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Le repos est une notion bien singulière pour les grands travailleurs, Zelevas le constate dans chacun de ses mouvements depuis quelques jours avec une certaine dépréciation. Première fois qu’il prend une pause de ses activités depuis si longtemps qu’il serait bien incapable de déterminer la dernière fois qu’il est ainsi resté oisif. Est-ce que ça remontait à la mort de ses parents? Quand il avait appris que la sortie de route de leur diligence n’avait rien d’un accident? Peut-être, à ce moment là il était resté plusieurs semaines seul dans le Manoir d’Élusie jusqu’à ce que son meilleur ami vienne le tirer de là pour entamer sa première campagne présidentielle. C’était il y a si longtemps, et pourtant le Sénateur se souviendra toujours de cette période, gravée dans sa mémoire au fer rouge comme une trace indélébile qui n’a que tout récemment trouvé une quiétude précaire. Il goûte à nouveau à la paix, et comme son corps lui fait savoir au moindre pas, il goûte à nouveau au repos. Entre la pression de ses obligations de Directeur de la Societas, celle de ses responsabilités de Sénateur, celle de fondateur du FRN, entre les menaces qui pèsent sur lui avec l’enquête en cours, entre les folies que son vieux corps a commis pendant l’attaque de Liberty par l’Assemblée et enfin entre les colossaux enjeux de sa campagne présidentielle à rallonge étendue par le délai des élections, Zelevas se sent une centaine de fois plus fatigué maintenant qu’il ne fait rien de ses journées qu’alors qu’il arpentait Justice et le reste de la République pour assurer ses diverses missions. Si ce n’était pas pour Azura qui séjourne actuellement au Manoir avec lui, il resterait volontier dans son lit à rattraper le sommeil qu’il peine de toute façon à trouver malgré son état d’exténuement. En parlant de la Consule, autant l’hôte des lieux se force à se lever pour pouvoir être présent dès que la Lumina serait debout, autant Aiwenor est justement enfermée dans sa chambre que le d’Élusie n’ose évidemment pas ouvrir. Laissant donc la Lumina continuer d’hiberner, le Sénateur descend les marches de sa demeure avec tout le poids de la décompression actuelle en laissant s’abattre lourdement ses pieds sur le bois grinçantes.
Au fur et à mesure qu’il descend, un sourcil grisonnant se hausse en dessous de ses cheveux blancs en bataille, d’ordinaire plaqués en arrière avec une attention toute particulière et une rigueur d’ancien militaire, ses mèches qu’on ne soupçonne habituellement pas aussi longues traînent le long de ses temps en chatouillant les favoris de sa barbe hirsute. Si la crinière de son lourd manteau accompagne généralement sa pilosité faciale, c’est cette fois une simple chemise blanche fourrée à moitié dans son pantalon qui dissimule la peau rabougrie et marquée de son torse. La buanderie de sa chambre personnelle étant parmis les seuls endroits du Manoir à ne pas être laissés à l’abandon pour de simples raisons d’image publique, ses vêtements sont propres et fraîchement lavés, mais l’odeur de renfermé du Manoir est tenace et rien ne pourra jamais réellement s’en débarrasser tant qu’il séjournera ici n’est-ce pas? La raison de l’interrogation de Zelevas est double, une d’elle vient du son particulier qu’il entend à travers la double porte du salon, il s’agit de la voix étouffée mais inimitable de Mortifère qui parle dans la pièce adjacente, et le Sénateur est déjà surpris d’entendre le soldat parler ou râler, lui qui se montre rarement expressif, encore moins depuis l’exérèse. L’autre cause de son étonnement est tout simplement le fait de voir cette double porte fermée, même en hiver il ne prend pas la peine de clore la séparation entre le vestibule et le salon étant donné que le Manoir est de toute façon impossible à chauffer, et pour le temps qu’il y passe, il préfère de toute façon ne pas se prendre la tête avec des préoccupations aussi futiles.
Arrivé au rez-de-chaussée, sa main ridée qui se cache normalement derrière des gants de coton blanc se pose sur la poignée de la porte et écarte cette dernière, et en voyant la jeune Hélénaïs de Casteille déjà debout se retourner pour venir à sa rencontre, le candidat aux présidentielles peu présentable écarquilla grand les yeux tandis que sa bouche s’ouvrit au moins autant. Il la referma aussitôt en réalisant que sa tenue importait de toute façon peu, de même pour son apparence physique, même si la petite Sénatrice allait sans doute être amenée à le toucher tôt ou tard l’entorse à la bienséance n’en serait que minime. Ce qui le choque d’autant plus c’est aussi le fait que la jeune femme ait pu entrer et se guider d’elle-même jusqu’au salon, mais quand un mouvement attrape l’attention de Zelevas et qu’il relève son regard plus loin derrière la jeune femme pour voir la porte au fond de la pièce s’ouvrir toute seule et se refermer, il plisse les yeux en comprenant ce qu’il vient de se passer. Il reste un moment dans le cadre de la porte sans bouger, moment qu’il utilise pour reprendre de sa contenance et se préparer mentalement à une entrevue avec non pas une collègue ou une amie mais avec une adversaire: si Hélénaïs est bien le soutien politique d’une personne actuellement sous ce toit, ce n’est pas de celle auquel elle fait face mais plutôt de celle au dessus de sa tête, dans la chambre à l’étage qui dort à poings fermés. Le d’Élusie est extirpé de sa torpeur par la vue de la de Casteille qui tâtonne du mieux qu’elle le peut pour le saluer sans rentrer dans les meubles ou casser quoi que ce soit, et le vieillard décide de lui faciliter la tâche n’attendant pas plus pour prendre la parole. Un sourire affable qui s’entend dans la voix plus tard, il dit avec un air jovial:
”Sénatrice de Casteille.” Froid. Mais tout aussi froid que le phrasé de la jeune femme dont il avait plus l’habitude des ‘Monsieurs’ en publique et des Zelevas en petit comité. Il y a dans son comportement quelque chose de clairement désarçonné, une nervosité apparente bien plus ostensible même que lors de sa toute première prise de parole à l’hémicycle il y a sept mois. ”Avec une colonne vertébrale en vrac et des genoux qui me quémandent une pitié à tout instant, mais autrement bien.” Ses sourcils froncés dévisagent ouvertement la jeune femme, nul besoin de se cacher, nul besoin de paraître faussement courtois, il n’a qu’à le dire mais pas à l’acter. ”Vous êtes toute excusée ma chère amie, vous me voyez soulagé de vous voir bien portante et saine et sauve, je regrette terriblement de ne pas être venu m’informer de vos nouvelles mais je ne suis seulement rentré qu’hier en ces lieux et la bataille fut… fort éprouvante.”
Saisissant la douce main de la jeune femme, il cligna des yeux d’hébètement en voyant le pansement tout neuf qui recouvrait un des doigts de la Sénatrice. Mais qu’est-ce qu’il a fait? Mortifère avait-il blessé de Casteille ou s’était-elle fait mal toute seule? À mieux y réfléchir la deuxième option lui parait plus que probable, la cécité n’est pas forcément très clémente avec le corps et bien moins encore envers les mains envoyées en éclaireuses d’infortune… quand ce ne sont pas ses orteils qui doivent faire les frais de son exploration. Si son interlocutrice ne peut pas savoir où exactement se porte son regard, elle peut cependant déduire à la pause qu’il a marqué qu’il a remarqué le pansement, faisant fi de sa propre curiosité Zelevas soulève donc la main pour à peine l’effleurer du bout du nez, et sans la lâcher, il guide sa propriétaire jusqu’à un des deux fauteuils où elle y sera mieux installée que sur le canapé affaissé.
”Je vous en prie de Casteille installez-vous. Puis-je vous servir un rafraîchissement?” fit le d’Élusie en approchant du cabinet d’argentier à quelques mètres de la cheminée.
Lui allait de toute façon avoir besoin d’un remontant, il était non seulement abattu, mais il avait en plus levé le pieds sur la boisson la veille, donc maintenant qu’il devait réengager une discussion de travail, il fallait bien reprendre des forces. Il ne commente pas le choix de son invitée mais dénote la tentative, il sait que la jeune femme a un affect très certain pour le vin, et son propre amour du whiskey n’étant pas un secret, que la fille de Bastian le rejoigne là dessus est clairement un message. Verre. Bourbon. Orange. Juste un zeste dans le verre de la Sénatrice pour adoucir le goût, nature pour le sien, comme d’habitude. Il revient jusqu’à la de Casteille et dépose le verre sur l’emplacement dans l’accoudoir, prenant soin de saisir la main de l’aveugle pour enrouler délicatement ses doigts autour du cristal afin de lui indiquer spatialement sa position. S’asseyant enfin dans le fauteuil en face d’elle, séparés par la table basse en verre et le canapé, Zelevas adresse un regard toujours aussi jugeur en parcourant la gamine de ses deux yeux bleu-acier glaciaux. Lorsqu’il reprend la parole, sa voix ne fait cette fois aucun effort pour masquer la distance dont il fait preuve:
”Vous m’avez appelé Sénateur, alors comment puis-je vous aider, Sénatrice?”
Noble de La République
Hélénaïs de Casteille
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La gêne était sur le point de devenir une entité palpable entre les deux politiciens. Hélénaïs dont l’air affable ne quittait presque jamais le visage, ne put s’empêcher d’insulter d’un tas de noms d'oiseaux la pauvre Emérée qui n’était, heureusement, pas là pour le voir ou l’entendre. “Quelle idée stupide”. Continua-t-elle de pester alors que sa main se lovait dans celle rêche et large de Zelevas qui la portait poliment vers son visage pour la saluer comme il était de coutume.
- Ne vous en faites pas pour cela, je ne saurais vous le reprocher. Et c’était plus que vrai. S’il y avait un millier de chose que la jeune femme pouvait critiquer, celle de ne pas prendre de ses nouvelles alors que la guerre faisait rage hier encore était sans nul doute la dernière de la liste. De plus elle n’aurait guère été légitime, elle qui s’était hâté d’aller se terrer aussi loin que possible de la ville. Ses lèvres se pincèrent brièvement en écho à ses pensées et les paroles d’Abraham lui revinrent en mémoire. Peut-être qu’ainsi, elle pourrait changer les choses… Sur le point de se perdre dans ses propres élucubrations, ce fut la pression de la peau sur son pansement qui l’en arracha, machinalement sa mâchoire se contracta légèrement et son sourire se fit légèrement vacillant. Si le sénateur eut quelque chose à redire, il n’en fit rien et ne tarda pas à la guider jusqu’au fauteuil qu’elle avait occupé quelques instants auparavant. Une fois assise, ses doigts tâtonnèrent pour retrouver sa tasse de thé froid sans la trouver. Abraham devait l’avoir emporter.
- Quelque chose de fort. Dit-elle simplement en sachant pertinemment que cette suggestion ferait hausser les sourcils à son hôte. Mais la conversation qu’ils s’apprêtaient à avoir aussi et c’était sans parler de celle qu’elle venait d’avoir mais dont elle doutait vouloir lui parler. Quelque chose, peut-être sa conscience, lui soufflait que rapporter mot pour mot l’échange qu’elle et son homme de main avait eu n’était pas une riche idée. Cependant, rien ne l’empêchait de poser des questions. “Chaque chose en son temps.” S’intima-t-elle néanmoins lorsque la main de Zelevas la guida vers le verre qu’il venait de déposer près d’elle.
