Qu’est-ce qu’un héros ? Un preux chevalier sauvant la veuve et l’orphelin ? Un vaillant aventurier tuant des abominations pour sauver sa patrie ? En vérité, je vous le dis, vos prétendus champions ne sont que des charlatans. Réfléchissez ! Toutes ces histoires de cœur vaillant, de courage indiscutable, de morale pure. Balivernes ! Qui donc peut savoir qui mérite d’être passé au fil de l’épée ? Qui donc ne se trompe jamais dans leur foi envers les autres ?

Soulevez le rideau, et contemplez l’horreur qui se cache derrière ces soi-disant vertus héroïques ! Un cœur pur est par nature intransigeant ! Un courage inébranlable ne verra jamais un sacrifice comme trop élevé, même si cela cause la mort d’autrui ! Un simple vœu noble est capable de noyer un empire dans le sang !

Alors contemplez vos faux héros, ceux qui s’arrogent la bannière de l’honneur, tailladant à tout-va à la poursuite d’une justice aveugle. Contemplez leurs victimes, dont les efforts pour s’accrocher à la vie sont diabolisés ! Contemplez leur prochaine victime, cette petite grand-mère tout de rose vêtue, qui s’avance vers eux !

SOYEZ TÉMOINS !



Une bande désertique non loin de la capitale impériale. Le soleil de plomb balayant le sable brûlant de ses rayons, sans aucun vent pour alléger la chaleur étouffante. Et pourtant les grains de sable s’envolaient aux alentours de la vieille Fae, repoussés par le mana déchainé se déversant sans retenue de Mégère tel un torrent. De loin, on aurait dit qu’une petite tornade se déplaçait en direction de la capitale, qui se trouvait à quelques lieux.

Le contrecoup du rituel de Benedictus avait été terrible pour la grand-mère : Son esprit était encore en lambeaux, assailli par les énergies obscures de l’Arbre-Monde, la plongeant dans une folie fanatique et lui enlevant toute considération de la gravité de ses actes. Elle avait remonté le territoire du Reike en hurlant sa foi envers les Titans, prêchant l’arrivée du changement et attaquant à vue les citoyens reikois à l’aide de ses pouvoirs psychiques. Certains rapports faisaient même état d’actes de cannibalisme … Par chance, la vieille Fae n’avait croisé que quelques campements et autres petits villages, qui avaient néanmoins subi son courroux.

Ses vêtements étaient déchirés en de multiples endroits, couverts de poussière et de sable. Son visage était déformé par un rictus fanatique qui ne laissait aucun doute sur son état mental, et l’on pouvait voir des trainées de sang maculer son menton, ses joues et le contour de ses lèvres. Poussant des gémissements et des grognements presque bestiaux, ce qui restait de la grand-mère s’avançait en titubant vers Ikusa, bien qu’elle n’en ait pas conscience elle-même, son cerveau incapable de réfléchir convenablement.

Autour d’elle, le mana faisait tourbillonner le sable de plus belle, ses pouvoir faisant apparaitre et disparaitre des formes illusoires, menaçantes. Et les murmures ! Ceux-ci emplissaient l’air, proférant des menaces et des insultes envers quiconque s’opposaient aux Titans. Un condensé de folie et de haine qui se dirigeait droit sur le siège de la couronne impériale, et vers la défense que l’Empire allait lui opposer.

Une créature verte venait de se poser devant la vieille Fae, sa stature imposante la rendant difficile à ignorer. Pourtant, Mégère ne semblait pas se soucier de sa présence, et même quand ses yeux hagards se posèrent sur le nouvel arrivant, c’était comme si elle regardait au loin, une expression dénuée de logique déformant son visage ridé. Seul le choc de l’atterrissage du géant vert semblait avoir eu un effet, puisque la grand mère venait se s’arrêter de marcher. Les flux de mana, en revanche, continuaient de fouetter l’air et former des tourbillons avec le sable.

Après quelques secondes pendant lesquelles la vieille folle semblait avoir eu un moment d’absence, n’ayant pas répondu a l’injonction du guerrier, son expression changea subitement, prenant un air illuminé et hurlant d’une voix emplie de fanatisme :

« AAAAAAH MAIS OÙ SONT LES PRÉTENDUS SAUVEURS ?! LES TYRANS EN DEVENIR ?! LES FAUX HEROS DU SEKAI ?! »

Quel était donc ce charabia ?

« AAAAAAAH MAIS OÙ SONT LES VRAIS FIDÈLES ?! LES ADEPTES DE LA VRAIE FOI ?! LES GARDIENS DE LA VÉRITÉ ?! »

Qu’est ce que cette vieille chouette pouvait bien raconter ?

« SAINTE PATRONNE !! J’ENTENDS TES MURMURES !! JE TE VOIS À TRAVERS LES CHAÎNES !! JE SENS TA PRÉSENCE DIVINE !! »

De nouvelles paroles dénuées de sens, qui furent ponctuées d’un rire glaçant. Un rire rempli de promesses de chaos et de malveillance.

Soudain, Mégère se tut de manière abrupte, et planta son regard droit sur l’imposante créature verte qu’elle avait jusqu’alors ignoré. Les yeux écarquillés, comme si la présence du guerrier était un affront envers sa personne, elle laissa s’échapper un long gémissement, d’abord léger, puis de plus en plus strident. Le mana autour d’elle s’agitait violemment, faisant apparaître et disparaître des illusions visuelles tellement abstraites qu’il était presque impossible de les comprendre.

La vieille femme était sur le point de devenir agressive, et cet espèce de géant vert était sur son chemin.

