La Sirène et l'Exilé

Que la nuit était belle aujourd'hui. Takhys se plaisait à contempler le firmament étoilé, essayant de trouver des formes ou des visages dans le jeu des petits points étincelants qui marquaient le voile de la nuit, telle une énorme cape constellée de diamant. Elle se permit de sourire, s'imaginant dans une robe d'un intense bleu cobalt, avec des dessins composés de perles qu'on aurait cousus une à une au bout de doigts habile. Et le corset ? Parsemé de ces mêmes diamants qui dominaient les cieux, là-haut, tout là-haut, qui soulignerait la moindre rondeur de sa poitrine généreuse, avec quelques paillettes argentées délicatement saupoudrées sur la peau nue qui serait visiblement d'un décolleté bien dégagé... Oh oui, elle aurait fière allure dans ce genre de robe.

Tout sourire, elle croisa ses bras à la peau légèrement bleutée sous sa tête, pour parfaire sa posture allongée. Elle était là, sur cette berge solitaire, le regard scrutant la voûte nocturne. Ici, point de route, point de chemin, elle pouvait paresser à la surface sans risquer de rencontres d'êtres belliqueux. Oh, il y avait bien les tumultes guerroyants de l'autre côté de la frontière, chez les Reikois. Une dispute de clan, à ce qu'elle se rappelait, pour savoir qui dirigerait le pays. Cela avait fini en guerre, non ? Bah, ce n'étaient pas ses oignons et cela ne portait pas préjudice à ses plans, pour l'instant. Et puis, cela venait à perturber ses menues affaires, elle s'adaptera, comme toujours. Cela avait si bien marché jusqu'ici. Bon, là, ce soir, elle avait plutôt visé à paresser que de chercher à trouver une occupation de... de quoi déjà ? Chercher des opportunités ? Non, s'amuser ! Lentement, elle s'étira, provoquant quelques clapotis à la surface de l'eau. De sa longue queue musclée, elle se jeta un peu d'eau sur son torse et son visage. Elle ne tenait pas à ce que sa peau se dessèche, du moins, la moitié qui n'était pas immergée. Son estomac commença à grogner. Ah oui, elle avait faim. Qu'est-ce qu'elle pourrait aller pêcher ? Des écrevisses bien grasses ? Des truites ? Ou des moules d'eau douce ? Rien que de penser à tous ces mets, elle en saliva.

Elle se redressa pour s'asseoir, enroulant de moitié sa queue vers elle. Avant de chasser, elle devait natter sa longue chevelure. À son aise, elle y passa d'abord ses doigts fins pour les démêler un peu. Malgré la palmure qui couvrait une moitié de ses mains, elle sut lisser tout cela et commença à tresser ses longs cheveux. Elle stoppa quand elle entendit des terrestres qui se rapprochaient de sa position. Des bipèdes ici ? Elle tendit son oreille. Ils étaient plusieurs... le son métallique d'armes s'entrechoquant contre des boucles de métal ou des plaques d'armures se rajouta au petit concert croissant. Une troupe armée. Elle se tendit. Les combats des Reikois avaient-ils franchi la frontière ? La République se joignait à la guerre ?

Elle crut voir une imposante ombre se rapprocher de la berge. Elle déroula sa longue de poisson, bondit en avant pour rejoindre des fonds plus protecteurs. En même temps, une vague d'au moins deux mètres de haut se dressa de la paisible surface lacustre pour couvrir le départ précipité de la Sirène. Elle se déversa sur la plage de boue et de galets, pour repousser avec une certaine "gentillesse" mouillée l'inconnu venu sans déclarer réellement ses intentions. Quand on vit dans un monde de danger, il faut mieux prévenir que de se faire occire.

Exilé, ouais, c'est le mot.

Nous ne sommes plus chez nous. Ni au Reike, ni ailleurs.

Dans le groupe, c'est toujours le même silence. Les mêmes échos de notre défaite. Notre marche, rythmée par le cliquetis constant de nos armures, avait une résonance amère dans les oreilles. Certains ont même quitté leurs armures pour être plus confortables dans leur voyage. Moi, je n'y arrive pas. C'est comme arracher le dernier vestige de la Dynastie Draknys, emportant avec lui une partie de moi-même. Une partie de ma vie, de mon histoire, de mon passé, qui vont être enterrés dans le gouffre de l'oubli. Mère marche un peu à part, le regard rivé sur un point pas réellement précis, perdu, voyant bien qu'elle se repasse encore et encore la mort de père. Occupant ses mains, en les empoignant si fort que sa peau blanchit.

Me rapprochant doucement, une main réconfortante vient se poser sur l'épaule, mais elle vient aussitôt la retirer d'un geste ferme du bras.

« Tu aurais dû le tuer.
- Cet FMR a épargné nos hommes.
- Parce qu'il t'as vu sortir de son sortilège.
- Non, parce que ce n'est pas sa mission.
- Arrête d'imaginer que les gens peuvent être bons, surtout pendant la guerre.
- Mère, ça fait des jours qu'on répète sans cesse cette discussion.
- ... De toute façon, c'est fait. J'espère pour toi que nous ne paierons pas le prix de ta naïveté.
- J'en prendrai toute la responsabilité.
- Suffit. Rejoignons les Casris. »

Le lac Rebirth est vraiment un très grand point d'eau. Aussi long et large qu'un fleuve. La température est très clémente. Une étendue d'eau noire et mystérieuse. La lune éclaire à peine la surface, laissant planer une atmosphère lugubre et silencieuse. Je me tiens là, après avoir traversé ce foutu désert, à contempler cette étendue sombre, me demandant ce que cachent ses profondeurs. Le vent frais souffle sur mon visage, apportant avec lui un soulagement bienvenu après la chaleur accablante de la journée. C'est d'ailleurs aujourd'hui que nous tous ici avons discuté des prochaines heures avant d'arriver à la lisière de la République.

Nous sommes trop, et il va falloir nous séparer. Mère lève le poing pour arrêter cette petite escouade pour nous rapprocher de la berge afin de nous débarbouiller mais aussi nous coordonner pour la suite de la manœuvre. Mes pieds finissent dans l'eau, me rapprochant pour les engloutir jusqu'à mi-tibia et sans détecter le moindre mouvement, une vague s'érige devant moi pour m'éclabousser, comme un avertissement, ou bien le rappel de la nature de ce lac. Mère prendra la parole alors que tout le monde fait chuinter son épée dans une agitation générale.

Je me contenterais de cracher la tasse que cette vague m'a fait boire, le regard aussi blasé qu'un caillou assis trop longtemps au même endroit.

« Nous ne sommes pas seuls.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?! Tonne un soldat.
- Le lac est réputé pour avoir des habitants aquatiques, méfiez-vous. Kieran ? »

Je me redresse, et abuse de mon flair, pendant de longues secondes, le nez retroussé, en expirant si fort que je pourrais repasser ma chemise.

« Chair humaine, poisson. Que je finis par dire.
- Pas d'élémentaire. Qu'elle conclut.
- Non.
- Triton ?
- Possible.
- Sirène ?
- Possible aussi. »

Deux soldats qui se regardent avec un sourire narquois commencent à s'approcher également du bord avec des idées lubriques qui se trahissent dans leur yeux. Je finis par me mettre en travers pour les surplomber de ma masse, l'iris resserré dans leur direction, meurtrier.

« Touche à sa tête, et j'avale la tienne. »

Le silence, puis un retrait sur la terre ferme en guise de réponse, nous attendons quelques minutes avant de voir s'il se passe quelque chose. Mais rien, pour le moment. Rapidement nous arrivons à la conclusion, mère et moi, que nous avions certainement dû fuir la dite bestiole dès notre arrivée. Mère prend encore une nouvelle fois la parole alors qu'on se tient en cercle autour d'elle.

« Vous l'avez compris, on ne peut pas rester ensemble indéfiniment. L'aventure commence pour tout le monde ici. Regroupés de la sorte, nous serions rapidement repérés et les risques d'être capturés en tant que rebelles avec. Je vous souhaite à tous de trouver un sentier qui vous mènera en sécurité, malgré la défaite qui nous ronge. Nous sommes les souvenirs du Reike et de son empereur défunt. »

Ses yeux deviennent humides, sa bouche s'ouvre, mais rien n'en sort. Les accolades se multiplient, les au revoir emplis de promesses naviguent entre les personnes et rapidement le groupe se dégarnit jusqu'à ce que nous sommes plus que deux. Posant mon front contre le sien, mère frottant affectueusement nos cornes dans une étreinte maternelle, sa main finit sur ma joue. Comme si la soldate venait de mourir pour retrouver la matriarche qui a toujours été un nid de réconfort et de protection.

