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Citoyen de La République
Pancrace Dosian

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Les programmes d'échange entre cités, c'est toujours des grands moments. Parfois, c'est des vieux bleds moisis dans lesquels on doit apporter ordre et méthode, ça, c'est quand on se fait plus ou moins punir par les chefs. Et d'autres fois, c'est dans les autres villes de la nation, avec l'idée de partager nos connaissances, se faire des contacts, et collaborer dans l'esprit de corps qui caractérise si bien l'Office Républicain.
Ca serait vachement mieux si c'était pas Liberty, mais comme ma famille est pas au courant que j'me pointe, c'est pas si pire. A part ça, d'ailleurs, c'est même plutôt carrément sympa : les tavernes sont chères et de bon aloi et, on va pas se mentir, je suis plutôt du genre à me faire inviter et rincer. C'est ça, d'être le visiteur : on leur propose la même chose quand c'est eux qui viennent, après tout. Simple échange de bons procédés.
Y'en a qui disent ou qui croient que les rondes, c'est vraiment le pire taf des officiers républicains. C'est pas tout à fait exact. C'est sûr que la nuit, quand il caille, qu'il vente, qu'il flotte ou qu'il neige, personne a envie d'aller marcher dehors pendant des plombes. Mais en dehors de ces cas-là, on salue les commerçants, les lavandières, les enfants qu'ont des étoiles dans les yeux et s'imaginent déjà à notre place, à porter fièrement une épée au côté pour assurer la justice dans nos belles villes.
Mais au-delà de l'aspect agréable et flatteur pour l'ego, c'est surtout que c'est tranquille. J'veux dire, on a rarement quelque chose à faire de concret à part parader dans les rues, et avant qu'on n'arrive où que ce soit, le moindre crime sur lequel on pourrait tomber est parti bien, bien loin. C'est pas pour me déplaire : on est pas là non plus pour se faire emmerder.
Bref, tout ça pour dire que même le criminel le plus éclaté au sol est foutu de pas faire un flagrant délit sous notre nez.
Du coup, forcément, quand un grand échalas clairement pas humain jaillit d'une maison avec une p'tite vieille qui crie au voleur, à l'assassin et au meurtrier derrière, j'me dis que j'ai rudement pas de bol. Surtout qu'il court vite. Pas le temps de jeter un coup d'oeil à mon binôme pour voir ce qu'on fait, parce qu'il est déjà parti en courant et en criant :
« Vite, rattrapons-le ! »
Putain.
Du coup, j'le suis aussi, et j'me demande pourquoi j'ai accepté qu'on me refile Erwin le Jeune, et pas son oncle, un vieux briscard blasé qu'on prendrait jamais à galoper, à voir sa bidoche. Le petit avec ses boucles d'un blond sale et sa bonne humeur, il a des étoiles pleins les yeux et la volonté de bien faire, ce qui en fait indéniablement la chose la plus dangereuse que j'risque de croiser de la journée, et ça se vérifie à l'instant.
Ca s'engouffre à gauche dans une ruelle, alors j'laisse Erwin suivre et j'trace tout droit en espérant réussir à couper la route plus loin. A l'embranchement suivant, j'les vois jaillir devant moi, le garde hurlant au suspect de s'arrêter, mais il se sent pas trop d'obtempérer, visiblement, alors j'économise mon souffle et j'essaie d'accélérer. C'juste qu'avec l'armure, c'est moins facile.
Devant, ça percute les passants, les portefaix, et ça fuit sous les insultes et les menaces. Ils sont bien gentils, mais dans ce cas, qu'ils l'arrêtent à notre place, ça nous évitera... de... courir. Juste devant moi, Erwin pousse une accélération, et plonge pour attraper les chevilles du drakyn qui continue à essayer de se faire la malle. Il rate son coup, et j'saute par-dessus son corps étendu pour pas ralentir.
Plus loin, une charrette bloque suffisamment le passage pour que j'ai l'espoir que le coupable soit contraint de s'arrêter, mais il saute par-dessus d'une impulsion qui me semble pas parfaitement naturelle, alors que j'me glisse sur un bord en m'éraflant salement le bras sur un truc qui dépassait.
