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  • Mar 16 Mai - 23:12
    Les yeux vitreux, la langue pendante, les crocs couverts de bave, Yagmit contemplait d’un air béat un nouveau venu des plus atypiques, si l’on prend ne serait-ce qu’une minute de son temps pour contempler la scène s’offrant ainsi. La différence flagrante se voyait à la fois chez les autres clients de l’établissement, clairement pas l’élite de la société, ainsi que par la dissonance certaine entre l’ambiance du lieu et la stature tout comme les traits nobles de cet individu bien étrange, même si diminué par une tristesse évidente.

    Arrivé dans l’auberge dès la première nuit de son entrée dans la ville de Kyouji, le loup-garou, prit d’un intense mal du pays après avoir quitté les terres sauvages de la Jungle Du Sang, ressentit la nécessité de boire "un" coup afin de se remettre d’aplomb pour la suite de ses objectifs. De plus, car il fallait bien trouver une raison valable, même si largement bancale, cela lui permettrait d’évaluer sa résistance à l’alcool, alcool dont il n’avait plus réellement constaté les délices depuis trois bonnes années… Alors au diable la mesure !

    En train de se mettre une murge qui aurait déjà tué un simple humain, il tentait, assez vainement, de se convaincre qu’il maîtrisait la situation en dépit d’un état lamentable à plus d’un titre. Le Lycanthrope enfila une dernière rasade avant de rester figé tel une statue, à l’image d’un corps comme stupéfié par quelque révélation incongrue. Il resta ainsi quelques secondes avant d’entendre les mots « peine de cœur ».

    Nolwenn !

    Des larmes vinrent presque instantanément mouiller ses yeux, sans pour autant s’écouler le long de ses joues et jouer entre ses poils drus. Son cœur, battant déjà la chamade sous l’effet des quantités folles d'alcool déjà ingurgitées, s’emballa au-delà du raisonnable. Une forte montée de température menaça de faire basculer le loup-garou dans un coma que seule une puissante montée d’adrénaline vint contrecarrer.

    « Driv’zafra »

    Alors là, Yagmit ne comprit pas le sens du mot, et en conclut que le serveur était lui aussi bourré. Cette pensée le décrispa. D’un geste lent il commença à éloigner la carafe de ses lèvres tout en sentant un fou rire prendre doucement racine dans sa cage thoracique avant commencer son ascension vers sa gorge.

    « Adorateur » « Shierak »

    Par le buisson ardent des Valkyries, en voilà des mots forts et nobles ! Comble de l’ironie, il fallait les trouver associés ici, dans un lieu d’ivrognes et de débauches, quand sur son trajet pour contempler à nouveau cette cité corrompue des idéaux Républicains il n’en avait pas entendu une seule fois ! Assez c’est assez, par le Soleil, la lune et les étoiles, qui est cet homme ?!

    Sans autre forme de procès, Yagmit jeta d’un geste rageur sa carafe, s’encastrant dans un mur à quelques centimètres d’un client à demi-ivre qui tomba dans les pommes, fendit la table en deux d’un seul coup de poing, se mutilant la main au passage, puis, d’un pas très mal assuré, commença sa pénible progression vers cet homme aux cheveux blancs pourtant bien jeune pour arborer pareille crinière. Tout à sa concentration afin de ne pas chuter, il bafouilla quelques mots inintelligibles avant de réussir à réorganiser son cerveau et sa langue dans un effort digne des plus admirables volontés :

    « Toi… Toi, je t’aime bien. Je veux parler. Il faut qu’on parle ! »

    Il s’arrêta alors soudain avant de clamer haut et fort, incapable de voir plus que cet homme et une table désertée de ses occupants entre eux :

    « Il faut qu’on parle… Des femmes ! Et du Shierak ! Oui oui oui oui oui. Il faut. »

