangeant. Un œil qui aurait pu lui être familier... Mais ses souvenirs étaient lointains, trop lointains, et si Siame connaissait l'existence de "Savoir", l'avait déjà aperçu dans ses transes 6 000 ans auparavant : sous cette forme, elle est incapable d'identifier le démon. Curieuse, elle fit un pas premier en sa direction. S'approcha davantage pour venir se placer juste devant, en plongeant ses propres prunelles grises dans celle – unique – de la projection.

    Elle fut intriguée par l'étrange projection, par cet l’œil gigantesque qui se dessinait dans l'obscurité, aussi imposant qu'énigmatique. Il lui donnait le sentiment d'être scrutée, l'observant avec l'avidité des âmes en quête de savoir. Sa présence, aussi immatérielle fut-elle à ce moment, évoqua à Siame le poids d'une observation constante, comme si chacun de ses traits, chacun de ses mouvements étaient soigneusement analysés, chaque pensée lue dans les lignes de son esprit. Elle eut la sensation troublante, désagréable, qu'on poussa les limites de son intimité. C'est pourtant sans hésitation qu'elle tendit son bras dans sa direction, et que ses griffes se refermèrent sur lui, possessives, conquérantes et belliqueuses. Sa main vacilla, traversa la projection immatérielle. Malgré tout, le sentiment de cette rencontre lui fut parfaitement tangible. Elle resta là un moment, à l'observer en retour, imprégnée de cette sensation fugace d'avoir effleuré quelque chose de plus grand, un souvenir qui échappait à sa mémoire.

    Qui es-tu... Pourquoi souhaites-tu toi aussi ouvrir ces portes ?

    Ses questions se perdirent dans son esprit. Qui que ce soit, il était hors de question qu'elle le laisse parvenir à l'intérieur du temple avant elle.


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  • Ven 12 Avr - 18:33



    La silhouette fantomatique qui lui fait face est pour le moins énigmatique, Savoir reconnait sans peine une des manifestations de l’arcane astrale qu’il utilise lui-même mais la personne dépeinte devant lui dans ces volutes de mana personnifiées reste un mystère pour l’azsharien. L’oeil stabilisé d’Ica oriente sa grande pupille dans le regard perplexe de l’apparition, il n’est pas aussi bon que Comp pour déceler les indices dans le comportement des gens et pas aussi fiable que Ra pour se souvenir de l’avoir déjà croisé autrefois, mais il a d’autres atouts. En l’occurence, son obsession viscérale pour l’accomplissement de ses objectifs allait cette fois lui servir, puisque la première pensée de l’oeil violacé alla au danger représenté par la présence étrangère en constatant qu’une deuxième tête s’était pétrifiée. Lorsque la forme féminine approche du globe oculaire intangible et passe une main éthérée dans le pseudo-corps vitreux d’Ica, sa voix inexpressive et platonique énonce:

    ”Intrigué. Qui es-tu? Est-ce que tu connais la nature de ce qui est enfermé dans ce temple?”

    Mais en raison de la distance qui séparait le Démon poly-oculaire du point visé par sa projection, sa question parue de façon hachée et inintelligible, quelques bribes de langage commun parvenant tout de même à se frayer un chemin jusqu’au Temple dans une prononciation archaïque incompréhensible. Se rendant compte de la futilité de poursuivre l’échange, Savoir pondère plutôt s’il ne devrait pas se téléporter au Temple, mais sa réflexion s’interrompt aussitôt qu’elle commence devant les objections trop nombreuses. Aller au Temple serait un mouvement perdant pour l’azsharien, s’il allait tenter de rencontrer son adversaire il n’était pas garanti de pouvoir soutirer quoi que ce soit d’une apparition spectrale, si ce n’était de divulguer des informations à sens unique sur sa propre identité et ses capacités, ainsi que possiblement donner sa signature de mana à une éventuelle traqueuse. L’autre désavantage réside dans le temps perdu et la sécurité, une téléportation à grande distance lui coûterait trop de mana et le laisserait passablement vulnérable à une embuscade, sachant qu’en plus il n’a aucune garantie qu’une fois sur place l’inconnue continuerait d’amasser des plumes. Sa seule solution viable est de poursuivre la quête de plumes pour pouvoir approcher de l’ouverture du Temple, il pourrait aviser de la meilleure stratégie à adopter par la suite en fonction du comportement de son ennemie.

    Rompant donc le contact de la projection astrale, l’oeil d’Ica au Temple se désagrège dans un crépitement lumineux qui consume l’iris et la pupille géante, replongeant l’entrée des Secrets dans une pénombre partielle trompée uniquement par la présence restante de la femme éthérée. Le véritable optique du Démon se rouvre alors de son côté pour regarder les Rocheuses glacées avec un silence consterné, il n’a aucune idée ou indication d’où procéder ensuite et le temps joue maintenant foncièrement en sa défaveur… enfin c’est sûrement la même chose pour son adversaire.

    ”Intransigeant. Nous reprenons les recherches, c’est la seule chosze à faire.”

    L’enveloppe charnelle de Savoir se dématérialise alors subitement, ne laissant dans les airs qu’une forme rémanente de son oeil qui se dissipe lentement sous les timides rayons du soleil hivernal. Alors que le Démon de la Connaissance réapparaît autre part, il scrute maintenant les environs pour analyser la topographie des lieux, tentant d’identifier le moindre endroit qui lui paraîtrait suspect. Savoir est en quête de formations particulières, des ravines abruptes, des entrées de caves naturelles, des gouffres difficiles d’accès ou des passages étriqué qui pourraient mener à de plus grands réseaux souterrains. S’il en croit la première plume qu’il a réussi à localiser c’est en explorant des endroits reculés qu’il pourra mettre la main sur d’autres de ces artéfacts. Perché en haut d’un des monts des Rocheuses, il possède un vaste panorama lui révélant nombres de points d’intérêts, mais plutôt que de tous les inspecter un par un il vaudrait mieux par gain de temps perdre quelques minutes à évaluer les niveaux d’intérêts pour pouvoir explorer les lieux les plus prometteurs en priorité. L’organe optique d’Ica se transforme alors singulièrement, sa pupille se rétracte sans pour autant s’accompagner d’une contraction de son iris, désolidarisant ainsi l'épithélium antérieur de l’orifice menant au corps vitreux et laissant le cristallin flotter magiquement dans les airs sous la couche cornéenne. Cette dernière se désintègre alors temporairement et la lentille organique se met à léviter devant la sphère oculaire, dans le même mouvement l’iris maintenant débarassée de l’assemblage cristallin se contracte soudainement pour réduire la taille de son obturateur, modulant ainsi l’afflux de lumière à l’intérieur de l’oeil. Le cristalloïde du corps focal se désagrège également, libérant le cortex, le noyau et la capsule postérieure pour que ces trois éléments réfractant se séparent.

    Par ajustement télékinétique des différentes lentilles, Ica fort de son acuité visuelle décuplée inspecte maintenant méticuleusement chaque détail du paysage. Est-ce que ce renfoncement de neige mérite investigation s’il peut cacher une entrée dérobée? La présence de traces de pas sur cette corniche montagneuse là bas ne signifie-t’elle pas que cette crevasse est déjà explorée? Le nid d’aigle ici est-il un indicateur d’une activité quelconque? Est-ce que cette roche-ci est simplement dotée d’une géométrie improbable due au hasard ou est-elle le reste d’une pierre taillée indiquant une construction? Des téléportations successives lui apportent des réponses les unes après les autres, sans succès, mais Ica n’abandonne pas pour autant, c’est le propre de son acharnement caractériel pour remplir les buts que son obsession lui fixe. Savoir passe des heures entières, heures qui se transforment en jours, à chercher inlassablement la prochaine plume qui tombera sous ses serres, prenant garde de rester à l’intérieur des Rocheuses tant qu’il n’a pas la certitude que la région n’a pas été quadrillée. Lorsque la nuit tombe et l’empêche d’y voir clair, le Démon use de sa magie de lumière pour générer des astres artificiels et éclairer les environs, lui permettant de poursuivre sa quête à un rythme ralenti. Finalement, ce n’est pas en inspectant une des curiosités inexplorées qu’il tombe sur une nouvelle plume mais en se téléportant sur un autre mont pour prendre de la hauteur, alors qu’il entendait se repositionner pour profiter d’un panorama, Savoir se manifeste devant une ouverture creusée à même la roche et qui descend en une colonne sombre vers les tréfonds, le Démon s’approche dangereusement du bord du précipice et regarde à l’intérieur avec curiosité.

    ”Anormal. la régularité géométrique de cette colonne ne peut être le fruit de l’érosion naturelle.”

    Contrairement au puit sans fond dans la grotte où il avait disputé la première plume, le diamètre de trou-ci est bien plus petit, le Démon pourrait donc se permettre de le naviguer. Les petites vaguelettes ondulantes violacées dans la pupille d’Ica s’agitent avec intensité alors que des côtés de son globe oculaire commencent à pousser une multitude d’excroissances lumineuses rappelant la crinière radieuse d’Éva lorsque la Juge se bat, mais à l’inverse des rayons de lumière de cette dernière, les appendices auxquels Ica fait appel sont ici visiblement articulés en plusieurs jointures qui imitent les grandes pattes filiformes d’un arachnoïde. Les huits membres factices continuent de pousser en longueur, remuant dans les airs à la recherche d’un appui au sol alors qu’elle s’allongent, pour au final s’enfoncer dans la neige jusqu’à soulever le corps de Savoir. Juché sur les huits pattes, Ica trône ainsi sur ses nouveaux membres incandescents alors que le reste de son corps humanoïde, rattaché au globe oculaire par le filament organique qui unit ses yeux à la prolifération de chair thoracique, pend comme une marionnette désarticulée au gré des mouvements du céphalopode improvisé. Les griffes qui terminent les pattes arachnides s’enfoncent dans la paroie de la pierre et commencent la longue descente dans le coeur de la montagne, abaissant le corps du Démon au fil de sa progression.

    Parvenu jusqu’en bas de la colonne, une des pattes d’Ica attrape le vide et l’azsharien cesse immédiatement sa progression. Une bulle de lumière glisse des mains de Savoir vers les tréfonds pour révéler une petite pièce en forme de dôme excavée dans la montagne, le plafond incurvé est parsemé de divers tunnels d’aération à l’utilité obscure tandis que des inscriptions en caractères rigides et longilignes décorent le pourtour de la salle.

    ”Confiant. Le sol n’est qu’à quelques mètres.”

    L’entité de connaissance se laisse choir au sol et se réceptionne à la fois avec les pattes tarantulaires d’Ica mais aussi avec ses propres jambes ramifiées, puis il inspecte de plus près les orifices de la pierre.

    ”Observateur, il semblerait qu’un courant d’air soit perceptible dans ces tunnels, nous nous demandons à quoi peuvent-ils servir… et où mènent-ils?”

    Si les conduits débouchent à l’air libre, cette pièce ne devrait-elle pas être remplie d’eau ou de neige? Le Démon inspecte par un certain réflexe le sol de pierre à la recherche d’une évacuation quelconque mais son regard inquisiteur s’arrête à la place sur les gravures qu’il n’avait jusqu’ici pas relevé. À mieux y regarder -alors qu’il augmente également la luminosité de sa bulle luminescente- il se rend compte que la salle est dotée d’un sol en pierre d’un seul tenant, d’un rayon de cinq mètres et quelques, et qu’à l’instar des murs elle est ornée d’un réseau circulaire de lignes et de gravures qui y dessinent une figure labyrinthique. Ce qui l’interpelle surtout c’est le petit cylindre central de cette figure qui semble cependant ne pas faire parti du reste de la roche. En s’approchant Savoir abaisse son oeil pour voir des inscriptions en divina nommant les différents éléments magiques, ainsi que deux formes creusées ressemblant à des poignées. Il cale donc les doigts de son bras humanoïde dans les anses et tente de soulever le cylindre rocheux sans succès, une sorte de mécanisme retient le tout de pivoter ou de se relever. L’oeil d’Ica parcours frénétiquement le reste de la pièce à la recherche d’indice supplémentaire et décide donc enfin d’accéder à la requête en langue des Titans, il insuffle donc sa magie dans la pierre et presque immédiatement, les gravures qui tapissent la pièce se remplissent d’une sorte de lumière liquide qui se répand dans les rainures pour illuminer la salle. Le cylindre de pierre se déverrouille alors et en l’extirpant du sol, il révèle en son sein un promontoir doté d’une barrière magique tangible mais transparente qui laisse voir derrière elle la plume pétrifiée objet de sa convoitise.

    ”Trouvé. Trouvé.”

    Un bruit attire immédiatement l’attention d’Ica, et comme pour la première plume il se prépare tout de suite à réveiller Alys en réponse, cette fois ce n’est pas la marche d’une armée insectoïde qui le dérange mais plutôt une ribambelle de sons sifflants qui émanent des conduits.

    ”Attentif, quelle épreuve se dresse donc devant nous?”

    Surgissent alors de chacun des douze tunnels qui parsèment les murs, un même nombre d’étranges objets métalliques finement sculptés.

    ”Étonné. Des sifflets?”

    De larges tubes présentant des marques de rouilles disparates selon les exemplaires virevoltent devant les entrées des conduits par une magie télékinétique de source inconnue, Savoir observe attentivement chaque sifflet, ils varient en taille et donc fatalement en note et présentent tous des fentes plus ou moins larges pour permettre l’écoulement de l’air. Le Démon attend une nouvelle activité de la part des instruments magiques mais plus rien ne se passe, les sifflets semblent simplement être stationnaires.

    ”Dubitatif, que sommes-nous sensés faire?”

    Confronté à quelque chose qui lui échappe et dont il ne parvient même pas à concevoir le moindre début d’explication, la conscience de Savoir stimule un autre de ses yeux avec une grande intensité, et lorsque l’iris verdâtre fait son apparition après avoir désintégré la paupière qui le dissimulait, la voix nasillarde de Ra prend la parole:

    ”Les notes jouées par ces sifflets sont des sons purs composés uniquement d’une vibration fondamentale.”
    ”Incompréhensif, et alors?”
    ”D’après les partitions musicales des Fondateurs, la présence simultanée de plusieurs instruments servant en utilité première à la création de musique doivent respecter un certain tempo pour constituer une mélodie.”
    ”Penseur, nous devons trouver cette mélodie?”
    ”En l’absence d’autre indication sur la mélodie à jouer, nous pouvons ou bien supposer qu’il n’y a qu’une solution unique dont la clé a été perdue avec le temps, ou alors qu’il existe d’autre réponses que nous ne concevons pas.”
    ”Contrarié. Devrions-nous procéder par méthodologie brute?”
    ”Cinq cent millions de possibilités puisque les sifflets n’ont pas l’air intervertibles, l’investissement de temps est trop élevé. C’est en admettant aussi que chaque sifflet ne doit être utilisé qu’une seule fois.”

    Alors que c’est Ica qui possède les commandes du corps de Savoir, l’entité néfaste élève une main pour utiliser sa télékinésie sur l’air ambiant et effectuer une sorte d’appel, faisant ainsi passer l’air à travers un des sifflets, il provoque un petit sifflement strident et pur qui résonne dans les tunnels. Le Démon tente de réitérer l’opération sur différents sifflets pour essayer de déterminer des indices supplémentaires sur la séquence à jouer, en vain.

    ”Frustré. Il n’y a pas d’autres éléments apparents à ce puzzle.”
    ”Dater la construction de cet endroit pourrait peut-être apporter un élément de réponse déterminant…”
    ”... Pessimiste. Le divina semble indiquer un âge supérieur à cinq mille ans, hormis cela, la salle est magiquement préservée. Impossible d’aller plus loin.”

    Un long silence ensuit cette remarque pendant que les consciences de Savoir se rendent à l’évidence, il y a un détail crucial du puzzle qui lui échappe et en sachant que les arts sont une technique dans laquelle il faibli grandement dû à son absence d’émotions et son éloignement de la complexité des pensées mortelles, il lui manque sans doute quelque chose pour comprendre comment fonctionne l’installation.

    ”Pragmatique. Nous connaissons maintenant la position de cette plume, nous n’avons qu’à y revenir plus tard. Il nous faut continuer nos recherches.”

