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  • Jeu 22 Déc - 21:42

    Y'a pas de doute, quand il s'agit de rentrer dans le bocal des gens et leur instiller le malheur jusqu'à ce qu'ils bavent et pleurent toute l'eau de leur corps, Klarion se pose là. C'est un peu pareil que certains vieux routards de l'Office, tellement habitués à secouer les criminels de tout poil qu'ils trouvent toujours la faille dans l'armure, le point sur lequel appuyer et creuser jusqu'à ce que l'interrogé craque totalement et avoue tout.

    Les plus pragmatiques font ça avec un bottin. Moi, j'aime bien le faire avec le code pénal, ça a un charme qui me rend pas indifférent.

    Mais quand on a la magie, forcément, c'est plus simple : l'état psychologique de la victime, coupable au demeurant, danse dans le creux de sa main, sans même parler des détecteurs de mensonges sur pattes, mais eux sont plutôt envoyés sur les grosses affaires, celles sur lesquelles on peut pas se planter.

    Reste qu'on a un nom, et qu'il nous faut pas longtemps pour chopper l'adresse qui va avec : la première patrouille croisée nous dit d'aller regarder du côté de l'Auberge du Vieux Pêcheur. Paraît que le patron est radin et qu'il les lâche pas comme ça, mais comme on n'y va pas pour consommer, il nous filera bien un renseignement ou deux.

    On enfile rapidement les rues de la ville après avoir laissé Perdita aux petites mains griffues des gobelins dont j'ai déjà déjà oublié le blase, je suppose qu'ils l'emmerderont un peu par principe avant de la refiler aux professeurs. Rien de très voyant, a priori, juste un peu de torture psychologique pour se venger pour le bouquin. P'tet qu'elle va ramasser pour Klarion aussi, je sais pas.

    Hé, chacun sa merde, hein.

    En tout cas, les marins sont clairement les principaux occupants de la zone. On repère notre restaurant, et la petite porte étroite qui permet d'accéder aux habitations, au-dessus. Dans l'Auberge, on avise le patron.

    « Bonjour, Office Républicain. Est-ce que vous savez à quel étage habite Geren Penwicksen, s'il vous plaît ?
    - C'est pour quoi ?
    - Pour des affaires de l'Office Républicain.
    - Hmpf. Quatrième.
    - Merci, au plaisir.
    - C'est ça. »

    Pas le temps de lui apprendre la politesse en lui faisant un contrôle sanitaire ou quoi, malheureusement. Faudrait pas que notre coupable se soit fait la malle avec nos grimoires, ou décide d'aller planquer ailleurs. Vrai que s'il est pas là, on aura l'air fin... On monte au dernier étage, du coup, qui est bien le nôtre, et on tambourine violemment à la porte, sans que y'ait de réponse.

    Je chuchote.

    « T'as entendu le bruit à l'intérieur ? »

    Brando opine du chef. Bon bah à ce compte-là... On prend notre élan, et on enfonce le battant, qui s'écarte brusquement pour laisser la place à notre homme, un coffre de marin ouvert sur son lit avec toutes ses affaires dedans, mais surtout une petite arbalète en main, pointée dans notre direction.

    J'me laisse tomber au sol alors que la psychom ancien retourne s'abriter derrière le mur extérieur, la double rafale d'attaque mentale qui touche Geren le fait chuter par terre avec un grognement étouffé de douleur, avant qu'il se mette à gerber partout. J'coupe la magie, et visiblement, l'autre fait de même. L'odeur, déjà pas forcément terrible dans le vieil immeuble pas super bien entretenu, devient rapidement franchement désagréable.

    J'évacue ma frustration en lui foutant un coup de pied dans les côtes , bien senti, puis un second pour faire bonne mesure. Ca les aide à beaucoup moins se débattre quand je leur mets les menottes. Puis je m'époussette les mains avec la satisfaction du devoir accompli. Dans le coffre, juste des sapes et rien de bien précieux. Même le petit poignard fait davantage couteau à tout faire qu'arme un tant soit peu sérieuse, et l'arbalète doit être un reliquat de quand son père était dans l'armée.

    Autant dire qu'à part les grimoires, y'a pas grand-chose à tirer de notre joli coeur, si ce n'est de belles chemises.

    Grimoires qui sont justement au fond du coffre, et que j'laisse sur le lit.

    « Alors, Penwicksen, le plan a tourné court ?
    - Je ne vois pas de quoi vous parlez.
    - Partir avec Perdita ou, à tout le moins, les bouquins de magie de sa famille. Et ensuite, c'était quoi ? Vivoter quelques mois avec l'or, puis refaire la même chose avec une autre élève ?
    - Vous ne pouvez pas comprendre !
    - On peut pas comprendre si t'expliques pas. T'sais, elle t'aimait vraiment, hein. Probablement moins, maintenant que tu l'as abandonnée dans la panade, cela dit.
    - Mais je l'aime aussi !
    - Drôle de façon de la montrer.
    - C'est juste que... que je n'avais pas le choix !
    - On a toujours le choix, pourtant. »

    Il dit rien pendant de longues secondes pendant lesquelles j'ai envie de lui mettre le nez dans son vomi, mais j'me retiens, pasqu'il a les épaules qui tremblent, et que ça veut dire qu'il va parler.

    « J'avais... J'ai toujours... des dettes de jeu. Les livres, c'était...
    - Le moyen de rembourser ?
    - Le seul moyen !
    - Sale histoire pour Perdita. »

    Il tressaille comme un chien battu.

    « C'est pas ce que vous croyez...
    - On croit quoi ?
    - Que je me suis rapproché d'elle uniquement pour les livres...
    - C'est pas le cas ?
    - Non ! Enfin si, au début, mais ensuite...
    - Ouais enfin tu l'as quand même abandonnée, non ?
    - Je... »

    Tss, tss, tss. Toujours la même histoire. J'me tourne vers Klarion et j'pointe les grimoires, en haussant les sourcils. La question est implicite : C'est bon, tu veux faire quoi ?

