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  • Dim 15 Oct - 14:25

    L'avantage, quand on monte en grade et qu'on devient capitaine des officiers républicains, c'est qu'on récolte davantage de missions intéressantes. Et quand j'dis intéressantes, j'pense évidemment pas à la difficulté du défi qui nous attend, le mystère insoluble ou j'sais pas quelle connerie. Nan, il s'agit bien de tâches qui viennent d'en haut, des commissaires voire du préfet, quand c'est pas les sénateurs qui se permettent de nous contacter directement pour s'assurer qu'on comprenne bien l'importance du truc qui veulent qu'on fasse. Et, comme on n'est pas des bêtes, le pendant naturel de ce boulot, c'est une récompense à la hauteur.

    J'laisse mon regard parcourir les hommes que j'ai sous mes ordres pour cette mission, justement. J'irais pas jusqu'à dire que c'est l'élite, même si c'est des officiers, mais j'ai déjà eu pire comme tirage lors de l'assignation des escouades. Ils ont leurs forces, et ce sera à moi de les utiliser judicieusement pour accomplir la mission qui vient de m'être refilée par les huiles.

    L'inconvénient, quand on monte en grade et qu'on devient capitaine des officiers républicains, c'est que si on foire les tâches que les pontes nous donnent, c'est qu'on a tout de suite salement davantage l'air d'un con : le boulot, il nous est tombé nommément dessus, alors si on se plante, ça donne tout de suite une mauvaise réputation. Et ça, ça veut dire que les autres machins importants, et donc, rémunérants, n'arriveront jamais jusqu'à moi. Est-ce que je veux que mes supérieurs hiérarchiques refusent de me filer les enquêtes risquées qui rapportent ? Bien sûr que non.

    Mes yeux font un deuxième passage sur mon escouade qui, sentant la tension du moment, se tient perceptiblement plus droite, torse bombé et épaules en arrière. Fifi manque de saluer, mais il se retient vu qu'aucun des autres n'a esquissé le moins mouvements. J'fronce les sourcils. Si ça foire... j'ai déjà une bonne idée de qui j'vais blâmer. Y'en a trois-quatre, là, ils sont pas fameux, et ils m'avaient bien cassé les couilles quand j'suis arrivé dans le service. Ils savent, d'ailleurs : ils évitent de croiser mon regard et sont toujours les premiers au garde-à-vous quand on s'croire dans les couloirs.

    Ca serait bien fait pour leurs daronnes.

    « Bref, vous avez compris l'idée. Le vieux Rosti est canné -de mort naturelle, a priori-, donc on enquête pas là-dessus. Le souci, c'est qu'il avait tout un ensemble de documents du parti conservateur, dans une large pochette feutrée, et qu'elle a disparu lors d'une entrée par effraction dans son bureau la nuit de son décès. Les témoins ont désigné une femme de taille petite à moyenne, encapuchonnée, gabarit menu, comme responsable. Elle serait partie par la fenêtre, avec un saut de deux étages sans encombres. Bon, ça, c'est la partie un peu plus douteuse. Pas forcément une humaine, et pas nécessairement une femme. »

    Ils écoutent attentivement, au moins.

    « Le Sénateur Gritan, son collègue, souhaite impérativement retrouver ces documents. Il a d'ailleurs beaucoup insisté sur la nécessité qu'ils lui soient remis en main propre, sans les consulter. Il s'assurera lui-même de vérifier leur exactitude et leur complétion. Il s'agit de documents classifiés du Sénat pour lesquels nous ne possédons donc pas d'accréditation. Est-ce bien clair ?
    - Oui, Capitaine !
    - Donc on va commencer par interroger tous les habitants du quartier pour voir ceux qui auraient pu avoir des informations ou entendre des choses. Il peut aussi s'agir de la coupable qui aurait demandé des renseignements avant de passer à l'acte. Bref, gardez l'oeil ouvert et les esgourdes désensablées. Pigé ? »

    Quand on sort du commissariat, c'est encore les heures d'avant l'aube, et le crime est encore tout chaud. Pourtant, j'crois pas des masses à la possibilité de retrouver le ou la coupable. Rien dit que c'est pas une race bizarre genre un élémentaire, une fae, ou que sais-je. Par contre, le Gritan a été prévenu remarquablement vite, et le commissaire nous a mis sur le coup direct, donc autant dire que faudrait pas se planter.

    L'escouade se répartit le quartier, et j'demande à être introduit dans le bureau du macchab'. Le domestique à l'air pincé, dans son joli costume trois pièce, me regarde du haut de son nez énorme, et semble surtout outré que mes bottes foulent les tapis épais de feu son maître. Possible que j'laisse quelques traces de boue. Ca l'occupera, c'est pas plus mal. J'active le senseur magique, et j'commence à essayer de sniffer un peu la magie résiduelle des lieux. Pas grand-chose, mais c'est bien reparti par la fenêtre.

    Donc j'suis le même chemin.
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    Sixte V. Amala
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  • Dim 15 Oct - 22:05
    Alcide Rosti, vieil homme grabataire dont il ne restait plus qu’un fragment d’esprit à peu près sain. Sixte s’émerveillait de voir à quel point le corps des humains pouvait être endurant. Il était décati, empestait presque la mort à des lieues à la ronde pourtant il continuait d’aller et venir dans son salon comme si de rien était. Il était certes lent pour grimper les marches et il ne lui fallait pas moins que sa gouvernante et sa canne pour espérer atteindre le premier étage mais toujours est-il qu’il effectuait son trajet deux fois par jour et ce sans exception. En sommes Rosti était un cadavre qui respirait encore et qui prenait de grandes précautions pour mettre à l'abri ce que Sixte souhaitait atteindre. C’est pour cette raison qu’elle était postée devant ce foutu manoir depuis deux jours et bientôt trois nuits, celle-ci étant la troisième. Elle avait étudié les allers et venues du vieux, ses habitudes, celles de ses employés et aussi celle de la garde. Ainsi, elle en était venu à la conclusion qu’il ne serait pas évident de s’introduire directement dans le bureau mais qu’une fois qu’elle y serait, plus rien ne se dresserait entre elle et la pochette de feutre qui allait lui rapporter un beau paquet.

    Elle agirait ce soir. Quand le soleil sera sur le déclin, le sénateur dînerait dans son bureau,  quand il disparaîtrait complètement il le quitterait. Il passerait ensuite quelques heures dans sa bibliothèque au rez-de-chaussée et finirait par se rendre dans sa chambre au même étage. Mais à ce moment-là son méfait serait d'or et déjà accompli. Si tout se passait bien. Et tout aurait dû bien se passer. Chacune de ses actions avaient méticuleusement était prévue à l’avance. L’escalade de la face sud de la maison ne lui avait pas posé de problème et contrairement à ce qu’elle avait prévu, le sort de protection de la fenêtre avait été levé. Aussi, ce fut un véritable jeu d’enfant. Peut-être trop enfantin d’ailleurs. Mais la confiance qu’elle plaçait en sa bonne étoile l’aveugla. Une fois que son corps eut pénétré dans la pièce, elle avança à pas de loup jusqu’à rencontrer le bois froid. Ses doigts longèrent l’arête du bureau jusqu’à une poignée ronde qu’elle tira doucement. De sa main libre, elle attrapa une allumette qu’elle gratta pour enflammer la mèche d’une bougie qui se trouvait là.

    Comme elle s’y attendait, le bureau était parfaitement ordonné. Les papiers étaient empilés sur le côté droit, des dossiers triés par couleur dans un casier du côté gauche et devant trônait un encrier d’or et d’ivoire que Sixte songea à emporter pour son service personnel. Par curiosité, elle souleva quelques papiers mais rien ne correspondit à ce qu’elle était censée trouver. Alors elle délaissa le dessus du bureau pour des recoins un peu moins atteignables. Ouvrant des tiroirs, tapotant doucement le fond, passant au suivant, laissant ses doigts effleurer chaque recoin, chaque morceau de bois sans rien trouver qui ne sorte de l’ordinaire. L’elfe fronça les sourcils. Sa mission allait finalement être plus retorse que prévu. C’est ce qu’elle pensa lorsque, en reculant, une planche de bois claqua bruyamment sous son poids.

    - Vieux comme le monde. Ricana-t-elle en s’agenouillant pour soulever la latte en bois. C’en était presque risible. Mais ce qui l’était encore plus, c'était son imbécilité mêlée à sa naïveté.  

    Il ne fallut pas plus qu’un mouvement de levier avec sa dague pour que la cache ne lui soit entièrement offerte. Ce fut également l’instant précis où la porte du bureau s’ouvrit avec perte et fracas.

    - Le sénateur est mort ! Hurla la femme, qui visiblement ne s’attendait pas à trouver une petite elfe encapuchonnée devant elle. - Au voleur ! S’écria-t-elle de plus belle.

    En réponse Sixte plongea la main dans la cachette et ses doigts heurtèrent tout bonnement le fond. Elle tâtonna à la va-vite, mais elle ne trouva que le néant.

    - Merde ! Elle avait été doublée. Salement doublé même. La colère se mit à battre ses tempes tandis que ses yeux rencontraient deux autres paires. Un majordome en service trois pièces se tenait juste derrière sa collègue. Au-dessus de sa tête, tisonnier tout couvert de suie à la main. Ce fût le signal de départ qu’attendait Sixte. Ni une, ni deux, elle sauta comme un chat par-dessus le bureau et franchit en quelques rapides enjambées la distance qui la séparait de la fenêtre. De là, elle se drapa d'invisibilité et disparut par la fenêtre.

    Le moins que l’on puisse dire c’est que la nuit avait été plus que courte. Après s’être échappée du manoir du sénateur Sixte avait fui le quartier sans se faire prier, c’était sans doute la chose la plus sûre à faire sur le moment. Mais maintenant que le soleil était levé et que les nouvelles concernant le sénateur avaient été divulguées, toute son entreprise n’en devenait que plus compliquée. Juchée sur un toit, les jambes pendante, elle observait toute l’agitation du dessous. Elle ne savait pas ce qui c’était passé après son départ, trop occupée à se cacher mais la présence de la garde en dessous ne laissait que peu de place au doute. Et cela ne lui plaisait pas. Ils ne feraient que lui compliquer la tâche. Sans compter qu’elle ne savait pas ce que les employés de Rosti avait bien pu dire à son sujet.  

    Alors qu’elle était sur le point de croire sa mission tout bonnement et simplement -pour ne pas dire lamentablement- échouée, sa planche de salut pointa le bout de son nez. Elle ne l’aurait pas reconnu entre mille, toutefois elle l’avait suffisamment entendu jacqueter pour l’entendre malgré la rumeur de la ville. Pancrace. Petit pion indolent de sa majesté République.  Plissant les yeux, elle s’assura de son identité. Un brin de surprise passa lorsqu’elle nota son nouvel uniforme. Une superbe nouvelle, si l’on entendait que l’homme ne s’était pas rangé entre temps. Qu’à cela ne tienne, il était peut-être sa seule chance de ne pas rentrer bredouille. Tandis qu’il entrait dans le bâtiment, elle quitta son perchoir et commença sa randonnée de toit en toit.  

    Il ne lui fallut que quelques minutes pour atteindre la fenêtre qu’elle avait escaladée la nuit précédente.
    Sixte s’abandonna à nouveau à l’invisibilité et attendit que Pancrace approche suffisamment près de l’ouverture pour parler.