La créature verte ne tarda pas à réagir face à vieille Fae dérangée : une diversion à base de sable dans les yeux, suivi d’une attaque à distance pour renverser la grand-mère ! Les deux énormes marteaux percutèrent les tibias de l’ancienne avec un bruit sourd, faisant tomber Mégère la tête la première dans le sable, tout en poussant un cri strident. En même temps que la vieille folle chutait, sa concentration fut perturbée, faisant disparaître les illusions l’entourant, tels des mirages s’évaporant dans la chaleur du désert.

Etait-ce tout ? La route de Mègère touchait-elle a sa fin, interrompue par ce monstrueux géant vert, et les murailles d’Ikusa au loin ? Après plusieurs secondes sans bouger, Mégère poussa sur ses bras pour se redresser. Elle resta à genoux, incapable de se relever entièrement a cause de l’impact des marteaux surdimensionnés, mais la tempête qui faisait encore rage dans son esprit empêchait son cerveau de recevoir les signaux de douleurs, remplacés par une sensation d’engourdissement sur les zones blessées.

Plantant à nouveau son regard dans celui de son adversaire, la vieille chouette se mit à rire, un rire mauvais, encore plus malfaisant que les précédents. Ayant étendu ses bras de part et d’autre de son corps, formant un T, Mégère formula un mot unique, une réponse à l’injonction qu’elle avait ignoré quelques instants plus tôt. Une déclaration contenue dans une seule parole, entre deux éclats de rire :

« NON »

Une explosion sonore, provoquée par le rugissement du mana. Un énorme pilier de sable tournoyant, s’élevant derrière la grand-mère. Une forme gigantesque qui se dessinait, encore cachée par le sable tourbillonnant, accompagnée par les rires de la vielle Fae à genoux. Soudain, le sable retomba, dévoilant … un dragon ?!

Énorme, entièrement noire, les ailes repliées, la bête faisait passer le guerrier vert pour un minuscule insecte, un mortel pathétiquement faible face à un être divin. La réalité, dépendant, était toute autre, puisqu’il ne s’agissait que d’une illusion. Grandiose, extrêmement réaliste, mais incapable d’attaquer physiquement. Une création de l’esprit, un crachat à la face de l’empire en utilisant leur symbole contre eux ! Et le dragon … chuchotait. Des murmures assourdissants, emplis de paroles incompréhensibles et d’insultes violentes, qui submergeaient l’esprit, le plongeant dans la tourmente pour le pousser à la folie !

Et tous ces chuchotements, également des illusions plus vraies que nature, déferlèrent tel un raz de marée sur le défenseur du Reike, qui tenait ses armes croisées devant lui comme pour se défendre.

L’énorme guerrier vert envoya à nouveau du sable sur Mégère afin de la déstabiliser, sans toutefois se servir de ses marteaux. Il n’attaquait pas le dragon illusoire, mais il ne faisait pas mine de reculer non plus, préférant attaquer lâchement la grand-mère. Il ne pouvait y avoir qu’une seule raison à cela : l’adversaire de la vieille Fae avait compris que l’immense créature ailée n’était pas réelle, la rendant inutile. De toute façon, les poignées de sables vinrent perturber la concentration de l’agente des Titans, qui relâcha son emprise sur le mana. L’image du dragon se résorba aussitôt, fondant comme neige au soleil, les flux de mana libérés soulevant des vagues de sable et de poussière qui enveloppèrent Mégère, la cachant dans un brouillard épais.

Plusieurs secondes passèrent, sans que quoi que ce soit n’advienne. De longues secondes emplies d’anticipation : la vieille folle allait-elle surgir du nuage de poussière ? Ou peut-être des abominations ? Rien n’était moins sûr … Enfin, un mouvement perturba l’écran opaque. Une silhouette qui sortait du nuage de poussière en titubant. Une voix éraillée retentit dans l’air chaud … appelant à l’aide ?

« Où … Où suis-je ? Quel est cet endroit ? Vous ! Oui, vous ! Aidez-moi, mon petit anchois ! »

La vieille chouette avait l’air bien différente de tout à l’heure. La lueur cruelle semblait avoir disparu de ses yeux, remplacée par une expression vulnérable, presque apeurée. Elle se dirigeait vers le géant vert, toujours en ayant du mal à marcher à cause de sa jambe et de ses pieds s’enfonçant dans le sable.

Les attaques du guerrier reikois avaient-elles brisé un quelconque maléfice ? Que s’était-il donc passé ?

La grand-mère feulait, crachait, hurlait des imprécations à l’encontre du guerrier vert, ses paroles couvertes par le vent alors qu’ils volaient vers leur destination. Le Reikois ne s’était pas laissé berner par le subterfuge de Mégère, qui avait tenté le tout pour le tout, sans succès. La route sanglante sur laquelle la vieille Fae s’était engagée depuis Benedictus s’arrêtait là, car l’agent des Titans s’était fait capturer par l’Empire ! La folie meurtrière de la grand-mère s’était confrontée à la puissance de la nation du désert, un véritable mur inébranlable qui avait résisté sans mal !

Néanmoins, derrière le ruban qui aveuglait Mégère, la lueur folle de ses yeux commençait à s’estomper, peu à peu remplacée par … de l’intelligence ? Que ce soit à cause des coups portés à son encontre ou bien du temps passé loin de l’Arbre Monde, la vieille Fae retrouvait peu à peu la raison.

Juste à temps pour faire face aux conséquences de son accès de folie !



Alors ? Cette confrontation vous a-t-elle parue héroïque ? Ou bien n’était-ce qu’une démonstration de pouvoir, une volonté imposée de manière arbitraire ?

La petite grand-mère tout de rose vêtue méritait-elle d’être traitée ainsi ? Ou bien n’est-elle qu’une victime de plus d’une soif de justice aveugle ?

Alors méfiez-vous de vos héros, car leurs vertus pourraient très bien les amener à se retourner contre vous.