« On se retrouve au port de Courage, fais très attention mon garçon.
- Vous aussi.
- Personne ne se mettra en travers de ma route. » Qu'elle murmure dans un grognement déterminé.

Puis, me voilà enfin seul, alors qu'elle disparaît dans l'ombre de la nuit après un baiser sur mon front. Un long soupir m'échappe, alors que j'essore mes cheveux de cette éclaboussure, puis retire doucement mon armure, les plaques tombent lourdement pour laisser mes muscles et mes articulations respirer. L'emblème Draknys est maintenant un fardeau à porter, et me dévoiler de la sorte me coûterait un aller simple en prison. Une tunique en lin, fine, en manche courte, me colle à la peau ou la sueur rend le tissu transparent, et à travers lequel on peut deviner les multiples ecchymoses et autres hématomes. Les jambières métalliques, au sol, dévoilent des braies marrons abîmés par les attaques, blanchis par le sable fin du désert Reikois.

Je m'assois sur un rocher, Portecendres plantée juste à côté, alors que je mets Luciole sous la lumière de la lune. Elle brille de mille feux.

« Luciole, je vais avoir besoin de toi. Guide-moi. »

Un lourd silence en guise de réponse alors que la lumière des cristaux serties dans la garde trace des rayons au sol, mais également sur l'eau. Impossible d'y voir à travers malgré cela. Je suis maintenant seul, et il va falloir survivre, avancer malgré les évènements.

Mais dans quel but.

Ce qui était magnifique avec l'eau, était sa petite capacité de protection, permettant de se mettre hors de portée des regards lubriques ou encore des éternels insatisfaits de la vie au quotidien. Mais elle permettait également de pouvoir percevoir les sons qui se diffusaient du sol à l'étendue liquide. Sous la surface, dans les ténèbres aquatiques, la Sirène se confondait dans les teintes obscures des profondeurs. Elle n'était pas loin de la fine frontière qui séparait son environnement de celui des aériens. Elle les entendait. Elle les épiait, tout en souriant d'une bien étrange manière. Un rictus carnassier ? Il y avait un petit moment qu'elle n'avait pas eu sous la dent la chair fraîche d'une proie à deux jambes. C'était peut-être son jour de chance, mais ils étaient en nombre. Elle privilégiait toujours les proies isolées. Et qui disaient nombreux individus, disait armes, voir probablement quelques mages dans leurs rangs. Elle décidait de prendre patience. Un véritable prédateur savait guetter le parfait moment pour frapper. Sa magie pourrait l'aider, mais cela enlèverait tout plaisir au moment visé.

Donc, elle attendait, restant stabilisée sous les flots, les oreilles tendues pour guetter le moindre son qui se diffusait vers elle. Bien évidemment, elle ne put saisir le sens réel des mots articulés, qui n'étaient que brouhaha, mais cela remue pas mal là-haut. Tiens, il semblerait qu'un petit groupe se détache des autres, au son des pas qui foulait le sol... ils se séparaient ? Quelle chance ! Pourtant, elle demeurait encore à guetter. Tout n'était qu'une question de temps.

La surface parut redevenir plus calme. Des bruits métalliques tintent comme une bien étrange musique très brève. Qui disait métal disait armes ou armures. Celui qui l'avait surpris pendant qu'elle se prélassait sous la lune était donc un guerrier... ou un mercenaire. Le Reike était en proie à un sacré désordre intérieur, entraînant conflits et morts, si elle se rappelait bien. Croiserait-elle la route des rebelles qui avaient osé franchir la frontière ? Ou des déserteurs ? Cette interrogation la taraudait un peu. Elle décida de prendre le risque de faire surface.

La surface paisible et lisse du lac fut perturbée par l'apparition d'une tête à la longue chevelure bleu sombre. On discernait mal la couleur de sa peau pâle, mais on voyait bien qu'elle n'était pas une humaine. Avec prudence, la Sirène observa l'environnement, en gardant dans le centre de son champ de vision cet être qu'elle trouva d'office colossal. Un hybride ? Vu sa musculature, ses écailles et ses cornes, cela ne pouvait qu'être cela. Les hybrides n'étaient pas bien vus au Reike, là aussi, si elle se remémorait un peu la situation de la nation d'au-delà la frontière républicaine. Chose certaine était qu'elle n'allait pas se repaître de ça.

Bon, si elle brisait le silence de la nuit.

"Tu parais bien mélancolique, l'inconnu… Est-ce toi ou tes hommes qui m'avaient surpris tout à l'heure ? J'espère que la petite douche improvisée n'a noyé personne. "

Ne connaissant pas les attentions de cet individu, elle ne se rapprocha pas de tout de suite de la berge. Il paraissait armé, car une belle petite dague luisait sous les reflets lunaires. Et puis, il n'était pas venu tout non plus. Ses compagnons devaient être plus loin des berges.

"Je ne crois pas souvent des visiteurs sur cette partie du lac...."

Luciole a manifestement sa manière de s'exprimer.

Comme si finalement je n'étais jamais seul, dans le possible cas contraire, arrivé au carrefour d'une rencontre inattendue. Probablement pour ça que j'ai aimé voyager un peu partout sur la carte du Sekaï ; parce qu'on se construit au regard de ces rencontres. Elles sont parfois bonnes, mauvaises, neutres, mais dans tous les cas, elles nous apportent quelque chose. Reste à faire de ce quelque chose un outil pour avancer. Quand une voix commence à sortir de la surface pour m'interpeller, Luciole finit rapidement dans une prise pic à glace alors que je me redresse doucement dans une posture défensive. Le geste est soudain, comme un réflexe, comme si finalement... je n'avais jamais quitté la guerre.

Au bout, une tête est en dehors de la surface du lac. Malgré l'obscurité de l'endroit, on pouvait facilement deviner cette chevelure vénitienne flamboyante tressée par des nattes qui découvre un visage doux à la peau hâlée, sculptée par la nature, dans le but de plaire à beaucoup de monde. C'est donc pas des conneries sur ce qu'on raconte des sirènes, envoûtantes aux premiers regards, dangereuses aux deuxièmes, léthales aux troisièmes. Étouffant le réflexe par une posture plus calme, Luciole finit dans mon fourreau, Portecendres arrachée du sol pour finir chez elle également.

Alors, apparemment la mélancolie est écrite sur mon visage, ça sous-entend qu'elle m'observe depuis un petit bout de temps, tapi dans l'ombre. C'est également elle qui m'a fait passer une douche en service rapide et gratuit. Prenant un pan de ma chemise, je vais l'essorer devant elle, dont le ruissellement mêle crasse, sueur et sang.

« Apparemment, c'est moi. Merci pour la toilette, fallait pas. On ne voulait déranger personne. Encore moins une sirène qui flotte tranquillement chez elle. »

Mes traits se durcissent, le regard vers la direction du Reike.

« La mélancolie, je me la garde. » Que je murmure, plus à moi-même qu'autre chose.

Arriver comme un rebelle sur un territoire inconnu relève du suicide. Rien ne dit que je finirai pas dans une cage, enchaîné de la tête aux pieds par des chaînes et autres scellés magiques avant de finir dans une prison. J'ai entendu parler de cette Forteresse loin de la République, et rien que ses échos font suffisamment froid dans le dos pour réfléchir quelques fois avant de faire une bourde. Je lève les mains en l'air au niveau de mon torse, derrière une brève révérence de la tête.

« T'es chez toi, pas moi. Je comprends que notre arrivée puisse questionner. »

Apparemment ce n'est pas non plus tous les pécores qui passent dans les environs, et j'ai bien conscience que pour arriver ici, c'est dans l'idée d'être dissimulé, je devine facilement que cette chère sirène suspecte possiblement des choses me concernant. Maintenant, je dois défendre mon gras.