    Pasque Geren, on va pas se leurrer, il va finir au trou.
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  • Ven 23 Déc - 17:10
    Particulièrement silencieux, Klarion regardait Pancrace passer les menottes à Geren, se demandant par la même occasion combien de paires l’officier républicain dissimulait dans les poches de son pantalon. Certains dégainaient leur briquet à silex plus vite que leur ombre, pour Pancrace cela semblait être les menottes. Peut-être trouvait-il le geste amusant, ou grisant, voire les deux, songeait Klarion en regardant le militaire serrer l’étau autour des poignets de l’homme bourru, à genoux sur le plancher, parfaitement impuissant. Le Psychomancien fit quelques pas, faisant grincer une latte de bois si fort qu’il crut l’espace d’un instant qu’elle allait se briser sous sa semelle. Il attrapa les grimoires que Pancrace avait posé sur le lit au drap froissé et, glissant sa main pour attraper la besace de Perdita que son amant avait subtilisé, passa les livres dans le sac en agrippant fermement la bandoulière. Hors de question que quelqu’un d’autre ne les reprenne cette fois ! Ils avaient trop crapahuté depuis le début de leur enquête, à faire le tour de l’université puis des faubourgs, pour perdre à nouveau l’objet de leurs pérégrinations. Pancrace jeta à Klarion un œil interrogateur et ce dernier se tourna vers son équipier du jour, à la fois pensif et soucieux.

    - Où avez-vous contracté vos dettes de jeu ? Demanda Klarion à Geren, sans quitter Pancrace des yeux.

    Penwicksen leva le nez, pathétique, comme un chien honteux d’avoir commis une bêtise et qu’on aurait pris la main dans le sac.

    - Un club secret dont l’emplacement bouge régulièrement dans Liberty… On m’y a fait entrer ! La première fois, c’était près de la place du Concordat, la deuxième, en périphérie du ghetto rekoi, vous voyez le genre.

    - Comment êtes-vous au courant de l’emplacement si le club bouge régulièrement ?

    - Ils ont des gens de confiance qui transmettent, comme c’lui qui m’a parrainé. Y a que comme ça qu’on peut y aller.

    - Le club est secret pour une raison, laquelle ?

    - J’ai juste fréquenté les tables de jeu des nouveaux, y avait des drogues dures qui tournaient. Mais j’sais que mon parrain pouvait aller dans la loge privée des habitués, et y en a une aussi pour les gros bonnets. Doit y avoir une raison, pas vrai ?

    - Toujours, mais malheureusement vous ne serez d’aucune aide pour la déduire.

    Klarion pivota alors vers Geren et, à l’aide de son bâton catalyseur, lui asséna un violent coup au visage, sur son front, juste au-dessus de ses yeux. L’homme benêt bascula en arrière et tomba au sol, complètement sonné, n’émettant qu’un cri rauque en s’effondrant, soufflé. L’arcaniste s’en retourna vers l’officier Dosian, comme si de rien n’était afin de reprendre :

    - Cela me semblait bien bizarre que quelqu’un puisse avoir contracté des dettes si énormes au point d’être déterminé à subtiliser du savoir magique de cet acabit. Non, ce n’était pas un loup qu’il y avait là-dessous, mais bien un lycanthrope.

    Klarion voyait que Pancrace restait dans l’expectative, il décida ainsi de continuer sans le faire languir. Dans la rue, des bruits d’enfants en train de s’amuser et s’alpaguant à la course se fit entendre, ils avaient l’air de s’amuser, inconscients de ce qui se déroulait loin de leurs oreilles innocentes.

    - Ces grimoires sont bien trop précieux pour couvrir de simples dettes de jeu, c’est impossible. Ils couvriraient les dettes de presque une centaine de personnes endettées chacune sur une période équivalant environ aux trois quarts d’une vie humaine moyenne. Aucun établissement, encore moins illégal, ne laisserait un client s’endetter autant. Je suppose que vous voyez où je veux en venir ?

    Il paraissait évident que Geren s’était fait manipuler du début à la fin, sans aucun doute sous l’influence non négligeable de ce fameux « parrain » l’ayant introduit dans ce club secret. Penwicksen n’avait été qu’une bonne poire, facilement contrôlable ; une marionnette suspendues à de longs fils avec, tout en haut, des éminences grises qui profitaient bien de la faiblesse d’esprit et pécuniaire de leurs nouveaux venus. Geren avait dû être mis dos au mur afin de voler les grimoires, croyant à des dettes titanesques alors que la finalité n’était, tout simplement, qu’un vol d’artefacts magiques. Sa liaison avec Perdita aurait couvert la véritable raison de l’affaire, et la pauvre disciple aurait été celle qui, non contente de se retrouver dans le collimateur collectif en raison de son ascendance avec l’auteur des grimoires, aurait servi de parfait bouc émissaire.

    - Il semblerait que votre affaire ne soit pas terminée… Reprit Klarion en haussant un sourcil, une fossette chafouine se dessinant tout doucement dans le creux d’une joue. Je dois avouer que je serais curieux de voir qui a osé vouloir s’en prendre à mon académie, bien que mon rôle soit désormais accompli.

    Le mage psychique marqua une pause, passant sa main sur la pierre de son bâton comme s’il caressait le pelage d’un chat.

    - Par ailleurs, je gage que ce club doit avoir subtilisé d’autres biens de nature magique, ou enchantée. Je serais fort intéressé de pouvoir mettre la ma… Enfin, mettre à profit mon expertise pour en déceler les secrets. Mais, je suppose que le plus important pour l’instant est d’emporter cet empoté en cellule, n’est-ce pas ?

    À présent, Klarion affichait à Pancrace un sourire entier, des plus énigmatiques, le genre de sourire cryptique qu’on ne pouvait aisément interpréter. Au travers de la fenêtre, les rayons de lumière traversant les fins rideaux blancs rehaussait le teint blafard du bel arcaniste, ne faisant qu’amplifier son charme sibyllin, lunaire. Klarion ne souriait de cette façon que dans deux occasions : lorsqu’il songeait à son objectif, et lorsqu’il voulait obtenir quelque chose.
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  • Lun 26 Déc - 17:03

    Faut pas se leurrer, l'investigation est terminée : on a capturé les coupables, ils vont aller faire ce que la justice décrète pour eux, que ce soit d'aller casser des cailloux en bord de route, penser à la liberté en voyant le beau blond par les barreaux de la prison, ou une tape sur les doigts en leur disant d'être sage la prochaine fois. Par contre, Klarion, il veut clairement fouiller du côté de la pègre et le club de jeux privés.

