La Caravane Passe [Gerda]

Le gage proposé par Pancrace me fait hausser les sourcils de surprise et puis rire un peu.

- Une arnaque ?? Tu imagines que parce que je suis marchande j'arnaque les gens ... ?

Le faux reproche me fait rire un peu. Je vais devoir me creuser les méninges je crois bien !

- Voyons voir ...

Je décroise les jambes, me laisse aller un peu en arrière sur notre banc et lève les yeux au ciel. Je cherche dans les étoiles l'invocation du souvenir qui pourrait satisfaire Pancrace. Ce n'est pas facile du tout. Je suis d'ordinaire très honnête dans mes transactions, les arnaques n'ont pas du être si nombreuses ... Je pourrais parler des fois où j'ai un petit peu tiré au flanc pendant mes études ? J'étais une naine globalement travailleuse. Mais la jeunesse reste la jeunesse. La période a été entrecoupée de beuveries, de devoirs recopiés à l'arrache sur un coin de table 5 minutes avant le début du cour, de nuits blanches avec des cours à assumer le lendemain matin à l'aube.

- C'est banal mais ... quand j'étais à l'université, ca m'arrivait de faire des antisèches. Je gravais les formules que je voulais pas oublier en runes naines dans sur un grand bracelet plat que je portais. De loin ca ressemblait à des décorations. Je pouvais les effacer d'un simple passage de mon pouce une fois la formule recopiée.

C'est pas non plus dingue comme anecdote.

- J'ai une fois essayé de me faire remplacer par un double en cours. J'avais soudoyé une illusionniste pour faire une image de moi en train de travailler pendant que je dormais dans le fond de la salle ... J'avais fait nuit blanche la veille.

L'idée était bonne, on ne peut pas dire le contraire. Sauf que ...

- ... évidemment je me suis faite pincer. Il faut croire que les professeurs de Melorn ne sont pas nés de la dernière pluie !

J'écarte les mains, l'air de dire "voilà". Mais je ne suis pas totalement convaincue. Ce que j'ai sorti n'est ni très drôle, ni très croustillant. Pancrace aurait aimé quelque chose qui se termine par une situation embarassante. Gênante. Comme ...

- Oh pétard ! Je viens de me rappeler d'un truc.

Le souvenir d'abord vague reprend corps dans ma tête et me fait même monter le rouge aux joues.

- Ah merde ... merde de merde, il est vraiment gênant celui là !

Je ris un peu. J'en ai trop dit pour pas continuer, même si l'histoire est vraiment pas flatteuse.

- C'est une histoire où "moi" je me suis faite arnaquer ! Ne juge pas mais un soir, un homme m'a ramené chez lui en "oubliant" de me dire qu'il était marié. Evidemment l'épouse est rentrée à l'improviste, c'est le karma. J'ai été jetée en catastrophe dans une arrière cuisine, mes vêtements dans les bras, outrée et surprise par ce qui se passait ! J'ai du me rhabiller au milieu des cageots d'oignons pendant que j'entendais le gars raconter des cracs à tout va pour justifier le désordre. J'ai du quitter les lieux comme une voleuse sur la pointe des pieds pour éviter le scandale. Tu imagines pas la honte ...

C'est évident, je ne suis pas une briseuse de couple. Si j'avais connu l'état marital du gentilhomme ca aurait pas été la même histoire. Un beau salaud, comme beaucoup ... Pareille histoire mérite que je reprenne un coup à boire. Privée de ma choppe, je chippe celle entre les mains de Pancrace pour y prendre une longue gorgée et lui rendre avec un sourire.

- J'imagine que ca te suffit ? On peut difficilement faire pire là !

N'imaginant pas Pancrace me contredire sur ce point, je reprend les cubes en os et les montre au compagnon du soir.

- J'ai mérité le droit de les relancer je crois bien, hein ?

« Ouais, bon, tricher un peu en cours, qui l'a jamais fait ? L'important, c'est de pas se faire pincer, et de se souvenir comment arriver au bon résultat. »

Si les officiers républicains devaient repasser un questionnaire sur les crimes et les peines liées, y'a aucun doute possible qu'on serait tous dans la rue à faire la manche. L'important, c'est qu'on sache prioriser et repérer ce qui va pas. Ensuite, les détails, on règle ça au poste, avec les bouquins sous le nez pour retrouver les valeurs.

« C'est si surprenant, que des professeurs de magie se fassent pas avoir ? J'aurais plutôt tenté un autre angle, non ? Genre, du légal ou sentimental, les attendrir, tout ça. »

En tout cas, soit je suis tombé sur la marchande la plus honnête du Sekai, soit y'a des trucs qu'on raconte pas au tout-venant, même après un gros paquet d'alcool. J'm'en formalise pas, j'pense même pas qu'elle ait menti, surtout pour finir sur une histoire un peu humiliante. J'ai un sourire de commisération, pasque j'suis passé plus souvent qu'à mon tour par une fenêtre entrouverte avec mes vêtements à la main pour me rhabiller piteusement dans une ruelle ou sur un toit proche.

« Ouais, ouais, relance, va. »

Il commence à faire soif, alors j'reprends une gorgée après avoir partagé. J'ai pas mal ralenti le rythme, là, alors mes idées commencent à s'éclaircir un peu, ou en tout cas j'en ai l'impression. Autour de nous, y'a eu un temps de mou, mais là, ça repart de plus belle, et Pollo a sorti un genre de flûtiau de j'sais pas où, et joue des airs endiablés sur lesquels certains improvisent des pas de danse qui seraient p'tet charmants s'ils étaient pas aussi alcoolisés.

Les dés de Gerda terminent sur un beau neuf, et j'sens que si j'ai gagné le tour d'avant, y'a des chances que ça se maintienne pas. Ils ont même pas quitté ma main que j'réfléchis déjà à quel choix j'vais faire, et ça loupe pas : le petit six qui sort me fait carrément de la peine, surtout le dé borgne avec son un qu'a l'air tout tristoune dans la lumière changeante du feu. J'remets une bûche dedans pour voir monter un minuscule feu d'artifice d'étincelles et quand elles retombent, j'me dis qu'il serait temps d'accoucher de la réponse.

« Allez, comme t'as choisi vérité avant, j'vais faire pareil. Une confidence chacun, ça devrait bien équilibrer les débats, comme ça. Et si j'perds qu'une manche sur deux, ce sera déjà mieux qu'au jeu d'avant, j'saurai m'en contenter. »

C'est qu'après coup que j'me rappelle que j'ai déjà menti un peu sur mon boulot, alors ça risque de compliquer un peu le bouzin. Bah, suffira d'arranger un peu le décor et ça passera, si tant est qu'elle s'en rende compte. J'termine par un sourire malicieux.

« J'te souhaite d'être plus créative que moi. »

J'lève mon verre vers les étoiles avant de laisser couler une lampée qui arrive presqu'intégralement dans ma bouche. J'tiens p'tet pas droit debout, mais j'vise toujours juste, hé.