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Vrai Homme du Reike
Alasker Crudelis
Messages : 216
crédits : 2676
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Info personnage
Race: Loup-Garou
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal Mauvais
Rang: B
Démon.
Alasker connaissait l’existence de cette créature, tout comme il pensait connaître la race dont elle était issue. L’Ombre. C’était ainsi que Deydreus la nommait. Un nom parfaitement adapté pour…Ca.
Un nuage aux formes humaines, aussi épais que la fumée s’échappant d’un bûcher funéraire, sans l’odeur atroce de viande brûlée s’échappant de ce type de joyeuseté. Et, au milieu des ténèbres la composant : deux flammes rougeoyantes, s’efforçant de singer l’expression d’un regard cruel.
Iratus n’avait jamais été un fervent partisan de la remise en question. A l’instant où son frère lui avait pour la première fois parlé de l’Ombre, le berserker aux yeux d’encre s’était mis en tête de l’en débarrasser d’un coup de hache. Inutile de posséder la sagesse d’un ancien pour reconnaître l’Ennemi dans une créature aux yeux rouges et au corps fait de ténèbres pure.
Le lieu et le moment de leur première rencontre, au milieu de cet ancien repaire de wyvern, à l’aube de la potentielle destruction de l’enveloppe torturée de son ami et frère d’arme, n’arrangeaient nullement son point de vue sur la question.
Aussi n’hésita-t-il pas même une seconde avant d’abattre la Salvatrice sur l’inquiétante silhouette de l’importun visiteur, qui ne sembla n’avoir ni le temps ni le désir d’esquisser la moindre esquive.
La hache traversa le nuage de fumée de part en part, ne parvenant qu’à troubler la netteté de la forme l’espace d’un battement de cœur. Face à l’inefficacité évidente de sa première attaque, le loup refusa d’abandonner. Il enfonça la cage-thoracique ombreuse d’un coup d’épaule, la traversant sans rencontrer la moindre résistance. Quelque chose de dangereusement proche d’un ricanement filtra du nuage animé lorsque ce dernier se reforma de nouveau, juste avant que les griffes rougeâtres d’une paire de gantelets d’airains ne viennent se refermer sur sa nuque.
Ses poings disparurent dans le nuage. Rien ne se brisa entre ses doigts. Aucun liquide vital ne vint assombrir le bronze.
Et les flammes rouges surplombant cet impossible amas de magie noire continuèrent de brûler, tout au fond d’orbites de ténèbres pures.
Un grondement monstrueux naquit du fin fond de la gorge du loup. Une plainte aussi grave et rocailleuse qu’un éboulement rocheux, qui trouvait son origine dans la rage, l’impuissance et l’incompréhension d’un prédateur ayant toujours su tuer ou, tout du moins, blesser ses adversaires, jusqu’à aujourd’hui.
Les yeux d’encres rencontrèrent le feu dansant dans le regard d’un cauchemar vivant. Puis les larges épaules du chef des Dévoreurs se haussèrent. Il se détourna, agrémentant cette décision d’un soupir las.
“-Ca valait le coup d’essayer.”
L’attention du géant se redirigea vers la forme, pitoyable et brisée, de son frère toujours emprisonné au milieu d’une toile de chaînes. Son coeur se serra jusqu’à ce qu’un faible souffle ne s’échappe des lèvres détruites du chevalier noir.
“-Il vit encore.” Confirma la chose, derrière-lui. “Bien qu’il souffre au-delà des mots.”
Les yeux noirs roulèrent dans leurs orbites alors que leur propriétaire venait vérifier l’état des pieux maintenant les chaines en place.
“-C’est toujours bon de rappeler l’évidence, hein?”
L’Ombre se déplaça jusqu’à lui, glissant sur le sol humide de la grotte dans un silence aussi total que déroutant. Nulle respiration n’émanait de son évanescente forme et le sol qu’elle foulait se refusait à manifester le moindre crissement de mécontentement. Le démon était absent, mais pourtant là. Un seul des sens surdéveloppés du loup parvenait à témoigner de sa présence ici-bas, ce qui, hélas, n’avait rien de rassurant.
Puisque tout portait à croire qu’elle choisissait de se rendre visible en cet instant et en cet instant seulement. Et si ses soupçons s’avéraient juste, alors…
Combien de fois les avait-elle suivi, en incarnant le rôle d’une silencieuse et imperceptible spectatrice ? Quels secrets avait-elle pu arracher des bouches des Serres et de leurs amis? De Deydreus, mais aussi de Zephyr, de lui-même, ou bien…
Du couple impérial?
“-Ô frère de la Griffe et fils de la lune, pourquoi refuses-tu de voir en l’Ombre une alliée?” L’interrogea le rejeton des ténèbres, sans parvenir à se départir d’une pointe de sarcasme au sein de sa voix éthérée.
Alasker se refusa à lui accorder un regard et préféra vérifier la solidité d’un chaînon en tirant dessus, déclenchant une plainte inconsciente de la part de la Griffe affaiblie.
“-Parce qu’à partir du moment où tu es venue fourrer ton sale nez dans nos affaires, des gars sont morts, Dey’ s’est fait refiler je ne sais quel genre de chaude-pisse par son ancienne compagne cinglée, qu’il n’a réussi à soigner qu’en se faisant mordre par un foutu vampire.”
Court silence.
“-Je continue?
-Corrélation n’est pas causalité.”
Un gloussement mauvais secoua la lourde carcasse du géant. Il s’éloigna de son frère supplicié, contrairement à l’Ombre, qui demeura parfaitement immobile aux côtés du vampire. Et même un inculte comme la brute ne pouvait échapper au symbolisme d'une telle scène.
La chute d’une goutte tombant d’un stalactite suspendu au plafond attira le regard enténébré d’Iratus, lui laissant le loisir d’oublier quelques instants la présence du démon hantant Deydreus. La glace commençait à fondre. L’été nordique n’allait plus tarder à poindre son nez. Bientôt, la neige céderait sa place à la boue, puis à une terre sèche, dure comme le fer. Les souvenirs confus d’une jeunesse rythmée par la vie de camp au sein de ce pays oublié des dieux lui revinrent en tête et, cette fois, aucun d’eux ne parvint à lui décrocher le moindre sourire. Ses poings se serrèrent. Les jointures de ses gantelets émirent une plainte d’agonie.
“-Sans toi, il n’aurait jamais laissé cette sangsue le transformer. Jamais je n’aurais eu à endosser ce rôle. A empêcher Serres et Dévoreurs de se sauter à la gorge. A briser mon frère pour qu’une partie de lui subsiste.
-C’est exact.” Consentie l’abomination. Une hache de lancer traversa son torse pour aller s'enfoncer dans la roche derrière-elle. L’écho de l’impact se répercuta entre les parois, puis quitta la caverne “Mais sans moi, il ne serait déjà plus ton frère. Sans moi, il serait mort.”
Alasker interrompit le tressautement de ses propres paupières en se mordant la langue. Le goût de son sang empli son palais, sans parvenir à apaiser la rage sourde dévorant son esprit. Au sein de pareil chagrin, la raison n’avait pas sa place. Un être moins accablé, moins épuisé, aurait peut-être pris le temps de comprendre ce qui avait poussé la créature de ténèbres et de malice à proposer une telle solution au chevalier noir. Mais Iratus, même dans ses meilleurs moments, n’avait toujours été que colère et rancune.
Et en ce jour précis, son courroux ne connaissait nul pareil.
“-Je ne sais pas comment. Je ne sais pas quand. Mais un jour viendra où je te tuerai, créature. Et ce jour-là, je ferai en sorte que ça dure.”
Nouveau silence.
Et puis l’Ombre acquiesça, imperturbable.
“-Mais peut-être qu’en cet instant, nous pourrions convenir d’une trêve?
-Pourquoi? Tu as quelque chose qui pourrait nous être utile?
-Non. Mais je lui avais dit que je viendrais le voir, une fois qu’il serait confronté à ses nouveaux dons.”
***
Le calme était revenu à Pleurs-la-Cendres. Serres et Dévoreurs, pourtant à deux doigts du combat fratricide, la veille, échangeaient désormais avec autant de bonne humeur et d’humour possible, au vue de la situation. Eisyleij, ami de longue date de la plupart des brutes en armures carmins, s’était perdu dès le petit matin dans une longue séance de duels amicaux avec Gatlig, le petit teigneux des berserkers, et son corps peinait depuis lors à se remettre des innombrables ecchymoses que ce jeune salopard à neuf doigts n’avait pas manqué de lui infliger. Assis sur un siège au dossier tapissé de soie et aux accotoirs richement décorés, près du feu de l’imposante cheminée réchauffant la grand salle de l’hôtel de ville, il s’efforçait désormais de réchauffer ses membres endoloris en buvant une généreuse chope d’hydromel. Léonhard, assis à sa gauche, semblait perdu dans l’observation des flammes. En quelques semaines, le plus prometteur des jeunes Serres semblait avoir pris des années. Des cernes imposantes étaient apparues autour de ses yeux. Son menton, en général parfaitement lisse, était maintenant recouvert d'une barbe de trois jours dont l'origine semblait plus venir d'un laisser aller que d'un choix stylistique et son regard de sale gosse trop sûr de lui semblait maintenant hanté par des visions et des pensées bien sombres.
La cruauté de la vie n'épargnait personne, surtout pas les humains. Leur enveloppe semblait…si prompte à faner. Eisyleij n'avait jamais compris comment des êtres aussi éphémère pouvaient ainsi faire preuve de tant de courages et d'abnégation en temps de guerre, alors même que chaque crises, chaque pertes, semblaient laisser une marque indélébile sur eux.
"-Tu commences à ressembler à un Dévoreur, Léo."
La réflexion tira sa cible de sa contemplation silencieuse. Leonhard détacha finalement ses yeux des flammes, pour mieux les diriger vers la bouteille d'hydromel qu'ils avaient ouvert, l'heure d'avant. D'un geste las, rendu maladroit par l'alcool déjà ingérée, il se saisit du contenant de verre, pour boire directement à son goulot.
Eisyleij, les jambes croisées, un sourcil haussé et un sourire factice ancré sur les lèvres, l'observa faire jusqu’à ce qu'il s'essuie la bouche et dépose la bouteille vide sur la table basse située entre eux.
"-Peut-être que ce serait une juste punition. De me voir intégrer les rangs des frères que j'ai failli renier."
Eisyleij gloussa tout en retenant un relent d'alcool. Le bruit qui en résulta fut tout sauf élégant et ce simple constat le fit grimacer.
"-Un tantinet mélodramatique. Te flageller n'arrangera rien, tu sais."
L'humain du duo pesta, posant ses coudes entre ses jambes pour fixer soudainement le sol. Pendant un court instant, son comparse crut qu'il allait vomir. Mais à la place, Leonhard se contenta de poursuivre, la mort dans l'âme.
"-C'est la vérité, pourtant. Une petite crise, une seule, et j'ai entraîné les nôtres dans…
-Tu n'as rien entraîné du tout." Le coupa Eisyleij. "Tu as peut-être une certaine influence, Léo, mais ne crois pas que tes paroles sont à l'origine de la décision de Mitch, Gorrek ou Ikaryon. Les portes de la ville sont demeurées closes lorsque nos frères enragés sont arrivés parce que nous avons fait ce que chaque soldat fait en se sentant nerveux : chercher un ennemi."
La bûche dans la cheminée craqua, puis se fendit en deux, projetant braises et cendres incandescentes tout autour d'elle.
Le spectacle de la naissance de ces quasi-lucioles attira de nouveau le regard de l'incriminé au fond du foyer.
"-Ce que tu peux être arrogant." Renchérit Eisyleij. "Un futur Sajenti des Serres, un vrai. Déjà persuadé que tout le monde lui obéit au doigt et à l'œil.
-Je sais que tu essaies de m'aider. Mais ça ne marche pas."
Les étroites épaules de l'elfe se haussèrent.
"-Je n'essaie pas d'aider. Tu peux bien siffler une autre bouteille puis partir te peindre le cul en rouge si ça te fait plaisir. Mais je refuse que tu te penses suffisamment influent pour être le seul responsable de ce cafouillage. Nous le sommes tous, même moi.
-Tu les as défendu, toi, lorsque nous en avons parlé. Tu étais le seul."
Eisyleij acquiesça, un sourire -honnête, cette fois- en coin.
"-Parce que je suis plus clairvoyant et plus beau que vous tous, ça n'a rien de neuf. Mais je n'ai pas assez défendu mon bout de gras, semble-t-il, sans quoi les portes seraient restées ouvertes et ce taré de Kirk ne fantasmerais pas sur un nouveau collier d'oreilles fait avec les nôtres."
Ils rirent. Enfin. Quelques toussotements enjoués puis un sourire, un vrai, apparu sur le visage émacié de Leonhard.
"-J'espère que ça va, là-haut."
Eisyleij frissonna. Pour camoufler sa réaction, il se replaça sur son siège et fit craquer sa nuque endolorie à plusieurs reprises, dans l'espoir que son malaise ne soit pas trop visible. La nuit dernière, au cours des quelques rares, trop rares paroles qu'il avait échangé avec le monstre-champion des Serres qu'était Iratus, il avait eu la brève occasion de sonder le regard du loup.
A cet instant, comme toujours, l'elfe tombeur s'était attendu à découvrir, au sein de ces deux billes d'encres trop expressives, un océan de haine menaçant d'engloutir la création elle-même si celle-ci osait commettre l'erreur de le défier.
Mais l'épuisement l'avait accueilli. La fatigue. La lassitude. Voilà les seules choses qu'il avait découvert, dans les yeux enténébrés. Quelque chose de si inédit, de si contre-nature, aurait pu suffir à désarçonner l'observateur mais…ce qui lui causait un frisson, maintenant, ce n'était pas le souvenir de l'épuisement qu'il avait cru discerner au creux d'un volcan de haine, non.
C'était les larmes.
Alasker Crudelis, Berserker des Serres Pourpres, Chef des Dévoreurs, bras droit de la Griffe Impériale, avait laissé deux larmes glisser le long de ses joues couturées de cicatrices. Ces deux perles de souffrances s'étaient empressées de geler sur place, confrontées à la température extérieure, et les griffes du gantelet de leur propriétaire s’étaient chargées de les chasser avec leur brutalité coutumière.
Alors, Eisyleij avait compris. A cet instant, foudroyé par un excès de clarté, l'elfe avait su que quoiqu'il se passe "là-haut", Iratus était absolument persuadé que ses actions désespérées étaient en train d’assassiner son propre frère.
"-T'es pâle." Observa Leonhard." C'est l'alcool qui te fais ça?"
Eisyleij dodelina de la tête, chassant ces sinistres souvenirs de son esprit.
"-J'ai pas compté les verres, je crois bien. Elles sont larges ces chopes non?"
***
La lame de la hachette s’était encore une fois forrée un chemin à travers sa chair et ses veines avec une déconcertante facilité. Le bol sanglant, rempli à ras-bord, avait fait son office. Et le vampire au fond de la grotte n’avait eu de cesse de se contorsionner à sa simple senteur, sous le regard imperturbable et mesquin d’une créature faite d’ombre et de malice. Une journée entière, passée à observer un frère d’arme se lacérer contre les chaînes et la roche, sans se reposer, ni manger, en compagnie d’un démon que son être tout entier appelait désirait annihiler. Même pour lui, l’épreuve était insupportable.
Et pourtant, Iratus la supportait. Pas le choix.
“-Combien de jours, encore?” L’interrogea l’Ombre, alors même que le géant se relevait, le soleil couchant dans le dos, pour préparer son retour vers Pleurs-la-Cendre.
“-Autant qu’il le faudra.”
La réponse sembla amuser le démon. Sans rien ajouter, elle s’évapora, tout simplement. Qu’elle ait décidé de masquer sa présence où de marquer son propre départ importait peu à son seul interlocuteur véritablement conscient. Il se contenta de jeter un coup d'œil désolé en direction de la créature à la forme vaguement humaine, toujours prisonnière d’une toile de chaîne aux maillons désormais ensanglantés. Avec la fin de la journée, la température avait baissé, reprenant des habitudes quasi-hivernales. Une fine couche de givre parsemait l’armure d’airain et le visage de son porteur. Mais Deydreus s’était écorché le dos, à force de se débattre contre la roche et l’acier. Le sang chaud qui maculait la paroi derrière-lui dégageait une vapeur puant le fer et la mort ne manquant pas de faire fondre la glace se trouvant tout autour.
“-J'aimerais te dire que cette folie est bientôt terminée, Dey.” Avoua-t-il en déposant la Salvatrice sur son épaule. “J’aimerais vraiment.”
Alors, Iratus se détourna pour rejoindre la sortie de la grotte. Et commencer sa descente vers ce qui ressemblait au monde civilisé, dans la vie des Serres.
Alasker connaissait l’existence de cette créature, tout comme il pensait connaître la race dont elle était issue. L’Ombre. C’était ainsi que Deydreus la nommait. Un nom parfaitement adapté pour…Ca.
Un nuage aux formes humaines, aussi épais que la fumée s’échappant d’un bûcher funéraire, sans l’odeur atroce de viande brûlée s’échappant de ce type de joyeuseté. Et, au milieu des ténèbres la composant : deux flammes rougeoyantes, s’efforçant de singer l’expression d’un regard cruel.
Iratus n’avait jamais été un fervent partisan de la remise en question. A l’instant où son frère lui avait pour la première fois parlé de l’Ombre, le berserker aux yeux d’encre s’était mis en tête de l’en débarrasser d’un coup de hache. Inutile de posséder la sagesse d’un ancien pour reconnaître l’Ennemi dans une créature aux yeux rouges et au corps fait de ténèbres pure.
Le lieu et le moment de leur première rencontre, au milieu de cet ancien repaire de wyvern, à l’aube de la potentielle destruction de l’enveloppe torturée de son ami et frère d’arme, n’arrangeaient nullement son point de vue sur la question.
Aussi n’hésita-t-il pas même une seconde avant d’abattre la Salvatrice sur l’inquiétante silhouette de l’importun visiteur, qui ne sembla n’avoir ni le temps ni le désir d’esquisser la moindre esquive.
