Les bras croisés sous sa poitrine, frappée par le vent glacial qui soufflait inlassablement sur les terres inhospitalières du nord, Dahlia avançait, la respiration courte et les yeux à moitié clos. Ses ailes dansaient dans son dos, s'arquant sous les bourrasques qui les malmenaient, oscillant d'un vert pomme à un noir corbeau dans une myriade de nuances arc-en-ciel. La Fae détonnait dans ce décor froid et austère et lorsqu'elle releva la tête, passant une main juste au-dessus de son front pour préserver ses yeux de la lueur du soleil, un sourire s'empara de ses traits. Elle se trouvait sur les anciennes terres des Elfes, du peuple de celui qui rythmait son quotidien et cette simple affirmation lui réchauffait le cœur. Hélas, le rêve s'était terminé bien avant qu'elle n'ait eu le temps de visiter ce royaume et il ne restait que les vestiges de songes, d'espoirs qui ne verraient jamais le jour. Bercée par une nostalgie qui ne faisait guère de sens, Dahlia se sentait galvanisée par le goût de l'aventure, du voyage. Profonde casanière, elle ne s'aventurait que rarement en dehors de Melorn. Sa main libre sur son ventre légèrement rebondi, elle se surprit à penser à ce que son futur enfant pourrait bien penser de ces terres qui jadis étaient siennes. Son esprit erra jusqu'à certains ouvrages sur les terres du Nord qu'elle avait lu, enfouie sous la couette, lors d'une nuit sans Eliëndir à ses côtés.


Elle secoua la tête, reprenant pied avec la réalité alors qu'une énième brise envoyait valser sa longue chevelure blonde bouclée dans son dos. Elle ne se trouvait pas si loin de son foyer, pourtant l'atmosphère contrastait tant avec la cité elfique qu'elle se serait crue à l'autre bout du monde. D'un pas précautionneux et léger, elle poursuivit son ascension, un œil attentif aux restes de végétaux qui l'entouraient. La Fae se pencha sur l'écorce de quelques arbres calcinés, une pointe d'amertume venant percer son cœur alors que la nature autour d'elle se mourrait. Son soudain changement de vie la poussait à considérer les choses simples plutôt que la complexité d'un quotidien républicain : la faune, la flore, l'odeur des croissants au petit matin, le regard aimant d'un mari… Tout résonnait en elle, synonyme d'un renouveau qui l'attendait bras ouverts. Dahlia continua son chemin, suivant religieusement ce sentier qui avait sans doute été tracé pour les nombreux trajets des Reikois dans les terres du nord pour s'approvisionner en minerai. Une activité qui déplaisait à la Fae, mais dont elle ne pouvait point débattre. En s'installant à Melorn, elle avait en quelque sorte renié ses origines et si son allégeance n'allait point au peuple guerrier, en tant que femme d'ambassadeur, elle ne pouvait ouvertement leur tourner le dos. Sans doute le Reike avait-il plus à offrir que ce qu'elle voyait, de l'œil d'une voyageuse peu aguerrie, d'une éducation républicaine, droite et laissant peu de place au doute.


Sa main glissa sur les pétales d'une Belle de Jour dont la présence l'étonna quelque peu, ces dernières ne poussant que dans les forêts reculées. Accroupie auprès de la fleur qu'elle contemplait, respirant sa douce fragrance si particulière, la Fae resta ainsi durant plusieurs minutes sans même qu'un son ne s'échappe de ses lèvres rosées. Elle se sentait si bien en ces lieux sordides, tant que cela défiait la raison. La Belle n'était pas la raison de sa venue dans ces terres sacrées et cela faisait déjà plusieurs heures qu'elle marchait, ne s'arrêtant que rarement pour prendre une pause, ses jambes ciselées étant habituées aux longues marches. L'objet de sa convoitise était aussi unique que surprenant : une Nordique. Une plante immaculée qui prospérait même sur des glaciers, aux propriétés uniques. Si Dahlia elle-même n'était pas particulièrement intéressée par la jeunesse éternelle ou par la beauté, probablement, car dans un sens, elle les possédait déjà, elle savait que les futurs clients de sa boutique voyaient en ce végétal l'espoir d'une nouvelle vie. Qui était-elle pour leur arracher ? Elle se releva doucement et commença à reprendre la route quand son pied se prit dans une racine et que tout son corps voltigea sur le côté, la laissant souffrante dans la terre, une violente entorse l'empêchant de se remettre en chemin. Dans sa chute, la Fae avait laissé échapper un gémissement de douleur qui venait tordre le silence des lieux et elle resta ainsi sans bouger, sans oser retirer sa cheville de ce piège naturel, craignant d'empirer son état. Le froid ne tarderait point à la rattraper, et elle ne pouvait rester ici indéfiniment. Un long soupir s'échappa de l'entre-ouverture de ses lèvres et elle se mit à penser tout haut. « Quelle idiote je fais… »