    Moi, j'pensais que c'était du code pour des orgies, mais p'tet qu'ils jouent vraiment aux cartes.

    « Ouais, on va d'abord le livrer aux autorités, et on verra ce qui tombe, c'est plus de mon ressort ensuite. Et pour la gamine, pareil, vous verrez côté Académie ce que vous voulez faire. Pour le reste... J'y réfléchis. »

    Et c'est même pas un mensonge. Alors que j'descends Geren sans grand ménagement et qu'on le trimballe dans la rue en direction du poste de l'Office après l'avoir réveillé de quelques baffes, j'pèse le pour et le contre. Les inconvénients sont évidents, on risque de tomber dans un truc trop gros pour nous et deux mages noirs dont un condé, ça suffira pas à se protéger, donc on sera retrouvé à flotter à la surface un beau matin.

    L'avantage, c'est qu'on peut rencontrer des gens intéressants, avec lesquels on pourra discuter. Ou, si les échanges verbaux ne sont pas à l'ordre du jour, on pourra toujours se servir. Car, comme dit fréquemment Gunnar, voler à des voleurs, est-ce vraiment du vol ? La justice a un avis, la morale et l'éthique en ont un autre. Enfin, en ce qui nous concerne, hein.

    Puis, hé, on ne vit qu'une seule fois.

    Après avoir livré Geren, on s'arrête à la sortie, dans la rue richement illuminée par un soleil magnifique. Ca lui fait vraiment l'air pâlichon, comme une merde de laitier. Il gagnerait à sortir davantage, il aurait l'air moins maladif. M'enfin, il faut bien ça pour le gros cerveau des plus grands magiciens de la République, je suppose.

    « Allons jeter un oeil ce soir à ces salles de jeu. L'important, dans la vie, c'est les belles rencontres. »

    C'est que Geren a pas trop rechigné à filer le nom de son parrain. Il a l'air au fond du trou, psychologiquement, et il y sera bientôt physiquement aussi. J'ai profité de l'après-midi pour sonder mes rares contacts locaux, mais ça leur évoquait que dalle, alors j'ai laissé tomber : on va y aller à l'impro, et dans le pire des cas, un peu de magie devrait réussir à me sortir de là.

    ****

    Quelques heures plus tard, le soleil est couché depuis un temps, et on s'retrouve juste à côté de la salle itinéraire avec Klarion. J'ai troqué mon uniforme contre une belle chemise blanche et une veste en cuir suffisamment épaisse pour arrêter un coup de couteau pas trop énervé, et j'ai les miens rangés un peu partout. J'ai laissé l'épée aux dortoirs, aucune chance que j'puisse rentrer avec.

    Il s'agit d'un genre d'hôtel plutôt haut de gamme, et quand on entre, le concierge nous demande le motif. Ils doivent toujours faire les chambres et la bouffe, j'suppose, en plus des paris et des jeux, donc faut bien faire tourner la boutique.

    « On vient de la part de Joncque Rhumjack.
    - Troisième étage, messieurs, vous ne pouvez pas rater l'entrée. »

    A voir les deux mastards, effectivement, on n'aurait pas pu confondre, que ce soit pour entrer par erreur ou pour louper la porte. Ils procèdent à un contrôle de routine, et j'dépose le couteau long et celui qu'était dans ma manche à l'accueil, tandis que Brando n'avait rien de particulier sur lui. T'façon, il m'en reste encore un, caché au niveau de la ceinture, et la fouille sommaire à laquelle j'ai été soumis ne l'a pas trouvé. On n'a jamais trop de couteaux.

    Puis on est introduit dans un premier salon découpé par d'imposantes tentures de velours rouge. Les différentes tables présentent des jeux différents, cartes, dés, roulettes et d'autres trucs que j'connais pas, trop distingués probablement, à voir les croupiers tirés à quatre épingles. Les explosions de joie se mêlent aux expressions de déception et de tristesse, et le petit personnel s'affaire constamment à remplir les verres et à faire circuler des petites poches en tissu qui doivent contenir les drogues dures dont parlait Geren.

    Avec un peu de bol, elle sera moins coupée que celle dont j'ai l'habitude.

    Un connard à l'entrée s'approche de nous.

    « Êtes-vous attendus, messieurs ?
    - On aurait besoin de Monsieur Rhumjack.
    - Il n'est pas encore arrivé.
    - C'est parfait, nous allons l'attendre ici, dans ce cas. »

    Le pognon, ça va, ça vient, faut pas trop s'en faire. Alors on joue petit en attendant.
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  • Mar 27 Déc - 17:24
    - Joncque Rhumjack, grommela Klarion à voix basse à l’attention de Pancrace. Il a quel âge ce caïd pour avoir un nom pareil ? Huit ans et demi ?

    Assis à côté de l’officier républicain, le magicien psychique observait silencieusement le monde qui gravitait autour de lui dans ce club clandestin. Beaucoup de clients portaient des masques aux styles divers et aux couleurs tout aussi variées ; il était fort à parier qu’un certain nombre était là pour leur propre bénéfice et désiraient ne pas être reconnus. Entre les tentures de velours et de soie criarde, des illusions féminines aux poses suggestives dansaient contre les parois des murs. Les mirages avaient été grossièrement réalisés, les figures bouclant régulièrement dans leur mouvements. Cela dérangeait particulièrement Klarion ; non pas qu’il fusse particulièrement aguiché mais le manque de rigueur incantatoire le perturbait au plus au point. Personne ne regardait ces illusions mais de nombreux yeux louchaient sur les fesses ou les seins des nombreuses femmes nues, ou à demi-nues, qui évoluaient entre les tables de jeux à pas de velours. Certaines portaient des plateaux avec des verres, des victuailles ou tout simplement des boîtes de jetons. La plupart d’entre elles devaient avoir simplement la vingtaine, peut-être légèrement plus, et avaient le visage fardé de bien trop de maquillage pour les faire paraître plus âgées… ou plus jeunes encore. L’une d’elles, une rouquine à la poitrine rebondie, tenta une approche vers Klarion en roucoulant, approchant une main gantée de dentelle vers lui. Il la repoussa avec une froideur glaciale et un revers agacé :

    - Vous n’avez aucune chance avec moi, vous êtes une femme. Allez embêter quelqu’un d’autre.