La hache traversa le nuage de fumée de part en part, ne parvenant qu’à troubler la netteté de la forme l’espace d’un battement de cœur. Face à l’inefficacité évidente de sa première attaque, le loup refusa d’abandonner. Il enfonça la cage-thoracique ombreuse d’un coup d’épaule, la traversant sans rencontrer la moindre résistance. Quelque chose de dangereusement proche d’un ricanement filtra du nuage animé lorsque ce dernier se reforma de nouveau, juste avant que les griffes rougeâtres d’une paire de gantelets d’airains ne viennent se refermer sur sa nuque.
Ses poings disparurent dans le nuage. Rien ne se brisa entre ses doigts. Aucun liquide vital ne vint assombrir le bronze.
Et les flammes rouges surplombant cet impossible amas de magie noire continuèrent de brûler, tout au fond d’orbites de ténèbres pures.
Un grondement monstrueux naquit du fin fond de la gorge du loup. Une plainte aussi grave et rocailleuse qu’un éboulement rocheux, qui trouvait son origine dans la rage, l’impuissance et l’incompréhension d’un prédateur ayant toujours su tuer ou, tout du moins, blesser ses adversaires, jusqu’à aujourd’hui.
Les yeux d’encres rencontrèrent le feu dansant dans le regard d’un cauchemar vivant. Puis les larges épaules du chef des Dévoreurs se haussèrent. Il se détourna, agrémentant cette décision d’un soupir las.
“-Ca valait le coup d’essayer.”
L’attention du géant se redirigea vers la forme, pitoyable et brisée, de son frère toujours emprisonné au milieu d’une toile de chaînes. Son coeur se serra jusqu’à ce qu’un faible souffle ne s’échappe des lèvres détruites du chevalier noir.
“-Il vit encore.” Confirma la chose, derrière-lui. “Bien qu’il souffre au-delà des mots.”
Les yeux noirs roulèrent dans leurs orbites alors que leur propriétaire venait vérifier l’état des pieux maintenant les chaines en place.
“-C’est toujours bon de rappeler l’évidence, hein?”
L’Ombre se déplaça jusqu’à lui, glissant sur le sol humide de la grotte dans un silence aussi total que déroutant. Nulle respiration n’émanait de son évanescente forme et le sol qu’elle foulait se refusait à manifester le moindre crissement de mécontentement. Le démon était absent, mais pourtant là. Un seul des sens surdéveloppés du loup parvenait à témoigner de sa présence ici-bas, ce qui, hélas, n’avait rien de rassurant.
Puisque tout portait à croire qu’elle choisissait de se rendre visible en cet instant et en cet instant seulement. Et si ses soupçons s’avéraient juste, alors…
Combien de fois les avait-elle suivi, en incarnant le rôle d’une silencieuse et imperceptible spectatrice ? Quels secrets avait-elle pu arracher des bouches des Serres et de leurs amis? De Deydreus, mais aussi de Zephyr, de lui-même, ou bien…
Du couple impérial?
“-Ô frère de la Griffe et fils de la lune, pourquoi refuses-tu de voir en l’Ombre une alliée?” L’interrogea le rejeton des ténèbres, sans parvenir à se départir d’une pointe de sarcasme au sein de sa voix éthérée.
Alasker se refusa à lui accorder un regard et préféra vérifier la solidité d’un chaînon en tirant dessus, déclenchant une plainte inconsciente de la part de la Griffe affaiblie.
“-Parce qu’à partir du moment où tu es venue fourrer ton sale nez dans nos affaires, des gars sont morts, Dey’ s’est fait refiler je ne sais quel genre de chaude-pisse par son ancienne compagne cinglée, qu’il n’a réussi à soigner qu’en se faisant mordre par un foutu vampire.”
Court silence.
“-Je continue?
-Corrélation n’est pas causalité.”
Un gloussement mauvais secoua la lourde carcasse du géant. Il s’éloigna de son frère supplicié, contrairement à l’Ombre, qui demeura parfaitement immobile aux côtés du vampire. Et même un inculte comme la brute ne pouvait échapper au symbolisme d'une telle scène.
La chute d’une goutte tombant d’un stalactite suspendu au plafond attira le regard enténébré d’Iratus, lui laissant le loisir d’oublier quelques instants la présence du démon hantant Deydreus. La glace commençait à fondre. L’été nordique n’allait plus tarder à poindre son nez. Bientôt, la neige céderait sa place à la boue, puis à une terre sèche, dure comme le fer. Les souvenirs confus d’une jeunesse rythmée par la vie de camp au sein de ce pays oublié des dieux lui revinrent en tête et, cette fois, aucun d’eux ne parvint à lui décrocher le moindre sourire. Ses poings se serrèrent. Les jointures de ses gantelets émirent une plainte d’agonie.
“-Sans toi, il n’aurait jamais laissé cette sangsue le transformer. Jamais je n’aurais eu à endosser ce rôle. A empêcher Serres et Dévoreurs de se sauter à la gorge. A briser mon frère pour qu’une partie de lui subsiste.
-C’est exact.” Consentie l’abomination. Une hache de lancer traversa son torse pour aller s'enfoncer dans la roche derrière-elle. L’écho de l’impact se répercuta entre les parois, puis quitta la caverne “Mais sans moi, il ne serait déjà plus ton frère. Sans moi, il serait mort.”
Alasker interrompit le tressautement de ses propres paupières en se mordant la langue. Le goût de son sang empli son palais, sans parvenir à apaiser la rage sourde dévorant son esprit. Au sein de pareil chagrin, la raison n’avait pas sa place. Un être moins accablé, moins épuisé, aurait peut-être pris le temps de comprendre ce qui avait poussé la créature de ténèbres et de malice à proposer une telle solution au chevalier noir. Mais Iratus, même dans ses meilleurs moments, n’avait toujours été que colère et rancune.
Et en ce jour précis, son courroux ne connaissait nul pareil.
“-Je ne sais pas comment. Je ne sais pas quand. Mais un jour viendra où je te tuerai, créature. Et ce jour-là, je ferai en sorte que ça dure.”
Nouveau silence.
Et puis l’Ombre acquiesça, imperturbable.
“-Mais peut-être qu’en cet instant, nous pourrions convenir d’une trêve?
-Pourquoi? Tu as quelque chose qui pourrait nous être utile?
-Non. Mais je lui avais dit que je viendrais le voir, une fois qu’il serait confronté à ses nouveaux dons.”
***
Le calme était revenu à Pleurs-la-Cendres. Serres et Dévoreurs, pourtant à deux doigts du combat fratricide, la veille, échangeaient désormais avec autant de bonne humeur et d’humour possible, au vue de la situation. Eisyleij, ami de longue date de la plupart des brutes en armures carmins, s’était perdu dès le petit matin dans une longue séance de duels amicaux avec Gatlig, le petit teigneux des berserkers, et son corps peinait depuis lors à se remettre des innombrables ecchymoses que ce jeune salopard à neuf doigts n’avait pas manqué de lui infliger. Assis sur un siège au dossier tapissé de soie et aux accotoirs richement décorés, près du feu de l’imposante cheminée réchauffant la grand salle de l’hôtel de ville, il s’efforçait désormais de réchauffer ses membres endoloris en buvant une généreuse chope d’hydromel. Léonhard, assis à sa gauche, semblait perdu dans l’observation des flammes. En quelques semaines, le plus prometteur des jeunes Serres semblait avoir pris des années. Des cernes imposantes étaient apparues autour de ses yeux. Son menton, en général parfaitement lisse, était maintenant recouvert d'une barbe de trois jours dont l'origine semblait plus venir d'un laisser aller que d'un choix stylistique et son regard de sale gosse trop sûr de lui semblait maintenant hanté par des visions et des pensées bien sombres.
La cruauté de la vie n'épargnait personne, surtout pas les humains. Leur enveloppe semblait…si prompte à faner. Eisyleij n'avait jamais compris comment des êtres aussi éphémère pouvaient ainsi faire preuve de tant de courages et d'abnégation en temps de guerre, alors même que chaque crises, chaque pertes, semblaient laisser une marque indélébile sur eux.
"-Tu commences à ressembler à un Dévoreur, Léo."
La réflexion tira sa cible de sa contemplation silencieuse. Leonhard détacha finalement ses yeux des flammes, pour mieux les diriger vers la bouteille d'hydromel qu'ils avaient ouvert, l'heure d'avant. D'un geste las, rendu maladroit par l'alcool déjà ingérée, il se saisit du contenant de verre, pour boire directement à son goulot.
Eisyleij, les jambes croisées, un sourcil haussé et un sourire factice ancré sur les lèvres, l'observa faire jusqu’à ce qu'il s'essuie la bouche et dépose la bouteille vide sur la table basse située entre eux.
"-Peut-être que ce serait une juste punition. De me voir intégrer les rangs des frères que j'ai failli renier."
Eisyleij gloussa tout en retenant un relent d'alcool. Le bruit qui en résulta fut tout sauf élégant et ce simple constat le fit grimacer.
"-Un tantinet mélodramatique. Te flageller n'arrangera rien, tu sais."
L'humain du duo pesta, posant ses coudes entre ses jambes pour fixer soudainement le sol. Pendant un court instant, son comparse crut qu'il allait vomir. Mais à la place, Leonhard se contenta de poursuivre, la mort dans l'âme.
"-C'est la vérité, pourtant. Une petite crise, une seule, et j'ai entraîné les nôtres dans…
-Tu n'as rien entraîné du tout." Le coupa Eisyleij. "Tu as peut-être une certaine influence, Léo, mais ne crois pas que tes paroles sont à l'origine de la décision de Mitch, Gorrek ou Ikaryon. Les portes de la ville sont demeurées closes lorsque nos frères enragés sont arrivés parce que nous avons fait ce que chaque soldat fait en se sentant nerveux : chercher un ennemi."
La bûche dans la cheminée craqua, puis se fendit en deux, projetant braises et cendres incandescentes tout autour d'elle.
Le spectacle de la naissance de ces quasi-lucioles attira de nouveau le regard de l'incriminé au fond du foyer.
"-Ce que tu peux être arrogant." Renchérit Eisyleij. "Un futur Sajenti des Serres, un vrai. Déjà persuadé que tout le monde lui obéit au doigt et à l'œil.
-Je sais que tu essaies de m'aider. Mais ça ne marche pas."
Les étroites épaules de l'elfe se haussèrent.
"-Je n'essaie pas d'aider. Tu peux bien siffler une autre bouteille puis partir te peindre le cul en rouge si ça te fait plaisir. Mais je refuse que tu te penses suffisamment influent pour être le seul responsable de ce cafouillage. Nous le sommes tous, même moi.
-Tu les as défendu, toi, lorsque nous en avons parlé. Tu étais le seul."
Eisyleij acquiesça, un sourire -honnête, cette fois- en coin.
"-Parce que je suis plus clairvoyant et plus beau que vous tous, ça n'a rien de neuf. Mais je n'ai pas assez défendu mon bout de gras, semble-t-il, sans quoi les portes seraient restées ouvertes et ce taré de Kirk ne fantasmerais pas sur un nouveau collier d'oreilles fait avec les nôtres."
Ils rirent. Enfin. Quelques toussotements enjoués puis un sourire, un vrai, apparu sur le visage émacié de Leonhard.
"-J'espère que ça va, là-haut."
Eisyleij frissonna. Pour camoufler sa réaction, il se replaça sur son siège et fit craquer sa nuque endolorie à plusieurs reprises, dans l'espoir que son malaise ne soit pas trop visible. La nuit dernière, au cours des quelques rares, trop rares paroles qu'il avait échangé avec le monstre-champion des Serres qu'était Iratus, il avait eu la brève occasion de sonder le regard du loup.
A cet instant, comme toujours, l'elfe tombeur s'était attendu à découvrir, au sein de ces deux billes d'encres trop expressives, un océan de haine menaçant d'engloutir la création elle-même si celle-ci osait commettre l'erreur de le défier.
Mais l'épuisement l'avait accueilli. La fatigue. La lassitude. Voilà les seules choses qu'il avait découvert, dans les yeux enténébrés. Quelque chose de si inédit, de si contre-nature, aurait pu suffir à désarçonner l'observateur mais…ce qui lui causait un frisson, maintenant, ce n'était pas le souvenir de l'épuisement qu'il avait cru discerner au creux d'un volcan de haine, non.
C'était les larmes.
Alasker Crudelis, Berserker des Serres Pourpres, Chef des Dévoreurs, bras droit de la Griffe Impériale, avait laissé deux larmes glisser le long de ses joues couturées de cicatrices. Ces deux perles de souffrances s'étaient empressées de geler sur place, confrontées à la température extérieure, et les griffes du gantelet de leur propriétaire s’étaient chargées de les chasser avec leur brutalité coutumière.
Alors, Eisyleij avait compris. A cet instant, foudroyé par un excès de clarté, l'elfe avait su que quoiqu'il se passe "là-haut", Iratus était absolument persuadé que ses actions désespérées étaient en train d’assassiner son propre frère.
"-T'es pâle." Observa Leonhard." C'est l'alcool qui te fais ça?"
Eisyleij dodelina de la tête, chassant ces sinistres souvenirs de son esprit.
"-J'ai pas compté les verres, je crois bien. Elles sont larges ces chopes non?"
***
La lame de la hachette s’était encore une fois forrée un chemin à travers sa chair et ses veines avec une déconcertante facilité. Le bol sanglant, rempli à ras-bord, avait fait son office. Et le vampire au fond de la grotte n’avait eu de cesse de se contorsionner à sa simple senteur, sous le regard imperturbable et mesquin d’une créature faite d’ombre et de malice. Une journée entière, passée à observer un frère d’arme se lacérer contre les chaînes et la roche, sans se reposer, ni manger, en compagnie d’un démon que son être tout entier appelait désirait annihiler. Même pour lui, l’épreuve était insupportable.
Et pourtant, Iratus la supportait. Pas le choix.
“-Combien de jours, encore?” L’interrogea l’Ombre, alors même que le géant se relevait, le soleil couchant dans le dos, pour préparer son retour vers Pleurs-la-Cendre.
“-Autant qu’il le faudra.”
La réponse sembla amuser le démon. Sans rien ajouter, elle s’évapora, tout simplement. Qu’elle ait décidé de masquer sa présence où de marquer son propre départ importait peu à son seul interlocuteur véritablement conscient. Il se contenta de jeter un coup d'œil désolé en direction de la créature à la forme vaguement humaine, toujours prisonnière d’une toile de chaîne aux maillons désormais ensanglantés. Avec la fin de la journée, la température avait baissé, reprenant des habitudes quasi-hivernales. Une fine couche de givre parsemait l’armure d’airain et le visage de son porteur. Mais Deydreus s’était écorché le dos, à force de se débattre contre la roche et l’acier. Le sang chaud qui maculait la paroi derrière-lui dégageait une vapeur puant le fer et la mort ne manquant pas de faire fondre la glace se trouvant tout autour.
“-J'aimerais te dire que cette folie est bientôt terminée, Dey.” Avoua-t-il en déposant la Salvatrice sur son épaule. “J’aimerais vraiment.”
Alors, Iratus se détourna pour rejoindre la sortie de la grotte. Et commencer sa descente vers ce qui ressemblait au monde civilisé, dans la vie des Serres.
Le Chevalier Noir
Deydreus Fictilem
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Info personnage
Race: Vampire
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Griffe
Accroché contre le mur, Deydreus n'avait que peu suivi les échanges entre l'Ombre et le Loup. Rongé par la douleur, la soif et la folie, le vampire n'avait cessé de s'écorcher la peau sur les chaînes rouillées par son propre sang, de se frapper contre la roche glacée. Son esprit voulait lutter, combattre le mal insidieux qui rongeait son corps tandis que son enveloppe souhaitait se libérer de ces liens ferreux pour venir mordre et dévorer ce qu'elle pouvait. A mesure que les minutes défilaient, que les sables du temps s'écoulaient... Deydreus perdait du terrain. Il sombrait dans un abîme sans fond duquel il n'était pas certain de pouvoir revenir. Alasker l'avait prévenu. "Tu vas perdre". Tout ça pour pouvoir rebondir. Regagner l'humanité qu'il avait rejeté. Mais... En était-il seulement capable? L'être aux yeux vairons doutait rarement de ses propres capacités. Mais... Il n'avait jamais fait face à cela. Il n'avait jamais dut lutter contre lui même. Pas sous cette forme. Pas comme ça. Levant péniblement la tête, la vision du vampire était floue, incertaine. Des formes de son ami et de sa conseillère ombreuse, il ne restait à présent que de sombres tâches parsemant une aura lumineuse vacillante. Dans son esprit, de puissantes vagues de douleur venaient tambouriner ses tempes lui étirant systématiquement des grimaces désagréables. Sa gorge, asséchée, semblait lui brûler l'intérieur alors qu'il ne laissait échapper de cette dernière que des grognements gutturaux et de faibles gémissements. Deydreus souffrait. Plus que jamais. Mais il savait, qu'il n'y avait que comme cela qu'il pourrait vaincre. Qu'il pourrait dominer son sang maudit. Quelque chose bougea devant lui, provoquant une nouvelle réaction de son corps torturé. Un crissement métallique, des pieux et crochets s'enfonçant de nouveau dans la roche... Et une nouvelle vague de haine, de souffrance et d'angoisse. Puis, dans un nouvel éclat de lucidité, un choc brutal contre le mur sur lequel il était plaqué. Une violence qu'il s'imposait afin de, peut être, pouvoir sombrer dans une inconscience apaisante.