- WAHAAAAAAAAAAAAA PLUS VIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIITE !!!

La voix de la petite fae résonnait dans les vastes étendues des Terres du Nord. Comme à son habitude, celle-ci n’en faisait qu’à sa tête et selon son bon plaisir. Chevauchant un élan avec qui elle avait sympathisé quelques heures plus tôt, le binôme d’amis fae-élan galopait à toute vitesse, cornes et cheveux dans le vent. Ahatsara se riait bien du danger pour le moment, en particulier, car il n’y avait rien ni personne à l’horizon, et qu’elle n’avait pas croisé grand monde depuis le début de son voyage. Le cri strident d’un oiseau dans le ciel fit arrêter la course folle sur place et la fae leva les yeux vers le ciel qui était bien bas vu la couche nuageuse qui dormait là-haut.

- QUE SE PASSE-T-IL CRÉCERELLE ?

Oui, en plus d’avoir noué une amitié avec cet élan, Ahatsara avait aussi communiqué avec une crécerelle qui avait accepté de la suivre et de surveiller les alentours avec de la hauteur. L’oiseau venait d’appeler la fae, ce qui signifiait qu’il n’y avait pas un danger immédiat qui demandait de la discrétion (chose dont elle était incapable de toute façon), mais quelque chose d’anormal était en vue. Ahatsara comprit les explications rapides qui lui furent délivrées par le piaf : un individu était en difficulté au loin, en plus, c’était en contrebas de la vallée dans laquelle ils marchaient. Cela allait retarder considérablement son voyage, mais maintenant qu’elle avait eu cette information, elle ne pouvait pas faire comme si de rien n’était ! Elle descendit de sa monture et proposa un plan.

- Bien, élan, tu vas brouter des maggis afin de reprendre des forces, toi crécerelle, repose toi un peu aussi, nous allons aider cette personne ! Oh, moi, je vais aller cueillir des baies là-bas !

Courant et sautillant pour se déplacer jusqu’au petit buisson qui arborait quelques baies, elle laissa ses amis se nourrir et se reposer. Ahatsara cueillit avec précaution les fruits un à un avant de les ranger dans un petit sac de toile. Il fallait résister à la tentation de toutes les dévorer ! D’un mauve éclatant, elles avaient l’air si délicieuses ! Juste une petite ?! NON. Quel genre d’aide serait-elle en cédant ainsi à sa gourmandise ? Il fallait vite qu’elle oublie la présence des baies, et les rangea dans sa sacoche. Pour s’occuper l’esprit, elle attrapa quelques fleurs et quelques feuilles qu’elle trouvait jolies. Elle en accrocha dans ses cheveux, d’autres sur sa veste, tout cela dans un mélange aussi original que désordonné.

- Est-ce que vous êtes prêts à repartir ? Alors allons-y !

Grimpant à nouveau sur l’élan, Ahatsara regarda la crécerelle reprendre son vol dans les airs. Pour arriver jusqu’à la personne en difficulté, il n’était plus question de galopade ou de course effrénée dans la pampa. Qui sait ce qui avait bien pu se passer ? Une bestiole sauvage était peut-être à l’origine de cette situation, ou pire, une créature fantastique malfaisante. Alors, pour une fois, la fae était précautionneuse. C’est après une bonne heure à trottiner à dos d’élan, qu’elle vit de ses propres yeux la triste scène. Une petite femme était tombée et ne semblait pas réussir à se relever. Une femme ou une fae ? Etait-ce des ailes dans son dos ?

- EHOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO ! NOUS ARRIVONS POUR VOUS AIDER ! TENEZ BON !