- Vous ai-je mis en colère ? Demanda-t-elle après qu’un silence désagréable ne soit tombé entre eux. - Ce n’était pas mon intention, Zelevas. Sa salive lui semblait brusquement pâteuse. Ses doigts toujours enroulés autour du verre de cristal, elle le porta à ses lèvres pour en boire une longue gorgée. Cette conversation ne commençait pas sous les meilleurs hospices. Évidemment, Hélénaïs ne s’était pas attendue à l’accueil chaleureux qu’il lui réservait lorsqu’elle était enfant ou même avant la dernière assemblée. Mais leur dernière rencontre lors de l’élection lui avait parut chaleureuse, presque trop remarqua-t-elle à regret. Ainsi, lui aussi jouait au jeu des masques ? Ce n’était pas une surprise, tous leurs pairs étaient ainsi mais elle avait espéré que leur lien les ferait passer outre. Ce qui était hypocrite quand on savait qu’elle avait été la première d’eux deux à y participer. Le bourbon lui brûla la gorge mais éveilla ses papilles avant de réchauffer son estomac.
- De l’orange ? L’interrogea-t-elle avec un sourire avant de reposer son verre. Ses mains vinrent ensuite se joindre sur ses genoux, de la même façon qu’on le lui avait enseigné toute son enfance. Ainsi, elle était le portrait parfait de la jeune femme de bonne famille. Heureusement, personne ne pouvait ouvrir sa tête pour y découvrir toutes les choses qui s’y tramait et qui n'auraient jamais été là si seulement elle était la demoiselle qu’elle prétendait être. - Je suis heureuse de vous savoir en bonne santé, malgré nos différents. Cette phrase avait été prononcée comme un cheveu sur la soupe et elle servait à apaiser les tensions qui rendait l’air plus lourd mais pas seulement, elle était aussi sincère.
- Cependant je ne suis pas venu seulement à ce sujet. Mais ça, elle était certaine qu’il s’en doutait. Il était un homme intelligent, elle ne pouvait lui retirer cette qualité. - Et je ne suis pas venue rendre visite ni au Sénateur, ni à l’homme politique. Je suis venu voir Zelevas, l’ami de mon père et le mien. Son regard était planté devant elle, là où elle supposait que se trouvait le visage du vieil homme. - J’ai besoin de vos conseils ou au moins de votre avis… Je… Bien malgré elle, ses traits se firent grimaçant. Elle peinait à exprimer ses pensées car elle savait ô combien elle la mettait à nu et ce n’était pas face à un inconnu qu’elle se trouvait mais bien face à un homme qui pourrait sans peine utiliser chacune de ses faiblesses contre elle en représailles de ce qu’elle lui avait fait plusieurs mois auparavant. Hélas, Hélénaïs était une idiote idéaliste.
- Comment avez-vous fait ? Ses mots furent prononcés avec brusquerie, comme s’il avait fallu les lui arracher de la bouche. - Comment avez-vous fait pour vous en sortir malgré votre infirmité ? Et pour mettre un point final à sa phrase, elle avala une nouvelle gorgée d’alcool.
Que les dieux lui viennent en aide.
- Ne vous en faites pas pour cela, je ne saurais vous le reprocher. Et c’était plus que vrai. S’il y avait un millier de chose que la jeune femme pouvait critiquer, celle de ne pas prendre de ses nouvelles alors que la guerre faisait rage hier encore était sans nul doute la dernière de la liste. De plus elle n’aurait guère été légitime, elle qui s’était hâté d’aller se terrer aussi loin que possible de la ville. Ses lèvres se pincèrent brièvement en écho à ses pensées et les paroles d’Abraham lui revinrent en mémoire. Peut-être qu’ainsi, elle pourrait changer les choses… Sur le point de se perdre dans ses propres élucubrations, ce fut la pression de la peau sur son pansement qui l’en arracha, machinalement sa mâchoire se contracta légèrement et son sourire se fit légèrement vacillant. Si le sénateur eut quelque chose à redire, il n’en fit rien et ne tarda pas à la guider jusqu’au fauteuil qu’elle avait occupé quelques instants auparavant. Une fois assise, ses doigts tâtonnèrent pour retrouver sa tasse de thé froid sans la trouver. Abraham devait l’avoir emporter.
- Quelque chose de fort. Dit-elle simplement en sachant pertinemment que cette suggestion ferait hausser les sourcils à son hôte. Mais la conversation qu’ils s’apprêtaient à avoir aussi et c’était sans parler de celle qu’elle venait d’avoir mais dont elle doutait vouloir lui parler. Quelque chose, peut-être sa conscience, lui soufflait que rapporter mot pour mot l’échange qu’elle et son homme de main avait eu n’était pas une riche idée. Cependant, rien ne l’empêchait de poser des questions. “Chaque chose en son temps.” S’intima-t-elle néanmoins lorsque la main de Zelevas la guida vers le verre qu’il venait de déposer près d’elle.
- Vous ai-je mis en colère ? Demanda-t-elle après qu’un silence désagréable ne soit tombé entre eux. - Ce n’était pas mon intention, Zelevas. Sa salive lui semblait brusquement pâteuse. Ses doigts toujours enroulés autour du verre de cristal, elle le porta à ses lèvres pour en boire une longue gorgée. Cette conversation ne commençait pas sous les meilleurs hospices. Évidemment, Hélénaïs ne s’était pas attendue à l’accueil chaleureux qu’il lui réservait lorsqu’elle était enfant ou même avant la dernière assemblée. Mais leur dernière rencontre lors de l’élection lui avait parut chaleureuse, presque trop remarqua-t-elle à regret. Ainsi, lui aussi jouait au jeu des masques ? Ce n’était pas une surprise, tous leurs pairs étaient ainsi mais elle avait espéré que leur lien les ferait passer outre. Ce qui était hypocrite quand on savait qu’elle avait été la première d’eux deux à y participer. Le bourbon lui brûla la gorge mais éveilla ses papilles avant de réchauffer son estomac.
- De l’orange ? L’interrogea-t-elle avec un sourire avant de reposer son verre. Ses mains vinrent ensuite se joindre sur ses genoux, de la même façon qu’on le lui avait enseigné toute son enfance. Ainsi, elle était le portrait parfait de la jeune femme de bonne famille. Heureusement, personne ne pouvait ouvrir sa tête pour y découvrir toutes les choses qui s’y tramait et qui n'auraient jamais été là si seulement elle était la demoiselle qu’elle prétendait être. - Je suis heureuse de vous savoir en bonne santé, malgré nos différents. Cette phrase avait été prononcée comme un cheveu sur la soupe et elle servait à apaiser les tensions qui rendait l’air plus lourd mais pas seulement, elle était aussi sincère.
- Cependant je ne suis pas venu seulement à ce sujet. Mais ça, elle était certaine qu’il s’en doutait. Il était un homme intelligent, elle ne pouvait lui retirer cette qualité. - Et je ne suis pas venue rendre visite ni au Sénateur, ni à l’homme politique. Je suis venu voir Zelevas, l’ami de mon père et le mien. Son regard était planté devant elle, là où elle supposait que se trouvait le visage du vieil homme. - J’ai besoin de vos conseils ou au moins de votre avis… Je… Bien malgré elle, ses traits se firent grimaçant. Elle peinait à exprimer ses pensées car elle savait ô combien elle la mettait à nu et ce n’était pas face à un inconnu qu’elle se trouvait mais bien face à un homme qui pourrait sans peine utiliser chacune de ses faiblesses contre elle en représailles de ce qu’elle lui avait fait plusieurs mois auparavant. Hélas, Hélénaïs était une idiote idéaliste.
- Comment avez-vous fait ? Ses mots furent prononcés avec brusquerie, comme s’il avait fallu les lui arracher de la bouche. - Comment avez-vous fait pour vous en sortir malgré votre infirmité ? Et pour mettre un point final à sa phrase, elle avala une nouvelle gorgée d’alcool.
Que les dieux lui viennent en aide.
Devant l’inquiétude manifeste de la jeune femme, Zelevas qui jusque là était d’une humeur peu avenante se prend un léger coup de fouet quand Hélénaïs demande s’il est fâché. La surprise se lisant clairement sur le visage du vieux pour quiconque est doté de la vue, il se redresse légèrement dans son fauteuil à cette question, faisant grincer le bois du meuble accompagné des frottements du coton de sa chemise sur le velour du molletonnage. Le d’Élusie dépose son verre sans même y toucher sur la table basse et corrige immédiatement son approche de la conversation par un ton plus chaleureux:
”Non, non bien sûr que non Hélène, excusez-moi je-...” Il soupire de fatigue tandis qu’une main vient masser son front. Alors qu’il dépose son coude sur son genou en se penchant en avant, la tête restant ainsi dans sa dextre, la voix du Sénateur orientée vers le parquet sonne différemment. ”Je suis passablement exténué par les derniers évènements, la bataille a été rude et j’ai passé les jours qui ont suivi à alterner entre mes obligations politiques et celles de la Societas, je ne voulais pas paraître froid, c’est simplement que…” Il se cale contre le dossier du fauteuil et dévisage l’aveugle les yeux dans les yeux, tandis qu’elle hoche la tête en fixant le mur du fond derrière Zelevas. ”Il ne faut jamais ô grand jamais faire l’erreur de mélanger le privé et le professionnel, c’est pour ça que j’ai insisté sur l’étiquette que vous aviez employé.”
Tandis que la Sénatrice de Casteille attaque le bourbon avec une nervosité palpable dans son geste, Zelevas hausse de nouveau un sourcil intrigué, la jeune femme est ostensiblement tendue et son confrère ne parvient pas à savoir si c’est du fait de la raison de sa venue ou de la discussion qu’elle a semblé avoir avec Mortifère tantôt. Il se doute qu’il aura le coeur fixé bien assez vite sur son interrogation. Il profite donc de la gorgée que la jeune femme prend pour en faire de même, répondant à la question de son invitée:
”Oui, fut un temps j’aimais bien agrémenter mon whiskey de la sorte. Je trouve que l’agrume assouplit bien le bourbon, ça lui rajoute un peu de sucre et ça teinte le parfum fumé avec une note fruité. Jadis j’y mettais de la cannelle à la place mais j’ai vite arrêté, la sensation de la poudre dans la texture me dérange.” Un de ses grands regrets c’est de ne pas avoir investi plus tôt dans un domaine de distillerie, il aurait pu faire fabriquer son propre bourbon et le faire maturer dans des fûts de canneliers. Si c’était déjà fait ailleurs il n’en avait jamais eu vent. ”Mais oui, pour en revenir avec votre première question, je vais bien.”
La de Casteille signale alors son soulagement une fois de plus avant de marquer une fin de phrase étrange aux oreilles du Lion, des différents? Ah bon? C’est toujours un plaisir d’apprendre qu’il est fâché avec quelqu’un mais qu’il n’en est même pas au courant, visiblement il est supposé être en froid avec la Sénatrice Humaniste… mais le vieillard ne parvient pas d’aussi loin qu’il s’en souvienne, à se rappeler avoir donné un motif d’offense à la jeune femme. Peut-être qu’il ne lui avait pas tenu la porte à la cantine du Sénat une fois, mais il n’avait pas dû y faire attention. Il écoute donc attentivement les mots d’Hélénaïs pour clarifier à la fois la raison de sa venue mais aussi ce point d’ombre apparemment contentieux. La petite précise alors qu’elle a besoin de lui en tant qu’ami, et soudainement l’ambiance de cette entrevue paraît bien plus légère aux yeux du Sénateur. Il redoutait d’avoir une discussion centrée sur le travail alors même qu’il prenait ses premiers jours de repos depuis si longtemps, et le fait que la de Casteille le rassure là dessus lui ôte un certain poids. Il se penche donc en avant, apportant un intérêt renouvelé à la jeune femme mal à l’aise qui cherche ses mots dans son fauteuil. Pendant qu’elle balbutie le début de sa phrase brusquement, Zelevas apporte le verre à ses lèvres pour en reprendre une gorgée mais finis par cracher dedans brusquement en entendant la fin. Il jure alors en regardant les quelques taches d’alcool tombée par terre à même le plancher, ça va encore coller et laisser des traces, mais le pire c’est la sensation poisseuse dans sa barbe trempée qui va empester l’alcool. Ce n’est pas vraiment le moment de nettoyer ça alors le vieux prend sur lui et essuie sa barbe sommairement dans la manche de sa chemise, ce n’est pas comme si la jeune femme allait remarquer la tâche sur le blanc de toute façon.