    Et le corps du Démon défait se dématérialise de nouveau, abandonnant une plume et concédant un avantage de temps à l’adversaire qu’il sait, poursuit lui aussi la même quête avec acharnement.
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  • Dim 5 Mai - 22:36


    Les mots avaient flotté dans l’air sans qu’elle ne parvienne à les distinguer. Le porteur de cet œil était vraisemblablement positionné trop loin. Il use de la même magie qu’elle, et l’Ange se trouve à sourire imperceptiblement. Alors c’était “lui” son concurrent ? Les questions se bousculent dans son esprit, mais Siame les chasse aussitôt. Qui était-il, que voulait-il, tout ça n’avait aucune importance. La seule chose qui comptait c’est qu’elle mette la main sur ces plumes en premier, car qui qu’il soit, si ses ailes reposaient dans ce temple, il était absolument hors de question qu’elle le laisse la devancer. Sa main s’était refermée sur un crépitement coloré, dans une bravade plus qu’une réelle menace. Un mauvais pressentiment lui prit la poitrine. Aussi audacieuse pouvait-elle se montrer, l’Ange n’avait aucune envie de rencontrer la créature qui se cachait derrière cette apparition.

    Une seconde plus tard, ses propres contours avaient vacillé pour ne laisser, devant le temple, que le souvenir de son apparition.

    Par où aller, maintenant ?

    Dans son cas, elle n’avait aucune personnalité multiple pour lui répondre. L’Ange était entièrement livrée à elle-même. Ces stupides gargouilles, aussi bavardes avaient-elles pu être, n’avaient pas eu la bonne idée de lui donner la moindre indication concernant la position des plumes. Autrement dit, cette quête risquait de lui prendre un temps fou—temps qu’elle se devait en plus de partager. À défaut d’une capacité d’analyse inhumaine, l’Ange, elle, fait confiance aux signes. Là où Savoir ne perçoit que la présence des aigles, Siame voit dans leur nombre – deux – une bénédiction : un chemin à suivre. Les Cieux ont un jour été sa maison, et elle leur fait confiance. Cela ne rend pas le voyage ni moins long, ni moins pénible, mais il semble qu’elle “sait”—puisque de toute manière, elle n’a pas d’autre choix. Au diable toutes les croyances divinistes que l’Ange rejetait, il y avait bien encore des choses auxquelles elle acceptait de croire : parce que l’émotion provoquée par le souvenir d’un vol partagé un jour avec sa sœur, ça, ça lui était bien réel.

    Comment était-elle arrivée au même endroit que son concurrent ? Tout cela relevait du mystère. Mais ce qui était certain, c’est que l’Ange avait fait son entrée dans la grotte bien après que le démon soit passé. Et qu'elle était épuisée, lorsqu’enfin, elle avait touché le sol. Sa descente à elle n’avait pas été aussi gracieuse que l’avait été celle de l’entité concurrente : non, la roche avait râpée sa chair tandis qu’elle tombait, son corps se bousculant entre chaque paroie du précipice. Curieusement, Siame accueillit la douleur éprouvée comme une vieille amie. Elle avait relevé la tête, le corps et les muscles encore endoloris des épreuves qui l’avaient alors mené jusqu’à cette petite grotte. Devant elle, brillant à travers une barrière magique, sur un promontoire préalablement ouvert : la seconde plume.

    Trouvé. – elle se relève péniblement et ses mots font écho à ceux d’une tout autre entité – Trouvé.

    Il semblait que la pièce avait été laissée à l’abandon, l’épreuve tout juste commencée. Lui avait-on mâché le travail ? Qu’importe, la plume était toujours là. Et Siame n’était pas aussi prudente que Savoir savait l’être. Elle s’avança en direction de la plume, et sa main jaillit pour s’en saisir. La barrière magique crépita, lui brûlant le bout des doigts et lui arrachant par la même occasion un juron étouffé. Elle porte la pulpe de ses doigts à ses lèvres pour apaiser les brûlures et prend alors le temps d’observer la pièce dans laquelle elle se trouve désormais. Autour d’elle, les murs sont remplis comme des pages, de mots qu’elle ne connaît que trop bien. Ce sont des paroles, des chants qu’elle a un jour chantés. Seule, ou accompagnée. De sa sœur, la plupart du temps. Le souvenir de Phèdre se dessine partout entre les lignes, sur la roche, et l’Ange croit presque entendre son rire, comme une mélodie. Devant elle, les sifflets se mettent à pulser d’une lueur familière. L’ordre, le rythme, les notes, elle les connaît.

    Fa—c’est une après-midi ensoleillée, passée sous l’arbre majestueux siégeant dans la cour du temple de Célestia. Sa sœur et elle se partagent leurs secrets, comme des trésors précieux, et leurs rires résonnent comme une symphonie joyeuse.

    Do—c’est une nuit d’orage, qui gronde comme une mère ; qui griffe et rythme le ciel comme un métronome. Phèdre se précipite dans le lit de Siame, se réfugie sous ses couvertures et dans ses bras—elle n’a pas vraiment peur, il s’agit simplement d’une excuse pour la réveiller et profiter de sa présence. Siame le sait, mais elle ne lui fera jamais remarquer.

    Mi—c’est l’approche de Noël, et Phèdre qui s’envole sans attendre que l’on ait entièrement terminé de décorer le sapin, pour aller y accrocher l’étoile, tout en haut de la cime. Elle ricane comme une bécasse, car elle sait qu’en bas, on la regarde avec désapprobation. Sauf Siame. L’espace d’un battement de cœur, elle la rejoint pour se tenir à ses côtés. Son sourire est un accord parfait à celui de Phèdre.

    La—c’est les larmes muselées de sa sœur, qu’elle adresse à l’enfant qu’elle vient d’accoucher, et qu’on lui retire sans même la laisser le regarder—parce que c’est son rôle d’engendrer, mais pas d’aimer. Elle ne se plaint pas, mais lorsque Siame la rejoint sur le lit, et qu’elle lui demande si elle veut bien d’elle, elle perçoit la morsure salée dans sa voix, quand elle lui dit “oui, viens avec moi”. Les mots sont étranglés, rauques, les arpèges d’une tristesse qu’elle n’exprimera jamais.

    Si—c’est le crépitement de la cire chaude qui grésille sur sa nuque et sur celle de Phèdre, toutes deux courbées pour la prière. Leurs genoux sont meurtris par le dallage froid du temple, et leurs mains liées l’une contre l’autre par une corde leur mordant la chair. Car c’est par la douleur que naissent les plus belles mélodies, les plus beaux chants, ceux qu’on érige sur les murs d’une chapelle oubliée.

    Les souvenirs s’enchaînent les uns après les autres, tandis que la mélodie résonne contre les parois de la grotte et que les notes se confondent entre elles. L’Ange retrouve alors sa contenance, et remet des parenthèses autour de ses souvenirs, enserre à nouveau son cœur dans ses mains en coupe. Quand elle se relève finalement, les contours de la barrière magique qui emprisonne la plume oscillent. Oscillent seulement—comme le rappel doux-amer d’une symphonie inachevée. Quelque chose manque. Siame prend une vive inspiration entre ses dents.

    Que manque-t-il ? Elle le demande dans un souffle, sans personne à qui s’adresser. Sans personne pour lui répondre. Elle réalise alors qu'elle n'a jamais été plus seule qu'à ce jour.

    Il lui manque une note. Il lui manque un souvenir. Quand Savoir possède un livre infini de capacités, d’informations parmi lesquelles piocher, Siame, elle n’a que sa mémoire et, certaine fois, celle-ci lui fait défaut. Car il y a des choses qu’elle a préféré oublier, enterrer quelque part tout au fond d’elle-même pour ne jamais avoir à se les remémorer. Il y a certaines notes qu’elle refuse de jouer. C’est là une pensée trop dangereuse, vers laquelle elle se force à aller.

    C’était la première fois depuis qu’elle avait fait son premier pas hors de sa prison de marbre, que l’Ange éprouve une émotion, une vraie. Le mot la hante. Elle sent sa nuque se raidir et sa gorge se nouer. La douleur physique n’est rien à côté de la vague de culpabilité qui s’empare d’elle. Quelque chose tout au fond d’elle enfle à toute vitesse, et soudain, la tristesse l’emporte. Elle tente de chasser les larmes sur ses joues, comme une toile d’araignée qu’elle viendrait de se prendre en pleine figure, mais rien n’y fait, et elles continuent de couler.

    Sol—c’est une trahison qu’elle ne lui a jamais révélée. C’est un enfant, que sa sœur avait mérité. Celui-ci n’était destiné à aucun autre mortel, n’appartenait à aucune prophétie. Peut-être car Phèdre avait-elle seulement aimé le Père ? Peut-être était-ce le seul qu’elle avait vraiment désiré ? Siame n’en a aucune idée, elle ne lui a jamais demandé. Elle sait seulement que lorsqu’elle regarde dans l'abîme de son regard bleu – identique à celui de sa sœur – aucune vision n’accompagne son visage. Ni laideur, ni quelconque beauté. Une Âme bien plus qu’innocente, née sans but autre que celui d’Aimer et d’être Aimé. “Mort prématuré”, lui avait-elle dit, tandis qu’elle s’emparait de l’enfant. Elle ne pouvait pas le lui laisser : de peur de voir sa sœur se détourner de sa mission première ; de peur de la voir chérir la vie d’un nouveau-né plus que la sienne et que vienne le jour où elle se sacrifierait pour lui. Car c’est ce qu’il se passe lorsqu’on aime, pas vrai ? L’Ange abandonne sa sœur exténuée, prend son envol pour le Mont Kazan, où elle abandonnera l’enfant, comme elle l’a fait trop de fois auparavant.

    Non, bredouille-t-elle d’une voix qui lui fait horreur, aussi forte que fausse, c’est une mauvaise note. Elle n’appartient pas à cette mélodie.

    Les sifflets se mettent à pulser de plus belles, et les notes s’enchaînent éternellement les unes après les autres, courent après celle qui leur manque pour achever l’histoire, se plantent en elle comme une partition de mille coups de couteau. Siame les fixe avec la sensation nauséeuse, insoutenable, de s’être trompée sur toute la ligne.

    Je n’avais pas d’autre choix, il fallait que quelqu’un le fasse, tente-t-elle de se justifier (à qui ? personne d’autre qu’elle-même). Elle ne me l’aurait jamais pardonné… Elle décroche des mots comme des flèches, mais sans personne pour les écouter, ils se réverbèrent contre la pierre et lui reviennent en plein cœur.

    Ses épaules chétives se voûtent autour de son corps, et finalement, elle lève la main au-dessus d’elle. Ses doigts remodellent l’air aux alentours, décrivent la mélodie une fois de plus. Elle est inégale, interrompue par une volonté qui vacille, refuse d’accepter un souvenir qu’elle a choisi d’enterrer ; jusqu’à qu’elle finisse par s’y forcer. Elle s’en veut, plus que jamais, de l’avoir fait pour cette raison : pour cette plume idiote qui repose dans ce cylindre idiot—pour son égoïsme infini qui lui chante aux creux de l’oreille ce qu’elle sait déjà : elle ne mérite ni sa sœur, ni son pardon, ni ses ailes qu’elle crève désespérément de retrouver.

    Siame ne s’empare pas de la plume. Elle reste là, le visage blotti contre la paume de ses mains, recroquevillée sur elle-même, contre le sol dur de la grotte, longtemps. Si longtemps que les minutes se transforment en heures, puis en jours. Elle pleure les larmes restées enfermées 5 000 ans dans le marbre, et la tristesse laisse alors place à une honte infinie.

    Le soir du sixième jour, Siame a froid, faim et soif, si bien que sa gorge lui donne le sentiment d’avoir avalé des ronces. Lorsque l’Ange sortira finalement de la grotte, c’est sans plume qu’elle reprendra son chemin. C’est un aveu de faiblesse, mais tant pis. Derrière elle, elle laisse la plume à un Autre ; abandonne une mélodie que la sensibilité affectée du démon ne lui permettra jamais de réellement distinguer. Lui, n’a plus qu’à venir la cueillir. Elle, refuse ces souvenirs qui avaient pris vie autour d’elle, dans cette grotte—des souvenirs qui la traqueraient à jamais si elle avait décidé de s’emparer de cette fichue plume. Elle n’est pas encore prête pour ça. C’est trop tôt dans son histoire. Sans doute devrait-elle les affronter à nouveau, mais pour l’heure, il lui faut reprendre sa route—reprendre sa quête, trouver une nouvelle plume. Le soleil vient caresser sa peau en même temps que l’air frais des monts rocheux. Le staccato de son pouls semble enfin s’apaiser. Qu’on lui donne tous les chemins tortueux à arpenter, des chemins couverts de sang et de fatalité s’il le faut, tant qu’elle n’a pas besoin d'affronter le moindre sentiment.


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  • Mer 8 Mai - 4:55


    La trainée de multiples sillons irréguliers laissé dans la neige par le passage de Savoir semble éventrer la parfaite platitude du drap blanc déposé sur la plaine. L’hiver est probablement la seule saison désormais où le Shoumeï puisse encore être qualifié de terre mystique, car le dépôt de poudreuse permet de dissimuler la dévastation divine du pays derrière un voile illusoire et éphémère d’une blanche beauté. Les arbres décharnés et morts paraissent naturels, l’absence de vie faunique peut être attribuée à l’hibernation à la place de l’extinction apocalyptique et le calme surnaturel est raccord avec la saison noire. Seul au milieu des vastes étendues désertées, Savoir progresse toujours et encore à la recherche des prochaines épreuves qui gardent les plumes de pierre, en vain. Il s’est écoulé bien trop de temps depuis sa dernière -et première- acquisition d’une plume, et son échec récent ne cesse de revenir à l’esprit d’Ica qui, obsessionnel au possible, est habité par la hantise que son adversaire ne mette la main sur cette artéfact qu’il n’a pas su libérer. La créature profondément placide ne ralentit cependant pas sa quête, puisqu’elle sait que d’autres épreuves lui donneront certainement plus de réussite. Ce n’est pas parce que la dernière plume rencontrée nécessitait des caractéristiques constituant l’apanage des Mortels telles que des émotions, que les autres en seront de même, preuve à l’appui que la première plume ramassée était tout à fait dans les cordes du Désintégrateur d’Azshary. Il continue donc d’avancer, encore et toujours, inconscient du fait que c’est justement à cause de ces mêmes émotions que son opposant n’a pu s’emparer de la Plume des Harmoniques quand bien même elle l’a vaincue.

    La plume…

    S’immobilisant soudainement au milieu de nul part, la membrane nictitante de l’oeil ouvert d’Ica se matérialise pour refermer l’organe optique, tandis qu’ailleurs, loin des plaines, loin des déserts blancs, sur le pic d’une montagne près d’un nid d’aigle, une manifestation arcanique apparaît et forme une iris violacée qui inspecte le gouffre que le Démon avait délaissé il y a maintenant près d’une semaine. Les images viennent à l’entité poly-oculaire avec cette fois une grande netteté en raison de la distance bien moindre qui le sépare de l’épreuve des sifflets, et cachée sous son voile de paupière factice, la pupille d’Ica se rétracte brutalement en constatant l’évidence: il n’y a peut-être aucune trace dans la neige renouvelée chaque nuit, mais ce qu’il entend en provenance du trou béant ne laisse aucun doute, quelqu’un a trouvé la plume… et ce quelqu’un y est encore.

    Le Démon de la Connaissance cesse immédiatement sa projection astrale par delà les cieux pour commencer la canalisation d’une téléportation, et son corps se désagrège subitement sans un flash de lumière, sans un bruit. Il cesse simplement d’exister en laissant sur la plaine une piste sans proie, un sillon de traces à la fin abrupte au milieu de rien, sa présence s’est purement envolée. À des kilomètres et des kilomètres de là, en haut du tunnel descendant dans les entrailles de la montagne qui renferme la plume musicale, la silhouette menaçante de Savoir se matérialise tout aussi subitement qu’elle ne s’est évaporée tantôt. L’iris violette d’Ica se morphe étrangement tandis que les vagues qui l’habitent se troublent et se complexifient en un méandre filandreux pour adopter une structure bien plus proche de celle de l'épithélium d’un oeil humanoïde, et sa couleur transitionne progressivement du violet à une teinte plus chaude jusqu’à atteindre celle d’un profond rouge carmin. Alys s’éveille en silence sous l’injonction maudite d’Ica et l’oeil désintégrateur fixe de sa manicomanie habituelle le puit de noirceur.

