Une figure encapuchonnée ressemblant plus à une épave sur pattes qu’a un fier Nain ! Jamby représente en effet tout ce qu’il y a de plus décadent pour un mortel du Sekai : un pantalon rapiécé et une espèce de manteau sale à capuche son ses seuls vêtements, et ceux-ci sont bien incapables de cacher l’énorme bedaine du Nain. Son état d’obésité ne fait aucun doute, à commencer par son ventre dont la circonférence défie les lois de la physique. Au-dessus de cette panse phénoménale trônent deux ilots de graisse censés être des pectoraux, sur lesquels s’arrête les poils d’une longue barbe grise constellée de crasse et de miettes en tout genre, un véritable vivier rempli de petites bestioles ayant flairé un somptueux festin !

Le visage du Nain affiche des traits burinés, ridés de toute part, comme si le laisser-aller général avait fait vieillir Jamby de manière accélérée. Un état de fait qui peut également se vérifier lorsque l’on croise le regard du Nain : perdu, embrumé, parfois même vide ! Jamby a tout d’un mendiant échoué dans un coin de taverne, ayant abusé de la boisson pour oublier son quotidien, et seuls les innombrables tatouages parsemant les moins recoins de sa peau le font sortir du lot. Peut-être qu’ils signifient quelque chose, peut-être que le Nain n’est pas ce qu’il parait au premier abord ?

Perdu ! Derrière son aspect repoussant d’ermite, le Nain n’a rien d’un grand sage détenant de grandes vérités ! Ivrogne invétéré, il est généralement impossible d’entretenir une conversation censée avec ce repoussant personnage, marmonnant des élucubrations sans queue ni tête sur la notion « d’équilibre », voir proclamant des discours à rallonge sur le besoin de « libérer le Sekai du chaos », souvent après avoir ingurgité de grandes quantités d’alcool et de nourriture.

De toutes ces incohérences, on peut néanmoins distinguer certains faits : Jamby ne s’accorde avec aucune mouvance ni avec aucun pouvoir en place. L’Empire ? Non merci ! La République ? Très peu pour lui ! Les Titans ? Qu’ils restent dans leur cloaque divin ! Le Nain met un point d’honneur à s’opposer aux doctrines de ces acteurs, qui viennent toutes en contradiction avec ses principes que personne n’arrive à comprendre. Faute de pouvoir échanger des mots, c’est grâce à de terribles pouvoirs de télékinésie que le Nain impose sa volonté dans ses rares moments de lucidité. Ces mêmes pouvoirs se manifestent également lors de ses nombreuses périodes en état d'ébriété, de manière plus aléatoire.

Une taverne du Reike, dans l’un des nombreux points de passage sur la route de Taisen. Un grand bâtiment pouvant accueillir de nombreux voyageurs en quête de repos avant de reprendre la route, avec de la bonne chère et de l’alcool pour réchauffer le corps pendant les froides nuits du désert. Un endroit rempli de rires, de bravades et de joyeuses bagarres, mais aussi plein à craquer d’histoires, mille et un récit plus ou moins enjolivés en fonction du niveau d’alcoolémie du conteur.

Combien de quêtes ont été lancées, combien de vocations se sont vues révélées grâce à une simple histoire racontée au coin du feu ? Après tout, une histoire n’a jamais fait saigner personne, n’a jamais mis les pieds en compote ! Pour une personne sans grandes perspectives, une histoire donne juste envie d’en faire partie ! En revanche, certaines histoires se révèlent plus difficiles à apprécier que d’autres :

« […] C’te foutu Empire d’pacotille ! Un ramassis d’conquérants d’mes deux qui voient pas plus loin qu’la pointe d’leurs épées ! »

Un rôt sonore se fit entendre dans la salle pleine à craquer, suivi de rires moqueurs dirigés vers l’énergumène qui hurlait, affalé au sol dans un coin de la taverne, une chope à moitié remplie à la main. Le Nain ventripotent ne s’adressait à personne à particulier, déblatérant un discours qui l’aurait envoyé directement à la potence s’il ne renvoyait pas une image de simple ivrogne au cerveau ravagé par la boisson.

« Un putain d’virus, j’vous l’dit ! Une putain d’menace pour l’équilibre ! Qu’y s’étouffent avec leur sable ! »

Bizarrement, ce manège était plutôt bon pour les affaires, ce qui expliquait pourquoi le tavernier tolérait la présence du petit être tatoué. Les gens semblaient apprécier le spectacle, une sorte d’exutoire pour oublier un peu le quotidien monotone, rempli de problèmes. Plus le Nain buvait, plus ses tirades devenaient ridicules, et plus les gens restaient assis à consommer pour l’écouter, un véritable cycle vertueux ! En plus, le clou du spectacle était sur le point d’arriver, alors que le Nain peinait à se mettre sur ses petites jambes, laissant pendre sa bedaine, et que le silence se faisait progressivement dans la salle.

« Et ron, et ron … »

Tout le monde rugit de concert pour accompagner l’ivrogne, brandissant leurs chopes vers le plafond :

« PETIT PATAPON ! »

Les rires fusèrent de plus belle devant ce qui était devenu une sorte de rituel dans cette taverne. Quant au Nain, il était retombé au sol, et des ronflements s’élevaient depuis cet amas de graisse sur pattes. Quelqu’un, cependant, ne partageait pas l’alégresse générale. Un mage d’état en route vers la capitale, qui venait de sentir un léger pic de mana au moment où tout le monde s’était mis à beugler avec l’ivrogne.

