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  • Jeu 24 Aoû - 19:16

    Pourquoi j'ai signé pour ça, moi, déjà ?

    J'jette un regard méfiant à l'abomination à côté de moi. Un brin plus grand, avec des bras énormes, genre un gorille, qui tombent beaucoup trop bas, le regard qui alterne entre totalement éteint ou parfaitement posséder, et un pli têtu de la bouche pour un menton dirigé agressivement vers son objectif, la cape suffit pas à masquer une silhouette pas du tout normale.

    Encore qu'on pourrait avoir un genre d'hybride peu recommendable avec un grand primate, et ce même si la chanson dit pourtant "Gare au gorille".

    Faut dire qu'entre les ordres de la hiérarchie et la lettre explicative du vieux Fraternitas, j'ai bien senti que la mission n'était pas optionnelle. Pourtant, on peut dire que y'a tous les ingrédients pour que ça se passe mal. Le commissaire m'a jeté un regard torve en essayant de savoir si j'étais en train de gratter l'amitié à des gens trop importants pour lui, et s'il devait commencer à s'inquiéter, m'est avis. Et le secrétaire du sénateur a décrit en termes secs qu'ils comptaient sur moi pour que l'opération soit bien menée et mettre en avant l'efficacité de leur nouveau programme.

    Ca voulait dire être présent, le canaliser, m'assurer qu'il ne lui arrive rien et, dans une moindre mesure, qu'il n'arrive rien d'irréparable aux autres. Qu'on comptait sur moi, que j'avais fait la preuve de mon talent et de ma débrouillardise, blablabla les poncifs à la con qu'on sert à l'embauche au moment de signer le papier qui dit qu'on va être ravi de passer deux ans dans une caserne à bouffer de la merde et porter des sacs de pierres.

    Nouveau programme, donc, qui marche à côté de moi et semble attendre qu'une chose, c'est qu'il se passe un truc. Difficile de lui donner tort, on a été envoyé juste tous les deux dans un des quartiers les plus moisis du coin, avec de beaux uniformes d'officiers républicains, sur un circuit alambiqué qu'on prendrait jamais en réalité, parce qu'il nous fait tout simplement passer par toutes les ruelles plus coupe-gorges possibles. Encore un peu et j'croirais qu'on veut se débarrasser de moi.

    « Au fait, on n'a pas été vraiment présenté. Moi, c'est Pancrace Dosian, Officier républicain. Tu peux m'appeler Pancrace. Prêt pour la première fois dans le grand bain du maintien de l'ordre ? »

    En vrai, avec un peu de bol, juste en se baladant, personne va nous chercher des noises, hein. J'veux dire, on pue l'embrouille et le traquenard, non ? Même un gang un peu neuneu doit bien s'en rendre compte et pas vouloir toucher à nous, même avec un bâton.

    « Ca fait une bonne grosse dizaine d'années, entre la GAR, la formation, et l'office, que j'suis dans l'armée. Né ici, à Liberty, mais j'bosse à Courage généralement. Et toi, euh, t'as fait quoi avant ? »

    Discuter, c'est pour détendre l'atmosphère : ça tombe, il a pas plus envie que moi d'être ici. Puis ça me permettrait de savoir s'il est complètement zinzin ou si j'peux vraiment compter sur lui. Pasque j'ai bien compris qu'au premier coup dur, j'avais pas le droit de me téléporter chez mémé et dire que c'était pas d'bol. Par contre, lui coller une attaque mentale et l'exfiltrer, ça, on m'a dit que c'était plutôt conseillé. A choisir, j'préfèrerais juste que tout se passe bien.

    On passe la Place de la Fontaine Bleue, qui n'a plus de bleue que le nom, et dont la fontaine est désormais un mince filet d'eau qui tombe piteusement sur des carreaux cassés. Paraît que c'était joli avant, mais ça n'a jamais été réparé, donc j'saurais pas dire. Sur les murs, y'a des peintures qui indiquent des tarifs pour des substances originales et des messages haineux envers le gouvernement, les officiers républicains et les autres gangs. Visiblement, leur symbole, c'est un genre de requin stylisé, vu qu'on peut pas faire dix pas sans en voir un.

    « Hé, t'as vu ? Joli coup de crayon, hé ? »

    J'me retiens de lui mettre un coup de coude dans les côtes, mais les formes voluptueuses taggées sur le mur qui nous fait face laissent peu de place à l'imagination. Ca se trouve, il est pas de ce bord, ou déjà marié, j'en sais rien. Encore que ça a rarement empêché les gens de faire des trucs, à la réflexion.

    J'me retiens d'utiliser le senseur magique : sans cible précise, il va juste me remonter un gloubiboulga de monde qui s'agite, comme il se doit. C'est que ça discute, ça se promène, ça zone au coin des rues et à la terrasses des cafés mal famés dont les patrons ont l'air dix fois plus patibulaires que les clients.

    Et puis, merde, ce qu'on nous regarde mal. D'habitude, on vient à deux escouades, dans ces coins-là, pas à deux tout court. Ils veulent vraiment provoquer une esclandre, les huiles, pour montrer leur nouveau jouet. Ca me gave juste que ce soit moi qui doive tenir la laisse.

    Mais, hé, chienne de vie.
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    Abraham de Sforza
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  • Ven 25 Aoû - 3:04
    Quelle barbe.

    "Mortifère. Le nom n'est pas particulièrement avenant, j'en conviens."

    La réussite mitigée de la première opération du prototype militaire l'avait mené, bien malheureusement pour sa pomme, à devoir œuvrer de concert avec des officiers républicains. S'il n'avait pas le moindre irrespect pour cette fonction à laquelle il avait initialement prétendue par ailleurs, le soldat qu'il était ressentait tout de même un certain embarras à se voir assigner un surveillant dans le cadre de sa mission actuelle; car c'était ainsi qu'il voyait ce fameux Pancrace Dosian, en tout cas. Cela n'avait strictement rien de personnel, et le bougre paraissait d'ailleurs bien sympathique, mais le contexte dans lequel on les avait plongés paraissait ne convenir ni à l'un, ni à l'autre.

    Passablement déçus par sa performance précédente, les trop soucieux marionnettistes qui œuvraient dans l'ombre s'étaient empressés de resserrer le collier de leur nouveau chien de garde. Loin d'envisager une quelconque rébellion, Mortifère considérait simplement qu'il avait manqué à la fois de talent et de maitrise et que cette seconde tâche se devait quant à elle d'être accomplie avec un soin tout particulier. Les bavures n'étaient pas envisageables, mais simplement remplir ses objectifs ne suffiraient pas à convaincre les grosses têtes en charge du projet. Cette fois-ci, les résultats se devaient d'être particulières. De cela dépendait la réussite du projet et, de toute évidence, sa propre vie.

    Sous les regards anxieux des badauds, l'officier et le monstre de métal qui l'accompagnaient erraient et d'une façon assez perverse, s'exhibaient face à la populace désapprobatrice de la grogne républicaine. Portant fièrement à son épaule le sigle national, l'étrange personnage avait été dépêchée en grande partie pour s'afficher en porte-étendard de la force de frappe du pays, ses concepteurs ayant dans l'espoir d'en faire une arme aussi dissuasive qu'elle était efficace en situation réelle. Le problème, lorsque l'on se montrait naturellement aussi intimidant, était justement qu'on avait fâcheusement tendance à éviter les conflits, plutôt qu'à les nourrir.  Pancrace avait vu juste : le cerbère de la Nation bleue n'attendait qu'une occasion de briller, et cela impliquait nécessairement une belle dose de grabuge.

    La voix de son compagnon attira l'attention de Mortifère, qui cessa alors d'épier les passants inquiets pour accorder un regard en biais à son interlocuteur. Malgré cette très déplaisante situation qui le rendait chafouin et au delà des mille raisons de s'angoisser en présence du colosse à la voix aussi terriblement métallique que glaciale, on lisait sans mal que le prototype mettait un point d'honneur à se montrer aussi sympathique que possible. Dosian n'était nullement responsable de son calvaire, inutile de lui en faire baver plus que de raison. Ce fut donc avec joie qu'il lui répondit :

    "Dix ans de service ? Tu es un véritable vétéran, comparé à moi. J'espère que j'apprendrai les ficelles du métier en ta compagnie, dans ce cas."

    Il était tout de même curieux de voir une telle machinerie abominable s'exprimer avec enthousiasme et sincérité. Cela le rendait au choix plus humain, ou plus préoccupant, tout dépendait toujours du point de vue. Après une brève interruption suite à un bruit de verre explosé qui attira momentanément son attention, Mortifère reprit sur le même ton :

    "Pour ma part, je n'ai été sur le terrain que très peu de temps, après ma formation. J'ai rapidement été sélectionné pour rejoindre le projet, ce qui m'a inévitablement privé d'une belle expérience en situation réelle. Je suis l'un des rares chanceux apte à reprendre le travail aussi tôt après les... interventions."

    Par "intervention", il entendait bien évidemment "torture, démembrement, manipulation mentale et spirituelle".
    Et par "chanceux", il voulait surtout dire "survivant".

    Il s'agissait toutefois de détails qu'il n'avait pas besoin de partager avec son coéquipier du jour. Leur avancée les mena jusqu'à une ruelle intrigante, bien que particulièrement délabrée. Dans la fange et la haine, d'immondes symboles dénigrant la gloire du pays s'étendaient sur chaque mur, chaque étalage, ce de la moindre planche à la dernière gouttière. Avec un dégout qui ne lui appartenait pas totalement, Mortifère observait avec mépris les gribouillages insolents de la pourriture née des trottoirs. Il savait que cette haine de la pauvreté ne lui venait pas naturellement, mais le peu d'humanité qu'il lui restait était balayé sans mal par les innombrables altérations psychiques qu'il avait subi.

    "Moui, le tracé n'est pas mauvais. Le message, en revanche, est assez édifiant."

    Suffisance et irrespect, un ton bien éloigné de celui qu'il avait employé lors des présentations. Le sentiment, pourtant, n'était pas tout à fait celui qu'il aurait voulu transmettre. Qu'il était curieux de se voir spectateur de ses propres paroles.

    " 'N'aimez pas l'art de rue, messieurs ?"

    Mortifère tourna la tête pour dévisager la vieille crapule qui venait de lui adresser la parole. Croulant, une pipe au bec, l'étranger à la calvitie avancée mirait les deux représentants de l'ordre d'un œil pétillant de malice. Trop âgé et désinvolte pour se montrer aussi précautionneux que les jeunes canailles qui arpentaient les ruelles, le bonhomme se montrait certes audacieux mais au moins un peu plus accueillant que la majeure partie de la vermine locale. A cette incitation indirecte au conflit, Mortifère répondit toutefois avec une certaine courtoisie :

    "Plait-il ? Oh... Vous parlez de ces dessins. Ils sont formidables."