    Les pleurs, il les entend, comme une complainte incessante qui monte en échos contre les parois du tunnel, Savoir écoute le son des sanglots qui viennent se réverbérer jusqu’à l’air libre aussi fort que s’il était à côté de leur source, il y a quelqu’un dans la salle en bas du conduit, mais s’y téléporter directement serait un risque inconsidéré tandis qu’user d’une projection astrale pour inspecter les lieux d’abord achèterait à sa proie le temps d’une éventuelle téléportation, il allait donc devoir descendre dans les abysses ou… ou attendre que sa future victime ne remonte. Bien moins impatient que les fixations compulsives d’Ica, Alys se prostre donc à l’ouverture du gouffre et attend. Un bruit de pas se fait bientôt entendre du conduit de pierres et l’oeil carmin écarquille sa pupille pour maximiser le gain de lumière, les ténèbres obscures qui dissimulent l’intérieur du tunnel sont impénétrable, mais le son en revanche est un excellent indicateur. Ça remonte, les pleurs s’intensifient, ça se rapproche. Bientôt…

    Bientôt.

    Là.

    Alys perçoit le fin mouvement dans le noir trahissant la silhouette qui s’en détache, d’un coup d’un seul un faisceau de lumière concentré fuse en une ligne droite chirurgicale et perfore la cible de part en part, sa victime qui peinait dans son ascension tombe à la renverse, dégringole le tunnel de pierre pour retourner à la case départ et aller s’effondrer au fond de la salle dans un bruit lourd qui explose en résonance.

    Touché.

    ”Analyse conclusive: cible abattue…” Mais dans ce cas, pourquoi entend-t’il toujours les pleurs? ”... correction, conclusion erronée. Étude nécessaire.”

    Faisant un pas en avant, le Démon use cette fois de la magie d’Alys pour déployer de puissantes serres de lumière et freiner une descente bien moins contrôlée que la première dans le précipice de la plume, lorsqu’il quitte le tunnel qui débouche sur le plafond, Savoir atterrit avec fracas sur le sol de la salle voutée et constate les changements majeurs qui s’y sont opérés depuis sa dernière venue, notamment dans l’absence de barrière arcanique pour garder la plume désormais libre. Le Premier des Sept dirige le regard de son oeil grenat à ses serres postérieurs, soulevant une de ses jambes racinaires pour observer le cadavre de celle qu’il vient d’abattre. La fourrure ensanglantée d’une chèvre des montagnes s’offre à la vue de son bourreau, tandis que l’animal sous le choc s’exsangue rapidement par l’orifice que le laser a perforé dans sa poitrine.

    ”D’où viennent les…” sanglots?

    Alys remonte sa pupille vers l’origine de la mélodie larmoyante. Tels les traces dans la neige témoignant du passage du Démon sur les plaines, tels les échos d’un passé qui ne s’efface jamais réellement, tels les cicatrices qui gravent les plaies dans le marbre de la chair, les sifflets de l’épreuve des Harmoniques ont modifiés leurs tonalités suite à la défaite de leur épreuve, conditionnés par la tristesse intarissable qui s’est offerte à eux pendant six jours et six nuits, les artéfacts enchantés ont imité la partition des larmes de Siame, honorant la déchirante catharsis à laquelle ils ont assisté. Pourtant, malgré la lourde charge mélancolique portée par ces notes teintées, le Démon incapable de comprendre n’est décontenancé que par la constatation de sa méprise et non par la culpabilité évidente qui transpire de cette nouvelle mélopée. Savoir se retourne vers le socle central de la pièce et s’empare sans cérémonie de la plume qui lui échappait jusqu’alors, afin de la ranger dans un pli de l’armure fusionnée à sa chair.

    De retour dehors, Ica ayant repris le contrôle ne se retrouve pas plus avancé qu’il ne l’était il y a une semaine sur la localisation de la prochaine plume. Il pourrait bien reprendre ses recherches là où il les avait arrêtées, mais une rapide évaluation de ses probabilités de succès étayée par les fruits de son expérience lui démontre la perte de temps colossale que cela entraînerait. Il n’a plus le choix, Savoir va devoir recourir à un moyen plus drastique de traquer les Plumes, et pour ça il doit tout d’abord se rapprocher de Bénédictus. Un jour de téléportations successives de plus et il arrive enfin en vue du lieu convoité, un endroit bien particulier, là où le relief d’ordinaire particulièrement plat du pays est de Shoumeï décrit une entorse pour façonner une cuvette au milieu d’un massif vallonneux. Cette barrière naturelle protège l’intérieur de la dépression de la plupart des dangers usuels qui parcourent le Shoumeï, tout comme il y a trois ans, la topologie l’a aussi protégé du déferlement de puissance titanide qui a ravagé Bénédictus ainsi que de la corruption irradiante qui s’en ensuivie. Le Havre de paix au milieu de la désolation est un des rares endroits des terres dévastées possédant encore une végétation généreuse, souvenir rémanent de ce qu’étaient autrefois les contrées de la théocratie rayonnante.

    L’entité poly-oculaire écarte de ses serres les branches de la dense flore qui lui barre le passage et s’engouffre à l’intérieur de la canopée. Il marche difficilement, là où les ramifications de ses jambes difformes lui donnent généralement un avantage sur les humanoïdes classiques en terme d’appui et d’adhérence, elles le desservent cette fois en se prenant continuellement dans les ronces et les branchages alambiqués qui tapissent l’épaisse forêt. Parvenant enfin à un sentier artificiel taillé là par on ne sait qui, Savoir progresse enfin avec plus d’aisance en suivant le chemin à travers bois, et bientôt le rugissement lointain d’une cascade se fait entendre. Il arrive finalement à un dénivelé abrupt qui marque une bifurcation soudaine, le Démon jette un coup d’oeil en contrebas et observe le fin filet de fumée qui s’élève entre des essaims de Wyrmelins depuis la cheminée d’un cabanon, donc elle est là. L’azsharien suit donc le sentier qui emprunte une corniche naissante pour descendre le long du flanc de la falaise, le fort dénivelé trace parfois des demi-tours soudains dans la roche pour continuer jusqu’à ce que la passage longe le rempart naturel parsemé de lichen et de lierres, puis disparaisse derrière la cascade enragée pour atteindre le plateau qui porte la petite habitation. En passant derrière les trombes d’eau mugissantes il serait normalement impossible pour quiconque de percevoir les fins raclements des griffes de Savoir sur la terre battue, mais ça n’empêche visiblement pas l’habitante de la petite bâtisse de sortir de chez elle pour venir à la rencontre du Démon.

    Quand Savoir l’a rencontrée pour la première fois, Ra s’était immédiatement éveillé tant l’apparence de cette personne est singulière, que ce soit sa peau si noire qu’elle paraît absorber les rayons du soleil à un degré tel que les reliefs de son corps sont difficilement discernables, ou que ce soient ses yeux dont les pupilles sont recouvertes d’un voile laiteux quasi-opaque, Savoir avait tout de suite ressenti une vive curiosité à l’égard de cette mortelle. Un intérêt qui avait porté des fruits plus que juteux puisque l’Ombra s’avérait être dotée d’un don particulier qui motive justement la venue du Démon, comme à chaque fois qu’il vient la trouver. L’ancienne prêtresse diviniste écarte le rideau de sa maisonnée pour faire quelques pas nullement hésitants en direction du nouveau venu, entièrement nue à l’exception d’une peau de bête corrompue par la magie des Titans, les pattes de la créature évidée viennent couvrir les seins de la chamane tandis que le reste de la couverture fait office de cape. La tête de l’animal repose par dessus la crinière blanche immaculée de l’Ombra, des cheveux d’un blanc intense qui, tout comme les tatouages tribaux argentés qui ornent son corps, contrastent vivement avec l’absolu néant qu’est sa peau.

    ”C’est Savoir?” demande l’aveugle.

    ”Annonciateur. C’est nous Marche-Esprit.”

    Une rangée de dents blanches apparaît de nul part là où les lèvres d’un noir parfait se sont sans doute écartées, Ica regarde avec toujours la même fascination le corps étrange de Marche-Esprit tandis que la femme sans âge continue de s’approcher, sa silhouette dont seuls les contours se distinguent nettement du reste de l’environnement est d’une maigreur anorexique. La minceur cadavérique de ses membres, les bosses apparentes de ses côtes, les pourtours anguleux de son visage, tout indique la condition cacochyme de la chamane et pourtant celle-ci ne meurt pas, elle ne paraît même pas en être affectée. L’Ombra arrive se planter devant le Démon qui la domine en taille et elle tend une main intrusive droit devant elle, attrapant la première chose qui lui passe par la main, un des morceaux de tripe qui pend du ventre éviscéré de Savoir, la femme le pince entre le pouce et l’index et l’agite comme la joue d’un enfant en rigolant:

    ”Haha, il est trop drôle celui là je l’adore! Il me fait toujours poiler quand il parle, lui.” Lâchant le bout d’intestin et essuyant ses doigts sur la fourrure de sa peau de bête, la mage fiche ses deux mains sur ses hanches saillantes et ses yeux se relèvent vaguement en devinant la hauteur approximative des globes de Savoir. ”Toi tu veux que je te trouve quelque chose encore, n’est-ce pas?”

    ”Affirmatif. Oui Marche-Esprit.”

    Le sourire de la chamane disparaît dans la nappe d’encre de sa peau, ses épaules sursautent et laisse échapper un pouffement de rire étouffé avant que son palais et sa gorge rose ne se dévoilent dans un ricanement franc:

    ”Bah ha ha ha!” Elle se penche en avant et imite moqueusement le Démon. Affirmatif, oui. On ne sait jamais des fois que ce soit affirmatif et puis en fait derrière c’est non. C’est important de le préciser hein, il y en a qui se trompent!” Marche-Esprit adopte un rire goguenard avant de frapper amicalement Savoir du revers d’une main. ”Rigole, tu sais pas ce qui te tuera demain.”

    Devant le mutisme patient de son invité, l’Ombra calme son hilarité et reprend peu à peu un sérieux plus tranchant, elle se retourne nonchalamment et repart en direction de la maison.

    ”MOI j’ai un service à te demander pour une fois, ça te la coupe hein? Si tu me file un coup de main je te trouverai ce que tu cherches, y’a aucun problème.”

    L’entité pluri-millénaire avance à sa suite, et alors que la propriétaire du cabanon passe sans peine dans l’étroit cadre de porte, la créature déformée à la morphologie éclatée doit se recroqueviller en quatre pour faire passer son support humanoïde dans l’entrée tandis que les filaments de chair qui soutiennent ses yeux suivent le mouvement à un angle improbable. Lorsqu’il se redresse à l’intérieur du cabanon, certains de ses globes optiques en lévitation viennent désagréablement râcler le plafond de chaume.

    ”Disposé. J’attend ton objectif Marche-Esprit.”

    La femme se retourne et pointe du doigt un escabot en bois miteux dont une des planches a récemment cédé.

    ”Là ça, c’est cassé il faut que je m’en refasse un, mais en attendant j’ai besoin du bocal de poudre bissaline qui est là haut…” elle dévie son doigt vers une étagère en hauteur contre un mur et l’oeil d’Ica suit le mouvement. ”... et du coup je peux pas l’attraper.”

    Le Désintégrateur d’Azshary, Geôlier des Six Soeurs, Arme vivante du Compendium et Gardien de la Connaissance s’approche donc de l’étagère et récupère le bocal de poudre blanche pour le déposer dans les mains noires nuits de la chamane qui sourit à pleines dents au contact du verre. Marche-Esprit ouvre le couvercle du récipient et renifle rapidement l’intérieur pour confirmer qu’il s’agisse bien de ce qu’elle voulait, et elle revisse aussitôt le chapeau du bocal.

    ”Voilà. C’était bien? Tu t’es amusé?”

    ”Négatif. Nous n’avons pas de concept d’amusem-”

    ”Et bah maintenant imagine qu’à chaque fois que tu viens ici je te demande de faire ça, c’est à peu près ce que tu fais avec moi. Et j’ai autre chose à foutre que tes commissions.”

    ”Curieux. Comme?”

    La mage semble surprise par la question, elle se redresse et ses yeux parcourent sa maison comme si elle pouvait voir les différents objets rituels et les ingrédients magiques qui la jonchaient en vrac.

    ”Comme… euh… comme comme comme… et bah… d’abord ça se demande pas. Comme m’ennuyer tient. Quand t’es là j’y arrive pas.”

    ”Incompréhensif. N’est-ce pas sensé être une bonne chose?”

    ”Bah non, pas du tout. Mais qu’il est con lui. T’es con hein? Là je m’ennuie pas, et quand tu vas t’en aller qu’est-ce qui va se passer? Je vais m’ennuyer, et je vais m’ennuyer fort, terrible, quelque chose de vraiment emmerdant. C’est toujours comme ça avec toi, tu viens, tu demandes des trucs, je fais des trucs, tu repars parce que t’as eu tes trucs et moi je reste là de nouveau toute seule. Si au moins tu venais quand t’as pas besoin de moi, comme ça tu resterais, on ferait des trucs aussi mais ensemble, des trucs, tout plein de trucs. Ce seraient des supers trucs.” Léchant ses lèvres avec une langue rose qui dénote de sa peau, la démente poursuit, ”Tu veux pas rester un peu?”

    ”Pressé. Nous sommes pris de vitesse par un adversaire inconnu, nous devons le doubler à la récupération d’objets similaires à celui-ci.” Savoir ressort la plume pétrifiée qu’il a récupéré un jour plus tôt, et la présente dans la main de la mage.

    Celle-ci soupèse d’abord l’objet, en parcours les reliefs à l’aide de ses doigts afin d’en modéliser les contours dans son esprit, elle porte ensuite la plume à son visage et la renifle d’un air dubitatif, pour finir par surprenamment lécher la pierre du creux de sa langue. Claquant cette dernière contre son palais pour mieux en évaluer le goût, Marche-Esprit semble perplexe.

    ”C’est pas juste un caillou avec une forme un peu rigolote n’est-ce pas?”

    ”Approbateur. Il s’agit d’un artéfact magique permettant d’accéder à un temple d’affiliation diviniste. Nous supposons que notre ennemi cherche également à s’emparer du contenu du temple bien que nous en ignorions la nature du trésor, mais une telle sécurité ne peut présager qu’un intérêt fort dans la lutte contre les Titans.”

    ”Ah ouais ça avait vraiment le goût d’un… de ça ouais.”

    Ica mentionne intentionnellement le divin pour forcer la main à la chamane, ancienne prêtresse diviniste, la descente des créateurs sur Bénédictus et le carnage qui s’ensuivit eurent raison non seulement d’une grande majorité de la population de la Terre Sainte mais aussi de la foi et de la raison de Marche-Esprit. L’Ombra avait fait un volte-face complet dans ses croyances jusqu’à tant haïr les cieux qu’elle en était venue à également onir leurs croyants, donc en rencontrant un Démon par essence ennemi des Titans, elle lui avait spontanément offert ses services pour l’aider à trouver les suppôts du Culte afin qu’il les élimine. L’argument du Divin semble une fois encore fonctionner alors que la païenne cligne ses yeux dysfonctionnels et reprend enfin la parole:

    ”Bon vas-y assied toi et bouge pas, garde mon corps, je vais voir ce que je peux faire.”

    Marche-Esprit laisse Savoir s’agenouiller et replier ses jambes filandreuses sur elles-mêmes pendant qu’elle saute de coins en coins de sa baraque en fredonnant, elle ramasse joyeusement différents ingrédients dont elle vérifie gustativement la nature, grimaçant quand elle lèche le mucus corrosif de Lanconda au fond d’une écuelle et que sa langue commence à buller sous l’action de l’acide. Elle gratte avec ses longs ongles sales ses papilles qui fondent à vue d’oeil et se retourne vers le Démon, l’Ombra plonge un doigt en direction des globules oculaires de son invité et dépose une goutte de la soude serpentine sur Ica qui se met à spasmer de surprise et de douleur sur son filament.