« Je ne veux pas faire de vagues, et comme je ne connais pas les lieux, essaie d'être discret. »

Les images des batailles défilent dans mon esprit tandis que je m'approche de l'eau, toujours les paumes ouvertes. Les traits tirés, le regard embrumé par une solitude nouvelle et le deuil de dizaines de frères d'armes. Ma bouche s'ouvre une dernière fois.

« J'ai passé mes deux dernières années à me battre pour ma vie, ce soir, je fais une pause. »

Difficile de savoir si elle est hostile à mon encontre. Si elle cherche juste à savoir qui je suis, à me foutre des marrons dans le museau ou bien à essayer de me bouffer avec ses copines. Ce n'est pas impossible qu'elle soit accompagnée de toute une meute de ces créatures pour faire une broche de lézard Reikoise. Tout est possible, et je néglige aucun scénario. Mes yeux cherchent l'obscurité des siens, tachetés de piécettes ambrées qui donnent leur lot de mysticisme et de charme. Mais, je ne suis pas un pucelard qui tombe facilement dans le panneau comme un pigeon heureux.

Les sirènes sont belles, et c'est une arme fatale.

« À qui ai-je l'honneur ? Je m'appelle Kieran. Et si tu veux que je dégage, je le ferai, je n’ai rien d’une menace. » Que j'annonce, sans opposition. « Tu connais bien la République ? Il faut que je trouve un chemin pour aller à Courage. »

L'heure n'est plus pour la baston, y'a eu trop de sang par terre ces derniers temps.

La Sirène demeurait prudente. L'être cornu affichait une carrure impressionnante. Il ne parut pas prendre mal la douche surprise reçue tantôt, se permettant même de plaisanter tout en essorant sa chemise trempée devant elle. L'eau rejoignit la surface du lac dans un léger clapotis. L'Aquatique se contenta de sourire face à ce bref instant d'amusement, pendant qu'elle profitait de voir le jeu des muscles volumineux et fermes qui roulaient sous la peau écailleuse de ses bras et de ses larges épaules. Elle ne put s'empêcher de passer la pointe de sa langue sur le coin droit de ses lèvres lissantes d'humidité. La gourmandise était un si vilain défaut.... Un hybride comme lui devait avoir une chair particulière. Les reptiles avaient souvent le coup de poulet. Mais là, ce n'était pas un animal de cette famille d'animaux ou encore un aviaire... mais bien un individu de la famille proche des mammifères, donc de la viande rouge de base. Avec un mélange de saurien, à se demander si c'était plus face ou délicieux.

Son esprit se perdit dans des plats ouvrant l'appétit. Les parties des membres antérieures, marinées dans une préparation finement épicée, révèleraient toute leur saveur tendre. Des cuisses, une petite poêlée avec des légumes cuits à la vapeur pour garder leur croquant et se marier avec la robustesse de ces chairs-là. De ce qui se trouvait dans le dos et ses flancs ? haché et persillé, il y aurait de quoi faire de bonnes croquettes une fois mis dans une belle chapelure. Et des os... épais à souhait, protégeant une moelle des plus grasses et des plus juteuses, délicatement étalée une fois chaude sur une tartine grillée et frottée à l'ail. Elle crut sentir son estomac grogner. Allons bon... tout cela laissait rêveur et invitait à voyager dans les saveurs, mais Takhys s'attachait quand même à une ligne de conduite : elle ne mangeait pas d'hybride. Rêver de ce qu'elle ratait possiblement était totalement permis non ?

Quittant un peu à regrets ces souhaits inassouvis d'appétence, elle faisait mine de ne pas avoir entendu le murmure du grand cornu. Par contre, elle ne pouvait pas louper sa tête qui avait pris la direction de la frontière avec le Reike. Il confirmait son point d'origine. Puis, elle gloussa légèrement, devant son salut improvisé, pour lui accorder une petite révérence. Il avait un semblant d'humour, le terrestre écailleux, même des émotions négatives marquaient ses traits rudes.

"Je ne suis pas vraiment chez moi, au sein de ce lac, tu sais. "

Elle gloussa, laissant sa voix chanter comme un fin cristal. Et lui, il s'avançait toujours un peu plus dans l'eau, ses mains ouvertes. Elle n'oubliait pas ses armes rangées. Il tenait à marquer qu'il n'était point hostile à son égard.

"Et puis, cette berge ne m'appartient pas. Tout le monde peut y passer. "

Elle prit le risque de se rapprocher, offrant une meilleure vision de son allure marine. Néanmoins, elle tenait à garder un minimum de profondeur, tant pour préserver la vue de sa poitrine nue, que l'eau sombre couvrait d'un sombre linceul liquide, que pour avoir de quoi fuir si l'hybride venait à changer d'avis à son encontre. La guerre faisait rage au Reike, cet hybride en avait fait les frais. Elle pouvait le lire en lui et d'ailleurs, il l'avait très sommairement dévoilé. Puis, tout simplement, il se présenta.

"Enchanté, Dénommé Kieran. Je suis Takhys, en promenade dans ce lac. Hormis la petite frayeur de ta venue et de celles de tes congénères, je ne vois aucune raison de te faire déguerpir de ces lieux. Si tel avait été mon souhait, tu serais déjà à plusieurs centaines de mètres de la berge, à glisser dans la boue et la vase, importé des eaux de mon seul fait. "dit-elle malicieuse."La douche n'était qu'un simple tour pour moi. "

Elle se mit à rire, cherchant à voir derrière Kieran si ses hommes étaient proches de là.

"Me tromperai-je où certains de tes amis parlaient de manger du poisson ? "Petit sourire espiègle. "Je connais un peu la République, oui. Pour rejoindre Courage, le plus simple sera de longer le lac, le gardant à ta gauche, jusqu'à ce que tu arrives à Justice. Là, tu sauras trouver la voie menant vers Courage, vers le nord-est après la cité. Par contre, je ne saurai quoi te conseiller pour ta situation... Réfugié reikois ou de Shoumeï... A moins que tu aies des connaissances républicaines qui te permettent de passer plus sereinement dans le coin ? "

Puis, elle lorgna plus intensément le Drakyn.

"Deux longues années à te battre donc.... Aurais-tu besoin de soins ? "

Au Sekaï, les rencontres sont rarement de bonnes nouvelles.

Ça m'a rendu pragmatique et souvent sur la vigilance. Les agneaux peuvent bouffer le loup, le dangereux tigre aussi mignon qu'un petit chat... Et une femme aussi monstrueuse qu'un démon assoiffé de sang. Dans mon cas, je préfère m'attendre au pire et imaginer qu'on va se foutre sur le museau jusqu'à ce que l'une des deux personnes capitule. Même si en l'état, c'est la diplomatie et l'entente qui me motivent. Pour le moment, rien de grave ne se passe, mais je peux détailler cette langue mutine qui passe sur ses lèvres, bien en évidence malgré l'obscurité de la nuit.

Et je sais faire la différence entre une donzelle qui minaude sur mon torse ou plus bas, et une créature affamée.

Mes mâchoires se serrent. Et je préfère étouffer ma réflexion et mes émotions au risque de déborder et de faire quelque chose de regrettable sur le sol Républicain. Alors, je ne retiens ni cette langue ni ce rire, même si j'ai conscience que ma posture peut être amusante. Au moins, j'ai une révérence et des réponses en plus de ça. Ce lac ne lui appartient pas, cela sous-entend qu'elle lui arrive de quitter ces lieux. J'ignorais que les sirènes pouvaient faire ce genre d'exploits. Dans sa voix, je sens mes esgourdes étrangement charmées par ses intonations, sans savoir si elle me prend pour une courge ou considère réellement ma personne. C'est comme marcher sur des dalles de pression, savoir quelle dalle va activer un piège pour me refroidir, ou ouvrir la porte qui me permettrait de sortir de ce bourbier.

Bourbier qui ne lui appartient pas, me donnant donc la liberté de passer dans le périmètre sans une halte préoccupante. Mais finalement, est-ce que ce n'est pas là la stratégie d'un prédateur ? Faire croire à sa proie qu'il peut se balader où il veut sur son terrain de chasse ?

