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Noble de La République
Rim Casris

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crédits : 588
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Info personnage
Race: Humaine (demie Drakyn)
Vocation: Mage soutien
Alignement: Neutre Bon
Rang: B
Rire ou maudire ?
Feat. Jean Bressac ▬ An 4
L’endroit était somptueux. L’hôtel particulier des Dellacorne avait fleuri à l’extrême ouest de Courage comme une tulipe au cœur d’un buisson de chiendent. Il n’y pouvait rien : il sautait au regard sitôt que l’on s’aventurait à la lisière de la ville côtière, trônant dans ses atours de tuiles rouges avec l’audace d’une construction bonifiée par le temps. Bien sûr, les bons soins prodigués par ses propriétaires au fil des générations n’étaient pas anodins. L’hôtel proposait des services luxueux aux riches visiteurs de passage à Courage et accueillait ponctuellement des fêtes estivales mémorables : Rim soupçonnait fortement que la proximité de chambres intimes et discrètes aidait les invités à se rapprocher. Il était certain qu’on ne parlait pas qu’affaires entre ces murs, puisqu’on y buvait et dansait également. Ses chers confrères de la noblesse laissaient alors leur pudeur de hauts dignitaires derrière eux pour adopter la cuisse leste et le déshabillage protocolaire… Malheureusement, l’un d’entre eux ne paraissait pas avoir reçu le mémo.
« Je vous assure, il y a tout à faire pour ces pauvres hères ! Il vous suffirait de parler aux Sénateurs, il est impossible qu’ils ne comprennent pas l’urgence de supprimer les taxes pour les Shoumeiens. »
« Hmm, parvint à répondre Rim à court d’alternatives. »
« Hmm, parvint à répondre Rim à court d’alternatives. »
En soi, la problématique de l’immigration Shoumeiene était passionnante et soulevait de nombreuses interrogations sur l’avenir de la politique républicaine. Elle n’avait néanmoins pas particulièrement prévu d’étudier le sujet près de quarante minutes durant en plein bal masqué. Peut-être avait-elle péché par ignorance de prime abord, naïve diplomate qui avait eu l’heur de prêter une once d’attention au dénommé Ricky Safro, excentrique de son état à mi-chemin entre l’amuse-gueule que l’on aimait jeter en pâture à ses invités et un épuisant personnage. Un effroyable mélange qui n’avait eu de cesse par la suite que de la suivre au travers de la totalité de la salle de bal, ignorant sciemment ou non même les signes les plus indélicats d’agacement. N’avait-il point compris qu’elle ne s’appelait pas Mirelda Goldheart ?
« Je n’édicte pas les lois, lui répliqua-t-elle pour la vingtième fois tandis qu’il se lançait dans un énième monologue. »
Lorsqu’il fut clair qu’il viendrait danser avec elle pour poursuivre son exposé, elle prétexta la morsure de ses escarpins pour prendre une pause à l’abri des regards. Oh infortune ! Elle n’avait eu que le temps de s’engager dans un couloir qu’il la rattrapait déjà, haussant la voix pour lui permettre de ne pas perdre une seule miette de son passionnant récit. Elle avait néanmoins d’ores et déjà ôté ses talons, feignant une quelconque douleur à la cheville, assise sur un banc de velours vert et le regard incrédule. Voilà qu’elle n’avait plus pour porte de sortie qu’une pirouette par la salle d’eau.
« Vous n’imaginez pas tout ce que vous pourriez faire en vous adressant aux bonnes personnes. Si vous hésitez sur la conduite à suivre, je pourrais vous rédiger un discours et vous n’auriez plus qu’à suivre mes directives pour les transmettre à l’un de vos amis sénateurs ! »
« Quelle fantastique idée, je m’étonne de ne pas y avoir pensé. »
« Quelle fantastique idée, je m’étonne de ne pas y avoir pensé. »
Elle haussa un sourcil ironique, tout à fait invisible derrière l’ombrelle de dentelles de son masque, fort pratique pour dissimuler le large panel d’émotions négatives qui sourdait de ses traits. Puisqu’il échouait à saisir son manège, elle décroisa ses fines jambes fuselées et se redressa tout de go :
« Je dois m’absenter quelques secondes pour me rafraichir Monsieur Safro. Vous laisseriez bien une dame conserver une once d’instant privilégié avec elle-même n’est-ce pas ? se fendit-elle d’un sourire flamboyant. »
« Bien sûr, n’hésitez pas, il est vrai que la température est assez éprouvante ce soir, confirma son interlocuteur en tirant d’un doigt sur son col étroit. Nous n’aurons qu’à continuer à échanger à travers la porte. »
« Puisque échanger nécessite un rapport d’équivalence et que j’accapare de toute évidence l’ensemble de notre conversation depuis mon arrivée à cette soirée, pourriez-vous plutôt surveiller pour moi mes escarpins juste là ? Merci, vous êtes un amour. »
« Bien sûr, n’hésitez pas, il est vrai que la température est assez éprouvante ce soir, confirma son interlocuteur en tirant d’un doigt sur son col étroit. Nous n’aurons qu’à continuer à échanger à travers la porte. »
« Puisque échanger nécessite un rapport d’équivalence et que j’accapare de toute évidence l’ensemble de notre conversation depuis mon arrivée à cette soirée, pourriez-vous plutôt surveiller pour moi mes escarpins juste là ? Merci, vous êtes un amour. »
Et le claquement de la porte dressa entre elle et son geôlier une façade infranchissable tout à fait appréciable. Elle balaya du regard la fastueuse salle d’eau, ignorant les faïences et les mosaïques pour mieux sonder l’obscurité nocturne discernable au-delà des fenêtres. Perdu pour perdu… Une nuance d’or pailleta le cuivre de ses prunelles, une électricité statique tangible serpentant l’espace d’un battement de cœur sur sa silhouette : un instant plus tard elle foulait du pied l’herbe tendre du jardin, la magie rémanente de sa téléportation se dispersant dans l’air en longues langues de fumées diaphanes. La fraicheur de la nuit était douce sur sa peau nue, le fourreau de sa robe épousant ses courbes en échancrures crénelées de perles diaprées. Elle n’était pas spécifiquement conçue pour l’hiver, seyant davantage aux soirées d’été, ses teintes céruléennes relevées d’argent tranchant agréablement avec la chevelure flamme de sa propriétaire.
Elle jura tandis qu’elle se faufilait à pas de chat entre les allées soigneusement entretenues, regrettant la protection de ses semelles contre la rugosité du gravier. L’herbe soyeuse des bas-côtés était en ce sens plus agréable et plus esthétique de surcroit. L’hôtel donnait en effet sur le vaste océan, enchâssé dans l’écrin d’une plage à moitié sauvage sur laquelle venait mourir l’écume des vagues. L’iode laissait sur ses lèvres une saveur salée volée à quelques lointaines contrées, et la rumeur de l’eau mouvante recouvrait la brise d’un chant familier faussement docile. Elle n’avait aucune peine à imaginer les ravages d’un océan démonté sur une telle bâtisse.
Bien, très bien. Il lui fallait désormais réfléchir à l’après. Être parvenue à contourner son chevalier servant était une chose, elle devait à présent retrouver la chaleur musicale de la soirée. Elle leva les yeux vers l’ombre d’un balcon et un fin sourire espiègle s’étendit sur ses traits. Par-fait. A cette heure encore jeune de la soirée, personne ne devait compter fleurette contre cette maudite balustrade : les invités devaient probablement se remercier mutuellement de leur venue et se féliciter pour la présence d’alcool. Elle ramassa son jupon fendu jusqu’à mi-cuisse en un nœud inextricable, ramassa ses appuis et attrapa d’un bond le rebord du garde-corps ajouré. Elle s’y hissa d’une souple torsade et se réceptionna adroitement de l’autre côté des balustres, lissant machinalement le tissu malmené de sa robe du plat de la main.