Au détour d'une avenue, j'vois qu'Erwin nous rattrape à nouveau. Bordel, il a un de ces souffles, le petiot, c'est impressionnant. Il doit s'entraîner, c'est pas possible autrement. Ou alors il triche, je sais pas. Si c'est le cas, indéniablement, j'aurai beaucoup plus d'estime pour lui, c'est certain. Mais ça commence à faire un moment qu'on court, et si parfois la distance qui nous sépare du criminel diminue, c'est jamais suffisamment significatif pour qu'on termine par lui mettre définitivement la pogne dessus.
J'crois que je commence à avoir un point de côté.
Pas dessus, dans la gueule, pour me venger de m'avoir fait courir alors que j'venais de grailler.
Qu'est-ce que j'fous là, merde !

Citoyen de La République
Pancrace Dosian

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Putain, enfin il s'arrête. Il doit avoir un poing de côté et les jambes qui tremblent, normal, après une course pareille. Moi-même, sans mon entraînement permanent d'ancien militaire et d'officier républicain, je sais pas si j'aurais pu tenir le choc, c'est dire la violence de la poursuite.
Le Jeune, par contre, il pète le feu, encore.
Donc quand le lézard menace de détruire le coffret, il recule d'un pas, tout paniqué. J'le regarde d'un air interloqué.
« Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Hé, Drakyn, si tu pètes le coffret, ça sera jamais qu'une charge de plus à ajouter à ton dossier. J'te dirais bien de m'économiser l'encre mais, franchement, ça me gênerait pas de charger la mule. »
Puis j'avance d'un pas décidé.
« Allez, pose le truc par terre, agenouille-toi et pose les mains derrière ta tête, doigts entrelacés. On t'emmène au poste et on élucide tout ça. De toute façon, les renforts arrivent, alors... »
****
Quelques temps plus tard, l'étranger est dans la salle d'interrogatoire, et on est devant, Erwin, le commissaire et moi.
« Allez, Petiot, va l'interroger.
- Je pensais plutôt t'envoyer, Dosian, coupe le patron.
- Hein ? Nan, mais ce serait mieux si c'était Erwin. C'est hyper formateur.
- C'est toi qu'est en programme d'échange, alors c'est toi qui y vas.
- Nan mais je me sens pas super bien, un peu pas en forme, quoi... Ca doit être la bouffe de ce midi, là, c'est pas passé, je sais pas...
- Du coup, plus vite tu commences, plus vite t'auras fini. Erwin, tu vas remplir la paperasse en attendant. J'ai toute celle de ce matin aussi. »
Ah, c'est donc ça. Junior fait aussi secrétaire.
« Ouais mais il pue la mort, dans la salle d'interrogatoire j'vais étouffer...
- Grouillez, Dosian, on va pas y passer des heures non plus. Prenez ça comme l'ordre que c'est.
- Chef... oui, chef... »
J'entre dans la toute petite pièce, une table, trois chaises dont l'une déjà occupée par le colosse menotté à la table, et j'étouffe une quinte de toux. Paraît qu'à force, on sent plus l'odeur, mais là... Là c'est horrible, genre j'ai les larmes aux yeux.
« Bon, le Puant, on va aller vite, sinon j'vais m'évanouir. Rappel des faits : un peu plus tôt, t'as accepté d'aider une p'tite vieille à porter ses courses. Sympa. Tu la ramènes chez elle, et elle va pour te payer quand, pris d'une rage destructrice, ptet pasque le montant est trop faible ou que t'avais envie de te servir davantage, tu casses tout et tu t'enfuis avec le coffret. Délit de fuite auprès des officiers républicains, menaces. J'suis gentil, je compte pas la prise d'otage, même si y'a un flou juridique à propos des objets en bois. T'as du bol. »
J'reprends mon souffle. C'était une erreur.
« Bref, bref, bref. Tu peux dire ce que tu veux, c'est ce qu'on va écrire dans le rapport, parce qu'il se fait tard et qu'on est tous très occupé. Donc si tu veux, tu racontes, je fais semblant d'écouter, on te colle au trou et tu ressors demain matin, avec les gars bourrés. Franchement, c'est une bonne affaire. »
C'est surtout une affaire pour laquelle il a pas particulièrement le choix, donc j'griffonne sa version des faits, histoire et, et j'ressors pour tout filer à Erwin et laisser les gars le descendre dans la fosse commune. Franchement, un paquet de vagabonds donneraient cher pour être à sa place : un toit au-dessus de leur tête, un repas gratuit, un peu de chaleur humaine pour les plus aventureux ou les moins forts physiquement... Pas qu'il risque d'arriver quoi que ce soit au drakyn, il serait plutôt de l'autre côté, au demeurant.
