Fatiguée...

Ces terres... Depuis que tu avais quitté ton île, ton habitat, tu n'avais pas cessé d'errer sur le territoire de la République... Tu n'aimais pas ça, tu détestais cela... Chaque minute qui s’égrenait était un rappel constant de ta condition précaire, de ce pourquoi tu avais la rage au ventre, la haine ancrée dans le regard. Tout ces gens, toutes choses... On t'avait prit ta liberté, ta tranquillité, ta quiétude pourtant si durement gagnée. Tu étais comme une bête folle qui trouvait parfois le repos sur sa route ensanglantée...

Bien souvent tu tuais animaux comme mortels, cherchant à relâcher ta haine sur quelque chose de consistant... Parfois cela te calmait, pendant plusieurs jours, te permettant de laisser ton esprit se reposer, se ressourcer. Mais ça ne durait jamais longtemps et naturellement tu regagnais ton état de prédateur fou.

Même en ayant apprit à gérer une partie de ta magie, de tes émotions, tu n'avais pas réussi à changer ce que tu étais au plus profond de ton être. Tu étais une peinture composée de plusieurs couleurs, ayant été crée par un peintre macabre s'amusant à faire souffrir ses créations. Tu n'étais pas la maîtresse de tes agissements, tu n'étais qu'un amas d'émotion qui gouvernait ta raison en la muselant et en la laissant pour morte à l'arrière plan. Pourtant, tu avais espoir de faire des progrès. Depuis plusieurs mois maintenant tu avais déjà beaucoup changé en bien, du moins de ton point de vue.

Tu arrivais davantage à formuler des pensées cohérentes, des plans plus réfléchis, ayant davantage de chose de porter leurs fruits.

En bref, tu évoluais... Et c'était une étape rare dans la vie d'une élémentaire. Une période de changement et de transition qui pouvait se faire déchaîner les éléments si cela se passait mal. Et avec toi, peu de choses pouvaient se targuer de s'être bien passé... Tu n'avais pas encore contrôle sur beaucoup de chose, et bien souvent tu te façonnais selon tes rencontres... Tout en façonnant ces dites rencontres souvent de manière bien macabres.

Las de marcher, ton attention fut portée à un petit bâtiment qui dénotait du reste. Une bâtisse plus isolée du reste de la civilisation qui ne manquait pas se démarquer par une activité sonore. Perplexe, curieuse aussi, en temps normal tu aurais certainement fuit cet endroit pour t'isoler et chercher une quelconque tranquillité, mais pas ici.

Même porteuse de plusieurs crimes, tu n'étais pas encore suffisamment méfiante pour te prémunir d'un quelconque traquenard. Du moins pas aussi hasardeux.... Ne prenant alors pas la peine de t'annoncer, c'était dans un certains manque de respect que tu pénétrais dans les lieux, le regard vif et ardent, le visage encore suffisamment calme pour ne pas effrayer la première existence rencontrée.

- Y a quelqu'un...?

Tu aurais bien aimé qu'il n'y ai personne... Pour autant, ton regard vint à se perdre entre les étagères, se faufiler à travers les angles sinueux de la pièce pour se perdre sur une vie humaine. Tu ne voyais pas tout de cette créature, mais tu apercevais certainement l'essentiel. Une peau d'ébène, un visage doux et raffiné, une élégance intemporel... Il t'était extrêmement rare de te perdre dans ce genre d'observation, mais c'était certainement une des humaines les plus attrayantes que tu n'avais jamais vu. Sans doute ce simple coup d’œil porté t'avait rappelé les chaleurs incandescentes et l'air charbonneux du volcan qui t'avait vu naître.

CENDRES

Il s’agissait d’une drôle d’énigme.

Les soldats de la Grande Armée Républicaine avaient trouvé cet étrange objet dans un convoi en direction des zones franches bordant la frontière septentrionale de Courage. Il s’agissait d’une petite pyramide d’acier noir à base triangulaire, gravée de symboles ésotériques et ornée d’un beau rubis sombre. Les gardes du convoi s’étaient tous enfuis suite à l’arrivée des patrouilleurs et n’avaient même pas osé défendre leurs possessions, preuve, s’il en était, que la contrebande n’était pas un secteur des plus lucratifs ces derniers mois.

Les patrouilleurs avaient tout saisi, faute de pouvoir mettre la main sur les contrebandiers. Tout était parti dans les caisses de la Grande Armée Républicaine, pour alimenter ses propres coffres. Tout … sauf cet objet, que les patrouilleurs avaient confié à l’Université Magique de Liberty. Leur commentaire : « ça pue la magie à plein nez ! » … Une fine analyse de la patrouille, qui leur avait permis jusqu’à présent de survivre. C’était toujours une bonne chose que de ne pas s’approcher des bidules magiques … Généralement, les soldats de l’armée qui avaient l’intelligence de ne pas toucher aux objets magiques jouissaient d’une espérance de vie décuplée, ce qui était une vraie plus-value !