Il prend un ton surpris et faussement choqué pour détendre un peu la fille de Bastian:
”M-mais enfin! D’abord je vous emmerde, je ne suis pas infirme oh.” Il laisse un rire franc éclore afin de marquer la gentillesse avec laquelle il prend la question, avant de répondre d’un air amusé. ”La vérité c’est que j’ai failli mourir une bonne demi-douzaine de fois et c’est uniquement Mortifère qui m’a sauvé la mise à chaque fois.” Il regarde le maigre restant d’alcool au fond de son verre avant de continuer avec un ton plus sérieux, pas besoin de regarder la jeune femme pour savoir que ce n’était pas la véritable tournure de sa question maladroite. ”Non je suppose que vous parliez plutôt de ma vie. N’est-ce pas?” Il s’autorise un regard en coin envers l’aveugle, celui du vieux sage qui en sait plus que la novice, celui qui s’accompagne d’un léger sourire de satisfaction. ”Ce que je veux savoir avant de vous répondre c’est pourquoi vous me posez la question Hélène? Et pourquoi maintenant?”
Il se tait un instant comme pour la laisser réfléchir à la réponse mais si elle s’apprête à la lui donner, il ne lui en laisse pas le temps, puisqu’il reprend très vite:
”Parce que, si vous cherchiez simplement un conseil, je suppose que vous l’auriez déjà fait il y a longtemps en venant me le demander, voir même à votre entrée au Sénat, mais ce n’est qu’aujourd’hui que vous le faites. Alors qu’est-ce que c’est? Vous sentiriez-vous coupable de ne pas avoir participé à l’effort de défense de Liberty? Parce que si c’est ça je vois mal ce que vous auriez pu y changer. Je suis bien placé pour le dire, j’y étais et à part gêner les forces de l’ordre avec un fardeau de plus à protéger, ma présence n’y a rien accompli.” Il n’y avait possiblement rien de plus faux dans l’instant, ce n’est ni la bataille ni les conciliabules avec la SSG qui avaient tant épuisé Zelevas ces derniers jours mais surtout l’attente interminable des retombées de l’assassinat de la Présidente. ”Ou alors c’est autre chose? Quelque chose de plus insidieux.”
Zelevas se lève de son fauteuil pour venir s’installer sur le canapé juste à côté de la jeune femme, séparés par quelques dizaines de centimètres, il observe Hélénaïs de plus près. S’il n’y avait eu que son inaction pendant l’attaque de l’Assemblée sur Liberty, Zelevas était certain que la jeune femme n’aurait pas fait le déplacement jusqu’ici pour s’entretenir ainsi avec lui. Elle est perturbée, ça transpire par tout les pores de sa peau, de la sueur sur son front aux bouts des doigts crispés sur le verre de bourbon. La petite de Casteille est une scolaire, c’est une gérante qualifiée et elle est fille unique de sa lignée, elle est habituée à gérer de la pression et des crises, surtout en considérant l’épreuve de sa cécité qu’elle a bien été forcée de traverser. Le vieillard sait qu’elle aurait relativisé l’assaut sur la capitale et son impuissance à y changer quoi que ce soit, il y a donc un sentiment plus profond chez elle, quelque chose qui l’a miné petit à petit depuis quelques temps et dont la bataille de Liberty n’a été qu’un déclencheur. Zelevas se remémore ses premiers mois en politique, il était passé de Haut Juge de Justice à Garde des Sceaux et le gouffre qui séparait les deux positions lui était paru bien difficile à combler à l’époque, une inexpérience qui lui avait valu un mandat compliqué et des résultats très mitigés, mais surtout une passe mentale éprouvante.
”Est-ce que par hasard vous auriez le sentiment de ne pas faire assez alors que vous auriez pu en faire plus et mieux? Ou de ne tout simplement pas être la bonne personne? Est-ce que peut-être vous auriez la sensation de ne pas faire de différence malgré tout vos efforts?” Il ausculte la Sénatrice du regard. ”En même temps je le comprendrai, les chaussures de Vigent ne sont pas faciles à remplir et le calibre de vos collègues au Courant Humaniste n’arrange rien, vous êtes entourée d’un pilier de notre paysage politique d’un côté et du nouveau visage du peuple de l’autre. Quand vous êtes la seule des trois à être restée à la maison pendant que les deux autres se battaient à Kaizoku et à Liberty ça doit sans doute vous encourager à jeter l’éponge.” Il glisse délicatement ses doigts ridés sous la paume de pêche de la jeune femme, soulevant sa main avec précaution pour l’enserrer alors qu’il poursuit d’un ton sermoniel qui contraste avec ce geste. ”Sachant aussi le palmarès des actions politiques ces derniers mois, vous avez l’air d’avoir du mal à trouver votre place alors que vous faites également partie de la nouvelle vague.”
La nouvelle vague, cette formulation qu’il se plait à employer pour désigner le grand remplacement de l’hémicycle qui était survenu sur la dernière année du mandat de Mirelda. En l’espace d’un an, beaucoup des figures politiques importantes du pays avaient cédé leur place à l’assemblée sénatoriale pour laisser de nouveaux visages grimper sur les devant de la scène. Phtonia Até, une des têtes de lance du Parti Goldheart puis Génova, avait laissé une certaine vendeuse de parfum au nom de d’Oreithye la remplacer, Hélénaïs elle-même suivait Vigent Fraternitas, l’homme qui était favori pour les Primaires Humanistes changé pour la morveuse fraîchement sortie de son chateau viticol, Soren faisait suite au départ d’un Ironsoul, Azura précédait le départ d’un autre gros nom, Hestia Wessex dernièrement… La moyenne d’âge avait considérablement chuté et ce n’était pas forcément plus mal selon le vieux Lion, ça reflétait simplement l’ère des temps que le pays traverse avec tout les changements majeurs que Sekaï subit dernièrement, et le besoin viscéral de changement pour s’y adapter. Un vent de fraîcheur dont il redoute maintenant d’être le prochain sur la liste suite à ses agissements à Liberty.
Cette vague a amené son lot d’inexpérience, de travers, de déboires, mais également une agréable surprise sur l’échiquier, chacun des jeunes nouveaux sénateurs avaient tous rapidement réussi à tirer leur épingle du jeu. Aiwenor était l’actuelle représentante des Humanistes aux présidentielles et l’instigatrice de l’Alliance Réformateur-Humaniste, Soren faisait également partie de cette dernière et menait sa propre campagne de soutien à Zelevas dans la course Réformatrice, Hestia ne chôme pas de son côté à corriger les trajectoires du Parti Wessex et à redorer les propriétés de sa Famille tandis que Perséis s’était rapidement imposée comme la nouvelle tête pensante du Parti Génova. Et pourtant…
”Et pourtant vous êtes toujours là. Vous ne vous êtes pas demandée pourquoi?”
Noble de La République
Hélénaïs de Casteille
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Le rire du vieil homme eut au moins le mérite d’ôter un poids des épaules d’Hélénaïs sans pour autant la libérer des affres de ses pensées. Elle s’autorisa un fin sourire qui n’avait rien en commun avec celui qu’elle servait à qui voulait bien le voir. Il était plus ténu, timide et surtout plus incertain. Exactement comme elle et comme les sentiments qui faisaient maintenant vaciller toutes ses croyances. L’évocation de Mortifère ne fit que les ébranler un peu plus. La conversation qu’ils venaient d’avoir continuait de tourner dans son esprit comme un disque rayé et elle se demanda, pendant quelques secondes, comment réagirait Zelevas si elle se montrait curieuse à son sujet. Mais déjà la question en apportait une autre à laquelle elle répondit d’un hochement de tête. La réponse cependant, n’était pas exactement ce qu’elle attendait et elle grimaça lorsque ce fut lui qui, finalement, lui posa des questions.
Des réponses qu’Hélénaïs possédaient bien évidemment mais qu’elle n’était pas certaine de vouloir partager. Offrir sur un plateau d’argent l’une de ses faiblesses n’était déjà pas une chose évidente, en expliquer les tenants et les aboutissants était une autre paire de manches. Elle s’apprêtait à lancer une réponse sans intérêt pour rediriger la conversation lorsque la voix rugueuse de son hôte la coupa dans l’élan. Ce qui aurait pu être une bonne chose si seulement il n’avait pas mis le doigt exactement à l’endroit qui faisait mal. Immédiatement la jeune De Casteille se raidit sur son siège, son visage sembla pâlir -si tant est que ce fut possible de l’être plus qu’elle ne l’était déjà- et ses doigts se serrèrent autour de son verre. Mais une fois de plus, Zelevas dévia et Hélénaïs crut échapper à sa perspicacité. Elle l’entendit se lever, franchir les quelques pas qui les séparaient puis son poids s’installer à ses côtés. Machinalement, elle tourna la tête dans sa direction sans savoir qu’elle lui faisait maintenant face. Ce fut à cet instant qu’elle comprit qu’elle n’échapperait ni à sa clairvoyance, ni au lien qu’ils avaient entretenu ces dernières années. Qu’elle le veuille ou non, le sénateur la connaissait mieux qu’elle ne l’imaginait. Mais d’une certaine façon, n’était-ce pas exactement ce qu’elle était venue chercher ? L’avis de quelqu’un qui la connaissait ? Cependant sa fierté et sa méfiance, l’empêchaient de s’ouvrir complètement à lui. Il était un ami, c’était un fait, mais il était aussi l’un de ses adversaires politiques. Hélénaïs savait ô combien c’était un monde cruel et aussi qu’elle était une incorrigible idiote idéaliste, dont la confiance se gagnait bien trop facilement.
- Parce que ma place est ici. C’était la seule réponse qui lui venait. Ce n’était pas celle qu’elle avait voulu, mais c’était celle que son père lui avait légué en espérant qu’elle l’occupe, c’était également ce que sa mère avait espéré pour elle alors elle s’y était pliée et cela malgré son caractère impétueux qu’elle avait apprit à dompter. Parfois, elle se surprenait à imaginer ce qu’aurait été sa vie si elle n’avait pas perdu la vue. Aurait-elle suivi le chemin tracé par ses parents ? Où se serait-elle forgé le sien ? Hélénaïs était incapable de répondre à cette question et une part d’elle ne voulait pas le savoir parce qu’elle avait peur. Peur de se rendre compte qu’elle avait gâché ses plus belles années à atteindre un rêve qui n’avait jamais été le sien, peur de se rendre compte que sa place n’était en vérité pas celle qu’elle croyait et qu’elle n’était rien d’autre qu’un imposteur. Remettre en cause sa place, c’était remettre en cause son héritage ainsi que l’avis de son père et cette idée la terrifiait.