« Eh bien, cette berge est jolie, je comprends que tu sois ici. Je pataugerais également dans le coin si j'étais un triton. »

Les vagues clapotent doucement autour d'elle alors qu'elle ondule à travers l'eau, sa queue scintillante se déplaçant avec une élégance fluide. Ses bras se déploient comme des ailes sous-marines, les mouvements gracieux propulsant son corps vers l'avant. Ses longs cheveux tressés flottent derrière elle, suivant le mouvement de l'eau. Une aura envoûtante l'entoure, captivant tout sur son passage. Sa beauté est effectivement à couper le souffle, mais derrière ses traits angéliques se cache une aura de mystère et de danger. Une nudité partielle se devine, mais étrangement rien ne tambourine dans mon bas-ventre. Non, c'est plutôt l'appréhension et la prudence qui viennent s'illuminer dans ma caboche pour m'avertir que le moindre geste mal interprété peut conduire à un échange mortel.

À ma présentation, j'aurai la sienne. Puis, le sentiment qu'elle a eu à notre arrivée. Suivi d'un long laïus de menace après un élan de magnanimité. J'hausse un sourcil, me demandant comment elle peut rapidement arriver à cette conclusion. Toutes les personnes qu'elle a rencontrées ont été incapables de riposter face à ses attaques, ou bien, elle collectionne bon nombre de chasses dans lesquelles toutes les castes possibles ne peuvent rien faire face à elle ? Pour autant, je n'ai pas le sentiment que lui scalper la tête en lui arrachant les cheveux, ou lui briser la moitié du corps avec un rocher de 400 kilos m'a l'air difficile. Mais, je pense qu'il ne faut pas se fier aux apparences, et je ne vais pas m'avancer dans un discours menaçant.

Je finis par faire un signe de tête, résigné.

« D'accord, j'en prends note, Takhys. Enchanté. »

Préférant passer au-dessus de ce discours, la partie qui m'intéresse sera dans mon prochain itinéraire. Mais une petite interlude sur ce qui s'est passé avec mes camarades a l'air d'attirer sa curiosité. Les sirènes sont des ferventes défenseuses de la poiscaille ? Ou c'est une invitation à une chasse commune ? Surtout que le hic, c'est que les soldats qui ont radiné vers la berge se sont dit qu'ils pouvaient sauter sur une sirène comme si de rien n'était. Alors, est-ce qu'il y a une bonne réponse ? Hm.

« Ils se sont dit qu'ils avaient une chance d'attraper un poisson sans canne à pêche. Je les ai ramenés à la raison. »

En les menaçant évidemment de leur écraser la tête. Mais maintenant que je suis face à une sirène, je me dis que j'aurais dû les laisser crever. Si en plus elle se remplit le ventre, ça m'aurait permis de ne plus être dans son collimateur. En attendant, elle me fera le plaisir de me donner la marche à suivre pour rejoindre la Nation bleue, et finalement, rien de compliqué. De fortes chances que je fasse une grande partie du voyage en volant.

« Je te remercie pour ces précieuses informations. J'ai effectivement un point de chute là-bas. De la famille. »

Et elle n'aura pas besoin de savoir si je suis Reikois ou autre chose. Sauf si elle s'arrête sur mon tatouage étalé sur mon omoplate. Puis, comme pour accompagner son regard intense sur moi à ses mots, une curieuse question résonne dans cette berge étrange.

« De... Soins ? »

Je me regarde comme si je n'avais plus connaissance de mon corps. Beaucoup de blessures, la plupart refermées par mon facteur de guérisons, les plus lourdes en convalescence. Des hématomes, des bleus et autres ecchymoses. Probablement plusieurs côtes fêlées, du sang qui vient régulièrement dans la bouche, et le dos endolori comme si je m'étais fait piétiner par un couple de montagnes en pleine copulation.

« Je comptais demander des soins une fois sur place. En attendant, je me fais des onguents et j'attends patiemment que le temps fasse son œuvre. Pourquoi cette question ? »

Une guérisseuse ?

La Sirène s'amusa à sortir un peu plus hautement sa nageoire caudale, laissant entrevoir la transparence du voile qui paraissait si fin, si fragile. Pourtant, à voir ses mouvements amples, la fine membrane était résistante, pour devenir l'aboutissement d'une propulsion aquatique commandée par tous les muscles de la queue. Cherchait-elle à se dévoiler un peu plus, ou pour marquer sa position actuelle vis-à-vis de la berge ? Elle prenait tout simplement ses aises, comme un bipède croiserait ses jambes assis sur une chaise dans une taverne ou chez lui. Elle pourrait se rapprocher un peu plus de son interlocuteur, toujours avec son sourire enjôleur, envoûtant. Il était difficile de cerner ses pensées derrière son séduisant visage. Elle voyait bien que le terrestre demeurait sur ses gardes. En même temps, il venait de sortir du Reike, fuyant sa vie d'avant... Quoi de plus normal que d'être contracté de partout, plus encore quand on vient à croiser une Sirène, aux intentions peu claires.

C'était cela qui était amusant pour l'instant pour l'Aquarienne. Rien de converser pourrait suffire à tourmenter le malheureux.

"Tu as une drôle de manière de patauger, alors, Kieran. À moins que tu veuilles réellement prendre un bain ? Un bipède aussi fort que toi, aussi imposant, arriverait-il à nager d'ailleurs ? Tu n'es fait que de muscles et d'écailles, cela ne risque pas d'aider pour rester à la surface..."

Était-ce une boutade ou une menace déguisée ? Son sourire se fit quelques secondes plus prédateur, avant de rire, à nouveau.

"Tu me diras, c'est toi que tes hommes auraient à repêcher. Nul besoin de canne pour cela. Tu as bien fait de les avoir ramenés à la raison. Chercher à attraper plus dangereux que soit n'est pas forcément une bonne idée. Sauf pour les suicidaires, peut-être. Savent-ils que certains poissons chantent ? "

Elle avait fait varier très infiniment le timbre de sa voix, juste de quoi donner quelques frissons, si Kieran y était sensible. Au pire, il n'y réagirait pas, ce ne serait pas grave, hormis qu'il saurait résister à son Chant. Chaque petite parcelle d'informations qu'elle obtenait avait sa petite importance.

Bien, pour cette histoire de soins qu'elle proposait ! Le costaud écailleux parut un peu surpris qu'elle lui proposait ce genre de service, comme cela, de but en blanc. Il en vint à s'inspecter, comme s'il avait oublié toutes les blessures qu'il avait pu recevoir en quittant le Reike

"Si tu veux réussir à rejoindre tes proches à Courage, et à pied, il te faudra des forces. La volonté, la détermination, tout ça.... Ca donne des effets miraculeux sur un corps épuisé, qui lui-même prend de l'énergie pour se soigner.... Mais passer un certain point... Les limites se retrouvent chez chaque être vivant. Tu es fort, tu as ton objectif en tête, c'est louable. Mais même toi, tu as des limites. "

Elle inclina la tête sur le côté, étudiant le grand cornu, et toujours avec son sourire à ses lèvres bleutées.

"Si tu avais été moins éreinté, moins... comment on dit déjà... démoralisé ? Tu te serais montré plus sur la défensive à ma venue, non ? Peut-être aurais-tu gardé une arme à la main, juste au cas où non ? Après, je peux me tromper... A la question qui luit sur ton regard, oui, je sais soigner. L'eau a de magnifiques vertus. Tes hommes aussi ? Ceux qui voulaient me pêcher, je peux rajouter un goujon pour eux si tu veux... Au moins, ils auront eu quelque chose sans canne à pêche. "

Elle se rapprocha du coup, juste encore un peu, juste assez pour pouvoir s'accouder sur le fond de la berge.

"Et promis, il n'y a pas d'entourloupe. "

La rencontre prenait un certain degré dans sa singularité. Non, ce n'est plus une rencontre.

C'est une expérience.

J'ai bien conscience que j'assistais à quelque chose d'assez unique. Probablement que d'autres personnes n'auraient pas pu jouir de cet échange sans finir ronger jusqu'à l'os, ou même sans prendre connaissance de l'existence de cette créature dans le lac. Plissant les yeux pour détailler davantage la vénitienne, mes yeux vont faire le toboggan, glissant sur son dos, son creux, jusqu'à la chute de ses reins avalée par son environnement aquatique, pour remarquer cette fine membrane si fragile d'apparence sortir de l'eau, son reflet multicolore et nacré sous l'éclairage de l'astre.

