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    Carl Sorince
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  • Sam 13 Avr - 23:03
    Le corps de Rupert pesait lourd sur le dos d’Anvers. Les poids morts, il n’y avait rien de pire, ce n’était pas nouveau. A la faveur de la nuit, il traînait avec difficulté son ancien associé d’ombre en ombre pendant que Jackie s’efforçait d’empêcher le raisiné s’écoulant du macchabée de tracer un sillage remontant jusqu’au lieu d’origine du meurtre, puisque ce dernier s’avérait être leur planque. Silencieux comme des Shoumeïens un jour d’impôt, les deux rescapés de la colère de leur employeur tentaient de présenter autant de respect que possible à celui qui avait pris pour eux, et ce malgré le fait qu’ils allaient devoir abandonner son corps salement égorgé à l’appétit des rats et des traînes savates.
    “-Chienne de vie.” Répétait de temps à autres Anvers, lorsqu’un bras exsangue s’extirpait du drap dans lequel ils avaient maladroitement enveloppé leur ami. Jackie grinçait des dents, remettait le bras à sa place et jurait sans ouvrir la bouche, puis ils se remettaient invariablement en marche.
    Les règles étaient simples, lorsqu’un gars mourait, on déplaçait son corps loin et on le jetait dans un des coins sordides parsemant la capitale, de préférence pas trop loin d’un lieu de beuverie puant plus la chaude-pisse que la mauvaise bière. Pas une mauvaise règle, ni particulièrement inédite.  C’était le patron qui avait instauré cette règle. Le plus surprenant là-dedans, restait le fait que ledit patron soit également à l’origine de sa concrétisation.
    La goutte au front malgré la fraîcheur de la soirée, l’homme de main porteur d’un autre s’arrêta quelques instants, derrière un tas d’ordures empilées. Le bras de Rupert en profita pour s’extirper une fois de plus de son cercueil en paillasse.
    “-Chienne de vie.”
    Jackie fronça les sourcils et jura en faisant son office.
    “-T’veux pas le redire encore une fois, j’suis pas sûr d’avoir entendu?” Grogna-t-il en tapotant le drap après avoir remballé le paquet.
    “-Tu penses que le patron va réussir à rattraper le coup?”
    Les yeux du porteur se plissèrent alors qu’il remarquait que ceux de son camarade d’infortune étaient écarquillés par la crainte. Evidemment, question stupide. Lui-même se pissait dessus de trouille à l’idée qu’aucune solution ne soit trouvée, vu ce que ce taré avait fait à Rupert, dès lors qu’il avait appris.
    “-Il a l’air d’savoir c’qu’y fait.” Quand Jackie parlait, il le faisait tout le temps entre ses dents, comme si ses mâchoires refusaient de se desserrer. Y avait un flot de postillons qui s’extirpaient d’entre ses chicots jaunis par les saloperies qu’il mâchait. Le spectacle était si abominable qu’il arrivait presqu’à faire oublier à Anvers la mort de leur copain.”Y’a plus qu’à prier.”
    L’intéressé hocha la tête, gravement. Et puis, du menton, son camarade encore désigna le sol inondé de l’allée à moitié dévastée dans laquelle ils venaient d’atterrir, pour cracher :
    “-Ici ça s’ra pas pire qu’ailleurs. J’en ai plein l’dos de le porter.
    -Ouai.” Acquiesça l’autre.
    Ils firent quelques pas de plus, histoire de balancer le macchabée bien au milieu de ce trou à rat et déballèrent le colis, dont le contenu roula sur le sol pavé pour atterrir pile entre deux flaques. Son bras rebelle s’écrasa dans la flotte dans un grand “splash” qui fit sursauter les deux survivants.
    Jackie se gratta la barbe, qu’il avait courte et blonde, attribua ensuite au défunt un regard respectueux…Avant de se pencher au-dessus de lui pour palper ses poches.
    “-Qu’est-ce que tu fous bordel?” S’exclama Anvers, aussi fort que son statut actuel de chuchoteur le permettait.
    “-Qu’est-ce que tu crois qu’ils vont faire, les premiers qui vont le trouver?” Déclara froidement le pillard.
    Face au pragmatisme de son comparse, le porteur épuisé s’empourpra d’indignation. Jackie lui jeta une amulette arrachée au cou lacéré du plus malchanceux de leur trio, et l’argent taché de sang apaisa sa tension.
    Les deux malfrats s’évanouirent dans la nuit quelques instants plus tard, honteusement, mais sans un bruit.

    A quelques milliers de pas de la macabre scène, le propriétaire d'une silhouette voutée, affalé sur un banc public, lorgnait une dernière fois la liste qu’un “contact” lui avait récemment confié. Elle listait tous les officiers ayant déjà coopéré avec le syndicat du crime et, surtout, qui avaient compris qu’il ne fallait pas s’en vanter après ça. Les noms des corrompus, des lâches et des petits malins se bousculaient dans un relevé couvert de ratures récentes, et pour cause : Un désastre inattendu -ayant bien sûr pour origine une énième manifestation de l’assemblée- avait causé la mort d’une dizaine de ces agents de l’ombre pourtant si utiles. Il en restait, bien sûr, mais avoir l’embarras du choix restait un atout majeur, quand on s’apprêtait à faire une proposition risquée.
    L’avachi se redressa en fourrant sa liste dans la poche intérieure du manteau sombre et miteux reposant sur ses épaules, puis lorgna du côté du pâté de maisons à la banalité affligeante qu’il souhaitait approcher. Le poison de ses yeux se posa sur la dernière des six baraques, celle dont la lumière filtrant de la fenêtre du premier étage venait de disparaître.
    Un vieillard au dos honteusement courbé passa devant son champ de vision puis alla s’asseoir à droite de la place récemment abandonnée.
    Et alors que le jeune se retournait dans le but de récupérer son chapeau, pendu au dossier du banc, le vieux, le regard perdu dans le vide, se manifesta dans une exclamation déchirante :
    “-Willy, c’est toi?!”
    L’intéressé haussa un sourcil et coiffa son couvre-chef.
    “-J’ai bien peur que non monsieur.” Répondit-il néanmoins, aussi aimablement que possible.
    “-Oh.
    -Pourrais-je néanmoins vous demander si vous n’avez pas un mouchoir en trop?
    L’ancêtre le détailla des pieds à la tête, l’air soudainement peu serein au fur et à mesure que ses yeux fatigués remarquaient la pâleur excessive de cet inconnu aux cheveux ébouriffés qui le fixait avec son regard malade.
    “-Vous n’êtes pas contagieux au moins?”
    Le rire qui s’extirpa de la bouche de son vis-à-vis sonna aussi désagréable que nasillard.
    “-Non. Ce n’est qu’une affection chronique.
    Il lui confia du bout des doigts l’un de ces innombrables chiffons que la populace - depuis les inondations - trimballait par paquet de douze, et accompagna son don d’un mouvement de menton.
    “-Bon courage jeune homme.”
    Ledit jeune homme le remercia d’une discrète révérence, puis s’éloigna de son ancien poste de guet pour rejoindre son objectif, à une centaine de pas de là : La dernière baraque sur la gauche, celle avec la lumière de la fenêtre du premier étage qui venait de s’éteindre.
    Alors, une fois certain d’être assez loin pour que les yeux bouffés par la cataracte du vieux ne puissent plus discerner ses gestes, Carl passa le tissu du chiffon récemment acquis sur le tranchant souillé de sang de la dague qu’il avait utilisé pour égorger un abruti, quelques heures plus tôt.

    Son poing ganté frappa contre la porte une fois, deux fois puis deux fois et demi alors que le Serpent s’arrêtait en plein milieu du geste pour coller son oreille contre le bois terni de l’entrée. Parfois, même dans ce métier, la courtoisie était de mise. Plus les propositions pouvaient s’avérer…Problématique, plus il fallait savoir brosser les gens dans le sens du poil. A cela, bien sûr, s'ajoutait le statut de la personne ciblée. Si ce type avait fait partie de l’élite, Carl se serait présenté à lui, de jour, le sourire aux lèvres et des cadeaux plein les poches.
    Mais ce n’était pas le cas.
    Alors un réveil -certes courtois- en pleine nuit, à sa propre adresse, accompagné d’une bourse pleine de pièces d’or allaient devoir suffire.
    Un sourire de mauvais augure naquit sur ses lèvres tandis que ses sens aiguisés par l'urgence percevaient enfin le son caractéristique d’une marche hasardeuse sur fond de plancher grinçant. Le Serpent recula d’un pas, retira son chapeau et fourra dans le creux de ce dernier ce qui ferait office d'entrée en matière. Les pièces d’or cliquetèrent en atterrissant au fond du couvre-chef, qu’il tendit devant lui sitôt la porte ouverte :
    “-Bonjour, Monsieur Dosian.” Carl s’avança aussi humblement que possible, pour ne pas mettre plus que ça sur la défensive son futur hôte. “Puis-je me permettre d’entrer?
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  • Mer 17 Avr - 22:53

    Le boulot, en ce moment, ça arrête pas.

    Depuis que les autres putes de l’Assemblée ont décidé que la décoration de Liberty leur revenait pas, et qu’elles se sont radinées avec tous leurs potes pour foutre le dawa, pire qu’une soirée de fin d’examens à Magic, la capitale est dans un état lamentable. Le fait que Kaiyo ait décidé de transformer la ville pour en faire son pédiluve a pas amélioré les choses. En plus, tout ça, c’était quand même beaucoup de frime pour pas grand-chose. Le principal fait d’armes de l’Assemblée et du Titan, c’est d’avoir buté deux vieilles, alors qu’il suffisait d’attendre six mois que le temps fasse son oeuvre.

    Heureusement, pour une fois, y’a pas que nous, les Officiers Républicains, qui trimons. Ce coup-ci, la GAR peut pas prétexter qu’ils doivent astiquer leurs épées dans des fortins qui peinent à voir le jour pour surveiller une frontière qui intéresse personne pour l’instant, au vu des nouvelles qui viennent du Reike. Eux aussi, des professionnels de l’astiquage, option avaleurs de sabres. J’le sais, j’y suis allé, je les ai vus.

    Reste que vu la taille de Liberty, même avec les branleurs de Magic, ça en fait, des sacs de sable à trimballer, des décombres à déplacer, et de l’eau dans les chaussettes jusqu’au haut du falzar. Du coup, on est à trimer comme jamais. Y’a la reconstruction, ou plutôt la survie pour l’instant, et, évidemment, le maintien sempiternel de l’ordre. C’était certain que des petits malins allaient essayer de profiter de la situation pour faire leur beurre sur le dos des plus démunis. Quand ils sont dans les grands immeubles en pierre de taille aux entrées de marbre de la SSG, on s’incline poliment en les félicitant de leur vivacité commerciale. Quand ils rôdent dans les ruelles des faubourgs de la ville, on les colle au gnouf pour les plus chanceux, six pieds sous terre pour les autres.

    La justice des Officiers Républicains est pas la seule à écumer Liberty : tous s’embarrassent pas autant que nous, et encore moins les autres malfrats.

    J’suis enfin posé dans la piaule sommaire que j’ai à disposition pour mes fréquents déplacements à la capitale, le genre que j’occupe quelques jours par mois, et ensuite c’est un collègue qui reprend tandis que j’retourne à mes pénates. C’est le programme d’échange des officiers, qui nous permet de voir comment ça marche dans les autres commissariats et nous permettre d’échanger sur nos trucs et astuces, nos techniques, et qu’on s’encroûte pas trop chez nous. Puis là, comme on savait que les méchants allaient se pointer, forcément, ils ont poussé sur les effectifs. J’ai eu du bol, le gars qu’était avant moi était soigneux, j’ai pas retrouvé de la merde sur les rideaux.

    Le pichet de gros rouge sur la table basse, son godet à côté, j’me prépare à poser mes panards en hauteur, quand ça toque à la porte. C’est un p’tit gars avec un gros chapeau, y’a sûrement une blague là-dessous, mais c’est pas le moment. Le ton trop poli et la demande d’entrée me font instantanément balancer un senseur magique, mais y’a rien de suspect à l’horizon. J’plisse les yeux. Heureusement que j’ai pas encore attaqué la picole, pasque j’sens que va falloir faire marcher un peu le contenu du bocal.

    « Ouais, ouais, entrez, entre. »

    Le vouvoiement me gonfle déjà. Pâlot mais poli, petit et aux vêtements patinés, je peine à repérer la moindre caractéristique qui sortirait de l’ordinaire à part des yeux verts et l’impression qu’il vient de chopper une courante foudroyante et qu’il a passé les trois derniers jours à se vider de ses tripes dans un égoût de Liberty. Typiquement le genre de mec que j’bouscule dans la rue quand j’viens de louper une affaire, officielle ou non, juste pour me passer les nerfs. J’suppose que ça peut être une qualité pour peu qu’on veuille pas se faire remarquer et qu’on transporte des messages.

    « Tu veux une liche ? »

    D’un placard, j’sors un autre verre que j’pose à côté du premier. J’ai pas vérifié, mais j’crois qu’il est un peu poussiéreux. Pas de bol, fallait prendre rendez-vous. Sans attendre de réponse, j’nous sers tous les deux, et j’prends celui qu’était propre. Chienne de vie, hé ? En tout cas, il a la mine un peu basse et servile du sous-fifre trop bien élevé qui vient demander un service. Y’avait pas de couille dans le potage à la porte, et y’a pas trop de raison de vouloir entrer pour me planter, mais ça m’empêche pas de me garder quelques assurances, genre des projectiles magiques prêts à partir.

    J’lui fais un grand sourire amical.

    « Du coup, t’as l’avantage sur moi, j’ai pas la chance de t’avoir reconnu. A qui ai-je l’honneur et en quel, justement, honneur, j’te vois là dans ce qui me sert de salon ? »

    J’renifle un coup le gros rouge avant d’y tremper mes lèvres. Rustre, tanique, brut. Parfaitement l’affaire pour se donner un coup de fouet et, si on y revient trop, un coup de trique derrière la tête. C’est pas prévu au programme pour l’instant. Par contre, s’il commence à me parler du shierak, je garantis pas de rester aussi aimable. Cela dit, m’est avis que c’est pas ça qui nous attend.