*
* *
* *
Rouvrant soudainement les yeux, Deydreus se trouvait dans une salle vide. Revêtu de son armure, le chevalier d'ébène observa rapidement ses alentours. Il était seul. Seul et oublié dans un monde enténébré. Sa propre conscience. Son propre esprit. De nouveau, il avait plongé au cœur de sa psyché. De nouveau, il se préparait à affronter la malédiction qui le touchait. Ainsi, c'est dans un écho répété que ses pas vinrent briser le silence. Les bottes frappant le marbre noir. L'armure cliquetant doucement au gré de ses mouvements. Puis, les ténèbres se dissipèrent un peu. De l'obscurité, il ne restait bientôt plus que des amoncellements de corps gémissants. Des ennemis terrassés dans d'anciennes batailles. Des innocents sacrifiés. Des frères d'armes tombés au champ d'honneur. Tous se tournaient vers lui. Tous l'implorait d'abandonner. De se complaire dans ce qu'il était depuis toujours: un monstre. Deydreus les ignora, continuant de marcher dans cet Elysée macabre.
Au bout d'un temps qui lui parut infini, le vampire quitta finalement ce sordide spectacle pour rejoindre une grande pièce. Si autrefois, sa vision lui imposa une arène étrange, c'est cette fois dans une sorte de mémorial que le reikois aux deux lames entra. Et à l'intérieur, plus aucun gémissement. Plus aucun râle d'agonie. Seulement le silence. Froid, et infini, de la Mort elle même.
Arrivant au centre de la pièce, les yeux bicolores du guerrier se posèrent sur les différentes colonnes qui entouraient la figure centrale. Des piliers de marbre noir, qui venait enrichir la décoration noble de la pièce. Entre ces dites colonnes, une grande figures venait poser son regard sur le nouvel arrivant. Une femme, au corps majestueux et noble, dominant deux figuères angéliques recourbées sur elles même et dont les ailes sanguines venaient s'étendre en un long réseau de filaments sanguins. Puis, derrière la statue, ce même réseau s'étendant vers le plafond, rejoint par une grande succession de mains et bras venant embrasser la figure féminine. Enfin, aux pieds de cette dernière, se trouvait un grand calice. Comme un réceptacle sacré attendant son offrande. Le sol, quant à lui, avait troqué sa robe marbrée pour revêtir un tapis sanguinolent qui vibrait à chaque pas du chevalier maudit.
- Elle est splendide. Et le souvenir que tu en gardes est aussi beau que mélancolique.
Se retournant subitement, le vampire haussa un sourcil en remarquant Tensai qui s'avançait vers lui. Droit et fier, le drakyn empereur vint se poser aux côtés du chevalier d'ébène, observant à son tour la statue ensanglantée.
- Je n'imagine pas ce que tu as dut ressentir en ôtant la vie à celle que tu aimais. Talia... Son sort semble résonner étrangement avec le tien. Deux âmes liées par un mal ancestrale. Deux issues différentes.
- Je me demande parfois si les choses auraient pu être différentes. Si en agissant autrement, elle aurait pu être sauvée. J'y suis parvenu. Alors peut-être qu'elle aussi...
- Non. La réponse tonna dans la pièce comme un orage déchirant le ciel. Vos destins ne sont pas les mêmes. Et tu as agit avant que la malédiction ne ronge entièrement ton âme. Le drakyn se tourna vers le vampire, déposant sa main sur son épaule. Tu as fait ce que tu devais faire. Tu l'as sauvée en lui ôtant la vie.
- Peut-être bien. Mais peut-être aussi qu'il s'agit là d'une des rares âmes que j'aurais préféré ne pas ajouter au charnier.
Le chevalier sombre reporta alors son attention sur la statue. Silencieux. A ses côtés, la forme de l'Empereur ondula doucement, changeant de forme afin de prendre les traits de l'être aux yeux vairons.
- Il existe une solution, Deydreus. Un échappatoire aussi doux que simpliste. Abandonne toi à ta Soif. Abandonne toi au Sang Béni. Pourquoi lutter? Pourquoi renier ce que tu es devenu? Tôt ou tard, tu céderas. Peut-être dans cent ans. Peut-être dans quelques heures. Alors, plutôt que de t'infliger tous ces malheurs. Accepte moi. Accepte toi. Et tout te semblera plus simple.
- En effet.
Le reikois se tourna vers son propre reflet, s'observant quelques instants. Sur son visage, les traces d'anciennes batailles se matérialisaient en ses trois cicatrices. Dans ses yeux adoptant la létalité du poison et le froid mordant du grand nord, on pouvait lire toute la mélancolie qui le frappait actuellement ainsi que toute la détermination qui le faisait avancer. Ses traits étaient là, identiques. C'était son autre lui qui l'observait. Une image miroir d'un homme ayant accepté sa nature bestiale. Ayant décidé de l'embrasser pleinement. Alors... Pourquoi se sentait-il aussi différent de lui?
- Mais je refuse de prendre cette voie. Je refuse de céder. De perdre le contrôle. D'être un esclave de mes propres pulsions. Un pantin animé par la soif de sang. Je te vaincrai. Sois en certain. Et je te soumettrai à ma volonté.
- C'est ce que nous allons voir, héraut de la Mère. Héraut du sang.
Un choc violent. Sourd. Puissant. Qui projeta Deydreus au travers de la pièce. S'effondrant contre un candélabre argenté, le bretteur sentit son corps subir le choc à de multiples endroits. Une douleur vive, lancinante, qui le força à jurer. De l'autre côté de la pièce, son image dégainait silencieusement ses deux épées. Un nouveau duel. Comme lors de sa dernière vision. Une épreuve de sa propre conscience, lui paraissant pourtant tellement réelle. Grognant sous sa propre douleur, le guerrier se releva, attrapant machinalement les deux lames qui siégeaient dans son dos. S'il devait s'affronter pour gagner sa liberté, alors soit, il se combattrait jusqu'à la mort. A vrai dire, le reikois préférait bien mourir ainsi que de disparaitre, emporté par sa propre folie. Se penchant alors subitement en avant, le bretteur laissa un léger sourire glisser sur ses lèvres alors que son jumeau s'élançait contre lui. Ce duel marquerait la fin de sa souffrance. Ou la fin de son existence.
Debout, Deydreus haletait. A ses pieds, un corps sans vie et méconnaissable laissait de grandes quantité de sang rejoindre le sol déjà ensanglanté de la pièce rituel. Le vampire, quant à lui, ne ressentait que de la douleur. Ses muscles le brûlaient, réclamant un repos qu'il ne leur accordait pas. Sa peau, déchirée par ses propres lames, peinait à se refermer tandis que son raisiné venait la teindre d'une couleur vermeil. Ses yeux, fatigués, provoquaient dans son crâne une migraine insupportable. Et pourtant, ses traits étaient déformés dans un sourire fou. Il était là. Affaibli. Blessé. Epuisé. Mais il était là. Il avait surmonté son double. Mais au bout de combien de temps? Il n'aurait sut le dire. En fait, dans cette salle, le temps semblait suspendu. Il n'était pas revenu à lui. Il n'avait pas rouvert les yeux sur cette grotte maudite et sur les chaines qui l'entravaient. Mais... Du temps s'était écoulé. Obligatoirement. Laissant tomber ses deux épées qui devenaient trop lourde, le chevalier maudit traîna sa carcasse fourbue jusqu'au réceptacle qui siégeait aux pieds de la statue. Depuis le duel, Deydreus avait lutté contre sa malédiction. Il avait lutté contre son propre sang. Contre ce mal insidieux qui coulait dans ses propres veines. A présent, il commençait à comprendre. A réaliser que la bête qui se terrait dans son esprit et qui réclamait sa pitance n'était pas à craindre. Qu'elle se soumettrait. Comme il venait de soumettre son double. Le sang était la clé. Et maintenant, Deydreus comprenait qu'il devrait s'en nourrir pour continuer d'avancer. Enlevant ses protections, le vampire tendit un bras à présent nu au dessus du calice. Puis, silencieusement, il s'ouvrit les veines avec la dague siégeant à l'intérieur. Le liquide rubis coula vivement, remplissant le fond de ce bol étrange rapidement alors que la statue se désagrégeait peu à peu. Puis, devant les yeux du reikois, la réalité se troubla de nouveau.
*
* *
* *
Recroquevillé au fond de la grotte, Deydreus ouvrit les yeux sur deux grands voiles rouges et membranés. Une paire d'ailes, attachées à son propre corps, et qui le masquait des faibles rayons qui s'engouffraient dans la grotte. Autour de lui, et même s'il ne le voyait pas, les chaines avaient été déchiquetés, découpées. Sur les murs, de grandes traces de lacérations venaient s'ajouter aux sol marqué d'une magie sanguine s'étant manifestée de manière impulsive. Puis, venait l'odeur. Un arôme âcre et désagréable provenant de son propre corps et qui rappelait au guerrier une estimation du temps passé dans l'antre de la torture. Un grognement, désagréable, alors que la migraine refusait de le quitter. Puis enfin, une ombre déchirant l'aura lumineuse de l'entrée. Une bête aux traits plus ou moins humains. Une silhouette d'airain qu'il reconnut même au travers de ses ailes membranées.
- Ce soleil est une véritable plaie. Il faudra que j'apprenne à le supporter de nouveau.
La voix était faible. Cassante. Mais saine. Dépliant ses ailes, le vampire ancra ses perles bicolores dans les yeux enténébrés de son plus vieil ami. Sur son visage, un sourire fatigué accueillit le lycantrhope tandis qu'il tentait de se relever. Faible. Hésitant dans ses mouvements. Son corps portait les marques de nombreuses déchirures et autres plaies auto-infligées. Ses muscles le brûlaient, vindicatifs face à une malnutrition qu'il s'était lui même imposé. Posant finalement sa dextre cristalline sur la roche glacée, le vampire laissa un long soupir quitter sa gorge. Puis, reportant de nouveau son attention vers son frère lycan, il prit de nouveau la parole.
- Combien de temps? Combien de jours sont passés Alasker?
Deux pas vers son ami, des ailes se repliant avant de disparaître. Puis, il tomba à genoux, ses cheveux de jais glissant sur son visage barbu.
- Ce qui rôde dans mon esprit semble... Apaisé. Dominé. C'est toujours là, quelque part, attendant que je lui cède du terrain mais... Je suis moi. Pleinement... Moi. Il soupira de nouveau, relevant la tête vers son plus fidèle allié tandis qu'un sourire las s'installait sur ses lèvres. J'espère que les gars ne t'ont pas trop fait suer.
- Apparence des épées de Deydreus:
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Alasker Crudelis
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Il n’existait pas de mots pour définir un tel niveau d’épuisement. Le loup se souvenait du jour où ce macabre rituel avait commencé, mais pas du moment où ce dernier était devenu, pour lui, une habitude. Y penser revenait à s'appesantir plus que nécessaire sur la question, donc à laisser son esprit dériver, et Iratus ne pouvait plus se permettre ce type de relâchement maintenant que Serres Pourpres comme Dévoreurs attendaient de lui, chaque jours, ordres, permissions et nouvelles, tous délivrés d’une voix n’empestant pas le doute qu’il ressentait en permanence, et la crainte de découvrir le cadavre de Deydreus au fond de cette antre de souffrance primitive. Après la première semaine, le seigneur des bouchers en armure écarlate avait abandonné l’idée de faire couler son propre sang, chaque matinée, conscient que l’état de constant délire dans lequel son frère se trouvait ne connaissait, de toute façon, plus aucune limite. A la fin de la deuxième semaine, sa simple arrivée suffisait à ce que le vampire s’écorche presque totalement contre la paroi derrière-lui. Le bruit de claquement répété de ses mâchoires aux canines hypertrophiées attisait le propre instinct de survie d’Iratus, et, lors des nuits de pleine lune, Iratus s’étaient vus contraints de lutter à la fois contre le désespoir et sa propre part animale, qui lui hurlait de décapiter cet autre prédateur du genre humain, avant que son parasite d’ombre ne le transforme en un cauchemar éveillé, ou que sa folie ne fasse de lui une goule à l’appétit infini. Bien souvent, le tranchant de sa hache lui avait paru bien doux, en comparaison du calvaire constant que subissait son frère, et jamais la Salvatrice n’aurait aussi bien porté son nom.
Mais Deydreus s’était accroché à la vie. Alors, le géant d’airain avait retenu ses coups.
Et maintenant, Iratus se sentait vieux.
Épuisé par le poids d’une culpabilité impossible, par une promesse qu’il avait de moins en moins la force ou la volonté de tenir. L’appétit, pour la première fois en des décennies d’existence, venait à lui manquer. Sa conversation, parmi les Serres, était devenue monosyllabique, pour ne pas dire inexistante. Ils l’avaient tous senti, ces derniers jours. L’heure de la décision - de la mise à mort - n’allait plus tarder, car même le plus cruel des bouchers ne pouvait imaginer condamner à la souffrance éternelle son frère. Cette aube-là, en entamant son ascension pour la dix-neuvième fois consécutive, Alasker l’avait prise, la damnée et ô combien crainte décision. Les mains serrées sur la hampe de la Salvatrice, ses mâchoires verrouillées en une grimace de rage destinée à la terre entière, il s’était élancé vers les hauteurs où l’attendaient les restes en lambeaux de ce qui avait été un héros, bien décidé à ne pas salir sa mémoire en y mettant fin de la plus digne des façons, après tout ce gâchis. Personne n’avait même cherché à l’en empêcher ou à, simplement, le convaincre de changer d’avis. Puisque l’espoir s’en était allé depuis un certain temps, maintenant.
Mais le temps n'était, semblait-il, pas aux effusions de sang fraternelles. A moins, bien sûr, que cette fichue ombre -les titans seuls savaient où l'insupportable engeance était partie se cacher- n'ait concocté un quelconque maléfice obstruant sa vision comme ses pensées. Son frère l'avait salué en se plaignant du soleil, comme lui-même l'avait fait un nombre incalculable de fois dans le désert. Des ailes l'encadraient. Membraneuses. Sanglantes. Aussi répugnantes et peu naturelles que celles de Nox, à l'époque de l'arène, mais sans les crochets empoisonnés. Le visage de son frère, certes marqué par trois semaines d'automutilation et de…maladie, ne témoignait d'aucune mutation inhumaine et…
La folie ne semblait pas avoir consumé les parois de son esprit.
Un autre que lui aurait laissé tomber sa hache pour serrer dans ses bras ce frère qu'il pensait perdu. Un autre qu'Iratus se serait perdu dans les manifestations de joie et aurait célébré vocalement ce don des cieux, cet ultime et bienvenu retournement de situation.
Mais le loup en lui se méfiait de cette créature. Rien ne plongeait plus dans la confusion l'esprit étriqué d'un prédateur que la présence d'un autre nouveau prédateur sur son territoire.
Alors, malgré tout son soulagement, malgré toute l'allégresse qu'une telle nouvelle lui provoquait. Le géant d'airain recula d'un pas, grimaça un sourire en posant ses deux mains sur une Salvatrice plantée dans le sol rocailleux et souffla :
“-Heureusement qu'y a pas de miroir. Tu verrais la gueule que tu tires.”
Un court silence s’installa alors qu’un vent sec, glaçant, venait s’engouffrer dans les profondeurs de la caverne. Dehors, la neige avait disparu, laissant à l’air libre une terre calcaire parsemée de silex et de mousse. L’hiver mourrait, lentement mais sûrement, et si le froid demeurait, ce dernier devenait moins mordant, excepté dans les hauteurs, comme ici.
Les terres nordiques n’en paraissaient pas plus belles pour autant, au contraire. Si quelques nuances de vert daignaient apparaître ici et là sous forme d’épineux, tout le plateau autour de Pleurs-la-Cendres se voyait encerclé par une roche noire et une terre tantôt sèche, tantôt boueuse, mais toujours stérile. Un territoire à jamais marqué par sa nature profonde, ne subsistant qu’en faisant preuve d’un ersatz de vie à l’heure d’un supposé renouveau…Alasker se refusait à voir un parallèle pourtant évident se dessiner ici-bas, de peur qu’il soit annonciateur d’une nouvelle salve de mauvaises nouvelles. Pâle comme la mort qu'il avait refusé par courage ou par fierté, le vampire le fixait, un sourire en coin, manifestement inconscient des dommages que son corps avait subi, au cours de ces trois semaines de supplice. Deydreus ne tremblait pas, paraissait aussi serein que la situation le lui permettait.
Il gardait la tête froide, comme avant.
L'espace d'un battement de cœur, le loup s'imagina que son frère, désormais “guéri” allait simplement se dégourdir les jambes, revêtir son armure, puis marcher hors de cette grotte sans jamais se retourner. Mais au deuxième pas, son propre poids l'emporta en avant, le forçant à se mettre à genoux.
Et avec une netteté déchirante, la vision de ce jour, dans l'arène, où le chevalier noir s'était battu contre Tensaï lui-même, s'était superposé à celle de l'instant présent.
Ils avaient tous retenu leur souffle, à l'époque. Lorsque la lame de l'empereur avait emporté le bras du fondateur des Serres Pourpres, Eisyleij, Léonhard, Mitch et Gorrek avaient, à l'instant, porté la main à leurs armes. Alasker, pour sa part, avait envisagé avec tout le sérieux du monde d'escalader le mur de grilles séparant l'arène des gradins pour venir fracasser la Salvatrice dans le dos de cet empereur imbécile qui venait de saboter lui-même son futur général.
Pour avoir sondé le regard de chaque Serres présents durant cette damnée journée, il savait pertinemment que chacun d'eux l'aurait fait, si Deydreus avait cédé, cette nuit. Si il avait chu, que ses jambes s'étaient dérobées, qu'un de ses genoux avait foulé le sable rouge, alors, ils se seraient tous jetés en avant.
Mais Deydreus avait tenu. En ce jour, où le chevalier noir avait choisi de devenir l’avatar des valeurs martiales et morales de leur groupe, il avait tenu. Parce qu’après tout, qu'était-ce qu'un démembrement face à la détermination des Serres Poupres, à la rage éternelle des Dévoreurs? Le combat avait continué. Alors, cet instant maudit, qui aurait pu marquer la fin de la troupe, était devenu un jour de gloire, de victoire, de défi, jeté au visage même de la vie comme de la mort. Et les guerriers de la bande, pourtant sur le pied de guerre, s'étaient finalement contentés de l’acclamer non pas comme un héros, mais comme un frère.