Ce serait mentir de dire que ce n'est pas... Fascinant. Un immense fossé sépare nos deux espèces. Les Drakyn ayant la particularité d'avoir une morphologie solide et épaisse, une crâne dur orné de cornes, et une queue dorsale qui peut servir de gourdin pour ceux qui en sont munis. Elle, représente la grâce, la séduction, la délicatesse, armé de crocs dévoreurs de chairs. Et d'ailleurs, j'ignore si elle se questionne pour de vrai me concernant, mais, je finis par baisser les bras, et commence à retirer mes bottes, les jetant sur le bord pour laisser mes pieds apprécier la fraîcheur comme la douceur de l'eau.

On reste loin des doux oasis du Reike. En tout cas, plus je l'a regarde, plus je suis perdu. Prédation ? Ou autre chose ? Je préfère partir du principe que si elle voulait me chasser elle l'aurait fait depuis belle lurette. Alors on va s'arrêter sur ce rire, là, juste assez contagieux pour m'arracher un rictus.

« Patauger était le premier mot qui m'est venu, navré pour l'expression. Et, oui, je sais nager. Pas aussi bien que toi, certes, mais les entraînements militaires nous poussent à être efficaces sur le maximum de terrains possible. Mais, je ne peux échapper à ma vraie nature alors discutons de... »

Je déploie délicatement mes ailes, dans une petite bourrasque qui remue l'eau. Elles captent la lumière, révélant un dégradé de bleus facilement remarquable où les veines traces des itinéraires irréguliers un peu partout, des nuances qui semblent tirées directement du firmament étoilé.

« ...Prédateur marin, à prédateur aérien. »

Mais elle viendra reposer le cadre. Ici, nous sommes dans son élément, et elle est suffisamment en confiance pour prétendre à bouffer le premier qui veut s'aventurer dans une mission à haut risque avec elle dans l'équation. Une partie de moi aimerait voir de quoi il en tournerait, l'autre préfère se dire que je ne suis pas si facile à crever, mais suffisamment intelligente pour ne pas prendre des risques inutiles au regard de mon état de santé. Quant à sa question sur les spécimens qui chantent, j'aurais droit à quelque chose de si fascinant, extraordinaire, qu'il faut l'entendre, pour le croire.

Je n'ai jamais entendu une sirène chanter, de toute ma vie. Une symphonie envoûtante, à la fois douce et puissante, qui semble émaner des profondeurs de l'océan lui-même. Chaque tonalité est parfaitement équilibrée, créant une harmonie séduisante qui transporte l'auditeur dans un état de transe hypnotique. Ceux qui succombent à son chant sont condamnés à errer éternellement dans les profondeurs de l'océan, perdus à jamais dans les tourbillons de son enchantement. Pour la dernière partie...

Non, c'est raté. Pas même une gaule au pantalon, ou bien des sons gutturaux qui sortiraient de ma bouche en susurrant "oui, je viens, ma douce amie." Je finirais simplement par applaudir, doucement, en inclinant légèrement le buste. En cachant difficilement l'éclat d'admiration dans mes yeux clairs.

« Je n'ai jamais entendu une voix aussi magnifique de toute ma soldatesque vie. Tu honores tes gênes. »

Est-ce qu'elle songeait à me manipuler pour me refroidir ? Je ne le saurais peut-être jamais. Ce que je dois savoir en revanche, c'est qu'effectivement, tenir le voyage dans mon état relève de l'inconscience. Traverser le désert, essuyer deux batailles coup sur coup, progresser dans le nouveau relief républicain, n'est pas sans un prix à payer. Voûtant mon dos et relâchant les épaules, résigné, elle me posera une question. Je finis par regarder mes armes, puis mes poings.

« Peut-être. Mais faut croire que je suis trop... éreinté. Ha. »

Peut-être parce que j'ai tout perdu. Peut-être parce que je n'ai pas d'objectif hormis un cap vers la République. Peut-être un peu tout ça. De ce que j'ai compris, elle utiliserait l'eau pour soigner les blessures, et même pêcher pour des hommes. Constatant que je suis bel et bien seul, je fais mine de murmurer un secret.

« Ils sont déjà partis, ça reste entre nous pour le goujon ? » Que je tente de plaisanter.

Désormais encore plus proche, plus grand chose nous sépare. Et si finalement les Astres me demandaient de leur faire confiance ? Et si, pour une fois, je me laissais porter par les choses et voir comment elles pourraient s'imbriquer ? Ma chemise finit par rejoindre les bottes lancées plus tôt ainsi que ma ceinture tenant les deux fourreaux qui portent mes armes.

Au pire des cas, même dans ce cas de figure, ça ne sera qu'un combat de plus.

« Très bien. Pas d'entourloupes. »

Je m'approche, d'un pas, puis deux avant de plonger mes genoux dans l'eau qui arrive désormais à ma taille, rétractant doucement mes ailes derrière les omoplates.

Prêt comme jamais, pourtant sûr de rien. Mais avec tout de même une reconnaissance que je ne serais pas prêt d'oublier.

"Oh, ne t'en fais donc pas. Il y a tellement de mots chez les terrestres pour désigner la même chose ou la même action, que j'avoue m'amuser quand il est question de... jouer sur les termes. Voilà, c'est cela qui se dit normalement à la surface."

Elle prit le temps d'étudier le haut de son corps. Ses épaules et son torse étaient très musclés. Elle avait déjà vu des hommes nager avec excellence, possédant le même genre de carrure. La nature était si bien faite ! À défaut de posséder une queue comme elle ou la plupart des créatures marines, pour se mouvoir sur ou sous les flots, les muscles des bras et du tronc supérieur prenaient le pas, usant des bras comme moyen de propulsion. L'efficacité n'était pas présente, mais elle se compensait autrement. Et puis, l'hybride avait ses ailes derrière lui. Peut-être qu'il les employait comme les nageoires des tortues ? Il serait intéressant d'observer cela. Elle les fixa donc, le temps de leur déploiement.

"Tu te classes dans la prédation aérienne, donc. C'est ce que tu apparaissais déjà à mes yeux, très cher. Je serai curieuse de savoir ce que tu manges pendant que tu sillonnes les airs." fit-elle en riant, imaginant déjà le Drakyn poursuivre une mouette pour en faire son repas. Avec ses deux jambes, nul doute qu'il s'alimentait comme la plupart des êtres humains.

Par contre, il ne parut pas tout à fait insensible à la légère variation de sa voix, quand une infime partie de son Chant vibra à travers ses cordes vocales. Il l'avait écouté, pris en début de fascination qui aurait laissé penser qu'il aurait fait un pas en direction de la Sirène. Il avait applaudi en quelques claps légers, puis il avait remercié la cantatrice.

"Je te remercie. Et ce que tu as pu entendre n'était que la surface de mon véritable Chant." dit-il en toute franchise. Si elle le voulait vraiment, il pourrait être tout à elle. Elle en sourit.

"Ça restera entre nous, pour le goujon." reprit-elle après la suite de la conversation, toujours aussi joyeusement. Maintenant qu'il avait avoué son épuisement, elle dardait toujours son regard vers lui, voyant sa chemise apprendre à voler courtement. Elle était déjà trempée de toute façon. Il s'avança dans les flots lacustres, jusqu'à ce que l'eau arrive à sa taille. Takhys sourit, laissant la blancheur de ses dents apparaître par la pâle lueur nocturne.

Elle se mouva légèrement pour se rapprocher du Drakyn. Elle appela en même temps l'eau douce à lui obéir. Deux fins tentacules d'eau naquirent devant Kieran. Lentement, ils se rapprochèrent de lui, pour l'enlacer de leur texture aqueuse, tel un serpent lovant sa proie entre ses anneaux. Ce fut ainsi, jusqu'à ce que l'eau arrive autour du cou de taureau du terrestre cornu. La Sirène avait un bien étrange sourire. Un rien suffirait à ce que cette enveloppe liquide l'enveloppe intégralement et qu'elle le tire sous la surface.

Puis, l'eau répondit à son autre magie, employant ses bienfaits pour soigner les blessures du Drakyn. Elle était fraîche, elle était froide, mais elle était apaisante. Et Takhys aimait tellement jouer avec surtout !