La discrétion n’est vraiment pas le point fort de la petite fae qui braillait soudainement en surplomb de Dahlia.

Bloquée au sol, Dahlia constatait les conséquences de sa chute, sa robe blanche complètement tâchée par la terre sur laquelle elle avait glissé. Sa cheville gonflait dangereusement, son corps tremblotant sous le froid des Terres du Nord pourtant autrefois si accueillantes et sa seule option pour apaiser ses peines n'était pas réalisable. Si son premier réfléxe avait été de se dire qu'elle pouvait user de sa magie élémentaire pour refroidir son articulation qui la faisait souffrir, la Fae se rendait bien compte des températures externes qui ne serait qu'accentuées par la glace qu'elle manipulait du bout des doigts. Une moue dubitative sur le visage, les deux mains posées sur son mollet qu'elle malaxait avec délicatesse, la jeune femme regrettait déjà ce voyage. Il ne lui en fallait pas beaucoup pour passer d'une émotion à l'autre et cette petite excursion allait encore lui offrir quelques surprises, car bientôt, ce fut le son d'un galop bruyant qui arriva à ses oreilles fines.


Elle releva la tête, la penchant légèrement sur le côté dans l'interrogative, tentant de déterminer d'où venait ce bruit si particulier. Si les animaux sauvages étaient légion en ces lieux, ils ne couraient que très rarement à une si grande vitesse et l'hypothèse qui lui vint en tête ne fit que lui glacer le sang. L'animal fuyait-il un prédateur ? Dahlia ne craignait que peu la faune des environs, un soupçon d'égo restant de son enfance passée en forêt à côtoyer tous types de créatures, mais à cet instant précis, elle se retrouvait tétanisée. Elle tira sur sa cheville pour se dépêtrer de la racine qui avait causé sa chute, la panique s'emparant de ses traits fatigués tandis que le galop perdait en intensité dans sa direction, devenant un léger trot. Bientôt une ombre se détacha du bosquet, gargantuesque, deux immenses bois trônant sur le crâne du cervidé qui ne se trouvait plus qu'à quelques mètres. Prise de peur, la Fae se mit à hyperventiler, subissant de plein fouet une crise d'angoisse conséquente, alors qu'une voix inconnue s'élevait enfin dans les airs.


Le souffle court, son cœur fracassant les parois de sa cage thoracique, Dahlia releva les yeux et aperçut une silhouette posée sur le dos de l'élan. « Je… euh.. qui… ». Les mots lui manquaient pour définir ce qui se passait devant elle. Une jeune fille de petite taille à la longue chevelure brune ornée de fleurs s'approchait dangereusement, qui plus est sur le dos d'une créature majestueuse qui la surplombait, créant une ombre bloquant les rayons du soleil qui réchauffaient sa peau jusqu'ici. Elle cligna des yeux, perturbée par cette présence aussi chaleureuse que surprenante. Si d'ordinaire la Fae se serait envolée pour fuir en sécurité, elle ne se trouvait pas en position de négocier et l'enthousiasme de cette inconnue lui rappelait celui de ses enfants quand elle travaillait encore à l'orphelinat, ce qui eut pour effet de la détendre progressivement. « Vous… Vous êtes du coin ? Je… Je suis désolée si je vous ai dérangé en criant, je… je suis tombée et… ». Un long soupir s'échappa de l'entre ouverture de ses lèvres. « Dé… Désolée, je vous explique ce que vous voyez déjà, je suis un peu sonnée. Je n'arrive pas à me relever, je pense que j'ai dû me fouler la cheville, c'est la première fois que je m'aventure ici, je cherchais une fleur et… ». La Fae abhorrait l'idée de quémander de l'aide, encore plus à quelqu'un dont elle ne connaissait même pas le nom. Toujours assise sur le sol terreux, elle tendit la main à la jeune fille qu'elle venait de rencontrer. « Excusez-moi… Je m'appelle Dahlia, j'en aurais presque oublié les politesses. Vous êtes ?... ». Son regard se dirigea à nouveau vers le cervidé qui semblait incroyablement docile. « C'est impressionnant, les élans ne se laissent pas faire si aisément d'ordinaire… Vous devez vraiment être spéciale, mademoiselle. ». Elle ne croyait pas si bien dire…