C’est alors seulement qu’elle perçut la carrure masculine à quelques pas de distance de son arrivée impromptue. A contre-jour des lumières éclatantes du grand salon, il lui était impossible de l’identifier ou de deviner son expression. Ses longs cheveux flamme tombant en ample cascade jusqu’à ses reins, parfaitement pieds nus dans les affres d’une soirée mondaine, Rim porta deux doigts à son masque et mima une fausse révérence princière. La nuque courbée, un sourire charmant affleurant sur ses lèvres d’un joli rouge carmin, elle releva derechef les prunelles sur son indésirable témoin :
« Rim Casris pour vous servir. J’ai pressenti que vous aviez besoin de mon intervention immédiate pour veiller à votre sécurité sur ce balcon, lui lança-t-elle gaiement. Je n’avais guère le temps de m’appesantir avec des détails. »
Comme des chaussures, traduisit pour elle l’étincelle mutine de son regard.
- Tenue :


- #91283B -

Citoyen de La République
Jean Bressac

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Info personnage
Race: Humain
Vocation: Guerrier assassin
Alignement: Neutre | Neutre
Rang: D
Un chantage ne s’arrête jamais. C’était la leçon que lui enseignait, jour après jour, ses déboires avec la pègre. En échange de ses dettes, Bressac avait dû accepter d’accomplir une sinistre besogne pour un homme dont le ventre gargantuesque était une faible aberration en comparaison de la terreur qu’il lui inspirait. Pour satisfaire à ses exigences toujours plus déraisonnables, il avait été contraint de réaliser les exploits les plus cyniques et les plus suicidaires que l’on puisse concevoir. Le premier avait bien entendu été d’infiltrer une soirée mondaine à Courage – car quoi de plus simple ? – pour y dérober, aux yeux d’invités de marques, et dont faisait notamment partie le puissant sénateur Goldheart, un objet particulièrement sensible des mains d’une députée de l’opposition. Ce soir, il lui fallait s’inviter dans un bal masqué donné en présence des plus prestigieuses personnalités de la République pour y jouer les espions. Et comme Bressac n’éprouvait pas en soi une irrépressible envie de mourir, son employeur avait dû trouver un stratagème pour lui inspirer quelque courage et le convaincre du bienfondé de ses arguments. Un couteau courtoisement placé sous la gorge avait bien des vertus, notamment celle d’insuffler la témérité à ceux qui n’en débordent pas.
Mais pour dire la vérité, le contexte de ce travail lui était bien plus agréable que le précédent. De la porte de sa voiture, dont les roues de bois tremblaient sur la rue pavée en faisant vibrer tout l’habitacle, il apercevait déjà l’hôtel particulier des Dellacorne, immense bâtisse en pierre de taille blanche qui dressait ses toits, ses poivrières et ses tours d’apparat bien au-dessus de ses voisins.
A mesure que la voiture s’approchait, fortement bercé par le clapotement du sabot de ses chevaux qui résonnaient sur les pavés, Bressac découvrait ses hauts toits et ses piliers, ses fenêtres hautes comme un homme et ses innombrables cheminées, qui faisaient sur le spectateur une prodigieuse impression.
Son cocher, sbire de son employeur à la grise mine cachée sous un masque d’argent, retint les brides tandis que la voiture s’enfonçait dans l’allée principale. Des hommes et des femmes, qu’on ne voyait entièrement qu’à la faveur des torches qui bordaient l’allée, marchaient vers l’entrée, tandis que quelques-uns s’éclipsaient discrètement dans les jardins.
Bressac posa enfin pied à terre, heureux d’échapper aux interminables cahots de sa voiture, et inspira une franche bouffée d’air. Son objectif était clair, se répétait-il intérieurement, il lui suffisait de rester calme et ne pas se laisser divertir. Son malheur était toutefois qu’il était précisément homme à se laisser distraire facilement par certaines situations auxquelles le contexte de cette soirée l’exposait par nature. Il décida donc de passer en revue mentalement, pour la dixième fois, ses objectifs.
Une personnalité d’Etat, soupçonnait-on en haut lieu au sein de la pègre, avait cessé d’accomplir de bonne foi les services pour lesquels elle touchait de généreux pots-de-vin et opérait désormais comme informateur pour le compte du gouvernement. Cette personne, soupçonnait-on toujours, s’apprêtait à transmettre des informations préoccupantes, par voie manuscrite, lors du bal qui était donné ce soir dans l’hôtel particulier des Dellacorne. Parmi les invités, deux personnalités en particulier étaient suspectées d’être cet interlocuteur privilégié, et l’on confia généreusement à Bressac le soin de le confondre, à défaut de quoi il se retrouverait au petit matin soulagé du fardeau d’avoir à penser.
Pour accomplir cette tâche, les mêmes moyens que la fois précédente lui furent confiés. Des personnes averties l’aidèrent à construire le personnage qu’il devait incarner le temps de cette soirée et l’on ne regarda pas à la dépense pour obtenir les résultats escomptés. Ce à quoi l’on attacha le plus d’attention, étant donné la nature du milieu que Bressac devait infiltrer, était ce qui lui permettait d’éviter de dévoiler sa véritable identité. Un barbier adroit dans son art et un couturier peu scrupuleux mais fort talentueux furent entre autres grassement payés afin de réaliser le costume qui siérait le mieux à l’accomplissement de son objectif.
Le costume de Bressac devait accomplir le double objectif d’être à la fois suffisamment élégant pour se fondre parmi les invités, tout en restant pratique et fonctionnel.
Par exemple, contrairement à la plupart des chaussures masculines en vogue au sein de la noblesse depuis quelques années et dont les talons étaient démesurément hauts, ses chaussures avaient un talon si bas qu’elles semblaient presque plates, dans le but de lui permettre de courir pour rattraper un suspect ou échapper à des gardes. Là où les costumes des invités étaient richement décorés et brillaient de mille feux sous les lustres des grands salons, le sien était sobre, composé d’une simple chemise blanche recouverte d’une jaquette taillée dans un tissus sombre. L’excentricité de son costume se bornait aux simples dorures que le couturier avait réalisé sur le rebord des revers de sa jaquette. Ce choix avait été fait pour lui permettre de se fondre plus facilement dans la nuit ou l’ombre d’un recoin pour s’éclipser furtivement ou écouter quelque conversation.
A son côté pendait une épée dont le pommeau richement décoré débordait d’un fourreau de cuir. Bien que ressemblant à s’y méprendre à une arme de parade, il s’agissait en réalité d’un accessoire de théâtre qui fut dérobé dans la loge d’un acteur après la représentation d’une tragédie particulièrement en vogue. Sa lame, émoussée, était notamment conçue pour se briser au moindre choc afin d’éviter que les acteurs ne se blessent.