D'un coup, l'eau engloba la tête du Drakyn. Oh, moins d'une dizaine de secondes, le temps que la voie guérisseuse de l'eau fasse son office. Après coup, l'eau glissa le long du corps du guerrier écailleux.

[b]"Oups...."[b]rit-elle alors.

Si elle l'avait vraiment voulu...

Pas très agréable, d'être zyeuter de cette manière.

Quelque chose me dit qu'elle prend un malin plaisir à installer cette ambiance. Qui n'aime pas jouir de contrôler une situation ? Me soigner, pourtant le climat n'a rien de confiant, de sécurisant. Seulement une pression constante en se demandant si je vais craquer. Les Drakyn ont la tête dure, et difficile de nous faire bouger, surtout mentalement. Nos structures, profilées comme nos ancêtres il y a des milliers d'années, pas bien compliqué de deviner que nous ne sommes pas fait naturellement pour la nage, mais bien pour fendre les airs, en tout cas pour les Drakyns capables de voler. A mon tour, j'étire un sourire sardonique.

« A vrai dire, je chasse en plongeant depuis les airs. Les bestiaux plus balèzes sont plus alléchants. »

Monceau de conneries, mais j'aime à faire croire que les Drakyns chassent encore comme ça. Et en parlant de particularité, elle détaillera les siennes, notamment sur sa voix ; je ne sais pas ce qu'elle tente de faire, si c'est étaler son curriculum pour le plaisir de la découvrir, ou étaler ses instruments qui peuvent être des armes dans le but de m'intimider. Mais sa voix est magnifique, son ton joyeux, ses traits agréables, c'est presque déroutant. Impossible de savoir sur quel pied danser, impossible de savoir si je dois ouvrir ou serrer le poing. C'est peut-être sa plus grande force à côté de ses pouvoirs finalement.

Les mystères séduisants d'une sirène intrigante.

Mais, c'était trop tard. Les dés étaient jetés. La flotte jusqu'à la taille, sans armes, sans assistance d'aucune sorte, la queue dorsale faisant des mouvements serpentines trahissant ma nervosité, j'étais seul face au risque. Seul, face à une promesse. Un rictus s'affiche lorsqu'elle m'affiche son sourire de toutes ses dents, des dents qui ont probablement déchiré la chair de beaucoup ici bas. Et si, finalement, c'était moi, le gros goujon de la farce...? Un putain de goujon heureux qui n'a aucune idée qu'il va canner dans les secondes qui vont suivre.

Trop tard, elle se rapproche. Plus facile d'ici de deviner ses courbes, les couleurs chaudes de sa chevelure, et froides de ses lèvres. Ses épaules souples, ainsi que la naissance de sa poitrine avalée sous la surface de l'eau. Deux tentacules aqueux s'érigent devant moi sans s'annoncer, presque vivant. Ils s'enroulent autour de moi dans une étreinte glaciale, crispant tous mes muscles au contact, en contenant difficilement les plaintes dues aux douleurs de ces derniers. Un frisson parcourut mon échine lorsque les tentacules atteignirent mon cou, s'enroulant autour de lui avec une délicatesse surprenante. L'eau me caressait, me guérissant de mes blessures, apportant un soulagement bienvenu à mon corps meurtri par le combat. L'étau se resserre et s'étale, presque dangereusement. Mes paupières s'écartent, le regard à l'affût, habité par le doute, puis, l'appréhension. Et sans que je puisse faire quoi que ce soit, c'est toute ma tronche qui finit dans l'eau.

Des bulles s'échappent de ma bouche, pas prêt à rester en apnée. Ça fait partie de la guérison ? Je me contiens et les secondes défilent. Les bulles m'empêchent de voir distinctement mon vis-à-vis, et mon palpitant frappe comme un tocsin dans la poitrine. Puis je retrouve mon souffle, plongeant mes mains dans l'eau pour chercher le sol pour rester en équilibre.

Quand la flotte finit par glisser le long de mon corps, je sentis un mélange de soulagement et d'interrogation. La magie de la Sirène était déconcertante, mais je devais admettre que son pouvoir guérisseur était impressionnant.

Je me redresse doucement, plus en forme que jamais.

« Oups, hein ? Sérieusement ? Ha. »

Je commence à contracter mon corps avant d'envoyer un coup dans le vide.

« Impressionnant, très impressionnant. »

J'incline légèrement le buste.

« Merci. Infiniment. Je ne sais pas comment te le rendre. »

En tout cas, mes membres ne sont pas à vendre. Tout ce que j'en retiens c'est qu'elle tenait visiblement à mettre en avant le privilège de me garder en vie, et qu'elle la tenait entre ses mains. L'amour du pouvoir ou simple méfiance ?

Mystère, intriguant, tout comme elle.

Au moins, il n'avait pas paniqué quand son visage s'était retrouvé plongé dans les ondes qui l'avaient entièrement recouvert. Et heureusement que la Sirène n'était pas en mode joueuse à malmener ses victimes. Elle aurait pu être dans l'idée de tester la résistance de cet hybride, mais quand elle se fixait déjà sur une idée, elle ne s'en décrochait pas n'importe comment. Une chance pour le terrestre reikois ? Qui sait. La Sirène avait ses humeurs, comme la mer. Gaie, versatile, charmeuse... dangereuse... Elle pouvait choisie n'importe quelle voie, sans prévenir.

Quand sa magie cessa d'être sous son contrôle, l'eau ruissela le long du corps musculeux du soigné, comme s'il venait de recevoir un saut d'eau sur sa tête cornue. Et après avoir testé le fonctionnement de son corps, se trouvant bien ragaillardi, Takhys ne perdit pas une miette en dardant son regard sur les muscles qui roulaient puissants sous ses écailles. Vérifiait-il que les intentions de la Sirène étaient véritables et qu'il avait bien été aux petits soins magiques avec les effets salvateurs de l'eau ? La femme à queue de poisson ne put s'empêcher de sourire. Là où elle aurait pu songer à des doutes ou de la méfiance de la part de son interlocuteur, elle sut relier ce besoin de mouvement avec l'état d'épuisement et de blessure que Kieran avait eu à supporter ces derniers jours, voir plus longtemps que cela. La vie est un combat qui est parfois, assez physique, quand on dit à rester en vie. Bon, les détails ne la regardaient pas de toute façon. L'essentiel était en face d'elle.

"Oh pour ce qui est de me le rendre, je ne suis pas difficile. On peut toujours voir plus tard... un autre jour... sans certitude de se recroiser un jour, vu que les terres de la surface sont vastes... Mais tu es un terrestre d'honneur, n'est-ce pas ? Tu ne voudrais pas laisser cette dette impayée…"

Elle se rapprocha un peu de la berge, tout doucement et tout sourire. L'eau lui entoura sa taille bleutée comme si elle s'enveloppait dans un drap transparent, pour ensuite la soulever dans les airs, toujours avec cette sérénité, l'eau clapotant dans ce nouvel appel magie. La Sirène se mit ainsi à hauteur du Drakyn, qu'elle considérait toujours comme un hybride.

"Je ne suis pas gourmande...Juste un baiser et on sera quitte. Cela te convient-il ? "

Elle s'était redressée dans l'eau qui l'enlaçait toujours et la soutenait à hauteur de Kieran.

"Seriez-vous timide ? "fit-elle mélodieusement, tout en le défiant un peu.

Le premier pas en République aura eu son lot de mysticisme et de ... Charme.

Difficile de réaliser tout ce qui est en train de se produire, et en même temps, c'est le souvenir aussi de pérégrinations dans le Sekaï avant de rejoindre l'université. A chaque carrefour, une rencontre unique. Mais c'était la roulette sur ce qui nous attendait au bout. Une amicalité, une embuscade, une simple volonté de nuire, ou bien de partager le même chemin pendant quelques lieux. Ce carrefour là, ce soir, il sera au détour de l'échange. D'expériences, mais surtout de capacités. C'est aussi connaître un spécimen qu'on connaît comme très dangereux, avec la leçon de se dire qu'il faut mettre des nuances sur cette étiquette. Dangereux ne veut pas dire mauvais, et innocent ne veut pas dire bon.

Toutes les personnes que vous combattez ne sont pas forcément vos ennemis, et tout ceux qui vous aident ne sont pas forcément vos amis.