    "Soyez pas si gentils, ça n'vaut pas un clou. Le problème, c'est que c'est comme les puces : on a beau s'en débarrasser une fois en lavant un bon coup, ça finit toujours par revenir !"

    C'était une expression, sans doute locale, que Mortifère découvrait tout juste.

    "Vous êtes là pour quoi, j'peux vous aiguiller ?"

    Fausse sympathie envers les forces de l'ordre, typique d'un personnage qui avait justement quelque chose à se reprocher. De toute évidence, on allait bien vite les inviter à quitter les lieux. D'un simple hochement de tête en direction de Pancrace, le colosse offrit à son compère le soin de prendre les devants.
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  • Dim 27 Aoû - 14:30

    La conversation est un peu hachée, j'sens qu'il est pas très à l'aise. Faut dire, avec un blase aussi négatif, et une des premières missions en situation réelle si j'ai bien compris les instructions de Fraternitas, il doit être un peu nerveux. C'est comme quand on nous refile des bleus et qu'il faut les guider et leur montrer comment faire. C'est un peu pénible sur le coup, mais y'a un côté gratifiant à voir un petit poussin prendre son envol et devenir un vrai et digne représentant des forces de l'ordre.

    Faut dire que ma première mission commence à être sacrément lointaine, et qu'elle a un peu été noyée par l'énorme biture que je me suis collée derrière. Une histoire sordide de violences conjugales, de ce qui me revient vaguement. Ca se mélange un peu, pasqu'on y est retourné trois ou cinq fois, jusqu'à celle de trop où le type a fini en taule et la nana six pieds sous terre. Mais la murge, c'était pour faire la fête le premier jour, pas pour célébrer le point final, hein.

    On est pas des monstres.

    « Tant mieux en tout cas, ça doit faire plaisir de revenir sur le terrain et tout, pas vrai ? Quand j'passe trop de temps au plumard aussi, j'ai les guiboles qui démangent et envie de faire de l'exercice. Heureusement qu'on a des docteurs performants pour nous requinquer, même si ça bousille un peu les arrêts maladie. »

    M'enfin, entre ça et garder des séquelles à vie, le choix est vite fait. J'jette un regard en biais à ses bras disproportionnés. Ouais, bon, p'tet pas trop la ramener là-dessus, ça le fera probablement pas bicher. Sans compter qu'on a de la compagnie, subitement, et pas le genre de vieux à s'ennuyer et à taper la discute avec tous les gens qui ont le malheur de croiser son regard. Nan, il a ce côté un peu trop malin et sûr de lui du gars du quartier, et j'aime autant dire que si les chefs voulaient qu'on trouve les ennuis, ben ils sont probablement plus très loin.

    J'm'avance d'un pas.

    « Opération spéciale de l'Office Républicain. Nous sommes à la recherche d'individus suspects dans le cadre d'une enquête classifiée.
    - Si vous me donnez des noms, j'peux sûrement vous aider. »

    J'lui adresse un large sourire.

    « Bien entendu. Pour ça, j'ai besoin que vous décliniez votre identité d'abord. »

    Son regard se fige une fraction de seconde avant de hausser un sourcil interrogateur.

    « Pourtant, à ma connaissance, ça ne fait pas partie des procédures de la circulaire B-17 sur les méthodes d'interpellation ? »

    Oh, un petit malin.

    « Sauf que la B-17 ne concerne que les citoyens actuellement chez eux. Sur la voie publique, jusqu'en -2 nouveau calendrier, c'était la B-12 qui faisait foi, amendée plusieurs fois, spécifiquement l'article 26 alinéa quatre. Depuis les attentats et la guerre des titans, la législation et la méthode ont un peu évolué, maintenant c'est le C-4 qui fait foi. Dans tous les cas, si on voulait pinailler, je pourrais aussi faire appel au A-31 concernant la recherche de renseignements dans le cadre d'une investigation ordonnée par la hiérarchie. Mais bref, pas d'inquiétude, ma question était donc parfaitement légitime, et je ne doute pas que vous allez y répondre, hé ? »

    Evidemment, tout est vrai. On passe pas les cinq ans d'étude à jouer de la matraque et à se pignoler dans des casernes. On se retrouve aussi à apprendre un tas de trucs plus ou moins utiles, notamment les lois et leur application, et tout ce à quoi on a droit. Ca évite qu'on se fasse retoquer au procès derrière. On reste une nation juste et républicaine, après tout, pas comme les autres arriérés du continent.

    « Je vois que vous avez la situation bien en main. Je vais vous laisser, alors, qu'il répond d'un ton un peu raide.
    - Hop hop hop. Faisons différemment : vous allez venir avec nous au poste pour être interrogé dans le cadre de notre investigation, plutôt. »

    Alors qu'il se retourne, j'pose une main un peu lourde sur son épaule.

    « Après tout, vous vouliez aider, non ? »

    Bizarrement, y'a dix types qui sortent des ruelles alentours, brusquement, et qu'ont l'air vachement moins avenant que le vieux. La plupart ont des couteaux et des gourdins, et je remarque deux épées dans le lot. Sûrement des anciens soldats, ou alors ils les ont prises dans le grenier de papy. Ils portent tous un foulard rouge avec un motif que j'ai pas besoin de distinguer pour piger que c'est les Gorges Sanglantes.

    « Allez, je pense qu'on en a assez vu, balance le plus balaise de la bande. Rentrez chez vous, les condés, et tout ira bien. D'habitude, vous venez une fois l'an, et vous avez pas pris rendez-vous c'te fois.
    - Ouais, justement. Suivez-nous gentiment au poste et tout se règlera tranquillement, que j'rétorque. »

    Bien entendu, ça revient à mettre de l'huile sur le feu, mais les chefs et Fraternitas m'ont dit de mettre Mortifère en situation réelle de test. Donc j'm'y attache : en réalité, tout seul, je serais déjà parti depuis bien longtemps. J'me tourne vers mon collègue, du coup.

    « Ben vas-y. Faut juste pas les tuer. On dira qu'ils nous ont agressés les premiers, avec menaces et outrage à personne dépositaire de l'autorité publique. Pas de mort et pas de blessures permanentes trop graves, d'accord ? J'vais t'aider aussi. Un peu. »

    Faut bien dire que j'ai aucune idée d'à quoi m'attendre. On m'a juste dit que c'était la dernière arme secrète en date de la République, alors j'demande à voir.
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  • Lun 28 Aoû - 7:21
    Laissant du terrain à son collègue pour faire ce pourquoi il était venu, Mortifère fut impressionné par l'aisance et la justesse avec laquelle les textes de loi étaient développés par l'officier face au vieillard médusé dont les connaissances, visiblement, s'arrêtaient à ce seul article qu'il était parvenu à évoquer. Ses croyances balayées, le vieux bonhomme décontenancé parut bien penaud lorsque l'explication se conclut par une invitation plutôt musclée à suivre les deux hommes de loi, ce sous le regard inquisiteur -mais fort amusé- du géant d'acier qui faisait déjà jouer ses griffes par pure anticipation malsaine.

    Ce fut à cet instant d'ailleurs que les gros bras entrèrent en scène, la verve n'ayant pas suffi à convaincre les manants de la bonne foi des représentants de l'ordre. D'une certaine manière, c'était comme ça que le plus vicieux des pièges se refermait sur eux. En cédant à la violence, ils se confrontaient inévitablement au mur de force brute que constituaient le duo de représentants républicains. L'œil luminescent du militaire gigantesque se posa sur les intrus et malgré l'apparence effroyable de leur futur adversaire, leurs convictions semblèrent suffisantes pour leur éviter de laisser la crainte l'emporter sur l'envie d'en découdre.

    Pancrace prit la parole, invitant justement le cerbère à se mêler de la situation. Après tout, n'était-ce pas exclusivement pour faire une démonstration publique de sa puissance qu'il avait été réquisitionné par ses supérieurs ? Avec une joie évidente, le colosse s'avança pour se positionner entre son collègue et les voyous qui venaient de commettre l'irréparable de par leurs grossières menaces. L'officier indiqua les règles de base en matière d'intervention et obtint de son compère un hochement de tête entendu, suivie d'une petite pique adressée davantage aux brigands :

    "Je n'garantis pas que leurs pondeuses les reconnaissent après mon passage."

    L'un des malotrus le pointa de son gourdin, l'interrompant avec vulgarité pour beugler :

    "Te crois pas trop costaud, mon grand. Tu voulais découvrir l'hospitalité locale ? Elle arrive à grands pa..."

    Une impulsion télékinétique le fit taire et le força à consolider ses appuis, tant par stupeur que par effroi. La cape bleutée s'éleva dans les airs tandis que se révélaient au grand jour les immenses prothèses du guerrier rendu surpuissant par les soins des plus grands chercheurs du pays. Les articulations trop nombreuses du colosse s'incurvèrent dans des angles impossibles, se déployant tels deux serpents de métal en décrivant dans le vide des arcs qui laissaient entrevoir son extraordinaire allonge. Le vieil homme si désabusé quelques instants plus tôt tomba à la renverse et en perdit sa pipe et le cerbère, quant à lui, laissa son masque de cuir se tordre lorsqu'un sourire mauvais se dévoila sur ses lèvres.

    "Chers citoyens, vous interférez actuellement avec une intervention de dépositaires de l'autorité républicaine. Déposez les armes et rendez-vous. Il n'y aura pas de deuxième sommation."

    "Qu'est-ce que c'est que ce foutu monstre ?"

    L'un des plus effrayés s'était figé sur place en marmonnant ces quelques mots et s'il fut plus raisonnable dans son immobilité que ses compagnons trop idiots pour se rendre à l'évidence, il n'en demeurait pas moins sur la liste des cibles potentielles de la justice vengeresse qu'incarnait le géant. Le premier arrivé tenta d'abattre sur la trogne de Mortifère sa massue, mais cette dernière fut déviée dans un tintement métallique par l'un des bras démesurés de son opposant. La main du colosse se retourna sur elle-même dans une série de claquements et les rouages s'actionnèrent, enserrant l'arme du malandrin pour retourner ensuite à sa position initiale, lui volant ainsi son arme sur laquelle il ne parvint pas à maintenir sa prise.

    Profitant de cet élan et n'accordant aucun répit à sa victime, Mortifère referma sa main libre pour administrer un direct au gredin, le cognant droit dans le menton avec une force invraisemblable, ce qui lui fit perdre connaissance immédiatement. Avec une étrange élégance, le combattant réceptionna le corps inanimé du gaillard et le guida dans sa chute, lui évitant ainsi de se fracasser le crâne contre les pavés. Un second assaillant vint simultanément tenter de s'en prendre à lui et le soldat le réceptionna aussitôt en lâchant l'arme de son prédécesseur. Jouissant de son allonge surhumaine, il saisit le front du malheureux, qu'il jeta avec désinvolture sur le côté pour conserver une vue d'ensemble sur cette bataille éclair.

