Sølenar est un elfe d'une corpulence respectable pour son espèce. De longs cheveux noirs comme la nuit tombent jusqu'à ses épaules alors qu'il marche d'un pas souple et agile comme le ferait une ombre. Son regard d'un vert émeraude semble parfois porter à lui seul le poids de milliers d'années. L'elfe a pour habitude de se vêtir avec des vêtements de très bonnes factures, le genre d'atours dans lequel il est courant de croiser la noblesse de Melorn. Malgré la première impression qui se dégage de lui, Sølenar a pour habitude de nier toute proximité ou lien de sang avec la noblesse elfique, il se considère avant tout comme une personne appréciant l'ordre et loyauté mais ne faisant aucunement partie des hautes sphères de la société, quand bien même celui-ci bénéficierait de certains traitements de faveur. Les goûts particuliers de l'elfe le pousse généralement à porter de belle tenue d'un rouge profond plutôt qu'une tunique marronnasse sans. Ses choix vestimentaires n'ont pas pour but d'afficher une quelconque forme d'opulence même s'il est évident que cela témoigne indirectement d'une certaine aisance financière.

Malgré certains traits de caractère, commun à ses congénères, il est important de noter que Sølenar n'est pas tout à fait comme ses semblables. Sous sa véritable apparence qu'il n'utilise que dans de très rares cas, l'elfe est bien différent de ce qu'il laissa paraître. Les traits de son visage se font plus étirés, sa mâchoire se fait plus large et plus carré laissant deviner une puissance bien supérieure à la normale, les reflets émeraude de son regard disparaissent peu à peu pour laisser place à deux iris aussi noirs que la nuit. Ses sens exacerbés font alors de lui un prédateur des plus redoutables.

Longtemps cette apparence que l'on pourrait sans difficulté comparer à un fardeau était une honte des plus difficiles à assumer. Malgré les capacités acquises, Sølenar avait l'impression de n'être plus qu'une bête assoiffée de sang incapable de se contrôler lorsque la faim venait à le ronger, et c'est d'ailleurs ce qu'il était. Là où d'autres auraient volontiers abandonnés à la bestialité, lui préféra contrôler cette partie de lui-même, une part qui ne serait plus un fardeau, mais un atout, une arme qu'il pourrait utiliser lorsque la situation ne lui laisserait pas d'autre choix. Il fallut de nombreuses années, trop nombreuses pour parvenir à se contrôler et établir des limites sur ce qui pouvait être fait ou non. Dès le début de sa malédiction l'elfe n'avait jamais tué par plaisir, il tuait, car il était incapable de se contrôler. Bien sûr cela n'excuse en rien les horreurs qu'il a pu commettre, mais c'est justement grâce à ces erreurs qu'il à présent capable de vivre au milieu de la normalement, rendant le mal qui le ronge invisible à l’œil des non avertis.  

Sa longévité surnaturelle fait de lui une personne peu encline à forger des liens avec des personnes qu'il pourrait apprécier, tout simplement, car il finirait tôt ou tard par devoir enterrer des gens avec qui il pourrait se lier d'amitié. Sølenar préfère se concentrer sur des relations courtes qui ne risquent pas de lui causer du tort. Sa situation le force aussi à beaucoup voyager, laissant les gens qu'il pouvait connaître mourir avant de pouvoir revenir dans certaines régions.

L’immortalité…
Ne pas avoir à subir les affres du temps peut sembler être un don, un pouvoir unique dont seuls les dieux peuvent se vanter. N’importe quel être mortel doué de raison à un jour espérer pouvoir défier la mort, que cela soit par amour, par cupidité ou tout simplement par peur du trépas. Mais est-ce vraiment un don ? Est-ce une bénédiction de voir les autres mourir ? De voir les dynasties s’effondrer et les guerres déchirer le monde les unes après les autres ?  Sølenar eut besoin de nombreuses années avant de s’habituer à ce genre de chose, c’était une philosophie de vie, voir le monde à travers ce nouveau prisme n’avait rien d'une chose naturelle pour lui. Il fallait accepter de souffrir d’une faim qu’aucune compagnie ni qu’aucun plat savoureux ne pouvait sustenter. Accepter de vivre loin du soleil et donc de la société en générale, comme un vulgaire animal il fallait vivre et se nourrir la nuit. Il n'y avait qu'une seule chose à faire accepter d'être un monstre aux yeux de tous.