    C’est que, le boulot, en ce moment, ça arrête pas.
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    Carl Sorince
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  • Sam 20 Avr - 20:21
    Le serpent, sans pour autant faire preuve d’un empressement visible, se glissa à l’intérieur de la pauvre baraque de son hôte sitôt l’invitation prononcée. Il ne fallait, après tout, jamais laisser aux gens l’occasion de revenir sur leurs décisions, surtout quand ladite décision impliquait de faire entrer chez soi un inconnu au sourire de façade. Deux verres glissèrent sur une table de bois miteuse dans un raclement discret et l’émeraude des yeux plissés du mercenaire alla se promener dans la pièce faiblement éclairée au sein de laquelle il allait devoir défendre son bout de gras.
    A-priori, ils étaient seuls. Ses craintes portaient davantage sur la présence d’une quelconque jouvencelle que sur un refus catégorique à la proposition future. S’assurer du silence d’une catin pouvait coûter cher, surtout lorsque la situation ne permettait pas de lui trancher la gorge avant le début des inévitables négociations. Du reste, la baraque semblait aussi banale à l’intérieur qu’à l’extérieur. Deux bonnes nouvelles, trois si on s’attardait sur le fait que son nouvel ami l’avait laissé entrer sans faire preuve de la moindre animosité. Comble du bonheur : il s’exprimait avec l’aisance -et l’absence de manières- propre aux magouilleurs des ruelles sombres, bien. Très bien même.
    Dans un sourire discret, Carl tira une chaise, accrocha son chapeau au dossier après avoir pris soin d’en retirer la bourse qui l’alourdissait, s’installa aussi confortablement que possible, puis déposa le riche don sur la table, juste à côté du verre poussiéreux. Les pièces d’or et d’argent teintèrent au sein de la petite musette, provoquant dans les secondes qui suivirent un silence contemplatif.
    “-Je suis juste Carl.” Commença l’ainsi nommé en croisant les jambes. “Tu sais, je trouve que c’est un nom original, Pancrace. Le père est-il un adepte du combat à main nue?
    D’un doigt squelettique et ganté, il désigna la somme qui, sans être énorme, s’avérait suffisamment conséquente pour au moins s’assurer de la concentration de son interlocuteur pour la suite :
    “-Voilà déjà de quoi te dédommager pour le dérangement nocturne, en général j’essaie de ne pas réveiller mes collaborateurs."Ce n'était pas vraiment un mensonge, puisque son emploi le plus récurrent portait plutôt sur l'action de causer un sommeil éternel qu'un réveil quelconque."Ensuite…” Dans un concert de craquement osseux, le serpent se pencha légèrement en avant pour poser ses coudes sur le bois usé de la table.”Je t’informe que je déteste la flotte.
    Court silence. Les yeux dorés de son interlocuteur brillaient étrangement dans l’obscurité. De cette couleur si peu naturelle devait découler une quelconque mutation magique qui n’avait rien de rassurant. Sans être superstitieux, le mercenaire avait appris à toujours se méfier de ceux qui luisaient d’une quelconque manière. Alors, dans le doute et pour éviter toute inspection mentale impromptue, Carl avait pris soin d’activer son brouilleur, sitôt dans la baraque. On était jamais trop prudent, après tout.
    “-C’est pour ça que je préfère régler mes affaires ici : Il n’y en a pas, de flotte, en général.” Reprit-il en pouffant. “Peut-être un petit crachin désagréable de temps en temps mais certainement pas des raz-de-marée, quoi…Alors tu imagines ma surprise quand, en plein voyage, je reçois un courrier plus qu’alarmant m’indiquant que ça déborde à Liberty. En fait, ça déborde tant et si bien que tout ce qui m’appartient glougloute désormais correctement dans la rue.
    Il se rappelait de la voix tremblante de cet abruti de Rupert lorsqu’il s’était efforcé de lister les pertes : Douze caisses de vins de Courage et une demi-douzaine contenant du rhum de la défunte Kaizoku. Un stock de quatre cent carreaux d’arbalètes bénis, chipé plus que racheté à ces abrutis du nouvel ordre. Neuf espadons consacrés, en fer blanc. Trois cent kilos de sel. De la vraie poudre de cornes de Kirin et de la fausse poudre de cornes de chimère, qui valait aussi cher. Des tonneaux entiers de bières Reikoises. Des œufs de géomis en pleine gestation. Une putain de cape en écaille de wyverne. Parmi toute la quincaillerie que ses Sanglots et lui-même avaient l’habitude de refourguer, d’innombrables raretés onéreuses s’étaient mises à flotter ou à s’échouer dans les rues et ruelles de la capitale, au milieu du chaos causé par une assemblée aux objectifs pour le moins obscurs et à l’efficacité absente. Avec tout ce décevant remue-ménage, Carl en regrettait presque d’avoir collaboré avec ces dernières, à la joyeuse époque de Kaizoku.
    Constatant que sa mauvaise humeur menaçait de nouveau de poindre, il laissa un soupir détendre ses muscles avant de reprendre :
    “-Je suis une sorte de colporteur, vois-tu? J’apporte une marchandise très spécifique d’un point A à un point B pour des particuliers, et ce en toute discrétion. Mais le drame du moment a légèrement compromis cette discrétion, puisque certains de mes produits sont apparemment tombés pile devant une patrouille des effraies.
    Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, comme à chaque fois qu’il devait mentionner le nom du soi-disant régiment d’élite.
    “-Aussi tarte soient-ils, ils n’ont pas mis longtemps à remonter la piste de marchandise et à trouver puis vider ma planque en cataloguant son contenu de “contrebande”. Un terme excessivement réducteur si tu veux mon avis, mais qui, du coup, a des chances non-négligeable de faire atterrir mon stock dans la cave de l’office républicaine plutôt que dans le coffre-fort des Effraies.” Un énième rictus faussement amusé plus tard, le serpent claquait la langue et accordait enfin un regard au verre poussiéreux, qu’il attrapa pour faire doucement tourner son contenu sans même penser à le boire. Est-ce que c'était une mite, qui flottait à la surface?”Une journée que je suis rentré et j’ai passé mon temps à courir d’un bout à l’autre de la ville, à la recherche de ma camelote. Autant te dire que je n’ai plus trop la patience pour la subtilité alors soit tu acceptes de me filer un coup de main pour retrouver la marchandise en te remplissant les poches avec les jumelles de cette bourse-là, soit on se serre la main, tu gardes le fric que je t’ai filé et t’oublies au passage mon visage. Qu’est-ce que t’en dis?
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  • Jeu 25 Avr - 22:23

    Là où le sous-fifre classique peut difficilement s’empêcher, soit de faire preuve d’empressement et d’obséquiosité pour montrer qu’il représente pas le moindre danger, soit d’agressivité et de rudesse pour indiquer qu’il faut pas venir s’y frotter au risque d’une mauvaise surprise toute relative, mon interlocuteur surprise rentre tranquillement chez moi, pose son chapeau et, avec un flegme qu’a pas l’air feint, s’pose en face de moi. La bourse et son poids visible d’ici, avec un tintement tout à fait engageant, m’font dire que j’me suis pas planté en laissant entrer le gus.

    En tout cas, c’est une base solide pour entamer une conversation, le genre à laquelle j’suis pas indifférent. Y’a un langage qu’on parle tous, et ceux qui le nient sont ceux qu’ont jamais manqué. Pasque quand tu passes devant un étal du marché, le ventre vide qui gargouille, pendant que le vendeur encaisse et que ceux qui le peuvent ont du jus qui leur coule le long du menton, tu prends vite conscience que t’as pas envie d’être du mauvais côté.

    Maintenant, suffit de transposer ça à quand tu visites les manoirs des riches ou les bâtiments institutionnels de la République quand t’es un simple soldat de la GAR, un petit fonctionnaire ou un banal officier républicain. La conclusion est courue d’avance, et se lit dans les reflets des pièces vaguement éclairées par la lumière de l’âtre et de la bougie qui se consume tranquillement sur une étagère.

    « Juste Carl, donc. Pancrace, c’est la mère qui a trouvé, on sait pas trop d’où ça vient. Elle a toujours dit qu’elle aimait bien la sonorité. Juste, c’est un surnom, ou c’est le prénom ? Tu sais ce qu’on dit sur les gens dont le nom est un prénom, hein. Je vais pas te sortir les statistiques de l’office mais ça fait réfléchir. »

    C’est pas pasqu’on va devoir trimer ou qu’on se connaît pas qu’on peut pas rigoler. Mon sourire narquois laisse clairement comprendre que j’jauge les réactions de mon vis-à-vis, et que, de toute façon, faut pas y attacher d’importance. Puis mon attention revient sur les pièces, si généreusement pointées du doigt. Puis j’ai le droit au contexte, et on entre enfin dans le vif du sujet. Je peux difficilement lui en vouloir d’avoir un grief contre l’eau : j’ai moi-même pas mal d’irritation pour cet élément. Autant, avant, ça allait, autant, l’eau qui croupit dans les rues et les caves de Liberty, ça commence à me les briser sévère, et j’attends avec impatience qu’on me rappelle à Courage pour profiter, comme ici, de l’humidité et des embruns sans la puanteur et le travail.

    Tout cet exposé permet en tout cas à Juste de remettre de l’ordre dans ses pensées, et il crache à demi-mot qu’il est ni plus ni moins qu’un contrebandier et receleur. Moi, ça me dérange pas, j’ai pratiqué plus souvent qu’à mon tour, et on va pas se mentir que quand on saisit une cargaison mal documentée ou volée en tombant d’une charrette, tout finit peut-être pas dans les scellés du commissariat : c’est qu’on manque de moyens, que la paye est pas terrible et, surtout, les chefs prennent leur part. Autant dire que si on vend pas, on se ferait juste saisir sur solde.

    Et personne aime se faire saisir une partie de sa solde.

    Mais cette histoire d’effraies, ça me titille un truc dans la mémoire. J’fouille à travers les brumes de la fatigue, j’reprends un peu de rouge pour me donner du courage, et j’tapote la table du bout des doigts. Ça me revient, et j’les fais claquer avec un rire franc que j’ravale difficilement.

    « Désolé, désolé, je me moque pas de ton malheur, encore qu’il a l’air en bonne voie de faire mon bonheur. Nan, c’est que la version officielle que les Effraies ont servi à la hiérarchie, c’est qu’ils ont été alertés par des informateurs anonymes d’une importante cargaison de contrebande. Au péril de leur vie, en luttant contre un gros réseau criminel, ils sont parvenus à saisir la marchandise. »

    J’me râcle la gorge.

    « Bon, ils ont ramené que deux gus un peu paumés et, faut bien le reconnaître, pas mal de matos. De mon expérience, peu de chances que y’ait tout eu, mais on sait jamais. Tu pourras au pire retrouver des trucs chez la concurrence ou chez un autre revendeur, qui sait, hé ? »

    Mais c’est qu’on arrive enfin à la partie vraiment juteuse de l’affaire, celle où on discute les termes du contrat, les tenants et aboutissants de ma collaboration, ce qui est attendu et pourquoi on est allé jusqu’à déranger un jeune et brillant capitaine de l’Office Républicain. Vu la somme sous mes yeux, qui a le potentiel de doubler ou tripler en prime, j’en viens à sérieusement me demander ce qu’il y avait exactement dans la cargaison. De l’ivoire ? Des pierres précieuses et semi-précieuses, des bibelots rares shoumeïens ? Leur cours a salement baissé vu comme ils ont inondé le marché récemment, mais ça veut pas dire que les chefs-d’oeuvres trouvent pas preneur facilement.

    Après, ça a p’tet une valeur sentimentale.

    Un coup d’oeil aux prunelles mornes de mon interlocuteur me fait éliminer cette hypothèse assez rapidement.

    Forcément, y’a la tentation de juste prendre l’oseille, dire merci pardon bonne soirée, refermer la porte sur un interlocuteur poli mais un peu dérangeant, comme une croûte qui cicatrise, puis aller se pieuter avec la certitude du travail bien fait, c’est-à-dire celui pour lequel on n’a rien eu besoin de faire tout en passant amplement à la caisse. D’un autre côté, la perspective de rencontrer toute sa fratrie de petites soeurs est alléchante, et j’peux pas m’empêcher d’être curieux de ce que cette cargaison peut bien contenir pour que de tels moyens soient mis en oeuvre pour la retrouver.

    Puis si le tout disparaît au nez et à la barbe des Effraies, elles auront l’air bien connes et arrêteront de parader dans les fortins et les casernes de la ville après avoir servi à peau d’zob pendant l’attaque. Et ça, est-ce que ça a un prix ? Bon, oui, certes, comme tout. Mais si y’a moyen de joindre l’utile à l’agréable, je vais pas bouder mon plaisir. Ma main se pose sur la première bourse, que j’fais doucement glisser dans ma direction.

    « Parfait, on se met en route, alors ? Et tu m’en dis plus sur cette histoire de cargaison ? T’as des gars qui nous aideront à la trimballer ? Les rumeurs disent que le stock était considérable, alors même si une Effraie serait pas capable de différencier une vessie d’une lanterne, j’suppose qu’ils ont pas pu gonfler le truc à un tel point. »

    J’attrape ma cape, pasqu’il caille quand même, et que ça me permettra de cacher un peu ma tronche si jamais on doit faire les zouaves. Tous les insignes officiels vont dans une poche intérieure, des fois que ça nous soit utile, et si j’laisse mon épée, j’ramasse quand même trois couteaux pour les accrocher à mon ceinturon, et dans ma manche. On n’a jamais trop de surins. Et ceux qui disent l’inverse, ils passent pas assez de temps dans les ruelles sombres de la capitale.

    J’laisse le feu finir de se consommer, en retirant les bûches qui ont pas commencé à cramer, et j’souffle la bougie avant d’ouvrir la porte pour faire sortir mon invité. Puis j’referme derrière lui, et j’pointe dans la direction de la caserne.

    « J’crois qu’ils rangent les trucs là-bas, de toute façon, on pourra consulter le registre et en savoir un peu plus sur ce qui est entré et sorti. Ça nous fera un bon début, si ça te va. »
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  • Lun 6 Mai - 21:47
    A force de travailler dans la Sanglot, Ferg avait fini par s'habituer à l'obscurité. C'en était effrayant d'ailleurs, comme l'œil apprenait à se familiariser avec les ombres. Lui, qui, dans sa jeunesse, avait toujours été un fervent partisan des bains de soleil, se retrouvait maintenant à être aussi à l'aise dans l'obscurité que les pâles sadiques de la bande.
    Bon, peut-être pas autant qu'Alexey. Mais pas loin.
    Assis à l'arrière de la charrette conduite par Darius, le dos posé contre la banquette soutenant le vieux pirate et les rennes qu'il agitait avec lassitude pour ranimer les canassons efflanqués tirant le véhicule, le souriant négociant, spécialiste en affabulation comme en rapine, s'efforçait de se reposer malgré les nids de poules innombrables sur la route.
    Parfois, lorsqu'une secousse particulièrement inquiétante agitait l'entièreté de la caravane, il s'animait d'un bond, pas endormi ni tout à fait réveillé, pour vérifier les attaches de la tente recouvrant l'arrière du transport, pendant que le visage buriné et toujours sévère de Darius s'éclairait à la lueur de cette foutue pipe qu'il mâchonnait depuis des jours. Un travail fastidieux et répétitif ne lui étant dévolu qu'à cause de sa belle gueule et de sa capacité à…
    Hé bien, conserver un instinct de survie.
    Le patron s'était montré clair, pour ce job. Inutile d'inquiéter les potentiels associés, ils ne jouaient le rôle que de coursiers, de récupérateurs et de larbins. Si intimidation il devait y avoir, elle devait être banale. Peu convaincante pour autre chose que de la piétaille.
    Les grands malades du groupe avaient été écartés du projet. Pas de Mila, de Slick ou de spectre pestiféré. Seulement des gros bras, des gueules patibulaires ou -dans son cas- charmantes. La dernière chose qu'ils souhaitaient, c'était attirer l'attention sur eux.
    Étrangement, il y avait quelque chose de presque vexant à se voir relayer au rôle de malfrat normal. Ainsi marqué du sceau de la banalité, Ferg avait manqué de protester et de mentionner ses propres méfaits pour laver son nom de ces accusations impropres à son talent comme ses moyens.
    Et puis il s'était souvenu que le Patron lui-même se rangeait dans les “normaux” pour ce boulot-là. Et son coup de sang en préparation lui avait paru -soudainement- particulièrement stupide.
    Il y eut une secousse de plus. Une vraie de vraie cette fois. Ferg ouvrit les yeux à demi, encore, et vérifia la tenture, encore. D'abord les attaches arrières, puis celles à l’avant. Son office fait, le mercenaire s'écroula de nouveau au fond de la charrette.
    Mais le véhicule ne se remit pas en route.
    “-On a perdu une roue?” Interrogea le blond en se redressant pour aller pousser la tenture à l'arrière et scruter la route, à la recherche des débris de leur caravane.
    Darius lui répondit en descendant d’un bond de son perchoir.
    “-Nan.” L'ancien pirate s'empara de la lanterne qui pendait au crochet situé sur le flanc gauche de la banquette et raviva d'une torsion de manivelle la flammèche anémique dansant au sein de sa cage de verre. “On est arrivés.”