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    Invité
    Invité
    Anonymous
  • Mar 23 Mai - 13:30
    Difficilement, le loup-garou réussit à avaler la dernière distance les séparant, de trois longues enjambées aux appuis caoutchouteux. Tentant de s’asseoir en face du sujet de son intérêt, il manqua la chaise et se retrouva les quatre fers en l’air, lui faisant s’échapper un petit « ooooh, ça roule, ça roule, ça roule ». Redressant le buste violemment, le cul-cul toujours au sol, le Lycanthrope vint percuter le bord de la table, la faisant bouger de quelques centimètres. Il ne prit pas la peine de s’avertir de la douleur, l’alcool ayant mis en congés payées une bonne partie de son réseau nerveux, et planta plutôt son regard dans celui de l’autre. Ou du moins le tenta-t-il, ses yeux faisant un peu ce qu’ils voulaient.

    Il avait entendu un nom très bizarre, ou un mot ? Teddy disait l’autre. Yagmit ne comprit pas très bien. Il fit un intense effort de réflexion avant de s’avertir du fait que ce mot était en réalité une expression pour désigner leur état déplorable à tous les deux. Du moins fut-ce la conclusion qu’il en tira.

    « On a tous un Teddy en nous », lâcha-t-il assez mollement, comme peu sûr de ce qu’il racontait.

    Le silence, un silence gênant aurait pu s’imposer par la suite. Non pas par le fait que son compagnon d’infortune du moment le tutoyait, non, à vrai dire il ne l’avait même pas relevé. Mais parce que la simple concentration demandée par l’inconnu pour comprendre l’essence du mot "Teddy" l’avait, dans cet état pitoyable, mentalement vidé. Heureusement, son interlocuteur gardait encore une partie de ses capacités neuronales, et il enchaîna en lui avouant une peine de cœur à propos d’une Alyssa, nom que Yagmit trouva fort joli, avant de le questionner lui-même sur ses peines de cœur. Cette question électrisa le loup-garou en lui rendant miraculeusement l’usage à la foi de la parole, et de la réflexion… A un certain niveau, faut pas pousser non plus.

    « Ah ! Moi, si j’ai connu l’amour ?! Ah ! Mais regarde-moi donc frêle esquif des tempêtes amoureuses ! Regarde donc cette exemplarité de la représentation masculine ! »

    Yagmit laissa quelques secondes à son camarade de beuverie pour le contempler à son aise, se gonflant d’orgueil et tentant de se relever, avant de très vite abandonner, s’avertissant de la triste incapacité de se mouvoir à cause de ses jambes endormies. Lâchant un grognement, il poursuivit :

    « Et ben… Et ben j’ai pas connu tant que ça, c’est vrai… Je veux dire, je suis pas un coureur de jupon moi quoi ! Nan mais sans blague. Oh, quand même, j’ai un minimum de respect pour moi-même et les femmes, quoi ! Je me donne pas à la première venue, faut me mériter moi. Je sélectionne moi. Quel intérêt de partager des moments si forts avec des coquilles vides ?! Hein ?! Bah yen a pas, mon vieux. C’est nul, c’est triste, et ça te tire vers le bas, au lieu de t’aider à t’épanouir pleinement, comme toute bonne relation, passionnée, sincère, honnête, mignonne, puissante, vibrante et riche d’émotions et de sentiment. Oui oui oui oui. »

    Yagmit s’arrêta là un bref instant, surprit d’avoir réussi à aligner autant de mots sans se croquer la langue au passage ou se faire un nœud au cerveau en cours de route. Un tel sujet de discussion aiderait-il donc à dessouler ? Par le Soleil, mais ce serait la découverte du siècle ! Motivé à cette idée, le Lycanthrope décida d’ouvrir son cœur tout entier à ce total inconnu afin de se débarrasser au plus vite de son état d’ébriété. Et puis aussi parce qu’il en avait gros sur la patate.