    - Capitaine hein… Dit-elle quand elle aperçut enfin son profil par la fenêtre ouverte. - C’était le canapé de qui ? Aussi bien pour l’agacer que parce que cela l’amusait réellement, elle laissa échapper un léger rire. - Rejoins moi à l’auberge Blanche quand tu auras fini ton service. Je crois qu’on à des choses à se dire. Et sans attendre sa réponse, elle fila.
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    Pancrace Dosian
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  • Jeu 19 Oct - 17:37

    J’sursaute quand Sixte m’accoste, sur le balcon. Ma main droite s’est portée d’elle-même à mon épée courte, tandis que l’autre armait un projectile magique. Mais j’retiens mon geste quand elle m’adresse la parole, et j’me contente d’un sourire en coin. La charmante demie-elfe est une vieille histoire ressortie des tréfonds, et sa présence ici est une surprise. Bonne ou mauvaise, ça reste encore à définir. J’remarque juste qu’elle jalouse mon bel uniforme et ses beaux galons.

    « Koraki Exousia, évidemment. Qui d’autre ? »

    C’est bien entendu la même réponse que j’avais faite aux collègues qui s’étaient foutus de moi. J’me souviens avoir ajouté qu’ils avaient qu’à naître beaux et drôles comme moi s’ils voulaient faire autre chose que simple officier républicain, mais qu’à défaut, il leur restait Jeannine pour se ranger. Sachant que c’est une oni de deux mètres vingt pour cent cinquante kilos. La rumeur dit que l’un d’eux aurait répondu « Trop peur de me faire briser le chibre » mais je m’étendrai pas là-dessus. De toute façon, Sixte a déjà redisparu, et si j’pourrais possiblement la courser en ville, mes chances de la rattraper sont sacrément faibles, si j’me souviens correctement de notre accrochage précédent.

    Par contre, elle sait probablement pas que j’peux la pister dans la moitié de la ville sans difficulté. Elle le découvrira que si elle se pointe pas au rendez-vous qu’elle vient de m’infliger.

    Du reste, une voleuse petite, présumée de sexe féminin, qui est dotée de capacités magiques et encapuchonnée, faut bien reconnaître que j’ai l’impression que j’viens de la croiser. Tout ça sent l’anguille sous roche, et j’renifle un complot ou une magouille quelque part. Ca veut pas dire que j’vais arrêter de faire mon travail, juste qu’il devient subitement différent, et attise ma curiosité. J’lance encore un regard au bureau. Allez, faut bien faire genre.

    Donc j’m’attèle à la tâche fastidieuse de fouiller le bureau à la recherche de quoi que ce soit d’intéressant qui pourrait y traîner, en commençant par des cheveux ou autres qui pourraient traîner dans un coin. C’est qu’une petite malédiction, ça a tendance à te calmer un coupable, ne serait-ce que pour négocier et la lever pour peu qu’elle soit assez gênante. Et j’ai une imagination débordante pour faire suer mon prochain. Mais j’fais chou blanc, et ça me donne juste envie d’insulter le majordome emprunté qui doit faire le ménage deux fois par jour, même maintenant que son patron est canné. J’lui adresse à peine un signe de tête en repartant, et j’reprends la trace magique En bas du balcon. Pas celle de Sixte, plus fraîche, non, celle du coupable initiale.

    Elle est trop diffuse, cela dit, pour que j’sois certain que c’est pas elle.

    Après un p’tit quart d’heure de marche rapide guidé par ma magie, j’arrive à un cul-de-sac, et la piste s’arrête net. Pas de porte, pas vraiment de moyen d’escalader, à moins de s’y coller sans magie, mais j’ai dû mal à croire que quelqu’un décide de s’infliger ça. J’me téléporte en haut, pour regarder, mais y’a rien qui sorte de l’ordinaire. On va voir ce que les collègues ont rapporté de leur tour dans le quartier. Donc j’reviens à la barraque énorme du sénateur, et j’prends une bière à un bar proche pour patienter tranquillement.

    Quand ils se radinent, on fait le tour des popotes, et y’a rien qui en ressort : les gens ont rien entendu qui sorte de l’ordinaire, sans surprise, et même les cris des domestiques suite au vol n’ont pas provoqué de réaction particulière : c’était le milieu de la nuit, donc les gens dormaient logiquement, et en plus, le manoir est un peu éloigné des autres parce que, quand même, on va pas être mitoyen avec des sales pauvres. Autant dire qu’on va faire chou blanc dans le coin, quoi.

    J’sépare l’équipe et, service fini, j’me rends à mon rencard du soir. J’me demande si le fait de rencontrer une potentielle indic’ peut compter pour passer tout ça en frais, mais j’ai peur que le service comptabilité soit pas d’humeur. L’avantage de la promotion, c’est quand même aussi la manne financière supplémentaire, donc j’saurai me contenter de ça. Sans l’uniforme, donc, bien sapé mais détendu avec une chemise blanche, une veste marron et un pantalon assorti, j’me suis aussi débarbouillé après avoir couru la moitié de la journée.

    Quand j’me pointe dans la salle commune, j’passe un rapide coup d’œil, sans trouver la jeune femme. Une activation de senseur magique m’en dit davantage, et m’permet de la repérer, dos au mur dans un coin de la pièce, avec une vue de choix sur l’entrée et la porte de service, et même un peu l’escalier qui monte vers les chambres des étages, pour peu qu’elle se torde un peu le cou. Y’a pas de doute, ça, c’est la place réservée aux gens sainement paranoïaques, et p’tet même que j’m’y serais assis si elle y était pas déjà.

    A la place, j’tire du chaise en la crochetant du pied, pour la poser en face d’elle. J’jette un œil dans son verre, qui m’a l’air assez vide dans le clair-obscur de l’auberge, et j’fais signe au serveur d’envoyer deux bières. Si elle veut autre chose, j’les boirai, va. Puis j’laisse tomber mes fesses et j’pousse un soupir de contentement.

    « Alors, Sixte, ça fait un bail, hein ? A mon échelle, évidemment. Quoi de neuf depuis la dernière fois ? »

    J’laisse passer un silence pendant que l’aubergiste pose les pintes devant nous, avant de soulever la mienne pour trinquer.

    « Ca va sûrement te surprendre, mais tu ressembles vachement à une personne qui aurait été vue en train de commettre un vol chez un sénateur décédé. T’en dis quoi ? »
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    Sixte V. Amala
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  • Dim 22 Oct - 18:24
    Sixte n’était pas certaine que Pancrace se présenterait au rendez-vous. De ce qu’elle savait de lui, il avait un esprit de contradiction particulièrement développé. Cependant elle était certaine qu’il avait pu relever des traces de son passage chez le sénateur et vu ses galons récemment acquis il ne risquerait pas de louper une information servit sur un plateau d'argent. Sauf s’il était déjà parvenu à trouver le coupable, ce dont elle doutait. Elle n’était pas officier et n’avait pas eu le temps de mener l’enquête toutefois, rien ne l’avait mise sur la voie d’un potentiel coupable. Même avant de pénétrer la demeure, elle n’avait rien remarqué. Le seul indice, dont elle aurait dû se méfier, fut l’absence de protection autour de la fenêtre qu’elle avait empruntée. Ce qui lui indiquait simplement que le coupable l’avait devancé. Restait à savoir comment ; elle était resté plantée toute la soirée devant ce foutu balcon sans voir personne.

    Rester ici était inutile. L’endroit grouillait maintenant de garde et d’officiers en tout genre, elle ne pourrait ni accéder au bureau, ni même approcher suffisamment près pour mettre son nez dans cette affaire. La seule chose à faire était de laisser Pancrace faire son job, elle pourrait peut-être lui tirer les vers du nez un peu plus tard. Cependant, il y avait encore quelques cartes à jouer. Longeant une gouttière, elle se laissa glisser jusqu’au sol, trois rues après le manoir et se défit de son invisibilité. Sans attendre, elle s’engagea dans une ruelle plus exigu et s’arrêta au beau milieu pour toquer à une vieille porte en bois qui menaçait de s’effondrer. Dans un grincement affreux elle s’entrebâilla et un visage rubicond aux yeux luisants apparut.  

    - Tiens, tiens… Ça faisait longtemps qu’on t’avais pas vu dans le secteur.
    - J’ai besoin d'informations.
    - On te voit jamais pour le plaisir de te voir, tu sais.
    - Je sais. T’as des infos sur ce qui s’est passé hier chez Rosti ?
    - Le fait que tu t’es introduit chez lui, par exemple ?
    Le visage de Sixte se contracta légèrement.
    - Je rigole, je rigole, répondit la voix traînante. - C’la dit, je veux bien que tu m’aides à me rappeler.
    - Crevure. Siffla l’elfe en faisant sauter une pièce jusqu’à la créature.
    - La mémoire me revient, incroyable ! Du coup, t’étais pas la seule à zoner dans le secteur dernièrement. Vous étiez deux, mais l'autre ne s'est jamais pointé quand t’étais là. Il attendait toujours que tu déguerpisses ou que tu dormes. C’était un ballet assez drôle à voir.
    - Hilarant.
    - Tu m’ôtes les mots de la bouche. Enfin, en tout cas il -ou elle- avait plutôt l’air expérimenté.
    - Il ressemblait à quoi ?
    - Ooouh ma mémo… Le “ding” d’une nouvelle pièce tinta. - Pas très grand, un peu plus que toi mais pas grand chose. Une grande cape noire, des bottes de cuir.
    - Apprends moi quelque chose d’utile…
    - Il a disparu.
    - Merci j’avais remarqué.
    - Non, il a vraiment disparu.
    - Développe.
    - Je l’ai vu entrer mais jamais ressortir.
    - Je vois… Garde l'œil et les oreilles ouvertes pour moi.

    Son concurrent pouvait être tout et n’importe quoi ou même n’importe qui. A croire que c’était un fantôme. Personne ne semblait l’avoir vu, ni ne savoir à quoi il ressemblait. Personne n’était même capable de dire si il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Cette simple idée donnait envie à l’elfe de s’arracher les cheveux. A ce rythme son contrat et l’argent qui allait avec allaient lui passer sous le nez. Ne restait plus que Pancrace pour lui sauver la mise ; elle détestait ça.

    Après avoir passé en revu quelques menus détails concernant ses différents contrats, Sixte regagna l’auberge où elle séjournait ces temps-ci. La-même qu'elle avait indiqué au capitaine un peu plus tôt. L’idée de piquer un somme avant leur rendez-vous fut tentante, mais c’était un coup à le manquer aussi elle préféra dédaigner son lit pour le seau d’eau glacé qui lui permit de faire un brin de toilette. Quand ce fut chose faites, elle enfila une chemise propre surmontée d’un corset en cuir épais, un pantalon noir et sa paire de bottes préférée. Enfin, elle quitta sa chambre pour rejoindre la salle commune.

    Assise dans le fond avec une vue parfaite sur l’ensemble de la pièce et sur la porte d’entrée, Sixte faisait tourner un verre de vin tout en repassant pour la énième fois la soirée précédente. Elle avait escaladée juqu’au premier balcon, avait pénétré le bureau, trouvé la planque. C’était aussi simple que cela et rien d’anormal ne s’était produit. Pourtant, elle avait forcément loupé quelque chose. Restait à savoir quoi. Pour l’heure, il ne servait plus à rien de se triturer les méninges.