    On ne pouvait pas exactement dire que le prénommé Pancrace manquait d'entrain à la tâche. Sitôt décidé, il s'était mis en tête de s’extirper de sa gargote, tout de noir vêtu et les poches pleines de lames, tel un truand des ruelles de Kaizoku.
    Et dire que la populace reprochait à l'office républicaine de faire preuve de laisser-aller, voire de fainéantise… Comme toujours, la masse reprochait aux autres ses propres défauts.
    “-A ce propos.” Intervint le serpent alors que son hôte demandait si ils allaient bénéficier d'aide pour déplacer le fruit de leur future rapine.”J'ai quelques hommes et une caravane qui nous suivront. Je te préviens de suite : eux aussi, le destin a fait qu'ils ne portent que des prénoms, alors espérons que les statistiques mentent, hein?
    Ils s'extirpèrent de la baraque avec un empressement venant ironiquement plus de l'officier que du mercenaire et, alors que le premier mentionné fermait sa porte à clé -on était jamais trop prudent, sur ce point Carl ne pouvait pas lui jeter la pierre- le second sautait sur le bord d'un muret pour se donner de la hauteur et jeter un regard au loin.
    Les yeux plissés et son éternel sourire en coin, le Père des Sanglots pointa un doigt squelettique en direction d'un point luminescent provenant d'une flammèche dansante, au milieu du gravier grisâtre d'un énième chantier de construction.
    “-Tu vois, la lueur là-bas ?” Reprit-il, une fois que son nouvel associé eut fini son office sécuritaire. En réalité, à moins d'avoir une vue magiquement dopée, Dosian ne devait pas voir grand chose. “On ira les rejoindre là-bas après notre petit tour par là où tu bosses, qu'importe ce qu'on trouvera comme infos. Ils sont un peu rudes, mais ce sont de bons garçons.
    Ce n'était pas vraiment un mensonge. Ces deux-là restaient de loin ses éléments les plus modérés, puisque ni l'un ni l'autre ne trouvait de satisfaction dans l’annihilation d'autrui.
    Contrairement à lui. Mais le travail avant le plaisir, et si corruptible pouvait être son accompagnateur du jour, Carl doutait qu'il goûte particulièrement aux étalages de barbaques faisant de ses Sanglots ce qu'ils étaient et seraient toujours.
    La retenue, pour l’heure, restait hélas de mise.
    “-Sinon pour la cargaison, que puis-je te dire…” Il mima un soupir franc né d’une cogitation lasse. La vraie question, c’était à quel point jouer franc-jeu pouvait lui être dommageable. ”Le stock était considérable, ouai. Je ne dirais pas que tout est de valeur, dans le bordel qu’ils ont saisi. Ils peuvent bien garder la piquette et les œufs de géomis si ils le souhaitent. Les armes et les munitions, j’aimerais les récupérer mais… Il y a plus important. J’ai un certain nombre de coffrets. Une dizaine. D’apparence relativement banale. Ils ont l’air carrément miteux en fait. A l’intérieur, y’a de la carbonite.” Et cinq cœurs pour le double de poumons encore parfaitement fonctionnels, planqués dans des petits compartiments cachés, tout au fond. Quelques foies, prélevés sur ceux qui n’en avaient plus besoin. C’était tellement plus simple à transporter que des esclaves entiers et ça attirait moins l’attention des gardes, en général.”Ceux-là il me les faut. Et deux trois autres coquetteries, mais on verra plus tard.” Etait-ce vraiment nécessaire d’apporter plus de précisions que ça ? Moins Dosian en saurait, mieux leur association pourrait se porter.
    De toute façon, il ne comprendrait pas. Même lui, pour tout dire, ne comprenait pas vraiment pourquoi certains associés de Vaenys demandaient qu’on leur apporte des organes fraîchement extirpés de poitrines humaines. Mila avait eu besoin de tellement de cobayes avant de prendre le coup. Le plus compliqué, ça avait été de la convaincre d’anesthésier ses victimes.
    Sans s’attarder davantage, le mercenaire descendit de son perchoir et emboita le pas de son vis-à-vis, en direction de leur nouvel objectif.

    La caserne de l’office, fatalement, ne se trouvait pas très loin de la baraque allouée au dévoué capitaine Dosian. ll fallait simplement descendre une rue pentue sur une cinquantaine de pieds, s’efforcer de ne pas glisser sur son sol pavé mais toujours boueux, rejoindre une large avenue au sol défiguré par l’irruption de mares éparses infestées de larves de moustiques, et remonter cette dernière vers l’Est en prenant garde à ne pas croiser du regard les autres silhouettes louches errant ici et là, dans le noir.
    Car si l’ordre du couvre-feu n’avait jamais été clairement donné à Liberty, les habitants, après le drame ayant coûté à une partie d’entre-eux leurs habitations ou même leur famille, semblaient s’être entendus sur le fait que sortir la nuit restait globalement dans l’ordre des mauvaises idées. Ce n’était pas tant qu’ils ne souhaitaient pas aller dépenser leurs maigres revenus au comptoir des auberges et tavernes encore debout, simplement…
    Les sales gosses, pickpockets, égorgeurs comme pillards, raquetteurs ou assassins rôdaient ici et là, à la recherche de victimes paumées à la bourse bien remplie. Les gangs qui pullulaient dans les ombres, aux quatre coins de la ville, jusqu’alors bien établis dans leurs quartiers respectifs, profitaient du chaos du moment pour se livrer à des guerres d’influences ou des règlements de comptes sanglants, dès lors que le soleil cédait sa place à l’astre argenté.
    Alors, les bonnes gens, celles et ceux qui avaient encore quelque chose à perdre après tout ça, rentraient tôt après s’être achetés de nouveaux verrous et, éventuellement, un chien de garde particulièrement patibulaire.
    Et les autres, hé bien…
    Tout portait à croire qu’ils n’avaient rien de bon, dans la tête comme dans les intentions.
    “-T’étais sur place quand c’est arrivé?” Lâcha Carl pour passer le temps, alors qu’ils contournaient les racines dénudées d’un arbre couché sur le côté de l’avenue. “ “J’ai une baraque dans la campagne à une heure ou deux d’ici. Hé ben même là-bas, on a eu des infiltrations d’eaux avec toutes ces conneries. C’était costaud ici, il paraît.
    Le ton de sa voix se fit plus froid, à la fin de sa sentence. Non pas parce que la réminiscence de l’attaque lui causait le moindre inconfort, mais parce que leur chemin croisait celui d’un trio de badauds silencieux, enveloppé dans de larges capes dissimulant leurs bras comme ce qu’ils pouvaient bien porter à la ceinture.
    Il n’y eut aucune tension véritablement affichée. Carl salua simplement le premier d’entre-eux d’un hochement de tête accompagné d’un sourire, tout en portant ouvertement sa main droite vers l’intérieur de son manteau. Ses yeux croisèrent ceux du second, encadrés par une capuche et un bandeau noir ne parvenant pas tout à fait à cacher la fourrure inhumaine parsemant sa peau de dégénéré. Un hybride. Encore un. Habitués à vivre dans l’adversité, ces erreurs de la nature persistaient à errer dans les ombres malgré les risques encourus. Carl ravala une tentation mesquine en dépassant le dernier, celle de cracher aux pieds de ces chose dénaturées, qui défiaient la création par leur simple existence, puis les lâcha du regard, sitôt qu’ils eurent disparu de l’autre côté des racines du chêne abattu. Ils continuèrent leur route, sans que personne ne rebrousse chemin.
    Au loin, quelqu’un hurla. Que ça soit pour avertir une patrouille nocturne ou pour insulter un rival, les détails se perdirent dans le vent et dans l’indifférence générale.
    Et puis les échos grave d’une cloche qu'on malmenait pour signaler l'heure tardive marquèrent leur arrivée devant le portail de fer délimitant l’accès à la caserne de l’office républicaine.
    “-Et c’est à ce moment là que tu me dis “suivez le guide” je suppute?
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  • Jeu 23 Mai - 17:29

    Sur la route, j’ai quand même droit à un petit topo. C’est la moindre des choses, pasque ça a beau être carrément bien payé, je suis pas trop motivé pour faire de la manutention. S’il s’agit de porter des caisses et des sacs sur des kilomètres, j’aime autant retourner me coucher : je me tape déjà les débris pendant la journée, pour aider à déblayer les ruines et les cadavres, les pieds dans l’eau, au point d’avoir l’impression d’être tout fripé même quand je rentre chez moi, c’est pas pour rempiler sur mon temps libre.

    Ou alors faut que la bourse proposée fasse partie d’une très grande famille. Là, on peut toujours trouver un regain de motivation.

    « Bon, ça m’soulage d’apprendre que y’a du personnel pour se charger de tout ça. Pas besoin de les connaître au-delà de toi, Juste, comme point de contact. »

    Déjà pasque je vais pas retenir le nom et le prénom de tous les grouillots que j’croise, et ensuite pasque c’est pas bon pour les affaires, d’en savoir trop. L’important, avec l’information, c’est d’avoir juste ce qu’il faut pour faire bien le boulot, ni plus, ni moins. Après, sinon, c’est les emmerdes, je l’ai appris très vite. Ou alors faut réussir à basculer au point où on en sait tellement que ça devient plus coûteux ou risqué d’éliminer la personne. Mais y’a que les marchands d’informations un peu reconnus qui ont réussi la bascule.

    « Les statistiques, de toute façon, ça veut rien dire à notre échelle. »

    Ça, je l’ai appris pendant mes sept années d’études. Mais je vais pas rentrer dans les détails avec un p’tit gars à chapeau qui fait de la contrebande et du recel. Il est à moitié derrière moi, j’ai sa signature magique dans un coin de ma tête s’il choisit de s’enfuir, mais ça serait s’être donné beaucoup de mal pour me buter à deux rues de chez moi, même si j’aime pas trop sa tronche. Ça me gratte comme à rebrousse-poil. Je hausse les épaules dans le vide.

    « Les coffrets, donc, on va se concentrer là-dessus. Le reste, on le laissera aux Effraies, ça les rendra tout chose d’avoir réussi quelque chose dans leur vie. Une dizaine, par contre, faudra probablement s’organiser… »

    Ou, en tout cas, faire des aller-retours si on réussit à mettre la main sur la cargaison, ce qui sera l’objectif premier. Si on pouvait également éviter d’y associer mon nom, surtout quand une partie de la marchandise saisie aura disparu, ça serait encore le mieux, mais j’hésite encore sur comment procéder. Après tout, les insignes d’officier républicain ne sont pas nominatifs, donc j’pourrais très bien utiliser un moyen annexe. A choisir, je me serais téléporté à l’intérieur, mais j’connais pas, pour le coup, le bâtiment qu’est réservé aux Effraies. Et, de toute façon, y’a trop de moyens de retrouver la trace derrière, ce qui est typiquement ce que j’voudrais éviter.

    Reste que Liberty est devenu sacrément mal famé, mais que nos dégaines, pleines de confiance, et la menace pas voilée du tout de Juste qui a glissé la main dans son manteau, suffisent à ce que personne n’ait envie de nous tomber dessus. Sinon, on peut toujours sortir une preuve d’appartenance à l’office, ça les calme pour la plupart. Le souci, avec ça, c’est que les autres, ça les excite d’avoir une occasion de casser du cogne. Et, quand c’est l’inverse qui se produit, faut ensuite se les trimballer jusqu’à la geôle la plus proche. Autant dire que ce soit, j’suis occupé, et que j’vais déjà avoir mon lot de déménagement à réaliser.

    Quand la conversation bascule sur l’attaque de Liberty, j’peux pas m’empêcher de cracher dans une mare qu’on dépasse d’un pas vif.

    « Ouais, j’étais aux alentours de Magic surtout, la Maison-Bleue ensuite. C’était un sacré merdier, grosse artillerie de magie. J’suis pas foutu de piger tous les détails arcaniques, mais Magic était coincée derrière une barrière qui l’empêchait d’intervenir. Les pléiades ont pu s’en sortir et certaines sont même allées se battre avec l’Avatar de Kaiyo en centre-ville. Ça, c’était une vraie saloperie. »

    Ce gros bouffon avait, en prime, prévenu qu’il se radinerait pour nous défoncer. L’histoire retiendra que c’est l’inverse qu’a eu lieu, et que ce qui était de l’assurance s’est avéré être de l’arrogance crasse. D’un autre côté, quand j’ai un moustique dans ma chambre, j’lui annonce aussi que j’vais l’écraser contre un mur. Parfois, j’y arrive pas, et c’est très gênant. Mais j’suppose que de la perspective d’un titan, c’est un peu la même chose. Du coup, est-ce qu’il se sent con et énervé maintenant ? Probable.

    Avec tout ça, on arrive enfin à proximité de l’entrée de la caserne. Dans le doute, je prends l’apparence de Coco. C’est un autre capitaine avec lequel j’m’entends pas particulièrement bien, et il m’a fait un coup fumeux y’a quelques mois. J’ai fait mine de rien tout ce temps, c’est la bonne occasion de lui réserver ce chien de ma chienne. J’espère cela dit qu’on en arrivera pas là, mais on sait jamais. J’veux pas que ça puisse remonter jusqu’à moi : la piste mourra d’elle-même quand ils se rendront compte qu’il a un alibi.

    Enfin, s’il en a vraiment un. S’il en a pas, ça la foutra mal pour lui. Ça serait ballot, non ?

    D’un autre côté, s’il avait pas falsifié les ordres de déploiement pour me refiler un quartier à moitié inondé dans lequel deux gangs se faisaient la guerre, chose qu’il avait oublié de notifier dans ses patrouilles précédentes, probablement pasque les deux faisaient beaucoup d’efforts à lui remplir les poches de pots-de-vin pour pas qu’il déclare les cadavres qui étaient retrouvés dans des ruelles depuis plusieurs semaines, on en serait p’tet pas là. Enfin, j’dis ça, j’dis rien. Parfois, c’est le retour du bâton, et j’en garderais encore une méchante cicatrice si j’étais pas aussi fort pour m’enfuir et que le toubib de l’office m’en devait pas une belle.

    C’est que, d’habitude, il se foule pas avec l’esthétisme, il s’assure juste qu’on en crève pas et le reste est à nos frais. Et j’ai pas prévu de devenir aussi moche que Coco, donc à partir de là, à moins de claquer ma paie là-dedans, tout devient vite compliqué. Puis j’me tourne vers Juste.

    « T’as toute confiance en moi, pas vrai ? »

    J’pose une main lourde sur son épaule, et de l’autre, j’agite une paire de menottes.

    « C’est juste pour passer la porte et écrire quelque chose sur le registre, t’inquiète. Quant à savoir si tout ça est un méchant tour pour que les barreaux de la cage se referment sur toi… C’est la surprise, que j’ajoute en faisant un clin d’œil. »

    Pure provocation, évidemment. Mais faut bien rigoler un peu, et puis s’il me fait pas confiance jusqu’à ce point, autant s’arrêter là, pasque ça va être une gageure de sortir sa douzaine de coffrets moisis si on est obligé de regarder par-dessus notre épaule en continu tout du long. Nan, tant qu’à faire, autant qu’on évacue ce sujet au plus vite.

    Résultat, on passe la porte avec un signe de tête, moi qui pousse Juste Carl devant moi avec la mine renfrognée des mauvais jours.

    « Capitaine ? Qu’est-ce que vous faites là ?
    - Ce fils de chienne… J’le colle pour la nuit, je reviendrai le chercher demain.
    - Il s’est passé qu… ? »

    Mais j’suis déjà passé sans détailler davantage, et nous voilà dans les murs. J’tends la clé de ses menottes à Carl, qu’il se les enlève quand ça l’arrange, et j’prends quelques instants pour me repérer.