- Je suis là où je me dois d’être mais peut-être que je ne suis pas ce que j’aurais dû être. Un long soupir franchit la barrière de ses lèvres et elle y porta le verre dont elle avala une longue gorgée qui lui brûla l'œsophage. - Vous avez raison sur un point : les chaussures de Vigent ne sont pas évidentes à remplir et je n’y parviendrais sans doute jamais parce que lui et moi sommes bien différents. J’imagine que je remplirai les miennes le moment venu. Elle eut un petit rire qui mourut rapidement sur ses lèvres, son visage se déconfit et ce fut bientôt une profonde tristesse qui anima les traits délicat de son visage. - Je ne sais pas ce que j’aurais pu changer en participant à la bataille, Zelevas. Parce que je ne peux voir les lignes de temps et ce qui aurait pu être. Ce que je sais en revanche c’est que j’aurais pu être utile. Aucun bras, ni aucune main ne sont inutiles en temps de guerre. Sauf ceux d’une aveugle. De nouveau, elle tourna la tête vers le vieil homme et ses yeux opaques se posèrent sur lui comme si elle pouvait le voir. - Au moins, vous, vous y étiez et je suis certaine que vous n’êtes pas simplement resté dans un coin à vous balancer d’avant en arrière en priant un quelconque dieu de vous sortir de là. Je n’étais peut-être pas née mais je connais votre passé et vous n’êtes pas ce genre d’homme. Elle ponctua sa tirade d’une goulée d’alcool et se laissa aller contre le dossier du canapé qu’elle occupait. Maintenant, plus que jamais, elle prit conscience de l’idiotie de sa présence et, une fois n’est pas coutume, elle maudit Emérée de lui avoir soufflé cette idée imbécile. Son seul réconfort fut de savoir qu’elle avait négocié une contrat juteux avec Arès Wessex. Au moins n’avait-elle pas complètement perdu son temps.
- Comment était-ce ? Demanda-t-elle enfin. - A la maison bleue. J’ai bien eut quelques échos, mais ce n’est rien face aux témoignages de ceux qui y étaient. Quelques questions au sujet de Mortifère lui brûlaient aussi les lèvres, mais elle préféra les remiser à plus tard.
Des réponses qu’Hélénaïs possédaient bien évidemment mais qu’elle n’était pas certaine de vouloir partager. Offrir sur un plateau d’argent l’une de ses faiblesses n’était déjà pas une chose évidente, en expliquer les tenants et les aboutissants était une autre paire de manches. Elle s’apprêtait à lancer une réponse sans intérêt pour rediriger la conversation lorsque la voix rugueuse de son hôte la coupa dans l’élan. Ce qui aurait pu être une bonne chose si seulement il n’avait pas mis le doigt exactement à l’endroit qui faisait mal. Immédiatement la jeune De Casteille se raidit sur son siège, son visage sembla pâlir -si tant est que ce fut possible de l’être plus qu’elle ne l’était déjà- et ses doigts se serrèrent autour de son verre. Mais une fois de plus, Zelevas dévia et Hélénaïs crut échapper à sa perspicacité. Elle l’entendit se lever, franchir les quelques pas qui les séparaient puis son poids s’installer à ses côtés. Machinalement, elle tourna la tête dans sa direction sans savoir qu’elle lui faisait maintenant face. Ce fut à cet instant qu’elle comprit qu’elle n’échapperait ni à sa clairvoyance, ni au lien qu’ils avaient entretenu ces dernières années. Qu’elle le veuille ou non, le sénateur la connaissait mieux qu’elle ne l’imaginait. Mais d’une certaine façon, n’était-ce pas exactement ce qu’elle était venue chercher ? L’avis de quelqu’un qui la connaissait ? Cependant sa fierté et sa méfiance, l’empêchaient de s’ouvrir complètement à lui. Il était un ami, c’était un fait, mais il était aussi l’un de ses adversaires politiques. Hélénaïs savait ô combien c’était un monde cruel et aussi qu’elle était une incorrigible idiote idéaliste, dont la confiance se gagnait bien trop facilement.
- Parce que ma place est ici. C’était la seule réponse qui lui venait. Ce n’était pas celle qu’elle avait voulu, mais c’était celle que son père lui avait légué en espérant qu’elle l’occupe, c’était également ce que sa mère avait espéré pour elle alors elle s’y était pliée et cela malgré son caractère impétueux qu’elle avait apprit à dompter. Parfois, elle se surprenait à imaginer ce qu’aurait été sa vie si elle n’avait pas perdu la vue. Aurait-elle suivi le chemin tracé par ses parents ? Où se serait-elle forgé le sien ? Hélénaïs était incapable de répondre à cette question et une part d’elle ne voulait pas le savoir parce qu’elle avait peur. Peur de se rendre compte qu’elle avait gâché ses plus belles années à atteindre un rêve qui n’avait jamais été le sien, peur de se rendre compte que sa place n’était en vérité pas celle qu’elle croyait et qu’elle n’était rien d’autre qu’un imposteur. Remettre en cause sa place, c’était remettre en cause son héritage ainsi que l’avis de son père et cette idée la terrifiait.
- Je suis là où je me dois d’être mais peut-être que je ne suis pas ce que j’aurais dû être. Un long soupir franchit la barrière de ses lèvres et elle y porta le verre dont elle avala une longue gorgée qui lui brûla l'œsophage. - Vous avez raison sur un point : les chaussures de Vigent ne sont pas évidentes à remplir et je n’y parviendrais sans doute jamais parce que lui et moi sommes bien différents. J’imagine que je remplirai les miennes le moment venu. Elle eut un petit rire qui mourut rapidement sur ses lèvres, son visage se déconfit et ce fut bientôt une profonde tristesse qui anima les traits délicat de son visage. - Je ne sais pas ce que j’aurais pu changer en participant à la bataille, Zelevas. Parce que je ne peux voir les lignes de temps et ce qui aurait pu être. Ce que je sais en revanche c’est que j’aurais pu être utile. Aucun bras, ni aucune main ne sont inutiles en temps de guerre. Sauf ceux d’une aveugle. De nouveau, elle tourna la tête vers le vieil homme et ses yeux opaques se posèrent sur lui comme si elle pouvait le voir. - Au moins, vous, vous y étiez et je suis certaine que vous n’êtes pas simplement resté dans un coin à vous balancer d’avant en arrière en priant un quelconque dieu de vous sortir de là. Je n’étais peut-être pas née mais je connais votre passé et vous n’êtes pas ce genre d’homme. Elle ponctua sa tirade d’une goulée d’alcool et se laissa aller contre le dossier du canapé qu’elle occupait. Maintenant, plus que jamais, elle prit conscience de l’idiotie de sa présence et, une fois n’est pas coutume, elle maudit Emérée de lui avoir soufflé cette idée imbécile. Son seul réconfort fut de savoir qu’elle avait négocié une contrat juteux avec Arès Wessex. Au moins n’avait-elle pas complètement perdu son temps.
- Comment était-ce ? Demanda-t-elle enfin. - A la maison bleue. J’ai bien eut quelques échos, mais ce n’est rien face aux témoignages de ceux qui y étaient. Quelques questions au sujet de Mortifère lui brûlaient aussi les lèvres, mais elle préféra les remiser à plus tard.
”Presque sauvé le pays.”
Une phrase presque marmonnée dans sa barbe, à peine articulée, à moitié emmitouflée dans le rictus d’ironie qui lui vient à la bouche alors que la petite aveugle lui assure qu’il a fait une différence en étant présent à la bataille. Quelle différence. D’un autre côté s’il n’avait pas commis l’irréparable ils seraient elle comme lui, deux simples citoyens sans aucun pouvoir décisionnel ou législatif quelconque, portant les voies sans valeurs du peuple sans souveraineté. Une éventualité bien plus insupportable pour Zelevas que le poids de l’anxiété que l’enquête en cours fait planner sur ses épaules depuis son retour de Liberty. Le vieillard s’écarte un peu de la Sénatrice et se redresse dans son canapé, s’affalant contre le dossier du meuble sans retenue puisque de toute façon il ne peut être vu, il croise nonchalamment les jambes et saisi son verre une fois de plus pour faire tourner le bourbon à l’intérieur et l’oxygéner un tout petit peu.
”Éprouvant.” d’Élusie regarde la cheminée éteinte mais dans laquelle il peut pourtant revoir les flammes du brasier de Liberty le jour de l’attaque. La déflagration initiale, les harpies, la pestilence, les sorcières… le feu divin… Kaiyo… Il évite de trop s’immerger dans les souvenirs frais de l’attaque pour revenir à la charge comme un prédateur trop têtu, mais en même temps n’était-ce pas ce qu’Hélénaïs était venue chercher? Elle l’avait demandé en tant qu’ami n’est-ce pas? Et en tant qu’ami il se doit de mettre en relief cette tentative de changement de sujet aussi piètre que maladroite.
”Mais revenons à vous, c’est ce qui est important ici n’est-ce pas? Vous dites être là où vous vous devez d’être… et qui a dit ça? C’est vous, ou c’est Bastian? Je me demande sincèrement la question, parce que je crois que vous prenez le problème bien à l’envers ma chère Hélène, parce que vous vous blâmez de ne pas être ce que vous auriez dû, tandis que vous vous félicitez d’être là où est votre place, mais vous ne pouvez avoir de contrôle que sur un de ces deux facteurs uniquement. La providence vous a fait, et il n’y a rien qui ne puisse y changer quoi que ce soit. Rien. Aussi sûr que Soren est né bâtard, et aussi sûr que je n’ai jamais pu mobiliser la moindre magie malgré tout mes efforts. Il y a des choses que nous ne maîtrisons tout simplement pas, alors rien ne sert de s’y acharner quand il faut savoir s’admettre vaincu.” Il ponctue son propos d’une gorgée et continue après un raclement de gorge pour faire passer la sensation irradiante du whiskey. ”Vous êtes comme un navire Hélène, qui a mis le cap à contre-courant et qui ne se rend pas compte que la perte de ses rames rend son objectif impossible. Là maintenant, je ne suis pas entrain de dire que vous devriez cesser la politique.” Il marque une pause d’une demi-douzaine de secondes pour bien laisser le temps à la jeune fille de peser le poids de ses mots, elle hoche la tête doucement comme pour suivre ses dires, mais son malaise est toujours aussi palpable. ”Mais simplement que vous si vous ne pouvez pas changer ce que vous êtes devenues, peut-être est-il temps de reconsidérer les moyens que vous mettez en oeuvre pour parvenir à votre but. Votre père était un homme bon, un homme qui prônait le bien fondé des individus et qui voyait dans l’ouverture des esprits l’avènement d’une république plus forte et plus stable. Seulement il ne s’est jamais donné la peine de déployer suffisamment de ressources pour pouvoir faire la différence qu’il cherchait à créer. Vous êtes différente de lui Hélène, vous n’êtes pas votre père, vous êtes diplomée de la meilleure Université du pays, une Université à cent cinquante pièce d’or d’entrée, pour sept longues années d’études réputées les plus difficiles de ce pays, pour trois pourcent de réussite seulement malgré la fine fleure de l’élite estudiantine. Vous avez relevé en quelques années un domaine viticole à l’abandon auquel personne n’aurait donné un second regard sous Falconi, le vin a besoin de décennies pour se parfaire, pour marrer ses fûts, pour donner de l’âge aux vignes et raffiner son terreau, et vous vous avez redressé le tout en l’espace d’une paire d’années seulement. Vous êtes capable de faire tellement plus avec ce sang qui coule dans vos veines Hélène…” Le discours presque passionné de Zelevas trahit dans les pointes de sa voix la frustration de voir la jeune fille douter d’elle-même, il n’y a pas d’un simple altruisme délibéré dans les encouragements du vieillard, mais plutôt une fierté mal placée. ”... est-ce que vous savez pourquoi Sylvestre vous a poussé devant le Maire de Justice pour remplacer Vigent? C’est parce que je vous ai recommandé.” Il laisse de nouveau une pause pour qu’elle puisse accuser l’information. ”Si vous ne croyez pas en vous, croyez au moins en moi, qui croit en vous. Peut-être que vous êtes effectivement au bon endroit, à votre place légitime au Sénat, mais peut-être aussi ne l’êtes vous pas au bon moment, vous êtes terriblement jeune Hélénaïs, il n’y a absolument aucune crainte à avoir, quel est le pire qui puisse vous arriver demain? Perdre votre place au Sénat? Et alors? La vie continue, votre vie. Vous en faites ce que vous voulez et si vous voulez aller au Sénat alors battez vous.”