    « A part un p’tite nénette de naine avec qui j’ai un eu une p’tite amourette pendant mon enfance, moi, représentant ma-gni-fi-que de ma race, j’ai eu le plaisir tout comme le déplaisir de croiser trois femmes qui ont su faire trembler le siège de mon cœur. Ah ! Par où commencer par où commencer je me demande ?! La première peut-être ? Dagmar ! Ah ! Une foutue Valkyrie de mes roubignolles ! Quelle saleté innommable ! »

    Yagmit accompagna la fin de sa phrase par un crachat lancé au petit bonheur la chance qui vint s’étaler malencontreusement sur son torse. Etalant le tout d’une grimace de gêne, il continua ainsi :

    « Une Valkyrie de mes valseuses que je disais ! Mon gars, le Soleil m’en soit témoin, c’était une vipère…. Mais bon sang de bonsoir, une vipère foutrement belle ! Raaaah… Elle était belle, elle sentait bon le sable chaud, ma Valkyrie ! Y avait du soleil sur son front, qui mettait dans ses cheveux d’argent de la lumière ! »

    A nouveau il laissa une petite pause, le temps de savourer une image d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Une certaine colère monta en lui, le secouant de nouveau :

    « Mais j’ai jamais pu la toucher et la comprendre ! Non, jamais ! Cette sorcière avait organisé un tournoi pour trouver un partenaire. Eh, ben, je sais que c’est difficile à croire, mais… j’ai perdu ! Ben oui, j’étais jeune à l’époque moi. Comment que je peux rivaliser avec des vétérans moi ? Pff. Ben je peux pas, voilà tout. C’est normal. Mais j’ai essayé ! Ah ah, oui, je suis pas un gringalet moi ! Même quand je l’étais ! Ah ah ! Mais bon, de toute façon elle était nulle, on n’aurait rien fait ensemble. Et en plus on murmure qu’elle aurait tué son homme quand elle a su que, c’est bon, elle était enceinte. Nan mais oh ! On va où là sans déconner ? Franchement… Le monde est fou. Et toi, autre Teddy, c’était qui, ça, Alyssa. J’aime bien ce prénom moi. Oui, j’aime bien beaucoup même. J'aime bien j'aime bien. »

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    Invité
    Invité
    Anonymous
  • Mer 31 Mai - 13:22
    Yagmit luttait ardemment contre un coma éthylique particulièrement motivé, alors quand l’autre Teddy lui proposa de trinquer, son cerveau, en panique, déclencha l’alarme de la dernière chance, allant promptement quémander la présence séance tenante des dernières brides de raison un peu éparpillées ici et là. Car si la conversation précédente, au sujet Ô combien bouleversant pour les deux hommes, avait momentanément donnée l’illusion d’une reprise en main de la situation, la pause infortune dans l’échange, justifiée par l’arrivée d’une nouvelle boisson, dévoilait de nouveau la triste vérité : le loup-garou était à deux doigts de vaciller.

    Dans un geste purement instinctif, Yagmit, après avoir manqué de quelques centimètres la chope de son frère Teddy, le fait de voir double ou triple n’aidant vraiment pas pour coordonner les mouvements, renversa son contenu sur sa tête avant de reposer brutalement le récipient sur la table, le brisant au passage et faisant gémir le support qui n’en demandait pas tant. Il resta là, les yeux vitreux, le souffle court et les muscles endoloris. Quel manque de présence d’esprit ! Se mettre dans un état pareil, au milieu d’inconnus, voici justement le genre d’erreur qui peut amener une mort des plus précoces. Et des plus stupides. Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas pris une cuite d’anthologie comme celle-ci. Pour cela il fallait remonter à ses toutes premières années en la Grande Oasis, du temps où, à peine sorti de son adolescence, il faisait connaissance avec ses premières beuveries, entouré de vétérans, et fasciné par les récits de chasses et de batailles. Son grand-père, que son âme puisse satisfaire le Soleil, lui avait bien fait comprendre, assez violemment, que ce comportement était tout sauf digne d’un vrai guerrier. Que de tels abandons jetaient la moquerie et le mépris sur les individus, en plus de les offrir en pâture aux malsains et opportunistes.