Son masque, quant à lui, avait également été réduit à sa première nécessité afin qu’il ne gêne pas sa capacité d’observation ou d’écoute. Ce dernier, léger et doré à la feuille d’or, lui permettait en effet de dissimuler son identité tant qu’on ne le regardait pas de trop près et avec trop d’insistance, ou s’il ne faisait pas face à un grand lustre ou à la flamme d’une torche. Ces précautions avaient été jugées suffisantes dans la mesure où Bressac n’était censé interagir avec les membres de la soirée que de façon très sporadique. On suggéra également que dans l’éventualité d’une traque ou d’une poursuite dans la foule, les gardes commenceraient par arrêter ceux dont les masques recouvraient totalement le visage, et non-pas celui, fort innocent, d’un homme qui se cache à peine.
Fort de ces pensées, Bressac s’avança donc vers l’entrée principale où des laquais s’inclinaient et débarrassaient les hôtes de leurs cannes et manteaux.
A l’intérieur du grand salon et des salles attenantes, l’or et le marbre entouraient les tenues les plus luxueuses et les bijoux les plus décadents qu’il lui eût été donné de voir jusqu’à présent. Les colliers d’or et de pierres, les boucles en diamant et les bagues de saphir brillaient à ses yeux comme une insoutenable tentation.
Le cours de ses pensées fut bientôt interrompu par un convive qui le bouscula en pourchassant une dame masquée qui s’échappait en riant. « Ben voyons », songea-t-il en observant leur chute un peu plus loin dans une grande chambre, la robe de la courtisane révélant ses bas de soie jusqu’aux cuisses et leur jeu s’achevant en honnête batifolage. Il n’avait désormais plus aucun doute ; il était en enfer. Solitaire Tantale que le devoir enchaîne au milieu des promesses susurrées par le luxe et la décadence, le voilà désormais condamné à ne les effleurer que du bout des doigts et à ne les goûter qu’avec les yeux, sous peine d’avoir le cou raccourci par une hache. Pour éviter de perdre la tête, il lui fallait donc perdre l’esprit, ce qui n’était guère un destin plus doux.
Bientôt, il repéra son premier suspect qui quittait le grand salon où il se trouvait pour profiter de la fraîcheur du jardin. Marchant prestement vers le balcon, Bressac le vit réapparaître en contre-bas sous le grand porche, échangeant des plaisanteries avec un autre homme qu’il ne reconnaissait pas. Jugeant opportun d’éviter de rester ostensiblement dans la lumière des torches qui éclairaient le centre du balcon, il fit quelques pas de côté, son masque d’or se tamisant peu à peu dans la demi-pénombre.
Tandis qu’il observait silencieusement son suspect de ce côté du balcon, une fine silhouette jaillit d’on ne sait où et atterrit gracieusement devant lui, lissant sa robe qui était remontée le long de ses cuisses et découvrait des jambes interminables ainsi que des pieds étonnamment nus. Ses longs cheveux, qui cascadaient par-dessus ses épaules en tutoyant une vertigineuse chute de reins, étaient d’un roux si éclatant qu’ils en avaient la couleur du feu. Ses yeux ensorcelants, qui luisaient d’un éclat félin à travers son masque de dentelle, du même bleu profond que sa robe aussi luxueuse et, il lui fallait en convenir, affriolante, suscitaient en lui les divagations les plus furieuses. La mystérieuse inconnue, qui le gratifia par jeu d’une gracieuse et taquine révérence, lui parut à la lumière des torches simplement féérique et irréelle.
- Vous m’obligez, Madame, répondit-il d’un ton exagérément dramatique, car votre secours est inespéré. Une minute de plus en compagnie de ces bonnes gens et je succombais à l’ennui le plus mortel.
Et tandis qu’il se perdait dans ses yeux, Bressac se souvenait déjà à peine ce qu’il était venu faire ici. Il se ressaisit mentalement. L’individu qu’il suivait s’était déjà fondu la foule en contre-bas et venait d’entrer dans le bâtiment principal. Il lui fallait donc trouver rapidement un moyen de le retrouver à l’intérieur. Et cette Vénus importune n’était finalement peut-être pas si mal tombée, car elle lui offrait un prétexte inespéré pour se déplacer de salle en salon sans attirer l’attention. Il lui suffisait en effet de danser, bien que la beauté ravissante de son interlocutrice n’en fît pas la partenaire la plus discrète. Mais contre mauvaise fortune bon cœur, il se prit au jeu et, se tenant exagérément droit, offrit une main ouverte à la belle inconnue.
- Ma sauveuse daignera-t-elle m’accorder cette danse afin de lui témoigner de ma reconnaissance ? demanda-t-il en désignant le grand salon qui se trouvait à côté d'eux, et dont la musique entraînante traversait joyeusement les porte-fenêtres grande ouvertes.
Mais pour dire la vérité, le contexte de ce travail lui était bien plus agréable que le précédent. De la porte de sa voiture, dont les roues de bois tremblaient sur la rue pavée en faisant vibrer tout l’habitacle, il apercevait déjà l’hôtel particulier des Dellacorne, immense bâtisse en pierre de taille blanche qui dressait ses toits, ses poivrières et ses tours d’apparat bien au-dessus de ses voisins.
A mesure que la voiture s’approchait, fortement bercé par le clapotement du sabot de ses chevaux qui résonnaient sur les pavés, Bressac découvrait ses hauts toits et ses piliers, ses fenêtres hautes comme un homme et ses innombrables cheminées, qui faisaient sur le spectateur une prodigieuse impression.
Son cocher, sbire de son employeur à la grise mine cachée sous un masque d’argent, retint les brides tandis que la voiture s’enfonçait dans l’allée principale. Des hommes et des femmes, qu’on ne voyait entièrement qu’à la faveur des torches qui bordaient l’allée, marchaient vers l’entrée, tandis que quelques-uns s’éclipsaient discrètement dans les jardins.
Bressac posa enfin pied à terre, heureux d’échapper aux interminables cahots de sa voiture, et inspira une franche bouffée d’air. Son objectif était clair, se répétait-il intérieurement, il lui suffisait de rester calme et ne pas se laisser divertir. Son malheur était toutefois qu’il était précisément homme à se laisser distraire facilement par certaines situations auxquelles le contexte de cette soirée l’exposait par nature. Il décida donc de passer en revue mentalement, pour la dixième fois, ses objectifs.
Une personnalité d’Etat, soupçonnait-on en haut lieu au sein de la pègre, avait cessé d’accomplir de bonne foi les services pour lesquels elle touchait de généreux pots-de-vin et opérait désormais comme informateur pour le compte du gouvernement. Cette personne, soupçonnait-on toujours, s’apprêtait à transmettre des informations préoccupantes, par voie manuscrite, lors du bal qui était donné ce soir dans l’hôtel particulier des Dellacorne. Parmi les invités, deux personnalités en particulier étaient suspectées d’être cet interlocuteur privilégié, et l’on confia généreusement à Bressac le soin de le confondre, à défaut de quoi il se retrouverait au petit matin soulagé du fardeau d’avoir à penser.
Pour accomplir cette tâche, les mêmes moyens que la fois précédente lui furent confiés. Des personnes averties l’aidèrent à construire le personnage qu’il devait incarner le temps de cette soirée et l’on ne regarda pas à la dépense pour obtenir les résultats escomptés. Ce à quoi l’on attacha le plus d’attention, étant donné la nature du milieu que Bressac devait infiltrer, était ce qui lui permettait d’éviter de dévoiler sa véritable identité. Un barbier adroit dans son art et un couturier peu scrupuleux mais fort talentueux furent entre autres grassement payés afin de réaliser le costume qui siérait le mieux à l’accomplissement de son objectif.
Le costume de Bressac devait accomplir le double objectif d’être à la fois suffisamment élégant pour se fondre parmi les invités, tout en restant pratique et fonctionnel.