Dans ces jeunes années mortelles, Sølenar était un soldat. Sa famille n’avait jamais fait partie de la grande noblesse, c’était surtout une lignée de militaire où chaque fils avait su s’illustrer en temps et heure dans les rangs de l’armée. À l’instar de ses ancêtres, il menait une vie respectable et il était respecté pour les valeurs qu’il défendait alors. Il avait une femme, un fils et une fille, le soldat qu’il était à cette époque n’aspirait à rien d’autre que d’écouler des jours heureux avec sa famille jusqu’au moment où il devrait rejoindre ses ancêtres.


Son escouade pénétra dans le laboratoire du mage en enfonçant la porte principale. L’endroit était sombre, le confort quasi inexistant, au premier coup d’œil n’importe qui pouvait sentir que c’était un lieu uniquement réservé au travail et qu’aucune distraction n’était permise dans ce lieu. Les ordres étaient simples : l’arrêter à tout prix.
Ce n’était pas le premier mage à pousser ses recherches beaucoup trop loin, à risquer sa propre vie et celle des autres dans le but d’accomplir une quelconque prouesse scientifique. Mais cette fois il avait été décidé que ce genre d’agissement contraire aux règles devait être réglé de manière définitive, c’était une question de sécurité pour des dizaines et des dizaines de personnes qui vivaient dans les environs. Les quelques soldats se déployèrent dans le laboratoire d’alchimie en quête du mage que l’on pouvait considérait comme étant un renégat, autrement dit une cible que l’on devait éliminer.

L’arrestation dudit mage ne se passa pas aussi bien que l’espérait le Capitaine Tir’Na-Veÿn. L’elfe d’un âge bien plus vénérable que le sien ne comptait pas se laisser faire alors qu’il se pensait être à deux doigts de réussir son sortilège. Alors que celui-ci scandait des incantations tout en défiant ouvertement la figure d’autorité que les soldats représentaient, l’un des combattants, bien trop zélé pour ce genre de mission contourna une grande partie des laboratoires et passer sa lame au travers du corps du mage. Tout aurait dû s’arrêter là, mais… La blessure bien que mortelle ne parvint pas à faire taire le sorcier qui continua son incantation, son sang se répandit sur le sol. Le liquide rougeâtre fusionna avec le contenu de diverses potions renversées quelques instants plus tôt. Malgré des connaissances limitées en matière de magie, Sølenar comprit que quelque chose d’anormal se produisait et avant qu’il n’ait la possibilité d’y mettre un terme, un orbe sanguinolent se forma au-dessus du mage mourant.

Lorsqu’il s’en approcha, l’orbe scintilla d’une lueur menaçante et lorsqu’il leva son arme dans le but de l’abattre, celle-ci explosa. La puissance du sortilège l’éjecta comme une vulgaire poupée de chiffon et c’est trois mètres plus loin qu’il percuta un des piliers qui maintenant les voutes du laboratoire.


Lorsque l’elfe ouvrit les yeux, il était dans un lit, plusieurs personnes l’entouraient, mais il lui fallut de longues secondes avant de reconnaître les traits de sa famille. Son corps irradiait de douleur et les rayons de soleil l’aveuglaient bien plus que d’ordinaire. Personne ne mentionna sa mission au laboratoire, il n’était vivant et d’autres avait survécu, tout ne reste n’avait aucune importance pour lui. Pour les quelques soigneurs qui s’occupèrent de lui, il avait bien récupéré, plus vite que les autres membres de son escouade, c’était d’ailleurs le premier à avoir repris connaissance, du moins c’est ce qu’on lui raconta. C’est là, dans ce même lit qu’il contempla longuement sa famille, imaginant leur destin s’il avait dû périr cette nuit-là.  Quelques jours de convalescence furent nécessaires pour qu’il soit en mesure de retrouver l’entièreté de ses capacités, même s’il avait récupéré plus vite que les autres son corps avait subi un traumatisme généralisé et cela nécessitait quelques soins.