    Cherchant à garder en visuel l'ensemble des attaquants, Mortifère porta un coup de pied d'une singulière violence en plein dans les chicots de son second ennemi, ne l'assommant pas sur le coup mais lui brisant tellement de dents qu'il porta à sa gueule défaite ses deux mains en mugissant de douleur. Les poings serrés et la garde haute, le monstre de fer cogna ses jointures les unes contre les autres, créant à chaque impact de brèves explosions foudroyantes évocatrices de ses pouvoirs. Il n'y avait rien de mieux qu'un peu d'électricité pour décourager des pulsions un peu trop belliqueuses.

    Un quatrième pourtant se présenta à lui tandis qu'un autre le prenant de flanc. Acculé jusqu'au mur, Mortifère para deux coups d'épée et vint porter une riposte pour le moins vicelarde car plutôt que de frapper avec la noblesse du duelliste, il porta sa main griffue au paquet de son adversaire, déchirant le tissu de son pantalon en injectant directement contre sa peau dénudée un violent courant qui sembla pour sa victime être un véritable coup de tonnerre. Paralysé par le coup bas qui le fit couiner comme une gerbille; le bandit se raidit d'un seul coup, perdant juste assez de contenance pour permettre à Mortifère de lui asséner un cinglant uppercut.

    L'autre ennemi fut accueilli par un traitement certes moins douloureux mais relativement malveillant néanmoins. Croyant profiter d'une ouverture, il tenta par tous les moyens de piquer son adversaire aux côtes mais sa dague fut bloquée par l'avant-bras trop imposant du guerrier, qui ne laissait passer aucune opportunité de briller dans cet affrontement. Celui qui avait été jeté à terre n'eut même pas le temps de se relever qu'il fut déjà rejoint par son copain, que Mortifère avait gratifié d'un coup de poing si sec qu'il en avait été propulsé deux mètres plus loin. Avec une perte aussi rapide de si nombreux représentants de leur petite bande, les malfrats semblaient déjà remettre en cause l'intelligence de leur choix de carrière. De toute évidence, ils auraient mieux fait de se mettre à pétrir du pain plutôt qu'à se risquer à de tels exercices.

    "Que penses-tu de cette première mise en situation, camarade ? As-tu des remarques à formuler ? N'hésite pas surtout, je suis très ouvert..."

    S'interrompant au milieu de sa phrase, il agrippa le pied de l'ennemi encore allongé par terre et le tira jusqu'à lui pour écraser de son talon le ventre de ce dernier, lui coupant le souffle et lui arrachant un gémissement qui se mua en sanglot. Accordant un regard en biais à Pancrace qui semblait lui-même bien occupé, Mortifère conclut dans la même foulée :

    "...à la critique."

    Le combat n'était pas terminé mais déjà, les quelques spectateurs qui avaient quelque chose à se reprocher semblaient reconsidérer l'idée de se joindre à l'altercation.
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  • Jeu 7 Sep - 16:58

    Y’a une forme de tristesse à ce que mes provocations aient si facilement mené à un affrontement direct. C’est dire qu’on a le métier qui rentre, à force, et à quel point c’est facile de provoquer les criminels de tout poil de se foutre sur la gueule avec les représentants de l’ordre. A se demander si on en devient pas, tous, des caricatures de nous-mêmes qui jouons le même script en boucle, désespérément. Bon, après, ça se trouve le p’tit vieux c’était personne et ils le laissaient se faire embarquer sans mot dire. Mais y’avait quelque chose dans son assurance qui sentait le chef ou l’ex-chef, bref, pas le rond-de-cuir de base.

    Après tout, ça, c’est plutôt nous.

    Quand les choses s’enveniment, j’recule de deux pas, pour être dos au mur et laisser le champ libre à Mortifère. Après tout, moi, je suis là que pour superviser et m’assurer que tout se passe bien, et protéger ses arrières. J’suppose que Fraternitas veut pas voir son investissement majeur partir en fumée à la première ou deuxième utilisation, ça serait pas très rentable, après tout. Et faut bien admettre que j’suis pas loin de partager l’avis des malfrats quand le monstre enlève sa grande cape pour montrer ce à quoi il ressemble réellement.

    Vraiment, y’a des trucs, j’pense qu’il faudrait quand même pas trop déconner avec. Après, s’il a perdu ses bras à cause d’un affrontement ou d’une maladie, c’est vrai que pouvoir les remplacer, c’est chouette, mais là… Disons qu’ils ont clairement été calibrés pour le combat, quoi. Et j’parle pas du reste, pasque les débiles qui nous font face ont cru que comme je me mettais à l’écart, j’étais une cible plus facile. Et ce, alors qu’ils savent que j’suis officier républicain, donc que j’appartiens à la fine fleur de ce que la GAR peut produire : un soldat avec un cerveau.

    J’attrape ma matraque et j’fais quelques moulinets avec. L’épée courte reste au fourreau, tout comme le surin : le but c’est de les échauder pour qu’ils aillent sur Mortifère, pas faire tout le boulot moi-même. Le premier coup de gourdin passe à trente centimètres de mon visage sans que j’tressaille. Classique, pour jauger la distance. J’avance brusquement et mon arme rencontre son coude. Il pousse un glapissement de douleur et laisse tout tomber, mais pas assez vite pour que le revers de matraque trouve pas le chemin de son menton.

    Il tombe par terre en jurant et s’éloigne en rampant, mais j’suis occupé par son collègue pour m’en préoccuper. L’attaque mentale lui fait manquer un pas, et j’fous un coup de pied dans son genou, qui émet un craquement satisfaisant, qui trouve rapidement écho dans le son de la matraque contre son crâne. J’cligne des yeux pour réélargir mon champ de vision, et voir que Mortifère a la situation bien en main de son côté. J’admire un peu l’arsenal mis en œuvre, pour en tartiner un peu aux grands chefs quand il faudra faire le rapport pour dire que leur nouveau joujou marche du tonnerre.

    Mais mon attention est attirée par le colosse qui vient de se pointer, un mélange entre un orc, un oni et un drakyn, le genre d’alliance qu’on n’imaginerait pas forcément ailleurs que dans une histoire, avec le rôle du méchant, et qui tient une épée qui doit pas faire loin de ma taille. Sa chemise entrouverte laisse voir une série d’abdos tellement ciselés que j’pourrais m’y coincer le doigt, doigts dont j’ai d’ailleurs pas assez pour les compter. Il pousse un grognement guttural.

    « Vous allez regretter d’être venu sur notre territoire, les bleus. »

    J’regrette déjà.

    Mon attaque mentale lui fait pas grand-chose, il se contente de secouer la tête pour l’écarter, et j’essaie de me rappeler si une de ses races est pas naturellement résistante à ce genre de magie, mais ça me revient pas, alors j’abandonne, surtout qu’il vient de soulever sa lame et de l’abattre sur moi. J’plonge sur le côté et j’manque de pas réussir à me relever d’une roulade, destabilisé par la petite onde de choc qui vient avec son attaque. Ouais, bon, si Morti intervient pas, j’vais devoir y aller plus sérieusement, et…

    Et j’resaute en arrière pour éviter son coup horizontal. Sale impression d’être un lapin qu’on tire à l’arc. Le projectile magique s’écrase contre sa jambe, sans faire grand effet, et j’note d’augmenter la puissance. Il a sûrement des trucs qui le renforcent, et j’fais un bond de cabri pour m’éloigner. J’active mon senseur magique pour voir ce qu’il cache comme pouvoirs dans son énorme carcasse, quel est son niveau de renforcement, et sa forme se met à trembloter.

    Huh ?

    Le coup de senseur suivant fait disparaître l’illusion, et j’me sens bien con, à m’agiter tout seul le long du mur pendant que mon collègue se tape tous les vrais gens. Le vieux tourne la tête vers moi avec l’air surpris, probablement pas très loin de celui que j’arbore moi-même, et j’sens les dernières volutes de mana disparaître autour de lui. Sa mère la morte, j’vais lui voler sa canne, le bousculer et lui fracturer le bassin. L’attaque mentale le fait tomber par terre, et j’m’avance vers lui en tapant ma matraque contre la paume de ma main.

    A côté de ça, la plupart des loubards recule prudemment pour s’éloigner du soldat expérimental, au milieu de son tas de gars évanouis ou complètement séchés, plus ou moins blessés. Les trois premiers coups de gourdin tombent dans ses côtes et sur son épaule, et j’allonge avec quelques coups de pied supplémentaires dans le ventre et la tête pour m’assurer qu’il ait pas de velléités de rebellion.

    Puis y’a plus personne que les victimes.

    « Franchement, c’était top. Maîtrisé, pas trop de violence… »

    De toute façon, j’aurais gommé tout ça dans le rapport.

    « Le souci, c’est qu’est-ce qu’on va foutre de tout ça, maintenant… P’tet garder le vieux et laisser tomber les autres… Doit y avoir encore quelques trucs à faire, après tout. »

    J’ai de quoi menotter celui que j’présume être le chef, p’tet qu’on peut aller l’agiter devant les autres gangs, genre comme un appât, pour voir quelle poisson vient mordre…

    « En vrai, j’pense qu’on peut continuer à se promener avec notre nouveau pote. Faudrait juste que tu remettes ta capuche et ta cape, sinon j’ai peur que personne vienne emmerder les forces de l’ordre… »

    C’est que ça fait un peu peur, quand même.
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  • Mar 12 Sep - 13:52
    Pas trop de violence, disait-il. Mortifère eut bizarrement l'envie de sourire derrière son masque de cuir. Lors des nombreux tests et examens de passage qu'il avait effectué pour avoir l'autorisation d'être mis en service, c'était majoritairement dans le sang et les larmes qu'il avait obtenu son rang. C'était logique cependant, on avait préféré vérifier s'il était capable du pire avant de lui imposer de se montrer raisonnable. Il restait toutefois amusant de constater que, pas plus tard que le mois dernier, il lui avait été demandé d'exécuter froidement hommes comme bêtes dans le cadre d'expériences diverses.

    Ce qui comptait, c'était d'obtenir un rapport favorable de la part du fameux Pancrace et, visiblement, ce sujet était plutôt en très bonne voie. Aussi satisfait par sa performance que semblait l'être son confrère, le géant de fer jeta un regard mauvais à ses victimes soit inconscientes soit trop amoindries pour pouvoir envisager de se montrer hostiles à nouveau. C'était du beau boulot, à n'en pas douter, net et sans bavure. Il suffisait pourtant de balayer d'un coup d'œil la zone pour découvrir que le public ne paraissait pas aussi enjoué par cette perspective car, dans la foule, des silhouettes suspectes disparaissaient les unes après les autres, sans doute pour aller prévenir un quelconque compère ou un chef de bande du coin.

