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    Alasker Crudelis
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  • Sam 18 Fév - 14:49
    Il n’était pas encore Iratus. L’arène n’avait pas prélevé en lui assez de sang et d’orgueil pour que son esprit belliqueux se perde dans une rage guerrière éternelle, mais sa colère brûlait déjà autant qu’un feu de forge, dans les marais. Elle s’était totalement éveillée à l’entente des paroles de l’indigène et des grognements gutturaux de la bête que le loup chassait, car ces simples mots échangés dans la panique témoignaient de son incapacité à devancer ce faux-titan. La créature connaissait mieux son territoire que lui, évidemment, l’inverse aurait été d’une bêtise absurde.
    Mais ça ne l’avait pas empêché de continuer. Le chasseur se devait de défier une fois de plus la vie, ne serait-ce que pour faire taire ce qui lui nouait l’estomac avec de plus en plus d’ardeur. Cette maladie étrange que, dans sa fierté, il se refusait à appeler “peur”. Ce combat, le loup le menait autant contre le faux-titan que contre lui-même et son égo le forçait à s’estimer le plus dangereux des deux adversaires. Alors, même lorsque les voix s’étaient tues. Même lorsque ses sens inhumains avaient perçu l’éloignement de l’indigène et le lent glissement du reptile s’enfonçant dans les profondeurs, il avait continué sa course. Sautant par-dessus les trous d’eaux, forçant la pointe de ses genoux si bizarrement inclinés à découper la surface de l’onde et maintenir la cadence effrénée de cette poursuite ayant d’ores et déjà échouée.
    Et à chaque pas, impressionnée par la hardiesse avec laquelle son porteur se précipitait vers la mort, l’horrible et singulière sensation reculait un peu plus aux tréfonds de son esprit. Petit-à-petit, alors qu’Alasker prenait conscience que la mort lui importait moins que la victoire, l’innommable peur perdait son emprise sur lui pour redevenir ce qu’elle avait, jusqu’à maintenant, toujours été : Un inconcevable et inatteignable concept d’être humain.
    Galvanisé par cette première victoire, le loup redoubla d’ardeur pour se jeter dans le piège du monstre, fermement décidé à vaincre même dans la mort.
    Et lorsque celle-ci vint, prenant la forme de la gueule d’un gigantesque reptile surgissant des eaux, tous crocs dehors, il était prêt.

    ***

    L’humeur n’était pas bonne parmi les gars encore intacts. Solis n’était pas le seul vaincu. Dickon était mort écrasé sur la berge, Kertz demeurait introuvable et trois gars étaient assez blessés pour avoir besoin d’un peu plus de soins que de simples bandages. En outre, la violence de l’attaque -aussi primitive pouvait-elle être- impliquait une force tout bonnement cauchemardesque et ce détail n’échappait à aucun des survivants. Rassemblés non loin de l’arbre aux pieds duquel ils avaient retrouvé Solis, ils se sondaient du regard en s’efforçant de chasser les nuages de moustiques attirés par le sang refusant de sécher à la surface de leurs peaux.
    Erik, assis sur un rocher couvert de mousses dépassant de la terre éternellement boueuse inhérente à ce type de milieu, s’était réfugié dans le silence. Il savait bien qu’ils attendaient un mouvement, un mot, quelque chose de sa part. Personne n’avait jamais pensé à établir une chaîne de commandement véritable dans leur bande, mais un accord tacite laissait entendre que l’ancienneté et le niveau de compétence dans l’art du meurtre influaient sur l’autorité que chacun pouvait avoir.
    Les hurlements de rage lointains d’Alasker impliquaient que leur champion était trop occupés pour décider quoi que ce soit. Solis était mort. Seul demeurait le duelliste, assis sur son rocher, fixant de ses yeux bleus et froids les ténèbres de la jungle les encerclant. Jamais, auparavant, le grand blond ne s’était senti aussi perdu. La mort les avait frappé avec la force d’une comète, Alasker, hors de contrôle, les avait tout bonnement abandonné et, maintenant, simplement parce qu’il savait mieux tuer que les autres -et aussi parce que tous l’associaient à la figure presque rassurante du Lycanthrope- tous ces imbéciles restaient suspendus à ses lèvres, comme si ses mots allaient miraculeusement changer l’insupportable situation dans laquelle leur troupe s’était volontairement enfoncée.
    Que pouvaient-ils faire? Trois morts, trois blessés, sur une douzaine de gars. Un ennemi invisible et inatteignable, que seul Alasker avait encore la foi de “chasser”. Et cette putain de jungle pompant le reste de leur sang sans discontinuer depuis le début de la nuit. Quelles étaient leurs possibilités? Leur champ d’action était aussi restreint que possible par la brume dévorant la berge.
    Sur sa gauche, Klein tapotait l’épaule de Robertson, qui demeurait assis par terre, l’air hagard, tout à fait concentré dans sa respiration rendue difficile par l’une de ses côtes brisées. Il ne toussait pas, au moins. Mais ça pouvait changer.
    “-Qu’est-ce qu’on fait alors?” Osa finalement Pierce, en le fixant sans la moindre honte. Il avait l’air d’un benêt, avec son bandage improvisé lui recouvrant la moitié de l'œil droit. Erik se retint de grincer des dents en prenant conscience que sa propre personne ne devait pas avoir l’air très glorieuse, ainsi prostrée, avec les restes de son plastron posés sur son épaule tel un baluchon d’acier.
    Encouragés par la question de l’archer à la tête bandée, tous les regards se posèrent sur le duelliste, qui soupira avant de prendre la seule décision possible :
    “-Aidez les blessés à se lever. Laissez les morts.” Commença-t-il en se redressant. “On rentre au camp.
    Des murmures se glissèrent dans le silence gêné qui ne tarda pas à recouvrir le petit groupe. Certains, moins honteux que d’autres, osèrent un soupir de soulagement. Ils se mirent en mouvement, lentement, plissant les yeux pour voir au travers de l’éclat des torches, des nuages de moustiques, de la végétation traîtresse et des ténèbres s’épanouissant là où l’éclat des flammes ne portait pas.
    Erik pris la tête, pour aussitôt être retenu par une interrogation prononcée d’une voix hésitante et nasillarde :
    “-Et Al’?” Demanda Klein, un lourd soupçon siégeant dans son regard fatigué.
    Le duelliste hésita un peu avant de répondre. Avouer qu’il doutait même de la victoire de leur champion serait un énième coup porté au moral de la troupe. Mais mentir à ce sujet pouvait encourager certains à rebrousser chemin pour aller aider l’irascible lycanthrope.
    Dans un à-propos particulièrement discutable, un rugissement de plus, provenant du bassin où avait lieu un combat impossible, passa au travers de la brume, des branches et des feuilles pour parvenir jusqu’aux oreilles des fuyards. Ils se retournèrent pour scruter ce champ de bataille qu’ils fuyaient sciemment.
    “-On ne peut rien faire. Si il doit gagner, il gagnera. Mais sans nous.” Souffla finalement Erik en reprenant sa marche.
    Klein laissa un discret sourire traverser le bas de son visage mal rasé.
    “-Comme d’hab’, quoi.
    Cette petite pointe d’humour désabusée leur permis au moins de sourire un peu, sur le trajet retour.