Ce même frère qui peinait maintenant à simplement tenir sur ses jambes, son âme d'homme à jamais souillée par la morsure d'une créature maudite…et par les conseils avisés d'un putain de nuage au sourire sardonique. Comme la chute semblait haute et injuste, désormais.
Le géant ne se précipita pas tout de suite. Fasciné par un spectacle aussi morbide, il demeura interdit durant de longues et précieuses secondes au cours desquelles son ami exsangue s'épuisa un peu plus en le rassurant sur sa clarté d'esprit retrouvée.
Ce ne fut que lorsqu'un soupir filtra d'entre les lèvres froides et mouchetées de sang du vampire qu'Alasker s'avança. Les gantelets d'airains saisirent la Griffe par les épaules avec urgence, le soulevant sans effort pour l'emmener s'asseoir contre la paroi, dans l'ombre, à l'abri du soleil.
“-Reprends tes forces.” Ça n'était pas une invitation, encore moins une suggestion. La dureté de ses traits burinés s'évapora le temps d'un sourire franc, le premier qu'il s'accordait depuis des semaines. “J'sais pas comment tu fais pour supporter ce tas de pleureuses. Y'a pas un jour où ils ne se plaignent pas.” Le regard d'encre sonda l'armure noire déposée près des restes du nid abandonné, puis glissa de nouveau jusqu'à son porteur attitré, avachi contre la roche. Il s'agenouilla pour lui faire face.“Un peu moins d'un mois, mon ami. Ça a duré plus longtemps que prévu, mais c'est pas une science exacte, de toute façon hein? C'est bon de te revoir, mon frère.” Un rire nerveux secoua le géant, qui réfréna son hilarité en tapotant l'épaule dudit frère avant de se redresser.“On reçoit…pas mal de lettres, en ce moment. ‘Faut croire que tu leur manque, à Ikusa. Mais ça attendra. D'abord…Reprends des forces. Et une fois que t'auras repris ces foutues forces, va falloir que tu enfiles cette armure et que tu planques ta gueule de goule derrière sa visière le temps de te refaire une beauté. Les gars vont déjà avoir du mal à comprendre les ailes, pas la peine d'en rajouter.”
Alasker se refusa à jeter un nouveau coup d'œil à son ami, de peur que ce dernier découvre un soupçon de pitié dans son regard d’habitude si courroucé. A la place, il préféra s’éloigner de l’obscurité pour profiter de la chaleur toute relative du soleil et contempler la pente descendante qu’ils allaient tôt ou tard être obligés de descendre. Le dégel récent, en contrebas, l’avait rendue glissante au possible. Il espérait sincèrement que Deydreus serait capable de descendre par lui-même puisque le moral des Serres risquait fort de flancher un peu plus en voyant leur commandant revenir, transformé en monstre et trop faible pour mettre un pied devant l’autre.
Et même en cas de descente “sans faute”, les questions allaient pleuvoir sur un Deydreus à peine remis. Il paraissait pleinement conscient jusqu’à maintenant, mais les possibilités d’une rechute, au milieu d’un foyer de cœurs battants et juteux étaient loin d’être minces. Combien de temps allait-il devoir le garder en observation? A quel moment le chevalier noir serait de nouveau capable de se battre au milieu des siens sans ressentir le besoin malsain de tuer ses propres frères? Ça pouvait prendre du temps. Énormément, de temps.
Après tout, Iratus lui-même n’avait jamais réussi à perdre complètement ce désir, après toutes ces années.
Jamais une guérison ne lui avait parue si douce-amère.
“-Prends ton temps. On n'est pas pressés.” Gronda-t-il, de la manière la plus neutre possible.
Mais Deydreus s’était accroché à la vie. Alors, le géant d’airain avait retenu ses coups.
Et maintenant, Iratus se sentait vieux.
Épuisé par le poids d’une culpabilité impossible, par une promesse qu’il avait de moins en moins la force ou la volonté de tenir. L’appétit, pour la première fois en des décennies d’existence, venait à lui manquer. Sa conversation, parmi les Serres, était devenue monosyllabique, pour ne pas dire inexistante. Ils l’avaient tous senti, ces derniers jours. L’heure de la décision - de la mise à mort - n’allait plus tarder, car même le plus cruel des bouchers ne pouvait imaginer condamner à la souffrance éternelle son frère. Cette aube-là, en entamant son ascension pour la dix-neuvième fois consécutive, Alasker l’avait prise, la damnée et ô combien crainte décision. Les mains serrées sur la hampe de la Salvatrice, ses mâchoires verrouillées en une grimace de rage destinée à la terre entière, il s’était élancé vers les hauteurs où l’attendaient les restes en lambeaux de ce qui avait été un héros, bien décidé à ne pas salir sa mémoire en y mettant fin de la plus digne des façons, après tout ce gâchis. Personne n’avait même cherché à l’en empêcher ou à, simplement, le convaincre de changer d’avis. Puisque l’espoir s’en était allé depuis un certain temps, maintenant.
Mais le temps n'était, semblait-il, pas aux effusions de sang fraternelles. A moins, bien sûr, que cette fichue ombre -les titans seuls savaient où l'insupportable engeance était partie se cacher- n'ait concocté un quelconque maléfice obstruant sa vision comme ses pensées. Son frère l'avait salué en se plaignant du soleil, comme lui-même l'avait fait un nombre incalculable de fois dans le désert. Des ailes l'encadraient. Membraneuses. Sanglantes. Aussi répugnantes et peu naturelles que celles de Nox, à l'époque de l'arène, mais sans les crochets empoisonnés. Le visage de son frère, certes marqué par trois semaines d'automutilation et de…maladie, ne témoignait d'aucune mutation inhumaine et…
La folie ne semblait pas avoir consumé les parois de son esprit.
Un autre que lui aurait laissé tomber sa hache pour serrer dans ses bras ce frère qu'il pensait perdu. Un autre qu'Iratus se serait perdu dans les manifestations de joie et aurait célébré vocalement ce don des cieux, cet ultime et bienvenu retournement de situation.
Mais le loup en lui se méfiait de cette créature. Rien ne plongeait plus dans la confusion l'esprit étriqué d'un prédateur que la présence d'un autre nouveau prédateur sur son territoire.
Alors, malgré tout son soulagement, malgré toute l'allégresse qu'une telle nouvelle lui provoquait. Le géant d'airain recula d'un pas, grimaça un sourire en posant ses deux mains sur une Salvatrice plantée dans le sol rocailleux et souffla :
“-Heureusement qu'y a pas de miroir. Tu verrais la gueule que tu tires.”
Un court silence s’installa alors qu’un vent sec, glaçant, venait s’engouffrer dans les profondeurs de la caverne. Dehors, la neige avait disparu, laissant à l’air libre une terre calcaire parsemée de silex et de mousse. L’hiver mourrait, lentement mais sûrement, et si le froid demeurait, ce dernier devenait moins mordant, excepté dans les hauteurs, comme ici.
Les terres nordiques n’en paraissaient pas plus belles pour autant, au contraire. Si quelques nuances de vert daignaient apparaître ici et là sous forme d’épineux, tout le plateau autour de Pleurs-la-Cendres se voyait encerclé par une roche noire et une terre tantôt sèche, tantôt boueuse, mais toujours stérile. Un territoire à jamais marqué par sa nature profonde, ne subsistant qu’en faisant preuve d’un ersatz de vie à l’heure d’un supposé renouveau…Alasker se refusait à voir un parallèle pourtant évident se dessiner ici-bas, de peur qu’il soit annonciateur d’une nouvelle salve de mauvaises nouvelles. Pâle comme la mort qu'il avait refusé par courage ou par fierté, le vampire le fixait, un sourire en coin, manifestement inconscient des dommages que son corps avait subi, au cours de ces trois semaines de supplice. Deydreus ne tremblait pas, paraissait aussi serein que la situation le lui permettait.
Il gardait la tête froide, comme avant.
L'espace d'un battement de cœur, le loup s'imagina que son frère, désormais “guéri” allait simplement se dégourdir les jambes, revêtir son armure, puis marcher hors de cette grotte sans jamais se retourner. Mais au deuxième pas, son propre poids l'emporta en avant, le forçant à se mettre à genoux.
Et avec une netteté déchirante, la vision de ce jour, dans l'arène, où le chevalier noir s'était battu contre Tensaï lui-même, s'était superposé à celle de l'instant présent.
Ils avaient tous retenu leur souffle, à l'époque. Lorsque la lame de l'empereur avait emporté le bras du fondateur des Serres Pourpres, Eisyleij, Léonhard, Mitch et Gorrek avaient, à l'instant, porté la main à leurs armes. Alasker, pour sa part, avait envisagé avec tout le sérieux du monde d'escalader le mur de grilles séparant l'arène des gradins pour venir fracasser la Salvatrice dans le dos de cet empereur imbécile qui venait de saboter lui-même son futur général.
Pour avoir sondé le regard de chaque Serres présents durant cette damnée journée, il savait pertinemment que chacun d'eux l'aurait fait, si Deydreus avait cédé, cette nuit. Si il avait chu, que ses jambes s'étaient dérobées, qu'un de ses genoux avait foulé le sable rouge, alors, ils se seraient tous jetés en avant.
Mais Deydreus avait tenu. En ce jour, où le chevalier noir avait choisi de devenir l’avatar des valeurs martiales et morales de leur groupe, il avait tenu. Parce qu’après tout, qu'était-ce qu'un démembrement face à la détermination des Serres Poupres, à la rage éternelle des Dévoreurs? Le combat avait continué. Alors, cet instant maudit, qui aurait pu marquer la fin de la troupe, était devenu un jour de gloire, de victoire, de défi, jeté au visage même de la vie comme de la mort. Et les guerriers de la bande, pourtant sur le pied de guerre, s'étaient finalement contentés de l’acclamer non pas comme un héros, mais comme un frère.
Ce même frère qui peinait maintenant à simplement tenir sur ses jambes, son âme d'homme à jamais souillée par la morsure d'une créature maudite…et par les conseils avisés d'un putain de nuage au sourire sardonique. Comme la chute semblait haute et injuste, désormais.
Le géant ne se précipita pas tout de suite. Fasciné par un spectacle aussi morbide, il demeura interdit durant de longues et précieuses secondes au cours desquelles son ami exsangue s'épuisa un peu plus en le rassurant sur sa clarté d'esprit retrouvée.
Ce ne fut que lorsqu'un soupir filtra d'entre les lèvres froides et mouchetées de sang du vampire qu'Alasker s'avança. Les gantelets d'airains saisirent la Griffe par les épaules avec urgence, le soulevant sans effort pour l'emmener s'asseoir contre la paroi, dans l'ombre, à l'abri du soleil.
“-Reprends tes forces.” Ça n'était pas une invitation, encore moins une suggestion. La dureté de ses traits burinés s'évapora le temps d'un sourire franc, le premier qu'il s'accordait depuis des semaines. “J'sais pas comment tu fais pour supporter ce tas de pleureuses. Y'a pas un jour où ils ne se plaignent pas.” Le regard d'encre sonda l'armure noire déposée près des restes du nid abandonné, puis glissa de nouveau jusqu'à son porteur attitré, avachi contre la roche. Il s'agenouilla pour lui faire face.“Un peu moins d'un mois, mon ami. Ça a duré plus longtemps que prévu, mais c'est pas une science exacte, de toute façon hein? C'est bon de te revoir, mon frère.” Un rire nerveux secoua le géant, qui réfréna son hilarité en tapotant l'épaule dudit frère avant de se redresser.“On reçoit…pas mal de lettres, en ce moment. ‘Faut croire que tu leur manque, à Ikusa. Mais ça attendra. D'abord…Reprends des forces. Et une fois que t'auras repris ces foutues forces, va falloir que tu enfiles cette armure et que tu planques ta gueule de goule derrière sa visière le temps de te refaire une beauté. Les gars vont déjà avoir du mal à comprendre les ailes, pas la peine d'en rajouter.”
Alasker se refusa à jeter un nouveau coup d'œil à son ami, de peur que ce dernier découvre un soupçon de pitié dans son regard d’habitude si courroucé. A la place, il préféra s’éloigner de l’obscurité pour profiter de la chaleur toute relative du soleil et contempler la pente descendante qu’ils allaient tôt ou tard être obligés de descendre. Le dégel récent, en contrebas, l’avait rendue glissante au possible. Il espérait sincèrement que Deydreus serait capable de descendre par lui-même puisque le moral des Serres risquait fort de flancher un peu plus en voyant leur commandant revenir, transformé en monstre et trop faible pour mettre un pied devant l’autre.
Et même en cas de descente “sans faute”, les questions allaient pleuvoir sur un Deydreus à peine remis. Il paraissait pleinement conscient jusqu’à maintenant, mais les possibilités d’une rechute, au milieu d’un foyer de cœurs battants et juteux étaient loin d’être minces. Combien de temps allait-il devoir le garder en observation? A quel moment le chevalier noir serait de nouveau capable de se battre au milieu des siens sans ressentir le besoin malsain de tuer ses propres frères? Ça pouvait prendre du temps. Énormément, de temps.
Après tout, Iratus lui-même n’avait jamais réussi à perdre complètement ce désir, après toutes ces années.
Jamais une guérison ne lui avait parue si douce-amère.
“-Prends ton temps. On n'est pas pressés.” Gronda-t-il, de la manière la plus neutre possible.
Le Chevalier Noir
Deydreus Fictilem
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Race: Vampire
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Rang: B - Griffe
A l'intérieur de la cave, tandis qu'il écoutait les réponses de son ami, Deydreus ressentait tout le froid qui venait mordre sa peau. Comme une douce caresse, ce dernier ne lui apparaissait nullement comme un mal qui cherchait à le ronger, au contraire. Pour lui, en cet instant, le froid représentait la réussite de son propre combat. Il était encore capable de penser. De réfléchir. De ressentir. Il avait mené le combat le plus difficile de son existence, un combat contre lui même. Et il l'avait emporté. Mais à quel prix?
- Un mois... Il laissa un peu de temps flotter, repensant à la réponse du lycanthrope. Je ne suis pas étonné qu'ils aient envoyé autant de lettres. Zéphyr doit craindre que je ne sois passé de l'autre côté. Fais moi penser à le prévenir quand nous serons rentrés. Il faisait partie des rares au courant pour le Sang Béni.
Le bretteur soupira de nouveau, se redressant finalement tandis qu'il s'appuyait sur le mur. Iratus lui avait certes dit de se reposer, mais le chevalier sombre refusait de le faire avachi au fond de l'ancienne tanière d'une bête écailleuse. Il avait déjà suffisamment l'impression d'être lui même devenu un prédateur comme ça. Marchant difficilement, l'être aux yeux vairons arriva finalement un peu plus en avant, observant l'extérieur de la grotte tout en demeurant dans l'ombre.
- Après, si je peux me permettre, ma gueule de goule est quand même vraiment pas mal. Je ferais fureur à Shoumeï. Un léger rire fatigué glissa des lèvres du vampire, alors qu'il se retournait pour aller récupérer son armure. Je suis heureux d'être encore ici avec toi, mon frère.
Attrapant tout d'abord ses jambières, le bretteur commença à les enfiler doucement. Puis, il repassa sur lui sa jaque, sa cotte de mailles et ses tassettes. Quand le plastron vint de nouveau ceinturer son torse, le chevalier lâcha un long soupir de satisfaction. C'était comme si, par ce simple geste, il retrouvait l'humanité qu'il avait refusé de perdre. Ou, tout du moins, sa raison. Il redevenait l'armure noire. La Griffe de l'Empire. Le dirigeant des Serres Pourpres. Deydreus passa ensuite ses épaulières et finalement ses gantelets. Enfin, le guerrier attrapa son heaume et demeura quelques longues secondes face à ce dernier. Son regard bicolore passa doucement sur l'acier noirci ainsi que les différents ornements dorés qui venaient habillé le casque. Puis, dans un soupir, il l'enfila de nouveau. Alasker avait raison, le soleil serait pour le moment son ennemi. Et il devrait, dans un second temps, apprendre à le dominer lui aussi. Quand il attrapa Silence et Hurlement, le vampire eut la sensation de retrouver de nouveau une partie de lui même. Silencieuses, les deux lames lui apparaissaient comme des sœurs qui venaient de nouveau l'étreindre, tout en se plaignant du manque d'attention qu'il leur avait apporté. Les replaçant donc dans son dos, le chevalier quitta le fond de la grotte pour revenir jusqu'à son frère d'armes, jetant cette fois son regard sur la longue descente boueuse.
- La prochaine fois, tu m'attaches dans une cave plutôt. Ca sera moins embêtant pour repartir une fois que j'me serai emmené aux bords de la folie. Un nouveau sourire. Le monde me semble si étrange. J'ai l'impression de voir un environnement que j'ai toujours connu. Mais, également, d'y observer de nouvelles couleurs, de nouvelles teintes. Tout me semble plus vif. Les odeurs me paraissent plus fortes. J'ai cette étrange sensation que tout bouge plus lentement, perpétuellement. Je ne sais pas si cela est dut à la soif qui tiraille mes entrailles, ou bien à ma nouvelle condition. Quoiqu'il en soit, il est inutile de rester ici. Allons y. Allons retrouver nos gars.
*
* *
* *
La descente s'était effectuée sans difficultée majeure. Si, au début, Deydreus avait été un peu hésitant, son instinct lui permis rapidement de reprendre le pas et d'ainsi atteindre le plancher des vaches sans encombre. A ses côtés, la carcasse d'airain marchait dans un calme relatif. Posant les yeux sur lui, le bretteur savait l'épreuve qu'il avait imposé à son frère. S'il était celui qui avait été torturé et mené au bord de la folie, il n'imaginait même pas ce qu'avait ressenti Alasker en l'observant. Et la longue, et terrible hésitation de savoir s'il devait mettre fin à ses jours ou non. Fort heureusement, le lycanthrope avait été suffisamment patient. Il avait fait confiance au sombre chevalier et, à présent, ils allaient pouvoir rentrer tous les deux. Et affronter les multiples questions des soldats à la livrée noir et rouge.
