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Citoyen de La République
Abraham de Sforza
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crédits : 617
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Info personnage
Race: Humain
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal Mauvais
Rang: C
Une nouvelle marque d'effroi s'ajouta à la collections d'horreurs qui peuplaient l'esprit morcelé du pauvret. Ses nouveaux yeux, encore à peine utilisables, lui semblaient parfaitement étrangers. L'espace d'un instant, les prothèses oculaires lui laissaient entrevoir l'insupportable environnement du monde bien réel et un battement de cils plus tard, elles révélaient toute l'abjection des innombrables traumatismes qui verrouillaient une immense part du plein potentiel d'Abraham.
L'esprit de Mortifère, comme son corps démembré, était aussi facile à forcer que l'était son enveloppe jetée en pâture à la folie du monstre, ce phénix ténébreux qui s'était rebâti sur les cendres dans lesquelles il se prélassait jadis. Le Docteur se nourrit de ses souvenirs douloureux et comme une mère corbine versant dans la gueule de son rejeton une becquée chaude et grasse, il vint vomir sa propre aliénation dans le calice vide qu'était devenu la psyché du soldat.
Le visage de Takhys se manifesta, suivi de son corps aux délicieuses courbures qui ne suscitait pourtant chez le jeune homme qu'une crainte primale. Il se vit, doté d'un corps parfaitement humain, glabre et si atrocement fébrile. Les doigts effilés de la sirène se changèrent en serres chimériques et la vision s'altéra d'elle-même, évoluant pour s'adapter à la proie entoilée que la souffrance et la peur paralysaient entièrement. La sirène céda place à une autre femme, plus impérieuse et terrible. La glaciale caresse devint une gifle, une griffure, un coup. Les mots doux et rassurants de la demoiselle issue des tréfonds se changèrent en murmures pernicieux, en menaces voilées et en reproches chargés de fiel.
"Tu ne vaudras donc jamais mieux que ton bon à rien de père, Abe."
La décapitation de Mirelda, le claquement des sabots entendu depuis l'habitacle du carrosse, les agressions commises à son encontre par sa propre génitrice. Tout se mélangea, insinuant ses souvenirs malheureux dans une mixture alchimique où plus rien n'avait de sens et où même son passé devenait décousu, flou et à peine compréhensible. Il vit tout et son contraire, dans cette loge spirituelle où l'avait enfermé son mentor. L'image de son vieux père, cette épave bourrue qui n'incarnait que la débauche et la suffisance, fut prestement remplacée dans une myriade de fissures obscures par la silhouette infiniment plus noble et puissante du Docteur.
Un vrai parent, fier de lui, prêt à lui apporter le soutien dont il avait tant besoin. Un tableau infiniment plus diabolique mais dans lequel Mortifère trouvait, malgré la torture, le réconfort de se savoir apprécié à sa juste valeur. Il se raccrocha à cette image positive, limant peu à peu les traits boursouflés de son géniteur pourrissant pour remplacer les convictions vaseuses de son paternel par les valeurs transcendantes de son bourreau. Le progrès, l'évolution de la race, l'ascension d'un plan vers le suivant. Tout lui parut si clair, si limpide. Ses rugissements ne furent plus que des manifestations machinales du traitement que subissait son corps mais ses pensées, elles, se décrochèrent entièrement du réel pour se substituer à cette horreur.
Il se retrouva à la Maison Bleue, seul. Dans le bureau décrépi où l'eau glacée remontait jusqu'à ses hanches, il vit apparaître sur le meuble ensanglanté la tête de sa propre mère qui le fixait avec cette éternelle cruauté. Pour la première fois, il ne ressentit rien face au poids de ce regard empli de rancœur. Avait-il vraiment tué sa mère, ou la présidente ? Avait-il vraiment été présent, avait-il joué un rôle lors de cet assaut mené contre la plus grande figure républicaine ? Qu'est-ce que ses parents faisaient ici, dans le bunker ? De qui les protégeait il ? Zelevas, où était il ?
La vision illusoire s'atténua, perdant en substance alors que l'aquarelle voyait sa surface être maculée d'une eau sale qui faisait gonfler le papier. Ce fut le retrait de sa jambe qui le ramena partiellement à la réalité. Enfermé dans sa propre tête, il vit les laborantins prélever le membre ensanglanté pour venir l'entreposer ailleurs et s'il s'entendit hurler d'effroi et de souffrance, il peina à assimiler ces bruits porcins à sa propre voix. Un gant de cuir passa sur son front, plaquant brusquement sa tête en arrière avant d'y appliquer une nouvelle sangle. L'organisme de la bête affolée, poussée par son instinct, le poussa à résister. L'esprit du Cerbère, dominé et plus fort, s'assura pourtant d'éroder cette résilience.