    ***

    Alasker n’avait pas freiné sa course ni même pensé à changer de direction lorsque la bête avait surgi dans un geyser d’eau noire pour le dévorer, au contraire, il avait bondi. Profitant de son élan et de la force que lui conférait cette enveloppe de chasseur, le loup s’était jeté en avant pour plonger en-dessous de la mâchoire démesurée et s’écraser contre le corps y étant rattaché. Le choc de son épaule entrant en contact avec les écailles du crocodile s’avéra suffisant pour lui couper le souffle et lui arracher un jappement de souffrance que l’eau étouffa, mais le loup refusa de lâcher prise. L’impact les projeta dans l’eau, dans un tourbillon de rages, de crocs et de griffes, fort heureusement pas assez profondément pour que le loup perde entièrement pied. Tout devint rouge tandis qu’Alasker, profitant de la surprise causée par son attaque singulière, s’échinait à s’enrouler autour de la bête crocodilienne pour échapper à sa gueule rendue inutile par une telle proximité. Dans la tourmente de cette intime étreinte forcée, les deux chasseurs embrassèrent pleinement la part animale régnant dans leurs sang en abandonnant toute prétention de méthode ou de stratégie. Grondements et hurlements se perdirent dans l’onde noirâtre alors que des gueules garnies de crocs démesurés s’échinaient à broyer une partie de l’autre, sans succès, et que des griffes aux gestes alourdies par la résistance de l’eau manquaient leur cible ou la blessait sans la moindre gravité.  A travers la confusion de l’instant et celle ne manquant jamais de régner sur son esprit de prédateur, le géant parvint toutefois à se remémorer la faiblesse de la plupart des reptiles : Leur ventre. Là où les écailles ne manquaient jamais d’être plus tendres. Il avait déjà tué un lanconda comme ça.
    Il ne restait plus qu’à trouver un moyen de l’atteindre dans tout ce chaos.

    lancé de dé:
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  • Lun 27 Fév - 10:04

    Que faire quand deux créatures monstrueuses hautes comme deux hommes se jettent l'un sur l'autre dans une explosion de rage destructrice, de griffe et de crocs, et que l'on est qu'un bout de femme portant son bébé dans un marais bourbeux ? Courir. Courir avec tout son souffle, quand bien même ses poumons menaceraient d'exploser et son cœur de prendre les devants.

    Vilaines, les énormes mâchoires claquaient pour saisir la bête velue étant rentrée dans le lard de la créature reptilienne. Du crâne lupin elle n'eut fait qu'une bouchée; ses membres eurent été de chouettes jouets à arracher; son corps eut été un hochet rigolo à secouer en tout sens jusqu'à l'entendre craquer. Malheureusement, la brute avait évité ces funestes projets, et les sifflements reptiliens répondaient avec frustration aux grognements de rage de l'animal. La gueule si grande, si pratique pour engloutir, en devint une gêne, l'adversaire étant trop prêt pour l'engloutir. Enfin, engloutir... Habité par la bestialité lupine, le guerrier était presque aussi haut que la créature des marais qui, pour les connaisseurs, n'avait pas tout à fait fini de grandir, et s'élargirait deux-trois fois ce qu'elle était ce jour, d'ici quelques années. Pour en revenir au présent combat, la créature fine et écailleuse se contorsionnait en tout sens dans l'onde noirâtre, la masse obscure de son adversaire s'accrochant traîtreusement à elle comme une vilaine tique armée de crocs et de griffes. Des griffes glissèrent sur ses écailles, des crocs lui en arrachèrent quelques-unes, et dans ce chaos, la monstruosité tentait d'emporter son ennemi là où il perdrait pied, mais avec un succès moindre faute de l'avoir à sa merci, entre ses dents.

    Ces brutales contorsions, aussi impressionnantes que vaines de part la proximité des protagonistes, tourna pourtant rouge bourguignon quand le loup trouva la tendresse de l'alligator, et y planta ses griffes sans hésitation. Avec un hoquet de douleur râlé, la créature saignée prit une décision capitale : ne cherchant plus à repousser l'autre, la bête l'étreignit vigoureusement. Faute de pouvoir être crocodile, elle se fit anaconda, bras et jambes emprisonnant l'ennemi dans une cage de membres robustes et écailleux. C'eut pu être ridicule, si une force prodigieuse n'était pas à l’œuvre, force qui avait aisément arraché une énorme racine au sol pour la lancer à travers la brume... Et avec autant de rage que la douleur de son ventre lui prodiguait, la bête se mit à serrer. Telle une mesquine revanche, les griffes de la reptile se plantèrent elles-aussi, mais dans le dos velu du démon-loup. Bientôt, elle l'entendrait craquer...

    "Et ils fuient... Ils fuient !... Laissant le loup seul... Seul et solitaire... Solitaire et perdu... Il sera dévoré... Dévoré, oublié... Le loup abandonné... L'humain-loup maudit... Maudit... Abandonné... !"

    Se joignant à l'affaire, la brume se resserra autour de la masse furieuse et sanglante, susurrant de nouveaux de ses milles voix spectrales. La créature, cependant, n'y joignit pas un rire malsain, concentrant tous ses efforts pour écraser l'ennemi dont les griffes pouvaient lui fourrager les entrailles au moindre relâchement de son étreinte.
    Vrai Homme du Reike
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  • Mer 8 Mar - 0:06
    “-Ca va Erik?”
    L’interrogé répondit à la question d’une grimace agacée accompagnée d’un simple soupir. Le groupe s’était mis en marche avec un empressement principalement causé par la honte et le désarroi. Les blessés, dans les bras de leurs porteurs, enduraient silencieusement, décidés à ne pas ajouter le poids de leurs douleurs sur les épaules des biens portants, déjà assez pitoyables comme ça. La lueur des flammes de leurs torches repoussait les insectes rampants mais attiraient toujours plus de moustiques, des nuages bourdonnants et irritants se formaient autour de chaque survivant de la petite cohorte, usant un peu plus leurs nerfs déjà plus qu’à-vif.
    Au loin, plus aucun hurlement de rage ne se faisait entendre. Erik, les sens en alerte, ne parvenait pas à se convaincre qu’ils s’étaient simplement trop éloignés pour percevoir encore les échos du combat au travers d’une végétation définitivement trop dense. L’expérience lui disait que les beuglements d’Alasker et de ceux qui tombaient sous ses griffes pouvaient parfois résonner au travers de la roche, du métal et du bois. Alors…Ce silence…Il le savait lourd, bien trop lourd de sens.
    Soudain, un bruit. Un couinement. Ni lointain, ni intimidant. Plutôt pitoyable, presqu’enfantin. On aurait pu le confondre avec les plaintes attendrissantes d’un nourrisson, si le son n’avait pas eu un accent bizarrement inhumain ou s’il ne s’était pas terminé par un sifflement impossible à imiter avec un larynx humain. Quelque chose passait dans les fourrés, sur leur droite. Quelque chose de pressé, manifestement. Ou d'affamé.
    Ils se turent, tous. Klein s’avança assez pour dépasser le duelliste, son regard noir rivé sur le mouvement des feuilles, de plus en plus proche. Une langue rendue blanche par la soif passa entre ses dents découvertes pour humecter ses lèvres desséchées malgré l’humidité ambiante. D’une œillade, ils s’entendirent sur la marche à suivre, alors qu’Erik plantait sa torche au sol et la remplaçait par une dague.
    Le bruit d’une course légère se fit entendre au travers des bourdonnements incessants des insectes suceurs de sang. Ça se rapprochait encore.
    Le dos courbé, sa main droite fermement refermée sur la poignée de son cimeterre, Klein attira l’attention de son camarade d’infortune en ouvrant la main pour commencer un décompte.
    Trois.
    Erik chassa d’un mouvement de tête une mèche de cheveux collée par la sueur, sur son front, et venant entraver sa vision.
    Deux.
    Son vis-à-vis plia un genoux, se préparant à bondir, et ce qui semblait être une brindille craqua sous son poids.
    Ils jurèrent avant de se jeter à l’unisson sur ce nouvel intrus.


    ***

    Son ennemi saignait mais ne faiblissait pas. Il l’avait senti défaillir lorsque ses crocs avaient déchiré sa chair écailleuse. Le sang froid et épais s’était mélangé aux eaux noires sans que la férocité du prédateur alpha face à lui ne change d’un iota. La prise autour de son torse était passée de désagréable à insupportable quelques battements de cœur plus tard, et maintenant…
    Il mourait.
    Ce n'était pas une pensée pessimiste, ni le fruit d’une peur panique. Seulement une indéniable vérité. Alasker Crudelis, champion des soldats d’élites de son détachement, était en train de mourir. Il sentait ses os se tordre, se compresser, grincer et gronder au sein de son corps mis à mal par une force supérieure à la sienne. Alors que ses propres griffes glissaient, impuissantes, le long du corps écailleux, celles de son ennemi le retenaient contre elle, le condamnant à la destruction. Bientôt, le champion allait rejoindre les ossements de tous les imbéciles ayant un jour cru, comme lui, que nul ne pourrait jamais les vaincre. Là, dans la boue, réduit à l’état de charpie par un faux titan anonyme, au milieu d’une jungle qu’aucune civilisation n’avait jamais su dompter, sa rage, au moins, se tarirait enfin. Lorsqu’ils étaient jeunes, durant une nuit sans lune, Zachiel n'avait eu de cesse de lui vanter les mérites de la paix. Taiseux, Alasker l’avait écouté sans jamais l’interrompre, incapable de formuler ou même d’imaginer des contre-arguments suffisamment solides pour enfoncer les murs de l’inaccessible labyrinthe de pensée de son frère. Aujourd’hui, enfin, Alasker savait ce qu’il haïssait tant dans l’idée même de la paix : Elle lui évoquait la mort. Elle lui avait toujours évoqué la mort. Pour un prédateur, la paix, ça ne pouvait être que ça. L’absence de proie. La faiblesse. La maladie. Et donc la mort.
    Pourquoi pensait-il à ça maintenant? Était-ce donc vrai, ce que l’on racontait au sujet de la fin de la vie? La mémoire, qui remonte et s’accroche aux souvenirs heureux? En avait-il seulement déjà eu?