Par exemple, contrairement à la plupart des chaussures masculines en vogue au sein de la noblesse depuis quelques années et dont les talons étaient démesurément hauts, ses chaussures avaient un talon si bas qu’elles semblaient presque plates, dans le but de lui permettre de courir pour rattraper un suspect ou échapper à des gardes. Là où les costumes des invités étaient richement décorés et brillaient de mille feux sous les lustres des grands salons, le sien était sobre, composé d’une simple chemise blanche recouverte d’une jaquette taillée dans un tissus sombre. L’excentricité de son costume se bornait aux simples dorures que le couturier avait réalisé sur le rebord des revers de sa jaquette. Ce choix avait été fait pour lui permettre de se fondre plus facilement dans la nuit ou l’ombre d’un recoin pour s’éclipser furtivement ou écouter quelque conversation.
A son côté pendait une épée dont le pommeau richement décoré débordait d’un fourreau de cuir. Bien que ressemblant à s’y méprendre à une arme de parade, il s’agissait en réalité d’un accessoire de théâtre qui fut dérobé dans la loge d’un acteur après la représentation d’une tragédie particulièrement en vogue. Sa lame, émoussée, était notamment conçue pour se briser au moindre choc afin d’éviter que les acteurs ne se blessent.
Son masque, quant à lui, avait également été réduit à sa première nécessité afin qu’il ne gêne pas sa capacité d’observation ou d’écoute. Ce dernier, léger et doré à la feuille d’or, lui permettait en effet de dissimuler son identité tant qu’on ne le regardait pas de trop près et avec trop d’insistance, ou s’il ne faisait pas face à un grand lustre ou à la flamme d’une torche. Ces précautions avaient été jugées suffisantes dans la mesure où Bressac n’était censé interagir avec les membres de la soirée que de façon très sporadique. On suggéra également que dans l’éventualité d’une traque ou d’une poursuite dans la foule, les gardes commenceraient par arrêter ceux dont les masques recouvraient totalement le visage, et non-pas celui, fort innocent, d’un homme qui se cache à peine.
Fort de ces pensées, Bressac s’avança donc vers l’entrée principale où des laquais s’inclinaient et débarrassaient les hôtes de leurs cannes et manteaux.
A l’intérieur du grand salon et des salles attenantes, l’or et le marbre entouraient les tenues les plus luxueuses et les bijoux les plus décadents qu’il lui eût été donné de voir jusqu’à présent. Les colliers d’or et de pierres, les boucles en diamant et les bagues de saphir brillaient à ses yeux comme une insoutenable tentation.
Le cours de ses pensées fut bientôt interrompu par un convive qui le bouscula en pourchassant une dame masquée qui s’échappait en riant. « Ben voyons », songea-t-il en observant leur chute un peu plus loin dans une grande chambre, la robe de la courtisane révélant ses bas de soie jusqu’aux cuisses et leur jeu s’achevant en honnête batifolage. Il n’avait désormais plus aucun doute ; il était en enfer. Solitaire Tantale que le devoir enchaîne au milieu des promesses susurrées par le luxe et la décadence, le voilà désormais condamné à ne les effleurer que du bout des doigts et à ne les goûter qu’avec les yeux, sous peine d’avoir le cou raccourci par une hache. Pour éviter de perdre la tête, il lui fallait donc perdre l’esprit, ce qui n’était guère un destin plus doux.
Bientôt, il repéra son premier suspect qui quittait le grand salon où il se trouvait pour profiter de la fraîcheur du jardin. Marchant prestement vers le balcon, Bressac le vit réapparaître en contre-bas sous le grand porche, échangeant des plaisanteries avec un autre homme qu’il ne reconnaissait pas. Jugeant opportun d’éviter de rester ostensiblement dans la lumière des torches qui éclairaient le centre du balcon, il fit quelques pas de côté, son masque d’or se tamisant peu à peu dans la demi-pénombre.
Tandis qu’il observait silencieusement son suspect de ce côté du balcon, une fine silhouette jaillit d’on ne sait où et atterrit gracieusement devant lui, lissant sa robe qui était remontée le long de ses cuisses et découvrait des jambes interminables ainsi que des pieds étonnamment nus. Ses longs cheveux, qui cascadaient par-dessus ses épaules en tutoyant une vertigineuse chute de reins, étaient d’un roux si éclatant qu’ils en avaient la couleur du feu. Ses yeux ensorcelants, qui luisaient d’un éclat félin à travers son masque de dentelle, du même bleu profond que sa robe aussi luxueuse et, il lui fallait en convenir, affriolante, suscitaient en lui les divagations les plus furieuses. La mystérieuse inconnue, qui le gratifia par jeu d’une gracieuse et taquine révérence, lui parut à la lumière des torches simplement féérique et irréelle.
- Vous m’obligez, Madame, répondit-il d’un ton exagérément dramatique, car votre secours est inespéré. Une minute de plus en compagnie de ces bonnes gens et je succombais à l’ennui le plus mortel.
Et tandis qu’il se perdait dans ses yeux, Bressac se souvenait déjà à peine ce qu’il était venu faire ici. Il se ressaisit mentalement. L’individu qu’il suivait s’était déjà fondu la foule en contre-bas et venait d’entrer dans le bâtiment principal. Il lui fallait donc trouver rapidement un moyen de le retrouver à l’intérieur. Et cette Vénus importune n’était finalement peut-être pas si mal tombée, car elle lui offrait un prétexte inespéré pour se déplacer de salle en salon sans attirer l’attention. Il lui suffisait en effet de danser, bien que la beauté ravissante de son interlocutrice n’en fît pas la partenaire la plus discrète. Mais contre mauvaise fortune bon cœur, il se prit au jeu et, se tenant exagérément droit, offrit une main ouverte à la belle inconnue.
- Ma sauveuse daignera-t-elle m’accorder cette danse afin de lui témoigner de ma reconnaissance ? demanda-t-il en désignant le grand salon qui se trouvait à côté d'eux, et dont la musique entraînante traversait joyeusement les porte-fenêtres grande ouvertes.
- Costume de Jean:

Noble de La République
Rim Casris

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Race: Humaine (demie Drakyn)
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Alignement: Neutre Bon
Rang: B
Les hauts arcs vitrés du premier étage découpaient dans la nuit un insondable clair-obscur, une frontière de lumière éblouissante dont les reflets venaient éclabousser son acuité visuelle d’ordinaire aiguisée. Elle peinait à le percevoir dans l’ombre latente du lierre et le bruissement des fleurs suspendues. Elle percevait de lui la fraicheur ténue de la pierre contre laquelle il s’était appuyé, une saveur minérale mêlé du parfum capiteux des bruyères enlacées aux balustrades : il sentait le cuir et l’étrangeté fascinante d’une présence exotique soudainement extraite des ténèbres dans lesquelles elle s’était tapie. Hormis que loin de s’épouvanter de son approche cavalière, voilà que cette apparition lui faisait la faveur de jouer le jeu sans l’once d’une hésitation. Elle eut un rire de gorge, appréciant la théâtralité de sa réplique avec l’espièglerie d’une connaisseuse.
« Si je daigne ? s’écria-t-elle faussement outrée, portant une main à son cœur telle la vive incarnation de l’honneur bafoué. Mais Monsieur je ne prendrais jamais le risque de vous abandonner à mi-parcours de votre sauvetage. Qu’en diraient les voisins ? »
Le cuivre de son regard longea avec lenteur la silhouette de son interlocuteur tandis qu’elle penchait subtilement la tête de côté, ses prunelles embusquées derrière le rideau de ses longs cils sombres à la manière d’un chat devant une friandise inattendue.
