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"Le prochain qui me demande comment mes parents se sont rencontrés, je lui enfonce une de mes trois branchies dans le fondement, c’est bien clair ?"

Il est pas bien grand Doudou, mais il a un caractère bien trempé. Du haut de ses un mètre quarante-deux, l’axolotl sait se faire respecter. Déjà parce que même s' il ne paye pas de mine comme ça, il peut vous en coller une sévère, et surtout il manie les mots plus férocement qu’il manie le sabre. Oui, ce petit être pourrait bien vous insulter, vous et votre chère maman, ou n’importe quel membre de votre famille, il n’est pas très regardant, de toutes les manières qu’elles soient, aussi originales que vulgaires.

C’est un peu une des ses passions, trouver l’insulte qui vous siéra le mieux et ainsi vous faire sortir de vos gonds dans une explosion de colifichets improbables. Pour les petits péteux qui  prétendent rester stoïques devant ses provocations, ma foi, ils ne sont guère intéressants à ses yeux, car bien mornes et ennuyeux à mourir. Bah oui, rester muet comme une carpe devant un axolotl, ça la fout un peu mal non ?

Avec ses yeux verts globuleux qui ont toujours l’air de se fiche de son monde, il a toujours un petit sourire en coin, qui s’étirera de plus belle à la vue de quelques pierreries et autres trésors trouvés au gré de ses aventures.
Car oui, Doudou est animé, en autre, par une chose bien précise : l’argent, le flouz, le grisbi, le pèze, le pognon, le fric, l’oseille, bref la thune quoi. Sous toutes ses formes, toutes ses richesses. Tant que ça a de la valeur, c’est pour la popoche de Doudou. Enfin…Pour la flotte du Patron…M’enfin, si on peut se servir au passage hein…

Avec son corps blanc tacheté, ses mains à quatre doigts et sa longue queue plate, et puis oui, on a compris, sa petite taille, il n’inspire pas vraiment la peur. Il pourrait même paraître inoffensif, dans ses bons moments. Et ça, il sait en jouer l’animal.
Bah qu’est ce que vous croyez ? Pour survivre à Kaizoku, et ensuite dans un équipage un peu zinzin, faut savoir jouer de ses atouts. Qu’à cela ne tienne, cette double face l’a parfois sorti de situations bien périlleuses. Ca, on peut dire que Doudou est passé maître en l’art de la manipulation. En même temps, faut en avoir dans la caboche pour se plier aux demandes d’un capitaine…Disons, exigeant. Oui, on va dire ça.

Eh oui, l’hybride est loin d’avoir une cervelle de langouste. Rien contre les crustacés, hein. Cependant, pour guider tout ce petit monde dans les entrailles d’un océan parfois peu clément, entre des bancs de sable interminables et des rochers abyssaux avec des créatures dégueulasses, rien contre les créatures abyssales, hein…Ben, c’est qu’il sait se débrouiller le Doudou ! Et un peu plus de reconnaissance des fois, ça serait pas de trop, mais ça c’est encore une autre histoire, tsss.

De toute façon, Marimba ne se plaint pas, il vit sa vie rêvée : une boussole en main (à quatre doigts, t’as pas oublié ?), quelques pierres précieuses, des belles nanas à reluquer quotidiennement et l’aventure les gars ! L’aventure !

- Toi, tu viens avec moi.
- Hein ? Ah euh, d’accord.

C’était à peu près comment s'était passé sa rencontre avec l’Amiral Bigorneau. Il n’avait pas vraiment eu ni le choix, ni l’envie de protester. de toute façon, quand il avait vu la gueule de l’individu, il avait vite compris qu’on refusait rien à ce personnage, ou bien on finissait vingt mille lieues sous les mers.
Il était gentiment en train de boire sa piquette, dans l'un des coupe-gorges de Brumerive, sans demander son reste à personne. Il revenait d’un job chiant, avec un client chiant. Un gars qui se la jouait pirate d’eau douce, se croyait pousser des nageoires et voulait s’attaquer à une embarcation en partance des îles paradisiaques.
Et bordel à cul de sirène, RIEN ne s’était passé comme prévu.