    « Normalement, nous, on est à droite, et ils nous ont collé les Effraies au fond. C’était les commissaires qui étaient par là, d’habitude. Y’a des celliers, mais je sais pas à quel point ça a pris la flotte, que j’souffle. »

    Si j’dois me baser sur le reste de la ville, beaucoup. Mais d’un autre côté, certains endroits ont bénéficié d’actions plus rapides pour ce qui était d’enlever l’eau pour rendre les pièces habitables ou, à tout le moins, utilisables. Sinon, faudra regarder les réserves, mais on va faire les choses dans l’ordre.

    « Allez, qu’on aille dormir du sommeil du Juste, ensuite, hé ? »

    Ha. Pas mal, celle-là.
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    Carl Sorince
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  • Mar 28 Mai - 22:24
    A la lueur d'une lanterne suspendue, allumée à leur arrivée dans la réserve, Carl, le poignet droit alourdi par le poids d’une paire de menottes partiellement défaites, fronçait les sourcils en s'efforçant de décrypter les notes gribouillées sur un annuaire trop imposant.
    Le registre de l'office avait comme principal défaut d'avoir été rempli et signé par une dizaine de personnes différentes, souffrant toutes et tous du syndrome de l'écriture de docteur : Un mal assez répandu chez ceux qui avaient passé plus de cinq ans en étude supérieure, officiers républicains en tête. Résultat, chaque ligne devait êtres relue trois fois avec attention, et le dévoué Dosian, fort heureusement toujours prêt à assister son prochain -moyennant finance- se devait d'aider au décryptage bien trop souvent pour son propre bien.
    “-Donc ça, c'est un S.” Marmonna le faux-prisonnier, un doigt posé contre un gribouillis de plus. “T’avoueras tout de même qu’il ne fait pas beaucoup d’effort, ce Funnar Dermmer.
    Quelque chose ressemblant fort à un ricanement mesquin sembla s’échapper de son comparse dans le crime. Le serpent, un rictus de moins en moins amusé sur les lèvres, continua son inspection littéraire sans accorder un regard au fatras de caisses entreposées deux pas plus loin. La salle sentait la vinasse, principalement parce que l'une desdites caisses était ouverte et que son contenu avait été, sans l'ombre d'un doute, distribué à la précédente équipe de garde à sa récupération. Un verre à moitié plein restait d'ailleurs sur la table posée au coin de l'entrée, encerclée par deux chaises, ainsi qu'une bouteille qu'on avait pris soin de reboucher avant de partir ronfler. Dans d'autres circonstances, Carl aurait été tenté de goûter les restes en continuant son inspection…si il n'avait pas reconnu le vin -issu de son stock perdu- et su que les morceaux croquants baignant à l'intérieur de l'élixir avaient une chance sur deux d'appartenir aux orteils des “presseurs”, plutôt qu'à une grappe de raisin quelconque.
    Il fallait de la camelote, pour sublimer la qualité.
    “-J'ai bien l'impression qu'ils vous ont refilé toute leur merde. Principalement de la piquette. Je serais à votre place, je le prendrais vachement mal quand même.” Grinça le mercenaire en finissant de décrypter les trois dernières lignes, écrites de manière bien plus soignées -et donc probablement de la main de personnes moins éduquées, comme des membres des effraies- faisant le bilan des ressources de contrebande déposées chez l'OR. “Ne me fais pas dire c'que j'ai pas dit : Pas que mon stock soit de basse qualité, mais certains articles coûtent clairement moins chers que d'autres et…Ah ! J’ai un nom, Capitaine Sarsky ! C’est lui qui a signé les trois derniers dép…
    -Capitaine?”

    Court silence. Deux paires d'yeux en croisèrent une nouvelle, particulièrement écarquillée. Un type, dans la trentaine, mal rasé et des poches sous les mirettes impliquant que sa propre ronde obligatoire avait manifestement interrompue sa sieste. Un deuxième condamné au service de nuit, manifestement un peu plus sur les nerfs que son semblable croisé à l’entrée de la caserne. Pas de casque pour protéger son gros crâne chauve et bosselé, sa matraque toujours pas en main, l'intrus semblait plus dubitatif que sur la défensive. Un clignement d'yeux plus tard, l'apparition d'une très vilaine ride du lion au-dessus de son nez tordu indiqua au duo que sa confiance ne leur était, hélas, pas spécialement acquise.
    “-Ah, vous tombez bien.” Grommela Carl en s’écartant du registre pour frotter ses mains couvertes d’un sable noirci d’encre. Un excès d'autorité s'immisca dans ses paroles lorsqu'il continua : “J'imagine que vous pouvez nous expliquer ce que c'est que ce bordel, troufion ?” Pour éviter de laisser au troufion en question le temps de réfléchir, son interlocuteur lui jeta entre les mains le registre.
    L'habitude, plus la présence d’un capitaine manifestement courroucé par son irruption dans la pièce, fit le reste. En faisant preuve d’un professionnalisme dans son analyse des textes récemment inscrits ne pouvant qu’impliquer sa responsabilité dans une magouille quelconque liée à celui-ci, le type lacha du regard un Pancrace métamorphosé et son acolyte louche pour scruter les notes.
    L’instant d’après, il tombait à la renverse, une bouteille de mauvais vin écrasée sur la tempe gauche. Plongé dans l’inconscience avant même de basculer, Le Serpent, à l’origine de sa nouvelle condition, eut tout le mal du monde à le rattraper avant qu’il ne vienne heurter le sol.
    “-C'est là qu'on voit qu’on mange bien, chez vous.” Grinça-t-il entre ses dents en installant sa victime sur une chaise pour vérifier qu’aucun morceau de verre n’avait sectionné une veine quelconque, à l’impact. Satisfait par son inspection, Carl se replia en claquant ses mains l’une contre l’autre et s’en alla récupérer le registre que son comparse avait sauvé de nouvelles tâches de vin. Avec un sang-froid né d’une certaine accoutumance à la violence, il replaça une mèche de cheveux sous son chapeau et mentit : “Mes excuses, j’ai paniqué.” Le regard dont il écopa ne laissa que peu de doutes quant au fait que Pancrace peinait à croire cette dernière assertion. Pour faire bonne mesure, il ricana comme d’autres pouvaient tousser, puis se pencha vers le stock de caisses en grimaçant. “Bon, j’ai un nom et c’est déjà pas mal.” Une fois sorti, il allait falloir délier quelques langues pour dénicher le nid de la vermine ayant pillé son stock et conservé pour sa pomme ce qui lui convenait -puisqu’il était hors de question d’aller fouiner dans le quartier général des effraies sans raison- à moins que son associé n’en sache déjà un rayon sur le dénommé Sarsky. Mais d’abord, avant de s’extirper de l’office, un peu de nettoyage restait de bon aloi. “Et puisque j’imagine que tu préfères éviter de tuer un collègue -ce que je comprends tout à fait- on va embarquer un ou deux trucs sans importance mais relativement coûteux aux yeux des petites frappes pour éviter qu’au réveil ton gars se demande ce qu’on foutait là. Ça fera déjà un truc à rapporter à mes clients si jamais on ne retrouve rien de plus.
    Une génuflexion plus tard, une caisse bien trop imposante, marquée du chiffre douze inscrit à la craie, atterrissait de nouveau entre ses mains. Les bouteilles à l’intérieur s’entrechoquèrent bruyamment et il serra les dents. La mort dans l’âme, le contrebandier accepta d’abandonner l’entièreté du stock pour simplement ouvrir le contenant et en retirer un duo de bouteilles coutant six pièces d’or l’unité.
    Du Rouge Melornois. Tellement difficile à trouver depuis que le Reike s’était acoquiné avec les oreilles pointues.
    “-Une chacun, si ça te dit?” Siffla-t-il en tendant à son vis-à-vis le divin breuvage avant de dissimuler sa part dans la poche intérieure de son manteau. Prévue pour cacher toute sorte de coquetteries allant de la lame à l’arbalète à main en passant, de temps à autres, par quelques illicites liquides ou solides consommables, ladite cavité -prévue pour ne pas causer de renflements visibles à l’extérieur du manteau, l’obligeait cependant à changer de démarche et a exagéré les mouvements amples pour éviter de dévoiler la supercherie. Ne restait plus qu’à espérer que le port des menottes n’allait pas gêner le transport retour.
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  • Sam 8 Juin - 11:10

    J’suis à deux doigts d’avoiner Juste quand il frappe mon collègue, mais j’suppose qu’il se dit qu’il a pas bien le choix. De toute façon, je le connais pas, et il aura pas nos véritables apparences, donc quelque part, c’est pas pire, tant que ça va pas plus loin. J’retiens pas le regard mauvais que j’lui jette : on pouvait encore s’en sortir avec une pirouette ou en discutant, après tout. Mais c’est ça aussi, le boulot : on choisit pas ses collègues, et parfois, ils sont salement bizarres. J’suis bien placé pour le savoir, on se tape souvent des dégénérés complets dans nos escouades, affectés par les commissaires. Quand les plaintes s’accumulent trop, on trouve un placard où les ranger jusqu’à ce qu’ils crèvent dans la poussière.

    Enfin, maintenant, on appelle ça les Effraies.

    J’attrape la bouteille qu’il me tend, et j’le vois se tourner vers la sortie. Pourquoi faire compliquer quand on peut faire simple ? J’veux dire, c’est dommage d’abandonner tout le reste. J’me gratte la joue.

    « T’es sûr que tu veux prendre rien d’autre ? Ca paraît ballot, non, quitte à être là ? »

    C’est que j’prévoyais pas forcément de ressortir par la porte, ça serait sacrément bizarre d’amener un prisonnier puis de repartir avec un quart d’heure plus tard. Puis surtout, quitte à assommer un officier républicain, autant bien montrer que c’est le vol, le motif de tout ça. Putain, heureusement que c’est bien payé. Moi, j’pensais qu’on allait juste se servir chez les effraies, leur mettre un peu le nez dans la merde et basta. Et voilà que j’me retrouve à faire les poches de mon propre service.

    Avec un grognement, j’soulève la caisse de douze, et j’y remets la bouteille, plus chère sûrement, qu’il m’a tendue. Melorn, hein ? Me demande quel goût il a, et j’suis à peu près sûr de pas pouvoir me le payer. Bah, p’tet que j’utiliserai ma prime pour tester, tiens. Après tout, l’argent vaut le coup que pour être dépenser, et assurer les vieux jours. Le reste, je vais pas le regarder dans le blanc des yeux en le lustrant et en me lustrant tous les matins.

    « Allez, on va pas en faire toute une histoire, que j’dis autant pour lui que pour moi-même. On est entré dans la réserve sans faire toc-toc-toc et on va en ressortir tout pareil. »

    J’cale la caisse sur ma hanche, et j’pose la main sur son épaule. En une fraction de seconde, on est de retour dans la nuit, dehors, dans le froid, et la brève désorientation de la téléportation disparaît aussi rapidement qu’elle est apparue. J’me tourne vers Juste avec un petit sourire satisfait.

    « C’est plus pratique que de marcher, non ? Le seul risque, c’est que ça a tendance à rendre flemmard. Mais c’est bien utile quand tu te lèves à la bourre et qu’il faut être au commissariat à l’air pour patrouiller, j’te fais pas un dessin. »

    Et j’m’en suis servi plus souvent qu’à mon tour, même si parfois, c’est dur de réussir l’incantation quand t’as dormi deux heures et que t’es encore bourré de la veille. Puis ça prend un temps fou de viser le plumard de son ou ses occupantes histoire de pouvoir fermer la porte à clé. Enfin, on n’est pas là pour parler de ses histoires de jeunesse, y’a encore du pain sur la planche. J’jette un oeil autour pour me réorienter, et on se met en marche en direction de là où on avait vu la loupiotte dans la nuit. C’est qu’on va pas se trimballer tout ça jusqu’au bout, on va déposer, puis ensuite on se posera la question du capitaine Sarsky. J’le connais pas, évidemment : moins on connaît d’effraies, mieux on se porte, et on a soigneusement oublié les quelques officiers républicains qui ont été appâtés par une solde un peu plus importante, des responsabilités, ou ceux qu’on a gentiment poussé vers la porte pasqu’on en pouvait plus d’eux.

    L’obscurité me dérange pas, nyctalopie oblige, mais avec toute l’humidité de la ville à cause de l’attaque, on peut plus se déplacer de nuit sans avoir l’impression d’être dans un putain de sauna froid. Le brouillard disparaît difficilement au milieu de la matinée, et en pleine nuit, c’est pas faux de dire qu’on y voit comme dans un four. Enfin, avec les indications des rues, on retrouve quand même là où ils s’étaient arrêtés, et ils ont les mains à leu ceinture ou aux poches de leurs grands manteaux, pas si différents de celui de Juste, quand on jaillit des ombres.

    J’attends placidement qu’ils reconnaissent leur poto et se détendent, puis j’pose la caisse par terre.

    « Allez, c’est pour vous, qu’on se trimballe pas ça tout du long.
    - Patron ? »

    Mais le patron dit oui, alors ils se baissent pour soulever le chargement et le foutre sur le plateau de la charrette.

    « Pour la suite, faut trouver Sarsky. Aucune foutue idée d’où, mais y’a un bar à Effraies pas très loin, qui s’appelle le Hibou Moqueur. On pourra toujours essayer de se renseigner là-bas. »

    J’plisse les yeux en direction de Juste.

    « J’veux pas de désordre, d’effusion de sang ou quoi. Les Effraies ont beau tenir davantage du blaireau avec une plume dans le cul, ça reste des soldats de la République. C’est comme la GAR, des types un peu simples qui descendent tout juste de leur montagne dégénérée, mais c’est quand même la famille. Juste, éloignée, et qu’on maintient comme ça, mais bien utile quand il s’agit de rentrer la moisson. Clair ? »

    Pas envie de devoir enquêter sur ma propre série de meurtres.
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  • Dim 16 Juin - 15:08
    Ferg était dubitatif.
    Déjà, parce que c'était bien la première fois qu'un associé du chef le priait de ne pas malmener un représentant de la loi. Et ensuite parce qu'apparemment, ce type aux airs de brigands à belle gueule, et bien…
    C'en était un.
    Deux points inédits, qui auraient dû causer quelques mésententes entre le flic et le patron, puisque ledit patron ne manquait jamais une occasion -en général- de souiller les pavés d'un peu de sang de justicier. Et pourtant, alors qu'il venait de signaler -sans bredouiller- à des malfrats que l'idée de ne serait-ce que casser un nez était formellement proscrite, rien ne se passait. Un rictus en coin, Carl avait écouté le flic parler et puis…
    Il avait haussé les épaules.
    “-Bien sûr. On ne va pas massacrer un pauvre type simplement parce qu'il a bien fait son boulot.
    Si, c'était exactement ce qu'ils faisaient en général. A l'extérieur de la ville, y'avait une porcherie à ciel ouvert. Ils jetaient les morceaux aux cochons qui les boulottaient sans se demander d'où ça venait. Leurs proprio, deux petits vieux d'allure particulièrement innocente, ne demandaient qu'une trentaine de pièces d'argents par mois pour continuer à “oublier” de rentrer leurs bestioles.
    Un coup d'œil en direction de Darius lui indiqua qu'il n'obtiendrait pas plus d'explication de la part du vieux pirate à la mine aussi sévère que fermée, ce qui impliquait qu'ils devaient continuer de jouer les durs à cuire passablement mous. Des contrebandiers au rabais, qui baissaient d'un ton dès lors que les forts parlaient.
    Pour le bellâtre, qui aimait tant se lamenter des excès de violence de ses collègues, l’exercice se montrait étrangement avilissant. Comme si le fait d’avoir passé trop de temps en compagnie de la mort avait…
    Légèrement alterné sa tolérance à la banalité d'une vie de voyous normale.
    Sa déclaration faite, Carl semblait sur le point de passer à autre chose en se détournant pour rejoindre l'arrière de la carriole et vérifier que leur maigre stock y était bien installé. Ferg s'apprêtait d'ailleurs à l'imiter jusqu'à ce que son patron décide de s'arrêter dans sa manœuvre pour ajouter :
    “-Cependant.” L'indice d'un sourire mauvais manqua de naître aux commissures des lèvres du négociateur de la bande, alors que Carl faisait volte-face pour fixer l'officier. “En admettant que la méthode douce -celle que tu préconises- ne fonctionne pas, on va quand même sacrément se retrouver face à un mur.
    Darius pencha la tête sur le côté, les sourcils haussés et un soupir à peine discret franchissant ses lèvres rendues humides par la flotte que sa barbe récoltait dans la brume. Il ignora royalement un nouveau regard d’appel à l’aide de Fergusshon et se contenta de coincer ses pouces dans sa ceinture. Juste à côté des fourreaux de ses différentes lames.
    Ferg’, qui n’avait jamais été spécialisé dans l’art de l’intimidation discrète, se contenta d’observer la scène en tentant d'avoir l'air sérieux.
    Le boss s’éclaircit la gorge, son habituel sourire de connard ancré sur la mouille et ses deux mains grandes ouvertes juste au-dessus des oreilles, dans une tentative évidente de paraître “désarmé”.
    Personne n’y crut, pas même le flic.