    - Fait chier. Soupira-t-elle tout en vidant d’une traite son verre de vin. Juste à temps pour voir entrer celui qui allait peut-être réussir à égayer sa soirée.

    L’humain était un personnage particulier. Ils ne se connaissaient pas bien, pas au goût de Sixte en tout cas et il aurait été mentir que de dire que Sixte lui faisait confiance. Bien au contraire. Toutefois il ne lui inspirait pas d’inimitié. De son point de vue ils même étaient assez similaire, chacun œuvrant pour son propre profit. Ce qui la poussait à s’en méfier d’autant plus.

    - Pas grand chose. Lui répondit-elle dans un sourire alors qu’il prenait place. - Moins de chose que toi visiblement.

    Entre-temps l’aubergiste revint et déposa devant eux deux pintes de bières. Pas friande de cette boisson mais loin de cracher sur un verre offert, Sixte se saisit de sa chope et trinqua avec le brun.

    - J’en dis qu’on est un paquet de petites blondes à Courage. Mais je pense que t’es assez malin pour savoir que j’ai rien volé, sinon je t’aurais pas donné rendez-vous pour me coffrer gratuitement. Non ? En attendant que Pancrace intègre ce qu’elle venait de dire, Sixte avala une longue gorgée de sa boisson puis poursuivit. - Par contre, que j’ai tenté de voler quelque chose, ça c’est pas impossible. Cela dit, ne t’emballe pas je suis même pas entrée par effraction tout était ouvert. J’ai mis ça sur le compte d’un oubli. Ou d’un coup de bol. Avant de me rendre compte que quelqu’un était déjà passé avant.

    Ses doigts se mirent machinalement à pianoter sur la table à un rythme régulier.

    - J’ai cherché de mon côté, personne n'a vu qui c’était. Tout ce que j’ai pu tirer comme information c’est qu’on a une carrure plus ou moins similaire et que cette personne m'avait repéré avant que je la repère. Ah et qu'elle n'est jamais ressortie de chez Rosti ou du moins que personne ne l’a vu en sortir. C’est tout ce que je sais. Pour ponctuer sa phrase, elle put à nouveau avant de croiser les bras sur sa poitrine. - Tu as pu trouver quelque chose ? Avec ta traînée de nouveau sous-fifre tu as largement de quoi faire maintenant,Capitaine. Va falloir que tu m'expliques comment tu t'y es prit d'ailleurs.
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  • Mer 25 Oct - 19:24

    Toujours un plaisir, d'aller boire un verre en charmante compagnie. Un peu moins quand c'est pour le travail, mais faut aussi savoir lier l'utile à l'agréable, et la bière qui arrive devant nous semble constituer une bonne première étape dans cette direction. Reste à voir si la suite ira aussi avec, façon crescendo, ou si faudra trouver un autre moyen d'avoir soit l'utile, soit l'agréable. On trinque joyeusement et elle prend la parole pour répondre à ma question.

    J'la laisse parler un peu, pour essayer de comprendre et d'analyser si elle pourrait être en train de me mener en bateau du début à la fin. Mais j'en ai pas l'impression, et normalement, on n'est pas trop mauvais pour juger les gens, côté officier républicain. C'est un cursus spécial, celui des interrogatoires et de l'écoute active, pendant nos cinq ans d'études. C'est que ça rigole pas : on est pas docteur en maintien de l'ordre pour rien.

    « Ouais, si c'était toi, ça n'aurait effectivement pas de sens de te montrer à moi, de dire que t'étais là alors que tu t'es déjà enfuie de façon... mitigée ? Sans compter qu'on aurait jamais réussi à remonter ta piste sinon. Donc je t'accorde le point. Cela dit, des petites blondes à Courage qui trempent dans le vol et les petits trafics, t'admettras que y'en a beaucoup moins. »

    J'jette un oeil autour : tout le monde s'occupe de ses oignons, et l'ambiance est plutôt bonne.

    « Du coup, quelqu'un s'est radiné avant toi et a pris le même objet que toi ? On peut savoir ce dont il s'agit, par curiosité ? »

    Bien entendu, y'a toutes les chances qu'il s'agisse du même bidule pour lequel j'ai été mandaté, vu que si un voleur inconnu s'est introduit sur place et l'a pris, que je cherche un machin disparu, et qu'elle a été envoyée également et coiffée au poteau, y'a peu de chances que ce soit autre chose que les documents sur lesquels il travaillait et que tout le monde semble vouloir se procurer. Une chose est sûre, en tout cas : si je mets la main dessus, jamais je les ouvre. Y'a trop de pontes qui se précipitent pour en récupérer la possession pour que connaître le contenu soit sans risque.

    « Entrée sans sortir ? Ca pourrait être une infinité de choses. Une téléportation, l'invisibilité, un déguisement très malin en bonniche ou en livreur... Un peu plus léger que ce que j'espérais. »

    J'me mordille la lèvre.

    « On a fait le tour du quartier, pour interroger le voisinage, mais y'avait pas grand-chose qui sortait de l'ordinaire. J'ai une fifre qui compile les rapports, là, p'tet qu'il s'est passé quelque chose à côté qui nous mettra la puce à l'oreille, elle me dira ça demain au poste. »

    J'me pose en arrière en prenant une grande lampée de bière. Elle est un peu claire, mais pas mauvaise. Juste que c'est pas ça qui va nous bourrer la gueule, pas qu'on soit là pour ça, cela dit. Et j'réfléchis à comment raconter l'histoire. Et, de toute évidence, ça commence par un clin d'oeil.

    « Le canapé de Koraki Exousia, j'avais dit, non ? »

    J'laisse passer un léger silence.

    « Les chefs m'ont toujours eu à la bonne, rapport à une certaine forme de flexibilité morale et légale. Du coup, j'suppose que ça aurait forcément été dans l'ordre des choses. Mais ça s'est accéléré suite à la merde que y'a eu à Kaizoku. T'sais, l'attaque, le volcan, toutes ces conneries. Ca a pas loupé, j'étais sur place au pire moment. »

    J'ai un rire bref.

    « En vrai, j'avais fait une pige de quelques semaines y'a plusieurs mois, pasque la GAR faisait n'importe quoi pour maintenir l'ordre, et que les locaux commençaient à tirer franchement la tronche, au point que même les huiles de la SSG se sont plaint. Donc un régiment d'officiers républicains a été envoyé sur place, pour remettre de l'ordre. On s'est rendu compte qu'une division de l'armée se servait un peu trop généreusement dans les poches des habitants, donc on a oeuvré à rétablir la confiance, tous ces concepts de chefs. »

    Ma bière est vide.

    « Tu veux boire quoi ? J'te suis. Bref, on finit cette mission, d'autres officiers prennent le relais, on revient à Courage. Et ils annoncent un programme de rapprochement à la population, à faire du porte-à-porte pour poser des questions, savoir la perception de la police, tout le tintouin, là... Tu te doutes que ça m'a gonflé royalement, donc j'ai postulé pour retourner un peu à Kaizoku : tout était calme, on connaissait le coin, et on évitait de faire du social. Autant dire que c'est un des pires choix qu'il m'ait été donné de faire. Puis ensuite, la bataille, la guerre, j'me suis suffisamment illustré pour que mon blase remonte et... Fallait promouvoir des capitaines pour remplacer ceux qu'avaient canné ou qui étaient montés commissaires. »

    J'fais une courbette, assis en face d'elle, avec un cercle du poignet.

    « Et toi, alors, quoi de neuf ? Toujours les affaires ? Rien de particulier à l'horizon ? »

    La tenue est propre et bien choisie, en tout cas, donc ça doit pas aller si mal. Puis le corset met bien en valeur. J'me demande juste à quel point elle va être évasive sur ses activités réelles.
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    Sixte V. Amala
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  • Jeu 26 Oct - 22:00
    Cela avait toujours eu le don de la surprendre, c’était même l’une des rares choses qui le pouvait encore, la vitesse à laquelle la vie pouvait changer. Un matin on avait tout, le lendemain on perdait tout. On était quelqu’un et puis on était rien. Parfois Sixte se surprenait à songer à sa vie, aux chemins et aux bifurcations qu’elle avait emprunté et qui l’avait conduite là où elle en était aujourd’hui. Souvent, elle se demandait ce qu’aurait pu être sa vie si ne serait-ce qu’un de ces choix avait pu être différent. Elle se demandait également comment tout pouvait s’imbriquer avec une telle perfection, comment cette machine bien huilée pouvait fonctionner. Ces questions restaient sans réponses ; c’était dans un sens ce qui faisait tout leur charme. Mais elle avait quitté Pancrace au bas de l’échelle judiciaire, il y avait de cela peu de temps -tout du moins du point de vue d’une Elfe âgée de trois cents ans- et aujourd’hui il venait de gravir le premier échelon pour atteindre les hautes strates. Il serait mentir que de dire qu’elle aurait parié sur lui. Loin d’être complètement mauvais il n’était pas un parangon de confiance, pas à ses yeux du moins, pourtant c’était visiblement ce qui avait plu chez lui. Qu’à cela ne tienne, elle n’était pas vraiment au fait des mœurs au sein de la République. Restait à voir si il arrivait à réellement sortir son épingle du jeu. D’après les exploits qu’il lui énumérait, elle n’eut pas vraiment de quoi douter.

    L’imitant, l’Elfe avala une longue gorgée de bière qui ne fit aucunement frissonner ses papilles. Cet alcool n’avait définitivement pas ses faveurs. Mais au moins elle avait quelque chose à boire, pas de quoi se plaindre en somme. Et Pancrace faisait la conversation. Si ce n’était cette foutue pochette en feutre qui manquait à l’appel, elle aurait pu qualifier ce soir de bonne soirée. Mais pour l’heure elle devait surtout s’asseoir sur une bourse pleine d’argent sonnant et trébuchant et cela la frustrait.

    - Par contre, Koraki Exousia, vraiment ? De prime abord, elle avait pensé à un trait d'humour mais tout bien réfléchi, le jeune humain en aurait bien été capable. Dans ce cas-là, elle n’aurait su s' il convenait de lui tirer son chapeau ou d’admettre qu’il était fou à lier. - J’me demande comment tu vas faire pour te tirer de tes magouilles avec ton nouveau statut. Ça va pas être de la tarte. Elle termina son verre et le poussa pour qu’il s’entrechoque avec celui également vide de son vis-a-vis. - A moins que tu décides d’te ranger. De devenir un gentil petit officier qui obéit bien sagement. Son visage se fendit d’un sourire. Elle n’y croyait pas un seul instant. - J’ai hâte de voir ça. Oh ça oui, elle suivrait discrètement mais avec assiduité les avancées du nouveau Capitaine à l’avenir. Quelque chose lui soufflait que cela vaudrait le détour.

    Sixte aurait volontiers abordé avec lui les guerres qu’il avait traversé et la façon dont il les avait vécues. Mais ce n’était pas le genre de relations qu’ils entretenaient. Aussi elle se contenta d’interpeller un serveur en lui commandant une bouteille de vin doré de Melorn et que Pancrace aille au royaume Divin si cela venait à ne pas lui convenir.