Bon, certes, y'a pas de paillasse, et ils ont qu'un seau à merde pour cinq, sans compter l'absence d'intimité. Et le repas, c'est un ragoût clairet, une poignée de légumes et trois morceaux de viande non-identifiée qu'on laisse au fond d'une semaine sur l'autre, en se contentant de rajouter de l'eau au fur et à mesure, mais, hé, ça reste quelque chose de chaud à défaut d'être bien consistant.
Puis du coup, faut que j'en profite pour faire quelques courses, pour être prêt demain matin, à l'ouverture de la fosse commune.

Citoyen de La République
Pancrace Dosian

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En vrai, le vagabond peut bien dire ce qu'il veut de la vieille, ça n'intéresse personne. J'dirais même que toute l'affaire au sens large n'intéresse personne, et qu'on a mieux à faire. Il va faire sa nuit au trou, mamie aura l'impression qu'il y a une forme de justice et on essaie de dégager l'autre clodo pour qu'il aille faire chier ailleurs. Puis c'est même pas ma ville, en plus, alors c'est pas comme si je me sentais personnellement investi.
****
Toujours est-il que le lendemain, quand il s'agit de faire sortir le drakyn et les autres alcoolos, c'est moi qui m'y colle. De toute façon, j'crois que le commissaire m'a dans le pif, il me refile toutes les tâches de merde. P'tet éviter de repasser par ici tout de suite, pour mes affectations suivantes, ou alors dans une autre équipe ?
J'aurais préféré l'attendre dehors, à boire un café dans un bistrot en face de l'Office, mais on choisit pas toujours.
J'vire les autres pour qu'ils aillent retrouver leur bourgeoise pour lui taper dessus ou, à défaut, une chambre vide et poussiéreuse peuplée de cafards et de cadavres de bouteilles, et j'reporte mon attention sur l'immense drakyn. Faut bien le dire, il a pas l'air bien malin, genre un post-adolescent qui a fugué et se retrouve en république. Mais les idiots utiles, tout le monde en a besoin, surtout avec un gabarit pareil. Oh, pas pour l'Office Républicain, évidemment : on est sérieux, on ne prend que l'élite, ou une forme d'élite en tout cas. Et les puants n'en font pas partie.
C'pour ça que j'ai pas des masses dormi. J'ai dû me creuser la tête, retrouver des souvenirs et des contacts, des gars que je connaissais de l'armée, qui m'ont orienté vers d'autres... Couru la moitié de la nuit, quoi. Enfin, c'était la partie sympa, en vrai, vu que ça se fait rarement dans des bureaux, et plus souvent dans des tavernes où l'ambiance est rapidement plus joyeuse, quand elle n'est pas simplement dangereuse.
Du coup, j'suis quand même surpris quand il m'adresse la parole. Il doit se sentir très seul, j'représente p'tet une figure paternelle pour ce jeune homme en manque de repères et... pitié, non, quoi.
« Un boulot, c'est un truc qu'on fait pour gagner de l'argent et survivre. J'avais le choix entre pâtissier, coordonnier, ou me faire la malle et tenter ma chance ailleurs. Ca tombait bien, l'armée républicaine recrute toujours. Aimer son métier ? Une bonne blague, ça. Y'en a juste des moins pénibles que d'autres. Maintenant, tu me proposes de faire comme les autres nobles et me toucher toute la journée dans un grand manoir avec des bonniches qui m'éventent et me dénoyautent les raisins, j'te rassure tout de suite, ils sont pas prêts de me revoir au bureau. »
J'lui fais signe de me suivre, et on commence à se diriger dans les rues de la ville. J'ai retenu le chemin à suivre, vu que j'connais Liberty aussi, ayant grandi là. Pas forcément dans ces quartiers, mais suffisamment pour voir dans quelle direction aller et improviser à partir de là. C'est pas non plus le trajet le plus court, mais ça n'a pas d'importance, en réalité : c'est l'occasion de discuter un peu.