    “-C’est vraiment pas pour te braquer, hein. Et, comme toi, je ne veux pas verser de sang inutilement… Mais force est de constater qu’on risque d’avoir un peu plus de mal à tirer les vers du nez d’une bande d’effraie à l’aide d’une simple métamorphose. Ils ont beau être des quiches, m’étonnerait franchement qu’ils crachent les petits secrets de leur taff à la sortie des bars, même le bleu le plus débile du monde évite de le faire s'il tient à sa gorge, par les temps qui courent…”Un soupir. “M’enfin, je te fais confiance pour trouver un moyen de les rendre sociables.
    Carl pensait bien au moins la moitié de ses dires. On ne pouvait reprocher à un officier pourri de rester un officier malgré tout, mais la situation demandait une certaine adaptabilité. Entrer dans un bar et tabasser le premier poivrot jusqu’à ce qu’il vomisse chaque nom de son arbre généalogique en cercle n’aurait aucun sens, tout comme celui de débarquer simplement dans la taverne en espérant intercepter les aveux alcoolisé d’un flic d'élite fier d’avoir fait ses preuves en saisissant -enfin- un gros coup. La solution devait donc se trouver quelque part entre les deux extrêmes, et faire preuve d'un minimum de violence restait tout indiqué.
    Surtout qu’ils manquaient foutrement d’effraie pour espérer entrer dans un bar à…Effraies.
    Mais, puisqu'il y avait un “mais”, les mirettes dorées de Pancrace trahissaient bel et bien le potentiel magique du bougre, comme le Serpent s'en était douté lors de leur premier échange. Métamorphe et adepte de la téléportation, l'officier avait, manifestement, un certain nombre de cordes à son arc. Le fait qu'il révèle ainsi ses atouts au compte-goutte, c'était faire preuve d'une prudence qui l'honorait mais aussi -surtout- un bon moyen d’augmenter significativement sa valeur en tant qu'associé.
    C'était principalement pour cette raison qu'au lieu de lui couper définitivement le sifflet après sa remarque sur le “grabuge”, Carl considérait véritablement l'idée de ne pas faire couler de sang de flic en adoptant une approche pacifique.
    Ça, et le fait qu'il était fort probable qu'un gars capable de se téléporter en un claquement de doigt pouvait tout à fait posséder des sorts en réserve susceptibles d'effacer toute sa bande de joyeuses drilles. Pas obligatoire. Juste probable. Ce qui suffisait largement.
    Un couple de ragondins longea l'une des murailles en construction encadrant le chantier, terminant de mettre à mal le début de tension s'étant installé dans la discussion. Fergusshon, un sourire en coin, suivi du regard les rongeurs aquatiques jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans une mare s'étant formée sous les fondations d'une baraque sans toits.
    Du menton, Carl désigna la carriole.
    “-Restez là les gars.

    Ils continuèrent à deux, silencieusement. Carl, les mains enfoncées dans les poches de son manteau, sur les talons de son camarade de fortune du moment. Ils traversèrent un carrefour dont deux des quatre voies se jetaient dans des ruines pas encore dégagées appartenant aux quartiers pauvres de l'est de la ville, s'enfoncèrent dans un réseau de ruelles baignant dans les ombres et la brume pour rejoindre une place au centre de laquelle trônait la sculpture des dieux seuls savaient quel bon samaritain immortalisé dans une position de penseur. La fontaine qu'il dominait était vide, ironiquement. Sans doute pour cause de réparation, ici aussi.
    A une trentaine de pas de là, une auberge comme il en existait des centaines à Liberty laissait échapper hurlements alcoolisés et notes de musiques hasardeuses de son trio de fenêtres ouvertes. Au-dessus de la porte d’entrée en bois blanc -qui dénotait singulièrement avec le reste de la façade, plus sombre et usée- ce qui ressemblait à un oiseau obèse au bec taillé grossièrement dans une pièce d’acier partiellement rouillée confirmait que l’établissement ne pouvait être que celui qu’ils cherchaient.
    Un sifflement faussement admirateur s’échappa des lèvres du mercenaire lorsqu’ils s’arrêtèrent à une distance respectable pour mieux admirer leur objectif du moment :
    “-Ça se voit qu’il vole pas souvent, leur hibou moqueur.
    Les deux billes malachite constituant le regard du malfrat se levèrent jusqu’aux cieux noircis par les nuages masquant lunes et étoiles avec une certaine forme d’égoïsme.
    “-Bon coco, soyons honnêtes entre nous.” Commença-t-il en s’efforçant de le paraître. “J’ai vraiment pas envie d’avoir d’emmerde supplémentaires alors on va y aller en douceur, à ta manière. Il nous faut une adresse. Idéalement celle de l'entrepôt où ils ont fourré mon stock, ou bien celle de Sarsky si il n’est pas là.” Par un temps et une situation pareils, le bar ne risquait pas d’être bondé, mais un soupçon d’optimisme désespéré ne pouvait faire de mal à personne. “En outre, si c’est vraiment un bar à effraie, j’ai foutrement pas envie non plus d’être le gars louche dont on se souviendra demain comme étant celui qui a posé des questions pénibles, parce que c’est le seul visage que j’ai. Je te laisserai parler pour ce coup-là. Si on trouve rien, on ne s'acharne pas et on se barre avant que ça devienne trop visible qu’on est des fouineurs. Ça marche?
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  • Sam 29 Juin - 10:36

    Un bar à Effraies, vraiment.

    On sait que y’en a, tout comme y’a des bars à bouchers, des bars à marins, des bars à officiers républicains. Mais on pourrait espérer que les taverniers ont le bon goût et l’intelligence de pas miser sur une clientèle aussi incapable et peu nombreuse. Ça doit vite ne pas être bien rentable. Enfin bon, on sait comment ça se passe : suffit que y’en ait quelques-uns qui se pointent un peu régulièrement dans un coin somme tout normal, puis qu’ils ramènent leurs potes, et en quelques semaines ou quelques mois, voilà que si t’es pas couleur locale, on te lance des sales regards quand tu pousses la porte.

    Pas qu’on en ait quelque chose à foutre : nous, on est officier républicain, et on met les pieds où on veut.

    Surtout quand on est assez nombreux.

    Là, ce sera moins le cas, donc faudra quand même faire un peu gaffe. Puis, à cette heure, il restera que les plus bourrés ou les plus fêtards, sans que la distinction soit claire entre les deux. Nan, ce qui m’emmerde, c’est que sinon, on risque de passer des jours à venir sonner chez les effraies dans l’espoir de croiser Sarsky. Et j’aurais bien voulu expédier cette affaire rapidement, sans laisser trop de traces.

    « Ouais, le but, c’est pas de se mettre tout le monde à dos, de toute façon. On rentre, on essaie de voir si Sarsky est là ou, plus probable, si quelqu’un l’a vu récemment et peut nous aider à lui mettre la main dessus, puis on ressort. Pas d’embrouille, pas de fioriture, pas de bagarre… Allez, souris. Quoique… »

    Ouais, parfois, vaut mieux garder un visage neutre.

    J’pousse la porte, et on est accueilli par une ambiance surchauffée et bruyante, alors même que y’a pas tant de gens dans la salle, et qu’ils occupent que les deux grandes tables du fond. Une poignée d’autres circule ou descend des verres à l’autre bout, sans que les deux groupes se regardent ou se mélangent. Derrière le comptoir, un gus immense, probablement pas tout à fait humain, avec un bras bardé de tatouages, nous regarde en essuyant un verre. C’est un vétéran, ça, pas de doute, entre les cicatrices, la marque d’une légion sur le biceps, et la façon de se tenir.

    J’approche en faisant un large sourire.

    « Deux bières, steuplaît. »

    J’pose les pièces devant moi pendant qu’il fait tourner le robinet du tonneau derrière lui. Un ou deux types nous observent, et j’ai toujours pas totalement décidé comment procéder. Est-ce que je demande au patron ? Est-ce que je vais voir les Effraies, avec leurs uniformes légers et leurs insignes ? Finalement, j’opte pour la solution qui semble la plus neutre. J’repousse la monnaie en direction du patron.

    « Dis, on m’a dit que si j’avais besoin, j’pouvais retrouver Sarsky ici. Tu pourrais m’indiquer lequel c’est ?
    - Sarsky, hein ?
    - Ouais. Un capitaine des Effraies. Je sais pas si tu vois c’est qui. »

    Faut pas parler trop correc’ pour être proche du peuple. Petit truc pour bien se mêler.

    « Oui, oui, je vois parfaitement. Le mieux, c’est de demander à ses collègues, là-bas. »

    Merde. Et en plus il a une diction tout à fait propre, ce qui me fait juste passer pour un bouseux. Bah, pas comme si je prévoyais de revenir ici, de toute façon. Ou alors à la faveur d’un contrôle fiscal ou d’hygiène, histoire de faire fermer le rade de ces putains de hibou. Ça leur ferait les pieds, d’en trouver un nouveau, hé. Et on referait p’tet bien pareil, tiens. Faudrait que j’en parle aux autres capitaines, j’suis sûr que l’idée les séduirait.

    Mais pour l’instant, c’est à moi d’être séduisant, alors avec Juste qui me suit, j’m’approche de la première table, et j’m’assieds au bord, sur un tabouret que j’crochète du pied. J’ai droit à des regards curieux, une des rares nanas de la tablée hausse les sourcils, et faut croire que mon charme naturel est pas tout à fait suffisant. Ou alors elle est trop bourrée pour se rendre compte qu’elle aurait aucune chance si j’avais pas trois grammes dans chaque bras. Bah, c’est pas un mal, j’veux juste ma réponse et repartir fissa.

    « Salut, salut. Dites, j’cherche un certain Capitaine Sarsky, on m’a dit que j’pourrais le trouver ici, il serait pas là par hasard ?
    - C’est pour quoi ?
    - On doit lui demander un truc, c’est privé, hein.
    - Ouais, ouais. »

    Il regarde autour de lui, puis la fille d’en face.

    « L’est pas là, si ?
    - Non, non. Dommage. »

    Ouais, merci, dommage, mes couilles.

    « Vous auriez pas une idée d’où on peut le trouver ? P’tet qu’il travaille encore.
    - Hm, nan, nan, il était pas de service hier et aujourd’hui.
    - Ah, merde. C’est que c’est plutôt urgent… »

    J’laisse couler quelques secondes, dans l’espoir qu’il supporte pas le silence et m’apporte lui-même une solution. Mais y’a pas d’idée qui tourne dans son bocal un peu vide, même pas un poisson rouge, et il se contente de mater celle qui nous écoute. Elle a pas l’air bien maligne non plus, mais c’est une condition nécessaire et suffisante pour devenir une Effraie, donc je lui en veux pas.

    « Embêtant, ça, qu’il ajoute pour meubler.
    - Ouais... »

    Normalement, psychologiquement, c’est le moment où les gens s’affaiblissent pour pas laisser le silence trop s’éterniser, et qu’ils donnent d’eux-même une information importante. Par exemple, ce qui pourrait m’intéresser, c’est l’endroit où il crèche, ou alors s’il a une soirée prévue quelque part et qu’on pourrait aller le cueillir. Encore qu’à cette heure, y’a toutes les chances qu’il soit parti se pieuter, surtout après deux jours de repos, vu que ça veut généralement dire qu’il va embaucher tôt le lendemain matin. Voire, même, dans le courant de la nuit.

    Mais mes deux effraies se contentent de regarder leurs bières, trop pleines pour que ce soit un signal qu’on doive leur en payer une.

    « Ouais, dommage. »

    J’évalue l’intérêt de demander aux autres, mais c’est que des hommes du rang, et notre duo a encore l’air d’être le moins pété du lot. On pourrait aller leur casser la gueule ou leur briser les doigts dans l’arrière-cour, sûr que Juste adorerait ça, mais ça ferait que nous attirer davantage d’emmerdes par la suite. Et, comme l’objectif était de pas laisser trop de souvenir de notre passage, j’ai l’impression d’être un peu coincé dans un cul-de-sac. J’pioche trois pièces d’argent de ma bourse, que j’empile soigneusement sur la table. Puis j’y ajoute une pièce d’or, brillante à la lumière des bougies.

    « Comme je disais, c’est très urgent. »

    Là, j’ai leur attention, et la nana déplace sa pinte pour masquer les quatre sonnantes et trébuchantes de la vue du reste de la table.

    « 7, rue des Peupliers, à côté de l’avenue des Plumes. »

    Y’a une thématique, mais j’m’attarde pas dessus. Je salue sèchement de la tête, on se lève, et on va vers la sortie en laissant nos bières sur place. De toute façon, elles étaient pas terribles, et j’veux garder les idées claires. Pasqu’une fois qu’ils se sont répartis l’argent, et qu’on est sur le pas de la porte, j’leur assène à tous les deux une bonne grosse attaque mentale. Entre la fatigue et l’alcool, ils se mettent à gerber partout en se tenant la tête, et j’maintiens encore un peu la pression. Ça devrait flouter un peu leurs souvenirs, et nos gueules devraient moins remonter. Enfin, j’espère. D’un autre côté, on va juste récupérer du stock, pas de panique.

    « C’est bon, Juste ? »

    Un peu plus de fioritures que prévu, mais on fait ce qu’on peut.
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  • Mar 16 Juil - 23:30
    Il y avait un petit jardin, devant le porche d'entrée menant à l'intérieur de la maison appartenant au prénommé Sarsky. Quelques mètres de verdures, encerclés par une palissade de bois blanc qui, à en juger sa taille -elle s'arrêtait à mi-hauteur d'homme- n'était là que pour informer le badaud d'où commençait la propriété privée et non le dissuader d'y pénétrer. Le quartier en lui-même, légèrement surélevé par rapport aux autres, ne semblait ni malfamé, ni touché par le moindre dégâts des eaux. Les autres maisons ressemblaient à celles de Sarsky : plus hautes que longues, un toit pointu et des fenêtres aux carreaux assez propres pour qu'on puisse distinguer les rideaux derrière.
    Même la pluie et la pénombre inhérente à une nuit déjà bien avancée ne parvenaient pas à rendre les lieux un tant soit peu sinistres.
    Il existait des dizaines d'autres endroits comme celui-ci, répartis aux quatres coins de la capitale, tous assez loin de la fondation Liberté pour que l'odeur de la pauvreté ne puisse pas venir incommoder les méritantes narines de leurs habitants. Des quartiers résidentiels, aux rues larges, animées et colorées, réservées aux représentants de la moyenne haute Républicaine : ceux qui ne décidaient pas, mais pouvaient parfois avoir le plaisir d'adresser la parole à la fine fleur de cette glorieuse société de vipère.
    A son arrivée, Carl avait appris à repousser sa répugnance pour ce genre de lieu et à profiter de la mollesse de certains de leurs habitants pour regarnir les caisses de La Sanglot. La médiocrité régnant dans les bas-quartiers était certes génératrice de crime odieux mais…l'ennui, la jalousie et l'ambition siégeant dans les esprits retors des relativement aisés n'avaient rien à envier aux pires coupe-gorge de la défunte Kaizoku. Et ils payaient mieux.