    ”T’as vu ça pique hein! HAHA!”

    La chamane folle récupère ensuite des encens aux senteurs de fouettard, enroule des feuilles de plantes que Savoir ne reconnait pas autour des bâtonnets et les allume sur des petits supports. Une douce odeur apaisante se répand rapidement dans la pièce pendant que Marche-Esprit continue de procéder à ses préparatifs, elle répand ensuite de la poudre de pierre d’amant en cercle sur le sol, s’agenouille au centre de celui-ci et inspire très profondément.

    ”Ça y est tu saignes? Donne moi le sang.” demande-t’elle le plus calmement du monde en tendant une main.

    Par une articulation du fil organique, l’oeil endommagé d’Ica vient se poser au creux de la paume de Marche-Esprit et de là où elle l’a taquiné tantôt au venin de Lanconda, quelques gouttes du sang de Savoir se dépose sur la peau noire, mettant en lumière les reliefs de sa peau dans une révélation surréaliste.

    ”Comme ça j’ai pas besoin d’utiliser le mien au moins.” fait la mage en marmonnant. Elle tapote son autre index sur les gouttes de sang et inscrit trois croix carmines sur sa peau au niveau de son front, de son sternum et de son pubis. ”J’y vais.”

    Son corps s’effondre subitement et Savoir rattrape de son bras décharné l’ensemble de son tronc, ses multiples serres la saisissent à la gorge, l’arrière de la tête et les trapèzes et accompagnent sa chute doucement pour déposer l’inanimée au sol. Quelques instants plus tard, un des Wyrmelins du Havre vient s’introduire dans le cabanon en virevoltant lentement dans les airs, s’arrêtant un instant devant l’entité poly-oculaire pour lui adresser un glapissement étrangement loquace avant de s’attarder sur la plume pétrifiée.

    ”Explicatif. Ce sont des copies de cet objet que tu dois retrouver, ils devraient environner les Rocheuses. Nous comptons sur toi.”

    Le Wyrmelin hoche la tête et ressort du cabanon en volant à toute vitesse, possédé par Marche-Esprit, la psychée de la mage s’est immiscée dans la créature et a remporté le combat interne contre l’hôte du corps pour la domination des esprits. Un affrontement dangereux puisque le perdant se retrouve écrasé par le vainqueur et incapacité, et que dans le cas où la prêtresse échouerait à prendre le contrôle de sa cible son pouvoir la coincerait à l’intérieur de la bête sans échappatoire. Le Wyrmelin prend plus d’altitude et cherche la direction de l’ouest, zieutant les reliefs montagneux qui se dessinent à l’horizon. Lorsque l’animal aperçoit des oiseaux à une dizaine de kilomètres, la force spirituelle de l’Ombra s’extirpe du Wyrmelin et fuse par contact visuel sur les aigles en traversant instantanément la distance, nouveau réceptacle, nouveau combat. Plus elle les enchaîne vite et plus la mage fatigue, elle doit ménager ses sauts, gérer sa mana et surveiller ses agissements. Alors qu’elle s’empare d’un des oiseaux de proie, elle accède également aux souvenirs de l’animal et fouille à la recherche d’une quelconque trace des plumes de pierre pendant qu’elle vole vers les Rocheuses.

    Bon, ou est-ce que je vais trouver ça moi?

    Parvenue à sa zone de recherche, elle perçoit sans peine grâce à l’acuité visuelle du prédateur, les déplacements pourtant discrets d’un rongeur à terre à plus d’une centaine de mètres. Courant maintenant entre les pierres des ravines de ses petites pattes, elle hoche sa tête et frétille ses vibrisses pour sonder la pression de l’air. Elle repère un mouvement rampant à sa gauche, et une seconde plus tard elle dévore la souris dont elle s’était emparée plus tôt. Le serpent se mue ensuite au creux des rochers tandis que Marche-Esprit oriente ses recherches plus en profondeur.

    Au bout de plusieurs jours de recherches pendant lesquels Savoir reste d’un surnaturel immobilisme campé devant le corps inerte de la mage, l’Ombra revient soudainement à elle dans un hoquet douloureux, ses poumons happent l’air et elle crache sous la brûlure de son corps qui se remet en fonctionnement. Souffrant le martyr comme à chaque fois, elle ne panique plus depuis bien longtemps et prend juste son mal en patience aussi désagréable soit-il. Sa bouche sèche et pâteuse attrape l’outre d’eau tendue par le Démon et elle boit prudemment une petite gorgée pour ne pas choquer son estomac assoiffé. Hydraté au strict minimum, elle parvient à articuler:

    ”J’ai.”
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  • Mar 14 Mai - 16:22


    Il lui avait fallu un peu de temps, pour rejeter la rivière glacée dans laquelle elle s’était laissé submerger durant l’épreuve précédente. Elle refuse de retourner à la Porte pour vérifier si son concurrent est venu la récupérer : l’échec est suffisamment lourd à supporter. Siame commence à mieux comprendre cette aventure : ce n’est pas une quête, c’est un pèlerinage. Ces six jours, passés à pleurer sa vie précédente, ne sont que l'annonce du septième. Car au fond, tout a toujours tourné autour du Sept : les semaines, les quartiers de lune, les Arts, les planètes, les chakras ou encore des Sujets qui commencent par le n°00. Rien n’est véritablement complet, ni parfait sans le Sept : pas même Savoir, qui n’a pour lui que six yeux, pas même la mélodie qu’il a découverte en replongeant dans la grotte, composée seulement de six notes. Sept, comme le nombre de lieux qu’il lui faut parcourir. Siame se souvient elle aussi d’avoir été un jour la Septième. Alors qu’elle se réveillait, et que le marbre qui avait composé sa prison pendant 5 000 longues années s’effritait pour se casser comme des coquilles d'œuf. Elle s’était extraite de cette vieille chapelle sans un regard en arrière, et pourtant, les images lui reviennent alors et elle perçoit une minuscule étincelle d’espoir s’allumer en elle. Comme plus tôt, il lui avait fallu suivre son instinct, qui la guidait comme une petite aiguille en cuivre. Le chemin jusqu’à la chapelle était un sentier manifestement souvent emprunté, à une autre époque. Quand elle la trouva enfin, des étoiles avaient émergé dans la nuit noire, formant des arabesques lumineuses sur le velours du ciel, comme des clins d'œil malicieux qu’elles adressaient à l’Ange. Elle prit ça comme le signe qu’elle était sur la bonne voie : non seulement de sa quête, mais aussi de ses ailes. Les Cieux lui avaient toujours semblé la plus belle Création : de jour, comme de nuit.

    Elle avait été sa dernière demeure, et l’Ange se souvient des six autres statues qui l’entouraient alors. Des figures démoniaques, des anges du haut—comme ceux du bas, tous rassemblés et alignés dans cette petite chapelle abandonnée : tous les péchés personnifiés et exhibés honteusement – parce qu’ils ne pouvaient l’être autrement – selon les préceptes divinistes. Alignées toutes les unes à côté des autres, le visage figé dans la pierre. Jalousie, suffocante, enserrant sa propre gorge ; Démesure, cueillant ses propres yeux de ses propres doigts ; Avarice, l’œil mauvais, assis sur un coffre d’argent ; Paresse, endormi sur son socle ; Colère, arrachant ses propres vêtements, Luxure, sa poitrine dénudée, offerte ; et la Septième—absente de son socle, pleurant un jour ses ailes : Orgueil. Chacun d’entre eux est le gardien d’une plume (sauf Elle, bien sûr, pour l'ironie du sort).

    Quand l’Ange remet les pieds dans la chapelle – ce lieu qu’elle avait été si heureuse de quitter, désespérée de revivre – elle retrouve chacun des anciens visages, et son regard se pose sur ces plumes de pierre qu’elle avait alors ignorée : Jalousie la porte comme une couronne dans ses cheveux, Démesure s’en sert de broche, Avarice la conserve précieusement dans son coffre, Paresse la tient encore à peine du bout des doigts, Colère se l’arrache en même temps que le reste de son habit, Luxure s’en souligne languissamment le menton. Tous attendent, sans savoir quoi exactement, mais ils attendent—un visiteur, ou peut-être que l’on vienne les libérer…

    Tout au centre de la pièce : une table sur laquelle trône une Balance, et deux chaises se faisant face. Siame était assise sur l’une d’elles, lorsque Savoir arriva à son tour : en chair et en os (tous azimuts, dans son cas) ou par projection.

    Alors, c’est toi… Je t’attendais. Je me demandais si nous allions nous rencontrer, depuis que j’ai croisé ton Œil à la Porte.

    Elle l’observe longuement et ses yeux se perdent sur le démon avec une fascination mêlée de dégoût pour la créature hideuse qu’il est—cette créature qui semble née des cauchemars les plus profonds de l’esprit humain. Il avançait péniblement (mais pas tant ?) sur ses membres difformes, sales, sanguinolents, et tout chez lui est une régression du Beau : sa peau, ce patchwork grotesque de morceaux de chair, déchirée et déchiquetée, révélant les pulsations maladives de ses organes. Tout à coup, l’air autour d’eux lui semble changé, vicié. Siame penche la tête sur le côté, comme pour mieux l’observer. Des entrailles palpitantes émergent de son abdomen, tandis que ses extrémités se perdent en griffes acérées. Il lui fait l’effet d’une agonie perpétuelle. Mais de toute cette abomination, ce qui la fascine le plus, ce sont la multitude d’orbites qui le couronne. Ses yeux. Tout à coup, ça lui revient. L’Ange ne l’avait jamais vu, pas en vrai, mais elle avait entendu parler de lui et du projet fou de mortels encore plus fous… Pour l’heure, elle tait ce qu’elle sait. Cette vie est loin désormais… Durant si longtemps, elle avait considéré sa Maîtresse comme l’aiguillon de son destin : cette Mère étrangère, unique, divine. À présent, elle s’apercevait qu’elle n’était qu’un souvenir loin de ce Monde. Et que de ce Monde, elle devrait en faire sa maison. Même sans Aurya pour la guider. Savoir éprouvait-il la même chose pour ses créateurs ? Leur adressait-il la moindre pensée ? Avait-il seulement conscience d’Être ? À en juger par la manière dont il la regardait, elle en doutait.

    Comment peux-tu vivre ? Ne ressens-tu donc pas la moindre douleur ? Dans sa voix se mélange l’envie et le reproche. Te souviens-tu seulement de celle de ta naissance Savoir ?

    Un œil violacé, cligne plusieurs fois à son intention. Siame se fait la réflexion qu’il n’y a, à travers, pas la moindre vie : ni joie, ni bonheur, ni désespoir. Pas même de folie : comme si ce regard ne contenait pas une Âme, mais une malédiction séculaire. Pouvaient-ils au moins pleurer ? Il lui semble qu’il la fixe avec une intensité hypnotique, l’observe sans réellement la voir. Si Siame avait été autre chose qu’un Ange multimillénaire, si elle n’avait pas connu la guerre et les atrocités qui peuplent ces terres, elle se serait probablement pissé dessus. N’importe quel homme aurait éprouvé une terreur primordiale devant cette Abomination : ce prélude de film d’horreur, dont l’existence défie toute logique divine et toute raison. Pour elle, il est un rappel brutal d’une lointaine défaite, d’une mission inachevée. Un rappel à la fragilité de son existence face à ce qu’elle refuse d’admettre : chacun d’entre eux mérite sa place sur ce Sekai, et elle, peut-être moins que les autres. D’un geste de la main, elle l’invite à s’asseoir en face d’elle, bien qu’il semble parfaitement démesuré pour la chaise en pierre qui se trouve-là. Et pour cause, cette épreuve n’a jamais été destinée à des créatures comme celle-ci. Il n’y avait que les Hommes pour comprendre le poids du péché. Elle sourit presque—ou bien s’agit-il d’une grimace de dégoût ?

    En général, je préfère travailler seule. Mais je crois que nous allons devoir collaborer si on veut récupérer ces plumes-ci. Du bout du menton, ce petit menton si lisse, si parfait, si divinement taillé, elle pointe les statues autour d’eux. Dans quelle mesure es-tu familier avec les préceptes divinistes ? C’est un petit “jeu” auquel aime jouer les mortels, pour s’assurer la valeur de leur Âme et qui consiste à boulotter par-delà l’univers de leur conscience toutes responsabilités envers les atrocités qu’ils ont un jour commises.

    Elle le disait, comme si elle, de par son essence métaphysique, ne pouvait causer le mal. L’Ange se rapproche et pose ses deux coudes sur la table, tandis qu’une main serpente sous son menton et que l’autre se pose sur le haut de la balance pour l’observer plus attentivement.

    Sur le plateau de la Balance, les péchés sont lourds comme le plomb, et s’opposent – et elle pose un doigt sur l’un des plateaux qui, dans un claquement, s’abaisse tandis que l’autre se relève vers les cieux – aux vertus, aussi légères que des plumes célestes. Ses yeux pétillent et son sourire s’allonge insensiblement devant l’ironie : car tout ça ne lui semblait être qu’une vaste moquerie. Je suppose que si l’on parvient à équilibrer la balance face à chaque dilemme, alors, on devrait pouvoir récupérer les six plumes. Elle se tient bien d’évoquer la statue manquante. Ton Âme – pour peu que tu en aies une ? – contre la Mienne. À savoir laquelle des deux pèsera le plus face à chaque péché. Par lequel souhaites-tu commencer ?

    Elle se retourne brièvement pour faire face aux six statues, se demande s’il remarquera qu’elles sont supposées être au nombre de sept.

    Jalousie, Démesure, Avarice, Paresse, Colère, Luxure, énumère-t-elle. Je te laisse l’honneur de choisir par lequel nous commençons.

    Siame est sereine, bien qu’en vérité, elle ne devrait certainement pas l’être : cela lui ferait bien trop mal de constater qu’à ce jeu l’Ange puisse perdre contre le Démon—de constater que son Âme vaut peut-être moins que celle de cette Abomination. Mais rappelons-le, tout ça n’était supposé qu’être le comble de l’ironie, pas vrai ? Elle ne sait pas encore tout à fait de quoi est composé Savoir, ni ce qu’il est capable d’éprouver ou non.

    Je suis curieuse. Que penses-tu trouver derrière la Porte ? Qu’est-ce qu’une créature comme toi peut bien désirer ? Elle observe son vis-à-vis, un instant. Au fait, as-tu récupéré ma plume ?

    Sa voix est légère quand elle le demande, pourtant, une oreille attentive, empathique, aurait été capable de déceler la morsure salée des larmes, encore présente dans ses mots. Son visage se referme, insensiblement. Siame était juste bien trop Orgueilleuse pour admettre sa défaite.


    CENDRES


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  • Mer 22 Mai - 21:32


    Savoir se téléporte sans plus attendre au lieu qu’il a repéré dans les pensées de Marche-Esprit, et après une longue canalisation de sa mana pour dématérialiser son corps et relocaliser son âme, le Démon d’Azshary réapparait aux milieu d’un délicat drap de neige. Ses appendices racinaires marquent la poudreuses à ses pieds et l’oeil d’Ica aux multiples vagues bleutées prend connaissance de l’environnement autour de lui, attardant particulièrement son attention sur le bâtiment droit devant. Une ancienne chapelle diviniste, autrefois certainement un lieu de culte saint, de pélerinage traversé par les plus pieux de la nation théocratique, aujourd’hui un amas à l’abandon de pierres, de souvenirs et de souffrance. À la lumière blafarde d’un soleil timide de l’hiver, des rayons palots viennent filtrer au travers des nuages pour illuminer d’une teinte laiteuse le fronton surbassé de la bâtisse. Le tympan dégradé à l’effigie de la Titanide parfaite la représente au centre d’une composition poétique, sa gloire auréolant son corps et inondant le reste du bas-relief de sa splendeur passée. Une balafre éventre maintenant l’avatar d’Aurya, tandis que les têtes des autres personnages ont été arrachées de la pierre ou enfoncées dans la roche, les poussières scintillantes en suspension dans l’air qui brillent aux raies lumineuses donnent à ce décor un aspect sanctifié ou consacré. Comme si le monde lui-même savait que cet endroit a une histoire à raconter, une mémoire à porter dont les souffrances passées ne peuvent être tues. Savoir observe attentivement l’architecture de cette triste façade et accueille les informations avec un pragmatisme froid, ne se souciant guère de l’horrible bagage de ces lieux, et ne notant que l’évidence d’un combat clôt tandis qu’il évalue la fraîcheur des traces aux alentours, la date des griffures et des éventrations dans les pierres, la nature des empreintes animales dans la neige environnante. Sans un mot, le Démon procède à l’intérieur du lieu de culte une fois qu’il a la certitude de l’absence de monstres. Il escalade les quelques marches du perron, ses jambes ramifiées enlaçant les pavés descellés dont ceux fracturés par le temps et l’usure dégringolent derrière lui, leur ricochets le long des marches meublant le silence absolu qui règne là où même le vent n’ose plus souffler, certainement de peur de déranger les morts.