    Cela tombait fort bien, c'était précisément ce pourquoi les bleus s'étaient ramenés : un peu d'attention de la part des malfrats.

    Pancrace suggéra de trimballer le vieillard histoire de l'agiter en guise d'appât, sous couvert de le ramener au poste pour un interrogatoire, probablement. Le but premier était assez transparent : il était surtout question de castagner tous ceux qui auraient la bêtise de se frotter à eux, histoire de bien marquer le coût et de clamer haut et fort -au cas où ce n'était pas déjà évident- à quel point la force de frappe républicaine pouvait faire des dégâts si nécessaire et ne laissait ces voyous arpenter les rues que par pure complaisance. Il était toujours bon de rappeler régulièrement qui était le patron, dans ce foutoir. Ce fut lorsqu'il fut invité à remettre sa cape en guise de camouflage que Mortifère reprit la parole :

    "Très juste. Faisons cela."

    Ses cheveux d'ébène s'élevèrent doucement lorsque sa télékinésie fut employée et le lourd tissu fut décollé du sol par magie pour venir se reposer avec élégance sur son support d'origine. A l'aide de ses griffes, le colosse réajusta les sangles et replaça les crochets destinés à accueillir les chaînettes permettant la liaison des deux parties frontales de sa cape. Une fois correctement harnaché et vêtu, le soldat signifia à son collègue qu'il était fin prêt à reprendre la route. Ce fut après avoir reçu le privilège des bracelets que le vieux bougre maugréa alors :

    "Vous faites une sacrée connerie, les jeunes. J'ai été sympa' avec vous, pourtant."

    Mortifère ne manqua pas de laisser échapper de sa gorge un éclat de rire aux échos métalliques. Un tel manque de jugeotte était à la limite de l'indécence. Voir ses petits camarades recevoir la correction du siècle n'avait donc pas été suffisant pour lui permettre d'établir qui était aux commandes, apparemment. Le soldat le fit donc remarquer, avec tout juste assez de courtoisie pour éviter l'excès de goguenardise :

    "Et c'est justement votre sympathie qui vous a permis de conserver l'usage de vos genoux. Veillez à ne pas trop hausser le ton."

    Tandis qu'il terminait d'ajuster sa cape à la main, sa capuche se redressait par elle-même sur son crâne. Fin prêt pour le départ, il ignora intégralement les protestations crachées par le vieux brigand pour ensuite indiquer à Pancrace d'un geste de main qu'ils pouvaient dés à présent repartir en quête d'autres conflits qu'alimentaient leur simple présence. Si la manœuvre était plus que discutable sur le plan éthique, les deux acteurs principaux ne semblaient pas accorder à cela la moindre importance.

    "Ca vous amuse hein ? Ca vous fait bander d'emmerder le monde ?"

    Mortifère pointa l'un de ses index métalliques en direction du front de l'homme menotté. Lorsque la griffe se retrouva à quelques centimètres de son visage, un minuscule arc électrique vint frapper ce dernier, générant un pic de douleur qui le calma net et lui arracha un grognement. Même un chat aurait été mieux traité. Les yeux froids du géant se reportèrent sur Pancrace, et il glissa alors :

    "C'est vrai qu'en... "escortant" ce vilain gaillard, on va probablement attirer un peu l'attention. Il va nous faire une visite guidée, pas vrai ?"

    Escorte de rien du tout. Il n'était qu'un sac de viande secoué dans un bassin rempli de requins.

    "J'ai rien à vous dire, petits enfoirés."

    "Plus beaucoup de dents, mais encore un peu de mordant, l'animal."


    Le monstre claqua des doigts et un crépitement, laissant sous-entendre par ce mouvement que leur prisonnier allait se prendre un second coup de jus. Ce fut alors une voix féminine qui le coupa dans son élan :

    "Vous avez fini vos conneries ? Laissez-le partir."

    Abandonnant passagèrement l'idée d'électrocuter sa proie, Mortifère pivota pour apercevoir la jeune gonzesse plantée en plein milieu de la rue, les poings sur les hanche et la mine furibonde. Pas moche pour un sou, la blondinette portant un tablier brun par dessus ses fringues semblait bien décidée à s'imposer comme la bonne fée du quartier, protégeant les pauvres gens des officiers corrompus en manque d'action. Elle n'avait pas tort, du moins pas sur toute la ligne. Le problème venait du fait que Mortifère, bien que pas totalement inéduqué, avait l'âme d'un cogneur et non d'un diplomate.

    Pour un héros du peuple en devenir, il avait sacrément l'air d'un tortionnaire. Pancrace, lui, avait davantage la gueule d'ange requise pour calmer le jeu. Ce fut donc tout naturellement que Mortifère lui laissa le privilège de faire face à la valeureuse intruse.
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  • Dim 17 Sep - 11:37
    Marrant comme les gars font les malins jusqu'à ce qu'ils se fassent immanquablement casser la bouche, et ensuite, ça repart sur les petits commentaires mesquins comme quoi on apprécierait de leur marcher dessus, que c'est le symbole de ce qui va pas dans la société, qu'on défend les puissants contre les hordes opprimées valeureuses, et qu'on est vraiment du mauvais côté de l'histoire et qu'on le paiera à terme quand les masses se révolteront, que les brigands au coeur d'or ne seront plus maltraités par les condés sans âme.

    Evidemment qu'on y prend du plaisir : malgré les images qu'ils se donnent de groupes familiaux avec des valeurs, ça reste des escrocs, des criminels qui trichent avec les règles en place et se croient plus intelligents et forts que nous. Donc quand on démontre l'inverse, forcément, c'est doublement agréable.

    « Ouais, j'bande super fort, mais comme j'ai un micro-pénis, ça se voit pas. C'est pour ça que j'ai une grosse matraque. »

    Franchement, ça sert à rien d'en dire davantage.

    L'autre truc drôle, c'est quand la nana se pointe pour faire l'ange du quartier. Elle doit sûrement nourrir les chats sauvages, avoir un parterre de fleurs, et soigner les bobos des mafieux qui se battent la nuit pour le contrôle d'une ruelle miteuse. Et, évidemment, elle s'occupe des enfants, donne des quignons de pain aux orphelins et viendra être tout étonnée quand on lui annoncera que son copain d'enfance a tué dix personnes dans une boutique quelconque, parce que, quand même, il était super gentil, il aurait pas fait de mal à une mouche. Le souci, c'est que les humains sont pas des mouches, finalement.

    J'lui adresse un sourire qui pue l'arrogance. Exprès, évidemment.

    « Bonjour, mam'zelle. »

    Important, de bien bouffer les syllabes.

    « Pourquoi on le laisserait partir ? Il a attaqué deux représentants de l'ordre pendant une patrouille, quand même, et y'a eu un refus d'obtempérer, aussi. Pas dit que vous le revoyiez, pour être bien honnête. »

    Elle serre ses petits poings dans son tablier, c'est tout mimi.

    « C'est vous qui êtes venus parader ici pour chercher les ennuis !
    - Ouais ben justement, le souci c'est bien qu'on les trouve. Normalement, on devrait pouvoir se balader partout sans jamais rien constater qui sorte de l'ordinaire. Faut bien constater que ça n'a pas été le cas ici.
    - Vous venez uniquement quand y'a besoin de frapper !
    - Voilà donc une solution si simple à un problème si complexe : arrêtez d'avoir besoin de nous faire venir, on fera juste des patrouilles pépouzes de temps en temps. Là, on peut jamais se pointer à moins de dix sans tomber dans un traquenard au fond d'un coupe-gorge. »

    Elle a les larmes aux yeux maintenant.

    « De toute façon, la République fait jamais rien pour nous sauf quand il s'agit de nous empêcher de sortir la tête de l'eau ! »

    A moitié en sanglots, elle se met à courir dans notre direction en se cachant le visage, alors j'avance d'un pas pour l'empêcher de percuter Mortifère, vu qu'il tient notre coupable dans ses pognes énormes. Un bras tendu pour amortir le choc, j'sens la magie qui s'agite beaucoup trop tard, et sa force surhumaine me percute de plein fouet. J'vole jusqu'au mur le plus proche, trois mètres plus loin. J'le percute sèchement sur l'épaule gauche. J'grogne de douleur. J'glisse au sol, recroquevillé en position foetale.

    « Putain, la pute... que j'souffle. »

    Et putain, le con que j'suis.

    D'autres types pointent leur sales tronches aux fenêtres avec des arcs courts, et j'me dis que j'espère que Mortifère sera en forme, m'enfin déjà il a l'autre bourrine juste à côté de lui. D'un geste de la main, j'envoie un projectile magique sur le gars qui me ciblait, et j'rampe à genoux pour m'écarter mon point de chute, trouver un coin un peu plus couvert. Finies les blagues, surtout que j'peux pas bouger le bras gauche. Epaule démise, p'tet pire. J'serre les dents.

    J'trouve un tas de caisses et de poubelles en état de décomposition plus ou moins avancé dans lequel me blottir, et surveiller la situation.

    « Mortifère, si ça devient trop galère, assomme le vieux et retraite ! »

    Déjà que j'suis à deux doigts de me téléporter au loin, si j'devais pas m'assurer que ça parte pas en couilles totales avec le jouet de Fraternitas, dans un sens ou dans l'autre. D'un autre côté, si la moindre embuscade suffit à le terrasser, ça valait pas le coup de foutre des jolies dorures sur ses bras, hein.

    « Toujours pas de force létale ! »

    J'voudrais autant éviter d'avoir mon blase associé à des rivières de sang dans la ville.
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  • Mer 8 Nov - 12:43
    Le corps de Pancrace s'envola subitement, lui qui pourtant s'était montré si goguenard quelques secondes plus tôt. Mortifère écarquilla les yeux en voyant son collègue projeté comme un vulgaire ballon par la force surhumaine du petit brin de femme révolté. Ce fut la première fois qu'il expérimentait sur le terrain ce que signifiait certains des enseignements qu'il avait reçu lors de sa formation. Le mal, en effet, était partout et surtout là où on ne soupçonnait pas sa présence. Lorsqu'il vit Pancrace heurter un mur avec une violence inouïe, le militaire sentit un pic d'adrénaline en lui. Bien qu'inhibé par l'improbable quantité de produits qui circulaient dans ses veines, cette sensation fut assez brutale pour le paralyser brièvement.

    Etait-ce par compassion pour le sort de son compagnon ? Certainement pas. Dans son éternelle recherche de triomphe et d'absolue efficacité, l'homme de métal ne voyait dans la potentielle blessure de son allié que des mots inscrits sur des parchemins. Un rapport concernant son inaptitude à protéger ses alliés en situation risquée, par exemple, cela ou n'importe quelle information transmise à ses supérieurs au sujet d'une quelconque marque de faiblesse de sa part. Il y eut un instant de flottement durant lequel le soldat manqua de lâcher sa prise sur le vieillard, car la jeune combattante vint se précipiter vers lui.

