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  • Mer 17 Avr - 18:17
    Musique:
    ⋯ Église Diviniste – Mael ⋯

    Il y avait des choses que même les affres de la guerre ne pouvaient détruire. Le soleil brillait d'un éclat doré à travers les vitraux de la cathédrale, au-dessus des mortels—au-dessus de ceux qui avaient été oubliés par leurs maîtres. L'une d'elle se trouvait là, devant la cire froide et l’icône de marbre, l'Ange enfermée qu'elle avait elle aussi un jour été. Quelle délicieuse ironie...
    Les églises étaient faites pour être silencieuses. Et pourtant, aucune d'entre elles ne l'étaient réellement. Hormis celles abandonnées de leurs fidèles. L'Ange contempla les cloches muettes, oublieuses. Elles ne marquaient plus les heures, ni les messes. Le temps et la douleur de la guerre avaient fini par faire taire le claquement des genoux des divinistes s'agenouillant pour prier, le chuchotement des prêtres et la voix de l'orgue qui en avait fini de chanter. Ceux qui foulaient un jour la nef n'étaient plus que des spectres. Et comment les blâmer ?

    L'architecture des édifices divinistes resplendissait comme aucune autre sur le Sekai, et la quiétude émouvante des figures de marbre blanc n'attendaient plus que les yeux larmoyants de leur fidèles pour flamboyer à nouveau. Les malheureuses âmes croyant encore se trouvaient vite ravisées par l'omniprésence de l'armée rekoise. Le lieu avait été saccagé : pas entièrement, mais suffisamment pour être entièrement déserté. Pour l'heure. Car malgré la guerre, malgré la déception, il y avait des choses qu'on ne pouvait détruire...

    Et Siame comptait bien en profiter.


    ⋯ :


    Viens. Tu as le droit d'entrer.

    Le garçon se triture les doigts. Il hésite, jette un regard en biais à l'intérieur de l'église, puis fait un premier pas. La femme lui fait un peu peur, mais l'éclat des vitraux luit dans ses cheveux. Elle a l'air douce dans la lumière ambrée. Et elle lui tend la main. Il la lui prend sans y penser et sa main est chaude quand elle enveloppe la sienne comme un songe.

    — Il ne faut pas rester là m'dame, murmura-t-il. Les soldats ne sont jamais très loin.

    Évidemment, depuis la fin de la guerre, ils hantaient les rues avec arrogance, l'arme claquant prétentieusement contre leur cuisse. Les maeliens, ceux qui avaient toujours vécu ici, s'écartaient sur leur passage, craintifs. Ils les avaient sauvés, oui, mais ils leur faisaient peur. Siame s'accroupit devant lui et les yeux du garçon s'élargirent comme deux billes rondes.

    Ils ne me feront rien. Je n'ai rien fait de mal. Je suis simplement venue prier. Comme toi ?

    — Maman dit qu'on ne doit plus prier qu'à la maison. Qu'il ne faut plus prononcer le nom des Titans. Qu'ils nous ont abandonnés...

    D'une main tendre, elle lisse les cheveux de l'enfant.

    Dis-lui qu'elle n'a plus rien à craindre désormais. Dis-lui que je serais là et que je vous protégerais. Dis-le à tous.

    Il l'observa avec une curieuse et enfantine pointe de fascination. Il a vu les soldats reikois fendre des crânes et ouvrir des torses ruisselant de sang de ses propres yeux – ce jour-là, on lui avait volé son innocence –, mais il a envie de la croire. Pas parce qu'elle le dit avec une certitude qui lui échappe, mais parce qu'il y a des choses qu'on ne pouvait détruire, comme l'espoir dans le cœur des Hommes. L'envie de croire, le besoin d'abandonner ses peurs, sa culpabilité et sa honte à quelque chose de plus grand que soi.

    Tu reviendras demain ? Promets-le moi.

    Le garçon hoche la tête, captivé. Quelque chose vibre en lui, quelque chose qu'il ne comprend pas, car il a neuf ans, et que son monde s'est arrêté il y a quatre ans. Il prie les Titans car ses parents les prient aussi, mais tout ça, ça lui semble très vague, très lointain. Et cette femme, elle, elle l'éblouie comme un joyau. Ses mains sont chaudes, sa voix est douce et il a envie de faire comme elle le lui dit. Il a envie de voir ses lèvres se parfaire d'un beau sourire, parce qu'il aura obéit.

    Je compte sur toi, Nino.

    Elle ponctue sa phrase d'un baiser précieux sur son front et il ne questionne même pas comment elle connaît son nom. Dans son cœur, elle a ouvert une parenthèse. Ses talons frappent contre le marbre de l'église et il galope. Il reviendra demain. Avec ses copains d'abord, puis sa mère se joindra à lui. Son père aussi. Bientôt.


    ⋯ :


    — Où souhaitez-vous que je mette ces caisses, mad... ma Mère ?

    Ma Mère. Siame arque un sourcil, tandis qu'elle allume les cierges. Elle n'a jamais fait aucun vœu, et sa piété feinte n'a d'équivalent que son ambition. Mais ça lui plaît—ça participe à son nouveau rôle, au tableau qu'elle souhaite dépeindre. Alors, elle ne le corrige pas, parle d'une voix posée, comme si tout ça lui était très naturel.

    Vous pouvez les descendre dans la crypte, je vous remercie.

    Ils avaient fini par venir. Seuls ou à deux, parfois à trois, comme des ombres farouches, des souris sur le carrelage d'une cuisine. D'abord timidement, puis attisés par leur curiosité. Certains sont jeunes, l'allure enthousiaste, d'autres beaucoup moins—eux regardent tout ça d'une moue dubitative, exprimant un scepticisme qui vient seulement avec l'âge. Pourtant, leur nombre ne cesse de croître de jour en jour – sans réellement être suffisant pour intéresser les autorités reikoise, pour le moment... – attirés par la présence des autres. C'était ainsi que fonctionnait les mortels, après tout : l'effet de troupeau était intrinsèque à leur race. L'Ange les méprise toujours, mais les aime un peu mieux lorsqu'ils la servent : alors elle prend leurs mains entre les siennes, fait disparaître leurs inquiétudes avec de jolies promesses. Ceux qui la connaissaient bien – ils n'étaient pas nombreux – auraient ri. On avait dû mal à l'imaginer aussi noble, motivée par l'envie de reconstruire un monde meilleur, auréolée de la volonté sincère de servir à nouveau les maîtres qui l'avaient abandonnés. Siame n'avait toujours eu qu'un seul souhait, le reste n'avait jamais été rien de plus qu'une question de survie—et à ce jeu là, elle se montrait particulièrement endurante. Mais elle en avait assez de survivre. Elle crevait de retrouver la sensation de l'ivresse du pouvoir qui palpite dans le creux de sa poitrine, l'exaltation d'imprimer sa propre volonté sur le monde.

    Tous mettent la main à la pâte pour faire revivre l'édifice : certains se sont vus baptisés entre ces murs, d'autres mariés à leur âme-sœur. Certains ont pleuré leurs morts ici : parfois seuls, parfois accompagnés. C'est plus qu'un simple lieu de culte pour eux, c'est un lieu de vie. Ils y sont désormais accueillis d'un "Bienvenue" et d'un sourire bienveillant. Une espèce de franche camaraderie s'installe : on évite de parler de la guerre et des choses qui fâchent. On laisse pour le moment toutes les questions de drame et de spiritualité de côté – parce que l'amertume de l'incompréhension pèse encore dans les cœurs des fidèles – et on se concentre sur l'important : préparer le jour à venir...


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