    - Pas grand chose. Je ne suis pas revenue en ville depuis un bout de temps. J’ai pas mal baladé aux quatre coins du Sekai comme d’habitude. En plus la période a été un peu creuse avec la guerre, pas beaucoup de contrats à honorer. Ce qui veut dire pas beaucoup d’argent qui entre. J’ai appris à aimer les pommes de terres et la viande séchée que veux-tu. Y’en aura d’autres.

    Au même moment, l'homme revint avec deux verres et la bouteille ouverte. Sixte le chassa avec plus ou moins de tact et se chargea de remplir les coupes dont une qu’elle tendit à Pancrace.

    - Mais le vent tourne heureusement, j’ai décroché un ou deux gros contrats. Enfin… Disons que l’un d’eux et celui qui m’a été volé hier soir. Alors si tu veux, j’aimerais vraiment remettre la main dessus. Ca m’éviterais de me faire black-lister d’une auberge de plus. Un sourire innocent fendit sa face d’une oreille à l’autre, sous entendant ouvertement qu'elle logeait actuellement à titre gracieux -décrété par nul autre qu'elle-même. - Pour en revenir à cette affaire. J’ai pas l’habitude de me faire doubler. Je veux pas me vanter mais je suis plutôt bonne dans mon domaine, je rentre, je sors, j’existe pas et on passe à la suite. Là on est sur quelqu’un qui semble exister encore moins. Alors soit je fais de vieux os, soit cette personne est vraiment douée. Dans le second cas j’ai peur de pas remettre la main sur ce je cherche.

    C’était maintenant le moment de décider si oui ou non elle révélait à Pancrace ce qu’elle cherchait. Cette option comportait de nombreux risques. Notamment car il pourrait tenter  de la doubler lui aussi mais également parce qu’il pourrait tout simplement lui coller des bâtons dans les roues. Si elle ne connaissait pas la nature du contenu de la pochette, ce n’était peut-être pas le cas du brun. Abandonnant ses airs amicaux, elle se rembrunit légèrement et planta son regard dans le sien.

    - C’est de la curiosité ou c’est autre chose ? Pourquoi les officiers ont été aussi vite dépêchés sur c’t’affaire ? C’est ça qui est déjà plus intrigant, tu crois pas ? Peut-être que si tu m’en dis un peu plus, j’aurais envie d’en dire plus aussi. Elle s’accouda à la table avant de poser son menton dans la paume de sa main, guettant sagement la réaction de Pancrace comme un chat attendant qu'on lui prête attention.
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  • Mar 31 Oct - 17:53

    J'm'appuie en arrière contre le dossier de ma chaise, j'montre les paumes en geste universel de l'innocent incompris qui clame la vérité.

    « Peut-être ? Qui sait, après tout. Mais j'voudrais pas salir l'honneur d'une dame du monde, ma patronne qui plus est, à colporter des rumeurs. Tu vois comment c'est, au début, ça s'en fiche, puis dès que ça mange des petits fours, ça devient susceptible. »

    Une description qui s'applique facilement à tous les grands de ce monde, qui veulent même nous priver de ce petit plaisir. C'est dire à quel point ils sont mégalos et manquent d'humour. Nous autres petites gens, on s'accroche à ce qu'on peut pour survivre et rire un peu, rien de plus, et de préférence rien de moins. Mais ces grandes considérations philosophiques m'éloignent du sujet, et j'peux pas retenir un hoquet et j'manque de m'étouffer quand Sixte évoque le fait que les affaires vont devenir plus compliquées, plus dangereuses, maintenant que j'suis capitaine.

    Après avoir amplement toussé, puis repris une gorgée pour finir de faire passer celle qui a été avalée de travers, les larmes aux yeux, j'la regarde bien en face.

    « Inquiète pour moi ? Ca me touche. Vraiment. Mais j'devrais m'en sortir. En tout cas, si t'as un p'tit souci, hésite pas à me demander si j'peux y faire quelque chose, on sait jamais, après tout. Au-delà de la paie, des galons, du pouvoir, des sous-fifres, y'a quand même quelques avantages, à bien y réfléchir. »

    La vérité des choses, c'est que y'a jamais eu autant de magouilles qui me tombent sur les bras : tout le monde a son petit plan, son tuyau, son astuce, et est prêt à le refiler moyennant un passage au crachoir. Le plus dur, c'est de faire la sélection, mais on apprend vite, avec Gunnar : l'important, c'est de pas s'embrouiller avec les gens avec lesquels on peut pas se le permettre, et le mieux, c'est de pas faire ce qu'on peut pas défaire. Bref, rien d'irréversible pour éviter de se créer des ennemis mortels pour quelques piécettes.

    Ca devient singulièrement plus politique, à bien y réfléchir, mais sacrément plus lucratif.

    « Mais ouais, pas prévu de devenir un psychorigide de la loi et des règles. »

    Y'en a très peu au sein des officiers républicains et, pour être tout à fait honnête, ils connaissent généralement un sort assez peu enviable, les incorruptibles. Même leurs chefs se méfient d'eux, à raison au demeurant, et leurs sbires claquent des fesses en permanence, pasque la moindre erreur se paie directement. Autant dire que s'ils sont mutés au fin fond de la campagne, personne versera une larme.

    Les bières finies, c'est Sixte qui reprend la main pour les boissons, et j'admire la bouteille de Melorn qui trouve le chemin de la table. Est-ce que ça lui rappelle sa terre natale, ou un truc du genre ? Une concession à la mélancholie ou à une famille perdue ? J'joue quelques secondes avec la pensée d'une Sixte jeune dans les rues de Melorn, même si j'ai aucune idée de si elle y a grandit réellement ou pas. Et j'ai beau ne rien connaître au pinard, ça m'a jamais empêché de le boire. La bière, c'était pour se désaltérer en arrivant, après tout.

    « De ce que tu dis, entre la désamorçage des sécurités magiques, la disparition de ce que tu cherches, et le fait que personne ait la moindre information si ce n'est une vague ressemblance avec toi, clairement, y'a p'tet quelque chose d'un peu plus profond à creuser. J'vais me renseigner pour savoir si on a eu d'autres vols inexpliqués ces derniers mois. »

    Surtout chez des politiciens et du côté de la SSG, du coup, pas chez le petit artisan du coin. Egalement, on a p'tet coffré des coupables qui l'étaient pas réellement, même s'ils clament toujours leur innocence. J'trouve que la coïncidence est un peu trop forte pour être douteuse, et quel officier républicain serait pote avec des voleurs de métier et discuteraient avec eux ensuite, après tout ?

    Bon, un paquet, certes, mais on évite quand même d'abuser.

    Elle prend un ton plus lourd, et pendant que j'réfléchis à quoi répondre, j'attrape le verre de vin pour goûter, et prendre ensuite une gorgée plus franche quand j'me rends compte qu'il est effectivement plutôt bon. M'est avis que la bouteille va pas faire long feu, a fortiori si j'ai mon mot à dire. Elle cherchait un truc précis, et pas les bijoux de famille du vieux Rosti. J'en viens à craindre qu'on soit après le même document.

    « Tu sais ce que c'est : y'a un sénateur qui passe l'arme à gauche, et juste derrière une effraction chez lui, ça agite forcément les gugus de la sécurité intérieur. Ca parlait de possible espionnage par le Reike, sur des documents confidentiels, tout ça. L'inventaire est encore en cours, en tout cas, mais ça risque de prendre du temps, j'suppose. Toujours comme ça, chez les riches. L'autre hypothèse, c'était que quelqu'un veuille se servir avant que le notaire passe par là. Mais si tu voulais un truc précis, toi... »

    Je hausse les sourcils, et j'lâche pas son regard non plus.

    « Tu t'es pas dit que t'étais p'tet juste un alibi ? Genre, le vrai voleur passe devant, t'arrives en retard, on t'accuse, et tu prends pour lui ? Ou elle. Enfin, voilà, quoi. »

    Finalement, j'ai préféré garder mes cartes cachées, encore un peu : le fait que ce soit un sénateur suffit à expliquer que l'office républicain s'y intéresse un peu plus, et dans le pire des cas, je pourrai toujours préciser ce qu'il me faut plus tard. J'peux aussi coller Sixte au trou quelques jours si j'dois l'écarter de l'enquête, au demeurant, pour être sûr qu'elle me mette pas des bâtons dans les roues. Mais pour l'instant, elle devrait être un des meilleurs outils à ma disposition.

    J'lui adresse un large sourire.

    « Pas mal, ce picrate de Melorn. »
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  • Mer 1 Nov - 18:58
    - Un alibi ? Songea Sixte à voix haute tandis que Pancrace vantait les mérites de la bouteille de vin. - Qui paierait en pièce d’or pour avoir simplement un alib… Ses sourcils cendrés se froncèrent. -  Sauf s' il a jamais prévu de me payer. Non ça n'aurait pas d’sens. Impossible, elle avait bien trop d'informations concernant son employeur et l’homme en question avait bien trop à perdre si elle terminait derrière les barreaux ou si elle en réchappait et décidait de se venger. Non, si c’était effectivement un piège qui lui avait été tendu, ce n’était pas de lui mais bien de cette ombre insaisissable qui baladait aussi bien la garde républicaine qu’elle. Même si cette simple idée, d’avoir été honteusement roulée dans la farine, l’agaçait elle devait admettre que c’était un coup de maître. Auquel elle n’avait pas pensé mais qu’elle n'hésiterait pas à réutiliser au besoin. Pour l’heure il y avait plus urgent. Comme décider si oui ou non Pancrace était digne de confiance. La réponse était évidente : absolument pas. Toutefois, sans lui, ses chances de remettre la main sur la pochette se réduisaient encore un peu plus.

    - Je ne sais pas ce que je cherche. Finit-elle par admettre à contre-coeur, détournant le regard pour accrocher le vin qu’elle faisait rouler d’un mouvement de poignet dans son verre. - On m’a juste demandé de récupérer une pochette. On m’a prévenue qu’elle serait probablement planquée quelque part dans le bureau du vieux, mais pas accessible au premier venu. Une gorgée plus tard, elle poursuivit. - Je pense avoir trouvé la planque. Une latte du parquet près du fauteuil. Quand je l’ai ouverte, elle était vide. C’est là que j’ai compris que je m’étais fait avoir. Après j’ai pas eu le temps de fouiller plus, autant Rosti avait d’autres cachettes mais son majordome s’est pointé avant que j’ai le temps de regarder ailleurs. Et vu qu’il tenait un tisonnier, je l’ai pris comme une invitation à me tirer fissa.

    D’ailleurs à bien y réfléchir, elle avait vraiment mal choisi son timing. La mort de Rosti avait été découverte presque au moment où elle était entrée dans le manoir. A peine le temps de trouver le faux plancher que la gouvernante et le majordome lui étaient tombés dessus. C’était tout de même une sacrée coïncidence et un niveau de poisse phénoménal. Tout en réfléchissant silencieusement, elle termina son verre qu’elle re-remplit sans l’ombre d’une hésitation.

    - En tout cas on est pas plus avancé et détrompe toi, elle tendit la main pour lui tapoter l’épaule avec un grand sourire, - Je m’inquiète juste de savoir si tu vas passer dans le camp des flics que je dois éviter comme la peste. Tu sais ceux qui sont bien pensant et parfait sous tout rapport. Se faisant, elle se laissa aller contre le dossier de sa chaise et observa Pancrace de pied en cap.  Il était le stéréotype du vilain garçon avec son sourire sardonique, ses yeux aussi rieurs qu’incisifs et ses cheveux en bataille. La casquette d’officiers corrompus ne faisait que parfaire ce portrait du voyou républicain. - Mais je suis ravie de savoir que tu restes un pourri. C’est plutôt pratique, on ne va pas se mentir.