Quand ils pénétrèrent les portes de Pleurs-la-Cendre, le vampire laissa son regard courir tout autour de lui. S'il entendait les battements de coeur de tout ce qui l'entourait. S'il pouvait sentir cette maudite soif qui le suppliait de se nourrir, le bretteur sentait que le contrôle était encore sien. Pourtant, il ne souhaitait pas non plus jouer le parieur fou. Lorsqu'ils seraient enfin rentrés, il demanderait du sang. Peu importe qu'il soit animal ou non. Celui lui permettrait également de reprendre des forces. Et d'ainsi passer à la suite des choses. Léonard et Esyleij furent les deux premiers à l'accueillir. Puis ce fut Gorrek et Mitch. Et enfin, tout le reste de la troupe qui s'agglutina. Les saluant d'un mouvement de tête, Deydreus pouvait lire dans leurs regards toute la fatigue qui s'évanouissait. Toute la crainte. Cette sensation d'apaisement alors qu'ils voyaient enfin leur chef revenir parmi eux. Non pas qu'Alasker ne les auraient pas dirigés mais... Compte tenu de ce qu'ils avaient tous traversé, le chevalier savait qu'ils auraient réagit ainsi pour chacun de leurs frères. Répondant rapidement aux questions les plus classiques, le chef des armées reikoises balaya les questions plus complexes pour un second temps et, lorsqu'Alasker gronda pour intimer aux fantassins de laisser leur supérieur tranquille, Deydreus étira un large sourire en demandant à voir les Dévoreurs.
Comme à leur habitude, les berserkers à l'armure vermillon se lançaient des piques. Ou bien s'entrainaient dans de grands duels plus ou moins sanglants. A l'approche du vampire et du loup garou, tous cessèrent pourtant leur activité. Comme une meute de chiens fous allaient-ils réagir à l'approche de l'un de leur supérieur, qui avait lui même lutté pour ne pas sombrer? Il n'y eut naturellement pas de clameur. Pas de gestes démontrant la moindre satisfaction. Seulement des regards étrangement soulagés. Avec le retour de Deydreus, les Serres Pourpres demeuraient, ainsi que par extension les Dévoreurs. Et eux, pourraient reprendre leurs combats, jusqu'à ce que la Mort ne les accueil. Avec le retour du vampire, le fragile pan de "normalité" qui leur restait demeurait intact. Et cela était parfois juste ce qu'il leur fallait. Comme pour les autres Serres, Deydreus s'approcha de chacun d'entre eux pour les saluer. Il répondit, sans langue de bois, aux questions qu'on lui posait. Même les plus étranges, comme celles qui l'interrogeaient sur sa façon de percevoir le sang. Puis, quand l'exercice fut enfin terminé, que le duo de frères maudits eut achevé ce tour des effectifs, le bretteur regagna enfin la chambre qu'il avait quitté un mois plus tôt. A l'intérieur de cette dernière, une multitude de lettres s'étaient entassés sur la grande table tandis qu'aucun grain de poussière n'était visible. Même les traces de griffures sur le mur avaient été réparées. S'écrasant dans l'un des grand fauteuils de la chambre, Deydreus retira finalement son heaume qu'il plaça sur la table, près du courrier.
- C'est bon. De tous les revoir. Un léger flottement. Raconte moi tout ce qu'il s'est passé durant ce mois. La moindre tension. Le moindre mot plus haut que l'autre. Les moindres informations que tu aurais entendu en provenance de la capitale.
La fatigue s'en irait peu à peu. Il allait pouvoir repartir combattre. Mais d'abord, le chevalier devait savoir où en étaient ses hommes, et où en était l'Empire. Quelles étaient les nouvelles et, surtout, si les choses qu'il avait entendu avant son départ s'étaient confirmées ou pas. Ecoutant Alasker, l'être aux yeux vairons ferma doucement les yeux, laissant son esprit emmagasiner chacune des informations que la voix grondante du géant d'airain lui offrait. Une fois la mise à jour situationnelle effectuée, Deydreus attendit qu'on ne vienne lui livrer le raisiné qu'il attendait. C'était, là aussi, une forme d'épreuve. Auparavant, le sang animal lui apparaissait comme immonde en bouche, et parvenait à peine à stopper la montée de sa soif. Mais, après un mois de privation, il se disait que peut être les choses seraient différentes. Ainsi, le repas fut livré pour deux. L'énorme amoncellement de viande pour le loup garou, et l'équivalent en quantité d'une bouteille de sang pour l'autre prédateur nocturne. Pourtant, il n'y eut rien de "noble" dans la dégustation du liquide vermillon. Attrapant la bouteille, Deydreus enfonça le goulot entre ses lèvres tandis qu'il laissait le liquide poisseux glisser dans sa gorge.
Dans tout son être, le vampire sentit les forces lui revenir. Comme une réaction instantanée à la consommation du liquide vital, ses sens semblèrent s'affuter d'avantage et sa perception revenir à une normalité relative. Puis, cette désagréable sensation de vide sembla partir peu à peu. Laissant place à une satisfaction certaine. Tout comme à une douce vague de plaisir venant glisser le long de son échine. Puis, le gout lui parvint enfin. Un mélange d'amertume et d'âcreté. Toussotant doucement alors qu'il reposait la bouteille vide sur la table, le vampire jeta un regard vers son ami lycanthrope.
- C'est immonde. Au moins, ça n'a pas changé. Le sang d'animal reste une plaie à consommer. On verra ce que les autres sang donneront, une fois sur les champs de bataille. Il jeta un rapide coup d'œil au loup. Pour information, je ressens vos battements de cœur, à tous. Mais ils ne sont plus aussi hypnotisant qu'auparavant. Il s'agit plus à présent de... Bruit de fond.
Se penchant alors et attrapant du courrier, le chevalier commença à ouvrir ce dernier et lire les différentes missives. Il redevenait ce qu'il avait été. Deydreus, chef des Serres Pourpres. Un esprit froid, analytique qui gérait les priorités avec sagacité. Et, surtout, qui n'hésitait pas à passer de l'autre côté s'il fallait punir les impunissables. Haussant un sourcil au bout d'un moment, l'être aux yeux vairons tendit l'une des lettres au géant d'airain qui semblait finir son repas.
- Amusant, les bandits de la région semblent toujours faire des leurs. Et l'affaire est même remontée jusqu'à la capitale. Visiblement, le seigneur de la ville n'a pas apprécié mon absence et s'est impatienté. Un léger rire moqueur. Quel lâche. Il aurait put y aller lui même ou venir te voir, plutôt que pleurer auprès de Tensai comme le pleutre qu'il est. Un sourire carnassier fit son apparition alors qu'il fixait Alasker. Ca te dit de reprendre du service à mes côtés, mon frère?
- Apparence des épées de Deydreus:
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Alasker Crudelis
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Le sourire sinistre de Kirk avait accompagné Deydreus, lorsque ce dernier s'était finalement éloigné d'eux, après des retrouvailles presque chaleureuses malgré les circonstances. Si d'autres que le tortionnaire n'avaient effectivement pas hésité à faire montre d'un engouement et d'une curiosité manifeste à l'égard du retour, puis du changement de nature du chevalier noir, aucun n'avait eu l'outrecuidance d'afficher un rictus aussi sardonique et lourd d'un amusement évident comme l'avait fait le collectionneur d'oreille.
Alors, bien sûr, ce détail, les Dévoreurs comme les Serres l'avaient relevé, sitôt leurs supérieurs suffisamment loin pour que leurs mots ne puissent être entendus par ces derniers.
Nahr, qui jamais ne masquait l'inimitié profonde sévissant entre lui et son semblable Drakyn, souffla entre ses mains pour réchauffer ses doigts avant de s'approcher du souriant, qui poussait désormais le vice en allant jusqu'à glousser.
“-Alors, quoi? Qu'est-ce que tu trouves si marrant?”
L'interrogé dégaina l'une de ses dagues de lancer et la jeta pile entre les deux yeux d'une cible faite de pailles et de bois, à quelques mètres des tentes de leur campement. Nahr ne prit même pas la peine de ciller lorsque la pointe de la lame siffla au-dessus de son épaule. Son sang-froid -ou son absence d'instinct de conservation- ne fit qu'augmenter l'amusement du bourreau.
“-Tu ne trouves pas ça fendard, de voir que, maintenant, c'est Al’ qui surveille Deydreus?”
***
Le repos avait été de courte durée. Deydreus, meurtri par des semaines d'avilissement et de jeûn, se refusait à se laisser aller à l'oisiveté. Et si le géant d'airain se doutait que le désir que son frère avait de retourner au combat se voyait en partie parasité par un appétit malsain, il ne pouvait que se sentir rassuré par ce sursaut de motivation.
Alors, malgré tout ce que les restes de sa propre raison lui dictaient, le chef des Dévoreurs avait consenti à accompagner la Griffe, à peine remise sur pied, vers une nouvelle escarmouche.
Les proies répondaient au nom discutable de “Brise-bouclier”. Un rassemblement de coupes-jarrets et de bandits de grands-chemins sans avenir ni prétention autre que piller les petits villages des environs et revendre le fruit de leurs méfaits à d’autres têtes pendables méritant tout autant qu’eux l’échafaud. Des troupes telles que celle-ci, il en existait des dizaines, peut-être même des centaines, réparties dans tous les territoires de l’empire, fleurissant là où les yeux de la capitale ne portaient pas et où la misère régnait en maître incontestée. On ne pouvait pas vraiment en vouloir à la vermine d’être ce qu’elle est, au sein de pareil territoire. Lorsque l’or manquait et que la malnutrition sévissait, le plus honnête des pères pouvait devenir un tueur, pour peu que les doigts tranchés de sa victime ne se voient alourdis par quelques bagues dorées. Les brises boucliers n’étaient pas vraiment connus pour être des sadiques. Ils tuaient et pillaient, simplement. On retrouvait leurs victimes mortes. Les hommes tombés au combat, les femmes, la gorge tranchée et les robes retroussées. Les enfants disparaissaient systématiquement, ce qui impliquait une tendance à la revente d'esclaves. Des êtres mauvais et sans surprise, ne méritant, au final, la mort uniquement parce qu’ils commettaient tout cela en leur propre nom plutôt qu’en celui d’un pays, d’un comte ou d’un roi.
Leur campement se situait au pied d’une petite falaise. Dans un renfoncement naturel, de sorte à ce qu’un toit de roche abrite une partie des leurs, au moins, des intempéries. Il n'y avait pas de maisons, ni de remparts. Des piques plantés dans le sol délimitaient les limites de leurs domaines et un petit sous-bois composé de résistants épineux masquait leur planque au reste du monde. C’était un bon refuge, qui n’avait qu’un seul défaut :
Avec une falaise dans le dos, il était difficile de fuir si l’ennemi -malgré tous les efforts déployés- finissait par les dénicher. Pour pallier à ça et préparer la fuite correctement, trois postes de guets se trouvaient plus en avant, dans les bois. Chacun avait une visibilité claire sur les deux autres pour éviter toute mauvaise surprise et les cornes de brumes que portaient les infortunés guetteurs affectés avaient toute la capacité de sonner assez fort pour franchir le mur de branches et d’épines séparant le refuge de bandits du reste du monde.
La nuit froide du Nord avait hélas pour eux une certaine tendance à les rassembler autour d'un petit feu de camp, au mépris de la sécurité et du bon sens. Rien d'étonnant, en réalité.
Puisqu'ils n'étaient que de la vermine.
Alasker s'extirpa des bois pour marcher en direction du camp, sa hache traînant derrière-lui, la moitié de son fer enfoncé dans la cage-thoracique du dernier guetteur vivant. Le souffle coupé, l'horreur de la situation le paralysant, sa victime se contentait de fixer la hampe de l'arme qui dépassait de son torse alors qu'on le traînait jusqu'au campement de ceux que ses yeux acérés auraient dû protéger. Au loin, quelqu'un -parmi les pillards- beugla une salutation que le géant d'airain ne lui rendit pas. Et un flot d'exclamation ne tarda pas à suivre.
Iratus avait tout de même refusé de partir en chasse le jour même. La paperasse devait être réarrangée et le vampire, lui, réhabitué à son propre corps. Après avoir donné son accord pour l'accompagner à sa prochaine sortie, Alasker avait posé une condition : une semaine de repos, avant tout accès de zèle meurtrier. Une nouvelle manière de mettre à l'épreuve son comparse vampire.
Deydreus, d'abord surpris de voir son frère faire preuve de tempérance, n'avait pas jugé bon de protester. Douleurs et fatigues s'étaient sans doute chargés de le convaincre.
Cette courte période lui avait permis de refaire connaissance avec le genre humain, d'échanger blagues et traits d’esprits avec autre chose qu’un lycanthrope sociopathe et une ombre souffrant d’à peu près toutes les tares existantes. Les Serres avaient apprécié, Les Dévoreurs un peu moins, comme à chaque fois qu’une période de paix menaçait de s’étendre sur de trop nombreuses journées. Petit à petit, les habitudes de chacun étaient revenues. Alasker, enfin débarrassé de ses responsabilités de commandant, avait embrassé de nouveau -avec une joie évidente- la voie de la solitude. Ses jours, le lycanthrope les avaient passés loin de tous, silencieusement, sereinement. Même le loup l’avait laissé en paix. La septième nuit était arrivée bien vite, donc.
Et les Dévoreurs, dirigés -de nouveau- par leur chef de meute, s’étaient élancés sur la voie Sanglante.
Le corps du guetteur s’écrasa au sol et glissa dans la neige fondue jusqu’aux pieds du mur de piques délimitant l’entrée du camp de bandit. Derrière ces derniers, un grand type barbu au visage buriné avisait ce géant cornu qui se dressait ainsi, fier et sans peur, devant une dizaine d’arcs et de flèches braqués directement sur sa carcasse si grotesquement enflée. La situation paraissait évidente. L’ennemi se trouvait à leurs portes. Et pourtant, le bandit se refusait à donner l’ordre. Les nuages noirs masquant la lune au-dessus d’eux se mirent à pleurer et une pluie drue vint alourdir leur silhouette, baisser un peu plus leurs visibilités et mouiller les cordes des arcs.
Le grand type inspira longuement. Des gouttelettes se perdirent dans sa barbe brune. Un sourire aux airs de grimace se dessina sur ses lèvres.
“-Je me doutais bien qu’on finirait par nous trouver.” Commença-t-il d’un ton presqu’amusé, en déployant tous les efforts du monde pour ne pas montrer sa peur. “Rien n’égale le flair d’un loup, pas vrai?”
Le monstre ne répondit pas. Il resta simplement immobile, face à eux, ses deux mains gantées refermées sur la hampe de cette hache connue de tous.
“-Je sais qui tu es, Iratus. Et crois-le ou non, nous sommes tous désolés pour ton commandant.” Aucun bandit ne commit l’erreur de rire malgré l’évident manque d’honnêteté du parleur. Il y eut un court silence, durant lequel personne n’osa bouger. Certains des arcs tendus se mirent à trembler. “Sa perte est un coup dur pour le Reike, mais nous ne sommes pas là pour parler de l’avenir de l’Empire, pas vrai?”
Aucune réponse du monstre. Quelqu’un jura entre ses dents. Un homme rondouillard manqua de relâcher la corde de son arc en tentant de réajuster sa mire. Un coup de vent souleva l’entrée d’une tente, derrière-eux.
Le barbu essuya son visage couvert de pluie et de sueur d’un revers de main puis plissa les yeux. Parce qu’une clameur qu’il ne connaissait que trop bien s’extirpait des bois, traversait la petite plaine de neige fondue séparant leur refuge du mur de végétation, pour faire vibrer les oreilles de chacun des membres du camp.
Des femmes hurlèrent, en proie à la panique, conscientes qu’elles étaient de ce que cette clameur impliquait.
Dans les ténèbres du sous-bois, les Dévoreurs avaient arraché les cor d’alarmes des cadavres exsangues de leur propriétaire d’origine…Et s’étaient mis à souffler dedans, sitôt parés à l’attaque. Par défi. Un humour macabre, cruel.
Qui ne manqua pas de faire rire le colosse face au camp.
“-Pleurez. Hurlez. Priez.” Récita-t’il, l'air sinistre, alors que le vent chargé de pluie apportait aux ouïes des occupants du camp l’écho de battements d’ailes membraneuses, au-dessus d’eux. “La justice du Reike vient pour vous, cette nuit.”
Alors, bien sûr, ce détail, les Dévoreurs comme les Serres l'avaient relevé, sitôt leurs supérieurs suffisamment loin pour que leurs mots ne puissent être entendus par ces derniers.
Nahr, qui jamais ne masquait l'inimitié profonde sévissant entre lui et son semblable Drakyn, souffla entre ses mains pour réchauffer ses doigts avant de s'approcher du souriant, qui poussait désormais le vice en allant jusqu'à glousser.
“-Alors, quoi? Qu'est-ce que tu trouves si marrant?”
L'interrogé dégaina l'une de ses dagues de lancer et la jeta pile entre les deux yeux d'une cible faite de pailles et de bois, à quelques mètres des tentes de leur campement. Nahr ne prit même pas la peine de ciller lorsque la pointe de la lame siffla au-dessus de son épaule. Son sang-froid -ou son absence d'instinct de conservation- ne fit qu'augmenter l'amusement du bourreau.
“-Tu ne trouves pas ça fendard, de voir que, maintenant, c'est Al’ qui surveille Deydreus?”
***
Le repos avait été de courte durée. Deydreus, meurtri par des semaines d'avilissement et de jeûn, se refusait à se laisser aller à l'oisiveté. Et si le géant d'airain se doutait que le désir que son frère avait de retourner au combat se voyait en partie parasité par un appétit malsain, il ne pouvait que se sentir rassuré par ce sursaut de motivation.
Alors, malgré tout ce que les restes de sa propre raison lui dictaient, le chef des Dévoreurs avait consenti à accompagner la Griffe, à peine remise sur pied, vers une nouvelle escarmouche.