La découverte de la femme blessée créa un mélange d’émotions pour notre petite brune chaotique. Dans un premier temps, c’est la surprise et la curiosité qui dominent face à cette rencontre inattendue avec une autre fae blessée. Les Terres du Nord sont vastes, et il n’est pas courant de rencontrer d’autres êtres magiques en détresse dans ces régions sauvages. Dès le début, un sentiment de compassion s’éveille chez Ahatsara. En tant qu’être bienveillant, elle est instinctivement portée à vouloir aider ceux dans le besoin, même s’ils sont des inconnus, comme cette fae. En voyant ce spectacle, elle ne peut s’empêcher de ressentir de la sympathie pour la douleur et la vulnérabilité de cette femme. Elle n’a pas d’autres choix que s’impliquer et chercher des moyens pour soulager les souffrances bien visibles.

- Oh non non non, je ne suis pas d’ici ! Enfin, pas tout à fait ! Et vous-même ?

L’élan ralentit son trot en arrivant à proximité de la fae jusqu’à s’arrêter totalement. Ahatsara bondit au sol pour s’approcher de celle qui s’excusait de l’avoir dérangé. Mais dérangé de quoi au juste ? De toute façon, le plus intéressant, et de loin, était ce qu’elle cherchait : une fleur !

- Une fleuuuuuuuuur ? J’adore les fleurs ! Qu’est-ce que vous cherchez, hein ?

Pendant qu’elle s’exclamait sur son amour des fleurs, Ahatsara regardait tout ce qui se trouvait autour de la blessée. L'objectif numéro un d’une telle situation était de fabriquer une attelle naturelle. Notre fae n’est pas une grande guérisseuse d’humanoïdes, mais elle peut tout de même utiliser ses connaissances des plantes et des matériaux naturels pour créer une attelle adaptée à la blessure. Tout cela devenait très palpitant dans sa petite tête !

- Nordrik, est-ce que tu peux aller chercher des branches assez flexibles, s’il te plaît ? Et toi Luminelle, il me faudrait de graaaandes feuilles pour fabriquer des renforts ! Ça va être super !

Ainsi, elle pourra immobiliser la cheville blessée avec l’attelle improvisée. Avec un peu de chance, l'éclopée pourra ainsi se déplacer sans aggraver sa blessure. C’était parfait ! La jeune fae se présenta ensuite sous le nom de Dahlia, le nom d’une fleur ! Et d’une très belle fleur, si vous voulez l’opinion d’Ahatsara. Il était temps pour elle de se présenter également.

- Je suis Ahatsara, la fae des Oasis ! Ouiiii, c’est moi ! Je travaille comme vétérinaire, mais aussi un peu comme dompteuse, je crois. Et vous, c’est quoi votre travail ? Vous êtes fleuriste ? Ou botaniste ? Ou apothicaire ? Non, vous êtes jardinière ?!

Elle parlait, parlait, parlait, tout en regardant au loin ses amis Nordrik l’élan et Luminelle la crécerelle qui ramassaient des branches et des feuilles. Dahlia trouvait d’ailleurs la relation d’Ahatsara très particulière avec les animaux. C’était le moins que l’on puisse dire !

- Oh nooon, ils sont gentils si on s’amuse bien avec eux ! Je possède un pouvoir de communication avec les animaux, très pratique pour sympathiser avec eux ! Je vous rassure, cela ne veut pas dire qu’ils m’obéissent comme ça ! Non non non ! Ils font ce qu’ils veulent bien faire ! Là, c’est quelque chose de facile que je leur ai demandé, et Nordrik profite pour manger des herbes et Luminelle aura peut-être trouvé une souris ! Oh, on va vous fabriquer une belle attelle spéciale des Terres du Nord !