    La chapelle n’est pas bien massive, mais le Culte n’a pas toujours cherché à faire dans la grandeur. Ce genre de petit relai de la foi, au milieu des Rocheuses, n’a pour but que de servir d’hospice aux courageux qui bravent les montagnes pour prouver leur ferveur, le but premier du lieu saint est donc avant tout de pouvoir accueillir les voyageurs l’espace d’une nuit et de leur procurer un havre de recueil pour leurs prières. La nef est donc petite, les bas-côtés donnent vers des chambres de repos isolées et le transept est similaire au reste des proportions. L’objet qui attire cependant l’attention de Savoir se situe par delà la croisée, au niveau du choeur où un autel se trouvait sans doute jadis. Ses pattes raclent contre le marbre fissuré et envahit par la mousse alors qu’il s’avance en direction des six statues de pierre et de la curieuse mortelle présente ici. À son passage des doubles portes de la chapelle, celle-ci se tourne pour distinguer le nouvel arrivant chimérique, et quand sa réaction ne semble pas le moins du monde troublée par l’apparence torturée du Démon, Ica exprime déjà une certaine curiosité à travers l’agitation des vagues de son iris qui adoptent un rythme asynchrone régulier. Les sinusoïdes qui ondulent dans son oeil frétillent à mesure que les réflexions de Savoir évoluent, elle prétend l’avoir croisé à la porte? Elle est donc la détentrice de cette forme astrale qui s’était emparée de sa propre projection il y a quelques jours…

    Hésitant. Constitue-t’elle une adversaire?

    Face à cette question intérieure, un faible titillement psychique façonne l’entièreté de la maigre réponse qu’il obtient en retour. L’oeil obsessionnel ayant l’habitude d’être particulièrement décisif dans ses choix ressent cette fois une frustration certaine en étant opposé à une incertitude, même si celle-ci indique qu’il va devoir creuser pour un élément de réponse. Il approche un peu plus, arrivant au centre de la croix dessinée par l’architecture de la chapelle, et en observant les différentes statues à l’effigie des péchés capitaux, Ica ressent cette fois une autre présence à l’intérieur de son esprit. La naissance de Ra est cependant interrompue par une question lancée à son encontre tandis qu’il déambule pour inspecter un par un les différents objets de la salle:

    ”Réfutant. Nous ne ressentons pas la douleur sous le sens que vous lui donnez.”

    Un être surnaturel ne répondant tout simplement pas aux lois de la chimie du vivant. Il meut chaque cellule de son corps via l’action magique de son essence démoniaque transposée depuis le plan immatériel dans la réalité, ses cellules ne produisent aucune adénosine triphosphate, elles ne requièrent pas d’oxygène, ses poumons morts ne respirent pas, ses nerfs sont inactifs et ne viennent de toute façon se rattacher à aucun cerveau qui ne traite donc aucune donnée, aucun stimulis. Il ne ressent ni faim ni soif, ni pulsion sexuelle ni urgence de la reproduction, ni fatigue ni sommeil, il ne ressent aucune émotion, et n’a d’autres considérations que l’accomplissement de ses objectifs. Son corps est aussi froid qu’une machine mais son esprit l’est encore plus si ce n’est un appétit insatiable pour l’essence même qui le compose: la connaissance, ou plus tôt la soif de celle-ci. Savoir regarde la statue libellée Démesure, puis reporte son attention sur la jeune femme assise à ses côtés. L’oeil obsessionnel possède nombre de défauts, de son inaptitude aux magies plus complexes à la façon peu communicative qu’il a de s’exprimer, il trouve ironiquement sa plus grande tare dans sa meilleure qualité: son obstination à atteindre un but fixé lui fait parfois facilement occulter des détails importants de son jugement, et Ica a bien le sentiment que c’est ici le cas, comme une gêne qui taraude son esprit pour lui rappeler qu’il a oublié quelque chose sans pour autant se souvenir de quoi. Le grand globe oculaire d’une trentaine de centimètres vient river le regard noir de sa pupille néantine sur la peau blanche de la mortelle, ne perdant aucune miette des menus détails de son modeste accoutrement, des gravures à l’encre de sang sur ses bras, de ces yeux fatigués qui dénottent un certain abattement. Les sinusoïdes violacées de l’iris magique oscillent à l’unisson, battant la mesure d’un poul qu’il n’a pas tandis que l’oeil est intrigué par toute cette mise en scène et la nature intéressante de cette nouvelle épreuve.

    ”Favorable. Je le crois aussi.” répond-t’il à l’affirmation de la jeune femme concernant la nécessité de coopérer.

    Il écoute ensuite chacun des mots de la mortelle qui lui explique la raison de la présence des statues, de la balance et des différents outils dans la salle, et Savoir suit méticuleusement cette exposition tandis que de son oeil ouvert, il vient ausculter avec plus d’attention les statues exposées. À nouveau, il sent quelque chose le déranger dans le discours tenu par la jeune femme, et ce n’est pas une de ses autres consciences qui tente d’émerger, c’est un paradoxe, une subtilité cachée dans le filigrane des propos qu’il entend. Quelque chose cloche. Elle lui pose une question alors que Savoir est toujours entrain de réfléchir à plein régime sur la raison de son inconfort, et en guise de réponse, la pupille d’Ica se fragmente soudainement alors que les vagues qui l’habitent s’extirpent de son oeil pour avancer devant et se remplir d’un corps vitreux pour faire office de lentille. L’organe optique ainsi défragmenté ajuste les distances focales de ses cristallins artificiels et inspecte le derme de la mortelle avec une méthodologie scientifique, et Ica décèle enfin le pourquoi du comment:

    ”Observant. Les cellules mortes de ta peau présentent toutes des traces de dégâts sur leurs membranes plasmiques ou leur cytosquelettes, aucune d’entre elles ne présentent d’assèchement cytosolique. Déductif, ta peau ne vieillit pas…” L’oeil se réassemble lentement tandis que dans un crépitement sourd, la paupière protectrice autour d’Ica se remanifeste pour fermer le globe oculaire. ”Ce qui soulève donc une nouvelle question, si tu es immortelle, alors qui es-tu?”

    La nouvelle voix qui a pris la parole émane toujours du corps de Savoir, mais son ton est beaucoup plus calme et apaisant, le timbre masculin n’est pas menaçant, apportant plutôt une sonorité sage aux paroles du Démon. Quand le bruit de désintégration accompagne la disparition d’une autre paupière, le plus gros globe oculaire de l’azsharien se dévoile en portant une iris d’un brun orangé dont l’apparence semble presque humaine à l'exception de sa taille hors norme. Les détails de l'épithélium rendus évidents par l’imposante recréation d’un oeil humain mettent en valeur l’aspect filandreux de l’iris, tandis qu’une pupille noire trône en son centre, observant la jeune femme.

    ”Nous te remercions…” Comp, l’oeil empathique de la créature pluri-millénaire, vient s’asseoir en face de l’immortelle d’une façon bien saugrenue mais adaptée à sa grande taille, en posant son séant elfique sur le haut du dossier de la chaise tandis qu’il ignore l’assise, posant ses jambes racinaires de chaque côtés du petit meuble en pierre. ”...pour la plume.”

    Et il aurait immédiatement bombardé de questions sa rivale de collecte de plumes si jamais il n’en avait pas terriblement eu besoin pour cette épreuve. Cette femme est remplie de paradoxes et de contradictions qui titillent la curiosité naturelle du Démon de la Connaissance au plus haut point, mais celui-ci sait réfreindre l’acquisition des informations qu’il a tant envie d’obtenir si tant est qu’elles lui sont inéluctablement promises, il doit savoir, mais pas tout de suite. Savoir pourquoi la jeune femme cherche également à récupérer les artéfacts de pierre mais qu’elle les sème derrière son chemin, savoir pourquoi elle étale autant de connaissances des cultures divinistes mais qu’elle cherche à ouvrir ce temple si évidemment scellé. Les chances qu’un tel acte constitue une violation de certains textes sacrés ou d’une ancienne tradition titanesque sont suffisamment élevés pour que Savoir se doute que la jeune femme ait probablement un intérêt personnel dans sa quête. Il veut enfin savoir pourquoi cette femme garde-t’elle un stoïcisme aussi parfait devant son apparence. En l’absence d’égo, Savoir est loin de tirer une quelconque fierté du fait qu’il effraie la plupart des mortels qu’il rencontre, pourtant il considère avec un pragmatisme absolu le fait que ceux qui ne montrent ni effroi ni dégoût ont une particularité indéniable. Il s’agit parfois d’une habitude à fréquenter les ars obscura, d’une familiarité certaine avec la mort, les Démons ou les revenants, ou comme dans le cas de Marche-Esprit, d’une cécité. Évitant donc de questionner son vis-à-vis à propos d’elle-même, Savoir se concentre donc sans quitter la mortelle des yeux, sur la quête qui les anime tout deux:

    ”Nous pensons, qu’au vue des moyens déployés pour restreindre l’accès à l’antichambre du Temple, son contenu doit être d’une valeur non-négligeable. Nous supposons que les chances qu’il s’agisse d’un artéfact puissant, d’un outil ou d’une arme magique pouvant aider dans la lutte contre les Titans, est également non-négligeable.” En parlant, le bras décharné de Savoir vient effleurer du bout d’une serre la Balance posée sur la table, mais la chitine difforme n’atteint pas la dorure qui plaque l’objet qu’un bouclier prismatique empêche le doigt d’aller plus loin. La même magie qu’auparavant. Il s’agit bien d’une épreuve. ”Nous débuterons avec…”

    Il avait bien réfléchi tantôt à son approche du petit jeu tandis que la femme lui expliquait ce qu’il savait déjà et qu’il observait les statues disséminées un peu partout dans le choeur de la chapelle. Il partait d’un désavantage on ne peut plus net sur cette épreuve en raison de sa nature démoniaque, le péché implique intrinsèquement le sentiment de culpabilité, de remord, de peine, de douleur ou de repentance. Savoir ne possède aucun de ces sentiments, il a pu  néanmoins déroger aux précepts de conduite établis par le Divin et suppute que ces itérations vécues suffisent à concourir à cette épreuve. Si le Démon n’a jamais ressenti de culpabilité due à son inaction, il n’a pas moins des moments de sa vie où ses décisions pourraient d’un point de vue extérieur être assimilables à de la paresse. Le jeu est donc double pour le monstre poly-oculaire qui doit non seulement disputer la partie contre son adversaire mais en plus déterminer ce qui constitue une offrande éligible à la Balance. D’autant que l’inconnue sur les subtiles nuances des règles de l’épreuve représente encore un désavantage supplémentaire puisqu’il commence en premier, usant de la théorie de jeu apprise des livres sur la culture des Fondateurs qu’il a dévoré pendant son incarcération pluri-millénaire, Savoir avait pondéré ses options et émet son choix sans hésiter:

    ”...la Démesure.”

    Le choix est prudent, il ne débute ni par le péché avec lequel il a le moins d’affinité, afin d’éviter de donner une plume aisément à l’ennemie et de bénéficier lui aussi du fait qu’elle non plus ne connait pas forcément toutes les règles du jeu, ni par le péché qu’il connait le mieux, pour éviter de céder bêtement une plume facile à cause de l’asymétrie d’information du début de partie.

    À ses mots, la plume de pierre de la statue correspondante s’effrite en une fine poussière qui vient virevolter à travers la pièce pour se reconstituer sur un des plateaux de la Balance, lévitant légèrement au dessus du bronze terni. Le plateau ainsi alourdi vient tomber doucement contre le pieds de l’outil sur la table, la lenteur avec laquelle il descend témoigne de la délicatesse du poids de l’artéfact et de la difficulté à trouer le bon dosage de péché et de vertus pour l’équilibrer.

    ”Commençons.” Le Démon fixe avec toujours autant d’insistance la jeune femme au travers de la Balance et de la plume, un regard perturbant sans aucune distraction, pas de clignement, pas la moindre déviation de cette inquisition visuelle sur le visage… angélique, de sa concurrente. ”Lorsque les recherches ont débuté, nous avons été le premier à apparaître, les chercheurs d’Azshary ont immédiatement cherché un moyen de nous confiner et de nous maîtriser, ils ont d’abord essayé la force mais ont vite remarqué notre soif pour l’information. Nous avons cédé le contrôle sur notre existence pour pouvoir satisfaire cette appétit. Les Fondateurs nous ont promis de nous livrer leur culture, leurs arts, leurs connaissances, leurs savoir-faire et plus encore au travers d’ouvrages écrits si nous acceptions de coopérer, et c’est ce que nous avons fait. Nous avons enchaîné nos soeurs pour accéder à leur savoir.”

    Si l’explication reste nébuleuse sur beaucoup de détails, c’est déjà parce que l’aspect magique de la Balance ainsi que la forme de l’épreuve suggère une forme de lecture de l’âme des participants, Savoir pense ainsi que les détails n’ont pas besoin d’être donnés tant que l’énonciation reste suffisamment explicite pour préciser à l’objet magique le souvenir exact qu’il offre à la Balance. Il ne s’agit pas que son interlocuteur le comprenne, mais seulement le juge de l’épreuve.

    Un cube de masse noirâtre apparaît de nulle part au dessus du plateau opposé à la plume, se manifestant d’un seul coup grâce au don du Démon pour s’abattre sur le bronze dans un résonnement métallique aigu. La bascule réagit immédiatement et la tendance s’inverse complètement en atteignant rapidement l’autre butoir. L’oeil de Comp se plonge dans un mutisme satisfait, il espérait justement donner un souvenir qui soit suffisamment lourd pour que le poids qu’il valait excède la capacitance totale du pèse-poids et soit ainsi difficilement estimable pour son adversaire. La pupille de l’oeil empathique quitte la plume pour revenir sur le visage de son opposant, attendant qu’elle ne joue son tour, toujours aussi silencieux.
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  • Mar 11 Juin - 0:52


    La créature qui s’assoit face à elle est fascinante, dans son intégralité. Si Siame abhorre l’horreur qu’elle représente – bien qu’un peu moins, quand il s’agit d’obtenir ce qu’elle désire –, elle n’en conserve pas moins une curiosité intrusive. Elle reconnaît ce premier œil, c’est celui qu’elle a vu près de la porte du temple. Ses sens aux aguets, il ne fallait pas être un génie pour percevoir le risque qu’il représentait pour elle. Le démon – puisqu’il l’était – vient s’installer en face d’elle, et l'Ange éprouve une espèce de soulagement dissimulée tandis qu’il accepte de jouer le jeu. La complexité de l’Être qui lui fait face, la manière dont il s’exprime, se mue, dont son œil clignote pour laisser place à un autre est à la vision d’une espèce d’extase neuronale qui n’en finit plus. C’est fabuleux. Inquiétant. Profane. Siame a un sourire énigmatique, insaisissable, quand il la questionne. Lui mentir aurait été inutile, il voit trop pour se laisser tromper. Pourtant, elle saisit aussi que dire la vérité, c’est signer son arrêt de mort : comprends pour la première fois ô combien le Monde a changé depuis qu’elle l’a quitté. Ses Maîtres ne règnent plus, assurément. Le Sekai appartient désormais aux Hommes, et aux créatures, comme lui. Ses yeux – à elle – s’attardèrent sur ses yeux – à lui –, se perdent dans le précipice ardent de cette nouvelle pupille (ironiquement démesurée) qui s’ouvre. Son ton change du tout au tout, et pourtant, Siame, elle ne peut s’empêcher d’y voir l’évocation et l’insensibilité d’une marionnette. Qui est-il, véritablement ?

