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  • Mar 8 Nov - 11:46
    Un cirque est en ville avec son lot de clowns, de saltimbanques et d’animaux. Mais celui-ci se distingue des autres en proposant de révéler aux yeux ébahis des citoyens de Liberty les créatures les plus étranges du Sekaï.

    Et c’est pour cela que je suis là…

    La plupart du temps il s’agit d’un mensonge éhonté proféré par des charlatans. Les créatures tant vantées sont des femmes ou des hommes affublés de déguisement plus ou moins réussis, parfois agrémentés d’une touche de magie pour faire plus « vrai ». A vrai dire, ceux-là ne me dérangent pas, que les gens soient assez crédules pour croire des bonimenteurs est navrant, mais ils ne font de mal à personne. J’ai même connu des hybrides, ou des individus portant des malformations grotesques, qui se prêtaient au jeu, louant leurs services pour se donner en spectacle, acceptant de s’avilir pour recevoir les exclamations offusquées du public. C’est pathétique et cela me donne véritablement envie de vomir, mais ceux-là ne méritent pas mon attention.

    Reste une troisième possibilité, la pire, la plus ignoble de toute, quand la créature tant vantée est forcée de se donner en spectacle, lorsqu’elle est une bête de foire à la merci d’un tortionnaire cruel et sans pitié. Une personne qui exploite la détresse et la misère des autres par simple appât du gain. J’ai été exhibée comme une bête de foire, un monstre, une abomination contre nature pour le plus grand plaisir de spectateurs qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. Des gens qui ne se rendaient pas compte de ma détresse, croyant que c’était juste un spectacle ou que j’étais consentante. C’est tellement plus simple que d’affronter la dure réalité en face et voir que la créature offerte en pâture souffre en silence, détruite peu à peu dans son cœur et dans son âme jusqu’à perdre la dernière once d’estime de soi.

    Un sifflement sinistre s’échappe d’entre mes lèvres. Il semblerait que mes petits moineaux se soient trompés. Nous ne sommes tombés que sur quelques déguisements minables, l’homme ours, la femme panthère, juste des artifices grotesques pour des esprits crédules. A croire que j’ai juste perdu mon temps.

    Reste ce petit réduit à l’écart, plongé dans les ombres de la nuit. Misérable jusqu’à en devenir presqu’invisible, mais, pour une raison qui m’échappe, je me sens irrémédiablement attirée vers cette endroit…

    Je pousse la porte qu’une de mes petites mains vient habilement de crocheter, projetant à l’intérieur le lumière vive de ma lanterne. Je détourne le regard, brusquement éblouie par les reflets scintillants de l’or qui se dévoile sous la lueur. Une cage, dorée, pendue au plafond, aux barreaux entrelacés en une géométrie étrange, une cage façonnée avec soin pour une raison bien précise. Mais bientôt, cette cage s’efface et je ne vois plus qu’elle. Cette créature recroquevillée sur elle-même, trop grande pour tenir debout dans cette prison dorée. Mon cœur manque un battement alors que je m’approche et je sens cette souffrance indicible ressurgir en moi. Ce souvenir douloureux d’un temps où moi aussi j’étais enfermée dans une prison, à la merci de mes tortionnaires, obligée de me donner en spectacle sous peine de subir les sévices les plus ignobles. J’ai envie de crier ma haine et ma colère, mais ce sont bien des larmes qui coulent sur mes joues.

    J’approche de cette démarche ondulante semblable à la reptation d’un serpent. Mes yeux jaunes fendus de noir ne peuvent plus se soustraire à cette vision. J’approche et j’ai l’impression qu’elle cherche à disparaître sur elle-même, par peur surement de subir encore une punition.

    La partie inférieure de son visage est indéniablement humaine, mais ce n’est pas cela qui attire mon regard. Non, c’est le duvet qui en couvre la partie supérieure au-dessus d’une moitié de bec noir. Un duvet sombre comme la nuit qui s’écoule vers l’arrière en une cascade ombreuse et indistincte. Duvet, plumes, cheveux, difficile à dire tant cela semble être un mélange de ces trois éléments. Je la vois qui ramène ses bras nus contre sa poitrine pour les cacher, pour se cacher. Des bras noirs qui se terminent par des mains qui n’en sont pas vraiment. Brusquement je partage sa honte, honte d’être ce que l’on est après avoir été exhibée, après avoir tant subi les moqueries cruelles, les exclamations dégoûtées des spectateurs qui vous font vous sentir de plus en plus monstrueuse jusqu’à nous faire oublier que nous sommes bien plus que cela. Car nous sommes uniques, dans un monde où la société érige des modèles de normalité, uniques car il n’en existe pas d’autres, uniques et nous devons en être fières. Fières de ce que nous sommes.