« Pour ce qui est de te trouver un turbin, en mercenariat, alors que t'es tout seul et que tu schlingues à en canner, j'te cache pas que ça va être compliqué. Mais comme j'suis un bon samaritain, et que je crois en la reconnaissance de mes congénères... »
Comprendre, si tu trouves du boulot, je compte bien toucher ma comm'.
« J'ai possiblement quelques pistes. Tiens, on entre là. »
L'auberge fait complètement miteux. En même temps, j'ai beau vouloir investir, y'a des limites. Pasque je crois pas vraiment en la mémoire et la gratitude, la faute à mon boulot. La tenancière me reconnaît, en même temps j'suis passé y'a pas bien longtemps, et j'lui montre du doigt mon grand gaillard. On la suit dans une arrière-salle dans laquelle un grand baquet, à côté du feu, sert de baignoire de fortune.
« Allez, lave-toi là-dedans, ça fera un bon début, et parle un peu de toi, que j'vois si ça va coller. »
J'me pose sur un banc, jambes tendues devant moi, et j'sors une poire rabougrie d'une poche de ma chemise. Bien juteuse comme je les aime, en plus. Et c'pas sa nudité qui va me gêner, on en voyait davantage à l'armée.

Citoyen de La République
Pancrace Dosian

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Il commence à se laver, et j'éprouve surtout du soulagement. J'en profite pour mater sa musculature, bien développée. Pas de doute, les drakyns sont des bourrins, et Ashani ne déroge pas à la règle. J'commence déjà à calculer. Un bestiau pareil, pour peu qu'il y mette un peu de bonne volonté, ça doit abattre du boulot et du sagouin. J'le laisse s'exprimer en mangeant ma pomme, méthodiquement.
« Ouais, l'école militaire reikoise. J'en ai pas mal entendu parler : arts de la guerre et des lettres, mathématiques, toutes ces conneries. Et magie appliquée, évidemment, comme ce qu'on pourrait retrouver à l'académie magique chez nous, la République. On a p'tet des cursus un peu plus étendus que les vôtres, mais j'en sais trop rien, à la vérité. »
Faut juste m'expliquer pourquoi tous les reikois que j'crois sont des putain de bourrins, du coup, s'ils sont si bien éduqués. Mais l'école leur sert aussi d'outil de propagande : y'a qu'à voir comme ils filent tous droit et tremblent dès qu'on parle du couple impérial, à deux doigts de s'agenouiller par terre en pleine rue en direction de leur capitale, sûrement des huttes en merde séchée.
Reste qu'ils se sont coltinés les titans, et ça, je leur en serai toujours reconnaissant : ça m'a évité d'aller au casse-pipe.
« Si le Reike a autant à offrir et la République si peu à part un boulot de mercenaire, pourquoi venir ici ? Hm ? »
Ca sent les déboire avec la justice, ça, ou une sombre histoire familiale d'honneur baffoué. En tout cas, pour autant vendre le Reike sans la moindre estime pour la République, j'préfère creuser avant d'avoir un espion dans les pattes, ou un ingrat qui se barrera à la première occasion.
Nan pasque lui comme espion, soit c'est le meilleur acteur de notre génération, soit j'perds mon toucher. Déjà, personne accepterait de dauber autant, même pour un simple rôle.
« Et du coup, c'est quoi le plan ? Utiliser les capacités martiales pour faire des p'tits boulots le temps de se renflouer, d'acheter des fringues et un baquet d'eau chaude de temps en temps ? Et après ? T'as p'tet pas réfléchi aussi loin, remarque. L'urgence et le dénuement ont tendance à légèrement rétrécir les perspectives d'avenir. »
Difficile de lui en vouloir, pour le coup, mais c'est bien ce qui fait que tous les clodos sortent pas de leur fange et se contentent d'y replonger fissa. Moi, tant qu'il rentre sa première mission, après, j'm'en cogne bien, mais ça serait pas bon pour la réputation que j'veux entretenir, si j'me mets à présenter des branques.
Il arrête enfin de s'intéresser à son petit nombril, particulièrement sale, pour se rendre compte que j'ai des objectifs et des motivations, et que ce sont clairement pas d'être un bon samaritain.