Il se relève du canapé en grimaçant sévèrement sous l’effort de ses genoux endoloris, faisant quelques pas pour s’adosser contre la poutre de soutènement de la cheminée et ainsi faire face à sa collègue du Bureau Spécial, il continue:
”Vous m’avez demandé comment j’ai fait pour m’en sortir… enfin non, d’abord vous m’avez traité d’handicapé, et ensuite seulement vous m’avez demandé comment j’ai fait. J’ai joué sur ce que je savais faire Hélène. Voilà comment j’ai fait. Quand j’étais plus jeune, je n’arrivais pas à mobiliser une once de mana pour sauver ma peau, mais en revanche je savais courir, sauter et tout ce qui vient avec. Et bien j’ai couru et sauté encore et encore jusqu’à ce que je puisse rattraper par l’effort brut, ceux qui étaient doués de magie. Il s’est passé exactement la même chose à l’Ordre du Razkaal. Un pieds devant l’autre, c’était mon credo pendant les examinations où j’aurai pu jeter l’éponge une dizaine de fois, mais je me convainquais ainsi, un pieds devant l’autre. Chaque moment où je me suis dis que je devais abandonner, faire demi-tour, parce que c’était trop difficile ou parce que je n’avais simplement pas les moyens d’y arriver, un pieds. Devant. L’autre.” Il soupire, se passe une main sur le front en se rappelant l’enfer que ça avait été. ”Et après j’ai fait exactement la même chose pour le barreau. J’ai étudié le droit des finances et du pénal pendant huit ans, je n’ai pas pu aller à MAGIC alors j’ai dû redoubler d’effort, et j’ai eu le barreau. Pareil, effort, persistence, Haut Juge, effort persistence, rencontres, effort persistence et caetera.”
Zelevas regarde le visage de la jeune femme, il ne peut pas s’empêcher de revoir la bouille de bébé que Théa lui présentait fièrement avec une lueur comblée dans les yeux, c’était il y a… par les Gardiens c’était il y a si longtemps. Et maintenant qu’est-ce que les années on pu défiler pour qu’il voit le fruit de ce petit bout de femme tout minuscule être assise en robe de haute couture à discuter de la politique du pays dans son salon. Un coup de vieux supplémentaire s’abat sur lui, bien qu’il s’en serait volontier passer avec les articulations déjà douloureusement redondantes à cette sensation.
”Vous avez vingt huit ans maintenant n’est-ce pas? À votre âge je crois que j’en étais à mes dernières missions au Razkaal. Je devais certainement être entrain de pister des pirates sur des bateaux de la SSG ou de trier de la paperasse dans la Forteresse. Bien loin de m’imaginer candidat aux présidentielles du pays, d’avoir mon propre parti politique derrière moi avec une alliance de taille ou de faire parti du Directorat de la Societas. Arrêtez de vous en vouloir Hélénaïs. Être faible ou inutile n’est pas condamnable, c’est le rester qui l’est. Commencez à songer à ce que vous allez faire pour y palier, plutôt que de regretter le fruit du hasard.”
Noble de La République
Hélénaïs de Casteille
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Comme bien trop souvent ces derniers temps, Hélénaïs avait envie de devenir une souris. Une minuscule petite souris qui pourrait s’enfuir par un trou dans une plinthe pour disparaître de la vue de tout ce qui la mettait mal à l’aise. Hélas, elle était condamnée à être bien visible de tous et à garder le menton droit malgré l’envie irrépressible qu’elle avait de courber les épaules tout en laissant la fatigue prendre le pas sur la dignité. Mais c’était des choses qu’elle avait appris depuis longtemps à ne pas faire, alors elle n’en fit rien. Néanmoins, pour quelqu’un qui la connaissait bien, la tension dans ses épaules était parfaitement perceptible et malgré son regard opacifié on y décelait une lueur lasse.
Zelevas était un beau parleur, c’était indéniable. Elle l’avait écouté en silence tout du long de son discours, sans jamais l’interrompre mais pas sans réagir. Discrètement, elle avait rit à certains de ses commentaires, d’autres fois elle avait haussé les sourcils avec une surprise non feinte. Naïve, la jeune De Casteille avait cru connaître le vieil ami de son père mais cette conversation lui prouvait qu’elle n’avait fait qu’en effleurer la surface. Une part d’elle regretta de ne pas s’être tourné vers lui auparavant, pendant l’assemblée -quand bien même cela n’aurait rien changé à ses idées politiques - par exemple ou encore lorsqu’il avait fallu redresser le bilan du domaine viticole. Hélénaïs s’était cru seule mais en vérité, elle s’était elle-même enfermée dans cette solitude. Exactement comme elle l’avait toujours fait, entourée de ses parents pour seule compagnie. Jusqu’à ce qu’ils ne soient plus en mesure de l’aider. C’était la première fois depuis que sa mère avait définitivement plongée dans le sénilité et que Emérée était arrivée à ses côtés, qu’elle discutait avec quelqu’un de ses propres problèmes et que n’importe quel dieu lui en soit témoin : cela lui faisait un bien fou.
- Je dois dire… Que je suis un peu perdue. Finit-elle par avouer au terme d’un silence qui s’étirait sans discontinuer. - Je ne savais pas que vous m’aviez recommandé, j’imagine que je dois vous en remercier. Et c’était sincère même si une petite part d’elle-même était désolée que ce ne soit pas uniquement grâce à ses talents personnels quoi qu’elle avait toujours soupçonné que cela était dû à son nom de famille. Bastian De Casteille avait toujours eu une bonne réputation, même après sa mort prématurée. - Je suis contente de savoir qu’au moins une personne continue de croire en moi. Elle se fendit d’un rire franc mais mesuré, son sourire nonchalant fit place à un vrai qui illumina ses traits quelques instants. - Croyez-moi, c’est rassurant, surtout dans une telle période. Où le monde semblait devenir fou, où tout était en train de s’effondrer et où ses propres croyances devenaient aussi fragiles qu’un château de carte.
Mais cela n’enlevait rien aux doutes qui continuaient de l’assaillir, ni à ce que les paroles d’Abraham avaient fait naître chez elle. Hélénaïs avait envie d’évoquer le sujet, de questionner Zelevas au sujet de son homme de main et du père dont il lui avait parlé mais Abraham lui avait fait comprendre qu’il valait encore mieux garder ce sujet sous silence.
- Zelevas… Comment-ça-t-elle d’un ton incertain. - Pensez-vous que je doive faire quelque chose pour mes yeux ? Elle avait l’impression de poser la question la plus idiote qui lui eut été donné de poser et à cette simple pensée elle se sentit rougir jusqu’aux oreilles. - Je veux dire… Ne croyez-vous pas que si je suis aussi douée pour redresser le domaine de ma famille que pour mes études c’est parce que je n’ai que ça ? Je suis incapable de faire autre-chose que de rester assise à un bureau, à eplucher des livres de comptes, à lire des piles de documents vertigineuse et à dicter à quelqu’un ce que je souhaite écrire. Je n’ai que ça, un esprit dans un corps inapte. Mais si… Si j’arrivais à changer la donne. Si je trouvais un moyen, n’importe lequel, de recouvrer la vue… Elle laissa sa phrase en suspend, incapable de savoir ce qu’elle voulait ajouter car si par miracle, elle parvenait à y voir à nouveau il lui était purement et simplement impossible de savoir ce qu’elle ferait.
- Si quelqu’un avait pu vous permettre de manier la magie ou même d’étudier à MAGIC, qu’auriez vous fait ? Demanda-t-elle, véritablement intriguée par la réponse.
Son cœur s’était mit à battre la chamade en réponse aux mots qu’elle venait de prononcer. L’angoisse lui tordait légèrement l’estomac ; elle ne pouvait pas voir l’effet de ses paroles sur le visage du vieil homme aussi elle demeurait ignorante de la réaction que cela allait provoquer chez lui. Ses doigts vinrent s’enrouler autour du verre de whisky et elle prit à nouveau une longue gorgée qui le lui fit presque terminer.
- Plutôt que de palier, je pourrais y remédier… Souffla-t-elle, presque pour elle-même en attendant sagement la réaction de Zelevas.
Zelevas était un beau parleur, c’était indéniable. Elle l’avait écouté en silence tout du long de son discours, sans jamais l’interrompre mais pas sans réagir. Discrètement, elle avait rit à certains de ses commentaires, d’autres fois elle avait haussé les sourcils avec une surprise non feinte. Naïve, la jeune De Casteille avait cru connaître le vieil ami de son père mais cette conversation lui prouvait qu’elle n’avait fait qu’en effleurer la surface. Une part d’elle regretta de ne pas s’être tourné vers lui auparavant, pendant l’assemblée -quand bien même cela n’aurait rien changé à ses idées politiques - par exemple ou encore lorsqu’il avait fallu redresser le bilan du domaine viticole. Hélénaïs s’était cru seule mais en vérité, elle s’était elle-même enfermée dans cette solitude. Exactement comme elle l’avait toujours fait, entourée de ses parents pour seule compagnie. Jusqu’à ce qu’ils ne soient plus en mesure de l’aider. C’était la première fois depuis que sa mère avait définitivement plongée dans le sénilité et que Emérée était arrivée à ses côtés, qu’elle discutait avec quelqu’un de ses propres problèmes et que n’importe quel dieu lui en soit témoin : cela lui faisait un bien fou.
- Je dois dire… Que je suis un peu perdue. Finit-elle par avouer au terme d’un silence qui s’étirait sans discontinuer. - Je ne savais pas que vous m’aviez recommandé, j’imagine que je dois vous en remercier. Et c’était sincère même si une petite part d’elle-même était désolée que ce ne soit pas uniquement grâce à ses talents personnels quoi qu’elle avait toujours soupçonné que cela était dû à son nom de famille. Bastian De Casteille avait toujours eu une bonne réputation, même après sa mort prématurée. - Je suis contente de savoir qu’au moins une personne continue de croire en moi. Elle se fendit d’un rire franc mais mesuré, son sourire nonchalant fit place à un vrai qui illumina ses traits quelques instants. - Croyez-moi, c’est rassurant, surtout dans une telle période. Où le monde semblait devenir fou, où tout était en train de s’effondrer et où ses propres croyances devenaient aussi fragiles qu’un château de carte.
Mais cela n’enlevait rien aux doutes qui continuaient de l’assaillir, ni à ce que les paroles d’Abraham avaient fait naître chez elle. Hélénaïs avait envie d’évoquer le sujet, de questionner Zelevas au sujet de son homme de main et du père dont il lui avait parlé mais Abraham lui avait fait comprendre qu’il valait encore mieux garder ce sujet sous silence.
