AH ! Que voilà le plus beau des Gobelins ! Mais oui ! Approchez ! Venez admirer le glorieux Porte Parole ! Venez saluer Qrupp !

Son parfum suave s’empare de vos narines alors qu’il entre dans la pièce, vous transportant vers des contrées paradisiaques ou l’air frais à la même senteur ! Sa démarche est gracieuse, mesurée, comme il sied à sa condition ! Ses mains parfaitement manucurées s’emparent de son monocle ouvragé, qu’il utilise pour mieux vous détailler ! Et je vous conseille de faire de même, car son visage est à même de vous éblouir :

Une bouche aux lèvres bombées lui donnant un air des plus raffinés ! Des pommettes hautes, légèrement poudrées pour maintenir un teint impeccable ! Un nez long, caractéristique de sa condition de Gobelin, tout aussi bien entretenu car il faut avoir du nez pour flairer les compromis ! De magnifiques yeux aux iris légèrement violacés, signe de sa noblesse naturelle. Évidemment, vous avez déjà remarqué son signe distinctif. Mais si, je parle bien entendu … de ses longues oreilles ! Majestueuses, à la hauteur de sa personne, lui permettant de ne rien louper des discours et des débats !

Avec une pareille beauté, le Porte Parole de la République se doit d’être vêtu de manière impeccable, à la dernière mode républicaine. Peu importe sa tenue, cependant, Qrupp met un point d’honneur à porter sa perruque grise, un signe évident de sa sagesse en tant que premier représentant de la nation bleue à l’étranger !

Vous souhaitez en savoir plus ? Mais bien évidemment ! Comment ne pas être captivé par le personnage ?

Le caractère du Porte Parole ne peut pas être résumé par de simples mots, car c’est là l’apanage des simples d’esprits et des mauvaises langues ! « Imbu de lui même » ? « Grandiloquent » ? « Mégalomane » ? AH ! Mensonges et calomnies ! En vérité, le vénérable Epurk ne peut être comparé aux simples citoyens républicains, et quelle meilleure manière de le montrer que sa façon de parler de lui-même à la troisième personne ? Impossible de faire plus distingué !

Une âme parmi les plus serviables, conservant les intérêts de la République à coeur en tout temps ! Quel meilleur personne pour défendre les valeurs de la grande nation bleue au delà de ses frontières ? Qui d’autre de le Ministre de la Diplomatie pour se faire le champion des droits et des libertés des républicains ? Ces braves magnats de l’industrie, ces valeureux chefs d’entreprises, ces fiers membres de la classe politique ! … Ah, oui, les hommes du peuple également, même si l’agenda du Porte Parole est tellement chargé que celui-ci a rarement le temps de s’entretenir avec la plèbe ! AH ! Certainement à cause du poids immense de ses responsabilités !

Malheureusement, même Qrupp n’a pu atteindre la perfection dans ce monde, bien qu’il s’en rapproche très fortement. Ainsi, le ministre ne prend pas part aux arts de la guerre, ni à l’utilisation du mana ! Il faut bien laisser quelque chose à faire aux autres, après tout ! A la place, le magnifique Gobelin daigne faire don de son immense intelligence au profit de la cause républicaine ! Ses neurones sont encore plus aiguisés que les épées de la Griffe du Reike ! Ses pensées sont tels des engrenages complexes digne de son génie, dont même la Chuchoteuse ne pourrait pas comprendre l’étendue !

AH ! Que Dangshuan repose tranquillement en paix, car Qrupp est la vigie de la Nation Bleue ! Celui qui fait respecter les lettres de noblesse du berceau de la démocratie au sein des autres nations du Sekai ! Le représentant du Courage, de la Liberté d’état de la Justice auprès des peuplades moins sophistiquées de cette terre ! Vive la République !

Une après midi à Courage, dans la demeure du Porte Parole de la Nation Bleue. L’office du Gobelin était la hauteur de son nouveau statut : magnifique ! Les meubles, la tapisserie,  les tableaux, les ornements … tout était conçu pour pouvoir recevoir les dignitaires étrangers avec tout le respect qui leur était dû, et jamais au grand jamais Qrupp n’oserait entacher de hontes la Nation Bleue en faisant un écart au protocole !