Lentement mais sûrement, la surprise laissa place à un soulagement, le rythme cardiaque de Dahlia revenant à la normale en constatant qu'il n'y avait ici aucun danger, si ce n'est la racine qui avait entravé sa route. La spontanéité et l'optimisme de la jeune fille venue à sa rescousse lui rappelait étrangement certains enfants de l'orphelinat, provoquant une vague de nostalgie qui manqua d'annihiler le peu de joie qu'elle ressentait. Un petit sourire naquit sur ses traits fatigués tandis que l'inconnue répondait à ses questions à une vitesse ahurissante, témoignant de son excitation et sans doute de sa jeunesse que la Fae vint à lui envier durant quelques secondes. Elle acquiesça doucement aux exclamations de la jeune fille avant de lui répondre à son tour, prenant petit à petit ses aises avec sa soigneuse du jour. « Pour tout vous dire, je viens de la République mais je me suis installée tout récemment à Melorn. Êtes-vous loin de chez vous ? ». Dahlia dut contenir son envie de l'interroger sur ses origines, sur une potentielle famille qui l'attendait. Etrange cette sensation de vouloir sauver autrui alors qu'on est soi-même en difficulté, toutefois la Fae ne pouvait être changée. Même au bord du gouffre, à deux doigts de céder, elle ne pensait qu'aux autres. Alors qu'elle sautait pour être à son niveau, la Fae put constater que la demoiselle était bien plus petite qu'elle, ne faisant qu'augmenter son impression de faire face à une enfant. Elle se racla la gorge après avoir pris une longue inspiration, se concentrant pour ne pas retomber dans ses travers de directrice d'orphelinat alors que le sujet de la fleur revenait enfin sur la table.


« J'adore les fleurs également. Je cherche une Nordique, c'est une fleur très rare qui ne pousse que dans les terres du nord. Les légendes racontent qu'elle prodiguerait la jeunesse éternelle ainsi que la beauté. ». Sa tête se pencha légèrement sur le côté, laissant ses boucles dorées toucher les brins d'herbes glacés gisant sur le sol. « Pour l'instant, je fais chou blanc. Cela fait des heures que je marche sans parvenir à mettre le doigt dessus et à force de fouiller dans les buissons, j'en ai oublié de regarder devant moi. ». Dire que Dahlia se sentait idiote aurait été un euphémisme. Son regard se dirigea vers l'élan qui s'éloignait après l'injonction de la demoiselle, toujours aussi ébahie de voir le contrôle que l'inconnue avait sur la faune qui l'entourait. Complètement émerveillée, la Fae en vint à se demander ce qu'elle aurait pu faire d'un don pareil, si seulement elle en avait été pourvue plutôt que d'inoculer des maladies à tour de bras… Le destin ne lui souriait que trop peu à son goût. Et au moment où elle s'apprêtait à poursuivre ses explications, elle s'arrêta la bouche entre-ouverte, un ultrason parcourant ses oreilles. « La… La F… ». Elle cligna des yeux à répétition. « F… Fae ?!! ». Et dans un sursaut de joie incontrôlé, elle voulut se redresser pour l'attraper dans ses bras, sa cheville la rappelant rapidement à l'ordre dans un gémissement de douleur. « Aaïe ! Oh je… Je suis désolée je… C'est simplement que je n'ai… Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de côtoyer d'autres Faes, nous sommes si rares encore plus dans ce coin du monde et… C'est.. C'est formidable ! C'est merveilleux ! Je suis si ravie de faire votre.. votre connaissance ! ».


Ses ailes multicolores battaient dans son dos, témoignant du plaisir qui la galvanisait de se retrouver en si bonne compagnie. « Enchantée Ahatsara ! C'est un prénom charmant. ». A cet instant précis, Dahlia aurait tout fait pour bien se faire voir de sa sauveuse et son coeur bondissait contre les parois de sa cage thoracique. « Je suis fleuriste à Melorn. Je viens d'ouvrir ma boutique il y a quelques mois et c'est la raison pour laquelle je suis à la recherche de Nordiques. Je voudrais en faire pousser dans la serre familiale et les vendre à ceux qui en ont le besoin. Si possible j'aimerais leur éviter de subir le même sort qu'à ces terres il y a plusieurs années de cela. ». Une envie, une vanité plutôt, mais elle n'alla guère au fond de sa pensée, trop préoccupée par le bonheur qui faisait bouillir ses veines. « Vétérinaire ? Cela explique votre lien avec les animaux. Ils vous font confiance, cela crève les yeux. Je suis un peu jalouse je dois le reconnaître. ». Elle la gratifia d'un immense sourire rayonnant dont la sincérité débordait. « Je vous remercie de prendre autant de temps pour moi, je vous assure que j'irais mieux après un peu de repos et de… ». Sa main s'approcha de sa cheville, y laissant planer quelques flocons pour rafraîchir l'inflammation. « Magie. Je me sens déjà revigorée, même si je dois admettre que votre attelle fera sans doute beaucoup mieux son travail qu'un peu de glace. ». Un rire s'échappa de l'entre ouverture de ses lèvres, l'ambiance ayant changé du tout au tout. « Mais qu'est-ce que vous faites ici, Ahatsara ? Si je puis me permettre, nous sommes relativement loin des oasis. A moins que ce ne soit un titre qui vous vient de vos origines ? Si je suis trop curieuse n'hésitez pas à m'arrêter. ». Car dans l'état dans lequel elle se trouvait, Dahlia ne contrôlait ni ses mots ni ses gestes…