L’objet avait fini par échouer sur la table d’Athénaïs. Il était dans les attributions des Façonneurs de procéder à l’expertise des objets magiques inconnus qui tombaient entre les mains de l’Université. Après tout, les mages étaient les mieux formés pour pouvoir gérer ce genre de choses. Ils avaient théoriquement plus de chances de survivre si tout ceci explosait.

Mademoiselle de Noirvitrail avait l’insigne tâche de jouer la démineuse et de vérifier que l’objet n’était pas une malédiction impie, le container d’un sortilège létal, … ou pire … Elle s’affairait, dans sa robe blanche et marron, à analyser l’objet par le biais de multiples sortilèges de détection et de scrutation de son cru. L’analyse d’objets magiques répondait à un protocole précis, que la jeune femme devait suivre avec une précision rigoureuse sous peine de se mettre elle-même en danger.

Elle s’était enfermée avec l’objet dans une petite résidence prêtée par l’Université sur les bords du Lac Rebirth. Là, bien à l’abri des passants et de la population de curieux, elle pouvait démanteler l’objet magique sans risquer de mettre en danger les citoyens de la République. L’atelier magique dans lequel elle travaillait avait été préparé pour pouvoir subir des explosions magiques assez conséquentes. Dans le pire des cas, seule Athénaïs mourrait, tuée dans la déflagration. L’Université tenait à ses biens matériels, pas spécialement à ses membres.

Alors qu’elle était en train d’analyser l’objet et s’apprêtait à déverrouiller l’enchantement protégeant le tétraèdre, elle fut interrompue – surprise ! – par une apparition imprévue ! Comment cette femme était-elle parvenue à passer les sécurités de la demeure sans déclencher les alarmes ?

Athénaïs de Noirvitrail rompit ses sorts d’analyse et recula, visiblement apeurée. Devant elle se trouvait une belle jeune femme aux cheveux de rouille et aux yeux oranges … dont l’intensité lui fit immédiatement comprendre qu’elle avait affaire avec quelqu’un de déterminé et de puissant. Elle n’était pas spécialement bien vêtue … mais dégageait une aura étrangement chaude et magique. Qui que cette personne puisse être à cet instant, elle était assez puissante pour non seulement passer toutes les sécurités de la résidence, mais en plus posséder une aura assez forte pour atteindre Athénaïs à presque 10m de distance.

La magicienne déglutit et considéra ses options. La jeune femme ne semblait pas hostile, mais la prudence prévalait. Il s’agissait peut-être de la propriétaire de l’objet, venue récupérer son bien. Dans le doute … Athénaïs prit la parole.

« Stop ! Vous ne devriez pas être ici. Il s’agit d’un objet extrêmement dangereux sur ce piédestal ! Il pourrait tous nous tuer si je ne désactive pas. »

C’était un pieux mensonge, bien entendu, mais Athénaïs préférait bluffer pour que l’inconnue n’approche pas plus et ne se montre pas menaçante. Avec un peu de chance, cela la ferait fuir. Oui … avec un peu de chance … Dans le doute, elle se tenait prête à utiliser tous les sortilèges à sa disposition pour faire pencher la balance en sa faveur.

Elle était loin de se douter que l’objet en question n’attendait que la présence de deux forces magiques importantes pour s’activer …

CENDRES

Perplexe...

Tu fronçais les sourcils face à la sévérité des paroles de la Dame... Tu n'aimais pas qu'on te donne des ordres où qu'on te beugle des paroles dont tu ne saisissais pas l'essence. Avais-tu fais une erreur en pénétrant dans ce lieu inconnu ? Certainement. Tu regrettais déjà alors que tu pouvais sentir ton regard s'embraser à mesure que l'humaine déversait ses paroles ésotériques. Des menaces ? Pourquoi te menacer. Tu n'avais encore rien fait... De ta bouche commençait alors à s'échapper des fumerolles encore plus sombres que la peau de la jeune femme tandis que tu t'approchais, agacée par une hostilité pareille à ton égard.

Ces humains... Ces républicains... Des êtres étouffés par l'orgueil. Ils se pensaient intouchables, à même de s'imposer qu'importe l'opposant... C'était évidemment faux. Tu en avais exterminé bien trop pour te fourvoyer encore sur leur vrai nature, faible et pitoyable. Naturellement, tu vins à penser la même chose de cette dame qui vociférait contre toi. Si tu avais eu un peu de bon sens, tu aurais pu comprendre que pénétrer dans une demeure inconnue sans t'annoncer auparavant, c'était une raison acceptable que de s'énerver de la sorte... Mais bon... Tu n'étais pas une personne raisonnable.