Les derniers mois avaient été pour le moins … intéressants ! Une assemblée sénatoriale remplies de rebondissements et de déclarations sensationnelles, une arène dans laquelle seuls les meilleurs joueurs sortaient leur épingle du jeu ! Ces mêmes joueurs qui avaient ratifié une cohabitation entre le pouvoir exécutif et législatif, et promulgué la création d’une effrayante police intérieure. Conservateurs et Réformateurs, deux camps dansant une valse sempiternelle, avec des risques beaucoup plus importants que la simple menace d’un pied écrasé. Et concernant Qrupp ? Et bien, le magnifique Gobelin souhaitait évidemment conserver une place dans le camp des vainqueurs !

AH ! Et que dire de l’extérieur ? Au delà des frontières de la démocratie ? Des barbares utilisant des morts-vivants comme esclaves, des fanatiques ayant élu domicile dans une ancienne ville fédérale, des elfes agrippés à la gloire passée et des hommes-poissons ! DES HOMMES-POISSONS ! Pas étonnant que le ministre de la Diplomatie soit domicilié à Courage, car le courageux Qrupp allait devoir déployer des trésors de vaillance pour rencontrer les représentants de ces nations moins raffinées. Jusqu’alors, le merveilleux Gobelin s’était cantonné aux dignitaires Reikois en tant qu’ambassadeur, mais maintenant ! Oh ! Maintenant ! Celui qui prenait la suite de la nouvelle vice présidente venait de prendre place à la table des détenteurs du pouvoir républicain. Le pouvoir d’éblouir les autres nations, et leur rappeler que la démocratie l’emportera toujours !

AH ! Quelle belle journée pour la République !

L’hebdo Républicain. Le siège de l’information de la Nation Bleue. Le rempart contre l’obscurantisme et la bêtise. La crème de la crème du journalisme, chacun effectuant ses missions avec …

« MAIS QUI EST DONC LE BUTOR QUI A LAISSÉ PASSER UNE ERREUR AUSSI FLAGRANTE ?!!! »

… professionnalisme ?

Le bruit venait du bureau de l’éditeur en chef, qui se tenait derrière ratatiné derrière son bureau. Lui faisant face, le magnifique Qrupp, Président-Directeur du journal, son habituel teint vert gâché par la colère qui donnait à ses joues une couleur rouge cramoisi. Derrière le Ministre, une imposante figure en armure complète, avec pour seul arme un bouclier lourd, sanglé dans son dos. Une paire aussi étrange qu’effrayante pour le pauvre employé, qui subissait le courroux du Premier Représentant de la République :

« AVEZ-VOUS LA MOINDRE IDÉE DE LA GRAVITÉ DE LA SITUATION ?! QRUPP SE LE DEMANDE !! »

« Mais, Monsieur le Ministre … »

« EN FAIT, MALGRÉ L’INTELLIGENCE SUPÉRIEURE DE QRUPP, CELUI-CI EST PARFAITEMENT INCAPABLE DE COMPRENDRE COMMENT UN TEL AFFRONT A PU SUBSISTER EN TOUTE IMPUNITÉ ! »

Dans la main du Gobelin, une copie de l’édition du journal parue il y a quelque jours. Sur la première page, on pouvait distinguer quelques lignes parlant des dernières actions du Ministre de la Diplomatie Krupp. Avec un K.

« Est-ce vraiment si important, Monsieur le Ministre ? … »

Qrupp, avec un Q, semblait sur le point de se transformer en élémentaire de lave, sa perruque grise surplombant un volcan vert sur le point de rentrer en éruption. Luttant pour regagner son calme, le Porte Parole finit par pousser un soupir à rendre l’âme, avant de prendre la parole d’une manière mesurée :

« Cher Monsieur l’éditeur en chef, sachez que tous les détails sont importants.  Une erreur d’orthographe comme celle-ci, aussi innocente qu’elle puisse paraître, est à même de remettre en cause le sérieux et la crédibilité du pouvoir informatif »

Une courte pause. L’éditeur en chef semblait avoir rapetissé sur sa chaise.

« Ah ! Si même le journal hebdomadaire de référence n’a que faire des apparences, et ne prend pas soin d’orthographier correctement le nom de son Président-Directeur, alors expliquez donc à Qrupp pourquoi les représentants des autres factions du Sekai devraient prendre au sérieux le PREMIER REPRÉSENTANT DE LA RÉPUBLIQUE À L’ÉTRANGER ?!! »

Une nouvelle pause. Le pauvre éditeur en chef semblait maintenant plus petit que l’extraordinaire Gobelin, tellement il s’était ratatiné sur sa chaise.