    Les yeux injectés de sang du loup s’écarquillèrent alors que deux de ses côtes éclataient sous la pression. A travers le cuir et la fourrure noire, l’os brisé de son coude droit jaillit dans un bouillon de sang rouge foncé. Sans doute aurait-il hurlé si seulement l'occasion s'était présentée, mais la prise lui interdisait le droit de souffler ou d’émettre le moindre son.
    Alors, comprenant que sa mort serait toute aussi violente et cruelle que le reste de sa vie, le géant se décida à faire couler le sang d’une autre, une dernière fois, avant que tout bascule.
    Ses crocs se plantèrent dans la chair de sa meurtrière, déchirant une partie des écailles tendres du ventre, projetant toujours plus de sang dans les eaux noires. Et rien ne se passa.
    Pourtant, aussi cuisant et significatif cet échec pouvait-il être, Alasker, vaincu, sourit intérieurement. Peut-être n’emporterait-il pas de souvenirs heureux dans l’autre monde…Mais il y voyagerait la gueule trempée de sang.

    Soudain, l’étreinte de la mort se relâcha. Littéralement. Brutalement. Ses entraves s’en furent, de même que son ennemi, qui glissa sous l’eau en abandonnant sa carcasse brisée aux charognards et à la brume. Incapable de réfléchir, le loup usa de ses membres encore intacts pour se maintenir à la surface avant d’enfin pouvoir respirer.
    L’inspiration fut telle qu’une côte de plus craqua dans sa cage-thoracique, entrainant un nouveau festival de douleur dans ce corps mis à mal. Il gronda, à défaut de pouvoir crier, et se laissa porter par les vaguelettes, impuissant, persuadé que la tueuse allait revenir pour finir le travail.
    Mais elle ne revint pas.
    Alors, après quelques courts instants d’incrédulité, le géant flottant, au prix d’efforts aussi conséquents que pitoyable, parvint à percevoir, au travers des battements effrénés de son propre cœur raisonnant dans sa boîte crânienne, les échos du plus humain et du plus pitoyable des hurlements :
    Celui d’une mère se battant pour protéger son fils.

    ***

    A cette époque aussi, il était assez commun de savoir que les soldats du reike n’étaient pas des hommes bons. Ceux qui embrassaient la carrière des armes au sein d’un royaume belliqueux et avide de conquête l’étaient rarement. Les hommes et les femmes civilisés s’en tenaient éloigné et, surtout, prenaient soin de ne jamais les défier, puisque le simple fait d’esquisser un mouvement hostile dans leur direction ou, pire, tirer une arme face à l’un d’eux impliquait bien souvent la mort ou, tout du moins, une grande souffrance.
    Mais la jungle n’était pas un milieu civilisé. Pas plus que le village d’où était issue celle qui avait pourtant été leur guide. En outre, les nerfs épuisés de la sauvageonne, sa course effrénée au travers de la jungle pour échapper à un monstre ravisseur d’enfant et la présence du singulier petit être fragile s’agitant dans ses bras, l’avaient rendu aussi agressive qu’une hyène affamée. Naturellement, lorsqu’Erik et Klein, deux grands gaillards partiellement couverts de sang, s’étaient jetés sur elle, sans vraiment savoir ce qu’ils allaient découvrir, son premier réflexe avait été de protéger son enfant en projetant son couteau d’os dans le visage du premier arrivant.
    La joue de Klein, débarrassée de son casque, avait été ouverte de la commissure des lèvres jusqu’à l’oreille droite. Un tel coup n’aurait jamais dû atteindre un soldat expérimenté, cependant, les réflexes supérieurs de ce dernier lui avaient permis de constater que leur cible n’en était pas une. Il avait détourné son coup loin de la silhouette famélique, alors même que cette dernière engageait le sien en hurlant comme jamais personne n’avait hurlé face à lui. La plainte que Klein avait à son tour poussé, par la suite, en se tenant entre les mains son visage fraichement défiguré, avait décidé son partenaire de chasse.
    La dague d’Erik s’était plantée dans le dos de l’intruse avec une précision et une aisance obscène. La lame horriblement acérée s’était forrée un chemin au travers des muscles et de la chair en évitant les os pour venir mordre le cœur et condamner sa victime, qui, dans un dernier réflexe, avait projeté son fils dans un buisson feuillu, avant de s’effondrer, face contre terre.
    Cruellement, avant qu’elle ne meurt, son esprit confus s'était remémoré une phrase, une seule, prononcée par la déesse des marais.
    Tu sais ce qu’ils lui feront.
    Et puis son meurtrier avait refermé ses mains poisseuses de sang sur le col de son fils pour le soulever de terre.

    “-Qu’est-ce que c’est que cette horreur?” L’air renfrogné, Erik observait la bête s’agitant dans sa main avec un mélange de dégoût et de crainte. Ça avait des écailles aussi claires que luisantes et une sale petite gueule aux yeux brillants, mais, surtout, ça poussait des cris beaucoup trop étranges.
    “-Arrête de bouger, Klein.” Conseilla quelqu’un, dans son dos. Sans lâcher sa nouvelle acquisition, le duelliste se tourna en direction du cadavre encore chaud de l’indigène. Aux côtés de cette dernière était accroupi Pierce, l’air dépité, tandis que deux gars s’épuisaient à maintenir Klein en place pour vérifier l’état de son visage.
    “-Bravo Erik, c’est du travail soigné. La prochaine étape, c’est tuer un gosse j’imagine?” Se lamenta Pierce en fermant les yeux de la pauvrette avant de se redresser.”Histoire d’être sûr d’être un type horrible.
    Le duelliste haussa un sourcil et secoua la tête, incapable de comprendre où se trouvait sa faute. Dans sa main, la chose continuait de gigoter, même si ses horribles yeux semblaient se gorger de larmes.
    “-Elle a fait couler le premier sang.
    Pierce, à bout de nerf lui aussi, allait rétorquer que ce n’était pas parce qu’une faible femme mettait une gifle à un homme d’arme que ce dernier se voyait immédiatement en droit de lui briser la nuque. Qu’un “premier sang” n’engageait pas forcément un “dernier sang” et qu’un type avec des réflexes comme Erik n’avait aucune excuse valable pour avoir passé au fil de sa lame une pauvre malade agitant de manière fébrile un couteau d’os autour d’elle.
    Oui, Pierce allait répondre tout ça.
    Seulement, l’entente de craquements sourds et l’écho de pas lourds foulant un sol boueux, parvinrent jusqu’à ses oreilles rougies et gonflées par les piqûres d’insectes.
    Quelque chose de massif courait dans leurs directions en pulvérisant tout ce qui se trouvait sur son chemin. Et cette simple perspective lui coupa la chique avec une efficacité folle.