« On va commencer par le plus simple. J'm'appelle Pancrace, j'suis Officier Républicain. Généralement, j'suis plutôt à Courage, mais ça m'arrive fréquemment de faire des déplacements. Politique des officiers, travailler ensemble, esprit d'équipe, toutes ces conneries. Pour ça que j'étais avec le jeunot quand on t'a appréhendé. »
Depuis le temps, il reste que le trognon, soigneusement poli, que j'pose sur le banc à côté de moi. J'm'essuie la bouche avec la manche de mon uniforme avant d'étirer les bras au-dessus de la tête. La chaleur du feu et de l'eau m'rend un peu plus détendu.
« Comme t'as pu le constater, j'suis pas vraiment habité par la vocation. Mais faut bien bosser pour bouffer, et on n'est pas ici juste pour se faire chier, donc j'fais ce qu'il faut pour. Prendre un bain, c'est juste une première étape avant d'embrayer sur la suite. Et pour être honnête, le but, c'est des pièces sonnantes et trébuchantes. T'vas vite comprendre. »
Enfin j'espère, pasque sinon, tout le laïus comme quoi le Reike est un endroit éminemment cultivé va prendre du plomb dans l'aile.
« La vraie question, c'est à quel point t'es souple... Non, pas comme ça, pas physiquement, me montre pas. J'parle plutôt moralement. Tu parles d'être mercenaire, et j'sais pas comment c'est dans l'Empire, si tout le monde est dans l'armée impériale, mais les mercenaires, faut être con pour croire qu'ils jouent jamais avec la légalité. Oh, bien sûr, ça dépend des compagnies, hein. Mais, sans vouloir te faire de la peine, t'as aucune chance d'entrer dans une bande prestigieuse et renommée avec ta dégaine et ton passif... en tout cas, renommée pour les bonnes raisons. »
Pasque des troupes qui valent à peine mieux que des coupe-jarrets, ça se trouve, et même eux, j'sais pas s'ils voudront de lui.
« Tu parlais d'honneur et de gloire. Si c'est ça que tu cherches, vaut p'tet mieux qu'on s'arrête là, j'arriverai jamais à tirer les bonnes ficelles. Si tu veux plutôt taper le pactole, et que t'es... adaptable... Là, y'aura moyen. »
C'est là que j'vais savoir si l'investissement va payer ou non.

Citoyen de La République
Pancrace Dosian

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J’tressaille à peine quand l’ex-crado rapproche son visage du mien pour montrer sa détermination. J’suis même plutôt soulagé qu’il en ait un peu dans le froc… au senc figuré, évidemment, et qu’il soit pas juste un chien battu par les circonstances. Ça, j’en aurais pas trop eu l’utilité, même si le plan, c’est de le bazarder dans les pattes de quelqu’un d’autre. J’m’accorde même un rictus bravache alors qu’il me dégouline dessus. Sans sous-entendu aucun.
L’interruption furtive de la tenancière est rapidement soldée, et j’sais que j’suis bon pour avancer la thune à nouveau, mais j’ai davantage l’impression que j’vais pas y perdre, ce coup-ci. C’est fou, ce que ne plus dauber à en réveiller les morts, ça peut faire à un homme ou un drakyn. Tout d’un coup, on sort du gars à qui on filerait pas une pièce, juste un coup de pied pour qu’il arrête de boucher la ruelle, à un fier mercenaire prêt à en découdre. En tout cas, il ressemble à quelque chose de pas trop mal, sapé, donc y’a plus qu’à.
Enfin, ça reste à prouver.
« C’bien, d’être motivé. Viens, j’vais t’expliquer sur le chemin. »
On ressort, et j’me rends compte qu’il lui a fallu du temps pour se décrasser. On n’avait pas forcément une heure de rendez-vous, mais j’voudrais bien passer à autre chose, genre aller me pieuter et préparer la route que j’dois me recoltiner, sans compter un peu de paperasse à achever ici avant de me rentrer. Mais le bon p’tit soleil fait du bien, et les gens se poussent relativement aimablement malgré la foule quotidienne qui cherche à circuler et à haranguer pour vendre.