    “-Tu sais, j'ai côtoyé pas mal de mages mais c'est la première fois que j'en rencontre un sachant faire vomir toute une tablée sur commande.
    Carl marqua une pause le temps de lever le nez vers un ciel bien moins sombre qu'auparavant, où la lumière discrète de quelques étoiles parvenait à traverser les restes de la couverture nuageuse. Une nouvelle destination impliquait un nouveau trajet, effectué avec un empressement teinté de lassitude, les lèvres closes par une pluie continue. Maintenant qu'ils arrivaient à destination et que la minuit était dépassée depuis peu, le temps -grand prince- s'éclaircissait à défaut de se réchauffer.
    “-Ils vous apprennent à faire ça à l'office, ou c’est juste un talent personnel?” Une question rhétorique, qu'il ponctua en pouffant avant de s'arrêter devant leur objectif.
    Un coup d'œil en direction des volets fermés du 8 et du 6 de la même rue lui indiqua qu'ils n'auraient pas à souffrir de regards indiscrets. Du bout de la botte, le mercenaire poussa un portillon à la poignée flambant neuve dénotant franchement avec le bois sur lequel on l'avait fixé, puis pencha la tête sur le côté en lorgnant vers son comparse récemment employé.
    “-C'est moi qui parle cette fois. Tu devrais peut-être, tu sais…” Le mercenaire agita une main gantée devant son propre visage. “Changer de gueule. Enfin bref.
    D'un pas rendu hésitant par les pierres glissantes pavant le court chemin traversant le jardin pour remonter jusqu'à la porte d’entrée, le duo s’élança aussi discrètement que possible. A mi-chemin cependant, le battant entrouvert de la haute maison -motivé par un courant d’air froid- claqua sans pour autant se fermer en faisant trembler toute la chambranle autour de lui.
    Alors qu'il s'immobilisait comme Pancrace derrière-lui, le serpent plissa les yeux pour tenter d'entrevoir un soupçon de mouvement humain : l'indice d'un Sarsky somnolent, réveillé par les claquements incessant d'une porte partiellement dégondée…Mais rien ne vint.
    L'accès, au beau milieu de la nuit, demeurait entrouvert, laissant au passage entrer l'humidité d'une nuit sortant doucement d'une longue averse, sans que cela ne semble gêner quiconque.
    L'aura désagréable du brouillage magique enveloppa Carl aussitôt cette nouvelle information assimilée.
    “-J'ai un mauvais pressentiment.” Siffla-t-il en tendant ses mains devant lui.
    Quelque chose sembla se fissurer dans la réalité et un titan de bois et d'acier se matérialisa entre ses doigts.
    Le Juge n'avait plus grand chose à voir avec une arbalète. Le mécanisme de pompe qui avait remplacé sa manivelle, ses sept carreaux par coup et la baïonnette fixée sous son inquiétante gueule le catapultaient au rang d'œuvre d'art contemporain, improbable et sinistre.
    Le plus inquiétant restait le fait que l'arme fonctionnait, jusqu'alors, exactement comme elle le devait.
    Les yeux verts croisèrent l'or de l'officier.
    “-Simple précaution.
    On avait pas simplement laissé entrouverte l’entrée. On l'avait malmené. Pas enfoncée, seulement crochetée à moitié avant de frapper sa poignée comme une brute. L'aiguille à coudre utilisée pour cela était d’ailleurs encore coincée dans le verrou, une erreur qui arrivait souvent aux débutants comme aux malfrats aguerris mais pressés. Ils scrutèrent l'ustensile quelques instants avant de se décider à entrer.
    A l'intérieur, un hall d'accueil au parquet modérément humide les accueillit. Le manteau suspendu contre le mur de gauche -derrière la porte lorsqu'on l'ouvrait en grand- était sec et correspondait avec une exactitude révoltante à la tenue réglementaire des Effraies.
    A croire qu'ils aimaient vraiment s'habiller comme ça.
    La gueule de l’arbalète précéda son propriétaire dans le vestibule. Un chuintement provenant d’une langue passant le long de lèvres soudainement sèches accompagna leur lente arrivée. Avec précaution, ils fermèrent la porte derrière-eux.
    Une paire d’empreintes de bottes mouillées se dirigeait vers les marches d’un escalier ascendant et disparaissant dans les ténèbres de l’étage supérieur. Deux autres, semblait-il, s’étaient contentées de piétiner l’entrée en faisant les quatre cents pas. Du menton, Carl désigna les traces les plus aventureuses avant de commencer son ascension à leur suite.
    La première marche grinça sous son poids. Pas les autres.
    Au fur et à mesure de la montée, le clapotis des gouttes s’écrasant sur le toit et les fenêtres s’accentua. Un dernier sursaut d’intempérie avant le retour au calme ayant le mérite d’au moins couvrir une approche modérément discrète. A l’avant-dernière marche, le serpent serra les dents en percevant une odeur ferreuse qu’il ne connaissait que trop bien.
    Arrivés en haut, ils se retrouvèrent dans un petit couloir se terminant sur une double fenêtre avec balcon qu’ils ne prirent pas la peine d’inspecter.
    Puisque la lumière d’un feu mourant ou d’une bougie encadrait une porte close, au milieu du corridor.

    “-Bon bah j’imagine qu’on va s’arrêter là pour ce soir.
    Sarsky était bien là.
    Sur sa table de chevet, la preuve la plus évidente de son appartenance au groupe d’Effraies responsables de la saisie du stock disparu croupissait dans une bouteille coûteuse que son nouveau propriétaire n’avait pas jugé bon de refermer. Avachi dans un siège aux coussins de velours, face aux flammes timides de sa cheminée en pierre de taille, il semblait assoupi paisiblement, au premier regard. Hélas, sa chemise et son poitrail ouverts transformaient le paisible tableau en une parodie sordide dès lors qu’on venait se mettre entre lui et l’âtre faiblissant.
    “-Et bien sûr, t’as pas un sort pour faire parler les morts?” Grinça Carl en se retenant de cracher au sol à la vue du cœur posé sur les genoux du macchabée. Plus agacé que dégoûté, il se détourna du macabre spectacle pour poser un regard cerné par la fatigue sur le tableau de scène de chasse posé au-dessus du lit du défunt Effraie.
    Son meurtrier, entre deux coups de couteaux rageurs, avait vraisemblablement eu la bonne idée de gribouiller avec le raisiné en surplus quelques mots sur la toile.
    La lèvre supérieure tordue dans une grimace méprisante, le mercenaire traduisit les fanfaronnades à l’oral.
    “-Maudit sois-je.” Un rire sans humour secoua le serpent. “Ça je confirme. Si je trouve le misérable enfant de salaud qui vient de me priver de…” Les pupilles empoisonnées s’étirèrent soudainement, la faute à la réalisation du contexte, et leur propriétaire quitta l’oeuvre profanée pour se poser sur un représentant de la loi passablement désappointé d’avoir à découvrir le cadavre d’un autre.
    “-Mes condoléances, au fait coco. Je ne sais pas trop comment vous le prenez, quand un collègue passe l’arme à gauche. Mais si ça peut te rassurer, ce n’est pas de mon fait ni de l’un de mes gars.” Une précision mourut dans sa gorge, condamnée par sa prudence. Peut-être qu’un “celui-là” n’était pas la meilleure saillie à placer en de pareilles circonstances. Son arbalète en bandoulière, il fourra ses mains dans les poches de son manteau avant d’échapper un soupir las.
    “-Et puisqu’on ne peut pas trop remonter ça aux autorités compétentes sans être immédiatement placardés suspects numéro 1, j’serai d’avis qu’on se barre avant que les gars qui ont fait ça nous colle le meurtre sur le dos, mais c’est toi qui résous les enquêtes alors… qu’est-ce que tu veux qu’on foute?
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  • Mer 24 Juil - 18:01

    Merde.

    Merde, merde, merde.

    Le cadavre avec sa cage thoracique ouverte et le cœur qui bat plus depuis longtemps posé sur les genoux nous regarde avec ce qui pourrait être un sourire moqueur, ou une expression paniquée, ou l’air désolé de celui qui a l’habitude de décevoir. L’a surtout l’air d’avoir mal, et d’avoir commencé à se rigidifier. Ça fait pas mes affaires pour pleins de raisons : la première, c’est qu’on est mal parti pour retrouver la cargaison. La seconde, c’est que j’risque fort d’être très suspect, après avoir demandé son adresse à toute une bande d’Effraies en goguette. Et la troisième, c’est que n’importe quel enquêteur digne de ce nom qui s’en donnerait la peine pourra probablement remonter jusqu’à notre irruption dans le stock d’objets saisis par lequel on est passé plus tôt dans la soirée. La dernière, c’est que j’vais pas toucher la petite sœur de la bourse que j’ai croisée un peu plus tôt dans la soirée.

    M’enfin.

    J’vois rien de particulier à part du rouge un peu partout autour, quelques gouttes éparses par terre et une grosse traînée là où d’un geste vif, il a dû envoyer une gerbe de raisin. Pas de trace de chaussure, en tout cas, et juste des mots écrits vaguement sur le tableau moche qui surplombe le plumard. Juste a pas l’air choqué, ce qui est plutôt habituel quand on est un criminel à la tête d’un groupe peu recommandable, mais faut bien avouer que ça schlingue. Pas la faute de Sarsky : personne sent bien bon là-dedans, après tout.

    « Nan mais qu’il soit mort, c’est ballot pour lui. Par contre, ça veut dire qu’on va pas mettre la main sur le stock qu’ils ont retrouvé et saisit. Et, pire que ça, pour peu qu’on creuse un peu, ça risque de venir m’éclabousser les bottes. On file. »

    J’suis soulagé de pas avoir utilisé la moindre magie à l’intérieur, qui aurait pu laisser des traces pour peu qu’un enquêteur se pointe. En tout cas, on repasse la porte et on s’éloigne quelques rues plus loin avant de se mettre à l’abri d’un porche pour voir ce qu’on fait. Entre-temps, mes méninges tournent à plein régime, pasque la situation est pas folichonne, faut bien l’admettre. J’ai surtout peur que ça vienne me mordre, même si une analyse experte du cadavre montrera rapidement que ça peut pas être nous : ça faisait quelques heures qu’il était mort. Mais faudra justifier pourquoi on le cherchait, et ça risque d’être un peu plus délicat.

    Une option pourrait être de jouer franc-jeu et de remonter l’information comme quoi y’a un macchabée. Sinon, ils le trouveront que en fin de journée demain, p’tet avant si un voisin se dit que ça pue ou qu’il devait voir Sarsky pour aller acheter une demi-baguette. L’autre, c’est d’espérer que j’sois passé inaperçu au bar, et qu’ils vont oublier que deux gars louches sont venus leur demander des informations. J’y crois pas trop, même avec la biture, même avec l’attaque mentale. J’étais pas métamorphosé, après tout.

    « Ca va être compliqué pour la contrebande, je vais essayer de sonder à droite à gauche pour voir si Sarsky en a fait quelque chose. J’vais aller déclarer le meurtre, aussi, j’pense que c’est le mieux, pour pas que ça me retombe sur le paletot. J’vais pas te jouer de la flûte : si ça risque de me planter, tu tombes avec moi, ou alors faudra que la petite sœur ait beaucoup mangé ces dernières semaines. Ça sera la prime de risque. »

    J’le jauge un peu plus. La confiance est toute relative, mais il est venu avec des recommandations, et je sais que j’ai les miennes. C’est juste pas très pratique s’il s’agit de se retrouver au débotté. Et les inondations facilitent pas les communications, déjà pas rapides de base dès qu’il s’agit de passer sous l’œil vigilant de la loi, a fortiori avec la GAR qui patrouille régulièrement les rues. J’me gratte la joue en posant la main gauche sur le long poignard à ma ceinture.

    « Ca serait pratique si j’avais ta signature magique, pour pouvoir te retrouver si j’ai de l’avancement. Ça m’évite aussi de savoir où t’habites, ou qui sont tes potes ou tes employeurs, quels qu’ils soient. T’en dis quoi, Juste ? Vois ça comme une assurance ou un geste de bonne volonté en ma faveur. »

    S’il refuse, on trouvera sûrement un terrain d’entente, quand il sera cloué au sol qu’il aura plus le choix. Mais son brouilleur s’abaisse furtivement le temps que j’prenne ce que je veux, avant de revenir en place. Je peux jamais en vouloir à quelqu’un qui fait preuve d’une saine paranoïa, même si ça m’arrange pas. Quant à le retrouver s’il garde ça en permanence… On verra bien à ce moment-là, il va avoir besoin de dormir et de chier comme tout le monde, après tout.

    « J’te dirais bien que c’était un plaisir, mais y’a un léger goût d’inachevé, et faut que j’m’arrange pour bien tourner mon rapport, alors j’vais te laisser là. De mon côté, j’vais regarder pour les déplacements des articles de contrebande de Sarsky. Avec le meurtre, j’devrais avoir la parfaite excuse pour fourrer le nez là-dedans, pour peu que ça tombe à l’Office, comme il se devrait. De ton côté, si t’as besoin d’un appui légal… Tu m’dis. »

    J’me demande bien qui ça va être : les Effraies vont pas trouver ça bien rigolo qu’un capitaine de chez eux soit canné, mais ça tombe normalement sous la juridiction de l’Office Républicain. Par contre, est-ce que le contexte post-attaque de Liberty donne l’autorité à la GAR ? Vaut mieux pas, ils seraient foutus de foutre le feu au bâtiment pour pas avoir à s’en occuper. Nan, j’m’inquiète pas trop, personne va vouloir se rajouter du pain sur la planche, si j’dis qu’on prend, y’aura pas bézef pour quémander l’inverse.

    On s’adresse un signe d’au revoir rapide, et j’le laisse s’évanouir en l’espace de quelques pas dans la nuit.

    Belle saloperie, ça, encore.
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  • Sam 27 Juil - 19:52
    L’auberge de l’Iris -surnommée l'œil de verre- était un bouge comme il en existait des centaines d’autres en république. Son tenancier, Tareq - un borgne à qui son établissement devait son surnom - n’avait rien à envier, en apparence comme en comportement, aux ogres des comptines pour enfants. Prognathe, large comme deux hommes, lourd comme quatre, il mâchonnait constamment une pipe éternellement allumée crachant une fumée à l’odeur abominable que seuls les habitués parvenaient à encaisser lorsque les fenêtres étaient fermées. Située à quelques pas avant la sortie Sud de la ville, sa clientèle principale était paysanne, trop pauvre ou misanthropes pour vivre intra-muros et n’avait donc que rarement assez de monnaie pour s'enivrer au point de rouler sous la table. Les bardes qui s’y installaient chantaient et dansaient mal dans l’indifférence générale et les quelques courtisanes qui y passaient parfois pour occuper une chambre avec un ou plusieurs pauvres bâtards semblaient souvent plus proches des créatures de Puantrus que de celles d’Aurya. Le personnel ne valait guère mieux et demeurait trop patibulaire pour se targuer d’avoir une sorte de connivence avec la clientèle. Alors, évidemment, l’argent ne coulait pas à flot. Les fins de mois auraient pu être difficiles, si l’avarice de Tareq ne l’avait pas poussé à conclure des accords de plus en plus sombres avec des individus de plus en plus louches.
    Pour faciliter de nouvelles entrées d'argent, il avait dû d’abord débourser. Juste un peu. Juste de quoi faire quelques travaux, dans son sous-sol.