    ***

    La mort n’était pas venue. Pas tout de suite. Mais à chaque nouveau battement de cœur, le loup se sentait devenir de plus en plus faible. Son corps puisait dans ses réserves pour réparer les fractures, refermer les plaies et insuffler un peu de vie dans son esprit aussi embrumé que le bassin. Épuisé, pitoyable et vaincu, le prédateur s’était trainé jusqu’à la berge, trop faible même pour émettre une plainte, tremblant de froid malgré une chaleur de plomb.
    Par quatre fois, le géant avait tenté de se relever, sans succès, si bien qu’à la fin, c’était à quatre pattes qu’il avait quitté le bord de l’eau pour rejoindre l’orée de la jungle…Et découvert le profond sillon qu’une queue reptilienne avait laissé dans son passage, en s’élançant à la poursuite du cri d’une mère désespérée.
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    Invité
    Anonymous
  • Jeu 9 Mar - 13:39

    Peste et salamandre ! Quoi ENCORE ?! Si les ignorants avaient pu croire la brume vivante, ou l’œuvre de la créature reptilienne habitant les marais, il n'en était rien... Et la responsable aurait pincé le nez de toute personne surprise à se méprendre à voix haute. Non, bien sûr, un tel travail subtil de magie était la création d'une magnifique et petite fée, aussi agile que maligne, magique qu'aérienne. Ayant prévenu la créature des ennemis s'en venant, elle avait ensuite orchestré la petite mise en scène, et s'était on ne peut plus amusé à troubler ces enquiquineurs, avec ses multiples voix et ses mots doux. Un travail d'orfèvre, ô que oui !

    Quand la brute s'était jetée dans la bataille, la fée avait observé, sûre que la géante triompherait, comme d'habitude, aussi robuste l'animal velu soit-il. Après quoi elles pourraient arborer son crâne auprès des indigènes et en tirer encore plus de prières et d'offrandes ! Un plan tout tracé, la petite créature ailée écoutant avec délice les gémissements du loup-garou dont les os le trahissaient un par un. Bientôt l'un d'entre eux lui perforerait le cœur et s'en serait fini. Elle retournerait tourmenter les idiots en armure, et pourrait... Attendez ? Quoi ?! Que faisait l'autre ? Elle abandonnait sa proie ?! Imbécile, achève-le... ! Mais la fée put intérieurement tempêter tout son saoul, cachée dans les hauteurs feuillues par delà sa brume, rien n'y fit : un cri avait retenti, et un instant plus tard, la crocodile avait laissé le poilu en plan. Même pas fichue de le finir correctement, grognasse ! Le lourdaud bien amoché n'eut même pas la décence de couler. Quelle déception !

    ______________________

    Par delà les rugissements et les sifflements furieux, les gazouillis du petit hybride bleuté faisaient pâle figure. Et pourtant, entouré de désespoir et de fureur, le petit était une oasis de joie, ses ridicules griffes s'accrochant aux maigres vêtements de la sauvageonne comme un rejeton à la fourrure de sa mère. Sa chaleur et sa douceur, son amour et son attention... Un cocon où il se lovait avec la joie d'un bambin bienheureux, après des semaines de manque. Comme aveugle à la détresse de sa génitrice, au danger rôdant, à tout ce qui n'était pas son bonheur, il gazouillait de joie dans la jungle bourbeuse. Comme il était bien...

    Et puis... En un instant, la situation changea, et avec un cri, sa mère le jeta loin d'elle. Ses petits bras écailleux se tendirent vainement vers elle, avant qu'un buisson ne l'engloutisse et ne pique partout ses écailles tendres. Avec des piaillements d'incompréhension et de détresse, il tenta de la retrouver, de l'appeler pour qu'elle vienne le chercher. Soudainement, des mains se saisirent de lui. Elles n'avaient rien de la tendresse et de la chaleur de celles de sa mère. Avec hébétude, le petit être perçut une odeur métallique dérangeante. Les mires rosâtres larmoyantes vrillèrent, allant de la figure malpropre et grossière l'observant avec dégoût, à... La silhouette de sa mère, étendue, l'odeur devenant plus forte à chaque seconde.

    De joie, le petit n'en avait plus, ses entrailles tordues par la terreur, alors qu'il réalisait, ne réalisait pas, ce qu'il se passait, ce qui allait se passer, le danger, les mains qui le serraient, qui lui faisaient mal. Il criait de désespoir, s'agitant en tout sens, petit sac de griffes, d'écailles et de dents minuscules, sachant sans savoir que c'était vain, qu'elle était là sans l'être. Mais le petit cœur battait encore, et s'accrochait à cette espoir ridicule : que sa mère se relève et le reprenne dans ses bras.

    ______________________

    Des pas lourds annoncèrent sa venue, et une ombre assombrit bientôt la brume environnante. Massive, elle n'en devint que plus gigantesque en se redressant. Toisant les hommes armés, faisant le double de leur taille.

    "Ainsi... La mère ne vivra pas... Pour chérir son rejeton..." tonna une voix de titan reptilien, grave et puissant, fourrageant les entrailles des mortels en un écho mortuaire.

    Qu'elle s'approche encore, et le voile traître dévoila enfin ce qu'il cachait : les écailles de la taille d'un poing de bébé, les crocs comme des dagues, la gueule capable d'engloutir un enfant, un regard froid et animal. Une petite version de la figure qu'il avait vu plus tôt... Mais ô combien plus réelle, dégoulinante d'une eaux vaseuse et de sang. Une plaie sale lui perçait la panse, en un amas rouge et marécageux... Mais qui eut voulu profiter de l'aubaine aurait dû passer sous la gueule de cauchemar. La créature huma l'odeur de mort.

    "En revanche... Je veillerai à ce que vous viviez... Pour voir vos compagnons périrent... Si vous le touchez..." annonça-t-elle avec un amusement terrible.

    Car, le pire était que son ton les invitait à le faire. Les invitait à la provoquer, pour lui donner l'occasion de jouer de cette gueule qu'elle entrouvrait en une macabre expression d'attente prédatrice. Et, à n'en pas douter, elle commencerait sans doute par avec celui qu'elle fixait avec un intérêt vil : celui qui tenait la petite créature piaillante.
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  • Mer 15 Mar - 13:43
    Il abhorrait la faiblesse depuis toujours. Un chasseur se devait d’être fort en toute circonstance, ce qui le différenciait de ses proies : faibles et sans défenses. Ce que la bête crocodilienne lui avait infligé en le brisant ainsi, c’était plus qu’une simple défaite : Elle l’avait dépouillé de son statut de prédateur ultime. De chasseur alpha. Et le loup détestait cela.
    Alors Alasker s’efforçait de la pourchasser à travers la jungle, suivant le long sillon de destruction que la reptile avait, dans sa rage, laissé derrière-elle. Marchant dans les végétaux réduits en bouillie. Trébuchant à moitié sur les racines arrachées, les arbustes brisés et les buissons piétinés. Son esprit confus était incapable de se remémorrer autre chose que son infâme et absolue défaite, sa gueule grande ouverte débordait d’écume et ses griffes acérées en étaient réduites à labourer la terre, à chaque fois que sa trop lourde carcasse -au bord de l’apoplexie- chutait pitoyablement.

    Plus tard, au cours de nuits trop longues, le futur commandant en second des Serres Pourpres passerait un gantelet d’airain sur son visage couturé de cicatrices tout en se remémorant ce moment -pas si lointain- où il avait poursuivi, à travers une jungle anthropophage, un faux-titan couvert d’écaille dans le seul but de se faire achever par ce dernier et, ainsi, oublier la honte de sa propre défaite. Calmement, sa main libre irait alors inlassablement caresser l’impitoyable fer de La Salvatrice tandis que le cruel esprit d’Iratus imaginerait ce que la sinistre lame pourrait infliger à ce foutu reptile, si un jour le destin s’avérait assez moqueur pour l’amener à croiser, de nouveau, le regard froid et le corps dénaturé de l’abomination aquatique.
    A elle seule, cette fielleuse perspective suffirait à égayer bon nombre de tours de gardes nocturnes, de veillées funèbres ou d’insomnies passagères, puisque la mémoire trop exacte du géant d’Airain ne manquerait jamais de lui rappeler à quel point cette nuit-ci avait été marqué du sceau de la douleur et du déshonneur. Toute sa vie, le futur Iratus se remémorerait de cette défaite pourtant nécessaire. De la plus douloureuse de ses prises de conscience.
    Et de la joyeuse haine qu’il éprouvait à l’égard de l’abomination écailleuse.

    Mais pour l’heure, d’Iratus il n’y avait point. Alasker n’était qu’un loup solitaire, champion lointain d’une troupe anonyme dirigée par un chef dont l’incompétence finirait par causer sa perte.
    Sa rage initiale était maintenant estompée par un désespoir causé par son impuissance. Dérapant une nouvelle fois dans la boue, le géant se réceptionna tant bien que mal, à quatre pattes, et sentit les os fraîchement reformés de son coude grincer sous son poids. Pitoyable au-delà de toute mesure, assailli par la douleur et le doute, le loup rejeta sa tête en arrière et, dans un hurlement déchirant, adressa une prière à la lune.