Qui était Abraham, déjà ?
Les yeux rougeoyants dont on l'avait affublé oscillèrent vers le bas et lorsque la scie fut appliquée sur son autre jambe, il ne ressentit en son for intérieur qu'un vague inconfort. La douleur, extrêmement vive au demeurant, avait perdu tout son sens après ce qui avait semblé être plusieurs siècles de torture. Enfin, il pouvait se targuer d'en être devenu maître. Il n'avait donc pas menti à Isolde, en fin de compte.
Isolde...
Il se surprit à ne plus lui en vouloir. Il la tuerait, peut être. Il la saluerait humblement et lui demanderait si elle avait fait bon voyage, peut être. La technomagie prenait le pas sur l'humain au rythme de cette fameuse symphonie du renouveau qu'avait pensé le démoniaque Docteur pour lui et lorsque la palette d'émotions humaines se fit dévorer par le trou béant qu'était l'indifférence des mécanismes et des rouages, Mortifère crut effleurer, ne serait-ce qu'un instant, la véritable divinité. Froid, neutre, parfait. L'acier avait une beauté que si peu de mortels pouvaient réellement entrevoir.
Kieran, ne t'en fais pas pour moi.
Séraphin, je ne suis plus à plaindre.
Dame Suladran, je ne vous crains plus.
Sénateur, je ne vous en veux pas.
Je n'ai plus aucune faille, je suis ce que j'ai toujours rêvé d'être.
Il estima qu'il avait assez hurlé et se stoppa net, à la surprise de ceux qui s'étaient difficilement habitués à ses beuglements atroces.
Son chant du cygne trouva sa conclusion et la faucheuse vint l'étreindre pour de bon.
Reprenant le contrôle de sa télékinésie, l'homme qui n'en était plus tout à fait un fit glisser les attaches de la sangle qui retenaient sa tête en place avec une précision machinale et un jeune assistant s'empressa de filer vers lui pour les remettre en place mais les yeux artificielles lui accordèrent un regard indescriptible et le pauvret se figea brusquement. L'instinct primaire lui avait fait comprendre, sans qu'il ne sache l'expliquer, que l'entité qui le fixait avec insistance n'était plus celle qui s'était trouvée dans ce corps quelques secondes plus tôt. Le pouls du militaire se stabilisa anormalement vite et sa respiration saccadée et arythmique se fit impeccable, aussi profonde et lente que s'il avait été assoupi.
Affairé à conclure sa tâche d'ablation, le diable incarnant la vie oscillait entre plusieurs tâches avec la virtuosité du génial savant qu'il était. Ce fut lorsqu'il abandonna un os sectionné pour s'emparer d'une seringue qu'il aperçut par hasard les yeux de Mortifère et que, lors de ce silencieux échange, il comprit que le soldat n'avait pas sombré dans l'inconscience et qu'il se contentait de le regarder avec un calme terrible. Le Cerbère sourit fébrilement et se contenta d'opiner du chef, intimant au praticien de continuer. Il avait trouvé la paix intérieure, enfin.
De l’autre côté de la porte, les hurlements de Mortifère empêche le silence de régner à l’intérieur du dépôt, sinon on aurait pu y entendre les soubresauts de la respiration aigüe de Zelevas, le plicoti de ses larmes qui tombent sur le sol dur et le son de ses cent pas alors qu’il arpente la pièce sans but ni sens. La tête entre ses mains gantées, entrain de marcher en boucle à la recherche d’une signification rétrospective à sa vie, le Sénateur dont même la veste n’est pas aussi rouge que ses mains erre en nageant dans le désarroi et la panique. Entre deux cris de douleur inhumains du Premier Né qui se fait charcuter résonnent dans le couloir du sous-sol le bruit des talons caractéristique de l’approche de Dame Oberon. À ce son, les années d’instinct et d’habitude de Zelevas reviennent au galop avec une force insoupçonnée, le Sénateur resserre subitement les dents tandis que ses pensées fusent à toute vitesse. Bien paraître. Présentable, professionnel, charismatique. Zelevas. Le d’Élusie se rue contre la porte et se plaque contre le métal pour empêcher son ouverture, si la professeur ne tente pas de l’ouvrir de l’autre côté, il ne perd pas de temps et commence déjà à remettre d’aplomb son manteau dérangé. Le vieillard replace correctement sa veste dans les manches, réajuste sa ceinture et son pantalon, il retire à la va vite un de ses gants et s’éponge sommairement le front et le visage avec, le souillant d’une grisaille indélicate qu’il camoufle en inversant le gant pour l’enfiler dans l’autre sens. Il souffle ensuite profondément une paire de fois pour se calmer et s’écarte de la porte solennellement, plaquant ses quelques cheveux ébouriffés en arrière pour les faire rentrer dans l’ordre.