« Faut s’dire que le contrat, c’est davantage un test, une mise à l’épreuve, tu vois ? Personne veut investir sur un cheval boîteux, moi le premier, et c’est le cas de tes futurs employeurs aussi. Comme t’as dit que t’étais motivé pour remonter la pente financièrement, on va aller direct’ au plus risqué. Les autres options étaient un peu plan-plan, rien de bien fameux, mais ça t’aurait p’tet mis à l’abri quelques semaines, si tu cannais pas dans une échaffourée quelconque. »
J’crache dans le caniveau. On y reviendra p’tet, après tout, si ça se passe mal, là.
« Des compagnies de mercenaires, genre plutôt petites, des traînes-savates de Shoumeï ou des inadaptés d’ici. Pas incroyable, comme j’disais. Les Bagarreurs Pourpres et le Cygne d’Argent. »
Le Cygne d’Argent, c’est un crétin qui se prend pas pour de la merde, vu qu’il a filé le surnom qu’il s’est auto-attribué à sa compagnie franche. Derrière un mince vernis un peu craquelé, c’est globalement qu’une brute sanguinaire et pas très maligne, mais personne a encore réussi à le prendre sur le fait, donc il continue à faire affaires. Les Bagarreurs, c’était une bande officielle de Shoumeï dont j’suis à peu près sûr qu’ils s’adonnaient régulièrement au brigandage les mois de disette, et qui tente de se donner une meilleur image ici. Mais c’est le loup dans la bergerie, m’est avis, donc y’a des chances qu’un beau jour, ils dérapent et finissent par bouffer les pissenlits par la racine.
« Tu te renseigneras si tu veux, à l’occasion, mais là, on se dirige plutôt au Béhémoth. Le nom est un peu ronflant, surtout quand on les connaît, mais il faut ce qu’il faut, et il paraît que leur chef démérite pas totalement de ce point de vue-là. J’le connais pas personnellement, juste été mis en contact avec un de ses lieutenants. »
Les rues s’enchaînent jusqu’à une taverne près des portes de la ville, et j’sais que de l’autre côté, y’a pas mal de campements de caravaniers et autres mercenaires. Du coup, c’est pas déconnant pour les chefs de crécher à côté. On entre, et j’vois la table qui nous attend, en train de tranquillement jouer aux dés pour passer le temps en attendant le prochain contrat. J’fais un signe de la main, et on nous dit qu’on peut venir, donc j’attrape un tabouret du bout du pied, et j’m’assieds en face du rouquin au visage sec comme un coup de trique, tout en muscles filandreux, qui commende l’assemblée.
« Salut, Vianney. Pancrace Dosian, Télo a dû te parler de moi.
- Enchanté, Pancrace. Oui, il m’a dit que tu avais peut-être une bonne recrue à nous présenter. »
Du pouce, j’montre Ashani.
« Le v’là. J’le laisse se présenter et faire connaissance ou ami-ami. »

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Pancrace Dosian

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J’sais pas trop par quelle magie obscure j’me retrouve à devoir faire la mission avec Ashani. Si je hoche la tête poliment, avec un sourire carnassier quand il faut histoire de signifier ma motivation et ma joie à l’idée de faire ça, y’a juste un truc qui me travaille : moi, j’étais juste là pour livrer un gros colis musculeux, pas pour bosser pour les contacts. J’vais pour ouvrir ma gueule, mais j’décide plutôt de la fermer. Vrai que je les connais pas plus que ça, et si le jeu des contacts entremêlés fait qu’on fait affaire, de leur point de vue, j’suppose que j’ai aussi quelque chose à prouver.
J’réfléchis quand même, à tout hasard, à si j’aurais pas coffré un de ces connards, ou leurs potes, à l’occaz, et qu’ils en profiteraient pas pour régler leurs comptes cette nuit plutôt qu’en plein jour, dans une taverne de la ville, encore que c’est tellement miteux que ça m’étonnerait beaucoup que les patrouilles des officiers républicains passent souvent dans le coin. Genre, ça semble être les endroits où on vient pas trop à moins d’une dizaine, histoire d’assurer le coup, quoi. Sauf si on connaît bien les gens et les habitants.
Important de noter qu’ils sont parfois différents.
Dans tous les cas, j’suis à peu près sûr qu’on croisera pas de collègues là où ils nous envoient : y’a pas grand-chose aux alentours et le bouzin oscille sans parvenir à se décider entre le moisi et le carrément glauque. Au point que même les criminels ont pas forcément envie d’y mettre les pieds, et on les comprend. C’est que si on veut se donner une image un peu bonne, on évite les coins à clodos, ça fait pas sérieux.