Malgré les soins l’elfe avait une drôle de sensation, la nourriture qu’on lui proposait n’avait pas l’ombre d’un goût, plus que cela il avait l’impression de mâcher de la cendre. Même s’il avait la sensation physique d’avoir le ventre plein, il n’avait pas pour autant l'impression de se nourrir, c’était… une sensation très étrange et à la fois extrêmement frustrante, car il ne parvenait pas à comprendre l'origine de tout ceci. Le soleil aussi était bien moins agréable, le moindre rayons de soleil pouvait l'aveugler durant plusieurs minutes, leurs caresses se faisaient plus douloureuse au fil des jours, allant jusqu'à avoir l'impression de mettre la main au-dessus d'une flamme. Malgré ça, il ne fit aucune mention de cette sensation étrange, car il ne voulait pas rester en convalescence plus longtemps que nécessaire, tout ce qu’il voulait s’était retrouvé sa famille et reprendre le cours de sa vie, peut-être même quitter la garde et… aspirait à une vie plus calme.


Alors que la sensation de faim se faisait de plus en plus insoutenable au fil des jours, Sølenar devenait à son tour de plus en plus irascible, peut-être même mauvais.

- Tu devrais faire mention de ton état… cela m’inquiète, on ne sait toujours pas ce qu’il s’est passé lors de cette mission. De ce que j’ai pu entendre certains de tes compagnons d’armes ont perdu la raison, on raconte même qu’ils ont dû être enfermés… Mon amour… tu as beau te tenir devant moi, je ne te reconnais plus, les enfants ne te reconnaissent… Tu passes des journées entières enfermé, tu ne t’alimentes presque plus, tu ne parles plus, ne souris plus…

- Épargne-moi ta sollicitude. C’est une sale période, rien de plus.

Même lui n’y croyait pas. Tout comme le reste de son escouade, jamais il n’aurait pu pénétrer dans le laboratoire du mage, là avait été son erreur, il ne pouvait rien prouver, l’affaire avait vite été enterrée, mais il savait que tout était lié à cet instant précis.

- Tu devrais manger quelque chose…

- Je n’ai pas faim.

Tu meurs de faim, arrêtes de mentir.

Lirathïel se redressa et décida tout de même de préparer quelque chose à manger, rien d’extraordinaire, quelques morceaux de fruits coupés. Préoccupé par l’état de l’elfe qui partageait sa vie depuis des dizaines d’années, la lame du couteau ripa sur la peau du fruit et lui entailla un doigt. Un mince filet de sang s’écoula de la phalange de son index. Sølenar releva aussitôt la tête, l’odeur du sang, il l’avait senti, c’était une odeur enivrante et si délicate, presque comme un nectar que l’on pouvait siroter.


Une bête… un monstre, voilà ce qu’il était. Les mains et le visage couvert de sang, les larmes perlaient sur ses joues. Qu’avait-il fait ? Comment avait-il pu faire cela ?
Il avait fui, que pouvait-il faire d’autre ? Il pouvait sentir, voir et entendre des choses qu’il n’avait encore jamais entendues. Il se dégoûtait lui-même, mais… il n’était pas pour autant animé par cette volonté de mettre fin à ses jours. Il était devenu un monstre, mais il était aussi un soldat, et un combattant n’abandonnait pas ainsi. Qu’importe le mal qui pouvait le ronger, il devait apprendre à la dominer, il refusait de baisser les bras et d’être victime de sa condition, tout ce mal qu’il avait fait… le regard vide de Lirathïel, cette vision le hantait et rien ne pouvait effacer cette image de sa mémoire. Il ne pouvait plus vivre ainsi, il ne pouvait pas passer sa vie éternellement caché comme un animal nocturne.

Il avait connu la faim, la peur, la haine, le dégoût de lui-même, de ce qu’il pouvait faire lorsqu’il perdait le contrôle. Des siècles furent nécessaires avant qu’il soit en mesure de se contrôler et de ne pas devenir fou à la moindre odeur, d’être capable de supporter un simple rayon de soleil… Il avait connu les guerres, les rébellions, la déchéance de son peuple. Il avait vu et fait des choses si horribles que l'elfe qu’il était devenu n’avait plus rien en commun avec celui qu’il avait pu être des milliers d’années auparavant.