De l’autre côté de la porte, les hurlements se sont tus.
Zelevas saisit doucement la poignée du dépôt et ouvre doucement, découvrant que Dame Oberon attend patiemment, les jambes droites, les bras croisés derrière elle, le visage hautain comme à son habitude. Ses fines lèvres dénotent clairement un rictus moqueur réprimé qui ne passe pas inaperçu devant le vieil homme, et il jette un regard chargé à la femme de science, dommage qu’elle ne soit pas aussi agréable qu’elle ne soit compétente, si elle en était seulement capable alors le Directeur de la SSG l’aurait certainement payé deux fois plus cher pour ne pas voir ses moues condescendantes. Elle sait. Est-ce qu’elle sait? que l’instigateur du projet venait tout juste de faire une crise de nerf dans la pièce dont il émergeait, il n’avait pas pu proprement discerner son reflet dans le métal pourtant lustré des prothèses qui pendaient dans le dépôt, est-ce que ses yeux étaient rouges et boursouflés?
”Si vous cherchiez un verre d’eau Sénateur, je crains que vous n’en trouviez pas dans le dépôt.”
Elle sait. Quelle garce! Sans rien perdre de sa composition qui est de toute façon déjà bien abattue pour pouvoir encore plus diminuer, Zelevas ouvre la porte plus grand encore et réplique sèchement:
”Je vous remercie, je connais le lieux Professeur.” Il désigne d’un pouce levé les prothèses flambant neuves qui pendent derrière lui dans la pièce, accrochées sur des esses et rangées le long de rails lugubres. ”Je venais jeter un coup d’oeil aux nouvelles générations de prothèses, je n’avais pas encore eu l’occasion de les voir en personne.”
Après un sourire trop amusé au goût du vieillard devant le prétexte trouvé, Dame Oberon décroise les bras de derrière elle pour ajuster les lunettes sur son nez et ouvrir la voie vers le dépôt.
”Je vais vous en montrer une, les autres laborantins ne vont de toute façon pas tarder à venir se servir. L’exérèse avance visiblement très bien.”
Si elle s’était retenue d’entrer à l’intérieur de la pièce où le Sénateur avait pleuré comme un enfant capricieux, elle avait tout de même passé sa tête dans la salle d’opération pour vérifier la progression et le bon déroulement de l’opération. L’approbation du Docteur l’ayant immédiatement rassuré, elle avait jugé bon de ne pas entrer plus que ça et avait simplement refermé la porte. Maintenant dans le dépôt avec son employeur, la Professeur qui n’en était en réalité pas une s’approcha des membres artificiels ordonnés en rangs serrés sur les rails, comme fraîchement sortis des manufactures. Ses yeux s’arrêtent un petit moment sur ces bijoux de techno-magie, elle a beau avoir également travaillé dessus, elle ne peut s’empêcher de ressentir une intense jalousie envers la Façonneuse de Noirvitrail. La main de la trentenaire vient caresser le métal froid d’un des bras tout neuf, observant son propre reflet dans la finition impeccable. Les prothèses étant produites par la Lieutenant en personne elles sont d’une facture si impressionnante que même l’ingénieure qu’elle est n’en décortique pas toute les finesses. Margulis Oberon a pourtant failli réussir son examen final au cursus de MAGIC mais elle avait préféré échouer intentionnellement pour éviter de se faire remarquer, trois pourcents de réussite attire beaucoup trop d’attention sur les vainqueurs, et ses rêves qui balayaient bien souvent l’ethos n’étaient pas compatible avec le prestige d’un diplôme de l’Université.
Et pourtant.