    Un sifflement étrangement doux s’échappe d’entre mes lèvres pincées alors que je soulève les manches de la robe qui couvre mes avant-bras. Et je lui montre, ces mains griffues, ces bras couverts d’écailles lisses et brillantes aux reflets bruns et verts. Des écailles que j’ai eu arraché jusqu’à me faire saigner. Car j’en avais honte, je n’en voulais pas, je voulais une peau rose et souple comme celle des autres. Mais invariablement, à chaque mue elles revenaient, toujours plus nombreuses, recouvrant mon dos, le haut de mes cuisses, mes mollets, me rappelant cruellement ce que j’étais.

    Je lui montre pour qu’elle sache que je sais ce qu’elle ressent. Je le sais mieux que quiconque car j’ai été à sa place avant de me libérer et d’enfin pouvoir prendre mon envol. J’ai accepté ce que je suis, même si parfois j’envie la beauté d’un humain trop parfait.  

    Elle lève alors enfin le regard vers moi. Ses yeux blancs aux reflets bleutés plongeant dans les miens pour s’y perdre. Et je sais à cet instant que rien ne sera plus jamais comme avant.

    Car j’ai trouvé mon âme-sœur…
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  • Dim 25 Déc - 11:37
    Le fracas des caravanes sur la route caillouteuse est assourdissant. Chaque sursaut de l’étroite roulotte remorquée par l’un des véhicules du convoi fait balancer la cage. Je tente de me stabiliser tant bien que mal, mais finalement, un arrêt brutal m’envoie heurter les barreaux dorés. La décharge magique qui s’ensuit me fait crisper la mâchoire de surprise et de douleur.

    Dehors, j’entends les clowns, les saltimbanques et les faux hybrides s’affairer à monter les stands, les tentes et le chapiteau. Personne ne vient me demander mon aide – pour cela, il faudrait qu’ils me laissent sortir.

    Finalement, les crépitements d’un feu de bois se fond entendre, et une alléchante odeur de gibier rôti ne tarde pas à embaumer l’air. La faim fait trembler mon ventre, et pourtant, je prie pour que cette porte ne s’ouvre pas. Tout a un prix ici, surtout la nourriture… Un prix que mon corps meurtri n’a aucune envie de payer.
    Heureusement, elle reste close. Je finis par trouver le sommeil, mes bras posés sur mes genoux me servant d’oreiller, comme chaque nuit. Enfin, dans ce réduit étroit et obscur, je n’ai aucun moyen de savoir quand il fait nuit… Mais quand je peux dormir, je dors.

    Pourtant, lorsque des pas approchent de ma porte, mon sommeil s’envole plus vite qu’un meurtre de corbeaux à l’approche d’un chat. Lorsque le battant s’ouvre, j’ai les yeux ouverts, plissés en prévision du soleil qui ne tarde pas à m’éblouir. Tous mes sens sont aux aguets.

    Visiblement, mes prières ont été entendues, car ce n’est pas le chef de troupe, juste le « costaud » de la troupe – celui qui fait semblant d’être un hybride ours - qui vient décrocher ma cage pour l’installer sous l’une des tentes, bien en hauteur, en vue du public qui commence à entrer. La vendeuse de confiseries me tend une eau au miel. Pas par générosité, bien sûr. Juste parce que le cirque a décidé que c’était bon pour ma performance.

    Le chef de troupe annonce à son audience :
    - Kiora Ravensong, Mesdames et Messieurs ! La femme corbeau qui chante comme un cygne !
    Puis il m’adresse un regard qui hérisse le duvet sur ma peau et lâche :
    - T’as intérêt à chanter.

    La tentation de refuser est presque irrésistible… Mais à quoi bon ? Il n’a peut-être pas besoin d’une raison pour se défouler sur moi, mais le mettre en colère est le plus sûr moyen de tenter le diable. J’ai, depuis longtemps, réalisé à quel point résister est futile. Alors, j’entonne d’une voix claire :
    « The ballroom was fill'd with fashion's throng,
    It shone with a thousand lights,
    And there was a woman who passed along,
    The fairest of all the sights;
    A girl to her lover then softly sighed,
    "There's riches at her command",
    "But she married for wealth, not for love", he cried,
    "Tho she lives in a mansion grand".