Les proies répondaient au nom discutable de “Brise-bouclier”. Un rassemblement de coupes-jarrets et de bandits de grands-chemins sans avenir ni prétention autre que piller les petits villages des environs et revendre le fruit de leurs méfaits à d’autres têtes pendables méritant tout autant qu’eux l’échafaud. Des troupes telles que celle-ci, il en existait des dizaines, peut-être même des centaines, réparties dans tous les territoires de l’empire, fleurissant là où les yeux de la capitale ne portaient pas et où la misère régnait en maître incontestée. On ne pouvait pas vraiment en vouloir à la vermine d’être ce qu’elle est, au sein de pareil territoire. Lorsque l’or manquait et que la malnutrition sévissait, le plus honnête des pères pouvait devenir un tueur, pour peu que les doigts tranchés de sa victime ne se voient alourdis par quelques bagues dorées. Les brises boucliers n’étaient pas vraiment connus pour être des sadiques. Ils tuaient et pillaient, simplement. On retrouvait leurs victimes mortes. Les hommes tombés au combat, les femmes, la gorge tranchée et les robes retroussées. Les enfants disparaissaient systématiquement, ce qui impliquait une tendance à la revente d'esclaves. Des êtres mauvais et sans surprise, ne méritant, au final, la mort uniquement parce qu’ils commettaient tout cela en leur propre nom plutôt qu’en celui d’un pays, d’un comte ou d’un roi.
Leur campement se situait au pied d’une petite falaise. Dans un renfoncement naturel, de sorte à ce qu’un toit de roche abrite une partie des leurs, au moins, des intempéries. Il n'y avait pas de maisons, ni de remparts. Des piques plantés dans le sol délimitaient les limites de leurs domaines et un petit sous-bois composé de résistants épineux masquait leur planque au reste du monde. C’était un bon refuge, qui n’avait qu’un seul défaut :
Avec une falaise dans le dos, il était difficile de fuir si l’ennemi -malgré tous les efforts déployés- finissait par les dénicher. Pour pallier à ça et préparer la fuite correctement, trois postes de guets se trouvaient plus en avant, dans les bois. Chacun avait une visibilité claire sur les deux autres pour éviter toute mauvaise surprise et les cornes de brumes que portaient les infortunés guetteurs affectés avaient toute la capacité de sonner assez fort pour franchir le mur de branches et d’épines séparant le refuge de bandits du reste du monde.
La nuit froide du Nord avait hélas pour eux une certaine tendance à les rassembler autour d'un petit feu de camp, au mépris de la sécurité et du bon sens. Rien d'étonnant, en réalité.
Puisqu'ils n'étaient que de la vermine.
Alasker s'extirpa des bois pour marcher en direction du camp, sa hache traînant derrière-lui, la moitié de son fer enfoncé dans la cage-thoracique du dernier guetteur vivant. Le souffle coupé, l'horreur de la situation le paralysant, sa victime se contentait de fixer la hampe de l'arme qui dépassait de son torse alors qu'on le traînait jusqu'au campement de ceux que ses yeux acérés auraient dû protéger. Au loin, quelqu'un -parmi les pillards- beugla une salutation que le géant d'airain ne lui rendit pas. Et un flot d'exclamation ne tarda pas à suivre.
Iratus avait tout de même refusé de partir en chasse le jour même. La paperasse devait être réarrangée et le vampire, lui, réhabitué à son propre corps. Après avoir donné son accord pour l'accompagner à sa prochaine sortie, Alasker avait posé une condition : une semaine de repos, avant tout accès de zèle meurtrier. Une nouvelle manière de mettre à l'épreuve son comparse vampire.
Deydreus, d'abord surpris de voir son frère faire preuve de tempérance, n'avait pas jugé bon de protester. Douleurs et fatigues s'étaient sans doute chargés de le convaincre.
Cette courte période lui avait permis de refaire connaissance avec le genre humain, d'échanger blagues et traits d’esprits avec autre chose qu’un lycanthrope sociopathe et une ombre souffrant d’à peu près toutes les tares existantes. Les Serres avaient apprécié, Les Dévoreurs un peu moins, comme à chaque fois qu’une période de paix menaçait de s’étendre sur de trop nombreuses journées. Petit à petit, les habitudes de chacun étaient revenues. Alasker, enfin débarrassé de ses responsabilités de commandant, avait embrassé de nouveau -avec une joie évidente- la voie de la solitude. Ses jours, le lycanthrope les avaient passés loin de tous, silencieusement, sereinement. Même le loup l’avait laissé en paix. La septième nuit était arrivée bien vite, donc.
Et les Dévoreurs, dirigés -de nouveau- par leur chef de meute, s’étaient élancés sur la voie Sanglante.
Le corps du guetteur s’écrasa au sol et glissa dans la neige fondue jusqu’aux pieds du mur de piques délimitant l’entrée du camp de bandit. Derrière ces derniers, un grand type barbu au visage buriné avisait ce géant cornu qui se dressait ainsi, fier et sans peur, devant une dizaine d’arcs et de flèches braqués directement sur sa carcasse si grotesquement enflée. La situation paraissait évidente. L’ennemi se trouvait à leurs portes. Et pourtant, le bandit se refusait à donner l’ordre. Les nuages noirs masquant la lune au-dessus d’eux se mirent à pleurer et une pluie drue vint alourdir leur silhouette, baisser un peu plus leurs visibilités et mouiller les cordes des arcs.
Le grand type inspira longuement. Des gouttelettes se perdirent dans sa barbe brune. Un sourire aux airs de grimace se dessina sur ses lèvres.
“-Je me doutais bien qu’on finirait par nous trouver.” Commença-t-il d’un ton presqu’amusé, en déployant tous les efforts du monde pour ne pas montrer sa peur. “Rien n’égale le flair d’un loup, pas vrai?”
Le monstre ne répondit pas. Il resta simplement immobile, face à eux, ses deux mains gantées refermées sur la hampe de cette hache connue de tous.
“-Je sais qui tu es, Iratus. Et crois-le ou non, nous sommes tous désolés pour ton commandant.” Aucun bandit ne commit l’erreur de rire malgré l’évident manque d’honnêteté du parleur. Il y eut un court silence, durant lequel personne n’osa bouger. Certains des arcs tendus se mirent à trembler. “Sa perte est un coup dur pour le Reike, mais nous ne sommes pas là pour parler de l’avenir de l’Empire, pas vrai?”
Aucune réponse du monstre. Quelqu’un jura entre ses dents. Un homme rondouillard manqua de relâcher la corde de son arc en tentant de réajuster sa mire. Un coup de vent souleva l’entrée d’une tente, derrière-eux.
Le barbu essuya son visage couvert de pluie et de sueur d’un revers de main puis plissa les yeux. Parce qu’une clameur qu’il ne connaissait que trop bien s’extirpait des bois, traversait la petite plaine de neige fondue séparant leur refuge du mur de végétation, pour faire vibrer les oreilles de chacun des membres du camp.
Des femmes hurlèrent, en proie à la panique, conscientes qu’elles étaient de ce que cette clameur impliquait.
Dans les ténèbres du sous-bois, les Dévoreurs avaient arraché les cor d’alarmes des cadavres exsangues de leur propriétaire d’origine…Et s’étaient mis à souffler dedans, sitôt parés à l’attaque. Par défi. Un humour macabre, cruel.
Qui ne manqua pas de faire rire le colosse face au camp.
“-Pleurez. Hurlez. Priez.” Récita-t’il, l'air sinistre, alors que le vent chargé de pluie apportait aux ouïes des occupants du camp l’écho de battements d’ailes membraneuses, au-dessus d’eux. “La justice du Reike vient pour vous, cette nuit.”
Le Chevalier Noir
Deydreus Fictilem
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Info personnage
Race: Vampire
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Griffe
Une semaine. Une semaine à repousser encore un potentiel affrontement. Tiraillé par la douleur, la fatigue et la Soif, Deydreus avait accepté la demande du lycanthrope. Son étonnement, très vite chassé par son propre état et son pragmatisme, avait eu au moins le mérite d'étirer un sourire sur le visage du loup. Durant toute cette période de repos, le vampire s'était affairé à remplir les rapports qu'il se devait de remplir et à répondre aux différentes missives et autres lettres qui lui étaient parvenues. Zéphyr, notamment, avait cherché à le joindre pour connaître son état. Sans rentrer précisément dans les détails, le bretteur s'était contenté de répondre à l'Oreille qu'il avait trouvé une solution et, qu'à présent, il pouvait se maîtriser. Mais le pouvait-il réellement? Au fond de lui, Deydreus en doutait encore. Le Sang Béni et la Soif s'étaient mêlés dans une nouvelle malédiction et si le chevalier noir essayait de rationaliser son propre état, il devait reconnaître que la chose qui se terrait aux frontières de son esprit ne faisait en vérité qu'éveiller des pulsions. Et malgré toutes les tortures qu'il s'était lui même infligé. Malgré sa conscience qu'il avait brisé en boucle. Malgré les conseils de l'Ombre et la surveillance de son frère d'armes... L'être aux yeux vairons se posait encore et toujours cette simple question. Et si il se laissait aller? Que se passerait-il?
Tâchant cependant d'écarter ces pensées parasites, le vampire avait continué sa tâche avec ferveur. Se noyant sous l'administratif, le guerrier en profitait également pour travailler sur différents projets qu'il comptait présenter au couple impérial. Un autre moyen pour celui qui n'avait plus besoin de dormir d'occuper son temps. Pour se nourrir, et ne pas rester trop faible, Deydreus avait demandé à ce qu'on lui livre du sang animal. Si le liquide carmin eut le mérite de satisfaire partiellement son organisme, le vampire manqua plusieurs fois de vomir simplement ce dernier. Le gout était aussi abject qu'imbuvable. Fort heureusement, le dirigeant des Serres Pourpres parvint à se retenir en rinçant systématiquement sa gorge à l'aide de vins et autres hydromels. Mais il le savait, ce subterfuge ne durerait qu'un temps, car malgré toute sa volonté, il entendait encore et encore les cœurs de ceux l'entourant qui battaient. Un tonnerre grondant appelant au meurtre et au carnage. Puis, enfin, vint l'aube du septième jour.
Plus en forme qu'auparavant et l'esprit moins embrumé par sa propre faiblesse, la Griffe avait décidé d'enfin agir avec son lieutenant. Ils avaient alors échafaudé un plan relativement simple mais brutal, dans le but d'écraser définitivement ces fameux "Brise-Boucliers". Comme à chaque fois, les territoires les plus éloignés des cités-états subissaient les mêmes problèmes. Une déperdition de la richesse, une mauvaise gestion de l'argent de la couronne et, indubitablement, une sécurité moins forte et des menaces internes plus importantes. L'Empire s'était étendu rapidement et avait pris de nombreux territoires. Si la stabilité se faisait peu à peu et que les services de Zéphyr permettaient d'assurer un maintien de l'ordre relatif, les bandits n'avaient aucun mal à proliférer et malmener les convois de marchands. Encore plus dans le nord où de nombreux minéraux rares transitaient en direction de Taisen, Ikusa ou Kyouji. La République, demandeuse et peu regardante, offrait à ces malfrats des occasions en or de commettre leurs méfaits et ainsi gratter quelques pièces supplémentaires. C'était un des maux de l'Empire, Deydreus le savait, mais il devait réunir les idées et les moyens pour tenter d'endiguer ces dites menaces. Et pour l'heure, les seuls moyens à sa disposition se dessinaient dans un tableau noir et rouge. Le régent de Pleurs-la-Cendres avait de plus été très clair, il ne souhaitait aucun prisonnier. Non pas par excès de zèle pur, mais aussi car il voulait envoyer un signal fort aux potentiels individus qui pouvaient se laisser tenter. Le chef des armées ne s'était pas opposé à cette décision. Au contraire, il était même plutôt en phase avec cette dernière. Souvent, et surtout dans des territoires aussi lointains, les messages les plus brutaux étaient souvent les plus forts. Tensai l'avait prouvé en écrasant les ennemis refusant de se soumettre à l'Empire. Les Serres également dans les opérations sans bannière qu'on leur avait affecté par le passé.
Il pleuvait donc, sur le repère des Brise-Boucliers. Alasker, premier à venir échanger avec le chef de ces bandits, se tenait devant eux comme l'orateur d'une sombre vérité. La Mort venait frapper à leur porte et ils ne pourraient rien y faire. Pourtant, pourtant ces individus ne fuyaient pas et faisaient face au géant d'airain dans une posture défensive au moins respectable. Derrière le loup, les Dévoreurs faisaient sonner les cors d'alerte et laissaient leurs cris déments emplir la nuit. Premières notes de cette mélodie macabre qui commençaient. Et dans les cieux, les ailes de Deydreus venaient claquer au vent comme des impacts de fouet sur une peau trop sensible. C'était devenu étrangement instinctif pour le vampire de voler. Il y a de cela quelques lunes, le bretteur n'aurait jamais imaginé pouvoir parcourir les airs avec autant d'aisance mais, à présent, il naviguait ainsi comme s'il l'avait toujours fait. Retombant subitement en piqué vers le camp de bandits, le vampire entendit les derniers mots de son frère d'armes et un large sourire carnassier étira ses traits. Oui, la justice venait s'abattre sur ces pauvres êtres. Et cette dernière s'avèrerait particulièrement violente.
Dire qu'il s'agissait d'un combat serait mentir. Si les Brise-Boucliers étaient parvenus à harceler des marchands et des petites troupes de mercenaires inutiles, il était évident qu'ils ne pouvaient tenir face aux Dévoreurs et aux Serres Pourpres. Face à ses deux commandants. En vérité, il était fort probable qu'Alasker et Deydreus auraient été suffisant pour neutraliser cette pitoyable menace mais il avait été décidé d'emmener tout le monde. C'était aussi là un moyen de réunifier complètement les deux ensembles d'une même meute. D'une même force. Ainsi, le meurtre s'abattait sur le camp de bandits. Ainsi, le sang giclait dans l'air et s'étalait dans une boue formée de neige fondue, terre humide et raisiné. Dansant parmi les corps, Deydreus maniait Silence et Hurlement dans un silence glacial. Il n'y avait de sa part aucun rire, aucune remarque comme pouvaient en faire les Dévoreurs. Les Serres présents eux avançaient au travers des pitoyables fortifications en se protégeant des flèches et autres menaces de leurs lourds pavois avant de venir ensuite punir les malheureux qui avaient tenté de s'en prendre à eux. Laissant le "chef" de ces pauvrets au lycanthrope, le vampire se contentait de venir abattre tous les individus qui tentaient de venir s'approcher de lui... Ou fuir. Ainsi, les lames sinistres du bretteur venaient trancher, arracher, empaler les humains qui cherchaient à échapper à leur destin. A plusieurs reprises, les crans des lames vinrent répandre les viscères de ces minables dans un bruit humide ignoble, emplissant un peu plus l'air froid de cette odeur si caractéristique de la mort. Et chaque fois que le sang se répandait, Deydreus sentait son appétit grandir. Il se sentait emporté par les tumultes du combat et la souffrance l'entourant. Par cette violence. Par l'appel du sang. Plus que jamais, le bretteur aux lames jumelles comprenait la voie des Dévoreurs. Pourtant, il se refusait de céder. De se laisser emporter par une Soif qu'il avait combattu des semaines durant. Il tenait. Non pas contre ses ennemis. Mais contre ses propres pulsions.
Une flèche fila alors vers lui, forçant le chevalier noir à se contorsionner pour éviter le trait empennés qui avait tenté de l'atteindre. L'ennemi, situé à quelques mètres de sa position, jura entre ses dents avant de commencer à s'éloigner en courant. Levant sa lame vers lui, l'être aux yeux vairons tenta de lui hurler de s'arrêter mais, plutôt que de prononcer le moindre mot, il sentit le mana courir dans son corps. L'archer, malheureuse victime d'une magie s'éveillant, ne put être que témoin du pieu sanguin qui venait de sortir du sol pour l'élever dans les airs avant de s'étendre dans une étoile macabre, démembrant son corps et l'entrainant enfin dans l'autre monde. S'il fut surpris de l'aisance avec laquelle sa magie venait de se manifester, la Griffe tourna la tête et figea son regard sur trois autres bandits qui, dans un hurlement sinistre, subirent le même sort que leur précédent compagnon. A présent, en plus de la mort et du massacre, un nouveau tableau bien plus horrifique se dessinait pour ceux qui tentaient d'échapper au courroux impérial.
Quand le camp redevint enfin silencieux, il ne restait plus rien des Brise-Boucliers si ce n'est des cadavres empalés et des corps déchiquetés. La mise à mort avait été aussi monstrueuse que cruelle. Une juste fin pour des êtres pitoyables qui avaient non seulement provoquer l'Ire de la Griffe mais subit la frustration de Dévoreurs à qui on avait interdit la voie sanglante pendant de nombreuses semaines. Son casque retiré et ses ailes disparues, Deydreus avançait dans ce champ de morts le visage apaisé. Ayant récupéré du sang sur quelques unes de ses victimes, le vampire avait cependant réussit à se maîtriser suffisamment pour ne pas simplement se jeter à la gorge du premier bandit. Approchant finalement du centre du campement en ruines, le chevalier aux sombres armoiries observait silencieusement le lycanthrope qui se tenait au milieu de ces ruines sanglantes. La fange et le sang. Le noir et le rouge. Un tableau que les deux soldats ne connaissaient que trop bien. Et un nouveau sourire se dessina sur les lèvres du vampire.
- Alasker.
Un simple mot, pour attirer l'attention de celui qui avait toujours combattu loyalement à ses côtés. Celui qui l'avait accompagné dans sa plus terrible épreuve.
- J'y pense depuis quelques temps mais il est temps.
Il se rapprocha un peu plus de son ami, retirant son gantelet et sortant une dague. Ses yeux vairons, eux, ne quittaient pas le facies du géant d'airain.
- Chef de meute. Dirigeant des Dévoreurs.
Si l'annonce pouvait sonner étrange pour le commun des mortels, les Serres comprirent rapidement de quoi il était question. Tout comme les Dévoreurs. Si Deydreus interpellait son frère d'armes ainsi, ce n'était pas pour une réprimande ou quelque chose du genre, mais pour l'élever.