    Tu as raison. Vous avez raison ? J’imagine que je suis juste comme toi, d’une certaine manière. En plus jolie, évidemment. Mais pas moins déchue. Son Âme pas moins viciée. L’espère-t-elle, tout du moins, si elle veut gagner.

    Il fait preuve d’un pragmatisme et d’une froide résolution qu’elle ne peut s’empêcher de lui envier—contre son gré. La suite de son discours lui coule un long frisson dans le creux de la poitrine. Si l’Ange ne claque pas des genoux devant la monstruosité qui lui fait face – il fallait dire qu’en 10 000 ans, elle avait eu le temps d’en voir des choses –, elle évalue néanmoins le risque qu’elle prend, en jouant à ce jeu avec lui. Mais tant qu’elle reste vague, tant qu’il reste concentré sur les plumes…

    Je le crois également. Elle fait alors preuve de plus de sérieux, à son tour. Si je ne me trompe pas – et elle se trompait – je crois même que l’artefact contenu dans le Temple est d’une valeur inestimable… Pour elle.

    Elle se tut. Son regard s’attarda davantage sur son vis-à-vis, à la recherche du moindre indice quant à la question qu’elle se posait, mais qu’elle refusa de prononcer de vive voix. Était-il prêt à perdre, dans cette course ? Ou bien, toute cette recherche de plumes se terminerait quoi qu’il advienne dans un bain de sang, à la gloire du plus puissant d’entre eux ? Irait-elle jusque-là, pour ses ailes ?

    L’Ange n’avait à cet instant qu’une certitude : que le Démon en face d’elle ne pouvait pas être mieux qu’elle, en toute chose. Son orgueil la poussait à croire que peu l’étaient. Mais ce Démon-là est un peu différent. Il lui semble que ses sentiments sont absents, ou alors, mieux domestiqués. À vrai dire, elle a du mal à l’évaluer : il n’est pas sensible, mais il n’est pas non plus inconscient de lui-même et du Monde qui l’entoure. Tous deux avaient été créés pour être aveugles face aux nuances de l’humanité—et si sa mission céleste à elle, l’avait poussé à manquer de cette cruelle touche de réalité, il lui semblait l’intégrer sans véritablement la ressentir. Il comprend, sans vivre, sans partager. Il est démoniaque, oui, mais pas au sens divin. Il l’est au sens humain. Et Siame découvre pour la première fois ce que cela signifie. Elle découvre alors – véritablement – l’immense progression de l’espèce humaine, et cette vérité lui fait l’effet d’une douche froide. Elle réalise alors seulement le pouvoir infini que possède cette créature, qui ne ressent ni la douleur physique, ni la douleur morale…

    Et il choisit…
    La Démesure.

    La plume avait disparu de la statue, avait quitté son vêtement, pour se rematerialisée sur la Balance face à eux. Le regard de l’Ange s’est alors infléchi, délesté de sa goguenardise habituelle. Elle l’observait, attentivement. Et il n’avait pas tardé à évoquer un morceau de son histoire, sans rentrer dans les détails—comme s’il s’agissait là de lui expliquer à elle, et non au juré (immatériel) de cette épreuve. Curieusement, elle pense déceler là une espèce de curieuse politesse à son encontre. Ses aveux la renvoient à un autre temps, à cette mission qui lui avait été confiée sur les terres de Melorn juste avant… Juste avant sa chute. Que se serait-il passé, si elle n’avait pas été capturée ce jour-là ? Serait-elle morte dans ce laboratoire qu’il évoquait alors, en cherchant à l’éliminer ? Ces questionnements lui semblent alors tellement lointains… Il convoquait ses souvenirs, parlait d’Autres, comme lui, mais pas tout à fait. D’Autres, dont le destin avait été avorté, muselé : de ses Soeurs qui n’ont de sœurs que le nom, pas l’attache, ni l’amour. Pas la moindre peine. Pas le moindre remord. Était-ce là ce qu’on avait un jour attendu d’elle ? La Balance claque soudainement contre le marbre de la table, et Siame plisse les paupières, sans masquer son mécontentement. Impossible pour elle de mesurer le souvenir auquel elle s’oppose alors. Pas le moindre indice.

    Siame sent une curieuse pointe d’amertume traverser son visage. Elle se sait ne pas être le meilleur exemple de retenue. Elle qui avait pourtant été façonnée par sa Maîtresse pour être le parfait petit soldat—sans se douter de toutes les défectuosités de sa création. Sa morale a été tordue, polie, pour accomplir chacune de ses tâches—pour le faire sans ciller. Jeune, à son arrivée sur ce Monde, on lui a appris à ne jamais flancher. À obéir, aussi. N’était-elle pas sage et mesurée, lorsqu’elle obéissait, quand bien même les épreuves auxquelles on la soumettait furent elles, cruelles ? Ne se montrait-elle pas mesurée, lorsqu’elle était sans cœur ? Elle cille, et ses paupières sont alourdies par les souvenirs. Son esprit se perd vers des sphères infernales, qu’elle n’oubliera jamais. Sa mémoire ne lui a jamais fait défaut. Sur la Balance, une lueur scintille faiblement, à la perspective de ce morceau d’âme qu’elle s’apprête à offrir au Jugement. Elle a le sentiment de se faire écorchée vive, que tous ses organes internes sont exposés et que son cerveau est à nu—incapable de tromper et mentir. La vérité, rien que la vérité. Intérieurement, elle est crucifiée face à l’histoire de sa propre éternité—cette éternité pas moins horrible que l’histoire des Hommes.

    L’Ange se revoyait, jeune sans l’être, encore fraîche, encore malléable. La présence de Malazach, toujours derrière elle. Une main suffisante vient se poser sur son épaule. Ça n'avait été que la première épreuve d’une longue série. Combien comme celles-ci lui avait-il fait passer ? Elle avait cessé de compter : assez pour qu’il n’y ait plus d’horreur dans ce Monde qui puisse la surprendre, car “les créatures comme nous vivent longtemps, Siame, il faut être préparé au pire”. Assez pour être satisfait. Sur sa chemise de nuit blanche, du sang sombre – noir, comme le sien –, éclaboussé en mouchetures chaudes. Chaud, comme le corps qui gît face à elle. Elle n’a pas questionné son mentor : non, Siame questionne rarement. Ce n’est pas son rôle, pas à cette heure-ci. Peu importe les raisons, c’est sa loyauté que l’on cherche à juger. Elle n’en reste pas moins coupable de fratricide—un coup de poignard planté au cœur même de sa propre race, crime au sommet des ignominies, là où l’amour fraternel et celui pour la Divine Création de ses Maîtres sont trahis. Là où la lumière en elle se mue alors à la suggestion d’une ombre abyssale.

    Oui, elle se revoyait encore, agonisante – mais déterminée – dans les caveaux d’une chapelle oubliée, où la faim et la soif étaient alors devenus ses seuls compagnons. Ses ailes pendaient, ternies autour de ses épaules amaigries, lourdement chargées—d’autant de poussière que de désespoir. Les jours se succédaient sans miséricorde, et chaque minute s’étirait alors dans une torturante éternité. Et Siame ne compte pas les jours : elle n’en a pas besoin. Elle restera là aussi longtemps qu’il le faudra. Malazach, assis sur un trône de débris et d’ossements la regarde, ses yeux reflétant une satisfaction morbide. Ses paroles sont du miel empoisonné, chargées de cette cruelle ironie, qui semblait alors être son apanage. “Vois-tu Siame, la faim est une muse puissante. Elle inspire une volonté de survie capable de trahir n’importe quelle existence, même les plus angéliques.” On avait alors laissé avec elle un poignard et un jeune mortel, à peine plus âgé qu’un enfant—enfermé cette l’Ange et sa faim, cette bête insidieuse – sa morsure douloureuse, insupportable – qui lui murmurait de céder et de se soumettre à cette cruelle nécessité, pour survivre… Une transaction sordide, mais qu’étaient les humains, si pas mieux, pas plus que des bêtes ? Les jours s’étaient écoulés, lentement, tandis qu’elle tentait de vivre à l’aube de sa seule volonté. “Je n’ai qu'à décidé que je n’ai pas faim.” Jusqu’à réaliser que ce n’était pas là l’épreuve qui lui fut donnée à accomplir… Chaque bouchée avait été à la perspective d’une profanation ultime—tout ce que son ventre réclamait alors. Une déchirure dans son Âme—sa Âme, jolie, souillée et salie : chaque jour un peu plus. Et alors, seulement, elle avait pu sortir.

    Et puis encore… Plus tard. Imprimant une fois de plus sa volonté sur une vie humaine—comme si ça n’avait été là qu’une forme de justice, réclamée par les cieux. N’est-ce pas ? Après tout, que valait la vie d’un Homme face à la vindicte divine d’une Ange ? Qu’importe son nom (elle refuse de le prononcer), qu’importe ce qu’il était, qu’importe ce que sa sœur pouvait bien éprouver à son encontre, pas vrai ? Il n’était qu’un homme. Cruellement éphémère. Cruellement remplaçable. “Tu ne devrais pas, Siame.” – “Je ne te demande pas la permission, Malazach.” Siame est bonne élève, oui. Mais Siame possède aussi un cœur sauvage, possessif, qui explose – parfois – comme une révolte contre sa propre condition. Elle perçoit le poids du regard de son mentor sur elle. Il reste là. “Si tu n’approuves pas, pars.” Il reste là. “Je ne changerais pas d’avis.” Et il était resté là. Une curieuse pointe d’hésitation avait traversé le visage de l’Ange. Pas suffisamment longtemps. Pas plus forte que le reste. Et elle l’avait fait—lui avait pris la vie, comme elle avait pris tant d’autres auparavant, comme elle continuerait de le faire. Une culpabilité caustique était venue s’enraciner dans sa poitrine, et Siame l’avait chassé, pour remplir son cœur d’autre chose : n’importe quoi, pourvu qu’elle n’ait pas à ressentir ça. Elle s’était retournée vers Malazach, comme autant d’aveux qu’elle refusait de prononcer—avait cherché chez lui une goutte de réconfort, sans la moindre certitude de la trouver. Cette vie-ci, elle l’avait arrachée avec plus de hargne que n’importe quelle autre. Cela avait-il était véritablement nécessaire ? Ou bien cette tragédie n’avait-elle été qu’à la Démesure de ses sentiments, de son orgueil, de tout ce qu’elle croyait vrai ?

    Lorsqu’elle avait finalement rouvert les paupières, une sphère pulsante de lumière s’était finalement matérialisée sur la Balance, face à la plume. Excessive, elle l’a toujours été. Et la tenir en bride n’a jamais été la façon de procéder, avec elle—la poussait justement à la rébellion...

    Le juré n’est pas dupe. La plateforme sur laquelle repose désormais ce petit morceau d’histoires, ce petit morceau d’Âme s’affaisse doucement, lentement, face à la plume. Siame contemple alors sa victoire, sans être certaine de comprendre réellement la mesure de la Balance. Et à vrai dire, peu importe, tant qu'elle gagne...

    Hm, murmure-t-elle, tout bas, tandis que le marbre de la plume s'effrite, et que celle-ci volète jusqu’à se placer devant elle.

    Elle gagne oui, mais continue de se montrer prudente. L'incantation s'estompe et elle recueille entre ses mains la plume duveteuse. Le silence retombe dans la petite chapelle, pendant un instant, uniquement brisé par le souffle rageur des Rocheuses à l'extérieur. L'Ange jette un coup d’œil en biais au démon, incapable de déceler en lui la moindre émotion.

    À mon tour de choisir, décide-t-elle finalement. Elle se retourne vers les statues, et laisse son regard courir sur chacune d’entre-elle. Il lui semble que le visage de la Démesure lui apparaît désormais plus serein, mais elle ne s’attarde pas sur cette constatation.

    Son regard se pose insensiblement sur la Jalousie. Mauvaise idée… Avarice ? L’Ange grimace. Paresse ? Elle lorgne un instant la créature démoniaque.

    Nous continuerons avec la Paresse.

    Et à ses mots, comme plutôt, la plume en question scintille, une seconde, pour réapparaître sur la Balance. Siame prend une inspiration étouffée, mais ses lèvres se fendent d’ores et déjà d’un sourire victorieux. S’il y a bien quelque chose qu’elle n’a jamais été, c’est paresseuse.

    Moi aussi, j’ai eu des sœurs. Une sœur, plus exactement, débute-t-elle, en posant son menton sur ses mains, tandis que la Balance vacille légèrement sous le poids de l’artefact. Sur la seconde plateforme, une nouvelle lueur opaline se cristallise devant eux, d’abord timidement. Cette guenon fainéante représente à elle seule tout le péché de la paresse. On pourrait croire que, lors de notre création, il n’en restait plus la moindre goutte pour moi.

    Elle se met à penser à Phèdre—qui se prélasse dans leur lit, en demandant quelques minutes de plus, alors que Siame est déjà partie. Elle songe aux après-midi paresseux de sa sœur, passés à l’ombre d’un saule pleureur, tandis qu’elle vient la déloger. “Nous avons à faire, Phèdre.” Siame, elle, n’a jamais eu besoin d’être tirée par la main.

    J’ai été façonnée à l’opposée. À croire que notre Créateur – elle prend soin d’éviter le nom des Divins, encore plus celui de sa maîtresse – en voyant ma sœur si pleine de paresse, à décidé de compenser en m’infusant avec une énergie inépuisable…

    Cette plume ne pouvait être qu’à elle.
    Il n’y avait pas un jour où l'Ange avait cessé de se battre contre ce Monde.


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  • Mar 18 Juin - 3:18

    Quand la balance ne fait qu’à peine s’incliner sous le poids de la vertue présentée par son adversaire et que la plume de pierre réapparait dans les mains de sa concurrente, l’iris géante de Comp se contracte soudainement pour rétrécir la pupille noire qui y trône, le Démon saisit qu’il avait fait fausse route sur les règles et les avait mal comprises initialement ou alors… son ennemie a profité de l’asymétrie d’information pour lui jouer un tour et gratter une victoire facile. Astucieux. Intentionné. Dangereux. Comp reste figé ainsi, la perle noire au centre de son globe oculaire réduite à l’état de point tandis que son corps échappant aux lois physiologiques du règne des vivants demeure spatialement parfaitement stoïque, fixé dans un immobilisme surnaturel jouant dans la vallée de l’étrange et du morbide. L’entité calculatrice admet désormais le fait qu’on lui a menti sur l’exposition des règles du jeu, elle peut donc partir du principe qu’elle doit les déduire entièrement par elle même puisque chaque élément conféré par la partie adverse est susceptible d’être faux. Certains éléments semblent toutefois cohérents avec l’observation empirique que le monstre poly-oculaire a pu conduire sur ce premier essai:

    Il apparaît évident que la Balance possède bien une fonction de pesée. Les matérialisations des souvenirs octroyés à la pesée semblent cependant aller dans le même sens, et si nous avons livré un souvenir qualifié de péché par les écritures titanides, la nature de ce qu’elle a livré nous demeure inconnu… Cette épreuve présente tout de même des marques réminiscentes de la culture diviniste dans sa conception, la probabilité que le système d’évaluation de la Balance soit donc calibré sur un compas moral binaire comme le sont les textes du culte est élevée. Dans ce cas deux options: elle a raconté un autre péché et la valeur de celui ci était suffisamment différente de la nôtre -à priori moins lourde- pour pouvoir remporter la plume, ou alors elle a témoigné de la pureté de son âme en racontant une preuve de la vertue associée à la plume. Suivre le premier cas pour notre future option présente le risque de réitérer la même erreur, alors que la deuxième option permettrait de nous constituer un échantillon témoin plus important pour déduire les règles.