    Sixte ne connaissait pas beaucoup d'officiers ; ils étaient ses ennemis naturels après tout. De manière générale elle vivait de petits larcins et de vols ce qui ne faisait pas d’elle une de leur cible privilégiée. Même si en en trois cents ans d’existence elle avait largement eu le temps de prendre connaissance de l’état de quelques cellules. Pancrace dans toute son escroquerie devenait donc un allié de premier ordre, qui n’était en plus pas désagréable à côtoyer - ni à regarder soit dit en passant.

    - Bon c’est pas tout, mais je crève de faim. Tu te joins à moi ?  Et sans attendre de réponses, elle leva la main pour interpeller l’aubergiste. - M’est d’avis que c’est pas ce soir qu’on coincera qui que ce soit, donc foutu pour foutu... Tout en haussant les épaules, elle leva son verre à l’attention de Pancrace avant de suspendre son mouvement, une idée saugrenue éclairant le bleu de ses yeux. Ou peut-être était-ce le vin.  - Et si on faisait courir la rumeur qu’il y avait deux pochettes ? P’t’être que ça inciterait l’autre planqué à se montrer. Machinalement ses doigts se mirent à pianoter sur la table. - D'ailleurs le majordome et la gouvernante, ils ont rien vu ? C'est quand même étrange que Rosti rende l'âme au moment ou on lui dérobe quelque chose. Sans y faire attention, l'Elfe avait baissé la voix et s'était penchée vers on camarade afin qu'ils ne soient pas entendu.
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  • Dim 5 Nov - 11:50

    Je hausse les épaules.

    « C'était qu'une hypothèse en l'air, j'vais faire vérifier par quelqu'un de mon côté, qu'on n'ait eu une série de vols du même genre, mais avec des coupables qui prenaient à chaque fois. Et oui, si on te paye pas, ça coûte rien de te demander de faire quelque chose, surtout si l'objectif, c'est que tu te fasses chopper à terme. Enfin bon, à voir, quoi. »

    Peut-être que c'est tiré par les cheveux, effectivement, et que j'cherche un truc trop compliqué pour une banale histoire de vol où tout le monde veut l'héritage du vieux Rosti. Au même compte, ça se trouve, c'est juste un descendant qui veut un bijou de famille sans qu'il tombe dans une autre branche. Mais c'est difficile de pas faire une crise de paranoïa aigue quand ça concerne un sénateur décédé, qu'un autre sénateur me demande de retrouver un machin, et que y'a une effraction avérée au moins.

    Reste que quand Sixte annonce qu'elle cherche la même chose que moi, j'peux pas m'empêcher de me dire que ça devient beaucoup plus chiant. L'air de rien, j'prends sa signature magique avec mon senseur. Tant qu'elle restera en ville, j'devrais pouvoir réussir à la retrouver, même si elle se procure les documents et essaie de disparaître avec. Hé, une épée, ça peut couper aussi celui qui s'en sert, faut juste faire attention. Comme avec Sixte.

    « Hm, ouais, pas de chance, ça. »

    Mes doigts tapotent la table, et j'peux pas m'empêcher de lui rendre son sourire. Le vol, ça reste un métier risqué, j'sais même pas si j'aurais les nerfs pour : les victimes peuvent se radiner n'importe quand et te prendre sur le fait, en flagrant délit, et en prime, t'es généralement pas très enclin à y ajouter de la violence ou du meurtre. Autant dire que faut avoir le coeur bien accroché. C'est juste que là, la cible du vol m'arrange pas vraiment.

    « Ouais, nan, je compte pas m'arrêter en si bonne voie. Mes supérieurs hiérarchiques m'en voudraient : ils voudraient pas que j'commence à m'acheter une conscience, ça les arrangerait pas du tout. Tu peux compter sur moi, tant que ça devient pas trop... pas trop trop. »

    Dès qu'elle lâche la bouteille, j'l'attrape pour remplir mon propre verre. C'est un coup à se faire doubler et coiffé au poteau, et que ce soit pour la pochette ou pour le pinard, j'compte pas m'avouer vaincu.

    « Y'a des limites à tout, j'évite les meurtriers psychopathes, et ce qui baigne un peu trop dans la politique. Pas confiance aux sénateurs, surtout quand ils commencent à être plusieurs à se bourrer le mou. Si y'en a un qui me prend trop en grippe, c'est un coup à ce que ma carrière -brillante, n'est-ce pas-, en prenne un coup et que j'passe les dix prochaines années à trier les archives. Ca serait dommage. »

    J'me tirerais surtout pour faire autre chose que lire des papiers poussiéreux, mais c'est un autre débat.

    « Bien vu, il commence à faire faim. Faut attendre de voir ce que mes gars vont sortir en compilant les informations qu'on aura pu sortir. Et j'reprends le service que demain matin. Pour être honnête, si j't'avais pas rencontrée, l'enquête aurait fait chou blanc, j'aurais fait semblant à patrouiller et interroger le voisinage encore quelques jours, secoué une poignée d'indics sans grand succès, puis j'aurai dit que c'était mort. Ca aurait mis une sale ambiance chez les commissaires et le préfet, on m'en aurait p'tet voulu un peu. Mais si y'a rien, j'peux pas faire de miracle... »

    A bien considérer le tout, c'est probablement même ma meilleure porte de sortie. Attiré par la main de la demie-elfe, l'aubergiste arrive.

    « Vous faites quoi, à dîner ?
    - On a un ragoût de porc qui mijote, ou une soupe de légumes de saison.
    - Le ragoût pour moi. »

    C'est qu'on le sent d'ici, maintenant que j'y prête attention, et qu'il me met l'eau à la bouche. J'laisse la plus-si-jeune femme faire son choix avant de faire tinter mon ongle contre le verre de la bouteille.

    « On va vous en reprendre une aussi. »

    Celle-la est pour moi, vu qu'on tape déjà bien dans la précédente. Le plan de Sixte fournit une ouverture intéressante, faudrait juste qu'on ait un peu plus d'informations sur la pochette. Genre, sa couleur, sa forme, histoire de pouvoir avoir une contrefaçon crédible si on va jusque-là. En tout cas, j'aime bien ce plan. »

    J'ai un sourire en coin à mesure que les rouages se mettent en place.

    « Les légistes ont l'air de dire qu'il est vraiment mort de vieillesse, genre le coeur qui a lâché. Y'a un expert du gouvernement qu'est venu et qui a regardé dans le passé sans rien voir, donc ça a été classé sans suite là-dessus, mais rien l'empêche de mentir aussi. J'pense que faut pas trop se focaliser sur ça pour l'instant : p'tet que des gens ont juste vu une occasion et ont su bondir dessus. A côté, si les gens apprennent que t'as la vraie pochette, d'une manière ou d'une autre, ça va p'tet attirer l'attention du vrai coupable, qui pourrait douter de ce qu'il a vraiment récupéré. »

    J'lui fais un clin d'oeil. Puis, restant sur le mode du chuchottement, j'me penche en avant pour me rapprocher de son côté de la table. A la lueur chancelante des bougies, ses cheveux prennent des éclats dorés un peu différents.

    « T'inquiète, je serai en couverture pour qu'on lui tombe dessus tous ensemble. Par contre, pour que ça se sache que c'est toi qu'as la pochette, j'vais p'tet devoir émettre un avis de recherche ou quoi. T'as une planque moyennement connue dans laquelle te mettre au frais ou un endroit dans lequel quelqu'un de dégourdi et avec des contacts dans la pègre pourrait te retrouver ? »

    La gamelle arrive, et j'attaque aussi sec, sans chercher à différencier les morceaux de viande des patates : ça servirait qu'à faire du mal à mon petit coeur fragile, après tout.
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    Sixte V. Amala
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  • Mar 7 Nov - 22:56
    - Le ragoût pour moi. Répondit Sixte à l’unisson. Elle se contentait bien trop souvent des repas frugaux lors de ses voyages, hors de question de louper une occasion de manger un plat consistant et chaud. De plus, d’après les plans qu’était en train d’établir Pancrace, elle allait encore devoir bouffer de la viande séchée pour le prochain repas. Dans le fin fond d’une planque miteuse, il n’y a pas cinquante façons de se nourrir. La nouvelle commande de vin fut également la bienvenue, s'enivrer quand on a rien d’autres à redouter que les marches pour monter jusqu’à sa chambre n'est pas un problème. Si dans les prochains jours Pancrace devait lui plaquer une cible dans le dos il valait mieux pour lui comme pour elle qu’elle soit maîtresse aussi bien de son corps que de son esprit.

    - Mon sauveur… Répondit Sixte avec un demi-sourire débordant d'ironie et toujours penchée vers son interlocuteur. Nul doute que de loin ils devaient paraître plus louche qu’ils ne l’étaient, heureusement leurs chuchotis étaient couvert par la rumeur qui ne faisait qu’enfler à mesure que les clients emplissaient la taverne et pour l’heure personne ne semblait leur prêter attention. L’elfe s’attarda un instant sur les iris mordorés de l’officier avant de se redresser.

    - Mmh… Songea-t-elle à voix haute. - La coïncidence est quand même étrange, tu me l’accorderas. Mais si même vos légistes n'ont rien vu, elle haussa les épaules, c’est qu’ils ont probablement raison. Après je t’avoue que j’en ai rien à faire. Rosti ou un autre, ça ne fait pas d’différence pour moi. Si ce n’est qu’il a très mal choisi son heure. Et son jour. C’était même plus que mal choisi mais on ne pouvait pas refaire le passé et Sixte devrait se contenter de la situation dans laquelle elle se trouvait actuellement. Le cul coincé entre deux chaises ; laisser Pancrace prendre les devants ou continuer de lui cacher une partie de la vérité. Un fois de plus la réponse lui semblait évidente ; le jeune homme pouvait la trahir et la foutre dans une merde noire en claquant des doigts. Mais si elle ne lui fournissait pas le maigre détail qui pouvait permettre de rendre leur mensonge réaliste, autant ne rien tenter du tout. - Une pochette en feutre noir. Finit-elle par lâcher du bout des lèvres en avalant rapidement une longue gorgée de vin comme pour se consoler de vendre ainsi ses propres secrets à un homme comme celui attablé à ses côtés.

    Encore en débat avec sa propre conscience, elle fût arraché à ses pensées par le plat délicieusement fumant qui lui arriva son le nez. Ni une, ni deux, elle planta sa cuillère dedans. Pas de quoi se rouler par terre mais largement de quoi se réconforter un peu et oublier que dehors, l’hiver vient déjà.  

    - Pas très grande. Une taille classique.Pour l'épaisseur je saurais pas t’éclairer. Après tout elle n’avait jamais vu que ce que son esprit s’était imaginé et son commanditaire ne lui avait pas donné ce genre de détails. - J’ai pas vraiment de planque. Je roule certes pas sur l’or mais je préfère un matelas en plume qu’en planche donc je suis plus auberge que planques. Nomade certes, mais elle n’avait pas abandonné son goût pour le confort non plus. - Cela dit je devrais pouvoir me dégoter quelques choses dans la banlieue.Il y avait toujours de quoi se loger aux limites de la ville. Que ce soit une maison abandonnée ou une grange désaffectée. Ce ne serait pas du grand luxe mais si elle pouvait attendre à l'abri, ce serait déjà ça de gagné. - Je devrais pouvoir effacer mes traces, suffisamment pour donner l’impression que je voulais pas qu’on me trouve.