Pas de raison de s’éterniser, donc avec un signe de tête partagé, on ressort pour aller se poser dans un parc, à une trentaine de minutes de là où on était. Le soleil perce un peu, donc il caille moins, mais nos humeurs sont moroses, on dirait. On espérait pas trop ça, mais du coup, j’me dis qu’il faut que je remonte un peu le moral à ma prime.
« Hé, bon, certes, j’pensais pas que ça se passerait comme ça. Faut juste faire gaffe à ce qu’ils nous fassent pas trop bosser à l’œil. Ma côte est moins bonne que prévue, mais la sortie devrait être pas mal. Tiens, attrape-ça, ça servira toujours. Il s’appelle reviens. »
J’passe un de mes couteaux, le plus gros, à mon drakyn préféré, en espérant que ça ressemble pas à un cure-dent dans ses pognes énormes. Sinon, il aura qu’à casser la branche d’un arbre et s’en servir comme massue, ou ramasser un pavé ou un moellon, j’en sais rien. Il se démerdera bien, c’est son boulot, après tout, de ce qu’il dit.
Ou p’tet qu’il fait partie de ses tarés qui arrachent les crânes à mains nues, allez savoir, avec les reikois.
****
Quelques heures plus tard, on a mangé un bout sur le pouce, et on est dans la bâtisse décatie et abandonnée, avec le colis posé entre nous deux, par terre. J’suis assis sur les restes d’une caisse en bois, et j’me demande si l’odeur des produits utilisés pour traiter le cuir va s’imprégner dans mes sapes et si j’vais dauber la mort demain matin. C’est un coup à me faire charrier, ça.
Devant moi, Ashani fait les cent pas, en jetant des coups d’œil réguliers par la porte et la fenêtre. Ça les fera pas arriver plus vite, si tant est qu’ils se pointent, parce qu’ils ont déjà une heure de retard. Au point que j’me demande si, d’une, y’a quelque chose d’autre dans le colis que des lingots de fer vu comme il pèse un âne mort, et d’autre part s’ils comptent bien venir.
Evidemment, les pires possibilités, c’est qu’il s’agisse d’un piège, où que ce soit réellement précieux et qu’en réalité, ils se sont faits prendre en embuscade par des gens qui veulent récupérer le bidule. Du coup, ça me rend aussi diablement curieux de savoir ce qu’il y a dedans, mais j’résiste à la tentation de l’ouvrir. C’est juste l’assurance de se retrouver au fond du port quelques heures ou jours plus tard, les criminels ayant la réputation d’être assez rancuniers. Et même si j’crèche pas à Liberty, je viens un brin trop souvent pour vouloir me mettre des gus à dos.
J’suis tiré de mes pensées par une troupe qui se radine, et nous adresse un signe de la main en s’amassant devant la porte. J’reconnais personne de la taverne, mais c’est pas réellement surprenant.
« J’suis là pour faire du soutien psychologique, donc j’te laisse mener la barque, que j’souffle à Ashani. »
J’me contente de surveiller la fenêtre sans carreaux, des fois que quelqu’un veuille entrer par derrière, et la magie est prête, au cas où, pour assurer le coup.
Bordel, qu’est-ce qu’on ferait pas pour rendre service, hein.

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Pancrace Dosian

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C’est bien ma veine, ça.
J’saute par-dessus les caisses pour les mettre en travers de la route de mes adversaires, deux puis quatre puis six quand Ashani les rejoint. Vaguement, je l’ai vu au contact du chef, donc j’suppose que c’était pas que pour échanger une poignée de main ou de piécettes. Est-ce que tout ceci ne serait qu’une vaste farce dans laquelle j’suis le dindon, et Ashani était en cheville depuis le début avec les gus ? Nah, il pouvait pas savoir que j’allais l’amener là pour le colis, et…
Le cours déjà fracturé de mes pensées s’arrange pas quand j’balance une paire de godasses moisies sur un de mes assaillants, avant qu’il soit rejoint par Ashani, et que j’sois contraint de faire une roulade malaisée sur les planches pourries et les cailloux qui traînent. Mais une éraflure est le cadet de mes soucis. D’une pensée, j’envoie une attaque mentale sur mon allié précédent, qui encaisse l’air de rien et continue d’avancer vers moi, pendant que les relous nous regardent en ricanant. J’avais oublié que les drakyns étaient pas très malléables aux magies mentales, encore une bonne raison de pas pouvoir les blairer.