    Il attend donc d’observer plus de détails afin de pouvoir étoffer son raisonnement, et quand la jeune femme jette son dévolu sur la Paresse, Savoir ne parvient pas à évaluer s’il s’agit d’une issue qui tourne en sa faveur ou l’inverse. La plume semble être indubitablement la plus facile des six que le Démon puisse s’octroyer, pourtant les zones d’ombres qui subsistent encore sur les lois de ce jeu ne le mettent non seulement pas en confiance sur ses chances de réussite, mais en plus lui font prévoir une défaite plus importante sur la globalité de cette épreuve que ce à quoi il s’était initialement préparé. Il se pourrait que son adversaire reparte avec la quasi totalité des plumes et ce serait une solution hautement indésirable… mais dans l’éventualité où son adversaire ne serait pas douée de magie, ça ne s’avèrerait finalement pas tant un problème que ça. Le Désintégrateur d’Azshary redoute surtout l’utilisation d’une magie de téléportation ou d’illusion qui permettrait à l’ennemie de s’éclipser sans qu’il puisse l’en empêcher, mais en l’absence de ces sorts ou d’une puissance magique ineffable, il devrait pouvoir être en mesure de retirer les plumes de pierre du tas de cendres qui restera d’elle à la fin de cette épreuve. À moins que…

    Coupé court dans son raisonnement, Comp écoute religieusement -ô ironie- la femme se targuer non seulement d’avoir une soeur paresseuse, mais surtout d’être son parfait complément, un parangon de travail et d’application qui serait soi-disant inépuisable.

    Une sphère de lumière se matérialise sur le plateau de la balance opposé à la plume et se dépose si délicatement sur le bronze que l’outil n’émet pas même un grincement en oscillant, le mouvement est difficilement perceptible à l’oeil nu et la plume ne paraît même pas broncher, sauf un frémissement subreptice quand la sphère disparaît pour laisser son tour au Démon.

    C’est à ce moment là que Comp passe à l’attaque.

    Si la puissance de feu brute d’Éva en fait l’oeil le plus puissant de Savoir et que l’absence d’inhibition d’Alys en fait l’oeil le plus dangereux et imprévisible, c’est la capacité de Comp à pouvoir saisir et émuler les émotions des mortels qui le rend aussi sournoisement pernicieux. C’est Comp qui au Compendium, avait persuadé les elfes de le laisser en liberté, c’est Comp qui avait amadouer les vigilances des Fondateurs pour pouvoir lui-même participer aux projet à la fois en tant que sujet et en tant que chercheur, c’est Comp enfin qui avait amorcé le carnage qui s’était ensuivi à sa sortie de l’Académie de Melorn il y a quelques mois, lorsqu’il avait accumulé suffisamment de connaissances pour estimer son désintérêt en la cité elfique trop important pour y rester. Pour une arme vivante telle que Savoir, manipuler les émotions d’un adversaire même à un niveau aussi basique que puisse le faire le Démon est déjà un avantage tactique majeur dans les affrontements, et ce jeu est justement un combat acharné où son ennemie possède un coup d’avance, mais elle vient de brûler ses ailes au soleil. L’optique de Comp, portée par le filament de chair organique trois fois trop maigre pour pouvoir porter un tel poids, s’avance par dessus la balance pour faire venir l’iris gargantuesque de l’oeil empathique à une dizaine de centimètres du visage de son interlocutrice. Sans un mot, tout doucement, l’iris se rétracte tandis que la pupille de Comp commence à prendre de plus en plus d’ampleur et que la voix calme et posée du Démon résonne devant la femme:

    ”Il est ironique de constater que l’Orgueil est la seule statue manquante de cette épreuve, et pourtant elle est bien présente parmi nous. Tu possédais un avantage stratégique en connaissant les règles de ce jeu et tu en as joué sciemment pour gagner la première plume, mais ton orgueil t’as justement fait parler pour te vanter de tes prouesses et ainsi divulguer des informations clés.”

    Grâce aux dernières paroles de la jeune femme, Savoir a maintenant clarifié le but de l’épreuve et restreint les possibilités sur le fonctionnement véritable de la balance, ou bien il est possible de partager un souvenir différent des paroles et des pensées de surface, ou bien le but est effectivement de s’acquitter du plus grand montant de vertue possible pour gagner. Auquel cas cette plume, bien que la performance de son adversaire soit déjà remarquable, risque bien de revenir au Démon pour une raison tout à fait simple:
    Il existe pour accomplir son but, non pas comme relation de finalité mais comme action active du sujet, s’il continue d’alimenter sa forme physique dans le plan matériel, s’il continue d’animer et de préserver le cadavre qu’il a volé il y a des centaines de milliers d’années, s’il continue d’arpenter inlassablement le Sekaï à la recherche des moyens d’éradication des Titans et de soutien des mortels, s’il possède un de ses yeux qui est l’incarnation même de l’application des mortels à l’accomplissement d’un objectif, c’est parce qu’il ne connaît pas la Paresse.

    Alors que la pupille de Comp est tellement grande qu’elle occupe à présent la quasi-totalité de l’optique et que son interlocutrice peut y voir le reflet entier de son visage dans le bassin noir de sa rétine, Savoir transmet silencieusement son témoignage à la balance, et un cube de masse noire se matérialise à son tour au dessus du plateau mais à la différence des instances précédentes, le cube ne bouge pas. Il reste en suspension dans les airs là où il s’est assemblé, sans jamais entrer en contact avec le plateau avant de se dissiper ainsi, donnant presque l’impression que l’épreuve s’est avortée si la plume associée ne disparaissait pas pour se manifester ensuite devant Savoir. Le vide abyssal de la pupille de Comp s’ôte enfin du visage de son ennemie, sans plus d’explications. Il la laisse uniquement avec le goût de la défaite, la frustration, la colère, tout ce qui peut bien passer par la tête arrogante d’une “mortelle” si sûr d’elle qu’elle s’est permise de jeter sa carte maîtresse à la défausse.

    Revenant de son côté de la balance grâce à la rétractation du filament de chair, Comp redirige son regard en direction des statuettes restantes dont ils n’ont pas déjà invoqué les plumes, en parallèle son esprit pragmatiquement cognitif évalue ses chances de réussite et son espérance de gain. Il doit profiter d’avoir déstabilisé son adversaire pour augmenter ses chances de succès sur une plume incertaine. Colère, Avarice, Luxure et Jalousie. Puisqu’il faut faire preuve de la vertue inversement associée au péché divin, la Luxure est sans doute une plume déjà favorable pour Savoir, la Jalousie l’est probablement tout autant bien que les doutes puissent subsister sur ce qui se délimite de l’envie ou la convoîtise pour n’être qu’un objectif. L’avarice est cependant un point d’interrogation pour le Démon, tandis que la Colère dépendrait grandement de la vie relative de son adversaire par rapport à la sienne, alors…

    ”La Colère.”

    Il ne devrait normalement pas pouvoir ressentir une telle émotion, bien au delà des capacités de Savoir et de ses préceptes d’accumulation de connaissance, et pourtant… et pourtant face à l’Arbre-Monde, lorsque Myriem de Boktor avait envoyé une vague d’apaisement afin de sauver le groupe de la colère des invocations de magie noire qui les avaient alors menacé, Savoir s’était également retrouvé affecté par la magie de la Baronne et Alys s’était clos. Pourquoi? Comp trésaille légèrement sur son support de chair alors que la réponse refait surface des tréfonds des fragments d’âme qui le composent. Le Savoir, le besoin de savoir, la soif de connaissance mais aussi… la colère irrationnelle de l’ignorance. Comp réagit immédiatement face au titillement qu’il ressent au plus profond de sa psychée, le bras décharné de l’azsharien se soulève et les serres difformes et monstrueuses englobent un des yeux pourtant encore clos avant de le broyer et de le transpercer violemment, tuant dans l’oeuf le réveil d’une conscience que Savoir préfère conserver endormie. Dans le même temps, le cube ombral qui caractérise les dons de l’entité poly-oculaire à la balance se manifeste et appuie sur le plateau jusqu’à soulever la plume d’une dizaine de centimètres dans les airs. Un résultat inattendu, mais tout se joue sur le différentiel entre lui et son ennemie, et non sur la “pureté“ objective de son âme.
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  • Mar 2 Juil - 22:58
    Siame ne pouvait véritablement compter que sur une chose : l’absence de savoir de son vis-à-vis. Son véritable avantage ne résidait pas dans les pouvoirs qu’elle possédait ou non, mais à cet instant, dans ceux que la créature pensait qu’elle possédait. Quand l’iris immense de Comp s’était rapproché subrepticement, l’Ange avait esquissé un mouvement de recul, juste avant de se rapprocher, curieuse comme une pie. L’iris s’était contracté, et en échange, les paupières de Siame s'étaient plissées, mi-perplexe, mi-moqueuse. La voix du Démon résonna entre ses deux oreilles, un peu grumeleuse, mais avec tant de puissance que quelque chose avait vibré en elle. Elle s’était presque mise à rire, comme une gosse qu’on chatouillait.

    Ça ? L’Ange cilla tranquillement, tandis qu’un sourire railleur, désabusé était venu se loger sur ses jolies lèvres. Mais ça, ce n’était pas de l'orgueil, mon pauvre ami. Et elle le disait avec toute la suffisance du monde. Juste un soupçon de nostalgie…

    L’étincelle brillante au fond de ses yeux donnait l’air de dire : “mais je te remercie de louer mon brillant esprit par la même occasion”. Pourtant, quand son iris démesuré s’était braqué sur elle, et qu’il avait évoqué l’absence de la statue supposée représenter l'orgueil – ce fichu orgueil qui la mènerait à sa perte –, la gorge de Siame s’était contractée. Tout va bien. Elle avait chassé ses angoisses d’un revers de volonté. Il ne savait pas, il ne savait rien. Il ne pouvait pas savoir, ni qui elle était, ni qu’elle venait des Cieux. Tant qu’elle gagnait, tant qu’elle continuait à gagner ces foutues plumes et qu’elle prenait soin de ne rien dire, rien évoquer de trop spécifique sur son passé… Pourtant, il lui était parfaitement impossible d’ignorer les capacités infinies de déductions dont faisait preuve le démon en face d’elle. Elle aurait été idiote de se rire de lui, quand tout chez lui criait “exécution”, sans autre forme de procès. Même l'œil supposément empathique qui lui faisait face tranchait juste, beaucoup trop juste. Siame serra la mâchoire. Il aurait tout aussi bien pu la tuer, juste là, qu’elle n’aurait eu que ses yeux pour pleurer. Pourtant, il demeurait immobile, sur cette chaise bien trop petite pour sa carcasse d’horreurs – pour sa silhouette aussi monstrueuse que menaçante – et continuait de jouer, avec elle…

    Et le Démon invoqua la Colère.
    Tout va bien. Il ne sait pas, il ne sait rien.

    L’Ange ne pensait plus aux restes des épreuves, à cet instant. Tout à coup, elle se trouve toutes les peines du Monde à dissimuler sa crispation. Elle avait eu une moue perplexe en observant le Démon mutiler l’un de ses yeux. La chose s’était agitée, et sans plus de ménagement, il l’avait transpercé, comme parfaitement insensible à la douleur à laquelle il se soumettait. Probablement n’aurait-elle pas dû s’en étonner, après tout, il lui avait bien dit “nous ne ressentons pas la douleur”—et Siame y voyait là un danger, mais aussi une véritable malédiction. Il ne disait plus un mot, et son silence n’avait que pour effet d’éveiller la curiosité de l’Ange… Il bluffait.

    Comment sais-tu que tu es en vie, si tu ne ressens pas la moindre douleur ? S’était-elle surprise à demander. Comment peux-tu éprouver la moindre colère, si tu n’es pas capable d’endurer la moindre souffrance ?

    Ses yeux ne quittaient plus l’iris qui lui faisait face – le dévisageait comme un morceau d’ananas sur une part de pizza –, si bien qu’elle ne perçut pas la lueur qui commençait à grandir, lentement, sur le plateau de la Balance. Sa main s’était avancée à son encontre, ses ongles pour griffes. Elle ne l’avait pourtant pas touché… Pas encore. Le moment semblait suspendu.

    Sans douleur pour l’alimenter, ta colère ne peut qu’être vide, sans la moindre substance, n’est-ce pas ? Comment peux-tu comprendre la profondeur de la rage, quand elle n’est pas alourdie par la souffrance ? Elle n’est que superficielle. Dépourvue de tout feu, elle n’est qu’une pâle imitation de la mienne.

    Et le voilà, cet orgueil, cet affreux orgueil, tandis qu’elle comprenait qu’elle était en train de perdre face à lui. Sa main s’était refermée, vivement, et Siame s’était renfoncée dans le dossier de sa chaise.

    C’est infiniment triste pour toi. Ta colère n’a pas d’âme, elle n’est née d’aucune cicatrice, d’aucun souvenir douloureux. Si elle existe, elle n’est qu’un simple mécanisme, froid, calculé. Une malheureuse parodie.

    Il n’aurait jamais dû naître, il n’aurait jamais dû voir le jour…

    La colère du Démon ne pouvait que lui sembler désespérément creuse. Et d’une façon, elle le plaignait. Quand chez elle, cette colère était un volcan, nourri par des années de souffrance. Parfois, elle avait voulu faire taire toute forme de souffrance, pour ne plus rien ressentir. Mais sans ça, sans ce feu dévastateur qui s’emparait d’elle devant toute forme d’injustice – celle d’un homme qui avait voulu lui prendre sa sœur, celle de la mort qui avait voulu lui voler son enfant, celle de mains libidineuses qui se posent dans le creux de ses reins ou celle d’un Mortel qui lui arrache ses ailes –, elle mourrait, pas vrai ? Devant ça, Siame ne répondait plus de rien… Et à ses yeux, la colère ne pouvait être que vertueuse. Et pourtant…

    À cet instant, dans cette petite chapelle diviniste, l’Ange s’était laissé surprendre par ce sentiment curieux, hargneux et flamboyant qui venait de lui saisir la poitrine sans qu’elle ne s’en rende véritablement compte—jusqu’à que la petite lueur se transforme en un soleil brûlant. Un soleil immense, un reflet de la flamme folle qui vacille dans sa poitrine, à la recherche de quoi que ce soit – n’importe quoi – à brûler. Elle aurait certainement dû se montrer plus avisée, plus maîtrisée, plus contrôlée.

    Et pourtant : elle perd. Lamentablement.
    Et tant pis. Et merde. Et merde si la Colère est un crime ou un délit, qu’on la condamne. Qu’on la condamne pour ça, et puis pour son orgueil—qu’on la condamne pour ce qu’elle est : une bouffeuse d’Âmes opiniâtre et affamée qui méritait d’être lynchée pour ce qu’elle avait fait.

    La plume volète, pour venir se poser – injustement – devant le Démon.

    Tu ne me laisseras pas quitter la chapelle une fois notre petit jeu terminé, pas vrai ?

    Le jeu. Elle l’avait presque oublié. Tout à coup, son attention n’est plus qu’uniquement dirigée sur l’abominable créature. Si elle devait y laisser ses plumes, Siame préférait encore prendre les devants. Avoir une voix au chapitre qui allait se dessiner…

    La Luxure, demande-t-elle, sans transition—outre la volonté de reprendre la main.

    Parce que la Luxure devait bien venir après la Colère ? C’était l’ironie de la chose. Quand la flamme ardente de la haine venait tout consumer sur son passage, brutale, impitoyable, elle ne pouvait laisser qu’un vide infini derrière elle. Un champ de ruines. Un silence assourdissant et le besoin, urgent, vital, de combler ce vide—de trouver un exutoire à toute cette folie destructrice. Le sexe n’avait toujours été qu’un palliatif quand il n’était pas animé par les nécessités reproductrices ou qu’il ne se cachait pas derrière une quelconque hypocrisie religieuse. Oui, la Luxure entrait alors en scène, comme une solution évidente, immédiate. Temporaire, certes… Insidieuse aussi. Oh oui. La luxure est maligne. Addictive. Elle sait que la colère épuise, qu’elle laisse l’Âme vulnérable. Oh, c’était tragique, vraiment. Quoi de plus diabolique que de profiter de ce moment de faiblesse pour se présenter telle une consolation vicieuse, trompeuse ? Une promesse d’oubli, et surtout, une promesse de plaisir. Elle se précipitait de tout combler—et qui pouvait, dans ce monde, prétendre ne s’être jamais laissé ramoner juste pour oublier ? Qui ne s’était jamais abandonné à l’idée d’un baisage de consolation ? À foutre le camp de son cerveau pour s’abandonner à son corps, quand bien même chacun savait pertinemment que le sexe n’était jamais une solution définitive ?