Alors que Dahlia partageait son histoire avec un mélange d’enthousiasme et d'embarras, Ahatsara écoutait attentivement, un sourire malicieux se dessinant ses lèvres. Les boucles dorées de Dahlia dansaient dans le vent, et la fae des oasis ne pouvait s’empêcher de trouver sa naïveté charmante.

Pour elle-même, elle pensa qu’une fae qui cherche des fleurs pour la jeunesse éternelle et la beauté représentait un objectif ambitieux, c’est le moins que l’on puisse dire ! Et ces heures passées à fouiller les buissons sans succès, Dahlia a vraiment l’air d’avoir pris la notion de se perdre à la lettre !

Quand Dahlia fit soudainement un petit cri de douleur, Ahatsara retint un rire, et ses yeux pétillèrent d’amusement. La maladresse de cette autre fae ajoutait une belle authenticité à cette rencontre du hasard. La suite de ses paroles, exprimant sa gêne et son excitation à rencontrer la fae des oasis, fit sourire notre petite dompteuse d’un air taquin.

Elle est mignonne, toute troublée et enthousiaste. C’était rafraîchissant de voir quelqu'un d’aussi direct et sans chichis. Mais il fallait être honnête, Ahatsara n’avait pas tout à fait prévu d’être une “sauveuse” pour le déroulé de sa journée.

Lorsque Dahlia complimenta le prénom d’Ahatsara et partagea ses propres intentions concernant les Nordiques, Ahatsara hocha la tête avec un nouveau sourire compatissant. Elle écoutait avec une pointe de curiosité alors que Dahlia parlait de sa boutique de fleurs à Melorn et de ses aspirations. C’était un très beau rêve, sans doute idéaliste, mais c’est ce qui rend les rêves si spéciaux, n’est-ce pas ? Et elle a l’air si reconnaissante… Et peut-être un peu étonnée de voir la petite fae s’occuper d’elle.

Puis vint la question sur le prétendu titre des “Oasis” et pourquoi Ahatsara se trouvait ici dans les Terres du Nord, cela tira un rire taquin de cette dernière.

- Enchantée aussi Dahlia ! Hé oui, Oasis, ce n’est pas un nom d’emprunt, c’est bien de là où je viens ! Un endroit très différent de ce coin plus froid et sauvage, pas vraiment agréable ni verdoyant. Les chemins chaotiques m’appellent, que puis-je dire ?

Son rire s’échappa à nouveau alors qu’elle secouait la tête. Puis, elle s’approcha doucement de Dahlia, un air de taquinerie dans les yeux.

- Pour ce qui est de toi, ma chère Dahlia, je propose que tu oublies les aventures en solo dans les buissons glacés pour le moment. Une idée plus folle : que dirais-tu de te joindre à mon joyeux équipage, composé de Nordik, Luminelle et moi ? Direction Melorn, où un guérisseur pourrait faire des miracles sur ta cheville rebelle ? Qu’en dis-tu ?

Ahatsara accompagna sa proposition d’un sourire chaleureux, sachant qu’elle pouvait offrir une solution qui non seulement soulagerait la douleur de Dahlia, mais qui pourrait également rendre leur voyage encore plus inoubliable ! En attendant, Nordrik et Luminelle revinrent avec les matériaux réclamés par la fae qui souriait maintenant avec gratitude.

- Dahlia, ton désir de protéger et de préserver est admirable. C’est une noble quête que tu entreprends, et je suis honorée de t’aider. Nous allons utiliser ces matériaux pour créer une attelle qui soutiendra ta cheville blessée et t’aider à te déplacer sans trop de douleurs.