    ***

    La créature dans ses bras poussait des gémissements qu’Erik aurait sans doute imité, en l’absence de ses compagnons. C’était une chose de voir un mirage de brume leur parler avec une voix d’outre-tombe et une gueule cauchemardesque…Mais c’en était une autre de découvrir la bête à l’origine de l'illusion, dans toute sa monstrueuse gloire, debout au milieu de la plus hostile des jungles. Le ton traînant et trop grave que le monstre avait employé pour lui promettre ce que des ennemis se devaient de se promettre le mettait moins mal à l’aise que l’amusement évident ayant accompagné chaque mots. Erik n’avait jamais vu un crocodile sourire de sa vie, mais il était persuadé que celui-ci était en train de le faire, en le fixant de ses horribles yeux à triples paupières.

    “-Al’ l’a percé.” Observa Carlson, pointant sa torche en direction de la plaie ornant la panse du reptile.
    “-Et où il est, maintenant?” Répondit quelqu’un d’autre, la voix tremblante d’inquiétude.
    Un silence lourd de sens s’ensuivit. Les reflets des flammes dansèrent le long des écailles poisseuses, projetant ombres et mirages tout autour d’eux, entamant un peu plus leur moral vacillant. Aucun des survivants ne connaissait les pouvoirs réels de cette chose et l’imagination, en de pareilles circonstances, devenait un ennemi vicieux. Après tout…Qui pouvait dire que les ombres étaient naturelles, ici, alors que, quelques minutes auparavant, la brume elle-même les avait chassés?

    Erik plaqua un peu plus son fardeau contre lui, sa dague posée sur la gorge innocente. S’efforçant de se rappeler qu’il était un vétéran, le duelliste repoussait la panique et tentait de rationaliser la situation. Qu’importe les provocations de la bête, il était sûr d’une chose : Si il était encore en vie, c’était uniquement parce que sa lame menaçait de percer la saloperie grelottant contre lui. Ils avaient donc un avantage : un otage.
    Le tuer revenait à s’ouvrir le coeur soi-même. L’idée était parfaitement hors de propos. Seulement…Il doutait sincèrement que le faux-titan épargnerait leur vie, à l’instant où la troupe déciderait de relâcher l’étrange gosse. Un discret coup d'œil en direction des trop nombreuses dents de l’intrus ne manqua pas de confirmer ses doutes. Ce n’était pas une gueule de créature indulgente : Dans aucun scénario possible, la libération du gosse ne se soldait pas par leur mise à mort immédiate.
    Ils étaient donc dans une impasse. Une impasse qui risquait fort d’évoluer en un désastre total, pour peu que l’un de ses camarades ne décide de perdre son restant de contenance en cédant au désespoir ou à la panique. Le silence. Il ne fallait pas que le silence demeure trop longtemps.
    “-Tu ne veux pas qu’il meurt.” Commença Erik en se forçant à parler d’une voix forte et confiante. Son regard se planta sur un point invisible, quelque part derrière le monstre, juste histoire de donner l’illusion qu’il arrivait à le regarder dans les yeux. “Et on veut vivre. Alors, qu’est-ce que tu nous proposes?
    Et soudain, la solution à cet épineux problème se manifesta : Elle prenait la forme de l’écho d’un hurlement aussi grave que puissant, bien trop familier aux oreilles de chacun des soldats présents pour ne pas déclencher une avalanche de sourires mauvais au sein de la petite troupe. Il était en vie. Alasker respirait et hurlait en courant sans doute dans leur direction, tous crocs dehors, avide de vengeance. Erik lui-même manqua de laisser échapper un petit ricanement à son entente. Rasséréné, il se laissa aller à une petite tentative de provocation :
    “-Ou alors on peut attendre son arrivée, à lui. Histoire de voir ce qu’il pense de tout ça.
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  • Jeu 16 Mar - 10:34

    Ils tenaient la petite chose. D'un coup ils pouvaient la tuer. Tenait-il ainsi la géante en leur pouvoir ? En un statu quo mortel, ou le moindre geste pouvait les jeter les uns sur les autres ? C'est ce qu'ils croyaient sans doute. Ce qu'ils espéraient. D'autant plus qu'un autre joueur allait rejoindre à nouveau le jeu n'est-ce pas ? C'était une situation des plus tendues, alors. La créature, blessée et seule, n'avait donc aucune raison de rire... N'est-ce pas ?

    Car c'est ce qu'ils entendirent alors. En réponse à leur ricanement d'assurance hésitante, et au hurlement isolé. Un rire, un raclement, un craquement d'os, rampant hors de la gueule animale, serpentant entre les géants végétaux brumeux, se frayant un chemin en leurs êtres si maigrelets face à ses crocs. La bougresse, l'horrible chose riait, ignorant les piaillements désespérés du petit, supplantant les murmures des soldats isolés. Un rire de seigneur face aux problèmes de ses rustres gueux, de prédateur face à une proie affaiblie faisant le gros dos, un rire froid et cynique, que nulle bête ne devrait être capable de produire.

    "Vous êtes venus... Et vous voulez partir à présent... N'est-ce pas ? Pourquoi... Vous retiendrais-je ? J'aurais... De quoi manger. souffla d'un timbre grave et lourd la géante, se jouant de leur chasse futile, s'amusant de leurs pertes. Et pourtant... Voilà qu'elle s'inclinait lentement. Leur faisant... Une révérence ? Soit... Nous attendrons le louveteau. Mieux... La tête crocodilienne se redressa, fixant celui qui tenait le petit, ses mires reptiliennes se plissant... D'un amusement malsain. Je vais vous l'amener."

    Des mires froides, là où les rosées du petit lézard était pleines de larmes, de peine et de peur. Soudainement, la créature fit demi-tour, laissant en plan les hommes d'armes et leur otage. Engloutie par la brume en un instant, les laissant avec leurs doutes... Et leurs choix.

    Le monstre fendit la forêt en sens inverse, remontant sa propre piste, vers le hurleur.
    Elle le trouva non loin, à son odeur de sang et de poils mouillé.

    Cette fois, ce ne furent pas des crocs qui se jetèrent sur lui, mais une énorme branche qu'elle avait arraché en chemin. Gagnant en allonge, sans salut ni explication, l'hybride s'abattit sur le lycanthrope blessé tel un bourreau sur sa victime, le battant comme plâtre tel un fichu corniaud qu'il faudrait corriger, sachant que le frapper au torse lui serait ô combien désagréable. Une froide efficacité qui, sitôt le lycan suffisamment 'calme' à son goût, valut à ce dernier d'avoir la tête enfoncée dans la terre meuble. Après le déluge de coups brutaux, la bête se fit soudain calme, et expliqua enfin :

    "Tes humains... T'ont demandé. Ils te récupéreront... Doucement, la poigne griffue se resserra, et souleva légèrement la trogne amochée du gaillard. Dans quel état... Cela dépendra de toi. Et puis, après un instant. ... Et d'eux."

    Menaçant, les griffes sur le crâne de l'homme bête le relâchèrent, pour mieux lui saisir un bras. Et, sans autre politesse, la saurienne géante le tira à sa suite.

    ______________________

    Une nouvelle fois, la créature reptilienne surgit de la brume face aux soldats. Cette fois, cependant, elle eut autre chose à leur offrir que sa figure pleine de charme : celle, endommagée et boueuse, de leur loup, qu'elle tenait à nouveau par le crâne, avec assez de force pour le soulever ainsi, avec assez de force encore pour serrer si elle le désirait.
    A cette aisance, pourtant, son otage avait pu voir une nuance : durant sa marche, de sa main libre, la créature avait parfois dû remettre un peu de chair fuyante dans son ventre. Du moins celle-ci ne s'échappait-elle plus tandis qu'elle le brandissait telle une vilaine peau à inspecter.