Ce soir, la question se pose, mais la réponse est pour moi limpide : si elle voulait me dézinguer et me bouffer, elle l'aurait fait depuis belle lurette. Blessé, seul, pas dans mon élément, les choses auraient pu prendre un tournant mortel dans mon voyage. Mais, elle m'a redonné toute la force qui m'avait été dérobé durant ces dernières batailles et je respire encore alors qu'elle aurait pu me noyer dans cette bulle d'eau sans le moindre problème.

Mais, je ne suis pas dupe, rien n'est gratuit, et je m'attendais à tout. Enfin, peut-être pas, finalement. Plaquant mes cheveux vers l'arrière pour mieux regarder mon vis-à-vis, qui arbore toujours ce sourire à la fois charmeur et déroutant, nous abordons enfin les termes de ce petit contrat improvisé. Et voilà qu'elle vient me mettre en face de mes responsabilités. Pour certains Reikois, je suis un grand dadet trop à cheval sur ses principes, pour d'autres, on m'encourage à garder ces valeurs, car c'est à travers ces derniers qu'on se forge et qu'on s'élève. Mais on va mettre de côté ses paroles et répondre, en cherchant correctement ma voix en me raclant la gorge, cracher une dernière gerbe de flotte qui m'est rentré dans le pif et démêler une mèche de cheveux qui s'est saucissonnée autour d'une de mes cornes.

« Je peux être beaucoup de choses, mais je ne suis pas un menteur, et je paie toujours mes dettes. Je suis certain que nos chemins se recroiseront. »

Sur ces mots, elle s'approche encore, serpentant encore dans des ondulations sensuelles, toujours prédatrice, et ce sourire ininterprétable. L'eau écoute encore sa volonté et rapidement elle se fait porter en hauteur, et je pouvais aviser en détail son visage. La moiteur de sa peau, la couleur bleuté de ses lèvres, la profondeur de ses yeux. En coulant davantage mon regard sur elle, je pouvais voir son tatouage ruisseler de la nuque jusqu'aux épaules. Sa queue de Sirène, impressionnante, aux couleurs mâtes et grises. Sa taille était marquée par des hanches larges, et un buste généreux, un corps sculpté dans tout ce que l'homme peut aimer chez une femme. Et c'est terrible d'imaginer que c'est foutu exprès pour les bouffer.

Passant du tutoiement au vouvoiement dans une question presque théâtrale, elle me court-circuite sur une demande que je n'ai pas du tout vu arriver. Ma bouche s'ouvre, se ferme. Interdit, coupé dans la manœuvre. J'hausse un sourcil, écarquillant légèrement les yeux, puis fronce les sourcils. Et si finalement la fin du piège se trouvait là ? Mes iris toisent ses lèvres pulpeuses, affichant un sourire de jolies dents blanches qui peuvent creuser la chair de beaucoup de bestiaux. Enchaînant sur une nouvelle question, ma sincérité me double.

« Je n'ai pas embrassé quelqu'un depuis de longues années. »

Ineg Yelcan, ma douce Luciole. Une vraie sirène terrestre. La proximité si tendue désormais, il fallait rapidement réfléchir. Offrir mes lèvres, c'est m'exposer. Mais je me suis déjà exposé, ma tronche a fini à l'eau et tout est bien qui finit bien. Et puis, pourquoi un baiser ? Qu'est-ce qu'elle y gagne...?

« C'est une bien étrange demande. » Que je poursuis.

Mais cette bouche paraît tellement délicieuse...Ce corps si fantasmatique. Mes mâchoires se serrent, et je finis par faire un pas dans sa direction, résigné. Partir comme ça, c'est déshonorer l'échange, et si ça doit faire partie d'un acompte de ma dette, qu'il en soit ainsi. Courage ou dégage, Kieran.

« Rassurez-vous, Dame Takhys, je ne suis pas timide. » Le susurrant, plus pour me convaincre qu’autre chose.

Proche, si proche que nos respirations respectives se mêlent déjà dans un balais brûlant, ma main vient se poser sur sa joue, faisant le contraste de nos tailles où je pouvais facilement atteindre l'arrière de sa tête avec mes phalanges. Un nouveau pas, mon torse vient se blottir contre le sien. Nos lèvres, si près dans ce silence vibrant, s'effleurent d'abord, et hésitent, tandis que ma main vacante vient enlacer le creux de son dos. Un frôlement délicat, un contact si doux qu'il pourrait être confondu avec une illusion. Qui n'en est vraiment pas une, puisque je suis potentiellement dans une merde noire. Comme je le soupçonnais, ses lippes sont exquises.

Je finis par m'écarter, rompant le baiser par un léger bruit révélant la moiteur du contact. Un baiser chaste, sans fioriture.

« Est-ce que cela vous convient ? » Que je reprends, dans le même ton.

A ce moment-là, la guerre me paraît si loin.

Elle manqua de rire devant son air surpris comme interdit, avant que vienne le "paiement". Un instant, le doute marqua ses traits écailleux. Quoi de plus normal alors qu'il n'avait aucune certitude des intentions d'une Sirène quelque peu... chaotique dans ses avis et ses envies ? Il était difficile de la cerner, vu qu'on peinait à savoir si elle était bienveillante ou malsaine. Dans la nature, certaines plantes offraient la promesse d'un doux nectar rafraîchissant, avant de dévoiler leur véritable nature carnivore, piégeant définitivement leur proie pour la transformer en mets de choix. En tout cas, la jeune créature des fonds marins nota que le Reikois demeurait un "homme" d'honneur, répondant à son attente. Elle sut apprécier ce contact, plus encore quand il porta une main à sa joue, l'autre venant se poser dans son dos pour parfaire le contact corporel.

Il disait payer toutes ses dettes ? Vraiment ? Elle trouva qu'il n'y répondait pas assez à son goût. Le contact se rompit trop rapidement, selon ses critères. Pourtant, elle ne pourra qu'avouer que cette union de lèvres à lèvres avait eu une saveur intéressante et plaisante. Il manquait d'un petit quelque chose. Au moins, Kieran avait dit vrai : il n'était pas un timide. Il pourra se permettre une petite prolongation plus... Sirénesque.

"Si cela me convient ? C'était très agréable. Pourtant, vous me laissez un peu sur ma faim, très cher... "

Elle s'amusa à poser son index et son majeur sur le puissant torse de l'hybride, comme pour faire marcher sa main à sa surface. Et son sourire devient avide... ou gourmand ?

"Chose certaine est que tu n'as pas embrassé depuis des années. Quelque chose demeure... qui ne demande qu'à être exploité à son plein potentiel. "

Elle gloussa et d'un coup, l'eau qui la porta se divisa en deux larges tentacules. Un enlaça le corps du terrestre, remontant comme un serpent, avant de s'affermir pour entraver ses membres. Le second porta la Sirène, la maintenant proche de lui.

"De ce baiser exquis, il manquait quelque chose... "

Le tentacule qui tenait "prisonnier" le Reikois passa doucement sur sa joue, comme si une entité tierce cherchait à prendre à son tour du bon temps.

"iL ne faut pas avoir peur de jouer d'audace, très cher. Ne pas se montrer prude, comme le dirait certains terrestres. "

Son sourire devint étrange. Son tentacule passa brièvement sur le visage de l'hybride, avant de laisser le champ libre à la Sirène, qui prit un malin plaisir à passer son index sur le bout des lèvres de Kieran.

"On n'a qu'une vie, il faut savourer chaque instant. Même dans les jeux les plus dangereux. "

D'un coup, elle fondit sur Kieran, pour l'embrasser avec une passion plus ardente, plus osée. Tout le contraire de ce qu'il avait offert tantôt. Elle sut son baiser désirable, en ne forçant pas la frontière de sa langue avec sa langue, sauf si son embrassé lui permettait. Elle rendit cette rencontre plus longue que le précédent contact. Le temps n'avait pas prise sur ce genre d'instant. Après coup, elle se détachera lentement de lui, lui offrant un dernier sourire provocateur, avant d'employer la magie de l'eau pour retourner dans le lac, dans une grâce semi-aérienne semi aquatique.