    Une flèche se logea non loin de l'une de ses articulations mécaniques et Mortifère ne riposta face à cet assaut que par un regard absent. "Pas de force léthale" avait-hurlé son compère, et il avait bien fait d'effectuer ce rappel car la griffe d'acier avait bien manqué de s'abattre sur le visage de la nouvelle adversaire du soldat. Plutôt que de sombrer dans ses bas instincts, Mortifère écarta la vieille crapule qu'il tenait en laisse d'une main puis esquiva par réflexe un premier coup de poing, avant d'administrer avec une absolue fureur un uppercut en plein sous la poitrine de la jeune femme, lui coupant le souffle en la décollant du sol à l'impact.

    Interrompue dans son élan belliqueux, elle fut alors gratifiée d'un coup de coude dans le dos, qui vint être accompagné d'une gifle brutale qui la ramena à terre. Lorsqu'elle fut allongée, le militaire s'empressa d'écraser à l'aide de son pied le torse de son ennemie pour la plaquer au sol, s'autorisant ainsi un temps mort pour évaluer et potentiellement gérer les menaces venues des fenêtres. Incapable d'y faire face dans l'immédiat, le soldat se contenta de lever son bras énorme pour parer une nouvelle salve qui avait clairement pour vocation de l'occire. La voix rauque de Mortifère s'éleva alors, non sans une once de panique :

    "S'il m'est interdit de réduire ce fichu quartier en cendre, alors effectivement le repli devient notre seule option viable ! Qu'est-ce que... AH !"

    Une violente douleur le prit à la jambe car la pauvrette, loin d'être vaincue, avait visiblement décidé malgré ses bonnes intentions apparentes de se montrer sauvage. Usant de sa force surhumaine, elle s'était employée à saisir le soldat à la cuisse, enfonçant ses doigts jusque dans sa chair en y appliquant une pression monstrueuse. Si elle n'avait de toute évidence pas pour projet de le tuer, elle risquait bien de le faire accidentellement en perforant ou en écrasant une artère.

    Par pur réflexe, une fiole agitée par la télékinésie du géant vint s'agiter avant de tourner sur elle-même dans son socle, déverrouillant ainsi son clapet et déversant son contenu dans le corps de Mortifère. Ce fut assez pour éveiller la bête en lui et lorsqu'il leva sa jambe libre, il vint abattre son pied en plein sur la trogne de la malheureuse.

    Un accident, c'était toujours con.

    Là où Mortifère avait cru pouvoir l'assommer purement et simplement, il n'avait semblait-il pas envisagé que l'utilisation de sa propre force surhumaine pouvait avoir des conséquences bien plus désastreuses. S'il n'avait pas exercé une force suffisante pour broyer littéralement le crâne de la demoiselle, le coup de talon avait néanmoins suffi à désaxer sa nuque, qui se brisa dans un ignoble craquement. Elle cessa brusquement de se mouvoir et ses muscles crispés commencèrent à s'agiter frénétiquement, ce qui témoignait d'une rupture entre la tête et le reste du corps.

    Réalisant à peine la gravité de son geste et la mort probable de sa cible, il vint s'extraire de l'emprise de sa victime et tout en agrippant le col du vieil homme qui vociférait entre ses pognes, il se rua tant bien que mal sur Pancrace sous un flot de protestations, d'injures et de flèches tirées à la volée. Dans ce champ de bataille située en pleine ville, il n'y avait désormais plus de place pour l'étiquette et la correction, alors il beugla de sa voix cauchemardesque :

    " 'Faut qu'on s'tire, Pancrace ! Cavale !"
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  • Mer 15 Nov - 22:38

    Dire que j'me vautre dans la fange comme un cochon dans sa porcherie, ça serait pas faire honneur à l'uniforme d'officier républicain. Pourtant, quand une flèche s'égare à côté de moi, j'peux difficilement dire que j'ai fait autre chose que me faufiler dans le tas de poubelles pour qu'elles encaissent à ma place. L'odeur devrait me faire vomir, mais avec la panique, le choc de la douleur, et les cris qui commencent à monter, tout ça me passe bien au-dessus de la tête.

    Faut quelques dizaines de secondes supplémentaires pour que j'vois la jeune femme au sol, terrassée par Mortifère, et ce dernier qui fonce dans ma direction en tenant toujours le vioque d'une main. Ca gueule de s'enfuir, et pour le coup, j'suis pas contre. J'me rappelle mon plan initial, la téléportation en lieu sûr pour s'assurer que le cobaye soit en bon état et n'ait pas mis à feu et à sang la moitié de la capitale.

    J'vais pas me leurrer, j'suis proprement incapable d'incanter une téléportation maintenant, et ça reviendrait à abandonner notre prisonnier.

    Donc j'me relève, avec de la coquille d'oeuf dans les cheveux et une peau de banane accrochée à l'épaule, et j'cours après le colosse, les mains sur la nuque et la crainte de prendre une flèche dans le cul tout du long. Derrière, les criminels crient, nous harranguent, nous insultent, et se félicitent de nous faire fuir, nous les sales représentants de l'ordre et de la loi. Franchement, y'a pas de quoi être fier, j'ai juste été pris par surprise.

    Et chaque enjambée que j'fais me fout des coups d'jus dans l'épaule, au point qu'après trente mètres, je halète comme si je courais depuis trois heures.

    Mais j'serre les dents, surtout au son des impacts des pointes de flèches sur les pavés, ça me motive à continuer à cavaler. Les grandes enjambées de l'autre saloperie le maintiennent devant, et il secoue le vieux comme une poupée de chiffon, mais j'tiens le rythme. C'est l'entraînement, et la certitude de canner si j'm'arrête, qui me motivent. Puis il faut bien ce temps-là pour que j'me rende compte qu'en fait, on s'en fout du prisonnier à incarcérer, c'était juste un appât pour agiter les autres et qu'ils nous tombent gentiment dessus.

    Comme ça, le joujou du vieux pouvait faire sa sortie scolaire, montrer qu'il était contrôlable et contrôlé, réussir brillamment une ou deux interventions sous supervision légère, et on rentrait à la maison avec la satisfaction du devoir accompli et les poches confortablement alourdies.

    Mais du coup, comme j'pensais, on aurait juste dû partir en abandonnant tout sur place. D'ailleurs, c'est p'tet aussi pour ça qu'ils nous poursuivent, au-delà de pour nous faire la peau, c'est pour récupérer leur grand-père ou parrain ou chef ou retraité préféré. On pourrait juste se téléporter plus loin qu'ils nous laisseraient partir et abandonneraient fissa.

    Les syllabes de l'incantation commencent à tourner dans mon crâne, et la magie à prendre forme. J'pousse un coup plus fort, jusqu'à me rapprocher de Mortifère.

    « Largue le vieux, on s'casse ! »

    Il le laisse tomber sèchement au sol comme une pintade chez le boucher, et j'pose ma pogne sur l'épaule du soldat d'élite. Dans un flash d'énergie, on est plus ici mais on est là, et on percute à pleine vitesse le mur en pierre de la cave d'une taverne. Première destination qui m'est venue en tête. J'aurais probablement dû choisir le commissariat ou le manoir de Zelevas. Quoi qu'il aurait p'tet pas apprécié de voir nos vieilles tronches de pouilleux esseulés pendant qu'il sirote son whisky.

    J'me frotte le nez, que j'ai heurté. Rien de cassé, juste un bobo comme j'en ai eu temps. De la main droite, je palpe doucement mon épaule gauche, que j'essaie désespérément de pas remuer depuis le début.

    « Démise. Faudrait trouver un genre de toubib ou quoi. Et toi, Mortifère, ça va ? Pas eu de souci avec la folle ? »

    Malgré l'obscurité, j'avise le sang qui coule le long de sa jambe.

    « T'as des bandages ou du tissu ? Et avant que tu demandes, on est au sous-sol de la Joyeuse Pintade, un débit de boisson pas très loin de là où on était. J'ai dû avoir une pensée intrusive au moment de nous téléporter. Bon enfin, on s'en sort bien. Rien de cassé ? »

    Si j'avais cassé le jouet du sénateur, c'est sûr qu'il m'en aurait voulu. Là, franchement, ça va, et on a même pas fait un massacre. Autant dire que la mission est accomplie et qu'on peut rentrer au bercail avec la sensation du devoir accompli... je crois ?
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  • Lun 27 Nov - 5:31
    Heureusement, l'officier avait su garder la tête froide malgré la panique et c'était exclusivement grâce à sa magie que les deux militaires s'en tiraient à bon compte. Pour ce qui était de la tâche que l'on leur avait confié, la situation avait en revanche tournée au vinaigre, se soldant au final par un monstrueux fiasco qu'il allait s'avérer difficile de camoufler. Les aléas du métier, dira t-on.

    "La pute !"

    Visiblement, quelques soucis avec "la folle". Et tout aussi visiblement, un total abandon des règles de bienséance élémentaires. On avait cependant tendance à abandonner d'aussi maigres considérations lorsque l'on venait de risquer la perforation d'une artère vitale par excès de bienveillance. Par souci d'efficacité, Mortifère se surprenait même à se demander s'il ne préférait pas être envoyé exclusivement sur des missions nécessitant d'abattre ses cibles plutôt que de les interpeler, car cela faisait déjà deux fois qu'il était méchamment surpris par de vils manœuvres de demoiselles pesant la moitié de son poids et qui, contre toute attente, parvenait à l'abîmer plutôt sévèrement.

    Les directives de Pancrace étaient bonnes et Mortifère s'empressa de jouer de sa vision améliorée, furetant à l'aide de sa lentille luminescente pour trouver dans ce bazar de quoi panser ses plaies. L'alcool ne manquait pas et risquait d'avoir une place dans les soins d'urgence, car nulle doute que cette crasseuse ne s'était pas décrottée les griffes avant de lui enfoncer dans la cuisse. Ses recherches hâtives le menèrent jusqu'à un morceau de chiffon pas franchement propre, mais pas complètement moisi non plus.

    A l'aide de ses griffes démesurées, il vint boiter jusqu'au tissu qu'il saisit brutalement puis ôta par télékinésie le bouchon d'une bouteille entreposée dans un coin de la pièce. Après avoir vaguement reniflé le parfum étouffant du contenu, il imbiba le chiffon qu'il vint plaquer sur sa cuisse sanguinolente, avant de laisser un beuglement rageur lui échapper. Tandis qu'il appliquait fermement le tout sur sa jambe, il ne put réfréner un élan de colère que les drogues ne semblaient pas avoir su estomper et vint balancer pour s'en défaire un tabouret dans le décor d'un grand et furieux coup de pied.