    She's only a bird in a gilded cage,
    A beautiful sight to see,
    You may think she's happy and free from care,
    She's not tho' she seems to be,
    'Tis sad when you think of her wasted life,
    For youth cannot mate with age,
    And her beauty was sold for an old man's gold,
    She's a bird in a gilded cage.

    The beautiful woman surveyed the scene,
    Her flatterers by the score;
    Her gems were the purest, her gown divine,
    So what could a woman want more.
    But memory brings back the face of a lad,
    Whose love she had Turned aside,
    But happiness cannot be bought with gold,
    Altho' she's a rich man's bride.

    She's only a bird in a gilded cage,
    A beautiful sight to see,
    You may think she's happy and free from care,
    She's not tho' she seems to be,
    'Tis sad when you think of her wasted life,
    For youth cannot mate with age,
    And her beauty was sold for an old man's gold,
    She's a bird in a gilded cage.

    I stood in a churchyard just at eve,
    When sunset adorned the west;
    And looked at the people who'd come to give
    For lov'd ones now laid at rest.
    A tall marble monument mark'd the grave,
    Of one who'd been fashion's queen,
    And I thought she is happier here at rest,
    Than to have people say, when seen:

    She's only a bird in a gilded cage,
    A beautiful sight to see,
    You may think she's happy and free from care,
    She's not tho' she seems to be,
    'Tis sad when you think of her wasted life,
    For youth cannot mate with age,
    And her beauty was sold for an old man's gold,
    She's a bird in a gilded cage. »

    « Mesdames et Messieurs, Kiora Ravensong. Le Cirque du Val d’Argent restera à Liberty jusqu’à la fin de la semaine prochaine. »

    Liberty. Pas tout à fait une escale comme les autres, finalement. Une ville au nom ô combien ironique pour un oiseau en cage, qui ne sort de son réduit que pour chanter, de gré ou de force. Une ville où j’ai vécu les plus belles années de ma vie, où j’ai appris à m’envoler… Une ville où j’ai goûté la liberté, et où elle m’a filé entre les doigts… L’a-t-il fait exprès ?
    Non, plus probablement, il ne fait pas assez de cas de mes états d’âme pour y avoir pensé.

    Après une succession de chants, et parfois, de tirages de duvet venus de spectateurs désireux de s’assurer que je suis « vraie », je regagne à nouveau mon réduit, avec un peu de pain sec, que je termine en trois bouchées.

    Et à nouveau, je guette la nuit, attendant anxieusement le moindre bruit de pas tout en espérant qu’il ne viendra pas. Cette attente nerveuse est parfois presque le pire, dans tout ça.

    Soudain, un cliquetis de serrure retentit, et je réalise que quelqu’un s’est approché sans que je n’entende le moindre bruit de pas. L’éclat d’une lanterne m’éblouit, et je me recroqueville, plisse les paupières trop tard – cette fois, je n’y étais pas préparée. Aveuglée par la lumière, je tente de me faire de plus en plus petite – mais ce n’est pas comme si je pouvais disparaitre ici, dans cette cage. Je tente de cacher mes mains difformes contre mon corps.

    Un doux sifflement me pousse enfin à lever les yeux vers la silhouette. La lampe s’est écartée, et ma vision a retrouvé sa netteté. Et là, je vois l’inconnue relever ses manches, révélant des bras couverts d’écailles lisses, brillantes, dans des tons verts et bruns. J’observe un instant ces écailles ophiques avec une fascination presque hypnotique, tentant de comprendre la vision qui s’offre à moi. Nous sommes pareilles, je comprends soudain. Enfin, pas exactement pareilles – un corbeau et un serpent – mais semblables, tout du moins. Nous sommes, toutes les deux, différentes. Hybrides.
    Pour la première fois, j’ai rencontré quelqu’un qui peut comprendre.