Mais du coup, pourquoi l’autre connard a réussi, lui ? Je ressens un profond sentiment d’injustice.
Ashani a toujours le colis, au moins, c’est déjà ça : personne lui a encore pris pour partir avec. J’me satisfais des petites victoires.
« Hé, Ashani, j’veux bien que j’ai pas toujours été très poli, mais on s’entendait bien, non ? On partait sur de bonnes bases, tout ça. Tu peux quand même pas te laisser manipuler comme ça, c’est pas sérieux. T’es censé être un fier guerrier du Reike ou je sais pas trop quoi, nan ? Nan ? »
Je le sens pas convaincu, surtout quand son poing fracasse un des murs et manque de traverser la brique. A deux doigts de lui foutre mon couteau entre les côtes, mais j’préfère continuer à fuir. Pas à cause d’un sentiment diffus d’amitié ou de lien. Plutôt pasque son genou aurait vaporisé mon nez, et mon crâne avec, si j’avais pas bondi sur le côté.
Ouais, le côté guerrier du Reike est p’tet bien avéré, même s’il est fragile psychologiquement, semblerait. En tout cas, pas de moi, hein.
J’profite d’une brève accalmie, p’tet pasqu’il est flou du cervelet, pour jeter un œil en direction du patron d’en face. L’attaque mentale, plus aiguisée cette fois, lui arrive direct dans les gencives, et il se plie en deux, pris de hauts-le-cœur, jusqu’à vomir une bile malodorante par terre. C’est bien, ça fera pas désordre avec le reste de l’ambiance du coin.
Mais ça suffit à rompre le contrôle mental qui pèse sur Ashani, qui secoue la tête comme un clebs qui s’ébroue, tandis que les quatre sbires sont distraits par l’état de leur meneur et le brusque retournement de situation. Enfin, ça reste relatif, on est toujours à deux contre cinq. Juste que la donne est un peu plus équilibrée, surtout que j’en profite pour remettre une couche de dégâts mentaux à mon vis-à-vis, plus faible celle-là, histoire qu’il se remette pas trop vite.
« Faut battre le fer tant qu’il est chaud ? »
En vrai, on devrait juste s’enfuir, mais bon, la bâtisse s’y prête assez mal, et ça résoudrait pas le souci du colis. Puis je veux pas me taper une course-poursuite de nuit dans les pires quartiers de Liberty. Le commissariat est bien loin, après tout. Et si on les sèche, on pourra savoir la source du problème et la remonter à Vianney, pour qu’il y fasse quelque chose. S’il est encore en vie, ce qui n’est même pas garanti.
On charge conjointement les quatre pendant que l’autre reprend ses esprits, et j’prends soin d’éviter celui qu’a envoyé valser le drakyn. J’veux dire, si d’un coup de poing, il soulève mon binôme, moi, il m’arrache la tête fissa, et j’tiens pas mal à la garder encore un peu. C’est qu’elle est charmante, après tout.
La boule de feu me surprend qu’à moitié, alors j’lève les bras pour protéger mon visage et mon panard s’écrase dans son bide. J’vais pour l’achever d’un coup de couteau à l’arrière du crâne quand le gars le plus proche intervient avec une épée longue qui se matérialise dans ses mains. J’pare comme je peux l’attaque, et la lame de mon surin manque de se détacher de la garde. Et pourtant, c’était pas de la camelote.
La traînée de flammes suivantes est complètement à côté, vu qu’au lieu de reculer, j’me suis jeté sur l’arcaniste, et il a beau porter un pourpoint de cuir, ma lame poinçonne suffisamment sa cage thoracique pour qu’il tombe au sol en gueulant. Mais ça va pas durer, avec le choc et la perte de sang. J’esquive pas la manchette qui m’envoie au tapis, par contre, pêle-mêle avec ma première victime. J’roule sur moi-même au pif, et le feu s’écrase salement sur ma cuisse, mais j’note ça que de façon un peu lointaine avec l’adrénaline.
Puis j’rampe à quatre pattes pour m’éloigner un peu.
Bordel, foutent quoi, les autres ?
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