    Tout en passant en revu les différents lieux qui pourrait ou non faire l’affaire, Sixte termina aussi bien son assiette que son verre. Quand enfin elle s’extirpa de la torpeur de son esprit ce fut pour terminer la bouteille de vin et laisser place à celle qui avait été commandée par le jeune homme. Elle repoussa son assiette sur un coin de la table puis s'y accouda.

    - Dans l’port. Vers le cimetière à bateau. Y  a la carcasse d’un… Bateau. Je crois qu’ils appellent ça une caravelle… Peut-être un gribane. Bref appelle ça comme tu veux. Il est plutôt costaud, tu pourras pas le manquer et si t’es pas trop bigleux sur la coque tu verras qu’il s’appelle l’Ouranos. A la simple idée de devoir mettre les pieds sur un bateau, même échoué la fit frissonner. Peut-être aurait-elle dû favoriser un bâtiment de plein pied. “Non” pensa-t-elle. L’Ouranos serait sa meilleure porte de sortie si Pancrace devait essayer de la piéger.

    - D’ailleurs Pancrace, Son visage n’affichait plus qu’un air neutre, propre à ceux qui ont existé de trop longues années. - J’espère que j’peux me fier à toi. Et par là, elle entendait repartir libre et en vie. Les mains pleines de sa pochette aussi mais ça, elle le verrait en temps voulu. - En tout cas si ça te va, je devrais pouvoir m’y rendre sous peu. Qu’est-ce que t’en dit ?
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  • Dim 12 Nov - 14:08

    J'suis suffisamment distrait par Sixte, penchée en avant pour me rejoindre au millieu de la table, que j'me contente de touiller mon ragoût sans but. Pas grave, il est brûlant, et ça lui fera du bien de refroidir un peu. Pas trop, cela dit : les yeux de gras risqueraient coaguler et ça ferait un peu mal à la qualité du plat. Le parfum des herbes aromatiques masque celui de la jeune femme, et un rapide coup du coin de l'oeil aux alentours montre, sans surprise, que les gens s'intéressent assez peu à nous.

    Faut dire qu'on ressemble quand même sacrément à un couple, à chuchoter furieusement en souriant et se fixant du regard.

    Elle a ses doutes sur les causes réelles de la mort du vieux Rosti, et j'peux pas lui en vouloir : je suis pas bien loin de partager les mêmes. Le souci, c'est que si on se fie même pas aux analyses médicales et magiques de l'Office, on est bon pour jamais s'en sortir. Puis, au final, eux aussi, ils ont besoin de faire leur beurre. Si la pression devient trop forte, ils trouveront bien un moyen de nous mettre sur la bonne voie, j'en doute pas trop.

    « Ouais, je suis d'accord que la coïncidence est forte. Après, est-ce que le vieux a fait une attaque tout seul à cause du vol, est-ce que le voleur a été très opportuniste en apprenant son décès, est-ce qu'un larbin du manoir a fait tourner l'information en avant-première... Malheureusement, ça, c'est plus ou moins invérifiable. Ca se trouve, c'est même juste un hasard du calendrier et la disparition de l'objet est vraiment tombé par hasard avec sa mort. Ou tout ça est un complot qui vise à faire passer un assassinat pour une simple effraction crapuleuse. »

    Je hausse les épaules. Je peux pas me mettre la rate au court-bouillon pour ça, en l'état, dans la mesure où tout est hors de mon contrôle, et que la meilleure façon de comprendre ce qui s'est réellement passé, c'est de trouver le coupable et lui poser directement la question. On pourra pas faire mieux, de toute façon. J'reporte mon attention sur le ragoût, et j'arrache un morceau de pain à la miche qui me fait face, pour le faire tremper dans la sauce épaisse.

    J'profite de la mastication pour absorber les détails sur la pochette, et son contenu qui m'est tout autant nécessaire qu'à Sixte. Ca fait mal, mais il va bien falloir faire ce qu'il faut : on a rien sans rien, après tout, et on fait pas d'omelette sans casser les yeux. On verra p'tet à trouver un compromis, cela dit, si la situation s'y prête. Puis j'observe les rouages tourner dans sa tête pour la mise en place de son plan et le fignolage des détails.

    « Ouais, noté pour l'Ouranos, on se mettra en planque autour. Je te laisse quelques heures avant d'émettre l'avis de recherche avec les détails qui vont bien, et te laisser le loisir de créer une piste difficile à remonter tout en restant faisable. Si y'a des chasseurs de primes... on essaiera de les sortir avant, mais s'ils se pointent, pas dit que j'puisse faire grand-chose. Ca ira ? »

    De mémoire, elle devrait quand même aisément s'en sortir, mais certains sont un peu plus énervés que d'autres. Puis la tension monte à nouveau, et j'affiche un sourire facile et plein de confiance.

    « Bien sûr. L'un sans l'autre, aucun de nous n'arriverait à élucider cette affaire, de toute façon, donc faut bien qu'on collabore. J'ferai de mon mieux pour que tu t'en sortes, et faire sauter l'avis de recherche, aussi. D'ailleurs, si t'as des demandes particulières, genre mettre un faux nom ou quoi pour pas qu'on puisse totalement remonter jusqu'à toi, y'a pas de souci, c'est le moment de le dire. On finit la bouffe et on s'y attelle ? »

    ****

    Au milieu de la nuit, l'avis de recherche avec une description sommaire a été pondu et communiqué aux gens qu'il fallait. Puis, en milieu de journée, j'me suis promené, en civil, aux alentours de l'Ouranos. Le coin est calme et isolé, suffisamment pour que le simple fait de s'y promener soit quasiment bizarre. Bah, j'avais une autre apparence, de toute façon, avec le sort de métamorphose. En tout cas, pas de signe d'autres gens qui zonent au-delà de la population habituelle : vieux délabrés, jeunes désoeuvrés, prostituées. Même les mendiants traînent pas trop ici, faute de clientèle sérieuse.

    J'finis par me poser dans un recoin avec vue sur la caravelle, et j'sais que j'ai des renforts qui sont positionnés aussi tout autour. S'il se passe quelque chose, on sera au courant. De toute façon, il se passera rien avant cette nuit, mais ça coûte rien de rester prudent. J'jette un regard mauvais aux deux loubard qui me jaugent, mettant en évidence mon ceinturon alourdi par les armes. Ils filent d'un pas vif.

    Quand Fifi m'adresse un signe de la main, je hoche la tête et j'monte dans la piaule dégarnie qu'ils nous a trouvée. La fenêtre donne à peu près sur un côté de l'épave, mais pas suffisamment pour pouvoir tout observer. C'est pas grave, parce que s'il se passe quelque chose, j'le saurai.

    J'm'assieds en tailleur contre le mur, et j'ferme les yeux. La projection astrale m'emmène sous le pont du navire, dans les quartiers du capitaine. Connaissant Sixte, elle sera soit là, soit quelque part avec une échappatoire, mais ça me paraissait être un bon début.

    « Hé, Sixte ? »
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  • Dim 12 Nov - 17:15
    - Vous devriez avoir de quoi faire. Après tout l’Ouranos était entouré par d’autres carcasses en plus ou moins bon état à l’est et à l’ouest les fenêtres des bâtiments écartelés par l’érosion et le manque d’entretien donnaient droit dessus. Aucune chance pour Pancrace de ne pas trouver de quoi se planquer. Cependant ce qui faisait son affaire à lui faisait aussi celle des autres et Sixte espérait qu’elle n’aurait pas trop de visite. Un coup à mettre en péril toute leur entreprise et ils n’auraient le droit qu’à une seule chance. - Ça ira. Répondit-elle. De toute façon elle n’avait rien de mieux à proposer et lui non plus visiblement.

    La confiance. Un fantasme. Un doux songe auquel elle ne se laissait plus aller depuis bien longtemps. Cependant, elle n’avait pas le choix ce soir. Pancrace avait raison, ils n’arriveraient à rien sans faire équipe  et ce soir plus que jamais ils avaient besoin l’un de l’autre. - Tu peux garder Sixte. C’était un nom qu’elle s’était choisi exactement pour ce genre de raisons, autant s’en servir pleinement. - Je vais prendre de l’avance si tu veux bien. J’ai quelques trucs à préparer. Un simple sourire en guise d'au revoir et elle disparut, ne laissant derrière elle qu’une note salée.

    ***

    L’Ouranos gisait sur son flanc semblable à la carcasse d’un gigantesque cétacé où mousse, algues, crabes et moules avaient élu domicile. Il était éventré de la prou à la poupe, ses mâts étaient brisés et ses voiles avaient partiellement été arrachées, sans doute par la tempête qui l’avait jadis fracassé sur les rochers. Même dans cet état délabré, il était aisé d’imaginer sa splendeur d'antan. Mais Sixte ne s’attarda pas longtemps, la simple idée de se trouver aussi proche de la mer la rendait malade et le soleil qui était jusqu’ici haut dans le ciel commençait déjà sa course vers l’ouest. Sans plus tarder, sac à l’épaule elle traversa l’étendue boueuse, pestant après les poches de vase qui gardait ses bottes prisonnières une fois sur deux, manquant de la précipiter tête la première dans ce délicat bouillon de culture.

    Quand elle réussit enfin à atteindre le cœur du navire, sa chemise avait reçu suffisamment d’éclaboussure marron pour donner l’impression qu’elle était une nécessiteuse. Elle s’attendait d’ailleurs à en trouver quelques-uns ici, dans la cale du navire mais il n’y avait pas âme qui vive. Elle avança un peu plus et son interrogation trouva sa réponse. Après la boue, c’est l’eau qui lui monta aux chevilles.

    - Je vois. soupira-t-elle. - A marée haute, tout est rempli. Autour d’elle s’étendait des flaques gigantesques, laissant quelques poissons piégés et frétillant attendre le retour de la mer. Il y avait également l’odeur iodé caractéristique et de long rideau d'algues visqueuses qui pendaient si et là. Sixte se trouvait dans ce qui était autrefois la cale. Au-dessus d’elle, un carré de ciel se dessinait par les écoutilles. Avec un peu de chance, elle pourrait s’établir dans un lieu sec mais pour cela elle devrait d’abord trouver de quoi s’extirper de sa prison d’algue et de bois. Accrochant son sac à une corde, elle s’aventura un peu plus loin dans le ventre de la bête. Heureusement pour elle l’eau n’était pas profonde et lui montait seulement à mis cuisse. Cependant cela ne l’empêchait pas de trembler de tout son être, luttant contre les vieux souvenirs d’Althéa qui lui revenaient.  Ce ne fut qu’au bout d’une trentaine de minute, d’environ quatre caisses et deux bouts de cordes qu’elle réussit à s’extirper de la cale pour gagner le pont principal. Aussi glissant que s’il avait été couvert de glace, Sixte dû faire preuve d’agilité pour se déplacer sans passer par-dessus bord et là, nulle eau pour amortir sa chute. Enfin, elle gagna la cabine du capitaine après avoir emprunté un escalier qui la fit replonger dans les profondeurs de l’Ouranos.

    - Ça fera l’affaire.