    Enfin, je relève la tête, et je plonge le regard dans ces yeux d’or fendus de nuit. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. Et à cet instant, je comprends que plus rien ne sera jamais comme avant. Car j’ai trouvé mon âme-sœur…

    Je tends une main vers elle, mais soudain, ces barreaux qui semblaient un instant avoir disparu se rappellement brutalement à ma mémoire. La décharge me fait retirer vivement mon bras, m'écarter à nouveau de cet or douloureux. Je secoue la tête avec tristesse.
    - Il faut que tu partes avant qu'ils ne te voient... je lui murmure, la voix rauque d'avoir trop chanté, étrangement semblable au crôassement d'un corbeau.
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    Anonymous
  • Dim 25 Déc - 22:54
    Moment de flottement qui se rompt lorsqu’elle tente de faire passer sa main à travers les barreaux de sa cage dorée. Un sifflement sinistre s’échappe d’entre mes lèvres alors que je comprends que la cage est enchantée lorsqu’elle recule, électrocuté. J’essaie à mon tour de franchir la barrière invisible pour ne subir que le même sort, douloureux et abject.

    Mais il est hors de question que je l’abandonne ici malgré sa supplique.

    - Qui…

    Je n’ai pas le temps de terminer ma question qu’un jeune garçon pouilleux entre en silence dans la pièce. Un de ces orphelins des rues qui me servent depuis que je règne sur les bas-fonds de cette ville, un de mes précieux petits moineaux qui m’aident à étendre peu un peu mon influence dans ce royaume de l’ombre.

    - Gorgone, quelqu’un vient.

    Un regard qui se veut rassurant à la femme oiseau et je suis le jeune garçon en refermant la capote de ma lanterne pour nous plonger dans l’obscurité. Les secondes s’écoulent trop lentement à mon goût mais j’entends bientôt des bruits, puis des cliquetis dans la serrure avant que la porte ne s’ouvre sur un juron.

    - Chier, c’t’imbécile a encore ‘blié d’fermer c’te porte.

    L’homme est plutôt grand, bedonnant et hirsute, apparemment à moitié saoul. Je repère rapidement le fouet et les entraves qui pendent à sa ceinture et je préfère occulter ce qu’il compte en faire. Mais le bel oiseau se recroqueville par simple réflexe dans le fond de sa cage sachant pertinemment ce que cette intrusion signifie. Je sens alors la haine qui se répand en moi comme le brasier d’un violent incendie.

    Celui qui doit être le chef de la troupe de saltimbanque glisse sa clé dans la porte pour la fermer en gloussant après avoir posé sa propre lanterne au sol.

    - T’as bien chanté ‘jourd’hui mon p’tit rossignol. Tu m’rites une r’compense.

    Il se retourne, pour se retrouver face à face avec moi, et mes yeux jaunes fendus de noir plongent dans son regard lubrique qui me donne juste envie de vomir.

    - Que…

    Il recule instinctivement alors que les tentacules au-dessus de ma tête s’agitent soudain furieusement dans sa direction, mais l’homme n’est pas né de la dernière pluie et il reprend vite contenance en portant la main à son fouet.

    - Bordel, toi aussi t’es une p’tain d’hybride.

    Je peux sentir dans sa voix du dégoût pour ce que nous sommes et une forme de complexe de supériorité que je ne connais que trop bien. Pour certaines personnes, notre part animale fait de nous tout au plus des moitiés d’humains, légitimant le fait que l’on peut nous exploiter sans vergogne. Pour ces gens nous sommes simplement des créatures inférieures.

    Sa main se serre sur son fouet et sa voix est emplie d’une haine atroce.

    - Toi aussi j’vais t’mater sale bête.

    Je ne porte aucune arme, mon corps filiforme n’est couvert que d’une longue robe qui dissimule mon anatomie écailleuse. Pourtant je suis dangereuse, plus qu’il ne semble s’en rendre compte, j’attends juste patiemment que le jeune garçon qui s’est glissé près de l’homme trop confiant s’empare de son trousseau de clés.

    Une expression de surprise s’inscrit sur le visage du tortionnaire.

    - Que…

    Mais quand son regard croise de nouveau le mien, mes yeux se sont parés d’or et il se fige dans une expression grotesque, sa peau prenant une teinte grisâtre et maladive alors que mon pouvoir le transforme presqu’instantanément en statue de pierre.  

    Je viens alors griffer son visage devenu aussi dur que le marbre, un crissement sinistre s’élevant dans la pièce.

    - Ssstupide humain.