Elle se mit au travail avec précaution et expertise, tissant les branches et les feuilles en une attelle bien ajustée. Rapidement, elle aide Dahlia à enfiler doucement l’attelle de fortune.

Face à l'enthousiasme et à la spontanéité débordante de sa congénère, Dahlia restait bouche bée. Jamais dans sa longue existence de plus de quatre cents ans n'avait-elle rencontré un tel déferlement de bonne humeur, une pile électrique emplie de bienveillance qui ne pouvait déclencher chez elle qu'un océan de tendresse. Ainsi la jeune demoiselle venait des oasis. A bien y réfléchir, Melorn ne se trouvait pas si éloigné du Reike quand bien même les différences climatiques faisaient songer au contraire. Après une éducation purement républicaine, la Fae ne sut comment réagir à cette nouvelle car si elle avait lutté toute sa vie contre les préjugés, elle ne pouvait nier en posséder quelques-uns aussi. Peut-être que toutes les Faes qu'elle recherchait étaient parties se réfugier dans le sable chaud, ce qui expliquait sa difficulté à en rencontrer. Elle hocha la tête doucement, alors que la réponse d'Ahatsara ne faisait que susciter plus de questions dans son esprit. « Je n'ai jamais vu d'oasis. La vérité étant qu'il est sans doute préférable que ce soit le cas, car il est rare de tomber sur ce genre de mirages à moins d'être soi-même perdu dans le désert. ». Son regard erra sur le paysage nordique qui les entourait, sur ce froid glacial qui la faisait frissonner. Quelle idée saugrenue d'être ainsi venue seule se planter dans les terres du nord uniquement pour trouver un spécimen de fleur spécifique ? Sa curiosité la tuerait.


Réalisant leur proximité soudaine ainsi que certains tics de langage de son interlocutrice, Dahlia décida d'en faire de même et lui! tendit la main afin de se relever et d'enfiler correctement l'attelle. « Tu vas probablement rire, mais c'est la première fois que j'entreprends un voyage seule. J'ai toujours été très casanière, attachée à mon foyer. Et pour être honnête avec toi, plutôt effrayée par ce qui pouvait se passer dans ces bois. Un comble alors que je suis née dans les forêts républicaines. ». Tout en regardant les animaux revenir avec des matériaux, ce qui eut le don de la surprendre encore plus qu'elle ne le pensait possible, elle poursuivit en tendant sa jambe pour l'installer dans sa botte de fortune après y avoir appliqué une seconde couche de glace. « Je serais ravie de rejoindre ton… équipage, Ahatsara. En parlant de celui-ci, depuis combien de temps arpentes-tu les terres du nord ? Car si j'ai bien compris, tu te trouves loin de chez toi. Je ne vais pas te faire l'affront de re-poser la question, j'espère simplement que le retour chez toi ne sera pas trop ardu. ». Encore une fois, la Fae mettait les pieds, tout du moins le pied dans le plat. Quant à trouver un guérisseur à Melorn, ce serait chose aisée mais une longue route les attendait.


Une fois relevée grâce à l'aide de la jeune fille, elle se pencha doucement en direction de l'élan pour lui tendre la main. Intimidée, la Fae n'osa pas faire le pas de trop dans sa direction et attendit plusieurs secondes d'obtenir un semblant d'approbation avant de venir lui flatter le cou. Maintenant sur ses jambes, il était difficile pour Dahlia de cacher son état avancé de grossesse ce qui rendait son excursion d'autant plus ridicule. Elle se tourna vers Ahatsara pour la gratifier d'un sourire délicat. « Tu as toujours été aussi altruiste avec les inconnus ? C'est une qualité rare, j'ai eu beaucoup de chance de te croiser sur ma route. ». Encore plus qu'elle ne l'aurait cru possible. La jeune blonde tourna la tête vers le chemin qui l'avait menée jusqu'à cet endroit, légèrement déçue de ne pouvoir rentrer avec la fleur qu'elle était venue chercher. Pourtant elle ne pouvait continuer. Il fallait alors seulement espérer que le guérisseur ne s'attarde pas trop sur son état général et la laisse repartir sans avertir son bien-aimé qui lui aurait passé un savon, à raison. Alors qu'elle commençait à avancer lentement, l'attelle de fortune créée par Ahatsara semblant aider considérablement sa marche, Dahlia se transforma en un véritable moulin à paroles. « Tu es déjà venue à Melorn ? C'est une cité magnifique. Je n'y vis pas depuis très longtemps, mais quand j'étais jeune j'en étais déjà amoureuse. Tu… Tu ne connaitrais pas d'autres… d'autres Faes dans... dans les environs, à tout hasard ? ». Parlait-elle uniquement de la ville, à cet instant précis ? « Pardon, si je pose trop de questions, il ne faut pas hésiter à m'arrêter.  ». Elle qui avait si peu l'occasion de socialiser s'accrochait à la moindre interaction positive, et si elle espérait que la jeune fille ne se lasse pas de sa présence, elle devait être plus calme, plus posée. L'énergie dont elle débordait n'était pas coutume, aussi elle en profita, tant que cela pouvait durer…