    Qui ?


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  • Lun 22 Juil - 22:43


    En se rasseyant dans son siège trop petit pour lui, Savoir maintient l’oeil qu’il vient d’éviscérer, alors que Comp surveille attentivement l’évolution des picotements qu’il ressent à l’arrière de sa conscience. Sa propre concentration est divisée entre l’attention nécessitée par l’éveil dangereux qui plane sur lui et le comportement de son adversaire qui commence à montrer des signes notables de nervosité et un niveau d’excitation accru. Le sujet de son étude commence à s’exprimer avec un volume sonore plus élevé, son langage se fait moins articulé et moins rationnel à mesure qu’elle semble oeuvrer à l’encontre des objectifs de l’épreuve sans réelle raison apparente. Pour Comp, la conclusion de sa constatation est évidente, la jeune femme est déstabilisée par ses émotions et plus particulièrement par une forme ostensible de colère qui transparaît à travers les symptômes observables qu’elle laisse paraître. Le Démon pèse un instant l’option de répondre à ses provocations, cherchant des antécédents dans sa mémoire d’instances où, la colère d’un individu avait été le plus renforcée par l’escalade des insultes ou par un traitement silencieux, et il décide d’opter pour la frustration de l’absence d’explication. Cette solution semble plus cohérente pour le Démon qui estime que la continuité de son mutisme ne servira qu’à exacerber l’énervement de son ennemie et donc à la pousser d’autant plus à l’erreur. Il l’écoute, et il se tait.

    Son corps présente des signes contradictoires, elle reste calme, mais le son de sa voix frémit, elle ne s’emporte pas, mais ses yeux dardent l’iris de Comp avec une ferveur religieuse de circonstance. Elle est immobile, mais un sentiment sourd vrombit en elle. Savoir attend qu’elle invoque la plume suivante pour pouvoir enfoncer le clou et délivrer ainsi le coup de grâce, mais elle pose à la place une question toute pertinente. La pupille de Comp se rétracte sous la contraction des muscles de son épithélium antérieur, réduisant de quelques centimètres le diamètre du trou noir où se reflète le visage angélique, il réadopte ensuite sa taille normale après une demie-seconde de réflexion. Elle se trompe, il la laissera partir, mais il aura besoin de certaines informations pour ce faire, le Démon de la Connaissance possède des lacunes sur cette course aux plumes que son adversaire semble connaître plus en détail, et il ne tolère que très peu l’asymétrie d’informations qui lui est aussi insupportable. Savoir veut savoir, et il compte bien se servir. Si la femme aux cheveux blancs comme la neige qui macule les vitraux possède bien des plumes qu’il convoite, il lui serait contre-productif d’essayer de les lui voler, il ne sait pas si d’autres épreuves nécessiteront comme celle ci-présente la participation d’un adversaire, et il lui serait trop incertain d’introduire une nouvelle personne en tant que concurrent. Il ne peut pas demander à Marche-Esprit qui ne quittera pas le Havre, et il ne peut pas forcément faire une croix sur les connaissances des règles que l’autre joueuse est susceptible de posséder, en revanche il peut la laisser partir avec la promesse de la retrouver sur d’autres épreuves coopératives ou compétitives. Lui soustraire ses plumes serait cependant une action défavorable pour le Démon qui garantirait à l’étrangère un désintérêt total à jouer contre lui à l’avenir, si son espérance de gain s’avère certainement nulle parce qu’elle ne peut gagner, elle n’aurait aucun intérêt à jouer.

    L’azsharien s’apprête donc à répondre pour au moins conforter son opposante sur ce point et l’inciter à poursuivre la compétition, mais il est surpris en découvrant que sa frustration atteint déjà le stade où son comportement psychologique irrationnel se traduit par des prises de décisions qui le sont tout autant, elle continue de jouer sans pour autant avoir la certitude que ce soit avantageux pour elle. Le Démon contemple avec satisfaction alors qu’elle invoque ensuite la Luxure, un péché des plus ésotérique pour une entité telle que Savoir, mais pas autant pour les fragments d’âme qui le compose. Cette plume il est certain d’également pouvoir l’emporter, et l’enchaînement de celle ci pour suivre la colère va lui ouvrir une position favorable pour disputer les deux dernières plumes de l’Avarice et de la Jalousie.

    Une aberration de la nature qui défie les lois de base de la biologie organique, voilà ce qu’est l’existence de Savoir, d’un Démon, il est venu en ce monde non pas par le mélange de deux codes génétiques parents pour passer des traits d’un individu d’une espèce à un autre, mais par l’accumulation surnaturelle de fragments d’âmes, d’une ressource qui ne disparaît pas, ne se multiplie pas et ne prolifère pas. Il n’a aucune raison de chercher à se reproduire, son âme est éternelle dans le cycle de la réincarnation, et s’il a quelques raisons temporelles de vouloir se préserver d’une mort physique, il n’en a aucune de souhaiter une démultiplication des représentants de son espèce. La reproduction n’est pas dans ses gènes, tout simplement parce qu’il n’a pas de gènes. La Connaissance se nourrit d’elle-même, elle s’alimente seule, poussant la curiosité à explorer toujours plus loin les confins de l’univers pour se rendre compte de la présence écrasante de l’ign-

    Le globe oculaire meurtri de Savoir trésaille à nouveau.
    Les doigts longilignes qui l’encadrent s’enfoncent un peu plus dans l’organe déjà atrophié.

    Comp vibrionne sur place, transformant les contours de son disque orangé en une forme géométrique floue sans renvoyer une quelconque émotion, ce mouvement mystérieux ne se traduit ni ne s’assimile à un quelconque mouvement de prédateur naturel, de proie ou de plante, c’est un phénomène non pas surnaturel, mais simplement irréel qui ne laisse deviner ce qui l’a suscité. Quand il se stabilise brusquement dans l’espace et ne bouge plus d’un millimètre, donnant la sensation à l’oeil nu qu’il demeure fixe dans les airs, l’oeil pivote sur lui-même sans rien changer à sa position spatiale pour se darder sur la jeune femme et silencieusement répondre à l’épreuve. Une fois de plus le cube de noirceur se manifeste, une fois de plus il n’effleure même pas le plateau de la balance avant de disparaître, et une fois de plus une plume injustement attribuée à l’ennemi des Titans vient se matérialiser devant lui. L’oeil continue de fixer son opposante avec une discipline irritante, comme s’il attend une explication, comme s’il est sur le point de la questionner pour s’enquérir des raisons de sa défaite, il ne la scrute même plus, il regarde simplement le même point sur son visage, quelque part entre ces deux yeux remplis de quelque chose qu’il ne saurait lui-même ressentir. Quand la voix de Comp répond impassiblement pour dicter la suite de l’épreuve qui approche de sa fin, il prononce son verdict d’un ton froid, monotone et dénué de toute humanité pour pouvoir titiller un peu plus l’indignation que son adversaire a manifesté tantôt suite à la perte de la Colère:

    ”Jalousie.”

    Et tour à tour ils se pèsent, et tour à tour la balance tranche encore une fois en la faveur du Démon. Il est Savoir, il est complet, quelle raison peut-il bien avoir de convoiter ce qu’il n’est pas? Il ressent une soif insatiable, mais il ne la dirige pas sur ce qui n’est pas sien d’acquérir. Lentement, la quatrième plume vole vers son ventre pour rejoindre les autres et s’enfouir à l’intérieur des viscères exposées du Démon en narguant son ennemie.

    Et pourtant il demeure toujours là, assis, en face d'elle, mutique et immuable.
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  • Mer 7 Aoû - 13:46


    La plume lui échappe. Tout lui échappe alors qu’elle réalise ce qui est en train de se passer : elle perd, encore. À nouveau. Et elle perdra encore. Pas seulement la prochaine plume… Siame se trouve l’envie de disparaître. Elle a le sentiment qu’on la mène tout droit vers l’échafaud de sa propre conscience : parce que chacun de ces péchés est profondément ancré quelque part en elle—Elle pourtant Ange, elle pourtant Parfaite en toute chose. Elle, Parfaite devant lui, ce démon, cette aberration qui gagne pourtant chacune des épreuves, les unes après les autres. Tout à coup, tout ça lui semble idiot. Tout ce jeu, toute cette vie, toute l’idiotie et la futilité de chacune des émotions—ces choses qui l'enveloppaient comme une ouate et faisaient dilater le temps.

    Peut-être que Parfaite, elle ne l’avait jamais été. C’était visiblement ce que le résultat de cette épreuve portait à croire, alors que les plumes s’alignaient, les unes après les autres devant celui qui – par définition – avait tout d’imparfait. Elle sentit sa poitrine se gonfler d’une émotion indéfinissable (non) à la vue de cette plume—cette plume de plus, qu’elle perdait à nouveau. La réalisation l’avait percuté comme un reflux. Cette émotion-ci, Siame n’était jamais réellement parvenue à s’y accoutumer. Si Colère, Démesure, Luxure la poussait vers l’avant, Jalousie avait toujours injecté en elle l’envie de ne plus se contenir, d’exploser, d’arracher aux autres ce que la vie lui avait refusé. Et pourtant, de toute, c’était la seule qu’elle se trouvait à refouler. La chose avait toujours fait naître une forme de folie noire, chez elle. L’admettre ? Jamais. Impossible. Elle la sentait venir comme un coup de fouet sur ses joues, comme la chaleur d’une sorcellerie qu’aucun ne sait réellement maîtriser—et ce sentiment l’avait toujours poussé à s’abandonner à des actes bien étranges. Oh ce n’était jamais une bonne chose, quand la jalousie montrait le bout de son nez. La noirceur reflue dans ses yeux et la Balance la trahit une fois de plus. Cette fichue Balance qui lui empêche de tromper—elle pourtant menteuse effrontée. Elle ne perd pas seulement les plumes, elle perd sa propre dignité, en jouant à ce jeu : en admettant chacun de ses péchés. En admettant que Parfaite, si elle l’avait un jour été, elle ne l’était plus. Elle qui avait passé tant d’années à s’offusquer pour le traitement que ce Monde – cette terre amère – lui avait un jour réservé—pour tout, tout, tout ce qu’on lui avait arraché. Et soudain, elle réalisa Ô combien il était tristement réconfortant d’être Rien, ni Personne, et d’être Seule. Elle savoura le sentiment. Retrouver ses ailes n’avait jamais été à la perspective d’une renaissance. Tout ça n’avait été qu’une manière d’amorcer sa fuite—pour retrouver les plus hauts Monts, ceux oubliés, pour elle-même, s’y oublier. Un demi-sourire las, mélancolique, vient étirer la fine ligne de ses lèvres. Le genre de sourire dont chaque coin s’ouvre en adieu et se referme en regret.

    L’Ange relève les yeux lorsqu’elle aperçoit le mouvement du démon en face d’elle. Il se tient droit, fier de ses victoires, mais lui aussi, refoule quelque chose. Ses griffes s’enfoncent grotesquement dans son globe meurtri, le serre comme on presse un fruit pourri. Il le fait comme on se mord l’intérieur de la joue pour s’empêcher de dire une bêtise, ou de céder à l’hilarité dans les moments les plus inappropriés. Siame se sent scrutée comme elle ne l’a jamais été avant. Elle fronce légèrement les sourcils, à son intention—perçoit cette curieuse réserve en lui, ce calme calculateur qui agite son Âme. Peut-être aurait-elle dû comprendre, à cet instant, le piège qui se refermait insidieusement sur elle—peut-être le comprend-t-elle, tandis qu’elle appelle la dernière plume, Avarice, qu’elle sait perdue d’avance. Ce n’est même pas la peine de prétendre.

    C’était amusant, conclut-elle en se relevant, sans se presser, sans le moindre sourire—parce qu’il lui faut accepter la défaite, avaler la boule d’amertume qui lui reste en travers de la gorge.

    Elle lorgne sur les plumes qui s’enfoncent dans les intestins de la créature. Aller les récupérer ne l’aurait pas embarrassé le moins du monde : le sang et la putrescence ne l’avaient jamais dérangée. Elle se voit sans mal fourrer les mains dans la mélasse marron et glissante des viscères du démon. Cependant, Siame se doute du risque que cela représente. Il lui faut réprimer l’envie de se jeter sur lui—celle de se venger et de lui reprendre ce qu’il n’avait jamais mérité. Puisque le mérite venait avec le sacrifice de soi : et qu’avait-il à sacrifier, puisqu’il était incapable de désir et d’envie, de culpabilité et d’affection. Elle se prend alors à le haïr, pour tout ce qu’il est et ce qu’elle ne sera définitivement jamais. L’Ange ouvre la bouche, hésite. Parce que quelque chose en elle hurle, peste et proteste : lui interdit de perdre et d’abandonner—tire sur sa volonté comme un chien fou tire sur sa laisse. Tous ses péchés se sont finalement retournés contre elle, sauf un. Elle considère la statue manquante, celle dans laquelle elle avait un jour logé, et sent un poids écrasant dans ses poumons. Du chagrin, peut-être, de réaliser que son ancienne prison d'orgueil fut le dernier endroit dans lequel elle s’est sentie en sécurité. Elle croyait avoir échappé à ce piège-ci, avoir retrouvé sa liberté, sans réaliser le prix qu’elle devait alors payer. Que le marbre n’est pas la seule chose à s’être brisée, au retour des Titans sur le Sekaï—et l’Ange n’est pas certaine d’encore comprendre toutes les manières dont son Âme a été fragmentée, ce jour-ci. En sept morceaux, pour être exact. Car rien n’est véritablement Complet, ni Parfait sans le Sept.

    J’imagine que nous nous retrouverons devant la Porte, le moment venu… Si les Titans le veulent.

    Siame se détourne, s’apprête à repartir, son maigre butin en main. Elle pense à ses ailes, qui se trouvent peut-être enfermées dans le temple. Elle pense à tout ce que cela signifie—à tout ce qu’elle est et ce qu’elle n’est plus. À ce qu’elle demeure : une Ange, une Fille d’Aurya ; elle songe à toutes ces majuscules, au poids des siècles de sacrifices, de loyauté, d’intégrité… Elle pense à l’injustice, à la souffrance, immense et incandescente qu’elle doit supporter. Et elle plonge. Sur lui, sur le démon. Comme si des ailes lui avaient de nouveau poussé. Sans plus d’hésitation, ni arrière-pensée, avec la frénésie du chien enragé qui réalise que sa laisse vient enfin d’être lâchée. Au diable les conséquences. L'Ange le fait, folle de chacun de ses péchés : elle se jette sur lui avec le désir fou d’une suicidaire. Elle n'entretient pas vraiment d'illusion sur ses chances—elle n'a alors aucune volonté de l'emporter. Mais elle s'était pourtant ruée sur lui, avec une vivacité incroyable, ses yeux flamboyants d'un argent douloureusement froid. De l'un de ces regards qui dénude l'Âme avec la brutalité d'une chirurgie sans anesthésie—un regard partagé entre un fiel noir, et une désolation si profonde que Siame ne pense plus : ni à la vie, ni à la mort. À cet instant, l'Ange pue la misère et la faiblesse—tout ce qu'elle déteste chez les autres.

    Son corps entier se met à vibrer quand ses griffes s'agrippent au démon et que ses mains s'enfoncent rageusement dans son poitrail, fouille à travers une cage thoracique décharnée, dans un devoir absolu de violence. Elle n'est pas certaine de ce qu'elle fait : si elle cherche à déraciner les plumes, à les récupérer, ou si elle cherche simplement à faire fermer sa gueule à cette voix qui lui chuchotait qu'elle avait échoué. Tout ce qu'elle sait, c'est que si elle ne le fait pas, elle meurt. Ses griffes se resserrent dans les viscères pourris de la créature. Elle serre jusqu'à que des effluves sombres lui éclatent à la face et se mélangent avec ses larmes—ces larmes rageuses, affreuses, qu'elle n'a pas senti couler. Cet aveu incontrôlable de la haine brûlante qui la retient prisonnière. Elle serre comme si elle ressentait elle-même cette douleur, comme si elle pouvait, de cette manière, étrangler la voix abominable qui lui prend alors la tête.


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