    Les joues déjà rouges de fard de la servante s’empourprèrent encore plus pour ressembler à deux tomates et la pauvre rejetée partit en sautillant vers une autre table. Elle y fut bien mieux accueillie et se glissa doucement sur les genoux d’un balourd qui lui tripotait déjà les cuisses. Klarion n’avait même pas effleuré le verre qu’on avait posé machinalement sur la table face à laquelle on les avait conduit pour patienter. Dedans, trois glaçons baignaient timidement dans un liquide sirupeux verdâtre duquel deux ou trois bulles s’échappaient vers la surface à intervalles réguliers. L’arcaniste se contentait d’agripper son bâton en toisant la salle d’un air sévère, scrutant chaque recoin comme si quelque chose allait en surgir pour fondre sur eux. Au cours de son inspection, il remarqua quelque chose de bien intriguant, sur l’un des murs, entre deux illusions. Il se pencha vers Pancrace pour lui glisser à l’oreille :

    - Le bas-relief là-bas, en forme de gargouille, lui fit-il en lui pointant du menton ce qu’il désignait, il marque un passage vers les catacombes.

    La présence de pareille entrée vers un important réseau de galeries sous la cité dans le club semblait logique ; ceux qui dirigeaient cet endroit devaient utiliser les catacombes pour évoluer facilement. C’était là le secret de leur promptitude, et le moyen qu’ils utilisaient pour faire bouger l’emplacement de leur club aussi régulièrement et avec autant d’aisance. Il allait falloir que la garde républicaine patrouille plus régulièrement dans ces souterrains ; qui savait ce qui pouvait bien se dérouler au milieu de ces couloirs morbides ? Au bout de quelques minutes, le type vulgaire qui les avait accueilli lorsqu’ils étaient entrés revint à leur rencontre, l’air renfrogné. Il s’adressa à Pancrace directement et sans ménagement :

    - Rhumjack va vous r’cevoir dans un des salons privés, mais juste vous.

    - Et pourquoi ma présence n’est-elle pas désirée ? demanda Klarion en plantant ses yeux perçants sur le vigile.

    - Vous êtes un mage, y veulent pas d’vous près d’eux. V’pourriez lancer un sort ou une merde dans l’genre.

    - Ridicule, vous comptez me laisser moisir sur cette chaise ?

    - C’est pas mon problème, z’avez qu’à boire, jouer ou vous épuiser avec une zouze.

    Le gorille commençait à partir, poussant une fille au passage comme si elle n’était rien d’autre qu’un vieux vêtement. Le Psychomancien souffla et fit signe à Pancrace qu’il pouvait y aller et qu’il irait bien de son côté, ils n’avaient pas le choix de toute façon. Le jeune sorcier en profita pour sonder l’assistance. S’il ne pouvait pas assister à l’entrevue avec les gros bonnets, peut-être qu’il pourrait se rendre utile en balisant le terrain et préparer une potentielle route de sortie si les choses tournaient au vinaigre. Les prostituées qui travaillaient entre les tables semblaient être les plus fragiles d’esprit de la salle, mais également fragiles en général. Elles étaient toutes frêles, et littéralement nues, les contrôler pourrait provoquer une certaine panique mais serait inutile en cas de confrontation physique. Les clients, de leur côté, ne devaient pas posséder des défenses mentales bien lourdes. Tous étaient motivés par l'appât du gain, et nombre d’entre eux devaient être suffisamment au bout du rouleau pour être tournés en bourrique comme Geren l’avait été. Les plus utiles à contrôler demeuraient les vigiles, mais ils étaient également ceux qui ne se laisseraient pas approcher si facilement, avec leurs lames et matraques. Quelques plans germaient dans l’esprit du mage ; il pouvait semer le chaos avec ses manipulations d’émotions, ou prendre le contrôle de plusieurs personnes et les utiliser comme pantins contre les vigiles. De même, ses griffes mentales étaient suffisamment affûtées pour mettre à mal ses opposants. Toutefois, il n’allait pas attendre que Pancrace revienne ou tombe dans un traquenard ; Klarion commença à évoluer au sein de la salle, distillant ça et là, discrètement, quelques bouffées émotives chez certains convives. Pour celui-ci, une exacerbation d’enthousiasme, pour celle-là un excès d’angoisse, etc. Égrainer ses sortilèges de la sorte pourrait s’avérer payant, en fin de compte…  
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  • Ven 30 Déc - 11:37

    Hé, faut qu'il se détende, Brando. Visiblement, les nanas, c'est pas son truc, première nouvelle, mais y'a sûrement quelques gigolos qui traînent aussi dans la salle, suffit de regarder un peu, genre ce serveur un peu trop tactile au fond, ou le croupier à la chemise largement ouverte sur son torse puissant, fruit d'un travail de tous les instants à n'en pas douter. En tout cas, l'ambiance est sympa, je trouve : petite musique d'ambiance, la folie du jeu et du hasard, des beaux corps qui circulent, se frôlent et s'effleurent, tout est fait pour fouetter les sangs.

    Ce qu'ils nous donnent y participe aussi, et j'ai descendu le verre qui nous a été servi sans faire de chichis. La morsure de l'alcool cache pas totalement le mélange de plantes, rien de bien méchant. C'est le cocktail du remueur, que ça s'appelle généralement, j'crois : un truc qui donne un coup de fouet et démultiplie les effets de l'ivresse. Si j'm'arrête à un verre, ça devrait aller.