Ahatsara observait Dahlia avec amusement, écoutant ses réponses avec un sourire bienveillant. Les mots de Dahlia résonnaient avec une sincérité touchante, et la fae des oasis pouvait sentir la vérité de ses paroles.

- Ah, les oasis… Un mirage qui se dissipe quand on s’en approche, n’est-ce pas ? Dahlia, tu as le don des mots. J’aurais aimé être là pour voir ta réaction à ta première oasis, mais je crains que nos aventures dans le Nord ne soient plus du même ordre.

Puis, quand Dahlia partagea son inquiétude quant à son premier voyage en solitaire, Ahatsara ne put s’empêcher de sourire.

- Haha, ma chère Dahlia, l’audace et la bravoure naissent souvent de l’inconnu. C’est un exploit en soi que d’avoir pris ce chemin en solitaire. Et n’aie crainte, même les natifs des forêts peuvent avoir une certaine appréhension dans ces bois et ces plaines étranges du Nord.

Ahatsara termina de tisser l’attelle avec habileté, veillant à ce qu’elle soit à la fois solide et confortable. Elle fit un geste de satisfaction en la montrant à Dahlia.

- Voilà qui devrait soutenir ta cheville comme il se doit, ma chère. Nous avons là une œuvre d’art temporaire, si tu veux bien me permettre de m’en vanter un peu.

Puis vint le moment de l'ascension sur le dos de Nordrik, l’élan majestueux. Ahatsara sourit, se tenant aux côtés de Dahlia pour lui offrir son soutien.

- Allons-y doucement, Dahlia. Nordrik est un ami robuste, il te portera en toute sécurité. Grimpe à bord, et nous nous mettrons en route vers Melorn.

Dahlia monta avec précaution sur le dos de l’élégant élan, ses yeux brillants d’excitation. Ahatsara était ravie de voir que Dahlia s’adaptait si rapidement à cette nouvelle expérience.

- Bien installée ? Alors, en avant, Nordrik ! Luminelle, part en éclaireur, s’il te plaît !

Le majestueux élan s’élança en avant, traversant les terres du Nord avec une grâce inégalée. Ahatsara se tourna vers Dahlia, un sourire radieux illuminant son visage.

- Melorn… C’est la première fois que j’aurai le plaisir de la découvrir aussi. Ta description laissait déjà rêveur, mais je sens que la réalité sera encore plus enchanteresse.

Elles cheminèrent ensemble, traversant les paysages nordiques qui s’étendaient à perte de vue. Ahatsara sentait l’excitation monter en elle, guidée par le désir de découvrir cette ville dont Dahlia parlait avec tant d’amour.

- Dahlia, je sens que notre voyage à Melorn promet d’être mémorable. Qui sait quelles merveilles nous y trouverons ?

Alors qu’elles avançaient, la complicité entre les deux faes grandissait, tissant un lien indéfectible entre elles. Dahlia avait trouvé en Ahatsara une alliée inattendue, et Ahatsara avait gagné une amie précieuse dans cette étendue nordique vaste et mystérieuse.

Les heures passèrent comme des feux follets dans la nuit, ponctuées de rires et de partages. Ahatsara était enchantée par la compagnie de Dahlia, trouvant en elle une âme sœur d’aventure. Le vent du Nord portrait avec lui une promesse de découvertes inédites, et chacun de leurs pas rapprochait Melorn, une cité qui semblait prête à dévoiler ses secrets à ces deux faes intrépides.