- Zelevas… Comment-ça-t-elle d’un ton incertain. - Pensez-vous que je doive faire quelque chose pour mes yeux ? Elle avait l’impression de poser la question la plus idiote qui lui eut été donné de poser et à cette simple pensée elle se sentit rougir jusqu’aux oreilles. - Je veux dire… Ne croyez-vous pas que si je suis aussi douée pour redresser le domaine de ma famille que pour mes études c’est parce que je n’ai que ça ? Je suis incapable de faire autre-chose que de rester assise à un bureau, à eplucher des livres de comptes, à lire des piles de documents vertigineuse et à dicter à quelqu’un ce que je souhaite écrire. Je n’ai que ça, un esprit dans un corps inapte. Mais si… Si j’arrivais à changer la donne. Si je trouvais un moyen, n’importe lequel, de recouvrer la vue… Elle laissa sa phrase en suspend, incapable de savoir ce qu’elle voulait ajouter car si par miracle, elle parvenait à y voir à nouveau il lui était purement et simplement impossible de savoir ce qu’elle ferait.
- Si quelqu’un avait pu vous permettre de manier la magie ou même d’étudier à MAGIC, qu’auriez vous fait ? Demanda-t-elle, véritablement intriguée par la réponse.
Son cœur s’était mit à battre la chamade en réponse aux mots qu’elle venait de prononcer. L’angoisse lui tordait légèrement l’estomac ; elle ne pouvait pas voir l’effet de ses paroles sur le visage du vieil homme aussi elle demeurait ignorante de la réaction que cela allait provoquer chez lui. Ses doigts vinrent s’enrouler autour du verre de whisky et elle prit à nouveau une longue gorgée qui le lui fit presque terminer.
- Plutôt que de palier, je pourrais y remédier… Souffla-t-elle, presque pour elle-même en attendant sagement la réaction de Zelevas.
Voir toute la détresse d’Hélénaïs suinter à travers chacun de ses mots a de quoi faire fondre un peu le coeur de pierre de Zelevas, ou alors c’est un phénomène permi par le travail qu’a déjà accompli la présence d’Azura chez le Sénateur depuis quelques jours. Qu’il en soit ainsi ou non, le vieillard ne peut s’empêcher un pincement de lèvre attristé face au sentiment d’impuissance de la petite de Casteille, une expression dont sa fierté peut au moins se consoler d’être passée inaperçue. Face à un tel abattement, le Directeur du FRN se doute bien qu’il ne parviendra pas à galvaniser la jeune femme pour qu’elle puisse repartir avec un sourire aux lèvres mais s’il peut au moins suffisamment la consoler pour qu’elle ne s’effondre pas en rentrant chez elle ce sera déjà ça de gagné. Il écoute doucement Hélénaïs parler avant de lui même partager un brin de mélancolie avec elle, lui aussi se sent un peu perdu, l’assassinat de la Présidente pour protéger l’intégrité de la République l’a laissé bien plus affecté qu’il ne l’aurait cru, si ses convictions sont toujours aussi inébranlable et qu’il est plus sûr que jamais de la justice de son geste, il n’arrive pas à réfléchir proprement aux significations. Entre les retombées judiciaires possibles qui planent au dessus de lui et l’imminence éventuelle de toute sa vie et de tout les sacrifices qu’il a effectué qui tomberaient possiblement à plat, ses notions de philosophies s’écroulent devant tant de nihilisme. Quelque part, il se reconnait un peu dans cette jeune fille désorientée qui a l’impression de tomber dans le bassin, c’est peut-être pour ça aussi qu’il se montre aussi patient avec elle, pas simplement parce que c’est la fille d’un ami mort depuis des années.
Toujours debout contre la cheminée, il écoute un peu plus les interrogations de la jeune Humaniste qui revient sur sa cécité, et si Zelevas ne tique pas immédiatement quand elle lui demande son avis sur la question, il écarquille les yeux à la formulation maladroite que prend sa deuxième demande. Le corps inapte… changer la donne… un moyen, n’importe lequel. L’espace d’un instant les yeux de Zelevas se voilent, le bleu de ses iris se ternit subitement pour paraître plus métallique que jamais pendant qu’il ne voit plus les traits doux et harmonieux d’Hélène mais ceux défigurés et ensanglantés de Mortifère il y a trois jours, au fond du laboratoire du Doc dans les montagnes…
”Si… si quelqu’un avait pu me permettre…” de manier la magie? ”Et si je vous dis que ça a été le cas? Que quelqu’un me l’a proposé? Que j’avais même la preuve que ça fonctionnerait?” Zelevas s’avance d’un pas pour revenir se poster juste devant Hélénaïs, il s’accroupit à sa hauteur, comme il l’avait fait il y a six mois devant Sixte dans les salles sombres du Barrage du Vès, comme il l’avait fait avec le Courtier quand il passait à tabac Séléna Meillers il y a un an, et cette fois c’est sa question qui se fait l’instrument de torture. ”Et si je vous disais que j’ai refusé, qu’est-ce que vous en tireriez?”
Le souffle du Sénateur se fait distinct, il est à deux doigts de la petite de Casteille comme s’il voulait lire la vérité dans ces pupilles laiteuses, et avant de parler il empoigne un peu trop brusquement la main de la de Casteille en faisant pression sur l’index bandé. Zelevas peut sentir sa propre colère sourdre en lui, l’indignation de ce qu’il s’imagine le révulse, peut-être parce que c’est justement son oeuvre. Il est le seul responsable de ce qu’il soupçonne se passer dans la tête de la jeune femme:
”Hélénaïs de Casteille. De quoi avez-vous parlé avec Mortifère?”
Sa voix demeure posée, mais les légères vibrations dans son timbre trahissent bien la précarité du calme dont il fait preuve.
Noble de La République
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crédits : 2208
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Le tic tac de l’horloge semblait ne plus compter les secondes mais les minutes et le temps s’était mis à s’étirer depuis qu’Hélénaïs avait posé cette question, aussi indiscrète qu’impolie. Elle aurait pu ravaler ses paroles, s’excuser platement en offrant à Zelevas un échappatoire quant à sa réponse mais elle n’en avait rien fait. Son dos était resté droit, ses épaules tendues, son menton haut et le regard sûr. Seules ses lèvres, légèrement pincées, étaient un signe évident de l’angoisse qui lui tordait l’estomac. Et le silence de son vis-à-vis ne faisait rien pour apaiser ses angoisses pourtant elle persistait à se taire, à le forcer à lui répondre car elle en était certaine ; il n’était pas homme à se défiler. Peu importe la réponse qu’elle soit franche ou non, il la lui donnerait. Resterait ensuite à Hélénaïs de démêler le vrai du faux.
Le silence était aussi lourd qu’une chape de plomb et quand, enfin, la voix du vieil homme vint le rompre, Hélénaïs retint à peine un soupir franc de soulagement. Cependant, ce n’était pas ce à quoi elle s'attendait. La surprise qui anima son visage était indiscutable. “Lui aussi, a pu ? Comment ?” Songea-t-elle sans pouvoir s’empêcher de ciller. “Mais il ne possède aucune magie, ça n’a pu fonctionner.” S’il disait vrai, comment diable cela se faisait-il que Zelevas soit toujours… Zelevas. La réponse, elle aussi, ne tarda pas à venir et elle était plus improbable encore que la précédente.
- Je penserais que vous êtes fou… Murmura-t-elle du bout des lèvres alors qu’elle sentait sa présence si proche qu’elle ne fut pas surprise par la poigne de sa main sur la sienne. Contrairement à la pression sur son index abîmé qui la fit vaciller. Le ton de leur conversation, comme un vent d’est, venait de changer et quelque chose soufflait à Hélénaïs que ce n’était guère en sa faveur. L’instant suivant, elle en avait le cœur net.
“Abraham n’a fait que m’offrir des possibilités.” Eut-elle envie de répondre. Il l’avait compris plus profondément qu’elle n’avait jamais eut l’impression de l’être et il n’avait pas jugé ses ambitions, ni ses envies, il ne lui avait pas dit de se contenter de ce qu’elle avait, ni de s’en réjouir. C’était cela qui l’avait heurté : Abraham ne l’avait pas poussé à rester sagement à sa place. Au contraire, il avait creusé l’esquisse d’un chemin nouveau pour elle et l’avait invité à l’emprunter. Toutefois, il lui avait fait peur aussi. Bien qu’elle n’avait pu le voir, elle avait deviné que le prix à payer était élevé et elle avait sentit la menace naturelle qui émanait de cette aura qui lui était propre, comme une amante enlacée autour de son corps refaçonné. Son instinct l’avait craint immédiatement, mais autre chose qu’elle n’était pas encore en mesure d’identifier l’avait envié. Pis encore, avait désiré ce qu’il possédait, cette force de caractère et cette absence de crainte face au changement.
- Je… Ses yeux virèrent à droite puis à gauche comme s’ils cherchaient quelque chose à quoi se raccrocher -ce qui était impossible-. - Abraham s’est contenté de me parler de sa condition. Hélénaîs n’était pas une menteuse, elle n’était pas douée pour cela. Pour autant, elle sentait dans le timbre de la voix de Zelevas que quelque chose clochait. - Celle d’un soldat considéré comme médiocre. “Dis lui la vérité, toute la vérité.” S’admonesta-t-elle en ouvrant à nouveau la bouche. - Et il m’a conseillé de voir au-delà de ma condition, de ne pas m’en contenter. Il lui avait également susurrer le prix qu’il avait payé, celui qu’elle aussi risquait de devoir payer mais ce qu’elle avait aussi a y gagner, la façon dont sa vie pourrait changer irrémédiablement et le même frisson d’excitation qui l’avait parcouru à ce moment là se fraya un chemin le long de son échine. Mais cela, elle le tut. - Pourquoi ? Demanda-t-elle aussi innocemment que possible.
Le silence était aussi lourd qu’une chape de plomb et quand, enfin, la voix du vieil homme vint le rompre, Hélénaïs retint à peine un soupir franc de soulagement. Cependant, ce n’était pas ce à quoi elle s'attendait. La surprise qui anima son visage était indiscutable. “Lui aussi, a pu ? Comment ?” Songea-t-elle sans pouvoir s’empêcher de ciller. “Mais il ne possède aucune magie, ça n’a pu fonctionner.” S’il disait vrai, comment diable cela se faisait-il que Zelevas soit toujours… Zelevas. La réponse, elle aussi, ne tarda pas à venir et elle était plus improbable encore que la précédente.
- Je penserais que vous êtes fou… Murmura-t-elle du bout des lèvres alors qu’elle sentait sa présence si proche qu’elle ne fut pas surprise par la poigne de sa main sur la sienne. Contrairement à la pression sur son index abîmé qui la fit vaciller. Le ton de leur conversation, comme un vent d’est, venait de changer et quelque chose soufflait à Hélénaïs que ce n’était guère en sa faveur. L’instant suivant, elle en avait le cœur net.