    Et pourtant... Pourtant ! Le voici ici, minable, détruit, à se laisser aller à la nostalgie, au vague à l’âme, et à l’abdication. Mais quelle honte ! Il devenait urgent de se reprendre en mains, de retrouver le Yagmit qu’il souhaitait être ; le loup-garou exemple de l’esprit du Reike. De quel droit pourrait-il critiquer les faibles et les néfastes s’il jetait ainsi ses valeurs, sa raison et son ambition ? Debout, lui intima son cerveau. Mais pour se purger de l’alcool, en dehors du travail de son métabolisme exceptionnel hérité de son espèce, il lui fallait un nouveau sujet. Plus passionné. Plus frustrant. Plus colérique. Il lui fallait parler de vengeance ! Alors, sans plus attendre, il tenta de se gonfler pour paraître le plus intimidant possible, et il réussit à moitié, puis, d’une voix aux intonations enragées, il lança ainsi :

    « Nos problèmes de cœur, que sont-ils donc à côté de l’engeance innommable qui déclencha sur nos terres cette guerre civile impie ?! »

    A l’évidence, le Lycanthrope prenait à partie toute la salle, se croyant soudain en représentation théâtrale, avec pour protagonistes principaux, lui, le Teddy originel, et son compagnon de table, le Teddy envoyé du Soleil pour sauver son âme avinée... ou pour l'enfoncer davantage ? Cela n'était plus très clair maintenant qu'il y pensait.

    « Que sont-ils donc face à cet être abjecte et aux moutons qui décidèrent de le suivre dans cette horreur inimaginable qui détruisit le Royaume, supposément le plus discipliné et magnifique au monde ?! Que sont-ils, Teddy, je te le demande. »

    La tension de Yagmit commença à monter, ses propres mots résonnants en lui et excitant davantage sa colère dont les parois gonflaient à vue d’œil. Empoignant la table de bout en bout, il s’abaissa pour se rapprocher un peu plus de la victime d’Angel, vociférant alors plus qu’il ne parla la suite de son discours :

    « J’avais toujours cru que la République était notre ennemie jurée. Que la République, très cher, représentait tout ce contre quoi un individu sain de corps et d’esprit se devait de combattre. Lâcheté, désordre, traîtrise, corruption, avidité… Et j’en passe ! Puis, soudain, de nulle part, une vérité éclate au grand jour : le Reike, mon ami… Le Reike ne vaut pas plus que la République. Pire encore ! Le Reike s’autodétruit ! Mais quelle infamie ! Ô rage, Ô désespoir ! Dans quelle illusion avons-nous donc vécu jusque-là ?! Le comprends-tu ? L’âme Reikoise a cessé de bénir nos territoires de ses bienfaits, car l’âme Reikoise, mon frère, a vu la déchéance de notre Royaume. Et c’est en trouvant refuge dans des individus de valeurs et de principes qu’elle pourra survivre, puis ressurgir là ou on ne l’attend plus ou pas. »

    Lâchant les bords de la table, qui auraient cédé sans aucun doute si Yagmit avait exercé sa pression quelques secondes de plus, ce dernier vint se mettre à côté même du noble, posant une main tremblante, sous le coup de la colère, sur son épaule. Alors, plantant son regard dans le sien, il lui demanda sans équivoque :

    « Je n’ose imaginer le mal qu’Il a pu faire à notre Reike dès sa prise de pouvoir, car me voilà depuis peu sorti de ma retraite spirituelle. Dis-moi, Teddy deuxième du nom, quels bouleversements cet usurpateur a-t-il infligé à notre ancien Royaume ? Je dois savoir. »

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    Invité
    Invité
    Anonymous
  • Jeu 22 Juin - 21:34
    Se réveillant de ce qu’il lui semblait avoir été un coma éthylique, Yagmit redressa douloureusement la tête pour contempler son environnement. Constatant que son frère Teddy, le poil de son poil, était toujours devant lui, il en déduisit que son absence avait été plus passagère qu’autre chose.