    "Bordel de merde ! C'est dramatique !"

    Se tournant vers Pancrace, qui n'avait pourtant rien demandé du tout et ne méritait pas tel traitement, il vociféra :

    "Comment ça, on s'en sort bien ? Je me suis jamais aussi mal tiré de quoi que ce soit, de toute ma chienne de vie ! On est venus, on s'est fait piétiner par des sans-dents, on a pas réussi à arrêter un seul type puis on est repartis en se téléportant comme des lâches ! Tout c'que j'ai réussi à accomplir, c'est l'éxécution d'une crasseuse !"

    Un semblant d'humanité sous cette enveloppe de métal ?

    "J'suis sûr que je l'ai tuée. Je l'ai senti, sous ma botte. J'en suis convaincu. Tu t'rends compte de ce que ça implique ? Le Sénateur va être furieux, ça va encore ralentir l'avancée du projet. Si ça se sait, cette histoire va faire l'objet de cinquante fichues procédures, on va le pointer du doigt et moi avec, ça va mettre à mal l'évolution de ce pourquoi on œuvre depuis des mois... des années même ! 'Va falloir enterrer ça sous le tapis par tous les moyens. Quelle galère ! Bordel, mais qu'est-ce que j'ai dans le crâne ?!"

    Rien de bien humain dans cette réflexion, finalement. Comme d'habitude, Mortifère ne voyait dans les vies de nombre de ces concitoyens qu'un moyen d'accéder à davantage de pouvoir et de reconnaissance de la part des hautes sphères. La perte d'une âme ne l'affectait que parce qu'elle touchait à son image. A force de côtoyer le Docteur et ses pairs, il s'était tant dissocié des hommes qu'il en venait à les voir comme des chiffres et des dossiers à remplir. Après son petit boudin, il finit toutefois par retrouver son souffle et reprit :

    "T'as déjà été confronté à ça hein ? T'as tué des civils non ? Comment t'as géré, quand ça s'est passé ?"
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  • Jeu 7 Déc - 20:23

    Mortifère goûte pas trop la situation. Difficile de lui en vouloir, j’peux pas dire que j’biche non plus à fond. Déjà, j’ai un mal de chien. Ensuite, ça fait jamais plaisir de fuir, la queue entre les jambes, même si j’ai pas assez de fierté mal placée pour le prendre vraiment mal. C’est que j’ai rien de plus précieux que ma vie, sauf p’tet mon intégrité physique, alors s’il faut ravaler son orgueil dix minutes pour pas finir allongé dans une ruelle, ou trouvé au fond du port, moi, y’a pas d’hésitation à avoir. J’ai pas survécu à Kaizoku en fonçant en première ligne, après tout.

    Donc j’évacue rapidement tout ça pour me concentrer sur la colère de l’arme de Zelevas.

    Il essaie de se rabibocher, et j’sens qu’il est davantage affecté par toute cette situation. J’me demande ce qui se passerait, si la mission était un échec et que le vieux décidait que Mortifère n’était pas une bonne chose, pas une bonne idée, pas un bon investissement. Deuxième sourire sous le premier, et un incendie dans un immeuble désaffecté ? Moi, encore, bon, j’aurais fait ce que j’ai pu. Mais si on lui retire ses bras, il est pas prêt de bouffer du chocolat, l’affreux.

    Après, c’est bien d’être affecté quand on échoue, c’est comme ça qu’on progresse : moi, parfois, ça me vexe l’ego pour peu que je me sois donné de la peine, et j’m’arrange pour que la fois d’après, je m’en sorte mieux. Bon, c’est vrai qu’exécu... quoi ?

    J’ai un frisson glacial qui n’a rien à voir avec mon épaule qui parcourt ma colonne vertébrale, et ça s’améliore pas quand j’écoute la suite.

    « Attends, quoi ? Tu l’as butée ? La nana qui m’a savaté ? »

    J’me passe la main sur le visage, j’essaie de refaire le fil des événements. Mais c’est flou, dans l’agitation, l’excitation, l’adrénaline, puis, bordel, j’avais mal. Ouais, voilà, c’est ça la piste. J’plisse les yeux sur Mortifère. J’étais blessé, aucune idée de ce qu’il a foutu, je suis pas responsable, puis on est tombé dans un traquenard...

    « Putain mais pourquoi la buter ? Tu pouvais pas juste l’assommer ou la lancer au loin avec tes putains de bras ? C’était si compliqué de pas faire un scandale ? »*

    C’est sûr que d’Elusie va pas trouver ça très rigolo, je sens, si le rapport arrive sur son bureau ou, et c’est dix fois pire, arrive sur le bureau des autres sénateurs, de la Présidence, du Garde des Sceaux ou de la Grande Mécène. Que des gens chouettes, bien entendu, j’oserais pas dire le contraire, mais qui verraient probablement pas d’un très bon oeil qu’un rival putatif s’amuse à faire des expériences sur des soldats républicains puis les envoie maintenir l’ordre -très mal- dans les faubourgs mal famés de nos si jolies villes.

    Sous la supervision d’un capitaine des officiers républicains qui ne parvient pas à gérer la situation.

    « Bon, bon, oublie ce que j’ai dit. Ouais, c’est déjà arrivé, mais c’était pas vraiment des civils. Plutôt des brigands, des criminels vraiment remontés genre membres de gangs. Pas Jeannette la jeune femme qu’est triste que Papy risque de finir en zonzon. Enfin, est-ce qu’on est vraiment sur quelqu’un d’innocent quand tous ses copains ont débarqué pour nous attaquer et nous canarder, on peut en douter... »

    J’me refais le fil des événements, l’attaque par Jeannette, mon séjour au milieu des poubelles, les flèches, Mortifère entraperçu brièvement au milieu des assaillants. Ouais, ça devrait passer...

    « J’écrirai le rapport, faut juste qu’on se mette d’accord sur la version des faits. On sait qu’on a arrêté le vieux, et que la gonzesse nous a agressés en utilisant des pouvoirs magiques, genre force décuplée. Ça m’a blessé, ça, c’est indéniable. Puis tous ses petits camarades sont sortis des fourrés, pour ainsi dire, et se sont mis à nous tirer dessus. »

    J’m’arrête quelques instants, en essayant de refaire le déroulé de l’échaffourée.

    « Jusque-là, de toute façon, c’est bien ce qui s’est passé. Puis l’a fallu s’enfuir pour éviter de prendre d’autres vies, dans l’optique de revenir en nombre une fois suivante, et mettre un terme aux agissements de ce gang qui tente d’établir une zone de non-droit en plein dans la Capitale de la République. J’creuserai aussi pour voir si y’en a qui sont connus défavorablement de nos services. »

    Ça va le faire. Et il faudra bien, pasque le propriétaire des lieux, attiré par notre ramdam, est en train de descendre l’escalier avec un nerf de boeuf en main. J’montre mon insigne.

    « Pas d’inquiétude, mon brave, nous étions en pleine investigation, mais tout va bien.
    - L’est vrai, c’t’insigne ?
    - Vrai et chiant comme la pluie. Ou vous préférez qu’on aille jeter un oeil en cuisine ?
    - Bonne journée, officier.
    - M’semblait bien, ouais. »

    Une fois dehors, j’m’assure que Mortifère a remis sa cape pour pas faire peur aux passants.

    « Et maintenant ? On pourrait toujours retourner là-bas, mais moi, me faut un passage de réparation, j’risque de pas être en état. Mais ça pourrait empêcher que la situation vienne nous mordre dans le cul par la suite. »

    Genre capturer des vrais coupables, par exemple, histoire de montrer qu’on aura réussi quelque chose sur cette putain de journée. Pasque de l’autre côté, juste se barrer, ça veut probablement dire faire une croix sur la bourse que le vioque doit me filer, et avoir une marque noire au dossier, deux choses auxquelles je tiens pas particulièrement. Quant à Mortifère... Hé, chacun sa merde.
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  • Ven 8 Déc - 11:42
    La réalité frappa Pancrace en pleine poire et Mortifère, adossé contre une étagère tout en expirant bruyamment, se contenta de hocher la tête lorsque l'officier lui demanda de confirmer si oui ou non, il avait véritablement fait passer de vie à trépas la greluche imbécile ayant jugé bon de s'interposer entre la justice et les crapules. Jouant de ses titanesques griffes métalliques, le jeune cerbère replaça convenablement le tissu imbibé de sang qui l'empêchait de se vider comme un berlingot. Dans un murmure à peine audible, il grommela :

    "Ouais, j'en suis quasiment sûr. Ca a... craqué."

    La surprise de son interlocuteur se mua en indignation tout à fait légitime. Lorsque Pancrace lui balança la remarque la plus élémentaire quant à sa mauvaise gestion de la situation, Mortifère se contenta d'envoyer sa tête en arrière pour cogner le bois de son appui à deux reprises. Depuis sa métamorphose en géant de fer, il n'avait pas connu le moindre échec et s'était fait encenser par l'ensemble des témoins ayant eu la chance de le voir à l'œuvre, il était donc impensable pour lui de commettre une erreur aussi grossière que celle-ci. Pourtant, l'accident avait bel et bien eu lieu. Fuyant le regard inquisiteur de l'homme aux yeux d'ambre, le colosse rétorqua sans conviction :

    "J'sais pas... J'sais pas. J'l'avais maitrisée, je tenais l'autre gars. D'un coup je sens un coup de poignard dans ma cuisse, j'baisse les yeux et je découvre qu'elle a utilisé sa magie pour me perforer la jambe. J'ai pas su quoi faire alors j'ai balancé mon pied à pleine puissance en plein dans sa trogne. J'ai pas pu confirmer que ça l'avait tuée mais..."

    ...Mais la force surhumaine d'un soldat d'élite balançant sa botte dans le menton de quelqu'un, ça n'avait pas tendance à replacer convenablement les vertèbres. Voilà ce qu'il essayait de dire sans tout à fait vouloir révéler l'évidence. Pancrace changea son arbalète d'épaule -les fusils n'existant pas, au même titre que les machines de forage par exemple- et décida alors de se ranger du côté de son collègue en mettant à profit ses connaissances du monde administratif républicain. Les yeux emplis d'espoir, le colosse suivit le discours de son vis-à-vis sans en manquer la moindre miette et se permit même de valider ses propos avec enthousiasme :

    "T'as raison ! Même moi j'suis blessé, on était dans le cadre de la légitime défense là, nos vies étaient en jeu."

    En action combinée avec les mots rassurants de son confrère, Mortifère commença alors à ressentir à retardement les effets des substances inhibant ses émotions. D'une façon tout à fait curieuse, il parut alors somnolent et cessa de trépigner tandis que son souffle, de façon audible, se fit plus lent et maîtrisé. Ses yeux se perdirent un peu dans le vide et il marmonna simplement en échos au discours de son compère :

    "Tout à fait ouais, comme tu dis... Connus défavorablement... Ouais, c'est forcément le cas."