“Abraham n’a fait que m’offrir des possibilités.” Eut-elle envie de répondre. Il l’avait compris plus profondément qu’elle n’avait jamais eut l’impression de l’être et il n’avait pas jugé ses ambitions, ni ses envies, il ne lui avait pas dit de se contenter de ce qu’elle avait, ni de s’en réjouir. C’était cela qui l’avait heurté : Abraham ne l’avait pas poussé à rester sagement à sa place. Au contraire, il avait creusé l’esquisse d’un chemin nouveau pour elle et l’avait invité à l’emprunter. Toutefois, il lui avait fait peur aussi. Bien qu’elle n’avait pu le voir, elle avait deviné que le prix à payer était élevé et elle avait sentit la menace naturelle qui émanait de cette aura qui lui était propre, comme une amante enlacée autour de son corps refaçonné. Son instinct l’avait craint immédiatement, mais autre chose qu’elle n’était pas encore en mesure d’identifier l’avait envié. Pis encore, avait désiré ce qu’il possédait, cette force de caractère et cette absence de crainte face au changement.
- Je… Ses yeux virèrent à droite puis à gauche comme s’ils cherchaient quelque chose à quoi se raccrocher -ce qui était impossible-. - Abraham s’est contenté de me parler de sa condition. Hélénaîs n’était pas une menteuse, elle n’était pas douée pour cela. Pour autant, elle sentait dans le timbre de la voix de Zelevas que quelque chose clochait. - Celle d’un soldat considéré comme médiocre. “Dis lui la vérité, toute la vérité.” S’admonesta-t-elle en ouvrant à nouveau la bouche. - Et il m’a conseillé de voir au-delà de ma condition, de ne pas m’en contenter. Il lui avait également susurrer le prix qu’il avait payé, celui qu’elle aussi risquait de devoir payer mais ce qu’elle avait aussi a y gagner, la façon dont sa vie pourrait changer irrémédiablement et le même frisson d’excitation qui l’avait parcouru à ce moment là se fraya un chemin le long de son échine. Mais cela, elle le tut. - Pourquoi ? Demanda-t-elle aussi innocemment que possible.
Tout comme son interlocutrice, le regard de Zelevas est dirigé sur Hélénaïs mais il ne la voit pas. Ses yeux ne voient rien de la peau pâle de la jeune femme, de ses yeux voilés par la brume de la cécité, de ses joues incendiées par le malaise, ils ne voient rien de la personne en face de lui, parce qu’ils sont perdus dans les abymes de sa mémoire, perdus dans la marre de regret qui est entrain de le submerger à l’idée que son échec avec Mortifère ne s’arrête pas qu’à lui.
Qu’est-ce que j’ai fait? Qu’est-ce que j’ai fait bordel de merde?
Ses pensées surgissent avec une telle force dans sa tête qu’il est presque sûr que l’aveugle puisse l’entendre. Il revoit les corps se tordre sur la table d’opération quand le Doc lui avait fait les premières démonstrations de compatibilité, il revoit Mortifère, à l’époque où il s’appelait encore Abraham de Sforza, quand il avait passé les premiers paliers significatifs. La boucherie, le sang dans les cellules. Tout ça avait un sens profond à ce moment là. Tout avait une signification aux yeux du Sénateur d’Élusie, ils marchaient vers une étape supérieure de la science, vers une ère nouvelle qui aurait dû ouvrir les portes de la victoire à la République. La protection absolue, l’égide de la nation, le Palladium. À la place… Zelevas entend un écho lointain dans le salon, à peine surpassé par la respiration imperceptible d’Hélénaïs à ses côtés, un cri… non, un hurlement qui lui parvient d’au dehors, le vieillard relève la tête pour regarder la petite aveugle, comme pour voir si elle aussi l’entend, mais elle n’en laisse rien paraître. Ce râle de douleur… Zelevas sait d’où il vient, des montagnes par delà son manoir, celles entre Justice et Courage là où un laboratoire se dresse entre les pins, dans une des salles sombres du sous-sol, il y avait à peine quelques jours auparavant un homme, ou plutôt une parodie d’homme, entrain de mourir sur un billard, avec des assistants à moitié horrifiés, un sénateur au trois-quarts vaincus et un docteur complètement fou. Il revoit Mortifère entrain de hurler de douleur à s’en rompre la gorge avant de perdre le reliquat de personnalité qui lui restait.
Ils pensaient repousser les limites du possible. Ils ont juste tué un homme à petit feu.
Et si Zelevas n’éprouve pas la moindre pitié pour Mortifère, c’est l’absurdité soudaine de l’échec de Palladium qui le révulse, l’idée de se dire que non seulement il a lamentablement raté dans sa quête mais surtout de réaliser que tout les sacrifices qu’il avait fait, tout ce qu’il avait entreprit de bâtir dans sa vie en payant à chaque fois le prix fort, en sacrifiant son amour-propre, son éthique, sa dignité, son intégrité morale, en acceptant de mettre de côté sa propre humanité dans l’espoir fou de pouvoir ainsi épargner celle des autres, que tout ceci n’avait aucun sens. Il n’avait rien accompli, il n’avait rien bati, il s’était simplement contenté de saccager une quantité innombrable de vie dans son sillage. L’horreur d’une telle réalisation est cependant encore inavouée dans son esprit dénigrant, rien n’est encore joué, il peut encore sûrement saboter l’enquête qui a été mise sur pieds concernant la mort de Mirelda, et puis, il est inattaquable… il a défendu la nation de la tyrannie, il est même un héro à ce titre, n’est-ce pas? Zelevas a les yeux écarquillés par l’horreur de se rendre compte que s’il n’ose pas avouer l’absurde violence et l'innommable ignominie de ses actes, c’est probablement parce qu’il n’ose pas admettre qu’il est possible qu’entre lui et Mortifère, ce dernier ne soit finalement pas le plus inhumain des deux.
S’il n’a pas la moindre pitié pour Mortifère, il ne se pardonnerait jamais s’il arrivait quoi que ce soit à Hélénaïs.
L’espace d’un instant, en revivant les souvenirs de l’exérèse, le visage mutilé de Mortifère change abruptement pour celui de la jeune femme, il visualise son front si délicat d’un seul coup scindé comme l’était celui du Premier Né, une marre de sang dévalant sur ce visage pour recouvrir la sclère laiteuse de ses yeux d’un carmin morbide. C’est presque s’il peut voir Hélénaïs, son corps sanglé à la table d’opération, parcourus de spasmes incontrôlables de douleurs, ses dents rouges de sang à force de serrer les mâchoires sous le supplice, il la voit se tourner vers lui et l’accuser comme Mortifère l’a accusé il y a trois jours. La fille de Théa, ce petit bout de vie qu’il avait vu grandir étape par étape, gamine, adolescente, étudiante, séantrice, opposante. Non, hors de question, c’est insupportable mais tout est de sa faute, ce n’est que la conséquence naturelle de ses actes. Tôt ou tard, la puissance aussi mensongère et morbide que soit celle de Mortifère allait bien finir par faire des envieux, par attirer les plus mal avisés et une fois de plus, la curiosité des inconscients finirait par leur coûter le prix fort. D’Élusie ne s’était juste jamais attendu à ce que ça tombe sur elle. Zelevas ressent un dégoût profond envers lui-même, son poing se resserre brusquement autour de la main de la petite de Casteille et la protestation d’inconfort de la demoiselle tombe dans la surdité de sa colère. Quand Bastian les avait quitté, il avait rassuré Théa en lui disant qu’il aiderait, qu’il était là et qu’il pourrait assister la petite plus tard si elle aurait besoin d’un contact, d’une petite aide, d’un coup de pouce dans les hautes sphères.
Quel pire chemin pouvait-elle prendre que celui qui menait au bistouri du Doc’?
Et c’était lui qui l’avait mené là. Il reconnaît dans son discours la même naïveté affligeante qui débordait dans les paroles d’Abraham à l’époque, cette soif non pas de pouvoir mais d’amour-propre, cette quête de puissance pour ne plus se sentir comme un raté incapable et inutile au possible. Et Zelevas avait bien vu à quel point Mortifère avait laissé Abraham derrière, déjà il y a sept mois… Les dents du vieil homme se crispent et il se relève brutalement, poussant même la table basse derrière lui dans le mouvement, dont les pattes de verre crissent désagréablement sur le parquet taché en faisant sursauter la jeune femme. Sans lui lâcher le poignet, il tire rudement dessus pour la forcer à se lever, et sans un mot il attrape la canne de marche de la demoiselle dans sa main libre avant de traverser le salon en fulminant, un air sombre sur son visage dont il a la maigre compensation qu’Hélénaïs n’en verra rien. Trainant derrière lui l’aveugle, il lui saisit les épaules pour mieux la guider et la pousse de force vers le vestibule puis vers la sortie et enfin à travers la sortie, quand en ouvrant la porte principale dont le lourd craquement des gonds alerte la Sénatrice de ce qu’il se passe, il pousse la jeune femme dehors d’une main rustre dans le dos avant que la caresse du soleil sur la peau de la jeune femme et la légère bise fraîche de la promenade à l’entrée ne lui indique qu’elle a été mise dehors pour de bon. Zelevas avance de quelques pas pour la rejoindre avant de saisir le bras de la de Casteille d’une main pour la forcer à lui faire face et de l’autre, de lui rendre sa canne de marche. Il enfoui le manche de l’objet dans les doigts de la malvoyante avant de saisir trop fortement sa paume, et quand sa voix ressort enfin, le ton n’est pas que glacial, il est menaçant. La voix de Zelevas est chargée de haine, un susurrement vrombissant du tréfond de ses poumons, étouffé par ses mâchoires crispées, au timbre si contenu qu’il trahit toute l’animosité tendue du vieillard qu’il s’efforce de ne pas laisser exploser:
”N’approchez plus Mortifère, et ne l’appelez plus jamais Abraham. Plus - jamais.”
Sans faire suite à sa réaction, il plante Hélénaïs devant sa porte quand il se retourne et qu’il ferme la grande porte d’entrée le plus calmement possible. Il s’adosse au bois sa tête tournant du coup de sang qu’il vient de pousser, ou alors c’est parce qu’il s’est levé trop vite tout à l’heure après s’être accroupi, ça cumulé à la fatigue, mais la colère n’a cure de sa condition de vieillard, elle cherche à sortir. Toute la haine que portait sa voix, tout la colère, tout est d’autant plus frustrant que ces émotions lui sont adressées, il se jure que jamais il ne la laissera approcher à moins d’une lieue du Docteur, jamais, JAMAIS!
”PUTAIN DE MERDE!”
Zelevas rugit dans le vestibule, au démons si de Casteille l’entend de l’autre côté, il n’en a plus rien à foutre de toute façon, le vase déborde figurativement, et c’est le vase de l’entrée sur le guéridon qui va prendre littéralement. La main de l’homme politique attrape la décoration et le penche soudainement de son piédestal, la poterie se brise en un fracas tintant en touchant le sol, les débris volent, les éclats se dispersent, tombent dans les jeux des lattes du parquet, Zelevas ramasse un des bris de céramique et le balance de toutes ses forces à travers la pièce.
”BORDEL…”
Son poing fermé rencontre violemment le papier peint décrépit de son putain de manoir pourissant, il s’était juré de le faire rénover quand il aurait vengé la mort de ses parents, ironie du destin qui lui fait perdre ses espoirs les plus précieux et les moins contrôlables une fois seulement que c’est chose faite.
”...DE…”
Le guéridon sursaute et bascule sur le côté un instant sous le coup de pieds violent du propriétaire des lieux, il se balance sur l’angle de ses supports avant qu’un deuxième coup de jambe ne vienne l’envoyer s’affaler à terre en soulevant quelques volutes de poussières.
”MEEEERDEEEEEUH” Il hurle autant de frustration et de colère que de douleur sous son pieds et son poing endoloris.