    Le jeune garçon me présente les clés en détournant le regard par simple réflexe. Mon pouvoir est l’expression étrange de ce que je suis et il fait peur, il inspire le respect et la crainte jusque dans le cœur de ceux qui me servent.

    Je reviens lentement vers la cage, examinant le trousseau. Une clé dorée et finement ouvragée ne laisse aucun doute sur sa fonction. Je l’engage dans la serrure de la cage qui retient l’oiseau prisonnier. Un cliquetis et la porte s’ouvre, désactivant par la même occasion l’enchantement qui nous empêchait l’une l’autre de satisfaire à ce besoin prégnant de nous toucher. Je tends alors une main tremblante à travers l’ouverture, ma voix n’est qu’un murmure rassurant.

    - Je m'appelle Ssisska, et tu es libre.

    Libre de prendre ton envol, libre de t’échapper loin de cette cage, mais libre, aussi, de rester prêt de moi si tu le souhaites. Car pour une raison insensée, j’ai envie qu’elle peuple une solitude parfois trop lourde à porter…
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    Anonymous
  • Mar 31 Jan - 17:20

    Recroquevillée dans ma cage comme tant d'autres nuits avant celle-ci, je tente de disparaitre, de dissimuler mon corps hideux, comme si mon duvet noir pouvait me rendre invisible malgré la lumière de la lampe.

    Mais cette fois, les barreaux ne s'agitent pas avec force aux bruits d'une clé abattue à tatons ivres près d'une serrure. Le silence règne, jusqu'à ce qu'un doux sifflement retentisse, et m'amène à lever les yeux. La lampe ne m'éblouit plus, et je peux voir l'inconnue relever ses manches, révéler des bras couverts d'écailles scintillantes qui semblent happer mon regard et ne plus vouloir le laisser repartir. Et là, je comprends qu'elle aussi est une hybride - pas une fausse comme l'homme-ours vêtu du cirque vêtu de peau de bêtes, mais un être semblable à ce que je suis.


    Je plonge mon regard dans ses yeux d'or fendus de nuit - je n'ai jamais rien vu d'aussi beau, et un agréable tressaillement électrique semble parcourir mon coeur d'oiseau. Un instant, plus rien d'autre n'existe que moi et mon âme soeur, si près que je pourrais la toucher. Je tends une main vers elle, sans marquer la moindre hésitation...


    Et la cruelle décharge des barreaux dorés me rappelle à l'ordre. Je secoue tristement la tête en réalisant que je ne peux pas l'atteindre. Elle s'avance à son tour, subit le même sort. Je suis prisonnière de la cage, elle est libre au dehors. Le seul moyen d'être auprès d'elle serait qu'elle me rejoigne... Et je préfèrerais mourir que de la voir me rejoindre derrière ces barreaux. Alors, je l'avertis : il faut qu'elle parte.


    Au lieu de s'exécuter, elle commence une question, une question que je ne peux comprendre car elle s'interrompt à l'arriver d'un gamin dans la pièce. "Gorgone", dit-il, "quelqu'un vient". Elle me lance un regard, un regard qui répand une sensation d'apaisement dans mon être, puis elle masque la lumière de sa lanterne.


    Et là, j'entends des pas familier, des cliquetis maladroits dans la serrure, et enfin, le grincement de la porte qui s'ouvre. Une voix familière jure, et je me recroqueville aussitôt, me faisant plus petite encore que tout à l'heure. Je glisse un regard à la belle ophique ; mes lèvres sont immobiles, mais un cri résonne dans mes yeux : "Va t'en !" "Va t'en tant qu'il est encore temps !"


    Dans son regard, ce n'est pas la crainte que je lis, mais plutôt la colère. Dès que le chef de la troupe reprend la parole pourtant, c'est sur lui que je reporte mes yeux. Une récompense... Ce mot me fait frémir.


    Il se retrouve nez-à-nez avec l'inconnue que mon coeur ne semble pas considérer comme telle - Gorgone, a dit le gamin. L'effroi anime ses traits, il recule, et je vois d'élégante tentacules claquer au-dessus de la tête de la femme-serpent. Lui se ressaisit soudain, porte la main à son fouet en jurant de plus belle.


    Il recule instinctivement alors que les tentacules au-dessus de ma tête s’agitent soudain furieusement dans sa direction, mais l’homme n’est pas né de la dernière pluie et il reprend vite contenance en portant la main à son fouet.