Après avoir refait surface, elle gloussera, tout en affirmant :

"Dette payée, très cher ! "

C'était comme dans un rêve, ou les histoires de contes de fées parlant d'un soldat perdu dans un lieu inconnu pour lui. Jusqu'à la rencontre mystique et séduisante d'une sirène. Le scénario s'ouvre en deux voies ; d'un côté il crève, de l'autre il se passe quelque chose de plus... Agréable. Je ne pense pas que beaucoup de gens peuvent se vanter d'embrasser une sirène sans avoir perdu un bout de bras ou jambes, et je ne suis pas prétentieux pour dire que je suis au-delà du panier pour être encore en vie. A vrai dire, j'en sais foutre rien. Pourquoi moi, pourquoi maintenant, et pourquoi les Astres sont-elles si mystérieuses avec moi, pourquoi elles me font vivre des choses horribles, puis, ça ? Est-ce que c'est pour me redonner goût à la vie ? Me dire que ce n'est finalement pas terminé pour moi ?

Que... La vie continue ?

Je finis par tanguer ma tête d'un côté à ses aveux. Détaillant l'avidité dans le regard, bien différente que celui d'une bonne femme bavant devant une possible venaison avec des écailles. Je sens une chaleur naître à l'intérieur de mon bas-ventre, tandis que le contact de ses doigts escaladant mon torse râblé apporte son électricité très stimulante. Un corps, qui trahit évidemment son manque de pratique depuis ces dernières années. J'ai donné tout ce que j'avais au Reike. A l'armée. A la guerre. A Draknys. Qu'est-ce qu'il me reste aujourd'hui ? Restant silencieux, la bouche légèrement ouverte, dégageant un soupir chaud qui en dit long, elle va se refermer à l'apparition de deux appendices aqueux, tentaculaires, émergeant de l'eau comme deux bras sous la commande de leur cheffe. Bizarrement une certaine confiance venait de naître, et pour cette fois, je voulais me laisser porter parce qu'elle voulait m'offrir, le regard embrumé par la chaleur du précédent contact, et encore en demande.

Je retrouve néanmoins ce contact froid et désagréable, et devine rapidement que ces tentacules vont devenir des entraves, m'arrachant un grognement de plainte dès qu'ils se resserrent. Mes yeux se dilatent, à l'affût lorsque l'eau s'approche de ma joue, redoutant encore une possible petite noyade, mais il n'en sera rien. Cette sirène est tout bonnement chaotique dans ses actions, et elle le sait très bien.

Et, étrangement, j'admire ça.

« Je ne voulais pas être désobligeant, ou déborder dans la manœuvre. Les Reikois peuvent devenir très grossiers lorsqu'ils s'y mettent. » Que je souris, carnassier.

J'aimais le message qu'elle susurrait de cette voix vibrante. Comme si l'Existence l'avait choisie pour me dire les bons mots aux bons moments. On n'a qu'une vie, et il faut la savourer. Dans les moments dangereux comme celui-là, ou bien les moments difficiles, comme ces deux dernières années au Reike. Takhys ne le saura probablement jamais, mais elle venait de commencer le premier soin à une cicatrice que je pensais béante à tout jamais. Elle ne calme pas mes ardeurs avec son doigt sur mes lèvres après avoir trempé mon visage de ce vilain tentacule, et le brasier vient brûler une bonne fois pour toute dans ma poitrine lorsqu'elle bondit sur moi.

Le baiser est fougueux, l'appétit devient vorace, l'embrassant dans une profonde inspiration. Le contact est brûlant, la langue vient s'inviter dans ce balai, chose la plus délicieuse depuis ces derniers jours. Le temps avait l'air de s'arrêter, et mon corps ne désirait que se libérer pour déferler toutes mes envies longtemps refoulées. Le contact se rompt dans une transition douce et délicate, imitant mon vis-à-vis d'un sourire qui me trahit et dans une agilité aussi gracieuse et magique dont elle a fait preuve jusqu'à présent, elle retrouve le lac, disparaissant de moitié. Ce joli corps plantureux me manque déjà.

La dette est donc payée. Pouffant du nez en essayant de retrouver mon calme, je recule doucement jusqu'à la terre ferme, récupérant mes armes, puis, ma chemise qui finit sur l'épaule, et enfin, mes bottes.

« Si vous me cherchez un jour, je serais donc en République. Pour combien de temps, j'en sais strictement rien. Et, si, moi, je dois vous cherchez ? C'est ici ? »

Je finis par incliner poliment le buste.

« Merci encore, très chère. Tu es divinement... Délicieuse. Mais, je suppose que c'est Dame nature qui vous a calibré comme ça, toi et tes semblables. »

Mes traits se durcissent, une promesse muette dans les yeux.

« Si je peux t'aider un jour en retour, n'hésite pas. Pas dans le but de rembourser une dette déjà payée, mais de tendre la main vers quelqu'un que j'apprécie. »

Commençant à m'habiller doucement, j'avais le sentiment de renaître. De par mes blessures maintenant absentes, mais aussi avec une nouvelle détermination que je pensais disparue. Je dois rejoindre Courage, retrouver ma mère, me rapprocher de la famille Casris et donner une chance à cette vie, à cette nouvelle vie.

Le cadeau d'une sirène intrigante.

L'éclat du doute avait brillé à la surface des yeux de Kieran, quand l'eau manipulée par la Sirène l'enserrait dans sa froide étreinte. Un rien suffirait pour rejoindre à tout jamais le fond du lac. Heureusement, malgré ses envies chaotiques, Takhys avait des principes. Quand elle avait énoncé quelque chose sur laquelle elle se fixait, elle ne dérogeait pas à ses propres mots. Sauf si la situation virait de bord et mettait sa vie en péril. Ici, rien de tel. Au contraire, elle n'en devint que plus savoureuse quand elle embrasse plus ardemment sa prise de l'instant. L'hybride, elle le sentait sous la peau de sa poitrine, s'échauffait à son contact. Son cœur battait d'un début de désir avide de poursuivre. Il ne refusait pas à elle lors de ce contact. Elle aurait pu poursuivre ainsi plus longtemps, répondre à son propre appétit croissant à ce fougueux baiser. Mais les meilleures choses avaient une fin.

Quand elle eut rejoint habilement les eaux du lac et qu'elle eut refait surface, Kieran avait reculé à son aise pour rejoindre la terre ferme, pour commencer à rassembler ses affaires. Quand l'hybride lui demanda si c'était en ces lieux qu'il pourrait la retrouver un jour prochain, elle dévoila la blancheur de ses dents en un sourire élargi. Avait-il déjà hâte de la revoir ?

"Si un jour tu dois me chercher, soit ce sera quelque part sur les abords du lac, ce qui est très étendu... ou alors à la cité portuaire de Courage. J'ai commencé à m'y établir. Je pense que tu ne sauras pas me louper. "

Elle lui fit un clin d'œil aguicheur sans rajouter plus de détail. Sa forme terrestre ne se loupait pas, c'était certain.

"Tu as parfaitement deviné, mon cher...et je te remercie du compliment. La beauté est faite tant pour attirer que pour piéger sa proie, pour s'en délecter à son aise. Les plus belles fleurs sont parfois les plus dangereuses... "

Elle gloussa brièvement, pendant qu'il se rhabillait.

"Je prends bonne note. Ne sait-on jamais, un jour prochain. Toute aide est la bienvenue. Surtout que Dame nature t'a bien pourvu, à sa façon. Ta force ou encore ta forte personnalité pourrait être utile si cela se présentait... "

Ainsi, bien que sa "dette" était pleinement remboursée, il se sentait encore redevable. C'était presque mignon de la part d'un redoutable être écailleux comme lui.

"Et m'apprécier, dis tout ? "Elle eut un sourire franc et sincère, étrangement. "Je garde cela en mémoire. Nous venons à peine de nous croiser que déjà, Dame Nature a forgé un lien entre toi et moi. Les choses les plus simples sont souvent les plus précieuses. "

Elle commença à s'éloigner, doucement, pour rejoindre des eaux plus profondes.

"Fais bonne route, très cher. Je ne doute pas que tu atteignes ton but. Et je suis certaine que nous nous reverrons. "

Elle lui accorda un signe de la tête en signe de salut et plongea, pour disparaître sous la surface, comme le ferait un joyeux dauphin.