    Mais j'tangue un peu quand le gorille vient me chercher pour aller voir Rhumjack. Un nom comme je les aime. C'est un peu comme s'appeller Coeurdacier, ou Hurlevent, ou Foutremaman. P'tet un peu trop artificiel pour être réel, mais ça peut avoir son charme, après tout. On laisse Klarion derrière. De toute façon, il a l'air autant à sa place qu'une tenue de trappeur du nord dans un sauna.

    « T'inquiète, j'ai la situation sous contrôle, mon pote. »

    Enfin, ça reste à prouver, bien entendu.

    J'suis le gus dans un autre espace, et on sent qu'on monte en gamme : y'a moins de tables, qui sont moins serrées, mais les jetons et pièces présents dessus sont plus gros et plus brillants, comme les bijoux divers et variés portés par ces dames et messieurs, qui ne rechignent pas à porter d'imposantes chevalières et autres chaînes en or ou en platine. P'tet pas encore le top du top, mais on est sur du gros négociant et de la famille noble, m'est avis. L'étape d'après, c'est les sénateurs et les dirigeants de la SSG ? Quoiqu'ils viendraient pas dans un bouge pareil, sauf à vouloir s'encanailler.

    J'me retrouve finalement à côté d'un type énorme, genre ventripotent, mais plutôt le sportif qui s'est laissé aller. La cinquantaine, bien coiffé et habillé, par un tailleur sûrement, avec un cou de taureau et des avant-bras énormes et velus posés sur la table de blackjack, il m'invite à m'asseoir à côté de lui. Yeux bleus et un monocle, cicatrice à l'arcade droite qui lui fait une mini-mèche blanche dans le sourcil. Bonne taille, le quatre-vingt, je dirais.

    Déformation professionnelle : s'il faut faire un portrait-robot, j'serai capable de le décrire pour les collègues ou d'éventuels temoins.

    Plutôt à rebours du reste, il a une voix de ténor, voire plus aigue encore.

    « Joncque Rhumjack, enchanté. Je n'ai pas souvenir que nous ayons déjà fait connaissance, mais ce sera un plaisir, je l'espère. »

    J'viens de noter qu'il a un collier avec un tonnelet comme pendentif. Subtil.

    « Basil, de même.
    - Faux nom ? Qu'il demande en haussant un sourcil.
    - Evidemment. C'est juste une sécurité.
    - Et votre camarade si ostensiblement magicien ?
    - P'tet qu'il l'est, même, on sait jamais. Il paraît que l'académie fait des cours du soir. »

    Il rumine quelques instants, cherche à savoir s'il doit prendre un risque, j'suppose. L'effet de l'alcool est un peu lointain, déjà, remplacé par l'adrénaline du moment. C'est là qu'on se retrouve à flotter dans le port ou bien les poches pleines.

    « Admettons. Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
    - Par Geren. Penwicksen.
    - Hm, oui, je vois de qui il s'agit. Et il a craché ça comme ça ?
    - On a su être convainquant.
    - Admettons à nouveau. »

    J'sens qu'il va admettre beaucoup de choses.

    « Qu'est-ce que vous voulez ? Le frisson d'un soir à la table de jeu ? Une charmante rencontre ? Faisons une partie, tiens. Les mises commencent à cinquante. »

    J'pose sans sourciller les pièces nécessaires sur la table, et intérieurement je meurs un peu. J'ai pas pris mes réserves secrètes, et ça représente déjà pas mal de thunes pour mon petit salaire de trouffion de l'office républicain. Mais j'suppose qu'il est en train de sonder mes capacités financières. La première carte est un dix. Bon, ça va. La seconde aussi, alors je reste.

    « En fait, en discutant avec ce bon vieux Geren, on s'est rendu compte qu'il avait été plus ou moins poussé à se procurer des objets magiques. Des grimoires, en l'occurrence, mais je présume que cela a peu d'importance.
    - Hm. Continuez. »

    J'gagne la première main et j'rempile pour la deuxième, avec un six qui m'donne envie de pleurer.

    « Vu ce qu'il s'était attaché à récupérer, des bouquins de magie d'une valeur difficilement évaluable, encore que celui sur le fromage semblait un peu douteux, nous nous sommes dit, avec mon petit camarade, qu'il devait y avoir autre chose que juste arnaquer un pauvre type accroc aux jeux d'argent. Merde, j'ai dépassé. »

    Le dix qui tombe met un terme à ma folie de pioche, et la mise repart dans les mains de la banque. Le regard de Joncque reste sur moi.

    « Et ensuite ?
    - Ensuite, ça reste à voir. Je veux dire, tout est possible. Si on devait parler, ça serait mieux avec mon collègue, vous savez. »

    Il adresse un signe à son larbin, qui part chercher Klarion. Et maintenant, quoi ? On essaie d'entrer en cheville avec lui ? On le balance à l'Office ou à l'académie pour trafic d'objets magiques ? J'me rends compte que je sais même pas ce que le mage veut vraiment.
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  • Dim 1 Jan - 16:33
    - Si j’suis là, c’est la faute à ma mère !

    - Je sais, répondit Klarion d’un ton des plus flegmatiques, c’est la huitième fois que vous l’avez dit.

    L’homme avec qui Klarion échangeait était ivre ; il s’était assis sur un fauteuil près de lui en titubant légèrement, la prostituée qu’il avait à son bras bien ravie de se libérer de pareil fardeau. Il était bien petit, au point qu’on aurait pu le confondre avec un nain, et possédait un teint de pivoine à cause de l’alcool. Une énorme calvitie sur sa tête, il avait l’air bien ingrat et minable avec ses joues roses et son pourpoint rapiécé, taché d’huile et de vin. Son vêtement devait avoir été emprunté, ou dérobé dans une poubelle pour être grossièrement reprisé. D’après ce que le mage avait compris, il était fermier, vivait seul avec son vieux père sénile, dilapidait ses économies dans le jeu et l’alcool pour oublier la peine causée par le décès abrupt de sa pauvre mère. L’agriculteur avait d’ailleurs dans la main une bouteille d’eau de vie à moitié terminée et l’homme ne se gênait pas reprendre une ou deux rasades à intervalles réguliers. À chaque fois qu’il ouvrait la bouche, son haleine chaude empestait un mélange de bière blonde et de liqueur fruitée. Il reprit sa complainte après un rot à demi étouffé :