    "Tes humains... Voudraient savoir ce que tu penses... De cet échange... Ta vie... Contre celle du petit... Et la leur. énonça sombrement, non sans un soupçon de malice, la géante derrière-lui. Cela dit... Je commence à penser... Que je perd au change."
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  • Mar 21 Mar - 2:27
    Il n’avait jamais été l’idole de leur compagnie. Ses facultés, certes indiscutablement supérieures aux leurs, n’avaient jamais pu paraître enviables ou -plus simplement- méritées. Alasker n’était pas devenu un bon guerrier à force de séances d'entraînement acharnées et d'une détermination forçant à l’admiration, non. La nature l’avait juste, tout bonnement, doté d’une formidable capacité à tuer en le privant, au passage, de toutes les qualités humaines pouvant rendre un bipède “aimable”. Véritable bête parmi les hommes, il s’était tout naturellement juché non pas en haut de la chaîne alimentaire du régiment, mais au-dessus. Sa place, certes synonyme de force inégalée mais aussi -surtout- de solitude éternelle, n’avait pas su susciter quoique ce soit d’autres qu’un lointain respect hélas bien trop parasité par la crainte pour qu’une quelconque forme de connivence entre lui -le berserker- et eux -le reste de la compagnie- puisse un jour espérer s’installer.
    Leur champion, il l’était sans l’ombre d’un doute. Personne ne savait mieux que lui aller au devant du danger et le vaincre. Mais pas leur héros. Parce qu’Alasker n’avait rien d’un être humain. Parce qu’il les méprisait autant qu’ils le craignaient. Parce que son invincibilité évidente, combinée à son absence de remords, le rendaient, tout simplement, terrifiant. Parce qu’au final, ça ne restait qu’un géant d’acier, de chair et de crocs, insensible à l’amour, à l’art, à l’idée même de la paix, à tout ce qui ne pouvait pas alimenter davantage son incompréhensible courroux. D’une certaine manière et, maintenant qu’il avait le temps et le loisir discutable de sonder son propre esprit, Erik commençait à se dire qu’ils n’avaient jamais vraiment pensé qu’Alasker était un être de ce monde. La bande qui le suivait -souvent à contrecœur, certes- avaient fini par voir, en cette forme distante, massive et rageuse, une sorte de demi-dieu.  
    C’était lui qu’ils remerciaient à voix basse, après avoir gagné une bataille. Lui qu’ils maudissaient, lorsque des frères tombaient avant que ses vicieux coups de haches ne mettent fin à un combat de plus. Lui qu’ils regardaient lorsque le courage venait à leur manquer. Ils ne le priaient pas, bien sûr, ç’aurait été ridicule. Ce n’était qu’un demi-dieu, pas un titan, après tout. Mais sa figure restait à la fois trop importante et trop incompréhensible, parmi eux, pour ne faire office que de champion.
    Et jamais, ô grand jamais, Erik n'aurait pu imaginer voir un demi-dieu choir, surtout pas de cette manière.

    J’étais là, le jour où le Loup est tombé” Confiera un jour le grand blond à ses propres troupes, bien des années après sa séparation avec les survivants de la vieille bande. “J'ai vu le bras droit de la Griffe du Reike, vaincu, à la merci d'une force à la fois plus haineuse et plus forte que Lui”, assurera-t-il, à demi-sourire, tout en sachant pertinemment que personne, même parmi ses plus fidèles soldats, n'oserait jamais le croire. “Je l’ai connu. J’ai mangé avec Lui, je me suis battu à ses côtés, et je l’ai vu perdre. Et jamais, de toute ma vie, je n’ai eu aussi peur qu’à cet instant précis.

    C’était si étrange, de voir un demi-dieu vaincu, à la merci d’une chose aussi vulgaire, primitive et ridicule qu’une paire de mâchoires. Indubitablement perturbant, autant que l’enfantine et affreuse prise de conscience de la mortalité des parents. De leur faillibilité. La bande de guerrier était brutalement confrontée à la destruction et l’humiliation de son idole. En quelques coups de griffes, la reptile avait bougé un objet qu’ils pensaient inamovible. Elle avait brisé l’incassable, humilié la fierté même.
    Et tout ça, la bête l’avait fait avec cet étrange sourire, seulement rendu perceptible dans sa voix d’outre-tombe.
    Ce constat en entraînait un autre : Ils n’avaient pas simplement perdu l’avantage. Ils avaient perdu L’Avantage Ultime. Plus rien ne pouvait les protéger. Les sauver. Si ce n’était -bien sûr- cette ridicule boule d’écailles et de piaillements qu’Erik s’efforçait de retenir fermement contre lui.
    Les autres le regardaient, tous. Certains, incapable d’encaisser ce nouveau coup, s’étaient assis au sol, comme des gosses, pour tenir leurs têtes grimaçantes, soudainement devenues trop lourdes, entre leurs mains gantées. D’autres, plus combattifs, se cramponnaient à leurs armes, décidés à mourir, au moins, debout.  Aucun d’eux ne s’inquiétaient vraiment de sa future décision, mais ils préféraient tous regarder le duelliste que les restes du champion déchu. L'autre possibilité, cette vision-là était simplement trop contre-nature pour susciter le moindre intérêt, alors les gars se comportaient comme ils se comportaient toujours, en l’absence d’Alasker : En se tournant vers Erik. C’était là bien une attitude d’homme de troupe : s’en remettre à l’autorité supérieure, quand bien même aucune autorité supérieure n’ait vraiment été nommée, lorsque la situation devenait trop complexe. Trop dure. Même pour des casseurs de gueules aussi expérimentées qu'eux.
    Seulement, le grand blond, lui, n’avait pas ce type d’échappatoire. Il était contraint de regarder la bête et son otage, de voir la gueule ravagée, aux crocs et à la mâchoire pulvérisés, d’Alasker. Détourner le regard, c’était risqué de ne pas voir les prémices d’une attaque en traître, les condamner aussi sûrement qu’en transperçant le frêle corps gigotant dans sa poigne. Alors, le cœur au bord des lèvres, Erik se forçait à diriger ses yeux droit devant lui. Sur elle. Sur l’Ennemie.
    Mais il y avait tellement de sang et de plaies. Tout ce qui restait de la joue gauche du loup, c’était un lambeau de peau déchirée, pendant pitoyablement au bord de ses babines couvertes d’écumes rougeâtres. Son œil droit n’était pas vraiment crevé, mais les gonflements de ses contours le rendaient parfaitement invisible; ce n’était plus qu’une bosse de chair enflée, écorchée par endroit, qui suintait et saignait sans discontinuer. Le loup vivait encore, parce que ses capacités de régénérations se refusaient à lui offrir une mort rapide, mais bientôt, ses forces viendraient à manquer. Erik n’avait pas la moindre idée de quel type de correction cette saloperie avait bien pu lui infliger, mais il était sûr d’une chose : Alasker ne survivrait pas à une nouvelle attaque.
    Le coeur du duelliste manqua un battement tandis qu'il prenait conscience que l'idée même de voir Alasker mourir suffirait à condamner définitivement la troupe. Un juron plus tard, sans même prononcer la moindre tentative de négociation, il relâchait le nourrisson dénaturé qui piailla faiblement en se traînant parmi les branches piétinées. Personne ne dit rien. Personne n’en avait même la force.

    Erik attendit simplement, en écartant les bras et en levant la tête pour offrir sa gorge, que la reptile remplisse sa part du contrat en les laissant partir...Et emmener les restes de leur champion.
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  • Mer 22 Mar - 22:43

    Cette fois, il n'y eut pas de marchandage, ni de remarque narquoise. A la vue du trophée qu'elle brandissait, souffrant témoin de sa force sauvage, la saurienne géante put voir toute la bravade de la troupe s'éteindre, ravagée par la vue des plaies qui couvraient l'être plus fort que leur petit corps d'humain. Elle vit leurs gueules cassées se décomposer encore plus que la vie ne les avait déjà amoché, ces figures d'hommes blasés se rappeler qu'un jour, ils avaient été enfants, et l'expressivité qui allait avec, les lèvres qui chutèrent de leurs joues, leurs yeux qui s'enfoncèrent en leur crâne, ne lorgnant la vérité crue d'entre les ombres de leurs fragiles orbites. En ces brutes venues chercher un monstre dans la jungle, elle vit leur espoir, tenace et brute, entêté et obtus, se flétrir comme une feuille jetée au feu. La bête narquoise observa cela en silence... Même lorsque le petit fut relâché, ses petites pattes pâles lui faisant défaut, d'émotion et de fatigue.