- Sang, mort, violence. Trois choses que nous avons fait pleuvoir en cette soirée sur ces êtres indignes. De nouveau, tu as été à mes côtés. Je ne compte plus les batailles que nous avons mené ensemble. Je ne compte plus les âmes que nous avons envoyé dans l'autre monde. Je me souviens encore de notre rencontre. De l'arène. De ta demande. Tout comme je n'oublierai jamais ta loyauté. Il fit une pause, reprenant. A compter de ce jour, je veux que tu deviennes mon premier Tovyr. Mon bras droit au sein des forces impériales, comme tu l'as toujours été au sein des Serres.
Les mots flottèrent quelques instants dans l'air alors que quelques clameurs s'élevèrent du côté des Serres. Cependant, la majorité demeura silencieuse, consciente qu'il y avait autre chose. Attendant une réaction du lycanthrope, Deydreus passa ensuite la lame sur sa paume avant de la faire glisser d'un coup sec. De nouveau, du sang gicla dans cette nuit pluvieuse. Le sang de la Griffe, qui tendit ensuite la dague à Alasker avant de lui tendre sa main.
- Trop longtemps je t'ai appelé sous le nom d'Iratus, d'Alasker ou de mon lieutenant. A partir d'aujourd'hui, je veux pouvoir t'appeler mon frère. Le destin a fait que nous ne sommes pas nés dans la même famille, que nous ne partageons pas le même sang. Nous allons changer cela maintenant. Il étira un nouveau sourire face au loup. Elève toi Alasker, en tant que Tovyr, et comme mon frère.
Un rituel solennel, prononcé sous la pluie et dans le sang. Un ciel noir pour un sol rouge. A l'abri du soleil insidieux qui dérangeait tout autant les deux personnages. N'y avait-il pas, au final, meilleur tableau pour cela?
Tâchant cependant d'écarter ces pensées parasites, le vampire avait continué sa tâche avec ferveur. Se noyant sous l'administratif, le guerrier en profitait également pour travailler sur différents projets qu'il comptait présenter au couple impérial. Un autre moyen pour celui qui n'avait plus besoin de dormir d'occuper son temps. Pour se nourrir, et ne pas rester trop faible, Deydreus avait demandé à ce qu'on lui livre du sang animal. Si le liquide carmin eut le mérite de satisfaire partiellement son organisme, le vampire manqua plusieurs fois de vomir simplement ce dernier. Le gout était aussi abject qu'imbuvable. Fort heureusement, le dirigeant des Serres Pourpres parvint à se retenir en rinçant systématiquement sa gorge à l'aide de vins et autres hydromels. Mais il le savait, ce subterfuge ne durerait qu'un temps, car malgré toute sa volonté, il entendait encore et encore les cœurs de ceux l'entourant qui battaient. Un tonnerre grondant appelant au meurtre et au carnage. Puis, enfin, vint l'aube du septième jour.
Plus en forme qu'auparavant et l'esprit moins embrumé par sa propre faiblesse, la Griffe avait décidé d'enfin agir avec son lieutenant. Ils avaient alors échafaudé un plan relativement simple mais brutal, dans le but d'écraser définitivement ces fameux "Brise-Boucliers". Comme à chaque fois, les territoires les plus éloignés des cités-états subissaient les mêmes problèmes. Une déperdition de la richesse, une mauvaise gestion de l'argent de la couronne et, indubitablement, une sécurité moins forte et des menaces internes plus importantes. L'Empire s'était étendu rapidement et avait pris de nombreux territoires. Si la stabilité se faisait peu à peu et que les services de Zéphyr permettaient d'assurer un maintien de l'ordre relatif, les bandits n'avaient aucun mal à proliférer et malmener les convois de marchands. Encore plus dans le nord où de nombreux minéraux rares transitaient en direction de Taisen, Ikusa ou Kyouji. La République, demandeuse et peu regardante, offrait à ces malfrats des occasions en or de commettre leurs méfaits et ainsi gratter quelques pièces supplémentaires. C'était un des maux de l'Empire, Deydreus le savait, mais il devait réunir les idées et les moyens pour tenter d'endiguer ces dites menaces. Et pour l'heure, les seuls moyens à sa disposition se dessinaient dans un tableau noir et rouge. Le régent de Pleurs-la-Cendres avait de plus été très clair, il ne souhaitait aucun prisonnier. Non pas par excès de zèle pur, mais aussi car il voulait envoyer un signal fort aux potentiels individus qui pouvaient se laisser tenter. Le chef des armées ne s'était pas opposé à cette décision. Au contraire, il était même plutôt en phase avec cette dernière. Souvent, et surtout dans des territoires aussi lointains, les messages les plus brutaux étaient souvent les plus forts. Tensai l'avait prouvé en écrasant les ennemis refusant de se soumettre à l'Empire. Les Serres également dans les opérations sans bannière qu'on leur avait affecté par le passé.
Il pleuvait donc, sur le repère des Brise-Boucliers. Alasker, premier à venir échanger avec le chef de ces bandits, se tenait devant eux comme l'orateur d'une sombre vérité. La Mort venait frapper à leur porte et ils ne pourraient rien y faire. Pourtant, pourtant ces individus ne fuyaient pas et faisaient face au géant d'airain dans une posture défensive au moins respectable. Derrière le loup, les Dévoreurs faisaient sonner les cors d'alerte et laissaient leurs cris déments emplir la nuit. Premières notes de cette mélodie macabre qui commençaient. Et dans les cieux, les ailes de Deydreus venaient claquer au vent comme des impacts de fouet sur une peau trop sensible. C'était devenu étrangement instinctif pour le vampire de voler. Il y a de cela quelques lunes, le bretteur n'aurait jamais imaginé pouvoir parcourir les airs avec autant d'aisance mais, à présent, il naviguait ainsi comme s'il l'avait toujours fait. Retombant subitement en piqué vers le camp de bandits, le vampire entendit les derniers mots de son frère d'armes et un large sourire carnassier étira ses traits. Oui, la justice venait s'abattre sur ces pauvres êtres. Et cette dernière s'avèrerait particulièrement violente.
Dire qu'il s'agissait d'un combat serait mentir. Si les Brise-Boucliers étaient parvenus à harceler des marchands et des petites troupes de mercenaires inutiles, il était évident qu'ils ne pouvaient tenir face aux Dévoreurs et aux Serres Pourpres. Face à ses deux commandants. En vérité, il était fort probable qu'Alasker et Deydreus auraient été suffisant pour neutraliser cette pitoyable menace mais il avait été décidé d'emmener tout le monde. C'était aussi là un moyen de réunifier complètement les deux ensembles d'une même meute. D'une même force. Ainsi, le meurtre s'abattait sur le camp de bandits. Ainsi, le sang giclait dans l'air et s'étalait dans une boue formée de neige fondue, terre humide et raisiné. Dansant parmi les corps, Deydreus maniait Silence et Hurlement dans un silence glacial. Il n'y avait de sa part aucun rire, aucune remarque comme pouvaient en faire les Dévoreurs. Les Serres présents eux avançaient au travers des pitoyables fortifications en se protégeant des flèches et autres menaces de leurs lourds pavois avant de venir ensuite punir les malheureux qui avaient tenté de s'en prendre à eux. Laissant le "chef" de ces pauvrets au lycanthrope, le vampire se contentait de venir abattre tous les individus qui tentaient de venir s'approcher de lui... Ou fuir. Ainsi, les lames sinistres du bretteur venaient trancher, arracher, empaler les humains qui cherchaient à échapper à leur destin. A plusieurs reprises, les crans des lames vinrent répandre les viscères de ces minables dans un bruit humide ignoble, emplissant un peu plus l'air froid de cette odeur si caractéristique de la mort. Et chaque fois que le sang se répandait, Deydreus sentait son appétit grandir. Il se sentait emporté par les tumultes du combat et la souffrance l'entourant. Par cette violence. Par l'appel du sang. Plus que jamais, le bretteur aux lames jumelles comprenait la voie des Dévoreurs. Pourtant, il se refusait de céder. De se laisser emporter par une Soif qu'il avait combattu des semaines durant. Il tenait. Non pas contre ses ennemis. Mais contre ses propres pulsions.
Une flèche fila alors vers lui, forçant le chevalier noir à se contorsionner pour éviter le trait empennés qui avait tenté de l'atteindre. L'ennemi, situé à quelques mètres de sa position, jura entre ses dents avant de commencer à s'éloigner en courant. Levant sa lame vers lui, l'être aux yeux vairons tenta de lui hurler de s'arrêter mais, plutôt que de prononcer le moindre mot, il sentit le mana courir dans son corps. L'archer, malheureuse victime d'une magie s'éveillant, ne put être que témoin du pieu sanguin qui venait de sortir du sol pour l'élever dans les airs avant de s'étendre dans une étoile macabre, démembrant son corps et l'entrainant enfin dans l'autre monde. S'il fut surpris de l'aisance avec laquelle sa magie venait de se manifester, la Griffe tourna la tête et figea son regard sur trois autres bandits qui, dans un hurlement sinistre, subirent le même sort que leur précédent compagnon. A présent, en plus de la mort et du massacre, un nouveau tableau bien plus horrifique se dessinait pour ceux qui tentaient d'échapper au courroux impérial.
Quand le camp redevint enfin silencieux, il ne restait plus rien des Brise-Boucliers si ce n'est des cadavres empalés et des corps déchiquetés. La mise à mort avait été aussi monstrueuse que cruelle. Une juste fin pour des êtres pitoyables qui avaient non seulement provoquer l'Ire de la Griffe mais subit la frustration de Dévoreurs à qui on avait interdit la voie sanglante pendant de nombreuses semaines. Son casque retiré et ses ailes disparues, Deydreus avançait dans ce champ de morts le visage apaisé. Ayant récupéré du sang sur quelques unes de ses victimes, le vampire avait cependant réussit à se maîtriser suffisamment pour ne pas simplement se jeter à la gorge du premier bandit. Approchant finalement du centre du campement en ruines, le chevalier aux sombres armoiries observait silencieusement le lycanthrope qui se tenait au milieu de ces ruines sanglantes. La fange et le sang. Le noir et le rouge. Un tableau que les deux soldats ne connaissaient que trop bien. Et un nouveau sourire se dessina sur les lèvres du vampire.
- Alasker.
Un simple mot, pour attirer l'attention de celui qui avait toujours combattu loyalement à ses côtés. Celui qui l'avait accompagné dans sa plus terrible épreuve.
- J'y pense depuis quelques temps mais il est temps.
Il se rapprocha un peu plus de son ami, retirant son gantelet et sortant une dague. Ses yeux vairons, eux, ne quittaient pas le facies du géant d'airain.
- Chef de meute. Dirigeant des Dévoreurs.
Si l'annonce pouvait sonner étrange pour le commun des mortels, les Serres comprirent rapidement de quoi il était question. Tout comme les Dévoreurs. Si Deydreus interpellait son frère d'armes ainsi, ce n'était pas pour une réprimande ou quelque chose du genre, mais pour l'élever.
- Sang, mort, violence. Trois choses que nous avons fait pleuvoir en cette soirée sur ces êtres indignes. De nouveau, tu as été à mes côtés. Je ne compte plus les batailles que nous avons mené ensemble. Je ne compte plus les âmes que nous avons envoyé dans l'autre monde. Je me souviens encore de notre rencontre. De l'arène. De ta demande. Tout comme je n'oublierai jamais ta loyauté. Il fit une pause, reprenant. A compter de ce jour, je veux que tu deviennes mon premier Tovyr. Mon bras droit au sein des forces impériales, comme tu l'as toujours été au sein des Serres.
Les mots flottèrent quelques instants dans l'air alors que quelques clameurs s'élevèrent du côté des Serres. Cependant, la majorité demeura silencieuse, consciente qu'il y avait autre chose. Attendant une réaction du lycanthrope, Deydreus passa ensuite la lame sur sa paume avant de la faire glisser d'un coup sec. De nouveau, du sang gicla dans cette nuit pluvieuse. Le sang de la Griffe, qui tendit ensuite la dague à Alasker avant de lui tendre sa main.
- Trop longtemps je t'ai appelé sous le nom d'Iratus, d'Alasker ou de mon lieutenant. A partir d'aujourd'hui, je veux pouvoir t'appeler mon frère. Le destin a fait que nous ne sommes pas nés dans la même famille, que nous ne partageons pas le même sang. Nous allons changer cela maintenant. Il étira un nouveau sourire face au loup. Elève toi Alasker, en tant que Tovyr, et comme mon frère.
Un rituel solennel, prononcé sous la pluie et dans le sang. Un ciel noir pour un sol rouge. A l'abri du soleil insidieux qui dérangeait tout autant les deux personnages. N'y avait-il pas, au final, meilleur tableau pour cela?
- Apparence des épées de Deydreus:
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Alasker Crudelis
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Alasker se traînait sur les restes du champ de bataille, la moitié d'une lance dépassant de sa spallière droite, l'empennage de quelques flèches hérissant la fourrure de grizzly lui servant de cape. La Salvatrice traçait un large sillon carmin dans la boue derrière-lui. Trempée de sang jusqu'à la hampe, l'engin de mort semblait repus, mais pour combien de temps encore ?
Les Serres, tout autour, parcouraient la dévastation, à la recherche de survivants qu'ils achevaient d'un coup d'estoc, sans pitié. Aussi funeste ce sort pouvait-il être, nul doute que les victimes encore vivantes de Kirk et Sanguin, occupées à s'égosiller sans discontinuer sous la cruelle caresse des lames de leurs bourreaux, l'enviaient avidement. La lèvre inférieure bizarrement tordue par une grimace de douleur causée par la migraine dévorant sa vision, Alasker s'arrêta quelques instants pour observer le plus fou des siens, accroupis aux côtés du corps aux jambes brisés d'une femme à la cotte de maille inondée de sang. Il lui mangeait le visage, avec l'application d'un orfèvre. Ses doigts crasseux tiraient de larges lambeaux de chair de la joue partiellement écorchée pour les jeter, cru, dans sa gueule de cauchemar.
“-Sanguin.” Le rabroua-t-il. Et le concerné recula à quatre pattes lorsque la hache de son maître s'abattit sur le cou de sa victime. “Récolte les trophées, ne les bouffe pas.”
Mais quel trophée y'avait-il véritablement à récolter, ici? Autant s'enorgueillir de la chasse aux lapins et aux écureuils. Ces proies-là ne méritaient pas d'être au tableau de chasse de quiconque. Incapable de se battre, ils avaient rompu les rangs dès lors que la gueule infestée de poux de leur chef avait disparu sous le fer de la Salvatrice. Les quelques cellules de résistance avaient été isolées et systématiquement massacrées. Les lames et les crocs des Dévoreurs s'étaient abattues sur leurs êtres chers. Rien n'avait survécu. Une centaine de morts, en une seule petite nuit. Une énième escarmouche, au nom de l'empire de la barbarie déguisé en phare contre les ténèbres divines. Sa main droite saignait. Les éclats d'un casque qu'il avait broyé entre ses doigts avec le crâne de son porteur y étaient resté fichés. Rageusement, il extirpa la lance fichée dans son épaule et la planta à ses pieds.
L’inefficacité de leurs ennemis avait au moins eu un point positif, cependant. Leur moral brisé, Alasker avait eu tout le loisir de surveiller la chose qu’était devenue son frère, alors qu’elle fendait les cieux et frappait ses ennemis à l’aide d’une répugnante magie. Aussi inhumain le héros déchu pouvait-il être, ses mouvements et ses prises de décisions avaient semblé motivé par un semblant de stratégie, et non par une soif dévorante, ce qui -il l’espérait- impliquait une réussite partielle du cauchemar qu’ils avaient partagé au cours du mois.
Eisyleij passa devant lui pour aider Gorrek à planter la bannière des Serres au milieu du massacre. Alasker et Sanguin les observèrent faire en ricanant comme les déments qu'ils étaient.
Puis Deydreus appela son frère. Et son frère répondit.
***
Les types étaient venus le chercher à quatre, ce qui était probablement leur manière de l’encourager au calme. Caparaçonnés des pieds à la tête dans des armures aussi noires que ses yeux, ils lui avaient demandé son nom et son prénom, comme si toutes les cellules du coin abritaient des monstres de son genre. Les gardiens avaient ri, sinistrement, en ouvrant la porte qui le séparait de la liberté. Pieds et poings liés par de lourdes chaînes, il s’était levé de sa couche infestée de puces et avait fait rouler ses épaules encore endolories par son dernier combat. Le plus élancé des quatre s’était immédiatement débarrassé du peu de respect qu’il aurait pu leur accorder en lâchant un “putain de merde” inquiet, lorsque leur invité s’était baissé pour passer la porte de sa cellule et se tenir devant eux. Un autre, plus épais et sans doute plus vieux, l’avait rabroué sèchement :
“-Tu le trouves à ton goût, Eisyleij?”
Un sourire mauvais s’était frayé un chemin sur ses traits ravagés de tics nerveux. La peur du prénommé “Eisyleij” se lisait dans ses piétinements et dans l’odeur de sa sueur. Elle emplissait le petit couloir où ils se trouvaient tous engoncés. Les autres avaient beau avoir l’air plus serein, leurs mains étaient toutes posées sur le pommeau de leurs lames.
Ce qui n’avait pas grand sens. Avec ou sans armes, Iratus aurait pu les tuer, tous les quatre, ici, avant que la garde ne rapplique. Il en avait tué beaucoup plus, en même temps, dans l’arène. Mais “leur chef” voulait le voir, lui. Pourquoi? Cette question valait bien la vie de quatre pauvres connards trop sûrs d’eux. Alors il les avait suivis. Docilement. Sans dire un mot. Jusqu’à la loge où l’attendait le reste de son comité d’accueil.