    - L’était à la f’nêtre, m’dit « Gildas y a les bêtes qui graillent. » Puis elle a dit « Tiens j’ai envie d’aller aux toilettes. » puis elle s’est effondrée…

    -

    Il se mit à sangloter comme un bébé face à un Klarion toujours aussi imperturbable. Une serveuse toute vêtue de cuir, perchée sur de vertigineux escarpins, passa à leur portée avec une cravache et une chaîne enroulée dans une main. Elle disparut derrière des tentures tandis que le paysan continuait de se lamenter tout seul :

    - Y avait pu’ rien à faire…

    Klarion soupira, non pas par exaspération mais par intense pitié. Il était assis à côté d’une des innombrables âmes en peine qu’il essayait de soigner, un homme ravagé par le chagrin, le désespoir et les excès. Le fermier avait été non seulement accablé par le décès de sa mère, mais vivait des jours de rancune et de frustration à devoir s’occuper de son vieux père dément et sénile. Il n’avait plus personne, juste un travail éprouvant, une vie sentimentale et personnelle inexistante ; il ne faisait que glisser dans une spirale autodestructrice. Des profils comme lui, Klarion en avait croisé moult et, à défaut de pouvoir remodeler son esprit, il allait essayer d’apposer un placebo temporaire. L’arcaniste agita légèrement ses doigts et diffusa une vague de minces filets d’or qui s’engouffrèrent langoureusement dans le flanc du soulard. Sitôt que la magie entra en lui, ce dernier cessa de pleurnicher et un sourire s’étira tout doucement sur son visage poupin. Il se mit à rire bêtement comme un enfant qui se rappelait d’une blague potache qu’on lui avait raconté. L’agriculteur se leva, brandissant sa bouteille et se mit à entonner un chant paillard avant de repartir vers une table où d’autres convives ivres se joignaient à lui.

    - Vous, tança un des gorilles du club à l’intention de Klarion, suivez-moi.

    - Toujours aussi aimable

    Klarion se leva pour suivre le vigile jusqu’au salon dans lequel Pancrace avait été conduit il y a peu. Le magicien ne fut pas spécialement surpris de voir l’officier républicain attablé, en train de jouer aux cartes et siroter de l’alcool, face à un homme si gras et potelé qu’on aurait pu le confondre aisément avec un hybride porcin. Levant vers le sorcier les billes noires qui lui servaient d’yeux, l’intéressé s’apprêtait à porter son verre à sa bouche mais s’arrêta soudain, son visage adoptant une expression à la fois troublée et intriguée.

    - On se s’rait pas déjà vus, garçon ?

    Klarion s’arrêta face à la table et fronça les sourcils ; il n’avait aucun souvenir d’avoir déjà croisé pareil personnage. Il tenta d’analyser ses traits, mais son visage était bien trop boursouflé de gras pour lui rappeler quoi que ce soit. Le Psychomancien baissa alors ses yeux vers ses mains, boudinées comme des saucisses, pour enfin s’arrêter sur une chevalière qui manquait de céder sous la pression de son gros doigt. Sur la chevalière, Klarion reconnut l’emblème d’une famille de la très petite noblesse, aujourd’hui disparue pour cause de faillite et de disgrâce. Il avait déjà croisé cet homme, il y avait longtemps, quand il possédait toujours son statut et sa dignité, quand il n’était pas Joncque Rhumjack mais Whiskeygan de Callahan. C’était il y avait une quinzaine d’années, au cours de réceptions aussi somptueuses qu’élitistes ; Klarion y accompagnait toujours ses parents, et n’avait que treize ans.

    - Je suis le fils de Maximilien Brando, et de Madeline Delatour-Fonval.

    Les deux noms suffirent pour que Rhumjack modèle une expression de surprise sur  sa figure graisseuse.

    - Brando, le grand joaillier ? Ça par exemple ! Me d’sait bien que vous m’rappeliez quelque chose.

    Il reposa son verre pour sortir un imposant cigare dont il coupa le bout avant de l’allumer et d’en tirer une bouffée. Rhumjack expulsa une vague de fumée opaque avant de s’adresser de nouveau à Klarion ; il l’invita à s’asseoir et le magicien noir se glissa dans un fauteuil à côté de Pancrace, continuant d’aggriper son bâton dans sa paume.

    - Que me vaut votre visite impromptue, sieur Brando ? J’dois dire que j’ignorais tout de votre carrière de mage. Et ça m’surprend que vous fricotiez avec un gars pareil, c’est pas des -bonnes fréquentations pour un aristocrate comme vous.

    Son ton était moqueur, Klarion ne s’en formalisa pas pour autant et se contenter de soutenir son regard avec une expression aussi perçante que celle d’un faucon.

    - J’ose espérer que monsieur vous a déjà exposé les raisons de notre venue. Mais, puisque vous me le demandez… Le benêt qui devait vous apporter les grimoires des archives de l’Université a lamentablement échoué, et vous a exposé. Je me fiche des occupations décadentes que vous menez dans vos petits clubs, ce qui m’intéresse ce sont les artefacts magiques qui passent par chez vous.

    - Et, en quoi cela vous intéresse ? Répondit Rhumjack en aspirant à nouveau sur son cigare en l’enfermant dans ses lèvres huileuses.

    - Je les veux, tout simplement. Je gage qu’ils ont dû mystérieusement disparaître ça et là, un peu partout au sein de Liberty, leur savoir me sera plus profitable qu’à vous.

    Rhumjack éclata d’un rire tonitruant, lâchant son cigare qui tomba sur la table de jeu, laissant tomber de la cendre partout sur le bois et les cartes.

    - La disgrâce ne vous a pas réussi. Vous qui étiez si élégant, dans mes souvenirs.

    Le mafieux cessa immédiatement de rire, le ton était devenu subitement bien lourd. Klarion avait tu sa connaissance de la véritable identité de Rhumjack, et ce dernier n’avait pas l’air particulièrement enchanté de l’entendre suggérer à voix haute devant ses hommes qu’il pouvait la révéler. Le petit noble déchu devenait rouge comme une pivoine, il semblait vouloir éviter que Klarion ne dévoile quoi que ce soit.