    Un peu nauséeux, il se malaxa la peau des joues ainsi que les lèvres pour essayer, avec succès, de reprendre contact avec ses pensées. Il le regretta aussitôt. Un flot de rage, d’incompréhension et de dégoût monta en lui telle une poussée d’adrénaline particulièrement violente, lui faisant perdre la maîtrise de ses gestes, les bras tremblants et la jambe sautillant au point de torturer la table à laquelle son frère de circonstance et lui se tenaient. Et c’est parfaitement dessoulé qu’il s’exclama, presque la bave aux lèvres, en ces mots que voici :

    « Par le Soleil tout-puissant, que me sors-tu là, mon frère ?! En quel honneur se devrait-on d’applaudir ainsi l’abolition de l’esclavage ? En voilà bien une considération de femme !! C’est renier notre puissance, notre volonté de se surpasser et de mériter notre place sur cette terre. Que l’on commence donc par renier cette institution naturelle, oui, naturelle, et cela sonnera le début de la décadence d’un peuple qui s’efféminera au fil des générations ! »

    Yagmit n’en revenait pas. Non seulement Tensai, cet usurpateur, avait détruit la famille Royale, digne héritière des fondateurs de l’ancien Reike, et fait couler le sang de ses compatriotes par torrents entiers, mais en plus l’impératrice, une soumise sans aucun doute, se permettait de cracher elle aussi sur les valeurs Reikoises ancestrales. Mais dans quel Reike vit-on, bon sang ?! Quelle époque, mais quelle époque !

    « Et ne me parle pas du soi-disant grand guerrier Tensai. Un barbare opportuniste qui amènera sans aucun doute la ruine à notre peuple. Un dirigeant se doit d'être le reflet de sa communauté, de part son passé, ses actions, sa vision, ses lois et ses décisions…. Par les sangs, quelle horreur que cette première nouvelle que tu m’apportes là. Mais tu m’as parlé de Titans. Je ne comprends pas. Quelle est cette guerre dont tu parles ? Et quelles diableries ont encore décidé la caricature de dirigeants que sont Tensai et l’impératrice ? Qu’ont-ils encore détruit de plus de notre cher ancien Reike ? Je dois comprendre le monde dans lequel je vis désormais. Je dois le comprendre pour trouver ma voie. »

    Le Lycanthrope se laissa deux secondes de réflexion, pendant lesquelles il plongea ses yeux jaune orangé dans ceux du noble. Puis il laissa s’échapper de ses lèvres une phrase contenant un mot devenu si cher à son âme.

    « Pour accomplir ma vengeance. »

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    Invité
    Invité
    Anonymous
  • Sam 1 Juil - 11:24
    Yagmit n’en revenait pas. Ce Teddy deuxième du nom, confrère de beuverie et oreille humaine sur pattes dont l’apparition lui avait été salvatrice, le sortant de sa morgue tout comme de sa beuverie inconsidérée, venait de lui répondre avec une véhémence, et, paradoxalement, avec une certaine candeur dans les mots choisis, au sujet de l’esclavage, de Tensai et de la guerre contre les Titans. Le Lycanthrope en resta interdit pendant quelques secondes, incapable de savoir si son camarade était sérieux ou jouait avec lui. Puis, devant l’emportement de celui-ci, il fut bien forcé de reconnaître là qu’il n’y avait aucune boutade dans la réponse, mais bien une réflexion personnelle de quelqu’un qui se proclamait convaincu de sa pensée ainsi délivrée. Enfer et damnation !