    Ses murmures se firent encore plus faibles, comme s'il prononçait quelques derniers mots avant de s'endormir tandis que même les traits tirés de son faciès maculé de cicatrices s'adoucissaient :

    "On est tranquille. On risque rien."

    Le patron de l'établissement pointa alors le bout de sa vilaine truffe, ayant été alerté par les bruits du chien de guerre scandalisé et de son compagnon d'infortune, et ce fut encore une fois au tour de Pancrace de prendre les devants pour gérer au mieux l'interaction avec ce perturbateur. Fier d'une expérience que n'avait pas Mortifère, le grand brun géra l'affaire en deux tours de passe-passe et ils ne furent nullement inquiétés par la présence du tavernier. Coup de chance pour le soldat mécanisé, il n'était vraiment pas tombé sur un incapable.

    Mortifère passa à côté du propriétaire des lieux qui réalisa alors avec stupeur que l'intrus gigantesque n'avait rien de normal. Sans accorder à ce dernier le moindre regard, le soldat ajusta une dernière fois son bandage de fortune, enfila sa cape sur les conseils de son collègue et ils se remirent en route sans accorder le moindre remerciement à celui qui leur avait involontairement offert un ticket de sortie. Pour parler de soins, Pancrace usa du terme "réparation", ce qui ne manqua pas de faire tiquer son camarade pour lequel la formulation n'était en l'occurrence pas imagée. Plus de bonne manière, ni courbette ni courtoisie inutile. Il parlait désormais à son collègue comme s'ils avaient vécu une guerre ensemble. Pancrace était pourtant le seul survivant de Kaizoku dans le coin.

    "Je suis de ton avis. Il faut qu'on fasse un coup de filet si je veux éviter de m'faire taper sur les doigts. Tu as des informations ? Un truc que vous auriez laissé en suspens au bureau et qu'on peut régler à deux ? En l'état, si je rentre, j'suis mort."

    Il était un peu dans l'excès. Au prix qu'il avait couté, il ne risquait pas de se faire éteindre les lumières au premier caillou dans sa botte. Son goût de la réussite, pourtant, le poussait à l'excellence. Hors de question de se reposer après un échec aussi cuisant. Direction l'infirmerie et retour au front immédiat, donc.

    "Il en faudra plus pour me stopper. On se requinque et on attaque."

    S'engouffrant dans le froid, ils se mirent en marche sans se soucier des regards insistants des passants.
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  • Mer 13 Déc - 18:46

    Mortifère est calmé, son accès de rage aussi soudain et logique que son air apaisé et endormi maintenant. L’adrénaline qui se fait la malle ? Ou alors les restes des opérations et expérimentations qu’il a subies ? J’en ai bien rien à foutre. C’est juste qu’avec ça, il me fait diablement penser à ces gars qui tapent leur bourgeoise quand ils arrivent au fond de la bouteille, puis lui achètent des fleurs le lendemain avant de lui faire un bisou sur le front, doux comme des agneaux.

    Généralement, les hématomes sont toujours là quand les fleurs sont fanées.

    De là à dire qu’on risque rien, il y a un pas que je franchirai quand on y sera. Mais avec l’aide d’un sénateur pour expliquer si nécessaire au Commissaire qu’il ne s’est rien passé qui sorte de l’ordinaire, ça devrait aller, j’ose l’espérer. Bref, on est effectivement loin d’être dans la merde ou au fond du trou, c’est l’essentiel. Faut juste s’assurer de nos arrières, et ça, j’en fais mon affaire : j’en suis pas à mon premier rapport de mission un peu orienté.

    N’empêche, qu’ils nous tombent dessus à autant et par surprise, j’vais gueuler un coup auprès des autres capitaines : c’est pas normal, dans le fond, qu’on soit pas craint au point qu’une vingtaine d’entre eux se disent qu’ils vont se croquer un officier républicain entre midi et deux. Ils devraient juste filer droit, hocher la tête quand on leur parle et fermer leur gueule. M’est avis qu’on va se faire une petite descente éducative dans les semaines à venir, après en avoir pincé quelques-uns chez eux. J’aurais bien dit la nana, mais visiblement, elle est pas prête de commettre à nouveau un crime.

    « Euh, ben, en général, on essaie quand même de résoudre les crimes quand on peut, hein. C’est bon pour les chiffres, faut bien l’avouer. Puis les primes, tout ça... Enfin, je vais pas te gonfler avec des détails sans intérêt, l’essentiel, c’est qu’on se garde normalement pas des affaires ‘’sous le coude’’ pour les réussir quand la situation pue. »

    Par contre, parfois, on a des trucs où on n’est pas trop sûr de nous ou qu’on n’a pas le temps de boucler et qu’on laisse en suspens. Vrai qu’on pourrait taper là-dedans. Puis si c’était à Courage, je saurais exactement qui aller secouer pour donner l’impression qu’on bosse, mais c’est pas tant le cas à Liberty : même si j’viens souvent, j’ai pas une connaissance intime des dossiers qui traînent.

    « L’un dans l’autre, on va aller au commissariat. On va pouvoir s’y faire retaper, y’aura bien un toubib de fortune. Et j’demanderai à des collègues s’ils peuvent me dépanner ce coup-ci, à charge de revanche. »

    On a quand même un bel esprit de corps, chez les officiers républicains : c’est qu’on a conscience d’être le dernier rempart de l’ordre et de la justice contre la barbarie et la loi du plus fort, après tout. C’est juste qu’on a la clé des poternes et que, parfois, faut quand même pouvoir circuler un peu normalement, pour pousser la métaphore jusqu’au bout. Donc quand j’pousse la porte du bâtiment avec Mortifère derrière moi, il me faut pas longtemps pour repérer un autre capitaine qui masque avec brio le fait d’être en train de rien foutre, penché sur un bout de parchemin. Mais l’encre de sa plume est sèche, et le grattement monocorde. A ce rythme, il va juste trouver le papier.

    Le médecin de quart, en réalité juste un infirmier amélioré et docteur raté, se penche sur mon épaule, et me pointe un truc du doigt au fond de la salle. J’plisse les yeux, mais impossible de distinguer exactement ce qu’il voulait que je vois.

    « Qu’est-ce qu’il y a ? C’est trop loin pour que... Aïe, putain !
    - C’est remis, Capitaine. Je dirais bien de pas forcer, mais on se connaît. »

    La douleur du coup sec est rapidement absorbée par une sensation de fraîcheur, et son soin élémentaire de faible niveau s’assure que je perde pas trop en motricité.

    « Merci. Et pour lui ? Il a une vilaine entaille sur la cuisse.
    - Hmm, je vais voir ce que je peux faire. »

    Ça commence avec une série de compresses, puis j’m’éloigne pour aller emmerder l’autre capitaine présent sur place.

    « Hé, Croco, ça va ?
    - Et toi, Pan ? Un souci ?
    - Un peu. J’me demandais si vous aviez un truc sur le feu, pas trop compliqué, qu’on pourrait reprendre. Faut que j’montre les cordes à l’autre, derrière.
    - D’ailleurs, vous êtes revenus abîmés, non ?
    - Ouais, une merde dans les bas-quartiers, j’ferai le rapport plus tard. J’voudrais juste revenir avec quelque chose d’un peu reluisant, tu vois ? »

    Il se frotte l’arête du nez, se passe la main dans les rares cheveux gris qui s’entêtent à parsemer le haut de son crâne. A sa place, je raserais tout, il passerait moins pour un clochard ou un type dans le génie, mais bon.

    « J’ai peut-être quelque chose, mais ça m’emmerde un peu... C’est un ancien indic’ qui a un peu mal tourné, genre il commence à mordre la main qui le nourrit...
    - La pègre ?
    - Non, non, la nôtre.
    - Vas-y, je prends.
    - Bon, bon... »

    Il arrache un bout de son parchemin, trempe sa plume, griffonne dessus, avant de me le tendre. Ça fera l’affaire, si Mortifère est d’attaque.
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  • Jeu 21 Déc - 11:40
    "Maintenant que tu le dis, ça se tient."

    Déçu, mais pas complètement anéanti dans ses espoirs pour autant, le géant d'acier marchait aux côtés de son collègue d'un air à la fois pensif et passablement contrarié. Pancrace lui fit signe que sa cape n'était pas tout à fait bien ajustée et qu'elle révélait une bonne partie de ses prothèses métalliques, aussi Mortifère usa de télékinésie pour en lisser les plis par magie. Entre son gabarit de gorille et la lentille mécanique qui dissimulait l'un de ses yeux, il attirait l'attention indépendamment de ses maigres efforts en matière de camouflage, en réalité.

    Le regard du militaire s'attardèrent enfin ailleurs qu'autour de Pancrace et il prit vaguement conscience de ce qui se trouvait autour de lui. Marchands, badauds et autres voyageurs chargés de vivres s'agitaient dans les rues. Mortifère se fit la réflexion que lorsque les citoyens les croisaient, ils ne devaient pas se douter une seule seconde du chaos que venaient de vivre les représentants de l'ordre à deux pas de leurs foyers. A ce sujet, il découvrit alors que sa taille et son apparence n'étaient sans doute pas la seule chose qui attirait l'attention le concernant, car un picotement à la cuisse lui rappela  que l'abondant saignement donc il était victime n'avait été que partiellement endigué par sa tentative à l'efficacité médiocre d'en stopper le flot. La remarque de Pancrace au sujet de la nécessité de se faire soigner tomba donc à pic.

    "Compris. Heureusement que tu as un peu de galon."

    Une fois à l'intérieur de l'antre des justiciers, le militaire fut surpris d'y découvrir une ambiance bien austère et qui, très franchement, n'inspirait pas grand-chose. Le capitaine présent, que Mortifère inspecta à l'aide de son œil modulable, semblait n'être expert qu'en matière d'esbrouffe et paraissait se réjouir de pouvoir profiter de son grade pour branler sa plume plutôt que d'aider dans la reconquête des rues. L'officier croisa en haussant la tête le regard dédaigneux du géant et cela ne manqua pas d'arracher à l'individu installé à son bureau un haussement de sourcil interloqué. Voyant que le colosse était accompagné de Pancrace, il n'accorda toutefois à l'énergumène mécanisé pas plus qu'un coup d'œil en biais.

    On se chargea de soigner Pancrace en premier, naturellement. Après tout, il était un habitué de la maison et Mortifère ne semblait être qu'un visiteur dans ce milieu qui n'était pas encore tout à fait le sien. S'installant donc sur un second brancard, un peu en retrait de la conversation se jouant entre le soigneur et son compère, Mortifère tira un rideau et abaissa son pantalon tout en retirant sa cape pour ensuite enlever le dessus du tissu gorgé de liquide pourpre. Sacrée vilaine plaie, se dit-il lorsqu'il constata à quelle profondeur la chair de ses gambettes avait été percée par les ongles de l'autre héroïne en jupons.