    - Et la magie vous a corrompu.

    - Vous allez me dire que vous menacer n’est que pure folie, mais menacer un sorcier l’est tout autant. Soyez raisonnable, je ne désire que vos artefacts, le reste… hé bien, ne dépend que de vous.
    Citoyen de La République
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    Pancrace Dosian
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    qui suis-je ?:
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  • Ven 6 Jan - 17:21

    Marrant, qu’ils se connaissent, les deux. Si j’avais pu en mettre ma main à couper, on m’appellerait le Manchot, maintenant. Et ça me permet aussi d’en apprendre davantage sur mon collègue et ses motivations. Loin de l’héroïsme supposé initialement de vouloir mettre fin à ce trafic qui a tout de l’illégalité, il veut même plutôt prendre sa part, et pouvoir accéder à des trucs sur lesquels, normalement, il aurait du mal à se positionner.

    Je pensais pas que l’Académie était comme ça, mais j’suppose que y’a tout un volet magique qui leur est difficile d’accès, et qui du coup leur échappe. Ne serait-ce que ce que de vieilles familles peuvent garder dans leurs coffres, dans leurs caves ou autres débarras, par exemple, ou les héritages de vieux mages géniaux qui sont jamais arrivés jusqu’à Magic. Doit y avoir pas mal de déchet, mais un œil avisé devrait pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie, et c’est probablement le cas de Brando, mage émérite, tout ça.

    La bonne nouvelle, cela dit, c’est que du coup, on a arrêté de jouer aux cartes, et que j’vais p’tet arrêter de perdre mon salaire.

    « Il me semble que la conversation glisse vers des directions peu appréciables pour chacun d’entre nous. »

    On va passer sur le fait que j’sois officier républicain, c’est un coup à ce qu’on finisse tous les deux avec un deuxième sourire dans une ruelle. Echanger les menaces, c’est vraiment un plan miteux, donc faut reprendre le contrôle de la situation. Evidemment qu’on va pas réussir à le faire chanter au point qu’il nous lâche tout son stock de reliques magiques, et évidemment qu’il va pas pouvoir nous tuer comme ça pour faire disparaître la gêne à laquelle il fait face. Enfin, pour le second point, l’important, c’est que Joncque le croit, pasque la réalité serait probablement toute autre.

    « Il y avait sans doute un malentendu, ce que nous recherchons, c’est, tout simplement… »

    Je suis coupé provisoirement par la serveuse peu habillée en cuir qui vient se dandiner à côté de nous pour remplir les verres. J’reprends une gorgée le temps qu’elle décanille.

    « … une relation commerciale.
    - Ah, mais dans ce cas, je vous communique immédiatement les prix pour…
    - Justement, il m’apparaît logique que le prix du marché ne s’applique pas en totalité à des partenaires commerciaux et, j’ose le dire, des amis. »

    Amis, mes couilles. J’veux juste une ristourne, sinon ça n’a aucun intérêt. Joncque tire à grosses bouffées sur son cigare, et réfléchit à si c’est une bonne idée ou pas. Il pourra toujours nous faire disparaître plus tard, ou nous donner des prix qui n’ont aucun sens dans tous les cas.

    « Pour ma part, étant assez peu matérialiste, je voudrais juste consulter un p’tit peu sur quelques sujets spécifiques, donc on serait davantage sur de la location. Tout ce qui est reliques et autres objets précieux, pas mon délire. Concernant Klarion… Hé bien, lui, pourrait acheter si ça lui chante. »

    Il plisse les yeux, notre fournisseur.

    « L’intérêt, c’est que ça serait un peu comme vendre deux fois : certes, je paierais moins cher, mais ça se recouperait avec une vente ultérieure, que du bonus, quoi. »

    On va pas se leurrer, c’est plutôt les grimoires de magie noire appliquée qui m’intéresseraient. Du sort et des incantations à balancer telles quelles, histoire de garder un as dans la manche, quand j’me retrouve au bout du bout, pour sauver ma peau ou arranger mes affaires. Et faire mon brave travail de gentil Officier Républicain, évidemment, pasque ça fait partie du truc. Pas question de faire partie de la fange des collègues.

    J’vois que les arguments ont fait mouche, au point que j’me demande si Brando y est quelque chose avec un de ses pouvoirs de suggestion ou d’influence mentale. Mais on dirait pas, vu comme Rhumjack se maintient un peu éloigné, et s’agite constamment sans jamais nous fixer droit dans les yeux. J’crois qu’il me voit comme un genre d’entremetteur pour Klarion, vu que clairement, la majeure partie de son attention s’est déportée pour lui. Ça pourrait me vexer, si j’avais un ego surdimensionné, mais honnêtement, j’en suis plutôt soulagé. J’ai pas la moindre envie de passer le reste de ma vie à regarder par-dessus mon épaule pour voir si une dague va faire la nique à mon palpitant dans chaque ruelle un peu sombre et glauque.

    « Partons là-dessus. Pour les taux, par contre… »

    Et ça part en négociation sur des fragments de pièces, des montants qui sont tellement découpés que j’me demande vers où on va. Mais vu les sommes en jeu, p’tet que les fractions infinitésimales sur lesquelles deux autres ergotent depuis dix bonnes minutes vont s’avérer conséquentes à la fin. Nan, moi j’réfléchis plutôt à où j’vais trouver les fonds pour financer ce nouveau passe-temps qui risque vite de s’avérer coûteux, même si j’restreins mes curiosités. P’tet que j’passerai moins de temps à me pinter le soir, déjà, ça aidera.

    Chienne de vie.