    Il va la mater, menace-t-il. Au mépris de la douleur, je crispe les mains autour des barreaux de ma cage, tentant vainement de me frayer un passage - si j'étais humaine, mes jointures seraient blanchies par l'effort.


    - C'est pour moi que tu es venu... Laisse-la partir ! je lâche de ma voix toujours rauque d'avoir trop chanté. Un sourire que je hais étire ses traits, et je sens qu'une remarque lui brûle les lèvres quand soudain, il s'interrompt, la mine surprise. Bégaie. Et là, sa peau prend une teinte grisâtre, maladive... En un instant, elle a adopté l'aspect de la pierre, une expression confirmée par le crissement des griffes de la Gorgone sur ce qui était son visage quelques instants plus tôt.


    Elle l'insulte alors, et le gamin lui tend un trousseau - sur lequelle scintille notamment une clé dorée finement ouvragée, une clé que j'ai longtemps espéré dérober, un espoir auquel j'ai fini par renoncer. Elle engage la clé dans la serrure, et la porte s'ouvre en un cliquetis. La fin du bourdonnement qui résonnait en quasi permanence dans mes oreilles depuis des années me confirme que l'enchantement est désactivé.


    Elle tend vers moi une main tremblante, et elle murmure des paroles rassurantes.

    Elle s'appelle Ssisska.

    Je suis libre.


    Libre. J'échappe vivement à ma cage, m'élançant vers cette liberté tant désirée. Un pas, deux pas... Je suis prête à bondir en l'air pour retrouver mes ailes qui m'ont tant manqué, quand soudain, j'arrive à sa hauteur, et mon regard plonge dans la profondeur de son regard doré.


    Ssisska. A nouveau, mon coeur tressaute agréablement.

    - Je m'appelle Kiora, et tu m'as délivrée. Je murmure.


    A mon tour, je lève le bras à la rencontre de sa main tendue, avance la mienne presque jusqu'à frôler la sienne... Mais quand j'aperçois mes doigts difformes, recouverts de ces étranges fibres noires à mi-chemin entre poils et plumes, je me sens soudain gênée, et je rétracte ma main, comme pour la cacher dans mon dos.

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  • Dim 12 Mar - 14:07
    Je crains qu’elle ne s’envole alors qu’elle sautille hors de cette cage qui l’a retenu depuis trop longtemps, qu’elle déploie ses ailes de nuit pour s’élancer vers les cieux même si je voudrai pouvoir profiter de ce spectacle.  Mais elle se retient, jusqu’à me faire face et murmurer son nom.

    Kiora.

    En cet instant, je trouve ce prénom juste beau. Je ne pensais pas alors à ce qu’il allait bientôt signifier pour moi…

    Sa main qui se tend pour s’échapper avant d’entrer en contact avec la mienne. Elle a honte, honte de son apparence à cause de ceux qui l’ont traité de monstres durant tant d’années. Je ne sais que trop bien ce que cela signifie, lorsque le dégoût et la haine des autres déteignent sur vous jusqu’à ce que vous en maudissiez vous-même votre propre corps. Mais de voir cette honte dans ses yeux noirs me brisent encore plus le cœur.

    J’intercepte sa main avant qu’elle ne disparaisse. Une main aux doigts étranges, fruit des caprices de la nature. Mais ces doigts sont uniques, Kiora est unique, comme tous les hybrides, il n’en existe pas deux semblables.

    Je pose alors mon autre main dans la sienne, une main écailleuse aux doigts terminés par des griffes qui n’a rien à envier à l’étrangeté des siens. Encore une fois je lui montre, je lui montre qu’elle n’est pas seule à être unique, qu’elle n’est pas seule à avoir souffert du regard des gens « normaux ».

    Je ferme alors ses doigts fins pour prendre sa main dans les miennes, sentir sa chaleur qui me réchauffe. Un sifflement tendre s’échappe d’entre mes lèvres mi-closes alors que je l’observe. J’ai brusquement envie de plonger mes griffes dans le duvet plumeux que je devine dans son dos, mais je me retiens, et la voix précipitée du garçon qui m’a accompagné me sort de mes rêveries.

    - Gorgone…

    Je lâche sa main à regret, légèrement irrité par cette interruption. Mais le garçon a raison, mon pouvoir de pétrification ne dure que quelques minutes et bientôt l’homme abject qui à enfermé le bel oiseau sortira de sa torpeur.