    La pièce était gargantuesque pour un navire. A vrai dire, elle n’avait pas vraiment de quoi comparer, elle ne s'embarquait jamais en mer. En trois cents ans, cela avait dû arriver deux fois et ce n’était pas près de se reproduire. Au milieu trônait une longue table de bois polis, complètement retournée. Sixte entrepris de la remettre droite suivit d’une chaise, elle cala le tout de façon à ce que l’inclinaison du bateau ne la gêne pas puis elle y déposa ses affaires, qu’elle avait récupéré avant de monter sur le pont. Ne lui restait plus qu’à attendre.

    - Pancrace. Répondit-elle d’une voix crispée, masquant péniblement qu’il venait de la surprendre. Installée comme elle l’était sur le rebord de la large fenêtre qui donnait sur les parois rocheuses, elle avait une vue imprenable sur l’entrée mais également un échappatoire de choix dans son dos. Nul n’aurait pu la prendre par surprise si tant est qu’il ne fut pas une projection. S’arrachant à la contemplation de l’extérieur, elle se leva pour se tenir en face de l’image de l’officier. - J’imagine que si tu es là, c’est que tout est en ordre. Elle lui sourit en hochant la tête. - De mon côté en tout cas, tout l’est. J’ai effacé mes traces à la va-vite, comme si je voulais partir précipitamment. Faut dire que si j’avais mit la main sur cette putain de pochette, je voudrais fissa me faire la malle. Et j’ai envoyé un gamin livrer une enveloppe où j’indiquais le point de rendez-vous pour remettre les documents. Entre ton avis de recherche et ça, si personne ne se pointe… Elle soupira puis tendit la main vers la silhouette brumeuse du brun, s’amusant à passer les doigts à travers son corps spectral. - J’espère aussi qu’on aura pas trop de monde sur le coup. Du genre, ses yeux se levèrent dans sa direction, un avis de recherche qui ne rend pas riche celui qui me trouve. Sinon la moitié de Courage va se pointer ici en moins de temps qu’il n’en faut.

    Elle était sur le point de poursuivre lorsqu’elle fut interrompue par un craquement. Immédiatement son regard se braqua sur la porte d’entrée.

    - Vous avez vu quelque chose de dehors ? murmura-t-elle si bas qu'elle ne fut pas sure que son compagnon d'infortune puisse l'entendre, pendant ce temps ses doigts rejoignaient la garde de ses dagues.
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  • Jeu 16 Nov - 19:41

    Elle a l'air nerveuse, Sixte, dans son épave. Tu m'diras, à sa place, j'serais pas serein non plus, et pourtant, j'ai un sort de téléportation pour me tirer d'affaire, et j'bosse pour les gentils. Donc pour elle qu'est tout l'inverse, c'est sûr que la situation doit être inconfortable. Entre les chasseurs de prime et les criminels qui voudraient retrouver la pochette, sans même parler des milices des sénateurs qui pourraient vouloir ne pas compter sur l'office républicain, faut bien avouer que ça risque de se bousculer au portillon.

    Fifi me secouera si y'a quelque chose, donc ça devrait me sortir de la projection astrale si nécessaire.

    « Ouais, tout va bien, pour l'instant. La prime est pas si élevée que ça rameutera la terre entière, donc pas d'inquiétude particulière à avoir. Par contre, ça fait bizarre, de te voir passer la main à travers moi, c'est obligé ? »

    J'ai un sourire taquin en disant ça, qui disparaît rapidement quand elle relève une présence dehors. Avec la projection astrale, tout est toujours un peu bizarre, mais j'lui fais confiance sur la question. Après tout, elle est physiquement là et autrement plus concernée par toute cette affaire. Moi, si j'suis en retard, c'est ballot mais c'est la vie. Elle, elle risque de se retrouver avec un second sourire sous le premier, et ce serait le dernier qu'elle arborerait. J'ouvre la bouche.

    « J'regarde si on arrive, temporise si nécessaire. »

    J'désactive la projection astrale et j'récupère mon corps dans un sursaut. A côté de moi, Fifi a les yeux fixés sur l'obscurité du plan d'eau partiellement inondé maintenant, attentif. Toujours un gars sérieux, Fifi, avec son surnom du Bleu qui lui colle à la peau alors que c'est plus vraiment le cas. Puis j'voudrais pas me retrouver à faire un duel contre lui, épée contre épée. Pas le plus finaud, mais appliqué, athlétique sans être teigneux, ce qui lui porte probablement préjudice au sein de la troupe de sales types qu'on est globalement.

    Mais quand j'lui file un truc à faire, j'sais qu'il le fera de son mieux, et ça, ça le rend déjà bien meilleur que beaucoup d'autres officiers républicains.

    « Rien ?
    - Rien, capitaine.
    - J'file voir les autres. »

    Il fait un signe de la tête. La projection astrale suivante m'amène auprès de Krueger et Bistouri, qui ont une vue sur une autre façade, et la suite de la rue. C'est marrant, que le cuisinier auto-proclamé -on a tous la flemme de faire la popotte sauf lui- et le toubib -on a jamais vu son diplôme mais il nous répare pas si mal- finissent ensemble. Ca fait un peu les deux spécialistes du soutien qui se serrent les coudes.

    « Hé, vous avez vu quelque chose ?
    - Il fait noir comme dans un four, mais rien a priori.
    - Tu devrais pourtant, dans un four, Krueger, lâche Bistouri.
    - Je suis cuistot à mes heures perdues, pas ramoneur.
    - Choisis mieux tes métaphores alors.
    - Bon, le vieux couple, j'vous laisse.
    - 'Sûr, 'ptaine. »

    Puis Surin et Dédé. Le premier est une vraie crasse, hargneux bien comme il faut, et pas à l'abri d'utiliser l'outil qui lui vaut son surnom un peu trop facilement. On a tous déjà dû venir le sortir d'une bagarre de bar qui était sur le point de dégénérer. Au point que ça devient chiant d'aller se pinter avec. Et Dédé, c'est... c'est Dédé. Il distille. Il brasse. Il nous fait goûter. Et on est bourré. Pas forcément le duo qui donne confiance.

    « Rien à déclarer.
    - Vous avez picolé ?
    - Juste pour rester éveillé.
    - Si quelque chose est passé et que vous l'avez pas vu, je vous colle de corvée pendant un bon trimestre. »

    Ils déglutissent visiblement. Nouvelle projection. Un putain de tricheur aux cartes, on a beau le savoir, il nous plume quand même à chaque fois, et sans magie en prime. J'ai vérifié. Mais on y revient quand même, pasqu'on joue des kopeks, et qu'il faut bien s'occuper pendant les longues nuits de garde.

    « Tarot ?
    - Une poignée de clodos, mais ils sont pas allés bien loin.
    - Ils sont où, là ?
    - Dur à dire.
    - Bordel. Tenez-vous prêts, si j'balance le signal. »

    Quand j'réintègre mon corps, j'vérifie que Fifi a toujours son arc court avec les flèches enflammées. La nyctalopie m'aide à distinguer un peu mieux ce qui se passe, et c'est possible que des formes sombres soient en train de patauger dans l'eau, et c'est aussi envisageable que ce soit pas des chiens errants ou d'autres saloperies qui rôdent aux abords de la ville. On sait jamais, des fois que la GAR ait pas bien nettoyé le secteur.

    Puis j'vois deux formes qui volent quelques mètres au-dessus du sol, à la faveur d'un rayon de lune. Elles se dirigent droit vers l'épave, et à mon avis, pour y aller en utilisant de la magie, c'est qu'on est pas vraiment sur des copains. J'fais claquer ma langue.

    « Balance tout, Fifi, on y va. On essaie de ramasser tout ce beau monde, au moins un de chaque groupe si on en identifie plusieurs. J'veux qu'on puisse interroger tout ça, pour tirer cette histoire de sénateur au clair. J'me rends sur place de suite. »

    L'avantage de la projection astrale, c'est qu'elle permet de voir et repérer les lieux, donc maintenant, sans jamais y être allé physiquement, j'peux m'y téléporter, en tout cas dans la chambre du capitaine. Donc j'me mets à préparer l'incantation, et quand la magie a suffisamment pris forme, la mana s'active et j'me retrouve brièvement désorienté, contre un mur, avec une vue sur l'ensemble de la pièce et pas bien longtemps pour choisir comment réagir.
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  • Sam 18 Nov - 0:17
    “Pas d'inquiétude particulière”. Sixte étrangla un rire nerveux et lança un regard de biais à la projection. Effectivement, lorsqu’on se trouvait loin de l’épicentre du problème, il n’y avait pas d’inquiétude à avoir. Cependant l’Elfe en avait plusieurs qu’elle lui aurait volontiers énumérées en faisant des allers retours au travers de son corps diaphane. Hélas, Pancrace était déjà en train de disparaître.  

    - Attends ! Mais l’homme s’était déjà volatilisé, la laissant seule avec elle-même. - Encore une folle colaboration. Se groumanda-t-elle en tendant l’oreille. Les humains n’étaient pas réputés pour leur fiabilité, au contraire. Ils changeaient d’avis facilement et leur loyauté était encore plus frivole que leurs amours. Pendant un instant, elle songea que Pancrace avait peut-être tout organisé. Qu’il ne comptait peut-être que se débarrasser d’une épine dans son pied. Cette idée alluma un signal d’alarme dans son esprit mais également un brin d’amusement, si vraiment il lui avait tendu un piège aussi élaboré alors il méritait de réussir. Cependant que ce fut lui ou la personne qui tenait aux faux documents, elle comptait bien lui donner du fil à retordre. Malgré la porte close des appartements, elle put entendre l’air vibrer. Il lui avait suffit d’activer son manaa pour entendre plus distinctement son environnement. Ses sourcils se froncèrent et sa mâchoire se contracta ; les choses allaient se corser.

    D’un geste habile elle laissa tomber sa cape sur le sol, révélant son habituel plastron de cuir souple et fonctionnel. A sa taille trônait fièrement sa dague à double lame qu’elle n’avait pas encore tirée de son fourreau. Son bras était également ceint par une ceinture comportant plusieurs petites armes de jet. Ses bottes glissèrent sur le sol dans un silence assourdissant, la menant jusqu’à sa sacoche en cuir dont elle examina le contenu.  L’imitation plus ou moins réussie d’une pochette noire y trônait. Elle l’avait fabriqué dans l'après-midi en découpant un carré de tissu sur une vieille robe  qu’elle était venue coller sur un morceau de bois qu’elle avait dégoté dans un bâtiment laissé à l’abandon. De loin, l'illusion était parfaite. De près… C’était trop tard de toute façon. Elle glissa la lanière du sac en travers de sa poitrine et arracha enfin son arme à son étaux puis elle s’avança dans la pièce, jusqu’à la porte. Son oreille pointue vint se coller au bois froid et humide et elle écouta. Rien. Tout en douceur, elle enroula ses doigts autour de la poignée et la fit tourner. Par chance, ni la porte, ni les gonds ne grincèrent quand elle les ouvrit. A croire que même l’Ouranos retenait son souffle.