    Pourtant la petite chose se releva. Du moins, après un premier mètre à trébucher, parvint-elle à courir vers le corps.

    Les mires définitivement closes de la mortelle ne purent voir son rejeton qui accourait fébrilement en poussant des piaillements déchirants, des appels aussi vain que le sang dans la boue s'assombrissait et ne coulait plus depuis de longues minutes. La chair était morte et refroidissait à toute vitesse. Le petit, pourtant, s'entêta à y chercher quelque étincelle de vie, à la pincer, à faire entendre encore et encore sa peine et sa peur, remontant jusqu'à son visage pour en tapoter les joues de ses petites mains griffues. En petits bruits moues et humides, ses minuscules tapes ne ravivèrent rien, et les cris se firent chuintements plaintifs et pathétiques, d'une créature ni enfant ni bête, qui pleurait la perte de celle qui lui avait donné vie, chaleur... Et amour.

    "Haaaa... Haaaa... ! Maaaa... Maahaa' !" chuinta la petite voix cassée du lézardeau.

    Un sombre écho s'extirpa soudainement de la gorge gigantesque de la saurienne, un râle prédateur et bas aux nuances animales, de ceux qui se répercutaient jusque dans le corps et les tripes de qui l'entendait, et se rendait compte qu'il n'était pas à l'abri des mâchoires qui le produisaient. Gardant un oeil sur la troupe, la géante n'en avait pas moins observé la course vaine du petit. Ses gémissements. Ses cris. Ces derniers semblèrent être ceux de trop. En un pas, elle fut près de la carcasse et, dans un geste soudain, elle goba le petit être écailleux. De quelques mouvements de mâchoires, elle l'avala... Du moins, le fit-elle ? Non. Les plaintes du rejeton ne cessèrent point et bientôt, les soldats purent voir ses mimines saisir les crocs de la géante, les tenant tels les barreaux d'une cage, alors qu'il tendait un bras vers le corps froid et qu'elle s'en détournait.

    "Maaaa' ! Maaaaaaaa' !
    - ... Partez."

    Aussi puissant que les cris étaient minuscules et aigus, l'ordre ne laissait nul place au doute quant à ce qu'il adviendrait des insistants. Nulle malignité ne s'y faisait plus entendre, rien qu'une sombre émotion, couvant sous la surface d'une froideur animale.

    Finalement, comme convenu, la créature relâcha son emprise, et le loup blessé chût à terre.
    La bête ne s'attarda pas pour se rire des hommes et de leur animal apprivoisé. Sans autre exigence, elle se fondit dans la jungle embrumée, la brume noyant bientôt le chuintement lourd de sa queue sur le sol... Et les sanglots faiblissant du petit.
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  • Jeu 30 Mar - 1:42
    Elle était partie, traînant sa carcasse meurtrie et pourtant indestructible à travers la Jungle de Sang. Parmi les spectateurs de ce départ, nul n’osait bouger, parler ou même respirer. C’était trop beau pour être vrai. Ce monde, qui n’était pas le leur, si impitoyable et mortellement dangereux, leur avait-il véritablement fait une fleur? Allaient-ils vraiment vivre pour voir naître un jour de plus dans cet enfer vert?
    C’était impossible. Comment y croire? Après une nuit comme celle-ci? Après qu’une bête s’étant manifestement extirpée des portes même de l’apocalypse ait déversé l’enfer sur leur tête, garnissant leurs songes de morts cauchemardesques en mettant à mal leurs confiances comme leurs cohésions. Cette… Paix soudaine, semblait si irréelle que certains luttaient pour prolonger leurs propres stupeurs, conscients qu’à l’instant où le mouvement reviendrait, où la fascination laisserait place à la conscience, la quiétude toute relative de l’instant s’envolerait et une foule de préoccupations se déverserait dans leurs esprits encore enflammés par la crainte de la mort.
    Erik fixait Alasker, allongé dans la boue, sa truffe brisée s'enfonçant pitoyablement dans le sol. Le duelliste n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’il allait devoir, à un moment, vérifier si le loup garou respirait encore. Pendant ce temps, Carlson, Pierce et Klein le fixaient, lui, au-dessus de la silhouette massive et avachie du géant aux longs crocs. Ils attendaient qu’il ose bouger pour faire de même, paralysés par l’indécision des suiveurs, par la soumission de l’homme de troupe.
    Et puis, comme d’habitude, le champion de la compagnie brisa le sort. Son bras droit, toujours aussi massif malgré sa courbure fort peu naturelle, s’agita faiblement. A travers ses crocs serrés, un grondement plaintif se fraya un chemin jusqu’aux oreilles humaines.

    Le temps repris immédiatement son cours. Quatre hommes se précipitèrent aux côtés du géant tombé et s’échinèrent à le mettre, au moins, sur le dos. En tournant la gigantesque carcasse, ils découvrirent un amas de plaies à moitié refermées, parsemées de branchages, de terre et de feuilles collées entre-elles par le sang coagulé. La vue fit grimacer Erik, qui déboucha sa gourde pour nettoyer les plus grosses blessures.
    “-J’arrive pas à croire qu’il est encore en vie.” Souffla Carlson, les yeux exorbités.
    “-J’en ai jamais douté.” Mentit Pierce en observant, l’air à moitié serein, un fossé de chair rosâtre se refermer lentement.
    Ils patientèrent quelques instants, peu sûrs de savoir comment soigner un loup-garou haut comme trois hommes et pesant facilement le poids de six. Souvent, les plus alertes quittaient des yeux la masse de plaies pour fixer la végétation environnante, à la recherche d’un indice visuel pouvant trahir le retour du titan d’écailles, encore trop traumatisés pour croire à ce mirage de paix. Mais la jungle, aussi mouvante et grouillante pouvait-elle être, demeurait -pour le moment- parfaitement inoffensive.
    -Par pitié, dis-moi qu'on ne va pas devoir le porter.

    ***

    Le loup l’avait abandonné. Même lui ne pouvait supporter autant de douleur. C’était comme…Un feu. Qui brûlait ses entrailles. Consumait sa chair. La rongeait, assez profondément pour qu’il puisse sentir ses propres os gratter à l’intérieur de sa viande, pousser au travers de cet amas de viande meurtris, grandir de nouveau, remplir ce corps si faible qui lui avait fait défaut…Qui n’avait pas, malgré tout ce temps, toute son expérience, été assez fort. Le pire, c’était ce qui se passait dans son crâne. Ça pulsait, au rythme des battements chaotiques de son coeur rendu fou par ses trop nombreuses hémorragies, un flot de souffrance. Chaque artères, chaque veines, chaque capillaires traversant la surface ravagée de cette tête qu’il devinait boursouflée, semblaient transporter en elle un flot de petites épines perforant et déchirant son réseau sanguin. Plusieurs fois déjà, il avait pu sentir l’intérieur de son visage se rompre tout bonnement. L’os de son crâne avait dû s’affaisser, ou quelque chose du genre, le géant le savait parce qu’au travers des battements de son propre coeur, ses oreilles s’étaient mises, petit à petit, à percevoir de nouveau des sons extérieurs à lui-même, à ce corps défectueux si irrémédiablement marqué par la rage de quelque chose de plus fort et haineux que lui. Le pire, c’était qu’elle ne l’avait même pas vraiment frappé au visage. Tous ces dégâts venaient de la force de son bras, lorsqu’elle l’avait attrapé pour le soumettre en lui écrasant le museau dans la boue.
    “-Nom de dieu, regardez son crâne !” Avait dit quelqu’un. Et le futur Iratus s’était imaginé en train de vider sa boîte crânienne dans la boue. Ca l’avait fait rire. Peut-être à cause de la fièvre, de l’épuisement ou de la douleur, ou peut-être à cause de tout ça à la fois. Ses rires avaient soulevé sa carcasse de trop nombreuses fois. Les côtes, trop récentes, avaient glissé le long des parois de son abdomen en alimentant un peu plus le foyer de sa souffrance. Il avait craché des dents. Et des morceaux de chair. Ceux qui s’étaient logés dans les restes labourés de sa mâchoire.
    Le loup, le Prédateur en lui, s’était enfui la queue entre les jambes, laissant à l’homme tout le plaisir d’apprécier sa défaite. Cette fuite, plus tard, signerait la fin de la dominance de la bête sur l’esprit humain. Pour l’heure, ce n’était hélas que cela : une défaite. Et tout ce qu’elle entraînait déclenchait une peine de l’esprit aussi forte que celle qui parcourait son corps.
    Pour l’heure, même l’homme cherchait à s’enfuir, en abandonnant, en cédant à l’inconscience et à tout ce qu’elle pouvait impliquer, dans un pareil état.
    Il y parvint, une fois encore, et les ténèbres ultimes vinrent l’accueillir pour quelques instants.

