E lle frémit, sa peau tremble et elle gémit, Lune semble blémie. Elle avance parce qu’il le faut, mais elle ne peut plus faire l’effort, à l’article de la mort elle en voit l’avatar brandir sa faux à chaque détour des monts escarpés de cette chaîne enneigée. L’hiver est un tueur lent et insidieux à Shoumeï, et cette vérité aussi macabre soit-elle n’est d’autant plus réelle que depuis la désolation de ses terres par la foudroyante ire titanide. Le froid mord ses chevilles nues à chaque pas, ses orteils ont délaissé leur teinte blanche habituelle pour s’orner de veinules violacées. La fae continue d’avancer mais elle sent son esprit s’enliser, engourdie par le froid qui ne cesse de l’enlacer. Ses bras croisés pour se réchauffer, Lune évite tout de même de se frotter, sa peau fragile est facilement irritée et avec le givre mordant elle devient encore plus précaire. Son souffle est cours, sa poitrine est serrée, le voile qui l’entoure ne la protège pas des monts glacés, d’un seul coup elle est entourée par les plumes de jais.

”Crow…”

Le béhémoth la gratifie d’un regard attentionné, cloué au sol par la tempête il ne peut pas décoller, il les aurait volontier emporté tout les deux vers des cieux plus cléments, mais le climat menaçant les retient de s’envoler. La créature aux os creux supporte mieux le froid que sa petite protégée, et les poussées de son bec sur son derrière traduisent son inquiétude navrée.

”J-j-j-ff-f-fffroa”

Les deux perles noires de ses yeux se plissent douloureusement pour parer le vent lacérant, le froid, la faim sont les échos de son effroi et de sa fin. Elle titube, chancèle, endormie par les bras acérés de l’hiver. Crow alarmé par l’état de faiblesse de Lune l’enveloppe délicatement de ses ailes, agrippant avec ses serres la petite enneigée, il la place doucement dans son bec et prend soin de ne pas la blesser. Se ruant vers l’avant sans plus attendre, le Corbeau endurant profite de son corps résiliant pour gravir le pic qu’ils escaladaient. Devant le panorama mélancolique des vallées shoumeïennes hivernales, l’animal cherche un abri, un répit, une proie ou un sursis. Ses yeux de chasseur s’attardent sur les points noirs qui se déplacent à l’horizon, peut-être est-ce là justement leur salut, incapable de secourir la fae seul, le corbeau sait qu’il doit s’en remettre à la providence, à défaut de pouvoir compter sur sa méfiance. Déployant ses ailes, le béhémoth s’élance dangereusement dans les courants, porté par les tourments il rattrape la distance avec le convoi tant bien que mal, mais les ouragans et les tourbillons le dévient de son vol qui finit enchevêtré violemment dans un arbre en bémol. Abattu et blessé, le géant corvidé rampe avec difficulté jusqu’au chemin enneigé parcouru par des gobelins lourdement habillés.

À la vue de l’aberration de la nature, les mains trouvent les armes et les pennes des flèches trouvent les cordes des arcs, mais l’immobilisme stoïque de Crow les fait hésiter. Si dans l’impétueux hiver la survie est compliquée, il est toujours apprécié de pouvoir éviter les combats aussi stériles que les terres gelées. Dévisageant les petites créatures en position de combat, le bec de l’animal s’ouvre lentement et déverse la fae inanimée sur le sol glacé, sa posture ensuite profilée comme un serviteur agenouillé invite les petits hommes verts à l’inspecter.