Dame Oberon attrape le brancard dans un coin de la salle et l’apporte en dessous des rangs de membres métalliques, elle agrippe ensuite une des esses et enroule une chaîne autour du rail et du crochet. Même avec ses propres compétences, son savoir accumulé au fil des années avec tant de labeur, tant d’efforts sans se limiter par de stupides barrières morales, même là elle se trouvait forcée de reconnaître que le savoir-faire d’une vulgaire militaire dépassait de loin ce dont elle était capable. Son propre égo avait déjà été mis à mal lorsqu’elle avait dû s’atteler à l’adaptation des premiers sets, les prothèses fabriquées par Noirvitrail étaient destinées à la réhabilitation d’handicapés de guerre, mais la nature véritable du Projet Palladium avait exigé une application beaucoup plus martiale de ces objets. C’était donc Margulis qui avait dû les retoucher, apporter les modifications nécessaires, s’assurer de leur compatibilité avec les produits du Docteur, croiser certaines pièces et remonter les membres artificiels pour obtenir le résultat qui avait décoré les bras de Mortifère pendant ces huit derniers mois.
Et pourtant.
Elle avait beau avoir travaillé dessus, elle n’arrivait pas à en tirer une once de satisfaction, quelque gratification que ce soit des fruits de ses efforts étaient tout bonnement éclipsés par la finesse sans pareil du matériau de base. Et en plus c’est une folle. Une folle la plus douée qu’elle avait jamais vue, et ça la rendait verte. En grognant disgracieusement sous la mobilisation de ses muscles, Oberon vint décrocher la lourde prothèse et la descendit très lentement en faisant cliqueter les chaînes maillon après maillon. Elle réceptionne le membre sur le brancard et l’approche du Sénateur sous la lumière unique de la pièce pour examination, la Professeur marche ensuite vers une étagère pour y ouvrir une boîte à outil et en sort une pince universelle et un tournevis. Elle revient vers le bras posé sur le brancard et ôte le fuselage en commentant:
”Alliage altéré en acier soixante-dix, je ne sais pas comment elle a fait pour remplacer le chrome par l’électrum mais c’est certainement une forme de magie dans le procédé de fabrication.” Découvrant le carter de la prothèse pour révéler en dessous un jeu de pignons minutieux, la savante continue, ”Elle a également amélioré les rouages au niveau des doigts, je n’ai même pas eu à y toucher. Ils sont parfaits, la précision est impeccable et les engrenages ont moins de cinquante millième de millimètre de décalage au cycle, il y a beaucoup de montres qui n’ont même pas une telle rigueur. Les cardans des articulations sont extensibles…” joignant le geste à la parole, elle force avec le tournevis pour écarter le bras de l’avant-bras. ”... et il y a une amélioration notable sur la résistance aux choc au niveau du coude, elle a également intégré un système de câble pour permettre la désolidarisation de l’assemblage en plein combat.” Elle désigne le compartiment de l’enrouleur au niveau de l’épaule du bout de son outil, et continue, ”J’ai également rajouté les injecteurs secondaires ici et là pour accueillir les derniers produits du traitement du Docteur, ils sont intégrés dans la carcasse, on a dû supprimer deux ou trois renforts pour en faire profiter la structure mais le résultat en vaut la peine.”
Dame Oberon remonte enfin la prothèse et conclu:
”Les Noirvitra-II sont une innovation majeure, il est plus que probable que les prochaines avancées ne stagnent un bon moment…” elle esquisse une moue dégoûtée avant d’admettre à poursuivre, ”... À moins que je ne puisse collaborer directement avec la Façonneuse.” Son sourire d’habitude moqueur se teinte d’amertume alors qu’elle prononce ces mots à voix haute, passer son temps à admirer la supériorité d’autrui est inspirant certes, mais c’est épuisant. Lorsque la jeune femme voit le gouffre qui la sépare non seulement du Docteur avec qui elle a travaillé cette dernière année mais aussi celui qui existe entre le Lieutenant de Noirvitrail et elle, alors que l’ingénierie est sa propre spécialisation, elle est bien obligée de ravaler son égo et ça a un goût salé, mais tout de même pas autant que le Sénateur en ce jour. ”En conclusion, leur entretien est également plus facile, et j’ai aussi revu leur montage pour qu’elles soient installables plus rapidement. La fixation est moins bonne mais ce n’est pas un mal, je m’étais faite la remarque que les premières étaient trop solidement ancrées et risquaient d’arracher les supports de la chair du sujet en cas de contre-coup. Il vaut mieux que ce soit le bras qui parte sous un impact plutôt que Mortifère n’est-ce pas?” Oberon relève les yeux vers Zelevas, ”Sénateur?”
”Remarquable.” glisse-t’il entre des mâchoires rivées l’une à l’autre. ”Il me tarde d’en témoigner les prouesses.”
De l’autre côté, la porte s’ouvre.
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