Déjà, l’autre boucanier du dimanche était bourré comme un coing, et louvoyait comme c’était pas permis sur le pont principal. Même pas capable de baragouiner un ordre intelligible. Son second était con comme un manche, et c’était la manière la plus gentille de le dire. Bref, la matinée s’annonçait corsée. Doudou avait investi la cabine, qui sentait la vinasse et les pieds qui puent, après être monté à bord du rafiot que l’équipage appelait fièrement Josée La Berlue. Ah, ça au moins c’était imagé. L’axolotl avait jeté quelques regards méfiants sur l’embarcation, et doutait de l’étanchéité du bordé, et le grand mât penchait dangereusement sur la gauche. Bah ! Si il y avait un pépin, il aurait toujours la possibilité de prendre le large, dans une des petites chaloupes, qui ironiquement, avaient l’air plus solide que leur chère maman Josée.

Il étala d’un geste méticuleux la carte qu’il avait confectionnée la veille, après avoir rassemblé des infos ici et là sur le trajet prévu de la frégate Pasiphae. Avec un doigt écaillé, il suivi les tracés de plume, un air pensif imprimé sur son faciès tout plat. Normalement, même avec une bande de branquignoles, cette expédition c’était du tout cuit. L’autre empaffé payait bien, et Doudou avait réussi à lui arraché un pourcentage avantageux. Il avait repéré une nouvelle donzelle à Brumerive, une murène, et il avait hâte de lui faire frétiller les branchies. Aaaah, concentration, concentration.



Une catastrophe. Une hécatombe. Il n’avait jamais vu ça. Premièrement, le temps était pourri. Ca, il l'avait prévu, et il avait prévenu ! “Horizon pas nette, reste à la buvette” qu’il avait dit le Doudou. Est-ce que l’autre queue de maquereau l’a écouté ? Nenni mon pote. Alors bon, la météo, il en faisait son affaire, cependant, avec un équipage qui avait du tapioca à la place de la cervelle, c’était complicado l’avocado, comme disait souvent l’hybride. Heureusement, le contremaître n'était pas totalement inutile, et il avait réussi à motiver ses hommes. Effectivement, la vue de leur chef prenant une biture n’était pas des plus rassurantes, même pour eux.

La météo donc. Puis le moment de l’abordage. Par les entrailles de Kaiyo… C’était peut-être une des premières fois de sa vie que Doudou se faisait taper sur l’occipital par une ombrelle de luxe. Fallait voir le spectacle. Des pirates soi-disant impitoyables, les terreurs des mers, se faire botter le séant par des petits culs en jupons, c’était quand même fort. L’axolotl était peut être un bandit, mais il savait se retirer quand il sentait que ça tournait au vinaigre. Car derrière les furies, les chiens en uniformes firent leur apparition. Ni une, ni deux, l'hybride s'empara de l’argent qu’on lui avait promis, avec un petit bonus, et mis les voiles à bord d’une des chaloupes qu’il avait repéré auparavant.
Telle ne fut pas sa surprise lorsqu'il remarqua que sous une toile de jute, son employeur et son lourdaud de second s’y étaient lâchement cachés. Quelle débâcle ! M’enfin, il n’avait ni le temps ni la motivation de les balancer par dessus bord, alors ils les avait ramené, par temps de tempête, sain et sauf à Brumerive.





L’échec cuisant de cette expédition avait fait rapidement le tour de la ville pirate, s’attirant les railleries et le mépris de ses habitants. Qu’ils soient de passage ou bien résidents permanents, tous s’étaient délectés de ce fiasco, et l’histoire de Josée La Berlue était presque devenue un sujet de blague récurrent au sein des tavernes, bordels et autres endroits culturels tout aussi bien fréquentés.

Il y avait pourtant une autre histoire, un peu moins connue, qui circulait. Celle d’un hybride, qui malgré un équipage de bras cassés, avait réussi à louvoyer avec des vents peu favorables, et manœuvrer une petite embarcation, sans la faire échouer, par un temps de chien. Cela en avait intrigué certains. Dont un personnage bien particulier.

- Tu viens mon mignon ? Avait dit une créature de rêve à l’intention de Doudou.

Baste ! Comparée à cette naïade, Nellie la Murène ressemblait, ben…A une murène. L’axolotl ne se fit pas prier, attrapa son tricorne et suivit son nouveau patron, le seul, l’unique, l’infiniment bleu, l’Amiral Bigorneau !

-La Piraterie
-Kaizoku
-L'argent