    - Il faut nous hâter avant que mon pouvoir ssse dissssipe.

    Je jette un coup d’œil au directeur du cirque, dont la peau commence à perdre sa teinte grisâtre.

    - Kiora, sssi tu le sssouhaites, je peux t’offrir un nouveau foyer.

    Un endroit où elle sera en sécurité et ou plus personne n’osera la mettre en cage. Un endroit où je pourrai la garder près de moi…
    Invité
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    Anonymous
  • Sam 6 Mai - 16:38
    Liberté. Une liberté inattendue, inespérée. Une liberté vers laquelle je m'élance sans me le dire deux fois, prête à m'envoler enfin - si je sais toujours comment faire.

    Puis mon regard croise les yeux d'or de ma libératrice.

    Ssisska. Un nom à la consonance aussi hypnotique que ses pupilles mordorées.

    Je tends la main vers la sienne, frôlant presque ses doigts... Avant de reprendre conscience des miens, difformes, inhumains... Et je retire prestement ma main. Je m'apprête à la faire disparaître dans mon dos, mais elle l'intercepte et y dépose son autre main, dont j'observe les écailles avec fascination. Décidément, elle aussi, elle est différente. Et je n'ai jamais vu un être d'une telle beauté...

    Elle prend ma main dans les siennes, et je savoure la fraîcheur agréable de son contact. Elle lâche un sifflement indescriptible, étrangement doux, qui semble me réchauffer de l'intérieur. Et soudain, moi qui fuis les contacts physique depuis toujours, je suis prise de l'envie de rompre la distance entre nous, de... Je ne sais même pas, à vrai dire. Mais c'est comme si soudain, son contact m'était aussi nécessaire que l'air que je respire, cet air qui porte mes ailes en plein vol.

    Mais le garçon de tout à l'heure nous arrache à notre rêverie et, bien trop tôt, elle me lâche, laissant derrière elle une sensation de vide déchirante. Je ne comprends pas encore ce qu'est ce sentiment... Mais j'ai une certitude : si la Gorgone m'y autorise, je lui dévouerai ma vie.

    Nous devons nous hâter, dit-elle, avant que son pouvoir se dissipe. En effet, mon tortionnaire de ces dernières années reprend déjà des couleurs. La solution est simple : m'envoler à tire-d'aile et ne jamais revenir ici. Pourtant, mon regard plonge dans celui de la Gorgone, avec une hésitation incertaine. Et alors, elle propose de m'offrir un foyer, si je le souhaite. A ces mots, un sourire illumine mon regard, sans toutefois oser trop étirer mes lèvres. Je hoche la tête.

    - Je ferais mon nid dans les poutres de ta maison, et je chasserais les vermines qui menaceront tes gains. je promets alors, reprenant une version approximative d'une promesse que j'ai parfois entendu des corvidés faire à des humains incapables de la comprendre. Car les corbeaux, c'est bien connu, reconnaissent les visages et savent faire preuve de gratitude.

    Il y a autre chose, au-delà de la gratitude. Une émotion profonde, intense, qui me relie à Ssisska. Quoi ? Je ne sais pas encore. Mais je vais rester à ses côtés, et je finirais par le découvrir.

    Un vague grognement nous parvient de la part de l'homme qui m'a terrifiée pendant toutes ses années. Il commence vraiment à se défiger, d'ailleurs, ses yeux bougent de droite à gauche - de Ssisska, à moi, et de nouveau à Ssisska.

    Ses yeux.

    Voilà qui me fait repenser à une autre promesse de corbeaux.

    Je décrirais tes traits à tous les oiseaux que je te rencontrerais, et où que tu ailles, ils te crèveront les yeux, et ils lacèreront ton visage.

    Je croise le regard de Ssisska.

    - Laisse-moi un instant, s'il te plaît. J'ai un compte à régler avec lui.

    Je frôle sa main, plonge les yeux dans les siens, l'implorant d'un regard de m'attendre.

    Quelques instants plus tard, après un hurlement d'homme effroyable, je la rejoins à l'extérieur.

    Le temps que les autres arrivent pour le retrouver mort et énucléé, nous serons déjà bien loin.

    Elle m'a attendue, et je lui souris enfin.

    - Je te suis. je lui dis simplement.

    Aujourd'hui, demain, et jusqu'au bout du monde. je ne peux m'empêcher de songer.
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