    « Topons et buvons pour fêter ça ! »

    Ah, la partie que j’attendais : le cognac est versé dans nos verres sur un signe, on trinque, et on boit cul sec. Et ça commence à taper un peu dans le bocal.
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  • Lun 9 Jan - 19:52
    Klarion avait à peine touché le verre de cognac qu’on lui avait servi. Le jeune homme y avait simplement trempé ses lèvres plus par formalisme que par réelle envie ; l’odeur et le goût le révulsait. De plus, en tant que magicien expert en magie psychique, il se devait de garder son propre esprit en parfait état afin d’en avoir constamment le contrôle. L’ivresse ne faisait qu’abattre à grands coups de burin un rempart de volonté pour laisser possible toute attaque nocive contre n’importe quel esprit. Peu importe le statut ou la puissance, un être soûl devenait le jouet servil et inconscient du premier cerveau retors qui mettait la main dessus. Et compte tenu de leur situation et du lieu où les deux compagnons se trouvaient, Klarion n’avait aucune envie de perdre ses sens et ses pouvoirs. Pancrace, lui, ne se gêna pas pour vider son verre cul-sec. L’arcaniste avait l’impression qu’il ne suffisait que d’une caresse de griffes et de quelques verres supplémentaires pour que l’officier ne prenne aussi un cigare et commence à se prendre pour un caïd de la mafia. Ou bien n’était-ce qu’une impression ? Klarion avait bien noté la passivité de l’officier Dosian, voire son intérêt, lorsqu’il avait statué à Rhumjack qu’il ne venait pas pour mettre à mal son commerce mais pour acquérir ses biens magiques. Après quoi était-il exactement ?

    - Aaaah… soupira Rhumjack en poussant un son guttural et gras. J’mangerais bien un morceau avec ça. Bougez pas, j’vais donner deux-trois consignes.

    Le gros bonnet s’extirpa de son fauteuil avec tous les efforts du monde. On aurait dit un dieu ancestral émergeant de l’endroit où on l’aurait scellé pendant des millénaires. Les boutons de son pourpoint étaient si serrés qu’on aurait dit qu’ils allaient se mettre à fuser de toutes parts au moindre mouvement, chacun de ses bourrelets bien apparents entre les pans de soie. Ça et là sur le tissu, on pouvait nettement distinguer des tâches d’huile et de sauce brune ; Rhumjack devait passer le plus clair de son temps à s’empiffrer et ingurgiter des quintaux de nourriture. Le trafiquant s’était peut être radouci et avait beau se montrer plus affable avec les deux jeunes hommes, Klarion continuait de penser que la disgrâce que l’ancien Callahan avait subi lui avait été dévastatrice. Des souvenirs qu’il se rappelait, le sorcier noir revoyait un homme qui n’était certes pas élancé mais dont l’embonpoint et la démarche bonhomme lui donnaient un air enjoué. Il avait été un homme qui faisait rire les dames avec des traits d’esprit raffinés au milieu des salons de thé, qui faisait rougir les vieilles matriarches lors des fêtes d’été. Il avait su se démarquer malgré son maigre statut au sein de l’aristocratie républicaine, et seules les étoiles savaient ô combien cela était difficile pour un poisson de briller dans un océan de requins. Le père de Klarion s’était forgée une grande place via son travail et le mariage, Callahan l’avait fait en étant lui-même. Retrouver cette figure de son passé, qu’il avait quitté sur une bonne note, et la voir transformée en un porc vicieux et avide le dégoûtait.

    - Oh Genor ! Beugla Rhumjack en ouvrant une porte dérobée. Fais moi donc des bons trucs à grailler pour mes invités et moi ! J’vais chercher une bonne bouteille à la cave

    Le mafieux referma la porte derrière lui, laissant temporairement Klarion et Pancrace seuls dans le salon privé, avec un garde silencieux pour unique compagnie. Afin d’avoir un bref moment avec le militaire, le Psychomancien étendit ses griffes invisibles vers le vigile pour causer une légère migraine pour le distraire. La pauvre victime serait plus préoccupée par son mal de tête, au demeurant bénin, que par la surveillance qu’il était censé effectuer. Klarion se pencha légèrement vers Pancrace pour lui glisser à voix basse :

    - Les négociations ne sont pas finies, fit-il calmement, nous avons peut-être réussi à amadouer Rhumjack, mais nous n’avons pas parlé de nous.

    L’officier avait, pendant quelques secondes, immobilisé son verre en main alors qu’il s’apprêtait à le porter à sa bouche.

    - Vous pouvez déduire pourquoi, en tant que mage, je suis intéressé par des artefacts arcaniques. Je ne vous ai pas parlé du véritable but de mes recherches, et peut-être le ferai-je si nous collaborons de manière suffisamment… solide. Et si nos confiances sont mutuellement accordées, cela va de soi. En attendant, je vous dirai simplement que j’essaye d’accomplir ce qu’aucune magie psychique n’a pu accomplir jusqu’à présent. Mais, vous, quel est votre agenda ?

    Pancrace considéra Klarion pendant quelques secondes et lui répondit, en toute logique et sans s’étendre en détails, qu’avec la vie qu’il avait mené jusqu’à présent il n’avait jamais eu la possibilité d’en apprendre avec rigueur et détail sur la magie. Fréquenter l’Université Magic, le magicien, et cette affaire de trafic d’objets magiques avait réussi à de nouveau éveiller cette envie. Ses motivations étaient on ne pouvait plus simple, la soif de savoir en avait passionné plus d’un. Pancrace ne serait pas le premier, et ne serait pas le dernier. Klarion, en tant qu’érudit, ne pouvait que saluer une optique pareille, même s’il se demandait s’il n’y avait pas autre chose là-dessous. L’arcaniste se contenta de répondre :

    - Je suis magicien, j’ai mes entrées à l’Université Magic, j’en suis diplômé, nous avons bien travaillé ensemble. Nous pouvons continuer

    Ils n’avaient pas beaucoup de temps. Entendant du bruit depuis derrière la porte, Klarion laissa doucement s’estomper la migraine qu’il avait jeté sans se faire voir sur le garde. Rhumjack revint dans la pièce avec un serveur tenant entre ses bras un plateau de viande d’agneau juteuse posée sur une pyramide de pommes de terre rôties. Le mafieux se réinstalla à leur table, montrant aux deux hommes une bouteille d’un excellent vin de glace.

    Pour seule réponse à Klarion, Pancrace se contenta de faire tinter son verre contre le sien…
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