    Dehors la lune avait pris possession du ciel, elle noyait les étoiles dans sa clarté, illuminait le pont et faisait danser des reflets gris et bleus dans les cheveux tressés de Sixte. Cette dernière était d’ailleurs en train de longer le bastingage, accroupi. En dessous d’elle, elle pouvait entendre la succion propre à la vase qui retient le cuir d’une botte.  Ils arrivaient par là où elle était venue, par la cale. “Parfait, songea-t-elle, ça n’en sera que plus simple”. Après tout, il lui suffirait de se poster à la sortie et de les mettre hors d’état de nuire les uns après les autres.

    Son plan était loin d’être grandiloquent ou particulièrement malin, mais elle n’avait que ça sous le coude. De plus, Pancrace n’arrivait toujours pas. Peut-être avait-il fini par lui fausser réellement compagnie. Repoussant cette idée dans un coin de son esprit, elle se laissa glisser aussi furtivement que possible jusqu’au mât brisé sur lequel elle se percha, tel un chat attendant sa proie. Elle était sur le point de se nimber d'invisibilité quand une masse l’écrasa subitement contre le bois, lui arrachant un gémissement et lui coupant le souffle tout en la désarçonnant. Son agresseur et l’Elfe chutèrent jusqu’au bastingage opposé,  quelques mètres plus bas. A nouveau le souffle manqua à ses poumons, ses membres moulinèrent dans le vide alors qu’une main la relevait par le col comme si elle était une enfant.

    - Ne jamais baisser sa garde. Susurra l’homme avec un sourire satisfait. Ses cheveux d’un blanc laiteux reflétaient dans la nuit comme un phare, ses yeux lupins quant à eux la regardait avec un mélange d’amusement et de méprise. - La menace peut venir de n’importe ou. Dit-il en pointant du doigt le ciel. Il ne fallut pas plus à Sixte pour comprendre ce qui venait de se passer et surtout qu’elle devait se sortir d’affaire tout de suite.

    - Tu l’as dit. Persifla-t-elle alors que sa dague avait trouvé sa place entre l’index et le majeur de son assaillant, faisant dégouliner le sang le long de son épaule et l'obligeant à desserrer sa poigne. La jeune Elfe retomba avec agilité sur le sol. Sans demander son reste, elle sauta comme un chat pour saisir un cordage et se hisser jusqu’au mat fracturé qu’elle avait escaladé auparavant.  C’est à cet instant qu’elle remarqua la présence d’un petit groupe dans la cale, peut-être un ou deux ou trois. Elle n’eut pas le temps de s’attarder sur ce détail, leurs yeux lui soufflaient qu’ils ne lui voulaient pas plus de bien que celui qui hurlait de douleur dans son dos. Lui aussi d'ailleurs n'était pas seul ou du moins, il ne l’était plus. Quelqu'un l'avait rejoint, elle pouvait voir sa silhouette se découper dans la pénombre.

    Ses pieds glissant sur les algues et l’humidité, Sixte s’empressa de rejoindre les quartiers du Capitaine. Elle ne pourrait pas les abattre tous les cinq. De plus, il lui en faudrait un vivant. Peut-être deux si on partait du principe que les deux groupes n’étaient pas liés. Ce qui rendait la tâche plus ardue encore. Sans parler du clair-obscur qui l'empêchait de se déplacer avec précision.

    - Putain de connard. Gronda-t-elle en pénétrant dans la cabine et claquant la porte. Elle ne remarqua pas la pluie brûlante qui s’abattait et dirigeait immanquablement les intrus vers l'abri le plus proche. La porte se rouvrit aussi vite qu’elle s’était fermée et l’Elfe fit un bond en arrière, acculée dans l’angle d’un mur et de la gigantesque fenêtre qui donnait sur la mer. Sa dague avait naturellement gardée sa place dans sa main alors que des couteaux naissaient entre ses phalanges de l’autre.

    Le premier à entrer fut le camarade de celui à la main abîmé, il était plus jeune mais semblait aussi bien plus féroce. A vrai dire, il semblait dans une colère noire.

    - T’as blessé mon père ! Dit-il en faisant jouer une rapière dans la paume de sa main. Sixte devina le manque d’expérience dans l’incertitude de ses mouvements, les faiblesses dans son jeu de pied.

    - Tu m’en vois navrée. Si elle hésita quelques secondes avant de s’élancer, elle finit par le faire en priant n’importe quel dieu que personne d’autre n’entre quand elle aurait le dos tourné.

    Comme elle l’avait prédit, la jeune créature fut facile à désarmer. Semblable a une danseuse, Sixte allait et venait sur lui sans relâche, pénétrant plus profondément sa garde à chaque assaut, se jouant de la lame da rapière qui ne parvenait jamais à l'atteindre malgré la violence du bras qui la maniait. Le métal chanta plusieurs fois, mais a chaque fois la blonde réussissait à mettre en déroute son adversaire. Mêlant vitesse et agilité, Sixte était difficilement saisissable et cela lui permit d’échapper à la rapière mais également asséner un violent coup de pommeau sur la nuque de son attaquant qui tomba inerte. Elle était sur le point de se réjouir lorsqu’une fois de plus, ses pieds quittèrent le sol. Toutefois, cette fois ce ne fut pas son col mais sa gorge qui fut prise en étau.

    - C’est mon fils, qu'as-tu fait ! De vert de douleur, l’homme était devenu rouge de colère et ses yeux lançaient des éclairs qui aurait pu la tuer sur place si il l’avait pu.

    -  Décidément c'est réunion de famille. Articula-t-elle d’une voix  aussi étranglée qu'elle l'était.

    De rage et de frustration, le bonhomme l’expédia à travers la pièce comme une poupée de chiffon. “Si celui là n’est pas croisé avec un drakyn alors moi je suis impératrice du Reike”, songea Sixte. Mais alors qu’elle s’attendait à rencontrer la rudesse du bois, ce fut celui d’un corps qu’elle rencontra et qu’elle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle découvrit à qui il appartenait.  

    - Le héros tant attendu. Dit-elle, le souffle court mais la voix lourde de sarcasmes.

    Dans leur dos, la porte s’ouvrait une fois de plus, laissant entrer de nouveaux invités. La sacoche, elle, gisait sur le sol à équidistance des trois groupes.
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    Pancrace Dosian
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  • Mar 21 Nov - 19:18

    J'avoue que j'm'attendais pas à ce que la situation dégénère aussi vite. Le temps de voir une poignée de connards en l'air, des formes qui galopent dans les flaques en bas, de balancer deux ordres et d'incanter une téléportation, et voilà que le renard est dans la bergerie, et Sixte est dans mes bras. Comme quoi, à quelque chose malheur est bon. J'cligne des yeux, j'remets la nyctalopie, et faut bien constater que c'est le bordel.

    « Un héros arrive toujours pile à temps. Je crois, je sais pas. »

    La pochette en feutre, la fausse je présume, trône fièrement au milieu de la cabine du capitaine, un peu ruinée, avec un corps au sol, un genre de lupin, un gros mastar debout à côté, et trois autres formes, plus petites, qui viennent de pénétrer dans la pièce. A voir leurs tronches verdâtres et leurs barbes moisies, ça sent les croisés gobelins-nains, ou une autre saloperie un peu contre-nature du genre. On se mate, et la situation semble être dans une impasse.

    Un ange passe, au sens figuré, faut le préciser.

    « Les documents ! Persifle un des gobenains. »

    L'instant suspendu est rompu quand le loup-garou se jette sur l'objet de toutes les convoitises, suivi de deux gobenains. On reste prudemment en retrait, on reprend nos appuis et on s'écarte d'un demi-mètre pour pas se marcher dessus. La troisième horrible petite créature agite les mains et la pochette glisse dans la direction de ses alliés. Télékinésie ou vent ? J'active le senseur magique, mais trop tard pour capter autre chose que la vitesse améliorée du chien sauvage.

    Il flanque un énorme coup de tatane à un mâle vert, et l'envoie à son tour s'écraser contre la paroi de la cabine, dans un craquement de mauvais augure. Le second roule sur le côté pour éviter le poing de l'armoire à glace, et laisser filer les documents vers son allié. J'pointe du doigt le loup-garou pour envoyer des projectiles magiques, qu'il encaisse avec les bras en croix devant lui. Sa peau fume un peu sous l'impact, mais la blessure semble plus que superficielle, ayant à peine entamé le cuir.

    Ca va s'avérer problématique.

    Surtout que les loup-garous sont connus pour bien résister aux attaques mentales, donc j'vais éviter d'aller dans ce style.

    C'est moins le cas des gobenains, mais j'suis distrait par celui qu'a été éjecté qui me lance une poignée de couteaux à la gueule. J'tombe en arrière, mais Sixte est là pour les dévier d'un moulinet du bras.

    « Merci. Les renforts arrivent, normalement, que j'souffle. »

    Enfin, j'espère, pasque sinon, ils vont m'entendre, juste qu'ils risquent de pas faire aussi vite que des lupins qui volent ou des gobelins qui rôdent au milieu des flaques. Et qu'ils risquent aussi de pas être dépourvus d'une certaine forme de mauvaise volonté à devoir se tremper les couilles pour aller se battre contre des chasseurs de primes, des criminels et des malfrats en tout genre.

    « Faut toujours en capturer un vivant. Le gros et un des nabots du coup, a minima. »

    Ca serait un bon début, après si y'a davantage de pertes, ça deviendrait emmerdant. Le reste, on le maquillera en dommage collatéral, surtout que c'est pas comme si notre vie était pas en danger. Mais si on n'a personne à interroger, on aura l'air sacrément con.

    Les bouts de bois pointus, pleins d'échardes, qui volent vers nous et envoyés par le gobenain magicien, me font repenser cette théorie et cette stratégie, surtout que le loup-garou avance aussi vers nous. J'saute sur le côté, et j'laisse Sixte s'occuper du gros. Elle devrait sûrement s'en sortir, contrairement à moi. Puis les projectiles magiques qui explosent les pieux calment de suite le mage, alors même que la pochette ne bouge plus, toujours au centre.

    Marrant, ça.

    Puis il se prend brusquement la tête dans les mains, quand l'attaque mentale fait mouche. Les deux autres nabots voient pas ça d'un bon oeil, et avancent fermement vers moi. J'jette un oeil sur le côté, mais la demie-elfe est occupée ailleurs. D'un geste de la main, j'lance d'autres projectiles magiques, et j'me dis qu'il va être temps de monter en gamme, surtout que le télékinésiste bloque les attaques en déplaçant les bien trop nombreux débris de la salle.

    J'dégaine mon épée courte pour maintenir les gobenains à distance, et heureusement que le senseur m'assiste pour sentir ce qu'ils font, leur signature en mana, et le fait que celui qui vient de se laisser embrocher a un sort de régénération. L'attaque mentale le déconcentre assez pour qu'il glisse au sol en se tenant le côté, à la recherche de sa magie perdue. L'autre est déjà à côté de moi, la tête qui arrive un peu au-dessus de mon nombril, et son poignard rippe sur ma veste en cuir et l'armure légère en-dessous. J'laisse échapper un grognement de douleur et j'recule d'un pas pour remettre de la distance, mais elle me colle, et ça devient malaisé, surtout quand le mage me fait trébucher en me foutant un truc dans les jambes.

    Les projectiles magiques qui partent vaporisent la gobenain et font un énorme trou dans le plafond, et j'essuie le sang qui a coulé sur mon visage.

    « Hé, le sale cabot ! Alliance contre les humains ! T'as vu ce qu'il vient de faire !
    - Oui, on règlera nos comptes plus tard. »

    Et merde.
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