La parfaite représentation de l’officier imbu de lui-même l’y attendait, les bras dans le dos, le menton haut et les épaules droites, comme si la position du “garde-à-vous” était devenue une partie intégrante de sa personne. Un gars au teint trop clair pour être originaire du désert, avec un demi-sourire et des yeux étranges, qui vomissaient un regard puant l’ambition et la violence. Lorsqu’Iratus entra dans la loge, précédé par son escorte, une partie des soldats présents dans la pièce se redressèrent ou eurent un mouvement de recul. Mais ce jeune con d’officier resta parfaitement de marbre.
Ce qui paraissait logique, au final, puisque c’était lui qui l’avait convié ici. Il le salua, par son nom et par son prénom, comme si Iratus avait été n’importe quel autre invité, et que sa seule présence ne suffisait pas à faire trembler les genoux de la moitié de sa bande de danseuses, qui peinaient à voir ce qui se passait par-dessus son épaule.
“-C’est Iratus, maintenant.” Corrigea le loup, ce qui était vrai. Alasker Crudelis était mort en même temps que le royaume. Longue vie à l’Empire né sur ses cendres.
Un des soldats les plus sérieux, un type à belle gueule et aux dents blanches, assez large d’épaule pour être un porteur de hache ou de masse, maugréa quelque chose entre ses dents et l’officier secoua la tête. L’instant d’après, on lui retirait ses menottes.
“-Je doute que ça soit une bonne idée. Il est instable. Trop instable.” Continua le maugréeur. L’absence de cicatrice sur sa gueule trop propre indiquait qu’il était soit bon, soit lâche. Dans tous les cas, l’ironie ferait en sorte que, plus tard, l’auteur de ces paroles finisse par ne répondre qu’au nom de “Sanguin”.
“-Il n’a pas tort.” S’amusa-t-il en chassant le frémissement de sa paupière droite d’un claquement de mâchoire. “On vous a dit ce qui est arrivé au dernier officier qui m’a croisé?”
C’était étrange, de parler à des gens dans une pièce bien éclairée, sans avoir pour impératif de les tuer à la fin de la conversation. Et Iratus n’était pas certain que le loup en lui appréciait cette étrangeté.
“-J’ai lu les rapports. Bornheim était un idiot et il est mort tel quel…” Déclara calmement le jeune officier Deydreus Fictilem en s’avançant dans sa direction. “J’ai une proposition, Iratus.”
La proximité d’autres êtres vivants l’avait toujours mis mal à l’aise. Ces années passées dans l’arène n’ayant clairement pas arrangé cet état de fait, il dû retenir ses pulsions meurtrières quand les soldats s’avancèrent à la suite de leur chef. Peut-être parce qu’il avait remarqué le changement de posture du géant face à lui ou peut-être parce qu’il était complètement idiot, Deydreus les invita à rester à leur place d’un geste de la main.
Alors, au lieu de lui décrocher la tête, Iratus prêta l’oreille à cette proposition.
Beaucoup de mots. Beaucoup trop. Pour quelqu’un qui avait passé des années à tuer et à se morfondre au fond d’une cellule aux airs de grotte, l’avalanche d'informations s’était révélée difficile à suivre. Plusieurs fois, la brute avait dû faire répéter à son hôte ce qu’il attendait de lui tout en se concentrant pour repousser les jappements incessant du loup -toujours affamé- qui voyait en ce rassemblement de proies en milieu clos l’occasion d’un festin mémorable.
Mais il avait tenu bon. Deydreus avait présenté le projet des Serres Pourpres. Leur doctrine. Des soldats d’élites. Entraînés. Bien armés. Pragmatiques et organisés. Une assemblée de tueurs qui s’efforceraient de prouver à tous que la fin justifiait toujours les moyens… Et qui souhaitait l’intégrer dans ses rangs.
Le rire d’Iratus s’était échappé de sa gueule de cauchemar dans un jappement tonitruant, à la fin.
“-Je veux pas faire le rabat-joie, petit. Mais pas certain que tes copines apprécient de voir ma gueule associée à leur joli minois.” S’était-il entendu dire, en pointant le futur Sanguin du menton. “Les monstres, c’est foutrement moins vendeur, pour dérider les gueuses.
-Mais si les gueuses comparent leurs gueules de héros à la tienne, alors elles tomberont plus facilement dans leurs bras.” Avait immédiatement rétorqué le gamin qui deviendrait la Griffe d’un Empire entier, tout sourire.
La joute verbale, les quolibets entre camarades, il n’avait plus pratiqué depuis des années. Et à cet instant, Iratus avait pris conscience que ce genre de stupidité pouvait lui manquer.
Et c’était ce qui l’avait décidé.
Pour faire bonne mesure, il avait tout de même pris le temps de poser une condition : L’armure d’airain. La première d’une foutue grande lignée que Deydreus s’était engagé à financer lui-même sous les yeux écarquillés de ses subordonnés. Leur accord, ils l’avaient scellé non pas d’une signature mais d’une poignée de main brusque n’engageant strictement rien d’administratif, seulement leur honneur respectif.
Alors, pour servir sous l’étendard sombre, Iratus était redevenu Alasker Crudelis. Et avait juré fidélité aux Serres Pourpres.
***
Iratus ne ploya pas le genoux durant la déclaration qui suivit. Il demeura aussi immobile que possible malgré l'excitation d'un combat récent, écoutant d'un air quasiment solennel le vampire, tentant, tant bien que mal, de concevoir la portée des mots de ce dernier, alors que l'ultime promotion lui était accordée. A cela, il n'accorda que le silence respectueux inhérent à de telles circonstances. Mais lorsque Deydreus l'appela son frère, et entailla sa propre chair pour officialiser ce surnom, le géant d'airain sourit. Quelle ironie, que le chevalier noir pense qu'une poignée de main sanglante puisse sceller leur lien, alors que son passage récent dans les rangs des monstres avait déjà fait d'eux les membres d'une même famille, celui des prédateurs du genre humain, mais aussi des condamnés à la lente et irrémédiable chute vers la folie meurtrière.
Et sous les cris des mourants et les regards trop sérieux des Serres regroupés autour d'eux, Alasker s'empara de la lame du chevalier noir, non pas pour s'entailler une main déjà ouverte, mais pour en retirer les débris d'acier incrustés dans sa chair.
“-Mon frère, je suis honoré.”
Avec son habituelle absence de délicatesse, le géant attrapa ensuite la main tendue pour la serrer brusquement en affichant un sourire d’une révoltante laideur.
“-Mon serment, je le renouvelle et avec joie. Que chacun des indestructibles salopards autour de nous en soit témoin, le monde n’a pas fini de trembler en entendant le nom des Serres Pourpres !”
Une trentaine de poings s’écrasèrent contre autant de plastrons. Rires et acclamations couvrirent bientôt les gémissements des blessés, comme souvent après une victoire écrasante. Mais même la pluie torrentielle peina à rincer tout le sang versé.
Les Serres, tout autour, parcouraient la dévastation, à la recherche de survivants qu'ils achevaient d'un coup d'estoc, sans pitié. Aussi funeste ce sort pouvait-il être, nul doute que les victimes encore vivantes de Kirk et Sanguin, occupées à s'égosiller sans discontinuer sous la cruelle caresse des lames de leurs bourreaux, l'enviaient avidement. La lèvre inférieure bizarrement tordue par une grimace de douleur causée par la migraine dévorant sa vision, Alasker s'arrêta quelques instants pour observer le plus fou des siens, accroupis aux côtés du corps aux jambes brisés d'une femme à la cotte de maille inondée de sang. Il lui mangeait le visage, avec l'application d'un orfèvre. Ses doigts crasseux tiraient de larges lambeaux de chair de la joue partiellement écorchée pour les jeter, cru, dans sa gueule de cauchemar.
“-Sanguin.” Le rabroua-t-il. Et le concerné recula à quatre pattes lorsque la hache de son maître s'abattit sur le cou de sa victime. “Récolte les trophées, ne les bouffe pas.”
Mais quel trophée y'avait-il véritablement à récolter, ici? Autant s'enorgueillir de la chasse aux lapins et aux écureuils. Ces proies-là ne méritaient pas d'être au tableau de chasse de quiconque. Incapable de se battre, ils avaient rompu les rangs dès lors que la gueule infestée de poux de leur chef avait disparu sous le fer de la Salvatrice. Les quelques cellules de résistance avaient été isolées et systématiquement massacrées. Les lames et les crocs des Dévoreurs s'étaient abattues sur leurs êtres chers. Rien n'avait survécu. Une centaine de morts, en une seule petite nuit. Une énième escarmouche, au nom de l'empire de la barbarie déguisé en phare contre les ténèbres divines. Sa main droite saignait. Les éclats d'un casque qu'il avait broyé entre ses doigts avec le crâne de son porteur y étaient resté fichés. Rageusement, il extirpa la lance fichée dans son épaule et la planta à ses pieds.
L’inefficacité de leurs ennemis avait au moins eu un point positif, cependant. Leur moral brisé, Alasker avait eu tout le loisir de surveiller la chose qu’était devenue son frère, alors qu’elle fendait les cieux et frappait ses ennemis à l’aide d’une répugnante magie. Aussi inhumain le héros déchu pouvait-il être, ses mouvements et ses prises de décisions avaient semblé motivé par un semblant de stratégie, et non par une soif dévorante, ce qui -il l’espérait- impliquait une réussite partielle du cauchemar qu’ils avaient partagé au cours du mois.
Eisyleij passa devant lui pour aider Gorrek à planter la bannière des Serres au milieu du massacre. Alasker et Sanguin les observèrent faire en ricanant comme les déments qu'ils étaient.
Puis Deydreus appela son frère. Et son frère répondit.
***
Les types étaient venus le chercher à quatre, ce qui était probablement leur manière de l’encourager au calme. Caparaçonnés des pieds à la tête dans des armures aussi noires que ses yeux, ils lui avaient demandé son nom et son prénom, comme si toutes les cellules du coin abritaient des monstres de son genre. Les gardiens avaient ri, sinistrement, en ouvrant la porte qui le séparait de la liberté. Pieds et poings liés par de lourdes chaînes, il s’était levé de sa couche infestée de puces et avait fait rouler ses épaules encore endolories par son dernier combat. Le plus élancé des quatre s’était immédiatement débarrassé du peu de respect qu’il aurait pu leur accorder en lâchant un “putain de merde” inquiet, lorsque leur invité s’était baissé pour passer la porte de sa cellule et se tenir devant eux. Un autre, plus épais et sans doute plus vieux, l’avait rabroué sèchement :
“-Tu le trouves à ton goût, Eisyleij?”
Un sourire mauvais s’était frayé un chemin sur ses traits ravagés de tics nerveux. La peur du prénommé “Eisyleij” se lisait dans ses piétinements et dans l’odeur de sa sueur. Elle emplissait le petit couloir où ils se trouvaient tous engoncés. Les autres avaient beau avoir l’air plus serein, leurs mains étaient toutes posées sur le pommeau de leurs lames.
Ce qui n’avait pas grand sens. Avec ou sans armes, Iratus aurait pu les tuer, tous les quatre, ici, avant que la garde ne rapplique. Il en avait tué beaucoup plus, en même temps, dans l’arène. Mais “leur chef” voulait le voir, lui. Pourquoi? Cette question valait bien la vie de quatre pauvres connards trop sûrs d’eux. Alors il les avait suivis. Docilement. Sans dire un mot. Jusqu’à la loge où l’attendait le reste de son comité d’accueil.
La parfaite représentation de l’officier imbu de lui-même l’y attendait, les bras dans le dos, le menton haut et les épaules droites, comme si la position du “garde-à-vous” était devenue une partie intégrante de sa personne. Un gars au teint trop clair pour être originaire du désert, avec un demi-sourire et des yeux étranges, qui vomissaient un regard puant l’ambition et la violence. Lorsqu’Iratus entra dans la loge, précédé par son escorte, une partie des soldats présents dans la pièce se redressèrent ou eurent un mouvement de recul. Mais ce jeune con d’officier resta parfaitement de marbre.
Ce qui paraissait logique, au final, puisque c’était lui qui l’avait convié ici. Il le salua, par son nom et par son prénom, comme si Iratus avait été n’importe quel autre invité, et que sa seule présence ne suffisait pas à faire trembler les genoux de la moitié de sa bande de danseuses, qui peinaient à voir ce qui se passait par-dessus son épaule.
“-C’est Iratus, maintenant.” Corrigea le loup, ce qui était vrai. Alasker Crudelis était mort en même temps que le royaume. Longue vie à l’Empire né sur ses cendres.
Un des soldats les plus sérieux, un type à belle gueule et aux dents blanches, assez large d’épaule pour être un porteur de hache ou de masse, maugréa quelque chose entre ses dents et l’officier secoua la tête. L’instant d’après, on lui retirait ses menottes.
“-Je doute que ça soit une bonne idée. Il est instable. Trop instable.” Continua le maugréeur. L’absence de cicatrice sur sa gueule trop propre indiquait qu’il était soit bon, soit lâche. Dans tous les cas, l’ironie ferait en sorte que, plus tard, l’auteur de ces paroles finisse par ne répondre qu’au nom de “Sanguin”.
“-Il n’a pas tort.” S’amusa-t-il en chassant le frémissement de sa paupière droite d’un claquement de mâchoire. “On vous a dit ce qui est arrivé au dernier officier qui m’a croisé?”
C’était étrange, de parler à des gens dans une pièce bien éclairée, sans avoir pour impératif de les tuer à la fin de la conversation. Et Iratus n’était pas certain que le loup en lui appréciait cette étrangeté.
“-J’ai lu les rapports. Bornheim était un idiot et il est mort tel quel…” Déclara calmement le jeune officier Deydreus Fictilem en s’avançant dans sa direction. “J’ai une proposition, Iratus.”
La proximité d’autres êtres vivants l’avait toujours mis mal à l’aise. Ces années passées dans l’arène n’ayant clairement pas arrangé cet état de fait, il dû retenir ses pulsions meurtrières quand les soldats s’avancèrent à la suite de leur chef. Peut-être parce qu’il avait remarqué le changement de posture du géant face à lui ou peut-être parce qu’il était complètement idiot, Deydreus les invita à rester à leur place d’un geste de la main.
Alors, au lieu de lui décrocher la tête, Iratus prêta l’oreille à cette proposition.
Beaucoup de mots. Beaucoup trop. Pour quelqu’un qui avait passé des années à tuer et à se morfondre au fond d’une cellule aux airs de grotte, l’avalanche d'informations s’était révélée difficile à suivre. Plusieurs fois, la brute avait dû faire répéter à son hôte ce qu’il attendait de lui tout en se concentrant pour repousser les jappements incessant du loup -toujours affamé- qui voyait en ce rassemblement de proies en milieu clos l’occasion d’un festin mémorable.
Mais il avait tenu bon. Deydreus avait présenté le projet des Serres Pourpres. Leur doctrine. Des soldats d’élites. Entraînés. Bien armés. Pragmatiques et organisés. Une assemblée de tueurs qui s’efforceraient de prouver à tous que la fin justifiait toujours les moyens… Et qui souhaitait l’intégrer dans ses rangs.
Le rire d’Iratus s’était échappé de sa gueule de cauchemar dans un jappement tonitruant, à la fin.
“-Je veux pas faire le rabat-joie, petit. Mais pas certain que tes copines apprécient de voir ma gueule associée à leur joli minois.” S’était-il entendu dire, en pointant le futur Sanguin du menton. “Les monstres, c’est foutrement moins vendeur, pour dérider les gueuses.
-Mais si les gueuses comparent leurs gueules de héros à la tienne, alors elles tomberont plus facilement dans leurs bras.” Avait immédiatement rétorqué le gamin qui deviendrait la Griffe d’un Empire entier, tout sourire.
La joute verbale, les quolibets entre camarades, il n’avait plus pratiqué depuis des années. Et à cet instant, Iratus avait pris conscience que ce genre de stupidité pouvait lui manquer.
Et c’était ce qui l’avait décidé.
Pour faire bonne mesure, il avait tout de même pris le temps de poser une condition : L’armure d’airain. La première d’une foutue grande lignée que Deydreus s’était engagé à financer lui-même sous les yeux écarquillés de ses subordonnés. Leur accord, ils l’avaient scellé non pas d’une signature mais d’une poignée de main brusque n’engageant strictement rien d’administratif, seulement leur honneur respectif.
Alors, pour servir sous l’étendard sombre, Iratus était redevenu Alasker Crudelis. Et avait juré fidélité aux Serres Pourpres.
***
Iratus ne ploya pas le genoux durant la déclaration qui suivit. Il demeura aussi immobile que possible malgré l'excitation d'un combat récent, écoutant d'un air quasiment solennel le vampire, tentant, tant bien que mal, de concevoir la portée des mots de ce dernier, alors que l'ultime promotion lui était accordée. A cela, il n'accorda que le silence respectueux inhérent à de telles circonstances. Mais lorsque Deydreus l'appela son frère, et entailla sa propre chair pour officialiser ce surnom, le géant d'airain sourit. Quelle ironie, que le chevalier noir pense qu'une poignée de main sanglante puisse sceller leur lien, alors que son passage récent dans les rangs des monstres avait déjà fait d'eux les membres d'une même famille, celui des prédateurs du genre humain, mais aussi des condamnés à la lente et irrémédiable chute vers la folie meurtrière.
Et sous les cris des mourants et les regards trop sérieux des Serres regroupés autour d'eux, Alasker s'empara de la lame du chevalier noir, non pas pour s'entailler une main déjà ouverte, mais pour en retirer les débris d'acier incrustés dans sa chair.
“-Mon frère, je suis honoré.”
Avec son habituelle absence de délicatesse, le géant attrapa ensuite la main tendue pour la serrer brusquement en affichant un sourire d’une révoltante laideur.
“-Mon serment, je le renouvelle et avec joie. Que chacun des indestructibles salopards autour de nous en soit témoin, le monde n’a pas fini de trembler en entendant le nom des Serres Pourpres !”
Une trentaine de poings s’écrasèrent contre autant de plastrons. Rires et acclamations couvrirent bientôt les gémissements des blessés, comme souvent après une victoire écrasante. Mais même la pluie torrentielle peina à rincer tout le sang versé.
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