    Désormais sobre, le loup-garou pouvait à loisir inspecter, telle une proie, le personnage se trouvant en face de lui, et le compte-rendu qu’il s’en fit lui déplut fortement. Car, à l’évidence, il avait à faire à un individu appartenant à la noblesse. Sa façon de parler, son accent, sa peau, et ses vêtements, quand bien même ils n’avaient rien d’extravagants, la sortie dans une auberge de ce type pouvant largement le justifier, imposaient de fait son statut par rapport aux bouseux qui fréquentaient les lieux. Mais là ne s’arrêtait pas la conclusion. En effet, si un noble s’en venait noyer son chagrin ou sa frustration dans un endroit pareil, il se devait, à l’évidence, se trouver quelques gardes dans les parages. Il ne fallut pas longtemps à Yagmit pour les détecter. Regroupés sur une table un peu plus loin, ils l’observaient calmement. Un, en particulier, sûrement le chef, semblait même légèrement inquiété ou angoissé.

    La scène prenait ainsi une tout autre signification aux yeux de l’ennemi juré des vampires. La conversation qu’il tenait passait brutalement d’un échange entre deux ivrognes malmenés par la vie à un lieu dangereux propice à la naissance de problèmes plutôt sérieux. Yagmit s’en voulut grandement. Il n’était pas dans ses habitudes de se mettre bêtement dans des situations pareilles. Par le Soleil, avait-il donc soudain oublié ses propres enseignements ?! Il n’avait pas d’excuse. La sortie de son exil pour reprendre contact avec la civilisation ainsi que la rage d’avoir vu le Reike, selon lui du moins, s’effondrer ne devaient en aucun cas lui faire oublier la prudence et le bon sens.

    Conscient de son imprudence, il se leva de la table, à la fois pour être capable de mieux réagir en cas de danger physique, et à la fois pour dominer l’autre Teddy… Non. Il fallait qu’il arrête avec ça. Il n’était plus ivre par les Titans ! Reprendre contact avec la réalité. Exiler le Yagmit minable qu’il eut la bêtise de laisser sortir ce soir, et retrouver le Gurhat qu’il a été formé à être, à la fois par ses parents, ses grands-parents, la vie et lui-même.

    « Monsieur, je tiens tout d’abord à vous remercier pour être venu me tirer de la médiocrité de mon état en ce lieu peu propice à l’épanouissement personnel. »

    Yagmit marqua une petite pause afin d’afficher un sourire reconnaissant. Du moment qu’un loup-garou montrant ses dents pouvait réussir à présenter un sourire. Ce qui était tout sauf évident. Puis il poursuivit.

    « Vous m’avez donné un début d’informations qui me donne pleinement satisfaction, quand bien même certains détails restent encore nébuleux. Mais soit, cela me convient parfaitement. Je préfère m’acclimater aux nouvelles à petites gouttes. Et, par politesse envers vous, je vais me permettre de répondre, calmement, à vos paroles. »

    Quittant sa position le Lycanthrope vint se placer, sans mouvement brusque, aux côtés du noble auprès duquel il s’accroupit, et ce afin d’avoir une vue dégagée sur le groupe d’hommes dont il soupçonnait l’affiliation d’escorte à l’égard de son ancien camarade de beuverie.

    « L’on ne peut parler de femme tuée et de bébé réduit en esclavage tout en défendant un meurtrier notoire. Imaginez-vous seulement combien de femmes et de vies commençant à peine la guerre civile a-t-elle emporté ? Quelle saignée sanglante a-t-elle laissé dans son sillage ? Combien de familles, la mienne incluse, a-t-elle par sa folie intrinsèque complétement détruites ? Soit, votre Empereur a vaincu un Titan. Mais que pensez-vous qu’il va advenir du Reike après tant d’épreuves si rapprochées ? Saignées après saignées, combien de destins ont été brisés ? Guerre civile puis guerre contre les Titans, en quelques années, voilà bien que j’entends déjà rugir le cor de la ruine. Que ferons-nous, avec une économie aussi bouleversée, une démographie victime d’hémorragie, et un peuple bouleversé par des changements sociétaux beaucoup trop précoces compte tenu des événements récents ? Que fera le Reike, au sein duquel je ne doute nullement de la présence de divisions profondes excitées par la guerre civile, lorsque la République se mettra en branle ? Elle s’épanouit déjà pleinement ici, à Kyouji. Qu’en sera-t-il des autres territoires ? Quelle unité et quelles forces pourra donc opposer Tensai aux Républicains ? Si le Reike a combattu seul les Titans, la République doit se trouver dans un état de fraîcheur que votre Empire ne peut que jalouser. »

