« Mrrou.
- Quoi ?
- Mrrrrou.
- Ca m’aide pas tu sais. Je capte rien à ce que tu me racontes, depuis l’temps tes neurones devraient avoir fait un semblant de connexion.
- Mrouu.
- Et putain... »

Les fesses vissées sur le coussin de son canapé de fortune, sa queue rayée ondulant dans son dos, le raton-laveur fixait sa mère qui s’agitait dans tous les sens. D’abord elle secoua les pattes, ensuite elle roula sur le ventre et elle termina par se mettre en position de jeu, l’arrière train bouté en arrière. Crocus leva un sourcil, passablement surpris de faire face à un tel comportement. Ce n’était pas tous les jours que sa génitrice se comportait comme une jeune ratonne, à croire qu’il lui arrivait d’oublier son âge et tout ce qui lui était arrivé auparavant. La patte de l’hybride s’approcha de sa tête, la caressant affectueusement dans le sens du poil et il laissa un long soupir s’échapper de sa gueule. Il n’avait pas spécialement envie de lui dire non, mais lui dire oui revenait à accepter sa propre nature et ça, il n’était pas encore prêt à le faire. Une moue dubitative sur le visage, il s’entêta dans son refus et se redressa sèchement de son assise, donnant une petite impulsion dans le dos de sa mère pour l’inviter à le suivre. « On peut pas jouer ici. C’est dangereux. Viens, on sort. » Foutaises, c’était sans doute l’endroit le plus sûr du Sekai. Sa baraque se constituait d’un amoncellement de pièges savamment élaboré que lui seul savait désamorcer, en évitant bien entendu de les mettre à des endroits où la ratonne était susceptible de traîner. Lui dire la vérité ne semblait pas être une priorité aujourd’hui, où n’importe quel autre jour d’ailleurs.


Crocus passa l’embrasure de la porte après avoir hissé sa mère sur son dos, l’accrochant dans un énorme sac qu’il trimballait partout. Ciboulette se lova amoureusement contre son fils, ravie de pouvoir profiter d’une promenade et de respirer le grand air frais de la République… Enfin des bas-fonds de la République, il fallait reconnaître que les odeurs d’égouts, c’était un peu son pêché mignon. L’hybride avança à un pas pressé, se dirigeant directement vers les beaux quartiers de la capitale en longeant les murs pour ne pas se faire repérer dans l’ombre alors que le jour peinait encore à se lever. Une fois arrivé devant les portes qui menaient aux splendides forêts républicaines, il renifla un bon coup pour s’assurer qu’il n’y ait pas âme qui vive avant de s’y enfoncer, profitant d’une accalmie dans son quotidien, dans ses vols qui s’enchaînaient et qui finissaient toujours par se ressembler. Aujourd’hui il prenait un repos bien mérité et se garderait bien de croiser qui que ce soit ayant déjà eu affaire à lui. La pègre locale n’aurait pas son mot à dire sur une seule journée de relaxation dans l’année et quant à ceux qui voudraient s’en prendre à sa mère… Hybride ou pas, il les défigurerait sans vergogne et il ne resterait rien de leurs visages si ce n’est des lambeaux de chair. Ou peut-être se ferait-il encore une ceinture avec leurs tripes, en souvenir du bon vieux temps. Tant de possibilités et si peu de temps pour les voir devenir réalité, dommage.


Une fois arrivé près d’un cours d’eau il défit son baluchon pour en laisser sortir sa génitrice qui se mit à sautiller partout, grimpant sur les arbres, enfonçant son museau dans l’herbe pour y sentir le passage de la faune qui lui manquait tant. Crocus lui, trempait le bout de ses pattes arrière dans la rivière. Son regard se perdit dans son propre reflet qu’il voyait dans l’eau, cette face de raton qui lui donnait la gerbe et qui lui pourrissait la vie. Il resta ainsi dans une contemplation malsaine durant plusieurs minutes, l’objectif principale de leur promenade s’éloignant progressivement de son cheminement de pensée, presque autant que Ciboulette qui n’était… plus là. L’hybride se retourna dans la précipitation lorsqu’il réalisa que sa mère ne se trouvait plus dans les alentours proches. « Cibou ? Cibou ?! Oh merde merde merde merde. Ou est-ce qu’elle est encore passée cette conne ?! ».


Le souffle court, ses petits yeux noirs écarquillés sous la panique qui s’emparait à une vitesse folle de son corps, il s’empressa de commencer ses recherches. Elle ne devait pas être si loin, à moins que quelqu’un lui ait fait peur, la ratonne se faisait vieille et surtout elle était incroyablement flemmarde. Une chance pour une fois de se retrouver avec une mère amorphe et fatiguée. « Mrou ? Putain qu’est-ce que je branle, elle a jamais compris quand j’essayais de parler dans sa langue pourrie ! ». Crocus traça dans la forêt, griffant le sol terreux à chacun de ses pas, lorsque son museau décela enfin l’odeur de sa mère, mais pas que. Ils n’étaient pas seuls. Il avait fait une erreur. Les oreilles plaquées en arrière, il s’approcha de l’endroit où elle se trouvait potentiellement, d’un pas si discret que lui même ne s’entendait plus marcher. Une fois à proximité il vint se tapir dans un buisson, observant la ratonne qui… jouait ? Il reconnaissait ses gémissements d’amusement entre milles, et si le fait que sa vie ne soit pas en danger le rassurait considérablement, cela n’amenuisait pas sa méfiance. Il plongea sa main dans sa sacoche pour en sortir sa dague, se rapprochant petit à petit de l’oiseau et une fois à sa hauteur, il le pointa pour le faire reculer.


« Écoute moi bien la volaille, tu vas te casser de là. J’suis d’humeur à bouffer du poulet ce soir et quand j’ai la dalle, il fait pas bon de m’contredire. Elle non plus d’ailleurs.
- Mrrou.
- Tout pareil. »