« Allons, votre costume n’est pas encore assez froissé pour que je vous laisse à vos affaires, ronronna-t-elle d’une voix suave, remarque chafouine à l’ambiguïté tout à fait assumée. »
Elle s’était rapprochée d’un pas glissé ce faisant, définitivement embrasée par la lumière incandescente des éclairages. Elle posa avec délicatesse sa main sur la sienne, réchauffant le satin de ses gants contre leurs peaux réunies. Alors, parée d’étincelles dans la luminescence des lanternes, Charon à la couronne de chevelure flamme dont le devoir était de guider les âmes vers la civilisation, elle attira à elle cet homme enchevêtré de silences et d’ombres. Elle pivota cependant à la lisière de la salle, ni tout à fait immergée dans cet océan d’harmonies mélodieuses et de jacasseries festives, ni tout à fait arrachée à la pâle rumeur de la nuit. C’est qu’elle le détaillait à présent, attentive conscience féminine qu’un rien venait d’aiguillonner.
Il avait… Quelque chose de familier, soudain. Une dissonance, la sensation que ses doigts fins connaissaient ce visage, la tessiture de sa voix grave entrecoupée de désir rauque. Elle pouvait presque dessiner le tracé de sa mâchoire sous la pulpe de son pouce… Et puis ce fut tout. La sensation se dissipa, étreignant sa poitrine d’une légère pointe de frustration déplaisante, une émotion qui avait dessiné un pli soucieux à l’aune de ses sourcils. Elle fouilla son masque impénétrable du regard, détailla la facture luxueuse mais non moins sobre de sa tenue, ne percevant que l’élégance des fils d’or qui soulignaient son raffinement. Elle entrouvrit les lèvres sur une consonance absente, chercha à mettre un verbe sur ce qu’elle effleurait de l’esprit et ne parvenait pourtant pas à saisir entre ses griffes alertes.
« Ah Rim vous êtes là ! Je cherchais à saisir un court moment de votre temps dès que vous n’auriez plus l’autre empaffé dans les pattes. »
Elle happa une goulée d’air, extirpée du piège de ses pensées aqueuses et projetée à nouveau dans la réalité déroutante de la soirée des Dellacorne. Elle se tourna vers l’intervention intempestive, retrouvant la mémoire de cette voix avant que ses yeux ne se posent sur le nouvel arrivant.
« Nilefled ! l’accueillit-elle avec joie. Quel plaisir de vous revoir ! Excusez-moi un très court instant, ajouta-t-elle cette fois à l’intention de son mystérieux partenaire de danse, agrémentant son propos d’une grimace que lui seul pouvait voir. Je dois juste récupérer quelque chose et ce Monsieur est une véritable anguille. »
La scène, au demeurant plutôt ordinaire, était pourtant percluse de pièges pour nos protagonistes. Rim ignorait en effet que Monsieur Nilefled Jenwald n’était autre que la cible auparavant surveillée par son cher inconnu. Revenu du calme des jardins, celui-ci avait ainsi remonté les escaliers pour interpeller la Rouge. Dans la mesure où son partenaire n’avait pas encore refait son entrée dans la salle de bal, masqué par les rideaux de soie de la porte-fenêtre, Nilefled s’était persuadé qu’il découvrait l’ambassadrice esseulée et hors de portée de toute oreille indiscrète.
« Je ne vous dérange pas longtemps. Voici ce que vous m’aviez demandé. »
Ses intonations s’étaient muées en un murmure complice, diminuées de quelques octaves afin de maintenir la relative intimité de leur échange au cœur d’une pièce minée de nobles affamés.
« Je vous remercie, j’en ferai bon usage. »
Elle s’inclina d’une courte révérence et Nilefled tourna les talons pour reprendre ses activités personnelles. La silhouette de Rim fut soudain visible de profil tandis qu’elle revenait amarrer son attention sur sa trouvaille masculine du soir, un fin papier plié nettement devinable dans sa senestre.
« Un service qu’il me devait, résuma-t-elle, profondément énigmatique, un sourire sibyllin longeant la commissure de ses lèvres. »
Alors, parfaitement consciente qu’il l’observait et ne perdait pas une miette de sa gestuelle -ignorant cependant que ce papier avait une tout autre valeur pour lui que pour elle-, elle glissa la feuille litigieuse dans son bustier, la dentelle qui zébrait sa peau laissant entrevoir juste assez du velours de sa poitrine à l’aune de ses courbes. Elle n’avait ce faisant pas détaché ses prunelles de son regard, démone provocatrice et lascive qui aimait par trop tourmenter ses partenaires de jeu.
« Veuillez m’excuser pour ce contre-temps. Une danse nous disions ? »
Les Dellacorne avaient renommé leur salle de bal avec justesse et considération : La Volière bruissait des pépiements de ses invités et les jupons de ces dames virevoltaient en une multitude de couleurs diaprées au rythme de leurs partenaires et des violonistes passionnés. Cette fois, Rim posa sa dextre sur le bras de son Inconnu, longeant celui-ci d’une caresse légère jusqu’à sa main, désormais pleinement face à lui sur les immenses dalles de marbre de la pièce. Même ici l’éclairage au mana renvoyait des lueurs tamisées dont quelques échos mourants se réverbéraient sur le masque en feuille d’or de son cavalier.
« J’espère que vous n’êtes pas homme à vous offusquer d’une partenaire sans soulier. »
Était-il bon danseur ? D’où venait-il ? L’avait-elle déjà croisé à une précédente soirée mondaine ? Ses pieds nus effleurant le sol froid, absolument indifférente à l’opinion générale et aux potentiels racontars, Rim sentait sourdre les feux de sa curiosité maladive.
« Je ne crois pas avoir eu l’heur d’entendre votre prénom. J’espérais pourtant que mon immense sacrifice pour vous sauver me permettrait de monter les échelons de la GAR, soupira-t-elle, taquine. Pourquoi pas un poste de Général, si vous témoignez en ma faveur auprès de notre Présidente de la République ? »


- #91283B -

Citoyen de La République
Jean Bressac

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Info personnage
Race: Humain
Vocation: Guerrier assassin
Alignement: Neutre | Neutre
Rang: D
Bressac rit de bon cœur au théâtralisme de sa nouvelle partenaire dont le sens de l’humour n’était pas pour lui déplaire. Cette dernière détailla bientôt son costume, le visage légèrement incliné, observant qu’elle ne pouvait le laisser à ses affaires avant qu’il ne soit suffisamment froissé. De l’humour donc, et de l’audace.
- Votre sollicitude vous honore, Madame, observa-t-il sur le ton de la confidence, car j’en aurais été fort chiffonné. Mais je vois que je suis entre de bonnes mains et me voilà rassuré.
Proche du seuil de La Volière, la lumière des lanternes révéla pleinement la beauté éblouissante de ses boucles d’oreille montées de pierres à la pureté du saphir, dont les surfaces parfaitement taillées miroitaient comme un millier de scintillements envoûtants. Ô cruelle et insoutenable tentation aux yeux d’un kleptomane. Elle prit sa main dans la sienne délicatement et, tel Charon le guidant vers sa damnation, l’attira à elle pour le détailler. A travers son masque, ses yeux de braise inspirèrent à Bressac un sentiment de déjà-vu qui s’évanouit presque aussitôt et le laissa songeur. Quel nom avait-elle donné, déjà ? « Casris » ? « Rim Casris ? ». Pourquoi ne parvenait-il pas à mettre le doigt dessus ?