    “-Oh, tu sais…Tu te fatigues vraiment le gosier pour rien.
    Un chiffon déjà partiellement imbibé vint éponger le sang s’écoulant des paupières tranchées pour rendre sa vision à leur propriétaire. Ce dernier, allongé sur une table, pieds et poings liés à des chaînes ancrées dans le sol poussiéreux, parvenait avec peine à hurler lorsqu’il ne régurgitait pas de la bile entre ses dents serrées.
    “-Le sous-sol est insonorisé, coco.” Précisa Carl en abandonnant le tissu contre le visage supplicié avant de plonger ses bras tout au fond d’un seau d’eau, en-dessous de la table.
    Il faisait sombre ici. Pas de lustres ou de feu de cheminée pour illuminer les lieux. Juste des lanternes, celles des visiteurs, posées ici et là, aux quatre coins de la pièce, afin d’éviter de se prendre les pieds dans un tonneau, un tas de cordes, un trophée poussiéreux ou tout autre vestige jeté ici par le propriétaire taiseux de l’établissement au-dessus d’eux.
    Mila s’avança, une blouse de laine blanche posée sur les épaules, les doigts fins de sa main droite caressant la poignée de la machette battant son flanc avec une lenteur et une application obscène.
    “-’Faudra changer l’eau.” Marmonna Carl en lorgnant dans le récipient au contenu désormais aussi rouge que le chiffon posé sur la face du supplicié. Il retira ses bras, se redressa dans un concert de craquement de genoux et se détourna du macabre spectacle en s’étirant.
    Ferg’ et Darius attendaient devant la porte donnant sur l’escalier de sortie. Le premier, avachi contre la porte, en sueur, l’autre, assis sur un tonneau, l’air plus las que mal à l’aise.
    La médecin du groupe souffla sur la mèche blonde se balançant devant son front et pointa du menton la ruine humaine grelottant sur sa table malgré le froid.
    “-Et lui?” Roucoula-t-elle.
    Carl s’avança jusqu’au bossoir sur lequel reposaient couvre-chef et manteau. Il s’empara des deux, s’habilla à la va-vite et, le regard dans le vide, demanda d’une voix s’efforçant de paraître amusée malgré la fatigue :
    “-A ton avis, coco, qu’est-ce qu’on doit faire de toi?
    Le principal concerné, comme possédé, parvint à tirer suffisamment fort sur ses liens pour que les chaînes se tendent toutes, une à une.
    “-Confiée par un dieu, une malédiction est un don !” Psalmodia-t-il tandis qu’un long filet de bile et de sang coulait de son menton rendu gras par la sueur.
    Les yeux verts de son tortionnaire roulèrent dans leurs orbites.
    “-Les cochons, comme d’hab. En espérant qu’ils trouvent ce cinglé à leur goût.
    A cet instant, à l’entente de l’ordre implicite, ce qui s’apparentait à de l’amour se manifesta dans le regard de Mila. La large lame s’extirpa de son fourreau et elle se détourna de son chef pour s’approcher du prisonnier.
    Carl ne resta pas pour regarder.
    Mais il n’avait pas encore quitté la pièce lorsque leur invité beugla ses dernières paroles :
    “-Maudit sois-je!”

    ***

    Deux semaines étaient passées depuis la dernière entrevue entre le Père des Sanglots et son nouvel ami aux yeux dorés. Deux semaines passées à remuer ciel et terre, à graisser des pattes et à expliquer aux clients que la livraison “avait pris du retard”. La disparition en soit n’avait rien de très gravissime, ses fournisseurs n’étaient pas du genre à retirer leur camelote du marché à la première interception -ce genre de chose arrivait régulièrement par les temps qui couraient- mais l’égo du contrebandier en avait pris un coup. Lui qui, s’était jusqu’alors targué de toujours faire son job parfaitement, s’était retrouvé à faire un geste commercial à certains de ses acheteurs, à piocher dans sa propre réserve et à assurer que la prochaine livraison serait agrémentée de quelques cadeaux pour calmer les ardeurs des plus vindicatifs.
    Les risques du métier, bien sûr.
    Les journées passants les unes après les autres, l’investissement en temps et en ressource pour trouver l’origine de la mort de Sarsky et la disparition de son stock avait fini par coûter plus cher que le stock en lui-même. Un type plus avare aurait abandonné l’idée même de fouiller davantage dans les coins sombres, mais pas lui. Carl s’en foutait du fric. Le fric, il le dépensait. On l’avait coiffé au poteau. On avait massacré un type pouvant le conduire jusqu’à son butin et manqué -indirectement- de le faire accuser de meurtre. Que ça soit volontaire ou non n’avait pas d’importance. C’était devenu personnel à la seconde où quelqu’un avait coupé le sifflet de manière assez définitive à l’effraie responsable de tout ce remue-ménage. Depuis le début de l’inondation, avec le chaos qui s’en était suivi, des gangs émergeant avaient pris la place d’anciens. Certains, habités par des croyances morbides, prenaient un peu trop confiance en leur capacité à agir impunément à la fois aux yeux de la loi et à ceux de la pègre déjà active sur place. Alors, pour que le message passe bien : Le Serpent avait décidé de faire de ces abrutis des exemples.

    Pour ce faire, il avait déployé ses employés les moins recommandables. Les jouets coupants de Mila avaient fait chanter quelques cultistes qui ne manqueraient à personne. Ceux de Slick aussi. Darius avait recontacté quelques-uns de ses vieux potes et le cauchemar vivant qu’était devenu Alexey s’était manifesté dans les plus sombres ruelles de la capitale pour taper aux fenêtres de ses vieilles connaissances des Spectres.
    Maintenant, au rez-de-chaussée de l’Auberge de l’Iris, avachi sur le dossier d’un des sièges de la seule table à peu près propre du vieux Tareq, Carl fixait sa chope en grimaçant. Son contenu lui brûlait l’estomac, et il n’en avait pas encore bu une goutte.
    La porte d’entrée claqua derrière Joshua. Le patibulaire casseur de gueule traîna son corps simiesque aux muscles si grotesquement développés pour grommeler à l’attention de son patron les mots qu’il attendait :
    “-Y’a un p’tit minet aux yeux dorés qui attend dehors.”
    Le serpent opina du chef et sourit :
    “-C’est lui. Laisse-le entrer.
    Le géant acquiesça avant de faire demi-tour pour accompagner l’Officier à l’intérieur. Darius, les deux coudes posés sur la même table que son patron, bailla bruyamment avant de se lever pour aller chercher la jumelle de sa chope vide. Slick l’observa faire en grattant la partie de son visage que seule une mère pouvait encore aimer. La large cicatrice cracha quelques particules de peau morte en réponse à cette agression soudaine et Ferg -le bellâtre de la bande- attrapa son verre de vin à la va-vite pour éviter que certains lambeaux atterrissent dedans.
    Certains criminels détestaient les flics au point de manifester une haine irraisonnée même auprès de ceux qui venaient leur filer un coup de main. Ce n’était pas le cas des quelques membres de la Sanglot présents ici-bas. Ils saluèrent avec le sourire le nouvel arrivant lorsqu’il se faufila entre les tables pour s’installer et les plus chaleureux lui déconseillèrent de prendre la piquette que le taulier vint aussitôt lui conseiller. Et puis Carl, sans même attendre que l'irascible Tareq puisse encore entendre ce qu’ils avaient à se dire, commença :
    “-La Congrégation.
    Ca faisait toujours son petit effet, de lancer une conversation en crachant un terme aussi mystérieux.
    “-J’sais pas si ça te dit un truc. Mais c’est ce qui est remonté chez nous.” L’un des employés de Tareq, une espèce de raclure voûtée au visage couvert de verrues, s’approcha de la cheminée brûlant derrière le chef de bande pour jeter la moitié d’un tronc dans le feu. Ce dernier accueillit ce don en émettant un flot de crépitement qui valut à l’intervenant une foule de regards de reproche. “C’est…Euh…L’amicale des gangs à sectes de Liberty. En pleine effervescence depuis le bordel qu’il y a eu, avec la flotte, l’assemblée, tout ça... Vu que l’autre avait le cœur sur les genoux et des écritures bizarres sur les murs, mon p’tit doigt m’a dit que ça venait d’un délire comme ça. Et j’ai pas tapé loin apparemment.
    Alexey se manifesta sans saluer quiconque. Ceux qui le virent arriver dans le dos de Ferg’ se gardèrent bien de le prévenir et c’est dans un sursaut que le blond accueillit l’arrivée de l’ancien Spectre du groupe. Le masque mortuaire qui lui servait de visage se tourna vers Pancrace et l’assassin répéta le rapport qu’il avait fait à son patron, quelques jours auparavant :
    “-La Congrégation, c’était un terme un peu vague avant. Surtout pour vous. Des types qui en sacrifient d’autres. Des cinglés qui reconvertissent des clodos en prêcheurs et qui vendent aux paumés des herbes qui ramollissent l’esprit pour le rendre plus perméable au divinisme. Y’a toujours eu des tarés dans les gangs. Mais maintenant que les quartiers Shoumeïens débordent…C’est devenu une vraie organisation.
    Carl repris en s’éclaircissant la gorge :
    “-Note bien qu’on est pas racistes hein, on vient de Shoumeï. Mais certains de nos anciens compatriotes n’ont pas su retomber sur leurs pattes correctement et faire un travail honnête.
    La tablée se laissa aller à un rire de groupe. Darius revint avec sa chope remplie et posa son séant sur la table d’à côté après l’avoir rapprochée de celle qu’ils occupaient.
    “-Bref.” Le Serpent s’efforça de reprendre son sérieux en conservant un demi-sourire aux lèvres. “On a commencé à poser des questions à certains gars notoirement connus pour avoir bossé avec les différents gangs de la Congrégation. Y’en a un -particulièrement siphonné- qui nous est littéralement tombé dans les pattes alors qu’il fuyait une patrouille, alors autant te dire qu’il a parlé sans trop de mal lorsqu’on lui a posé les bonnes questions. “Ce n’était pas exactement comme ça que ça s’était passé, et il allait falloir passer un peu de temps au sous-sol pour retirer tout le sang que ce malade avait perdu, mais inutile de s’attarder sur le contexte de l’interrogatoire. “Et ce pauvre connard a commencé à nous expliquer qu’un des gangs mineurs de la Congrégation : Les Siffleurs, était devenu soudainement incontrôlable depuis peu. Ils s’éloignent de leurs anciens associés, vont jusqu’à attaquer certains. Apparemment le bras droit s’est débarrassé du grand chef et a pris sa place. Un grand classique quoi. Sauf que : Les Siffleurs, leur rôle dans la congrégation, c’est de fournir aux autres sectes des organes bien frais pour leurs rituels bizarres.
    Carl marqua une pause, le temps de pousser sa choppe vers Darius et l’inviter à terminer à sa place.
    “-Et des organes, mon stock en avait un paquet.
    Court silence.
    “-Rien de sordide, certains de mes clients sont des scientifiques, ne me regarde pas comme ça.” Il se pencha un peu sur la table, le front plissé par la concentration, et poursuivit : “Et c’est là que je me dis que ça commence à faire beaucoup de coïncidences. Un gang faisant dans la revente d’organes qui devient parano pile au moment où on retrouve le macchab’ du paumé qui avait saisi mon stock…bon. C'est une piste un peu trop belle pour pas la suivre, tu crois pas?
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  • Mar 6 Aoû - 17:58

    Les deux dernières semaines ont pas été rigolotes, faut bien l’admettre.

    Après avoir déclaré le cadavre de Sarsky, il a fallu prouver que j’étais pas le coupable ou en contact avec lui. Heureusement, une analyse du macchab’ a montré qu’il était mort plusieurs heures auparavant, et que j’avais un alibi. Même Juste a pas pu échapper à quelques soupçons de circonstances, que j’ai balayé difficilement en évoquant le fait que c’était un informateur en lien avec Sarsky, tout pile. Le pauvre vieux sera plus là pour dire le contraire, dans tous les cas. Personne a fouillé de trop près la cargaison dérobée et l’officier qu’a pris un coup de poing, heureusement. Pas de lien évident, manifestement, mais ça les a dérangés que ça ressorte juste comme ça.

    Bah ils auront qu’à mettre davantage de sécurité.

    Une fois mes arrières couverts, ce qui est quand même la partie la plus importante du bouzin, l’a été temps de se pencher sur la mort mystérieuse du gus, avec une décoration toute spéciale. Le coeur sur les genoux, ça a rien remonté de vraiment concluant. Les mots non plus. Faut bien admettre que c’était une sacrée purge, de se taper les vieux parchemins des collègues, avec leur écriture de cochon et leurs notes approximatives. Et j’ai fait chou blanc, et ça c’est moche.

    Donc j’ai abandonné : j’ai déjà touché une belle quantité de pièces, je vais pas non plus me crever à l’ouvrage pour une vieille cargaison de contrebande, quand bien même la paye serait bonne. En plus, les Effraies m’ont bien fait suer pour m’empêcher d’accéder à leurs archives. Je dis pas qu’on n’aurait pas fait pareil, mais ça casse bien les couilles, surtout alors que j’essaie d’enquêter sur la mort d’un gars de chez eux. Aucune reconnaissance, les types. Mais bon, à leur place, moi aussi j’essaierais de faire ma popotte dans mon coin.

    Du coup, quand Juste m’a recontacté pour me dire qu’il avait une piste, d’une, j’étais surpris. De deux, j’me suis demandé si j’avais pas la flemme. De trois, j’me suis rappelé que la paye était plus que bonne. Puis c’est pas bien de pas finir ce qu’on commence, hé ? Ca serait dommage d’avoir des regrets derrière. Mais quand il a dit où il fallait se radiner, j’ai fait la gueule. Pas que j’ai peur, juste que c’est loin et chiant. Y’a des coins où on se déplace en escouades complètes plutôt qu’en binômes ou en solo, et d’autres où on va plutôt pas.

    Moi, j’ai jamais eu besoin de finir dans un rade aussi moisi que celui dans lequel j’viens d’entrer.

    J’attire les regards : je ressemble pas à la glaire d’un vieillard unijambiste à qui il reste qu’une chicot et demi. Heureusement, j’arbore pas les insignes, normal quand on travaille à son compte, pasque j’pense pas que ça mettrait un sourire sur le regard des gens rassemblés présentement. Juste commence à déballer ce qu’il a pu trouver, et j’ferme ma gueule pour l’instant en contemplant d’un air maussade la boisson que j’ai devant moi. J’y trempe les lèvres sans conviction, pasqu’il faut tout goûter il paraît. Puis j’repousse le machin un peu plus loin en espérant qu’on croisera une fontaine ou un puit par la suite pour me rincer la bouche.

    « La Congrégation ? Honnêtement, ça me dit rien. »

    En tout cas, j’ai rien trouvé en lien avec ça. Si c’est récent, c’est pas déconnant, surtout s’ils essaient d’être un peu discrets. P’tet que les chefs, le SCAR ont des parchemins avec des bribes d’informations. Pas les Effraies, ça supposerait qu’ils sachent lire et écrire. Quoique si on en croit les dernières rumeurs, au SCAR, on utilise des méthodes toutes particulières pour le recrutement et la gestion des ressources humaines...