- Ne me parle pas comme ça...

La seule chose qui sauvait l'inconnue de ton courroux était son physique intrigant, étonnant. Si tu n'éprouvais pas un tant soi peu d'intérêt pour celui-ci, tu l'aurais sans doute déjà carbonisé... Cela ne voulait pas dire que cette histoire ne finirait pas ainsi. Tu pouvais déjà sentir tes émotions se déchaîner tandis que de ta chevelure s'écoulait quelques perles de lave ardente. D'ailleurs, tu n'avais même pas prit en compte une seule de ses menaces et tandis que la chaleur du lieu commençait à grimper en flèche, cela fut apparemment suffisant pour embraser l'étincelle de l'objet porteur de son intérêt.

Une puissante explosion, un souffle d'air chaud et épais venant à te faire reculer de plusieurs mètres tandis que tu portais tes bras en avant pour te protéger de l'impulsion... Cependant, il n'eut rien de plus... Un simple choc à peine audible qui s'était dissipé aussi rapidement qu'il était apparut tandis que l'objet en lui même, ayant enfin fait ce pourquoi il avait été façonné commençait à se désagréger rapidement.

- Qu'est-ce que tu as fait  !

C'était à ton tour de vociférer, d'afficher ouvertement des paroles agressives... A première vue, hormis l'impulsion, il ne s'était absolument rien passé d'autres... Un coup dans l'eau ? Une tentative de t’impressionner pour te faire fuir... ? C'était raté... Cela n'avait fait que t'énerver encore plus qu'on s'en prenne à toi de la sorte alors que tu n'avais absolument rien fait ! Pas encore du moins !

Et tandis que tu t'apprêtais à reprendre ta marche envers elle, à lui faire payer son hostilité affichée, tu fus dérangée par quelques picotements au niveau de la main. Perplexe, tu fixais celle-ci dans un moment presque éternel tandis que tu étais bien confuse quant à cette sensation. Jamais auparavant tu n'avais ressenti pareille chaleur recouvrir tes entrailles... Et pourtant tu étais bien placée pour savoir ce que cela faisait.

Ce ne fut qu'une minute plus tard après l'évènement étrange que les premières retombées commencèrent à apparaître. Médusée, tu commençais alors à voir le bout de tes doigts se perdre en pigment noir, comme envahit par une plaie sombre qui se propageait peu à peu jusqu'au dos de ta main... Chaque pigment qui s'en retrouvait changé te provoquer une forte démangeaison et cela ne paraissait qu'être les premiers signes bénins d'un changement bien plus drastique que tu ne contrôlais pas.

- Arrête ça !

Même la lueur dans ton regard commençait peu à peu à perdre de son ardeur tandis que ta main était désormais d'une couleur ébène unie.

CENDRES

Il y eut une explosion et une décharge d’énergie magique. Sous les yeux médusés de la magicienne, l’artefact se désagrégea, libérant toute sa magie pour frapper les deux corps présents dans la pièce. L’inconnue s’arrêta et proféra un flot d’injures et d’imprécations, visiblement courroucée à l’idée de s’être faite frapper par un sortilège. Pourtant, elle n’avait pas bougé d’un pouce alors qu’Athénaïs, elle, avait été projetée au sol.

Sonnée et déboussolée, la jeune femme roula sur le ventre, sur la pierre froide. Le choc fit émerger d’elle Chrisabelle et Théodora, qui s’écrasèrent à ses côtés dans un fracas violent. Les trois femmes grognèrent et, leurs sens en alerte, tentèrent de se relever pour faire face à l’imbécile qui venait de provoquer l’activation de l’artefact.

« Espèce d’imbécile ! Vous auriez pu nous faire tuer, cria-t-elle à l’adresse de l’inconnue. »

Elle s’apprêta à franchir la distance qui les séparait, mais fut arrêtée dans sa course par Théodora. La pression de sa main sur son bras était de celles qui laissaient présager une mauvaise surprise.

« Théna … nous avons un problème, murmura sa sœur. »

Théodora ne paniquait jamais. Son sang froid était impeccable, mais après toutes ces années, Athénaïs était capable de déceler les légères inflexions dans la voix de sa sœur, qui trahissaient de l’inquiétude, du doute et même, de la peur. La demoiselle au ruban argenté tremblait. C’était pratiquement imperceptible, mais Athénaïs connaissait sa sœur par cœur.

Athénaïs n’était pas encore retournée que Chrisabelle cria !