Rompant le fil de ses pensées, quelqu’un interpella sa partenaire non-loin de là, sur le seuil du grand salon. Nilefled Jenwald, son suspect numéro un, se tenait à quelques pas de lui, juste à côté des rideaux de la porte-fenêtre. Ne laissant rien paraître de sa stupéfaction, Bressac s’écarta d’un pas afin de laisser le champ libre à la jeune femme qui s’excusa, non sans malice, du dérangement. Tout en la suivant du regard, il cherchait à faire sens de cette interruption. Pourquoi son suspect était-il venu à lui, ou plutôt à sa partenaire ? A quelle demande faisait-il référence ? Il avait peine à accorder crédit au doute qui s’immisçait dans son esprit et qui revêtait pourtant le caractère d’une évidence difficile à méconnaître : sa mystérieuse sauveuse était de connivence dans cette affaire de pots-de-vin et d’agents doubles.
Apercevant en contrebas son complice et cocher – mais également geôlier le surveillant pour le compte de leur employeur mutuel – qui avait manifestement fait garer la voiture, Bressac lui fit un signe de tête. Ce dernier l’aperçut et s’engouffra aussitôt dans les escaliers là où avait disparu Nilefled quelques minutes auparavant. Il reporta donc son attention sur sa partenaire, juste à temps pour la surprendre à recevoir un pli des mains de l’agent-double, confirmant ses craintes. C’était donc elle, ce fameux contact qu’il lui fallait débusquer. Mais qui était-elle ? Pour être tout à fait honnête, il s’était attendu à espionner un homme haut placé, et il était surpris de découvrir que son homme fût une femme, et pas n’importe quelle femme. Cette soirée ne cessait décidément de prendre des tournures imprévisibles et de le mener de surprise en surprise.
De retour sur le balcon, la belle rousse le gratifia d’une justification qu’il oublia presque aussitôt lorsqu’elle glissa sensuellement l’enveloppe dans son bustier sans le quitter des yeux. Bressac frémit, troublé tant par le fond que la forme du geste. Il observa, mentalement horrifié, le pli tant convoité disparaître sous la dentelle, toujours visible près de la naissance des voluptueux objets de désir qu’il devinait sans peine sous sa robe, ne sachant plus lequel de ces talismans son cœur désirait le plus.
- Mon pardon vous est tout acquis, Madame…, répondit-il en soutenant ses yeux de braise, les siens brillant d’un émoi qu’il ne cherchait plus à dissimuler.
Décidément, si cette femme avait un don, c’était bien celui de lui faire perdre le fil de ses pensées. Il lui fallait trouver un moyen de récupérer cette lettre, et le temps jouait contre lui. Tant s’était déroulé sous ses yeux en si peu de temps que les pensées et les questions se bousculaient dans son esprit. La priorité était donc d’élaborer un plan car, pour l’instant, il n’avait rien. Il pourrait certes essayer de dérober la lettre frontalement, mais c’était une approche de peu de panache et fortement risquée de surcroît, car il réalisait qu’il n’avait pas à faire à la première venue. La frivolité apparente et le goût du jeu de sa partenaire recélait, sous le satin et les corsets, une femme d’intrigue et de pouvoir. Et une telle femme ne pourrait pas être dupée aussi aisément, il en avait bien conscience.
Pour commencer, Bressac avait besoin de gagner du temps pour réfléchir. L’invitation à danser revêtait désormais une dimension nouvelle, puisqu’elle lui permettrait de garder sa cible directement sous les yeux, d’en apprendre plus sur elle, et de créer une opportunité.
Jean avait beaucoup dansé depuis son enfance, pour le plaisir ou pour l’argent, et il avait toujours éprouvé de l’aisance à se mouvoir et à maîtriser son corps. Il avait d’ailleurs, bien qu’il ne l’avouerait pas publiquement, appris à danser bien avant d’apprendre à lire. Malheureusement, il n’avait jamais pratiqué les danses des gens du beau monde autrement que parodiquement. Dans les milieux populaires dont il était issu, les gens dansaient sur les rythmes endiablés d’un violon ou d’une vièle de façon beaucoup plus instinctive. Les corps bougeaient de façon joviale, rustre et impulsive. Les danses dans ce salon au contraire étaient codifiées, élégantes, mettant à l’honneur la maîtrise du geste, la fluidité du mouvement, et les échanges d’équilibre entre soi et sa partenaire. Autrement dit, il s’agissait d’un exercice très différent de ce qu’il avait connu jusqu’à présent. Il avait certes bénéficié du mentorat d’un chorégraphe retraité dans le cadre des préparations à cette soirée, qui lui avait appris à danser à la manière d’un homme du monde, mais ces maigres leçons de danse avaient été si brèves qu’il doutait qu’elles suffissent à faire illusion. En définitive, tout reposerait sur sa capacité d’adaptation et d’improvisation.
Dans la salle de bal, la musique s’était arrêtée et les musiciens feuilletaient leur partition à la recherche du morceau suivant. Quelques rires et murmures trahirent le silence tandis des couples quittaient la piste de danse et d’autres la rejoignaient. Les deux protagonistes, qui s’étaient mêlés à ce petit monde, se faisaient face et se regardaient dans les yeux. Posant une main dans la sienne, l’autre sur son bras, la jeune femme lui rappela, avec l’espièglerie qu’il commençait désormais à lui connaître, qu’il ne s’était pas présenté et qu’elle espérait obtenir un poste de général en retour de son sauvetage inespéré. Adoptant la position qu’il avait apprise, Bressac referma ses doigts sur ceux de sa partenaire, et laissa sa main droite descendre le long de son échine jusqu’au milieu de son dos. Toujours pince-sans-rire, il adopta l’air contrit et révérencieux d’un homme qui lui devait tout, y compris la vie.
- Mais c’est bien là la moindre des choses, Madame, et j’entends honorer ma dette auprès de vous. Je saurais aisément vous faire valoir pour ce titre car j’ai grand crédit auprès de Madame la Présidente. Apprenez que cette dame m’a en si grande horreur qu’il me suffirait de lui demander de vous refuser cette fonction pour qu’elle vous l’attribue immédiatement. Avec les honneurs, je le précise. Et si j’insistais un peu, croyez bien qu’elle vous ferait décorer dans la foulée.
Quelques notes s’élevèrent du petit orchestre tandis que les couples qui les entouraient échangeaient sourires et plaisanteries, se préparant à la nouvelle danse. Jean, quant à lui, ne voyait rien d’autre que les yeux de braise de sa partenaire qui luisaient à travers son masque de nuit, lui-même scintillant sous le feu des éclairages de la salle de bal.
- Henri Poinfaché, Madame, mathématicien et physicien. Ne prêtez pas attention à mon costume, je ne suis guère plus officier que vous. J’ai occupé une chaire à l’université de Courage et je coordonne aujourd’hui les départements scientifiques de notre infaillible système d’éducation. Vous comprenez sans doute mieux ma position délicate vis-à-vis de Madame la Présidente…
La musique se fit plus entraînante, quoiqu’encore relativement douce. « Trois, quatre… » comptait-il mentalement en guidant sa partenaire, découvrant qu’il prenait ses marques plus aisément qu’il ne l’avait cru et qu’elle suivait ses mouvements avec grâce et légèreté.