Léger, mais étonnamment puissant …

Une cellule de prison, située dans une petite ville portuaire de la République. Quatre murs humides à cause de la proximité de l’océan, un sol sale avec un amoncellement de paille pourrie. L’endroit où finissait les mauvais payeurs et autres fauteurs de troubles, incapables d’apprécier le don de la démocratie, inconscients au point d’en bafouer les règles pourtant si justes ! Un trou dans lequel on pouvait si facilement jeter ses ordures pour les oublier aussitôt !

« […] C’te République de connards, oui ! Tous des menteurs, tous des tricheurs, un putain d’panier d’crabes ! »

En parlant d’ordures, Un nain entièrement tatoué et très peu vêtu se trouvant dans la cellule, vitupérant à voix haute depuis plusieurs longues minutes, pour le plus grand déplaisir de l’officier républicain en fonction à ce moment-là. Selon le rapport, l’ivrogne avait été interpellé pour outrage à agent, dégradation de biens publics, état d’ébriété sur la voix publique et incivilité aggravée. Un simple regard sur l’énergumène avait empêché ce membre de l’élite de poser davantage de questions, ne souhaitant pas avoir d’images cauchemardesques dans la tête.

« Comment tu veux qu’le Sekai soit en paix avec ces blaireaux ? Pas possible, ça ! »

Le républicain leva les yeux au ciel, et regarda par la fenêtre histoire de ne pas avoir à fixer la bedaine du Nain. Une vue plongeante sur la mer s’offrait à l’homme, et celle-ci était quelque peu agitée ce soir, illuminée de temps en temps par un éclair au loin. Un spectacle habituel, auquel personne ne faisait attention à part pour prendre la mer, et personne n’allait naviguer par un temps pareil. Enfin, personne à part la Marine républicaine ! De sacrés lascars, ceux-là ! de vrais connards, aussi, mais il fallait bien avoir un grain pour faire leur métier ! Un sourire se dessina sur les lèvres de l’officier républicain, qui s’imaginait des scènes de batailles navales sur des flots déchainés, ne faisant plus attention aux élucubrations du petit être tatoué derrière les barreaux :

« Et ron, et ron … »

Oui, il fallait vraiment être timbré pour aller se battre sur l’océan, totalement dépendant d’un rafiot malmené par des flots avides d’avaler les marins tout cru pour nourrir la faune aquatique. Et pourtant les loups de mers continuaient de naviguer, brandissement fièrement le drapeau républicain ! Il y avait de quoi être rêveur …

« Petit patapon »

Un énorme éclair déchira le ciel nocturne, s’abattant sur les flots qui se déchainèrent l’espace d’un instant. Le vent se mit à hurler d’un coup, faisant trembler les pierres du bâtiment. Une scène de chaos, arrivée de nulle part, qui fit tomber le républicain de sa chaise, puis le calme revint. Abasourdi, l’officier se précipita à la fenêtre, incrédule, les sens en alerte. Au final, il était peu être mieux de rester sur la terre ferme !

Le Nain, lui, s’était mis à ronfler.

Les alentours de Benedictus, des landes de terre désolées, laissées à l’abandon, marqués par la guerre. Autrefois un bastion civilisé, aujourd’hui une ruine sur laquelle la nature a repris ses droits.  Une terre ravagée, sur laquelle se tenait un Nain, seul. Un petit être tatoué de la tête au pied, à la surcharge pondérale évidente. L’être ventripotent parlait tout seul, paraissant étonnamment sobre, sans doute parce qu’il n’y avait rien à boire par ici :

« […] R’garde moi c’bordel ! Titans d’merde ! Y’en a pas un pour rattraper l’autre ! »

Le Nain persiflait tout en jetant un regard mauvais à la silhouette du grand arbre sombre, au loin. L’air puait le rituel macabre, rempli d’effluves de mana employé à des fins plus que douteuses, tel une floraison de mauvaises herbes. Une véritable souillure n’ayant qu’une envie : se propager.  

« Putain d’illuminés qu’ont voulu jouer à Dieu ! Tu m’étonnes que l’Sekai a b’soin d’être libéré d’tout c’merdier ! »

Les yeux du petit être tatoué, d’ordinaires embrumés par la bouteille, affichaient cette fois une émotion nouvelle : de la colère ! Un rejet total de l’ordre établi, des jeux à grande échelle de ces acteurs plus malfaisants les uns que les autres, tous aveugles à la réalité : Le Sekai implorait la paix ! Cette terre qui les accueillait en son sein, ce royaume profané par les dieux et les mortels ! Quelqu’un devait le sauver ! Quelqu’un devait rétablir l’équilibre !

Au fur et à mesure que la colère montait, le mana autour du Nain s’amplifiait, animé par sa volonté. La terre tremblait, le vent sifflait, des nuages se formaient dans le ciel, et l’énergumène se mettait à léviter au-dessus du sol, les yeux toujours rivés sur l’ancien joyau de la Fédération et son Arbre-Monde :

« Et ron, et ron, petit patapon … »