    ***

    Le géant ouvrit les yeux deux jours plus tard. La lumière du jour l’accueillit dans toute sa splendeur, en lui déclenchant immédiatement une crise de vomissement douloureuse. Il se tourna sur le côté et tomba à moitié de la couche improvisée que ses comparses lui avaient aménagé. Elle était, hélas, composée en grande majorité d’une pile de sac de couchage ayant jadis appartenu aux défunts du groupe. Celle de Solis ne faisait pas exception.
    “-Bienvenue parmi nous.” Le salua Erik, la bouche à moitié remplie par un énorme morceau de viande séchée.
    Incapable de se redresser par lui-même après avoir ainsi régurgité un triste amas de bile et de bave, Alasker demeura simplement immobile, la tête à quelques centimètres de ses rejets, grimaçant, foudroyé par la honte. De ses innombrables blessures, il ne restait pourtant rien. Plus de sang, ni d’os visibles. Seulement l’humiliation d’avoir survécu à un combat incontestablement perdu.
    “-Tu te rappelles de qui je suis?” Risqua le duelliste.
    Le futur Iratus parvint à remonter la partie haute de son corps sur sa couche et fixa le plafond végétal au-dessus de lui. Il était dehors. Pas dans une tente. Et bon nombre de gars le fixaient comme s'ils avaient vu un fantôme. Le jour était levé depuis un certain et il y avait quelque chose qui tournait sur une broche, au-dessus d’un feu à six ou sept pas de son lieu de repos. Ca ressemblait à un oiseau, pas très gras. Alasker ne reconnaissait pas ce camp. Ce n'était pas celui qu'ils avaient monté ensemble, après avoir quitté le village des indigènes. Les gars l'avaient bougé. Loin, probablement. Sans l'abandonner. Ces frêles humains si aisément paniqués s'étaient échinés à le porter durant toute une partie du trajet retour. Et Erik continuait de le fixer en affichant son sourire si hautement satisfait de lui-même.
    “-T’es devenu demeuré?” Quelques rires répondirent à la provocation, mais ils se turent bien vite lorsqu’aucune réponse ne vint franchir les lèvres closes du champion de la compagnie. Le duelliste avala difficilement le morceau de viande qu’il mâchonnait et pâlit un peu :
    “-Al’?
    Le lycanthrope ouvrit la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Quelqu’un jura dans l’assistance. Et puis Erik perdit enfin son foutu sourire. Cette petite victoire amusa la brute, qui secoua la tête en claquant la langue avant de grincer méchamment :
    “-Hmph. Mauviette.” S'amusa-t-il en poussant de toutes ses forces sur ses bras pour se forcer à s’asseoir et s’emparer de la gourde posée à côté de lui.
    Alors, pour la première fois de sa vie, Alasker Crudelis, champion d’une troupe anonyme de vétérans perdus au milieu d’un enfer de lianes, de reptiles et de moustiques, pu sourire en entendant les vivats de célébrations de ceux qui, enfin, l’acceptaient comme l’un des leurs.Et ces cris de joie, ces rires presqu'hystériques célébrant la prolongation de son existence bafouée, parvinrent presqu'à lui faire oublier la douleur de sa défaite.
    Presque.


    hrp:
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    Anonymous
  • Jeu 30 Mar - 21:07

    Bête en son territoire, la saurienne s'en retourna fendre l'onde obscure, sa masse laissant un sillon éphémère sur la surface du marais, au rythme des sanglots s'éteignant du petit, pour mieux s'échouer sur une langue de terre mousseuse d'où jaillissait un géant végtal. Mais, contrairement à l'habitude, elle ne reposa pas simplement sur le ventre, et vint plutôt s'adosser à l'une des racines massives, ayant une taille adéquat pour lui servir d'accoudoir, et le tronc de dossier. Alors, tandis que disparaissait sur la surface de l'eau toute trace de son passage, la géante poussa un lourd soupir, sa main griffue non loin de sa panse lacérée. Du moins ses organes étaient-ils restés à cette place, cette fois.
    Elle entendit la venue de la fée avant de la voir.

    "Quoi quoi quoi !" pestait une petite voix.

    Descendant des hauteurs, aussi aérienne et délicate qu'une guêpe furieuse, la fée fondit sur la géante en piaillant de mécontentement, voletant sous ses yeux.

    "Tout ceci ! Tout cela ! Toute cette brume, tous ces éclats... ! Pour ça, pour ça, vraiment rien que pour ça ! disait-elle, rose d'agacement. Je t'ais vu, tu l'avais, à ta merci, làààà ... ! D'un rien tu l'auras achevé, d'un rien il nous aurait été une fourrure, un trophée ! Pourquoi, pourquoi... ?!"

    Sous le regard froid de la reptile, le tout petit bout de femme tempêtait comme un pet de colibris ballonné. Un petit sanglot reptilien l'interrompit... Avant qu'elle ne reprenne de plus belle.

    "Non... Pour ça ?! Pour le petit ?" s'agaça-t-elle.

    Se juchant sur le bout du museau de la géante, elle tapota vivement des pieds, n'en revenant pas, ne concevant pas que la créature eut abandonné leur affaire pour un bout de rien si minuscule. Mais, contrairement à l'ordinaire, l'hybride ne resta pas impassible, à écouter les plans de la petite volante. D'un simple mouvement de tête, elle la renvoya dans les airs comme un moustique dérangeant. Oh la fée en fut furieuse, bien sûr, et elle argumenta et se lamenta encore, mais des piaillements qui suivirent, Kebossa ne garda nul souvenir, car ses paupières se fermèrent et elle partit, la gueule verrouillée sur son précieux contenu.

    Bientôt, elle quitterait les marais.

    --------------------------

    Les sauvageons, alertés par leur semblable qui avait échappé aux mercenaires, retrouvèrent bien sûr les traces de la lutte, les cadavres du mercenaire, du vieux à la hallebarde plantée dans le sol pour sépulture. Pire : ils trouvèrent le corps de la mère. Les premiers les avaient rendu nerveux, celui-ci les glaça de terreur : l'une des leurs avait guidé les étrangers ! Et si l'un des chasseurs nota qu'elle avait péri d'un coup de lame, et non pas de croc, les autres n'écoutèrent en rien, persuadés que leur déesse protectrice en prendrait grand ombrage. Il fallait l'apaiser ! S'assurer de sa protection ! Lui offrir...
    Des sacrifices.

    Traversant la jungle comme jamais, ils retrouvèrent les traces des mercenaires, ralentis par l'inconscient qu'ils portaient. Profitant de la moindre ombre moussue, de la moindre branche basse, du moindre instant de repos de la troupe, les sauvageons les talonnèrent comme une bande de coyotes collant aux basques d'un animal blessé, usant de leurs sarbacanes empoisonnées pour les affaiblir encore. Le métal résista souvent à leur piquant, ça oui ! Mais ils touchèrent aussi, provoquant des faiblesses, des infections... Mais, s'éloignant de leur terre, leur chasse les mena hors de leur territoire, hors de l'influence de leur déesse. Loin des leurs, peut-être sans défense.

    Maudissant les guerriers de métal qui ne s'effondraient pas, qui ne livrèrent pas leur vie en échange de leur outrage, les chasseurs finirent par abandonner. Retournant auprès de leurs familles, prêts à sacrifier toutes les bêtes qu'ils croiseraient, en échange du pardon de celle qui leur paraissait une déesse inhumaine.

    Bien vite, la jungle leur confirma que leurs craintes étaient fondés : sans géante pour revendiquer les lieux, les prédateurs revinrent... Et les sauvages oublièrent l'ère de paix qu'ils avaient connu... Et le firent chèrement payer aux étrangers qui s'égarèrent par la suite sur leur terre. Dans l'espoir, bientôt abandonné, de retrouver une protection comme ils n'en avaient jamais connu.

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