    Soupirant de déplaisir, il pivota pour orienter son regard en direction d'une poignée d'ustensiles médicaux et préleva par la force de son esprit le nécessaire de couture destiné à refermer les petits trous dont sa carcasse avait inutilement été décorée. Ayant avec la souffrance un rapport tout à fait particulier, ses innombrables cicatrices en témoignant, il voyait de tels soins comme une humble promenade de santé. Ce fut donc presque machinalement qu'il vint reproduire avec soin ce que le Docteur avait fait à tant de reprises en ignorant les pointes de douleur qui apparaissaient ça et là malgré l'inconfort de la situation. Derrière le rideau, la voix du toubib se fit entendre :

    "Eh ! Arrêtez de bidouiller mon matériel. Vous pouvez attendre deux minutes non ? Vous êtes pas mourant, que j'sache."

    Les cliquetis de l'aiguille et les froissements de la gaze ne cessant pas, le soigneur prit l'absence de réponse de Mortifère pour un refus et considéra cela comme une insulte à sa profession. Après s'être passé les mains dans l'eau, il s'approcha donc d'un pas décidé vers le lit sur lequel s'était assis Mortifère avec la ferme intention de l'engueuler mais, lorsqu'il repoussa le voile masquant le blessé à sa vue, il esquissa un vif mouvement de recul avant de lâcher en un souffle :

    "Bon sang d'merde, qu'est-ce qui vous est arrivé ?"

    S'étant attendu à croiser le regard d'un homme et non d'une bête faite de chair et de métal, il fut surpris de se retrouver nez-à-nez avec le cerbère qui n'avait pas pris le temps de lever la tête de son actuelle besogne et qui continuait avec diligence son entreprise. Il y eut un moment de flottement durant lequel Mortifère n'accorda pas la moindre attention à son vis-à-vis et la question de ce dernier, bien que légitime, ne trouva donc aucune forme de réponse. Après quelques secondes, Mortifère consentit à siffler :

    "J'ai presque terminé. Pouvez-vous procéder à des soins magiques afin de renforcer les sutures ?"

    Le toubib déglutit, puis secoua la tête et bredouilla :

    "Je... oui."

    "Faites, dans ce cas."

    Le concerné approcha ses mains de la jambe du blessé et la magie fit son office. Durant la procédure, le soigneur se risqua à hausser la tête pour chercher dans le visage de l'homme masqué un semblant d'émotion, mais il ne rencontra que le vide insondable dans les iris luminescents de la créature mi-homme mi-machine. Ressentant sans mal cette tension, Mortifère consentit à faire preuve d'un peu d'humanité et ajouta :

    "Sachez juste que je suis des vôtres. Vous n'avez rien à craindre."

    Cela ne sembla pas suffire à écarter les inquiétudes du medic, mais Mortifère se contenta bien d'avoir établi cette vérité à son sujet. Sans plus de cérémonie, il bondit de son perchoir et usa de ses prothèses pour renfiler convenablement sa ceinture tout en gratifiant son interlocuteur d'un maigre hochement de tête en guise de remerciement. Cela fait, il tourna les talons et quitta le simulacre de poste médical sans accorder au pauvre gaillard le moindre mot de plus.

    Il rejoignit alors Pancrace et fit preuve à son égard d'un peu plus d'enthousiasme. Mortifère, depuis sa métamorphose, s'était toujours comporté ainsi. Il vouait un tel culte à l'ordre et à la justice qu'il devenait en compagnie de ses homologues plus avenant et moins sombre que lorsqu'il était entouré, par exemple, des laborantins ou des servants de son mentor. Pancrace ayant déjà quitté le commissariat pour prendre l'air, Mortifère salua sobrement le capitaine au crâne dégarni et quitta les lieux pour retrouver son camarade du jour.

    "T'as trouvé quelque chose ?"

    Pour réponse, un papelard. Prenant le risque d'extirper de sa cape l'une de ses griffes, il vint s'en saisir et consulta d'un œil avide les quelques informations gravées sur le parchemin. Ce n'était pas le coup d'éclat qu'il avait espéré, mais ça ferait l'affaire à défaut de mieux. Roulant le document sur lui-même par télékinésie, il le laissa voleter jusqu'à la paume ouverte de Pancrace et ajouta ensuite :

    "Mieux que rien. Par contre, il va falloir qu'on établisse une autre méthodologie."

    S'assurant que la rue adjacente ne compte aucun observateur indésirable, il se pencha un peu vers son collègue et marmonna :

    "Cette fois, j'aimerais éviter de me faire trouer la panse par une crapule. A part l'indic, j'élimine tout intervenant hostile. Je peux pas me permettre de me faire abimer par des voyous de bas-quartiers, tu comprends ? En terme d'image, c'est paaas... 'fin tu vois, quoi."

    Après un reniflement, il conclut :

    "On est d'accord ?"
    Citoyen de La République
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    Pancrace Dosian
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    qui suis-je ?:
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  • Jeu 28 Déc - 12:04

    A voir la gueule du toubib, il a pas trop kiffé quand Mortifère lui a montré ce qu’il avait sous son pantalon. Compréhensible, vu la gueule du bouzin, donc j’vais pas lui jeter la pierre, mais ça arrange pas mes affaires. J’espère juste qu’il va pas le crier sous les toits alors qu’on est encore à l’étape du test du prototype, ou que le vieux sénateur va pas s’en plaindre. D’un autre côté, s’il s’était pas fait blesser par une bonne femme des bas-fonds, on aurait eu moins d’emmerdes. P’tet que j’l’écrirai dans mon rapport, pour être sûr que Zelevas vienne pas me chier dans les bottes.

    « Tu peux définir ‘’éliminer’’ ? Et ‘’hostile’’ ? »

    Je sens le bain de sang arriver.

    « On va pas se balader dans les manoirs des nobles ni les laboratoires bizarres de d’Elusie, hein ? Les gens sont pas sympas, ils se méfient des officiers républicains, voire peuvent pas nous blairer, et attendent la première occasion pour nous aligner, dans certains cas. Donc ouais, s’ils essaient de nous buter, on peut faire de la légitime défense. Mais on tabasse pas les passants un peu désagréables ou agressifs, et on bute pas Jeanine sous prétexte qu’elle veut pas nous renseigner. »

    Je sens que nos opinions sont légèrement en désaccord. Moi, je fais pas ça pour marcher dans des rivières de sang et que mes concitoyens osent pas m’adresser la parole.

    « Après, de ce que je vois, le coin sera plus tranquille que le précédent. On a p’tet mis la barre un peu haut pour un premier exercice de maintien de l’ordre de façon paisible. J’aurais dû calibrer un peu mieux aussi, p’tet... »

    La carotte et le bâton. J’fais mine que c’est un peu ma faute, sans le penser réellement. J’lui tape sur l’épaule, un peu haute pour moi mais ça le fait.

    « Allez, on va coffrer ce vieil indic’ pourri et voir ce qui en sort. P’tet même qu’on se fera un p’tit interrogatoire pour que tu montres ta polyvalence et ton adaptabilité. Puis on dira que t’es trop balaise pour juste capturer les gens, et qu’il faut te déployer dans des cadres plus dangereux. Si avec ça, le Zelevas arrive pas à débloquer du budget, moi, je sais pas, hein. »

    Après, il le tournera comme il veut quand il discutera avec ses homologues, mais moi, j’aurai fait tout ce que j’aurais pu.

    ****

    La qualité du quartier baisse à nouveau à mesure qu’on se dirige vers les planques de l’informateur. On fait chou blanc dans les trois premières tavernes, mais à la quatrième, le patron nous pointe un orc massif, engoncé dans une cape immense. Il doit faire une bonne tête et demie de plus que Mortifère, et j’retiens une grimace. Ça sent pas vraiment l’interpellation paisible. On s’assied en face de lui, et il pose des avant-bras colossaux sur la table, autour d’une pinte qu’a l’air minuscule entre ses pognes. Le genre de gars que j’viendrais pas faire chier, et j’me demande si Croco m’a pas refilé un tuyau percé : y’a aucun monde où, le connaissant et même avec son escouade, il viendrait emmerder ce type. P’tet qu’ils viendraient à trente, à la rigueur.

    « Salut, E’hrark. J’espère que je prononce bien.
    - Suffisamment, qu’il répond en haussant les épaules. Qui le cherche ? »

    La lumière des bougies est reflétée par les anneaux d’or gravés dans ses défenses. Ses yeux brillent juste au-dessus, et j’me dis que, vraiment, c’est une sacrée journée de merde.

    « C’est le Capitaine Croco qui nous envoie.
    - Ah, le Crocodile. Que veut-il ? »

    Sa voix grave et calme met en confiance, et j’comprends bien que ça doit faire partie de son image pour rassurer les gens qui viennent lui demander des trucs. J’cape juste pas comment lui peut être un simple indic’, quand on voit la carrure, le gabarit, bref, le monstre qui nous fait face. Et j’dis ça en en ayant un juste à côté de moi. Métamorphose, p’tet ? Mais nan, j’renifle pas la moindre trace de magie.

    « Il m’a dit qu’il avait du mal à te joindre en ce moment, et que c’était plus comme avant.
    - Ah. Oui, et ?
    - Il se demandait s’il y avait un problème, et si c’était possible d’aller le voir pour discuter du bon vieux temps.
    - Il vous a envoyés pour prendre rendez-vous ?
    - Plutôt pour t’accompagner jusqu’à lui.
    - Et où se trouve-t-il ?
    - ... Au poste.
    - Ah. »

    Le silence se prolonge de façon un peu gênante. Puis E’hrark reprend la parole.

    « Je ne suis pas disponible pour l’instant. Mais qu’il n’hésite pas à se déplacer.
    - Il nous a dit qu’il ne pouvait pas prendre ‘’non’’ comme réponse...
    - Embêtant. Je suppose que c’est pour ça qu’il y a l’autre ? Un peu petit, je trouve. Ça m’étonnerait qu’il fasse le poids.
    - Ce sera l’occasion de le découvrir. On sort ?
    - Oui, je ne voudrais pas casser la taverne de Lloyd.
    - ‘Sûr. »

    Quelque part, ça fait plaisir de voir qu’il y a quand même le respect du petit commerce.

    « Allez, Mortifère, à toi de jouer. L’abîme pas trop, on voudrait le ramener au poste, hein ? »

    Pitié.

    Et non, j’ai aucun scrupule à l’envoyer tout seul. Au pire, je donnerai un coup de pouce ni vu ni connu.
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