« Mais qu’est-ce que c’est que ça !!!? »

Le glapissement de Chrisabelle ne laissait aucun doute quant à la dangerosité de la situation. Butée, entêtée et caractérielle, Chrisabelle était la moins tendre des sœurs Noirvitrail, mais elle n’en restait pas moins une belle âme. Plutôt de nature solitaire et dédiée à son art, la demoiselle affichait souvent l’air dédaigneux et hautain de celle qui souhaitait avant tout mettre de la distance avec les autres pour se consacrer à ses passions solitaires.

Athénaïs se retourna et comprit l’urgence de la situation ! Théodora et Chrisabelle étaient transies de terreur … et il y avait de quoi ! Leur peau d’ébène était en train de se couvrir de petites taches blanches et rosées, comme si un acupuncteur invisible, ou un peintre pointilliste s’appliquait à couvrir chaque centimètre carré de peau d’une nouvelle couleur.

Choquée, au moins autant que ses sœurs, Athénaïs fit un pas en arrière et sentit elle-aussi que son corps était soudain criblé de petites aiguilles. Lâchant un cri de surprise, elle regarda avec stupeur ses mains devenir aussi blanches que la neige.

Alors … elle comprit.

« Théo, Chris ! CODE KLARION !!! »

Les deux sœurs se figèrent, avant de commencer à incanter immédiatement. Le code Klarion avait été mis en place comme mesure de sécurité après l’étrange aventure en compagnie de Klarion, le psychomancien de l’université qui avait eu la mauvaise idée de maudire Myrtelle, la transformant temporairement, elle et ses sœurs, en princesse à la peau d’albâtre digne des plus beaux contes de fées. Il s’agissait évidemment, par le biais de ce code, de signaler aux sœurs qu’il était nécessaire d’activer les contre-mesures afin d’identifier la malédiction alors qu’elle était encore en train de prendre place sur les sœurs. Les malédictions étaient inévitables, et pouvaient être très puissantes.  Pour les briser … tout dépendait de la condition inscrite dans le sortilège. Généralement, elles n’étaient pas assez puissantes et un sorcier commun pouvait les défaire, mais certaines, comme celles de Klarion, pouvaient s’avérer bien retorses. Les analyser avant qu'elles ne soient complètement installées permettait souvent de connaître leurs faiblesses.

Les sœurs ne perdirent pas de temps, et à mesure que la malédiction prenait place sur leur corps, se mirent à analyser le sortilège, tout en observant médusées leur métamorphose. Subir une malédiction n’avait rien d’agréable et celle-ci n’avait pas été conçue pour l’être. La magie qui affluait dans les corps des trois sœurs déchirait leurs chairs et leurs os, les brûlant de l’intérieur. C’était comme si des mains invisibles les tiraient dans tous les sens tandis qu’un peintre sadique s’amusait à changer leur peau d’ébène en peau d’ivoire. Les sœurs se mirent à grandir et à prendre des formes, les coutures de leurs vêtements se mettant à craquer. Sous leurs airs stupéfaits, elles venaient de gagner une bonne tête.

Se retournant vers l’intruse, Athénaïs lui ordonna de se tenir tranquille, mais la voix qui émanait désormais de ses cordes vocales ressemblait désormais à celle de l’importune. Ses cheveux, autrefois longs, bruns et bouclés – la fierté des Noirvitrail – avaient désormais pris une couleur rouille et raide, faisant tomber son ruban bleu sur le sol. Théodora ramassa le sien tandis que Chrisabelle se pinçait pour ne pas perdre son sang-froid.

Un échange d’apparence … De toutes les malédictions il fallait que l’on tombe sur ça !

« Mais c’est pas vrai ! Il fallait absolument que vous touchiez à cet objet ? Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait et du temps qu’il nous faudra pour briser cette malédiction ?! »

Athénaïs fulminait ! Non seulement, cette métamorphose faisait un mal de chien, mais en plus, elle sentait monter une colère sourde en elle. Si elle avait eu moins de self-control, elle aurait projeté l’individu dans les airs et fait s’écrouler le plafond sur elle pour lui apprendre la vie et …

Elle secoua la tête. Non, elle ne pouvait pas penser ça !

On se calme Athénaïs … on se calme …

Théodora vint à la rescousse et prit sa sœur dans ses bras. Athénaïs, habituée à voir sa sœur sous ses traits, fut surprise de voir qu’elle présentait désormais une toute autre apparence. Grande et aux formes prononcées, elle présentait une peau blanche comme le lait, des yeux brillant d’une lueur rouge et sombre et des cheveux couleur rouille qui auraient été du plus bel effet si la situation n’avait pas été aussi critique.

Merci Théo …

Ce fut Chrisabelle qui brisa le silence en pointant du doigt l’inconnue. La belle robe de Chrisabelle était foutue et au vu de la grimace qu’elle faisait, sa transformation lui avait fait un mal de chien.

« Ah ! Il y a quand même une justice ! Regardez comme elle se transforme !!! »


CENDRES