    J’tapote le plateau de la table, qu’a connu des jours meilleurs, comme tout le cadre.

    « C’est la meilleure piste. En tout cas, moi, j’ai pas mieux. »

    Cette histoire de stock d’organes me reste un peu en travers de la gorge, et mon regard parcourt chacun des membres de la bande de Juste. J’retiens leurs tronches, leurs corpulences, et, surtout, leurs signatures magiques. Y’a que celle du chef qui reste masquée, mais j’ai déjà en mémoire, vu qu’il a été gentil. Prochaine fois qu’on me parlera de barbaque, j’aurai une p’tite idée d’où venir poser des questions, c’est certain. Après, si la paye est bonne, j’suis pas du genre à mégoter, normalement, mais les rituels louches d’une bande de dégénérés du Shoumeï, quand on voit où ça a mené la confédération théocratique, ça fait réfléchir : hors de question qu’on importe le pire de leurs pratiques stupides.

    « Ils viennent aussi, les autres ? Qu’on porte pas tout le stock nous-mêmes. »

    Pasque j’espère bien qu’on le trouvera, ce coup-ci. A défaut, si on arrive à chopper ceux qui ont dézingué Sarsky, ça rendra les chefs contents, surtout s’ils partent en couilles comme ça. Donc avec un entrain tout relatif, on se lève tous, pour partir en laissant de quoi payer les rares boissons sur place. Le patron marche rapidement pour prendre son dû, et nous observe jusqu’à ce que le porte se referme. Dehors, on laisse un des fifres de Juste prendre la tête du groupe, et il nous mène de ruelle tortueuse en chemin boueux, et les virages sinueux des quartiers les moins... favorisés... de la capitale.

    Le groupe est suffisamment large pour que les regards qu’on nous adresse basculent rapidement de la curiosité à la crainte, et que les rares badauds, sûrement pas plus recommandables que nous au demeurant, disparaissent comme neige au soleil. J’remonte le capuchon de ma cape, prévue pour l’occasion, et pour cacher vaguement mon identité. J’ai toujours trouvé que les gens qui mettaient ça étaient des méchants de pacotille, donc c’est marrant de rejoindre leurs rangs.

    J’suis juste déçu, j’aurais dû acheter un galurin comme celui de Juste, qu’on rigole un peu.

    Puis, petit à petit, les gars qui nous entourent prennent des ruelles transversales. Une vérification rapide confirme qu’ils se content de suivre des chemins détournés mais qu’ils vont dans la même direction que nous, et rapidement, on se retrouve simplement à trois, à patauger dans la boue nauséabonde. C’est que les opérations de nettoyage de Liberty, elles commencent par la Maison-Bleue, le Sénat, les boulevards et les manoirs des riches. Pas la merde des pauvres. Pas que ça surprenne qui que ce soit, et j’pense qu’eux-mêmes sont ravis de cet état de fait.

    Puis celui de tête se blottit contre un mur et jette un regard précautionneux derrière le coin. On attend placidement, appuyés à côté de lui, et j’étouffe un baillement. Puis il montre du pouce alors j’me penche pour jeter un coup d’oeil. Y’a pas de doute, on est face à un genre de masure branlante, avec des renforcements en bois qui ont eux-mêmes besoin de leurs propres renforts, constitués de tout un bric-à-brac douteux : caisses, moellons, cailloux, meubles éventrés. Un brasero tremblote à côté de l’entrée, et une orque se réchauffe les mains en crachant toutes les dix secondes dedans.

    « C’est là ?
    - Oui, répond poliment le sbire.
    - Y’a que ça comme sécurité ? C’est un hangar derrière ?
    - Un sous-sol, a priori.
    - Rah putain, j’déteste les souterrains et les égoûts...
    - Normalement, on tient aussi les autres sorties, hein, patron ? »

    Il dit ça en se tournant vers Juste, qui confirme. Hé, s’ils sont faits comme des rats, alors y’a plus qu’à rentrer dans le lard.

    « Tu prévoyais une approche subtile ou tu voulais t’annoncer ? C’est que ça pourrait faire désordre dans tes affaires... ou au contraire t’arranger. Moi, tant qu’on choppe les coupables pour Sarsky vivants et que t’as ton stock, je suis pas chiant. »

    Disons que ça m’arrangerait plus que bien.
    Citoyen de La République
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    Carl Sorince
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    qui suis-je ?:
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  • Mar 20 Aoû - 21:26
    D’aussi loin qu’il se souvenait, Carl avait toujours apprécié la République pour le pragmatisme de ses innombrables habitants. De toutes les nations du continent -au nombre incroyable de deux, depuis le drame de Shoumeï- la bleue avait toujours su se détacher de la morale. Corrompue, dévorée par l’appât du gain, elle ne faisait preuve que d’une hypocrisie de surface concernant sa nature que ni ses dirigeants aux dents trop longues ni son peuple ne se fatiguaient à relever. Bien sûr, de l’extérieur, la faction des plaines verdoyantes et des annexions discrètes prônait l’acceptation et la bienséance. Elle était bien loin de se perdre dans de cruelles croyances comme le défunt peuple de Bénédictus ou dans la sordide stupidité braillarde des barbares d’Ikusa mais, une fois à l’intérieur…Personne n’était dupe. Certes, il n’y avait pas d’Empereur autoproclamé ou de dieux cruels pour dicter une seule et même marche à suivre. Mais il y avait tout de même un culte majeur, implanté dans ses vertes prairies comme dans ses villes depuis bien longtemps. Trois divinités : L’or, l’argent et le cuivre. Et elles n’avaient aucun textes sacrés autorisant ou interdisant les coups les plus foireux.
    Alors, forcément, un tel environnement ne pouvait que forger des esprits avares et pragmatiques. A Justice, Courage ou Liberty, que ça soit auprès des puissants ou dans les plus sombres bas-fonds, la fin justifiait toujours les moyens.
    Puisque c'était bien la fin qui avait motivé l'officier républicain Pancrace Dosian à accepter d'aider un type louche à retrouver son stock “égaré”, moyennant finance, tout comme c'était elle qui l'avait fait débarquer dans un bouge infâme, où la bière rance qu'on servait goûtait plus les latrines que le houblon.
    Et c'était également la fin, qui l'avait motivé à s'enfoncer dans les profondeurs de la ville pour se tenir aux côtés d'une bande de scélérats de la pire espèce du genre de Slick - le balafré qui le fixait en reniflant sans cesse - pendant que son patron pinçait les lèvres en butant sur la dernière phrase prononcée.

    “-On va y aller de manière directe mais...Hm. Définis “vivants”?
    Le chef de bande et son fils favoris laissèrent échapper un jappement censé évoquer un amusement quelconque.
    “-Je plaisante, bien sûr.
    Puis il se détourna pour s'avancer jusqu'à l'orque frottant ses mains -bien trop vertes au goût d'au moins deux de ses trois visiteurs- devant le brasero précédemment mentionné :
    “-Ravissante demeure. Vous avez fait construire ?” S'annonça-t-il en pointant du menton la ruine que la colosse surveillait.
    “-Qu'est-ce qu'y veut ?” S'agaça immédiatement l'intéressée.
    Les yeux du mercenaire roulèrent dans leurs orbites.
    “-Hé bien, visiter.
    Court silence. Les phalanges de l'orque, après un rapide passage dans son manteau, se teintèrent d'or. Ce n'était pas du tout un don de métamorphose. Juste des cestes enfilés à la va-vite.
    Slick dépassa son chef pour découvrir ce que sa propre cape dissimulait et le teint de la gardienne sembla passer du vert au blanc.
    Principalement parce que la lame de ce sabre avait une bien meilleure portée que ses poings, aussi couverts de cornes pouvaient-ils êtres.
    “-C'est bien assez près comme ça.” Feula-t-il, un sourire dans la voix.
    Après un court instant de réflexion, l’orque décida que le sabreur avait raison et alla d’elle-même ouvrir la porte.

    L’intérieur était…aussi miteux qu’on pouvait s’y attendre. Guère plus qu’une remise glorifiée, un couloir de détritus, de fûts, de caisses et de pièges à rats donnant sur un escalier descendant dans les ténèbres. A peine la porte refermée, Carl et Pancrace purent percevoir, derrière-eux, le bruit sourd d'un corps s'écrasant sur la roche d'un sol couvert de mousse et se retournèrent pour découvrir un Slick accroupi au-dessus de la gardienne de la porte.
    “-Elle respire.” Précisa-t-il en exposant le pommeau cabossé du sabre avec lequel il venait de pacifier leur hôte. “On est jamais trop prudent.
    Carl haussa les épaules pour faire volte-face, puis salua la silhouette longiligne qui remontait les escaliers en chassant les ombres pour venir à leur rencontre, une torche à bout de bras.
    “-Patron.” Lui rendit Alexey dans un signe de main. “Y’a moins d’gardes que prévu.
    Et de fait, il y en avait moins.
    Beaucoup moins.

    Le maître des lieux les attendait en bas, avachi sur un siège de bois au milieu d'une salle empestant la poussière et la moisissure, trop vide pour être honnête. Son seul et unique protecteur restant, une imposante brute portant une armure de plate rouillée à la manière des anciens croisés de la défunte Shoumei, les salua d'un hochement de tête, la main posée sur le pommeau de l'épée droite pendant dans le fourreau accroché à sa ceinture. Carl lui rendit son salut. Et le vieillard dans son siège, celui qui avait l’air d’être le maître de ces lieux miteux, entama les hostilités :
    “-Pour quels nouveaux griefs vais-je donc devoir être puni, cette fois?
    Le venimeux regard du maître des Sanglots passa du vieux au chevalier, à la recherche d’un signe de détresse de la part du premier pouvant déclencher un excès de colère de la part du second, mais rien ne vint. Il n’était même pas vraiment vieux, en réalité. Usé, sans l’ombre d’un doute. Les traits creusés par la vie, mais pas par un âge avancé puisque ses courts cheveux bruns n’étaient même pas encore grisonnants. Ses petits yeux d’un bleu perçant le scrutaient à travers l’obscurité et il semblait respirer à grande peine par la bouche. Les bougies d’un lustre suspendu par une chaîne au plafond faisaient luire la sueur perlant de son large front et les pierres précieuses serties dans les trop nombreuses bagues recouvrant ses doigts. Le rictus de douleur qui déformait ses traits, Carl le connaissait bien. C'était celui d'un homme qui se remettait d'une sale blessure, probablement infligée à la hanche droite vu la manière dont il se tenait.
    D'un doigt, Slick désigna le blessé et devina -en même temps que son patron- le pseudonyme et le titre du bonhomme.
    “-Vous êtes le Saint !” Déclara-t-il, l'air enjoué.
    Le concerné se laissa aller à un rire qui se termina en quinte de toux. Son chevalier se détourna des invités surprise pour scruter ce qui semblait être son seigneur, mais ce dernier l'apaisa d'un geste de la main empestant la vieille noblesse.
    Rien que ce qui se trouvait sur ses doigts pouvait suffire à acheter une baraque, dans certains coins de la ville. Et les riches tissus qui composaient ses vêtements traditionnels de la haute de l’ancienne Bénédictus en disaient long sur son statut de jadis.
    “-Peut-être l'ai-je été pendant un temps. Mais je ne peux plus prétendre à ce titre, maintenant.
    Les yeux du serpent se plissèrent après avoir scruté l'absence de possessions autour de l'accablé et de son clinquant animal de compagnie.
    “-On m’a raconté que l’ancien chef des Siffleurs était mort. Poignardé par son bras droit.
    -Des rumeurs légèrement exagérées, même si il est vrai qu’il y a eu une histoire de poignard. Je vais mieux.” S’amusa le faux vieil homme. “Grâce à Sir Aaron, j’aime autant vous le dire.
    Le chevalier ainsi présenté se frappa le torse du poing et Carl estima qu’un quelconque vœu de silence motivait son évidente absence de conversation.
    “-Mais comme vous pouvez le constater, mes…” Quelque chose comme une glaire ou un caillot de sang remonta la gorge du déchu et il se couvrit la bouche d’un mouchoir.”Fidèles ont préféré délocaliser toutes mes possessions avant mon retour.
    -Comme c’est prévenant de leur part.” Siffla le serpent entre ses crocs serrés avant de jeter un regard excédé à Pancrace, une œillade dont la signification se situait entre “C’est pas encore maintenant qu’on va retrouver mon stock” et “t’es certain que tu les veux en vie?”.
    “-Et j'imagine que vous ne savez pas vraiment où les gens ont embarqué votre bordel?” Relança Carl, à la volée, sans trop savoir s'il souhaitait tirer dans la tête de ce type déprimant ou le laisser pourrir dans son sous-sol.
    “-Si, bien sûr que je sais.
    Une nouvelle étape d'un long, trop long jeu de piste.
    “-Mais si c'est d'informations dont vous avez besoin, permettez-moi de vous dire monsieur…
    -Carl.” S'agaça l'intéressé.”Juste Carl.
    -Vous vous êtes fourrés dans un sacré pétrin, Carl.

    Le chef mercenaire ôta son chapeau pour se gratter l'occiput et s'ébouriffer les cheveux. Alexey, qui s'était retiré dans les ombres sitôt leur groupe arrivé au bout de l'escalier, interrompit leur ravissante conversation en s’avançant dans la lumière, accompagné d'un Darius à la barbe trempée et aux yeux exorbités par l'urgence.
    “-On a un problème, patron.
    Carl le devinait sans grand mal.
    “-Il s’est remis à pleuvoir ?” Grinça-t-il en lorgnant vers les gouttelettes s’échappant du menton du vieux pirate.
    “-Ouai.” Confirma Darius. “Mais y’a surtout un paquet de types qui se rassemblent dehors. Et ils sont armés.
    Le rire du déchu, rendu gras par sa convalescence, résonna dans le sous-sol et hérissa le chef de bande aussi sûrement qu’une lame l’aurait fait en rappant contre la craie.
    “-Mon remplaçant est du genre obsessionnel. Et il est possible que ce que je lui ai pris lors de notre dernière rencontre ait sublimé ce trait de caractère.
    Avec une fierté tout à fait déplacée, le blessé tira du col de sa tunique ce qui lui servait d’amulette.
    Une main entière. Tranchée au niveau du poignet.
    “-Putain.” Jura Carl tandis que le géant de Mithril et de bois marin qu’était le Juge se matérialisait entre ses doigts.
    “-Nous étions préparés à rejoindre les gardiens, aujourd'hui.” Continua le Saint.”Mais les dieux vous ont placé à la croisée du chemin, il semblerait. Un soupçon de Justice existe donc en ce monde.
    Les malfrats se dispersèrent. Carl alla se plaquer contre le mur dans l’angle de l’escalier d’accès et Alexey s’agenouilla pour viser le lustre et tirer dans sa chaîne, qui lâcha dès le premier carreau.
    “-Tu te débrouilles, dans le noir ?” Demanda le Serpent à l'Officier Républicain camouflé parmi eux, alors que les cordes de son arbalète se tendaient une à une.
    Une question rhétorique, pour un type qui avait littéralement des torches dans les yeux. Slick mouilla son pouce et son index d'un coup de langue avant d'écraser chacune des flammèches restantes entre ses dextres.
    “-Sauvez-nous. Et je vous dirai tout ce que je sais sur les Siffleurs et la Congrégation.” Promis celui qui ne souhaitait, au final, pas tant que ça rejoindre ses dieux.
    L’obscurité les recouvrit en silence. Et puis les échos lointains d’une porte qu’on enfonçait parvinrent à leurs oreilles.
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