- Croiriez-vous qu’elle m’ait demandé, dans le cadre des coupes budgétaires de l’enseignement supérieur, de réduire dans le département de géométrie le nombre de degrés des triangles de cent-quatre-vingts à quatre-vingt-dix ? Il m’a fallu consacrer le reste de la journée à démontrer que nous considérons déjà cette figure comme acquise dans notre cursus, puisque cela s’appelle un trait. Et ne croyez pas que je fais là de l’esprit car je vous assure que je vous rapporte notre conversation verbatim. Mais ne me laissez pas vous ennuyer avec mon sinistre travail et permettez-moi d’être direct : j’ai parié intérieurement en vous voyant que vous étiez ou bien sénatrice, ou bien justicière masquée combattant l’ennui dans les bals des Dellacorne. Suis-je très éloigné de la réalité ?
La musique s’était faite plus entraînante sous la fougue des musiciens, tandis que Rim et Henri s’étaient retrouvés à quelques pas de danse du centre de La Volière. Les deux protagonistes se chassaient, se fuyaient, et se tournaient autour à pas rapides, alternant mouvements agiles et glissants avec des gestes plus lents, suaves, et tentateurs. La belle Rim Casris parvenait à le suivre aisément, pour ne pas dire divinement, malgré la perte de ses escarpins. Une main sur la cambrure de ses reins, Bressac avança à pas rythmés, puis leurs corps se séparèrent tandis qu’ils s’éloignaient promptement l’un de l’autre, retenus seulement du bout des doigts, avant de se rejoindre d’un même élan. Sous la longue plainte d’une contrebasse, dont la corde vibrait dans le sol jusque sous leurs pieds, Jean se trouva bientôt penché sur sa partenaire qui s’était cambrée en arrière, retenue par une main ferme dans son dos, son visage frôlant son cou délicat, humant son parfum énivrant. Confirmant son intuition, cette fragrance évoqua en lui une curieuse familiarité. Quelque chose lui échappait, mais il n’avait plus aucun doute : il lui fallait découvrir qui était cette femme et ce que tout cela signifiait.
- Pardonneriez-vous mon audace, Madame, si je vous défiais ce soir dans un jeu d’une grande frivolité ? murmura-t-il au creux de son oreille, profitant du dernier râle d’agonie de la contrebasse. En voici l’enjeu : je propose que le perdant ôte son masque, ou que nous l’ôtions tous deux si nous ne parvenons pas à nous départager avant minuit.
La danse les sépara de nouveau sous l’impulsion des violons, dont les cordes furent de nouveau battues par les archets des musiciens exaltés. Ode au mystère et à l’intrigue, sensuel prélude à la confrontation qui était sur le point de se dérouler aux yeux de tous, cette salle de bal serait-elle le théâtre d’un esclandre qu’ils laisseraient éclater au grand jour ? Qui avait le plus à perdre des deux ? La prestigieuse Rim Casris, invincible succube auréolée de son pouvoir éclatant et constamment scrutée par ses pairs, ou l’anonyme Damoclès aux mille masques, évoluant dans la haute société avec l’épée de la pègre constamment pendue au-dessus de la tête ?
Au gré de la musique qui les portait de pas en pas, cette soirée promettait de sceller le destin de ces deux protagonistes, lancés sur la piste à travers l’œil scrutateur et grandiose du beau monde qui les entourait, dans la gloire ou dans l’opprobre.
- Votre sollicitude vous honore, Madame, observa-t-il sur le ton de la confidence, car j’en aurais été fort chiffonné. Mais je vois que je suis entre de bonnes mains et me voilà rassuré.
Proche du seuil de La Volière, la lumière des lanternes révéla pleinement la beauté éblouissante de ses boucles d’oreille montées de pierres à la pureté du saphir, dont les surfaces parfaitement taillées miroitaient comme un millier de scintillements envoûtants. Ô cruelle et insoutenable tentation aux yeux d’un kleptomane. Elle prit sa main dans la sienne délicatement et, tel Charon le guidant vers sa damnation, l’attira à elle pour le détailler. A travers son masque, ses yeux de braise inspirèrent à Bressac un sentiment de déjà-vu qui s’évanouit presque aussitôt et le laissa songeur. Quel nom avait-elle donné, déjà ? « Casris » ? « Rim Casris ? ». Pourquoi ne parvenait-il pas à mettre le doigt dessus ?
Rompant le fil de ses pensées, quelqu’un interpella sa partenaire non-loin de là, sur le seuil du grand salon. Nilefled Jenwald, son suspect numéro un, se tenait à quelques pas de lui, juste à côté des rideaux de la porte-fenêtre. Ne laissant rien paraître de sa stupéfaction, Bressac s’écarta d’un pas afin de laisser le champ libre à la jeune femme qui s’excusa, non sans malice, du dérangement. Tout en la suivant du regard, il cherchait à faire sens de cette interruption. Pourquoi son suspect était-il venu à lui, ou plutôt à sa partenaire ? A quelle demande faisait-il référence ? Il avait peine à accorder crédit au doute qui s’immisçait dans son esprit et qui revêtait pourtant le caractère d’une évidence difficile à méconnaître : sa mystérieuse sauveuse était de connivence dans cette affaire de pots-de-vin et d’agents doubles.
Apercevant en contrebas son complice et cocher – mais également geôlier le surveillant pour le compte de leur employeur mutuel – qui avait manifestement fait garer la voiture, Bressac lui fit un signe de tête. Ce dernier l’aperçut et s’engouffra aussitôt dans les escaliers là où avait disparu Nilefled quelques minutes auparavant. Il reporta donc son attention sur sa partenaire, juste à temps pour la surprendre à recevoir un pli des mains de l’agent-double, confirmant ses craintes. C’était donc elle, ce fameux contact qu’il lui fallait débusquer. Mais qui était-elle ? Pour être tout à fait honnête, il s’était attendu à espionner un homme haut placé, et il était surpris de découvrir que son homme fût une femme, et pas n’importe quelle femme. Cette soirée ne cessait décidément de prendre des tournures imprévisibles et de le mener de surprise en surprise.
De retour sur le balcon, la belle rousse le gratifia d’une justification qu’il oublia presque aussitôt lorsqu’elle glissa sensuellement l’enveloppe dans son bustier sans le quitter des yeux. Bressac frémit, troublé tant par le fond que la forme du geste. Il observa, mentalement horrifié, le pli tant convoité disparaître sous la dentelle, toujours visible près de la naissance des voluptueux objets de désir qu’il devinait sans peine sous sa robe, ne sachant plus lequel de ces talismans son cœur désirait le plus.
- Mon pardon vous est tout acquis, Madame…, répondit-il en soutenant ses yeux de braise, les siens brillant d’un émoi qu’il ne cherchait plus à dissimuler.
Décidément, si cette femme avait un don, c’était bien celui de lui faire perdre le fil de ses pensées. Il lui fallait trouver un moyen de récupérer cette lettre, et le temps jouait contre lui. Tant s’était déroulé sous ses yeux en si peu de temps que les pensées et les questions se bousculaient dans son esprit. La priorité était donc d’élaborer un plan car, pour l’instant, il n’avait rien. Il pourrait certes essayer de dérober la lettre frontalement, mais c’était une approche de peu de panache et fortement risquée de surcroît, car il réalisait qu’il n’avait pas à faire à la première venue. La frivolité apparente et le goût du jeu de sa partenaire recélait, sous le satin et les corsets, une femme d’intrigue et de pouvoir. Et une telle femme ne pourrait pas être dupée aussi aisément, il en avait bien conscience.