Il reste un instant là, dans le chaos du vestibule, entre le meuble renversé, le parquet abîmé, maculé d’un mélange de terre, d’eau et de fleurs gisantes, parsemé de bouts de poterie éclatés. Il fulmine, ses épaules se lèvent et s’abaissent sous l’effort haletant du Sénateur bouillonnant, et le pire c’est qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ses cheveux en bataille à cause de la commotion retombent en mèche devant son front, Zelevas sent sa tête tourner de plus en plus, sa respiration s’emballe et il grogne à la fois de l’énervement et de la douleur du mal de crâne. Il essaie de concentrer ses yeux bleus aciers sur un point fixe alors que sa main cherche machinalement appui sur le guéridon qui devrait être là, mais ne rencontre que l’air, il vient de l’envoyer valser ailleurs. Il perd l’équilibre et s’adosse bon gré mal gré contre le mur, posant une main dessus comme pour s’assurer qu’il ne tremble pas et que c’est seulement sa vision qui commence à danser, Zelevas sent les gouttes de sueur perler sur son front, sa respiration passe d’insistée sous le coup de la colère à laborieuse à cause du contre-coup. Prostré ainsi dans le vestibule, il voit le soleil qui s’engouffre à travers les fenêtres à croisillons de l’étage, il voit les rayons fuser sur l’escalier, la zone d’ombre de la porte de son bureau situé sous le palier, et dans le renfoncement obscur, il voit les contours d’une silhouette…
”En-...enco-re toi, fu-u-fumier.”
La silhouette lui rend un sourire diabolique.
Ne sont-ce pas là les conséquences de ses actes?
Noble de La République
Hélénaïs de Casteille
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De la colère, de la haine, une rage noire et profonde qui dévaste toutes les autres pensées. L’esprit de Zelevas n’était rien d’autre qu’une noirceur brumeuse, un néant où tout bon sens semblait se désagréger au profit d’un imbroglio d'émotions violentes. Une tempête de l’esprit comme Hélénaïs n’en avait presque jamais vu. Pourtant elle était une bonne lectrice, capable de compartimenter les pensées de ses cibles afin d’y trouver ce qu’elle cherchait ; bien souvent l’instant présent pour voir à travers leurs yeux. Aujourd’hui, pourtant, et pour la première fois depuis de très longues années, elle chercha des réponses. Pourquoi la main autour de la sienne était si férocement verrouillée ? Pourquoi la colère faisait trembler le corps de son vieil ami ? Pourquoi ce silence perdurait ? Pourquoi la peur était en train de lui tenaillait ainsi l’estomac ? Zelevas était son ami et son allié, elle n’avait aucune crainte à ses côtés. C’était du moins ce que sa tête lui disait. Mais son cœur, lui, plus instinctif, avait peur. Alors elle avait tenté de lire son esprit, insidieusement, seulement pour se rassurer. Hélénaïs était suffisamment douée pour s’abstenir de plonger dans des souvenirs trop lointains ou trop personnels. Mais elle n’avait rien trouvé d’autre que cet amas brutal de fureur dirigée contre… Elle ? Non. Contre lui. Pourquoi ? Avait-elle envie de lui demander.
- Vous me faites mal… Se plaignit-elle avant toute chose. Et ce fut sûrement son erreur ; celle de briser l’instant suspendu car la seconde suivante Zelevas s’arrachait au fauteuil qu’ils occupaient. Il l’a força également à se lever et la jeune femme ne put rien faire d’autre que d’obtempérer. - Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous faites ? Ses yeux aveugles s’agrandirent lorsqu’elle comprit : il l’a mettait à la porte. Exactement comme on le ferait avec un indésirable. Qu’avait-elle fait ? Qu’avait-elle dit pour le mettre dans un état de rage aussi destructeur ? - Zelevas, attendez ! Attendez ! Sa voix perça les aigus mais l’homme ne l’entendait pas. Ne voulait pas l’entendre. Bornée, elle tenta de freiner leur avancé lorsqu’il se saisit de ses épaules et, devina-t-elle, la dirigea vers l’entrée. - Attendez ! Je vous en prie ! Ses plaintes n’eurent aucun effet et en un clin d'œil elle se retrouva sur le pas de la porte. L’humiliation était plus mordante que le froid de l’extérieur et lorsque Zelevas la fit pivoter sans douceur s’était elle qui empourprait ses joues rondes.
Sa main se referma sur l'angle familier de sa canne mais cela n'apaisa en rien l’inquiétude qui se lisait sur son visage et dans le froncement de ses sourcils bruns. Pis encore lorsque le timbre menaçant de son hôte s’éleva entre eux. Pour la première fois de sa vie, Hélénaïs eut peur de lui. Elle tenta de reculer mais la poigne sur ses épaules étaient trop forte.
- C-c’est son prénom. Répondit-elle d’une voix blanche. - C’est un homme pas… Les larges mains du vieil homme la lachèrent et la porte claqua au moment où ses mots moururent sur ses lèvres : -... Un animal. Ce ne fut que lorsque le silence retomba, qu’elle constata sa solitude, qu’Hélénaïs prit conscience qu’elle avait arrêté de respirer. La tête lui tournait, une nausée menaçait de lui retourner l’estomac et elle ne comprenait rien à rien. Mais elle voulait comprendre. Alors elle fit un pas en avant, leva le poing, prête à faire entendre son point de vue mais surtout à obtenir une explication. C’était avant que les sons de l’intérieur ne lui parviennent. Elle recula d’un pas puis de deux. La voix de Zelevas était déformée autant par le mur qui les séparaient que par les émotions qui l’animaient et bientôt s’y mêla le fracas d’objets que l’on brise. Alors elle recula une fois de plus, manqua de trébucher sur les marches du perron et ne dû son salut qu’à un cocher prévenant qui s’était précipité à sa rencontre et qui la retint par le bras.
- Tout va bien, Ma dame ? Demanda-t-il tout en observant la porte. Avait-il entendu leur conversation ? Qu’avait-il vu ? Ces questions n’avaient guère d’importance à ses yeux. Pas quand elle venait d’être jeté hors de cette maison ainsi. En réponse, ses lèvres se pincèrent et ses yeux papillonnèrent pour en chasser les larmes qui s’étaient mit à ourler la frange de ses cils sombres.
- J-je… Oui. Oui. Rentrons… Pourtant, elle ne bougeait pas comme si brusquement D’Elusie pouvait revenir sur ses pas. Rouvrir cette maudite porte et lui présenter des excuses. Et si ce n’étaient des excuses, une explication. Pourquoi Abraham le plongeait dans une colère si vivace ? Il était, après tout, son homme de confiance et lui et la sénatrice n’avaient fait qu’échanger quelques mots.
Hélénaïs fixa l'entrée encore quelques secondes, hésitant à s’imposer jusqu’à ce qu’on daigne lui ouvrir. Mais elle se ravisa, sans savoir ô combien elle regretterait de ne pas l’avoir fait, sans savoir que ces mots étaient les derniers qu’elle échangerait jamais avec lui et par les dieux, si tant est que l’un d’eux eut tendu l’oreille à son attention, si on lui avait donné ne serait-ce qu’une minute de plus pour lui dire combien il avait été cher à son coeur, elle n’aurait pas laissé passer cette occasion. Hélas, Hélénaïs était ignorante. Ignorante et naïve, certaine d’avoir le temps. Alors elle tourna les talons sans savoir que ce serait la dernière fois.
- Vous me faites mal… Se plaignit-elle avant toute chose. Et ce fut sûrement son erreur ; celle de briser l’instant suspendu car la seconde suivante Zelevas s’arrachait au fauteuil qu’ils occupaient. Il l’a força également à se lever et la jeune femme ne put rien faire d’autre que d’obtempérer. - Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous faites ? Ses yeux aveugles s’agrandirent lorsqu’elle comprit : il l’a mettait à la porte. Exactement comme on le ferait avec un indésirable. Qu’avait-elle fait ? Qu’avait-elle dit pour le mettre dans un état de rage aussi destructeur ? - Zelevas, attendez ! Attendez ! Sa voix perça les aigus mais l’homme ne l’entendait pas. Ne voulait pas l’entendre. Bornée, elle tenta de freiner leur avancé lorsqu’il se saisit de ses épaules et, devina-t-elle, la dirigea vers l’entrée. - Attendez ! Je vous en prie ! Ses plaintes n’eurent aucun effet et en un clin d'œil elle se retrouva sur le pas de la porte. L’humiliation était plus mordante que le froid de l’extérieur et lorsque Zelevas la fit pivoter sans douceur s’était elle qui empourprait ses joues rondes.
Sa main se referma sur l'angle familier de sa canne mais cela n'apaisa en rien l’inquiétude qui se lisait sur son visage et dans le froncement de ses sourcils bruns. Pis encore lorsque le timbre menaçant de son hôte s’éleva entre eux. Pour la première fois de sa vie, Hélénaïs eut peur de lui. Elle tenta de reculer mais la poigne sur ses épaules étaient trop forte.
- C-c’est son prénom. Répondit-elle d’une voix blanche. - C’est un homme pas… Les larges mains du vieil homme la lachèrent et la porte claqua au moment où ses mots moururent sur ses lèvres : -... Un animal. Ce ne fut que lorsque le silence retomba, qu’elle constata sa solitude, qu’Hélénaïs prit conscience qu’elle avait arrêté de respirer. La tête lui tournait, une nausée menaçait de lui retourner l’estomac et elle ne comprenait rien à rien. Mais elle voulait comprendre. Alors elle fit un pas en avant, leva le poing, prête à faire entendre son point de vue mais surtout à obtenir une explication. C’était avant que les sons de l’intérieur ne lui parviennent. Elle recula d’un pas puis de deux. La voix de Zelevas était déformée autant par le mur qui les séparaient que par les émotions qui l’animaient et bientôt s’y mêla le fracas d’objets que l’on brise. Alors elle recula une fois de plus, manqua de trébucher sur les marches du perron et ne dû son salut qu’à un cocher prévenant qui s’était précipité à sa rencontre et qui la retint par le bras.
- Tout va bien, Ma dame ? Demanda-t-il tout en observant la porte. Avait-il entendu leur conversation ? Qu’avait-il vu ? Ces questions n’avaient guère d’importance à ses yeux. Pas quand elle venait d’être jeté hors de cette maison ainsi. En réponse, ses lèvres se pincèrent et ses yeux papillonnèrent pour en chasser les larmes qui s’étaient mit à ourler la frange de ses cils sombres.
- J-je… Oui. Oui. Rentrons… Pourtant, elle ne bougeait pas comme si brusquement D’Elusie pouvait revenir sur ses pas. Rouvrir cette maudite porte et lui présenter des excuses. Et si ce n’étaient des excuses, une explication. Pourquoi Abraham le plongeait dans une colère si vivace ? Il était, après tout, son homme de confiance et lui et la sénatrice n’avaient fait qu’échanger quelques mots.
Hélénaïs fixa l'entrée encore quelques secondes, hésitant à s’imposer jusqu’à ce qu’on daigne lui ouvrir. Mais elle se ravisa, sans savoir ô combien elle regretterait de ne pas l’avoir fait, sans savoir que ces mots étaient les derniers qu’elle échangerait jamais avec lui et par les dieux, si tant est que l’un d’eux eut tendu l’oreille à son attention, si on lui avait donné ne serait-ce qu’une minute de plus pour lui dire combien il avait été cher à son coeur, elle n’aurait pas laissé passer cette occasion. Hélas, Hélénaïs était ignorante. Ignorante et naïve, certaine d’avoir le temps. Alors elle tourna les talons sans savoir que ce serait la dernière fois.
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