« QRUPP DOIT-IL VOUS LAISSER AU SOIN DU BOUCLIER-ENCLUME ICI PRÉSENT ? DOIT-IL VÉRIFIER À QUEL POINT VOTRE MISÉRABLE TÊTE FERAIT UNE BONNE ENCLUME LORSQUE LES COUPS DE BOUCLIERS S’ABATTRONT DESSUS ? »

Le visage de l’employé était devenu livide. Derrière le Ministre, l’imposante forme caparaçonnées s’ébranla légèrement, sa main passant dans son dos pour faire mine de saisir le grand bouclier. L’éditeur en chef n’avait aucune chance de survivre à ne serait-ce qu’un simple coup.

D’un mouvement rageur, le Porte Parole fit signe à son garde du corps de stopper son geste, avant de s’adresser une dernière fois à son subordonné :

« Qrupp espère pour vous que cela ne se reproduire plus, cher Monsieur »

Sans attendre de réponse, le Ministre prit congé, et la silhouette en armure au titre pour le moins particulier le suivit sans mot dire, laissant derrière eux le pauvre éditeur.

A quelques kilomètres de Kyouji, sur la route principale entourée par le sable du désert, un carrosse républicain s’avançait lentement, flanqué de part et d’autre par une escorte de soldats de la Grande Armée, brandissant fièrement l’étendard de la Nation Bleue. Sur la gauche du carrosse, au loin, on pouvait la forme du Temple de la Lune et du Soleil, entouré par divers oasis. Devant le carrosse, la ville frontalière du Reike, faisant face à Liberty, et le point de passage obligatoire pour les voyageurs empruntant la route impériale. La cité où Qrupp se rendait actuellement pour une visite officielle.

Assis sur les coussins confortables dans l’habitacle du carrosse, le magnifique Gobelin agitait un éventail devant son visage afin de supporter la chaleur environnante. Devant lui, sur le banc opposé, son garde du corps en armure complète, obligé se pencher en avant pour éviter de trouver le plafond du véhicule. La différence de taille était telle que l’on aurait dit un ogre sur le point de dévorer un bambin sans défense.

Le Ministre de la Diplomatie finit par briser le silence :

« AH ! La belle Kyouji ! Un joyau de mixité et d’exotisme ! Tellement que l’on pourrait être excusé de penser que nous ne sommes pas à l’intérieur de l’Empire ! Avez-vous déjà visité le Reike, cher Bouclier-Enclume ? »

Son garde du corps répondit d’une voix grave, avec un accent très appuyé, limite incompréhensible :

« C’la prmièr’ fa’, bwoy »

« Ah ! Évidemment que oui ! La marine républicaine dû vous faire arpenter le monde avant que Qrupp ne vous fasse rentrer à son service ! »

Le Bouclier-Enclume secoua légèrement la tête de gauche à droite. Évidemment que son employeur n’avait rien compris de ce que il avait dit. Non, au lieu de ça, il poursuivait tel un sourd lance en plein discours avec lui même :

« […] ses commerces sont friands de produits républicains, et même l’eau qu’ils utilisent provient de notre magnifique lac Rebirth. En vérité, mon cher, la belle Kyouji est une ville assiégée depuis bien longtemps ! Assiégée par l’influence républicaine, par ses exportations, par ses mœurs. »

Les lèvres bombées du magnifique Gobelin s’étirent en un sourire.

« Et ces fous accueillent nos attaques à bras ouverts ! Ils importent des biens que la République pourra leur enlever quand bon lui semblera. Ah ! Loué soit l’ouverture d’esprit du seigneur de Kyouji, celui qui a invité les loups dans sa bergerie ! Quel bel art que celui de la diplomatie ! »

Le garde du corps, ayant gardé le silence pendant la tirade du Ministre, l’interpella :

« Bwoy ? »

« Oui, Bouclier-Enclume ? »

« T’vremant un s’cré quo’nard ! »

« Ah! Votre compliment va droit au cœur de Qrupp ! »

Et le Porte Parole se mit à rire ! Et le Bouclier-Enclume se joignit à lui, content de voir que le Gobelin ne comprenait vraiment rien de ce qu’il racontait.