Pour commencer, Bressac avait besoin de gagner du temps pour réfléchir. L’invitation à danser revêtait désormais une dimension nouvelle, puisqu’elle lui permettrait de garder sa cible directement sous les yeux, d’en apprendre plus sur elle, et de créer une opportunité.
Jean avait beaucoup dansé depuis son enfance, pour le plaisir ou pour l’argent, et il avait toujours éprouvé de l’aisance à se mouvoir et à maîtriser son corps. Il avait d’ailleurs, bien qu’il ne l’avouerait pas publiquement, appris à danser bien avant d’apprendre à lire. Malheureusement, il n’avait jamais pratiqué les danses des gens du beau monde autrement que parodiquement. Dans les milieux populaires dont il était issu, les gens dansaient sur les rythmes endiablés d’un violon ou d’une vièle de façon beaucoup plus instinctive. Les corps bougeaient de façon joviale, rustre et impulsive. Les danses dans ce salon au contraire étaient codifiées, élégantes, mettant à l’honneur la maîtrise du geste, la fluidité du mouvement, et les échanges d’équilibre entre soi et sa partenaire. Autrement dit, il s’agissait d’un exercice très différent de ce qu’il avait connu jusqu’à présent. Il avait certes bénéficié du mentorat d’un chorégraphe retraité dans le cadre des préparations à cette soirée, qui lui avait appris à danser à la manière d’un homme du monde, mais ces maigres leçons de danse avaient été si brèves qu’il doutait qu’elles suffissent à faire illusion. En définitive, tout reposerait sur sa capacité d’adaptation et d’improvisation.
Dans la salle de bal, la musique s’était arrêtée et les musiciens feuilletaient leur partition à la recherche du morceau suivant. Quelques rires et murmures trahirent le silence tandis des couples quittaient la piste de danse et d’autres la rejoignaient. Les deux protagonistes, qui s’étaient mêlés à ce petit monde, se faisaient face et se regardaient dans les yeux. Posant une main dans la sienne, l’autre sur son bras, la jeune femme lui rappela, avec l’espièglerie qu’il commençait désormais à lui connaître, qu’il ne s’était pas présenté et qu’elle espérait obtenir un poste de général en retour de son sauvetage inespéré. Adoptant la position qu’il avait apprise, Bressac referma ses doigts sur ceux de sa partenaire, et laissa sa main droite descendre le long de son échine jusqu’au milieu de son dos. Toujours pince-sans-rire, il adopta l’air contrit et révérencieux d’un homme qui lui devait tout, y compris la vie.
- Mais c’est bien là la moindre des choses, Madame, et j’entends honorer ma dette auprès de vous. Je saurais aisément vous faire valoir pour ce titre car j’ai grand crédit auprès de Madame la Présidente. Apprenez que cette dame m’a en si grande horreur qu’il me suffirait de lui demander de vous refuser cette fonction pour qu’elle vous l’attribue immédiatement. Avec les honneurs, je le précise. Et si j’insistais un peu, croyez bien qu’elle vous ferait décorer dans la foulée.
Quelques notes s’élevèrent du petit orchestre tandis que les couples qui les entouraient échangeaient sourires et plaisanteries, se préparant à la nouvelle danse. Jean, quant à lui, ne voyait rien d’autre que les yeux de braise de sa partenaire qui luisaient à travers son masque de nuit, lui-même scintillant sous le feu des éclairages de la salle de bal.
- Henri Poinfaché, Madame, mathématicien et physicien. Ne prêtez pas attention à mon costume, je ne suis guère plus officier que vous. J’ai occupé une chaire à l’université de Courage et je coordonne aujourd’hui les départements scientifiques de notre infaillible système d’éducation. Vous comprenez sans doute mieux ma position délicate vis-à-vis de Madame la Présidente…
La musique se fit plus entraînante, quoiqu’encore relativement douce. « Trois, quatre… » comptait-il mentalement en guidant sa partenaire, découvrant qu’il prenait ses marques plus aisément qu’il ne l’avait cru et qu’elle suivait ses mouvements avec grâce et légèreté.
- Croiriez-vous qu’elle m’ait demandé, dans le cadre des coupes budgétaires de l’enseignement supérieur, de réduire dans le département de géométrie le nombre de degrés des triangles de cent-quatre-vingts à quatre-vingt-dix ? Il m’a fallu consacrer le reste de la journée à démontrer que nous considérons déjà cette figure comme acquise dans notre cursus, puisque cela s’appelle un trait. Et ne croyez pas que je fais là de l’esprit car je vous assure que je vous rapporte notre conversation verbatim. Mais ne me laissez pas vous ennuyer avec mon sinistre travail et permettez-moi d’être direct : j’ai parié intérieurement en vous voyant que vous étiez ou bien sénatrice, ou bien justicière masquée combattant l’ennui dans les bals des Dellacorne. Suis-je très éloigné de la réalité ?
La musique s’était faite plus entraînante sous la fougue des musiciens, tandis que Rim et Henri s’étaient retrouvés à quelques pas de danse du centre de La Volière. Les deux protagonistes se chassaient, se fuyaient, et se tournaient autour à pas rapides, alternant mouvements agiles et glissants avec des gestes plus lents, suaves, et tentateurs. La belle Rim Casris parvenait à le suivre aisément, pour ne pas dire divinement, malgré la perte de ses escarpins. Une main sur la cambrure de ses reins, Bressac avança à pas rythmés, puis leurs corps se séparèrent tandis qu’ils s’éloignaient promptement l’un de l’autre, retenus seulement du bout des doigts, avant de se rejoindre d’un même élan. Sous la longue plainte d’une contrebasse, dont la corde vibrait dans le sol jusque sous leurs pieds, Jean se trouva bientôt penché sur sa partenaire qui s’était cambrée en arrière, retenue par une main ferme dans son dos, son visage frôlant son cou délicat, humant son parfum énivrant. Confirmant son intuition, cette fragrance évoqua en lui une curieuse familiarité. Quelque chose lui échappait, mais il n’avait plus aucun doute : il lui fallait découvrir qui était cette femme et ce que tout cela signifiait.
- Pardonneriez-vous mon audace, Madame, si je vous défiais ce soir dans un jeu d’une grande frivolité ? murmura-t-il au creux de son oreille, profitant du dernier râle d’agonie de la contrebasse. En voici l’enjeu : je propose que le perdant ôte son masque, ou que nous l’ôtions tous deux si nous ne parvenons pas à nous départager avant minuit.
La danse les sépara de nouveau sous l’impulsion des violons, dont les cordes furent de nouveau battues par les archets des musiciens exaltés. Ode au mystère et à l’intrigue, sensuel prélude à la confrontation qui était sur le point de se dérouler aux yeux de tous, cette salle de bal serait-elle le théâtre d’un esclandre qu’ils laisseraient éclater au grand jour ? Qui avait le plus à perdre des deux ? La prestigieuse Rim Casris, invincible succube auréolée de son pouvoir éclatant et constamment scrutée par ses pairs, ou l’anonyme Damoclès aux mille masques, évoluant dans la haute société avec l’épée de la pègre constamment pendue au-dessus de la tête ?
Au gré de la musique qui les portait de pas en pas, cette soirée promettait de sceller le destin de ces deux protagonistes, lancés sur la piste à travers l’œil scrutateur et grandiose du beau monde qui les entourait, dans la gloire ou dans l’opprobre.
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