    Yagmit se releva et fit mine de commencer à quitter la table pour pouvoir abandonner cette auberge, offrant au noble la politesse de conclure la conversation ou de lui présenter de nouvelles informations. Le loup-garou esquivait ainsi volontairement la dernière question qu’il lui avait posé, conscient que, par sa bêtise alcoolisée, il en avait trop dit.

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    Invité
    Invité
    Anonymous
  • Ven 28 Juil - 12:35
    Par le soleil tout-puissant, mais que venait donc de faire ce noble, si soudainement ?! Yagmit, qui se trouvait désormais debout afin de quitter l’établissement, prit conscience d’une chose inédite, sentant une marque de doigts, et d’ongles, encore présente sur le haut de son crâne. Cet homme imprudent lui avait-il réellement gratouillé la tête pendant qu’il était tout entier concentré sur ses pensées et ses paroles ? In-con-ce-va-ble ! Comment avait-il pu oser ? Il n’était certes pas un enfant qu’on devait rassurer et calmer de la sorte. Ni même une peluche d’ailleurs ! Enfin quoi.

    D’un geste rapide il s’ébouriffa les poils du crâne avant de passer fermement la main dessus pour faire disparaître la désagréable sensation de la présence des doigts du nobliau. Ceci fait, et toujours la tête en direction de la sortie de l’auberge, un œil braqué sur ce qu’il supposait être l’escorte de celui qui l’avait confondu avec un doudou, il s’autorisa une dernière envolée, les tripes retournées par ce qu’il venait d’entendre.

    « J’aurais réellement apprécié que la conversation n’aille pas au-delà. Les informations que vous m’avez délivrées étaient déjà bien assez conséquentes comme cela. Mais vous avez cru bon de rajouter cette annonce de morts-vivants… Par la beauté de la vérité du Shierak, comment pouvez-vous, en tant que soi-disant Reikois, accepter tant de contradictions. Des sans-âmes légalisés alors qu’on devrait les chasser, eux et leurs maîtres abjects. Plus j’entends votre récit des événements passés et présents de ces dernières années, plus je sens une violente colère et un profond dégoût monter en moi. Le Reike s’est fourvoyé, cela ne fait aucun doute. Et, visiblement, malgré votre puissance et votre influence au sein de cet Empire pourri jusqu’à la moelle, vous souhaitez tout sauf de le redresser. »

    En deux grandes enjambées le Lycanthrope se rapprocha à portée de bras de la sortie, puis il salua son interlocuteur du soir.

    « Tout comme ma vengeance ne regarde que moi, l'aide que vous me proposez ne regarde que vous, et restera lettre morte. A mes yeux, vous êtes un danger inconscient pour mes valeurs et mes principes. Mais par reconnaissance pour votre collaboration, et, ma foi, pour cette fraternité que nous avons eu pendant quelques minutes, une fraternité d’ivrognes, je vais tenter d’étouffer l’animosité que vous avez soulevé en moi à votre encontre. Au moins pour un temps. Je vous salue, Monsieur, puissiez-vous vous épanouir dans vos fonctions sans laisser la pourriture de l’Empire corrompre définitivement votre âme et votre corps. Je n'oublierai cependant pas votre visage. Soyez en assuré. »

    Sur ce, il disparut.

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